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Commission des affaires sociales

Mercredi 24 mars 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition de M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 24 mars 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française.

M. Pierre Méhaignerie, président. Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française. Je vous propose, à cette occasion, d’apporter notre contribution à la réflexion de cette Commission, compte tenu de l’importance des problèmes sociaux qui sont devant nous.

La crise que nous connaissons est d’une telle ampleur qu’elle appelle une profonde remise en cause. Je ne citerai qu’un exemple. En novembre 2007, nous allions vers l’équilibre des comptes sociaux, la croissance de l’ONDAM était inférieure à celle de la richesse nationale et nous envisagions de transférer 1,5 point de cotisation chômage à la branche vieillesse. La crise a balayé toutes nos prévisions. C’est pourquoi, monsieur Attali, nous voudrions savoir si les préconisations de votre rapport vous semblent toujours d’actualité et quel est le regard que vous portez sur la conséquence de la crise économique actuelle.

M. Jacques Attali. Je remercie votre commission d’avoir initié ce dialogue qui pour nous est très important. Je souhaite rappeler à titre liminaire que nous n’avons jamais cessé, depuis la publication du rapport, de nous réunir pour suivre sa mise en œuvre et de travailler avec les parlementaires, les ministres et les services concernés.

Le rapport me semble toujours d’actualité, et ce à double titre. Tout d’abord, un grand nombre de ses propositions ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Par ailleurs, lors de sa publication en octobre 2007, nous évoquions déjà la possibilité d’une crise financière majeure comparable à celle de 1929. Le rapport n’est donc absolument pas dépassé. Au contraire, la crise nous invite à accélérer la mise en œuvre de nos préconisations.

Trois idées majeures avaient guidé les travaux de la commission : faire de la France une économie du savoir, de l’école maternelle aux entreprises de pointe ; développer la mobilité, qu’elle soit géographique ou sociale, y compris pour les professions réglementées ; moderniser la gouvernance de l’appareil public. Ces trois principes me semblent, plus que jamais, adaptés aux circonstances actuelles.

La commission, dans la même composition, a commencé à se réunir. Une trentaine de rapporteurs, issus pour moitié de l’administration et pour l’autre de grands cabinets de conseil, se réunissent quotidiennement pour auditionner tous les grands responsables politiques, administratifs, économiques, sociaux, susceptibles de nous éclairer. Par exemple, nous avons reçu dernièrement le secrétaire général de l’OCDE et nous avons invité prochainement la première secrétaire du Parti socialiste. En d’autres termes, nos travaux se poursuivent et nous nous tenons à votre entière disposition pour en discuter. En effet, nous avons vocation à être utile au Parlement et non l’inverse.

Le 15 mai prochain, nous publierons un bilan de la mise en œuvre des propositions du premier rapport. Pour cela, les travaux parlementaires lancés à l’initiative du Président Bernard Accoyer, visant à analyser les traductions législatives de nos propositions, nous seront très précieux. Nous donnerons également notre vision de l’économie française à l’horizon 2020, car nous pensons qu’il nous appartient de donner un cadre qui ne soit pas contraint par les échéances politiques futures. Puis, au début du mois de juillet, nous ferons le point sur nos préconisations qui n’ont pas été mises en œuvre et nous en y ajouterons les nouvelles qui nous sembleraient opportunes.

Sur la situation économique du pays, et je m’exprime en partie à titre personnel, puisque le travail collectif ne fait que commencer, il me semble que l’équation qui se présente en 2020 est impossible à résoudre. Dans un contexte de crise économique mondiale qui est loin d’être terminée et dont l’évolution est imprévisible, seuls les pays en développement auront dans les années à venir une croissance forte. Alors que les pays développés doivent s’attendre à une situation difficile, en termes de taux de croissance, d’endettement ou d’emploi. Nous ne sommes pas à l’abri d’une rechute de l’économie mondiale et cette situation chaotique peut remettre en cause l’existence même de l’Union européenne. Le dollar et l’économie américaine sont quant à eux très fragiles et sensibles au moindre choc. L’endettement des pays riches augmente de manière inquiétante. À titre d’exemple, les États-Unis empruntent l’équivalent de 50 % de leur PIB pour renouveler leur dette et il n’est pas exclu que, en 2020 ce taux atteigne 100 %. La dette du Japon est égale à 230 % de son PIB. En Europe, ce chiffre devrait bientôt atteindre les 100 %. Ces prévisions ne sont pas, en tant que telles, catastrophiques car nous avons connu des situations pires dans le passé. Rappelons que l’endettement du monde occidental était considérable en 1950. Mais, une croissance de l’ordre de 5 % avait permis de l’ « avaler ». Or, aujourd’hui, la croissance potentielle de l’Union européenne est de moins de 2 %. L’équation semble d’autant plus impossible que nous n’avons plus la possibilité d’augmenter les impôts ni de recourir à l’inflation, car la dette est davantage à court terme et les taux d’intérêt s’ajustent plus rapidement. Aucune solution à la crise actuelle ne pourra donc être trouvée dans les réponses du passé.

S’agissant de la France, je rappelle que selon les projections du FMI et du programme de stabilité du Gouvernement, qui est légèrement plus optimiste, la dette publique en France devrait atteindre en 2013 respectivement 91 % ou 86 % du PIB. La croissance potentielle serait, quant à elle, de 1,5 % ou de 2,5 %. Personnellement, je pense qu’elle sera encore plus faible. Il s’agit de la croissance du PIB global, pas celle du PIB par habitant. Dans ce contexte, il est inévitable que les inégalités se creusent, que le chômage augmente et que la charge de la dette soit de moins en moins soutenable, car la probabilité que les taux d’intérêt augmentent dans les dix années qui viennent est forte.

C’est pourquoi nous devons à tout prix améliorer notre compétitivité – nous sommes en train de la perdre – , protéger les personnes en situation de perte d’emploi et contenir les déficits publics dans des limites raisonnables.

Certes, un grand nombre des mesures préconisées par la commission ont été mises en place, telles que la création de Pôle emploi, la réforme de la formation professionnelle, la création du contrat unique d’insertion, la rupture conventionnelle et le revenu de solidarité active (RSA), le développement de l’emploi des seniors avec l’assouplissement des conditions de cumul emploi-retraite et la signature d’accords de branches et d’entreprises, la modernisation du dialogue social, de la représentativité syndicale, et enfin le vote de la loi relative au travail dominical.

Cependant, un grand nombre de mesures proposées sont encore d’actualité. Je citerai principalement la réforme de l’organisation de l’État, la démocratisation de la gestion de la sécurité sociale, la fiscalisation du financement de la protection sociale ainsi qu’une plus grande justice de ce financement, la formation professionnelle au sujet de laquelle de nombreux progrès sont encore à accomplir, l’amélioration de la représentativité des syndicats patronaux et plus généralement le développement de l’offre de services des syndicats, et enfin l’amélioration des conditions de rupture du contrat de travail.

Il existe un sujet qui nous tenait particulièrement à cœur et sur lequel aucun progrès n’a été accompli, c’est celui du contrat d’évolution, mesure qui s’inscrivait dans la thématique de la flexisécurité, même si je n’aime pas trop ce mot. Il s’agissait de proposer aux personnes au chômage ou menacées de perdre leur emploi un contrat de travail spécifique, leur permettant de se former et ainsi d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles. Certes, il existe le contrat de transition professionnelle, mais celui-ci ne concerne que 20 000 personnes et il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin.

Ce qui est surprenant, c’est que parmi l’ensemble de nos propositions c’est la seule qui n’ait jamais été étudiée sérieusement par le Gouvernement, peut-être parce que personne, ni les syndicats, ni l’État n’a vraiment un intérêt propre à défendre dans ce dossier. Pourtant, il est indispensable de garantir une certaine sécurité dans la flexibilité qu’exige la compétitivité des entreprises.

S’agissant des déficits publics, des dossiers importants vont être traités à court et moyen terme, qu’il s’agisse des retraites ou de la dépendance. Sur ces deux dossiers, nous serons très heureux de travailler avec le Parlement.

J’ai eu l’occasion de dire récemment que le France devait subir un triple choc : un choc de vérité sur les nombreux dangers que recèlent les dix années qui viennent ; un choc de légitimité, car les réformes ne pourront être acceptées que si elles s’accompagnent d’une réduction des inégalités et donc d’une plus grande justice fiscale ; et enfin un choc de compétitivité, afin d’enrayer le déclin qui nous menace. Voilà les trois pistes sur lesquelles nous allons travailler et sur lesquelles nous serons heureux d’échanger avec vous.

M. le président Pierre Méhaignerie. Paradoxalement, la difficulté de réduire les déficits est telle que l’exemple japonais peut être un facteur d’endormissement et laisser penser à certains que notre niveau d’endettement n’est pas si catastrophique et que nous pouvons continuer ainsi.

M. Jacques Attali. J’ajoute que le Japon, qui connaît une croissance nulle depuis dix ans, finance sa dette par son épargne intérieure, ce qui n’est pas notre cas, et qu’il a atteint, de ce point de vue, la limite.

M. le président Pierre Méhaignerie. Par ailleurs, on connaît le coût très élevé des allègements de charges sociales sur les bas salaires ; comment concilier une réduction de ce coût avec la préservation de notre compétitivité ? Plus précisément comment recentrer ces allègements vers l’industrie, exposée à la concurrence internationale, alors que les services en sont les principaux bénéficiaires ? Enfin, comment expliquer que le bouclier fiscal, dont le coût ne dépasse pourtant pas 500 millions d’euros, ait pu faire oublier les nombreuses mesures sociales prises par cette majorité en faveur des classes moyennes et des classes défavorisées (revenu de solidarité active, financement du chômage partiel, flexisécurité, allègement de l’impôt sur les petites tranches, …) ?

M. Yves Bur. Je remercie tout d’abord M. Attali de se prêter au dialogue avec les parlementaires. Je suis relativement inquiet, car les Français semblent immunisés contre la question de l’endettement et ne semblent pas se rendre compte qu’il existe un risque réel d’un effet boule de neige de la dette. Ce qui est ici proposé, me semble-t-il, c’est que la France se dote d’un agenda 2020, comme l’Europe s’était doté d’un agenda 2010 à Lisbonne, et commence à réfléchir à un agenda 2020. J’observe d’ailleurs que ceux qui ont refusé de participer aux premiers travaux préparatoires sont les députés socialistes et verts français. On constate que ces agendas ne sont pas contraignants et nous sommes loin des engagements que nous nous étions fixés à Lisbonne. La question essentielle est donc de savoir comment faire en sorte que les choses changent réellement. Car malgré l’accumulation du travail législatif, les Français ont souvent l’impression que rien n’a vraiment changé. On a le sentiment de vivre dans une société bloquée, qui préfère cultiver les statuts et les corporations plutôt que la mobilité. Dès lors, comment remettre cette société en mouvement et sortir de cette « société de la rente » que vous évoquiez dans votre rapport ?

Quand on voit les conditions que vous mettiez au retour de la croissance (tolérance, goût du risque, respect pour l’échec, loyauté à l’égard de la Nation et des générations futures), on mesure la difficulté de l’entreprise. Vous avez raison, la compétitivité est au cœur de tout.

M. Michel Liebgott. Je suis surpris du ton employé par le président et M. Bur qui font preuve d’un pessimisme foncier et semblent découvrir que tout va mal. Nous, nous savons depuis longtemps que la société souffre mais aussi que, s’il y a des sacrifices à faire, ceux-ci sont aujourd’hui très mal répartis et pèsent toujours sur les mêmes. Car le problème de l’injustice fiscale ne se limite pas au bouclier fiscal, mais concerne aussi l’ensemble des niches fiscales qui minent notre système d’imposition. Or, comme M. Attali le fait remarquer, la réduction des inégalités sociales est indispensable et doit constituer un préalable à toute autre réforme. Par ailleurs, étant un élu de la Moselle, je souhaiterais connaître son sentiment quant à la mise en œuvre des Ecopolis, et en particulier du projet sur le site de Belval.

M. Arnaud Robinet. J’ai retenu trois expressions clés dans votre intervention : la nécessité de poursuivre les réformes, la nécessité d’un choc de vérité et l’interdiction de mettre notre niveau de vie actuel à la charge des générations futures. Dans cette perspective, quelle réforme des retraites vous semble-t-elle nécessaire ?

M. Denis Jacquat. Je m’associe à cette dernière question.

M. Jean-Marie Rolland. La France dispose d’un système de protection sociale qui joue un grand rôle d’amortisseur en cas de crise. Quel jugement portez-vous sur son efficacité, compte tenu de son coût très important ? Celui-ci est comparable à celui de la Suède, mais les résultats sont moindres dans notre pays. Par ailleurs, comment envisagez-vous l’articulation entre l’action de l’État et celle des collectivités locales dans le domaine de la protection sociale, sachant que certaines d’entre elles sont chargées de politiques, telles que le handicap et la dépendance, qui sont amenées à prendre de plus en plus d’importance.

M. Jean-Patrick Gilles. Je me réjouis que votre commission ait décidé d’associer plus étroitement le Parlement à ses travaux, ce qui n’a pas toujours été le cas, mais je souhaiterais connaître un peu plus précisément les modalités de cette collaboration. Vous dénoncez une certaine crise des structures françaises que vous considérez comme trop lourdes et trop rigides. L’équation économique, telle que vous nous l’avez présentée, est inquiétante. Mais, plaçons-nous dans une perspective de sortie de crise. Dans une perspective européenne, pensez-vous que nous courons un risque d’être marginalisés par rapport à une réorganisation qui se ferait autour de l’Allemagne ? Par ailleurs, s’agissant de la question des jeunes, ne pensez-vous pas que le dispositif de défiscalisation des heures supplémentaires constitue une très mauvaise mesure pour l’activité des jeunes, en particulier en cas de reprise économique ? Enfin, quel avenir voyez-vous pour le salariat en tant que modalité d’exercice d’une activité professionnelle ? Si le salariat est amené à décliner, ce qui fait très peur, comment apporter aux individus les sécurités qu’ils réclament ?

M. Céleste Lett. Les Français ont connaissance de nos difficultés financières, mais ne sont pas réellement conscients de leur signification et ne croient pas vraiment à leur gravité, car ils n’en ressentent pas d’incidences dramatiques dans leur vie quotidienne. Lors du récent scrutin, ils n’ont d’ailleurs pas tenu rigueur à certaines régions de leur endettement. Voici plus de trois ans, un inspecteur des finances et un journaliste ont publié un livre intitulé Le Jour où la France a fait faillite. Cet exercice de science-fiction n’est-il pas en voie de devenir réalité ? Autrement dit, dans l’avenir, la notation de la France sur les marchés ne risque-t-elle pas d’évoluer comme celle de la Grèce ?

M. Dominique Tian. Vous constatez que la réforme de l’État n’avance guère et qu’il faudrait mettre en concurrence les administrations pour y remédier. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cette proposition ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Michel Liebgott considère que notre pays est inégalitaire, en raison de la fiscalité et du poids des niches. Jean-Marie Rolland, quant à lui, souligne la puissance de nos mécanismes de redistribution. De fait, le premier quintile voit ses revenus augmenter de 54 % grâce aux prestations sociales et l’écart reste de 1 à 3 avec le dernier quintile. Voilà qui pose la question de l’efficience sociale, comme l’a indiqué ici même le président des Semaines sociales de France. Par ailleurs, comment expliquer le pessimisme de notre pays ? Une enquête réalisée auprès des citoyens des vingt-sept États membres de l’Union européenne montre que les Français occupent la deuxième position lorsqu’on leur demande s’ils sont heureux dans leur vie personnelle, mais qu’ils sont avant-derniers lorsqu’il leur est demandé s’ils estiment que leurs enfants vivront mieux qu’eux. Dès lors, comment ne pas se trouver confronté à un manque de confiance et de détermination ?

M. Guy Malherbe. Notre principal handicap ne serait-il pas la démographie, le poids des personnes âgées conduisant à limiter l’intérêt et la propension à entreprendre ?

M. Jacques Attali. Je serai en mesure de répondre plus en détail d’ici deux mois, lorsque la commission aura travaillé sur tous ces sujets.

D’ores et déjà, je peux cependant commencer par rappeler que la société française ne mesure pas toutes ses chances, par exemple celle d’atteindre 3 % du PIB mondial alors que sa population ne représente que 1 % de la population mondiale, ou bien de voir certaines de ses entreprises figurer aux trois premières places dans les quinze plus importants secteurs économiques. Nous aurions toutes les raisons d’être optimistes. Cela étant, le pessimisme n’est pas forcément mauvais en soi, car il peut conduire à la lucidité. Mais, il tend à évoluer en résignation. Personnellement, je date cette évolution à 1986, lorsque de trop nombreux épisodes de cohabitation ont eu pour conséquence de paralyser l’appareil d’État, à partir du moment où une des branches de l’exécutif a intérêt à l’échec de l’autre.

Dès lors, autant la création d’entreprise est dynamique, notamment au travers du statut d’auto-entrepreneur, autant l’État et les collectivités locales restent bloqués. Ainsi, parmi les propositions de la commission, toutes les mesures relatives à la mobilité concurrentielle ont été mises en œuvre, ce dont il faut se réjouir, mais leur pendant social ne l’a en revanche pas encore été. Rien, ou presque, en ce qui concerne les blocages administratifs. La révision générale des politiques publiques s’est révélée inefficace, car elle suppose une forte volonté politique. À partir du moment où elle a consisté en une série de réunions partant de l’échelon du Président de la République pour s’achever à celui de sous-chef de bureau, ça ne peut pas marcher. Dans d’autres pays, comme le Canada ou le Brésil, cela n’a pas été le cas et les ministres qui ne réduisent pas leurs dépenses sont purement et simplement renvoyés.

Au-delà des niches fiscales, il faut évoquer les niches statutaires : chambres de commerce, organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), offices publics d’habitations à loyer modéré (OPHLM), départements et régions. Or, on continue à ne pas choisir : hormis la réforme de certaines chambres de commerce, rien n’a été fait, ou très peu, en matière de collectivités locales et de santé, alors que subsistent de considérables doubles emplois. Seul un succès mérite d’être signalé, celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dont le conseil de surveillance a efficacement défini la stratégie. Son action de réhabilitation des quartiers semble se révéler extrêmement efficace. Ce type de gouvernance aurait dû être mis en place dans d’autres secteurs administratifs.

M. Michel Liebgott. Dans ma circonscription, les services de l’équipement tentent malheureusement de s’opposer à une opération de l’agence qui fonctionne très bien.

M. Yves Bur. L’agence manque, en outre, de moyens financiers.

M. Jaqcues Attali. Tous ces problèmes illustrent une faible efficacité démocratique, et même parfois l’impossibilité de déterminer avec précision les vraies responsabilités. Les textes ne suffisent pas : il faut désormais réformer les machines chargées de les mettre en œuvre. Par exemple, il faut choisir entre région et département, rassembler leurs forces afin qu’ils mènent une action cohérente et sans doubles emplois. C’est une action difficile, car l’appareil d’État ne se réforme pas aussi facilement qu’une entreprise.

La conscience de la gravité de la situation existe, mais l’opinion publique reçoit en même temps des signaux contradictoires provenant aussi bien de ces fortunes sans rapport avec une production économique tangible que de ces statuts privilégiés dépourvus de justification. De ce point de vue, nous avons beaucoup de leçons à prendre de l’Allemagne.

S’agissant des « Ecopolis », ces villes écologiques dont la commission a suggéré la construction, celle-ci n’a pas été associée au choix des sites. Le secrétaire d’État au logement est soucieux de faire aboutir ce projet, mais faute des financements requis, il reste pour l’heure théorique.

La question de la réforme des retraites et de la dépendance est liée à celle de la situation financière de la France. En effet, à partir du moment où nous avons annoncé que nous allions traiter ce dossier, les agences de notation vont observer attentivement le résultat de nos discussions. Nous ne pouvons plus faire marche arrière. Même si nous demeurons heureusement éloignés de la situation de la Grèce, nous courons le risque d’une dégradation de notre notation et donc d’une augmentation des taux auxquels nous empruntons. Par parenthèse, nous sommes tous responsables de la situation de la Grèce : nul n’ignorait que ses données budgétaires étaient truquées, sans toutefois le révéler, peut-être parce que certains pays recouraient eux-mêmes aussi à de telles méthodes. À partir du moment où nous avons choisi d’être endettés et de mener des politiques keynésiennes, nous sommes dépendants des marchés financiers, que nous le voulions ou non. Ceux-ci seront d’autant plus vigilants qu’une bataille politique se joue. Les États-Unis s’attachent à éviter que l’euro ne devienne une monnaie de réserve, ce qui les priverait de la facilité de recourir à la planche à billets. Toute la machine médiatique anglo-saxonne est donc mobilisée contre l’euro, parce que c’est fondamental pour permettre aux États-Unis de continuer à vivre aux crochets du reste du monde. Si l’on regardait objectivement les États-Unis, on s’apercevrait que leur situation financière est bien plus mauvaise que celle de l’Europe, qui n’a pas de déficit extérieur.

Dans ces conditions, un renforcement de l’Union européenne serait souhaitable, alors même que le risque actuel est plutôt celui de son affaiblissement : en effet, si le Fonds monétaire international intervient dans la gestion de la crise grecque, bien qu’il n’ait pourtant aucune raison de le faire s’agissant de déficits budgétaires, cela signifiera que l’on a renoncé à avoir une politique européenne et l’euro sera discrédité. Cela voudra dire que la politique budgétaire d’un ou plusieurs États membres serait déterminée par un organisme où les Européens ne sont pas majoritaires. Pourtant, l’Europe dispose d’un budget encore modeste et n’a pas de dette propre. Il existe donc une formidable capacité de financement, à un coût qui serait moindre.

À ce sujet, une grande confusion entoure les chiffres relatifs aux déficits et à la dette. Il n’y a, par exemple, aucun sens à rapporter les déficits au PIB, alors que c’est aux seules dépenses budgétaires qu’ils devraient être comparés. Le vrai chiffre est de 50 %, si l’on tient compte de la charge de la dette. De même, pourquoi comparer un stock (la dette) à un flux (le PIB) ? La dette devrait être rapportée à la valeur de nos actifs, le problème étant que nous sommes incapables de l’évaluer. Ces chiffres peuvent donc inquiéter, mais n’ont qu’une valeur politique car ils ne correspondent à aucune réalité. En outre, il ne faut pas oublier que certains déficits sont utiles, mais nous ne savons hélas pas identifier avec suffisamment de précision parmi les dépenses lesquelles contribuent réellement à l’investissement pour l’avenir. Il y a un important travail pédagogique à accomplir.

De ce point de vue, le grand emprunt peut se révéler très positif s’il favorise de telles dépenses d’avenir, mais il est en même temps porteur d’un danger considérable, si son montant devait être utilisé pour financer des dépenses déjà inscrites au budget, dégageant ainsi des moyens supplémentaires pour des dépenses de fonctionnement improductives. La gouvernance du grand emprunt constitue donc un élément central dans un contexte d’une gestion publique archaïque et manquant de données chiffrées.

Sur la question du salariat et de la sécurité, mon pronostic est que nous serons tous, d’ici dix à vingt ans, salariés de nous-mêmes. Dans la mesure où nous allons de plus en plus vers une fragilisation des statuts, chacun deviendra autoentrepreneur. Il est primordial d’assurer la sécurité de l’autoentrepreneur, d’où l’importance de ce que nous avons appelé le contrat d’évolution, c’est-à-dire une sécurité personnelle indépendante de l’emploi. Je pense que cette sécurité, que l’on soit au travail, en formation ou à la recherche d’un emploi, sera un grand progrès de civilisation. D’une certaine façon, à fiscalité « cohérente », c’est le statut d’intermittent du spectacle qui me paraît être le statut d’avenir. On sait certes qu’avec 70 % de déficit, ce statut n’est pas aujourd’hui équilibré et qu’il mériterait donc d’être revisité, mais philosophiquement parlant c’est vers cela que l’on va aller progressivement.

S’agissant de la question des retraites, on ne peut que constater d’abord que la retraite devra aller vers une augmentation de la durée de cotisation en terme de nombre d’années, même s’il faudra naturellement faire des distinctions très fortes entre les métiers, et qu’il y a également un lien entre le financement des retraites et l’emploi. Moins il y a de chômage, plus il est facile de financer les retraites. Le financement des retraites passe aussi par l’emploi si bien que l’on sera moins obligé d’augmenter la durée de cotisation si on arrive à réduire le chômage.

M. le président Pierre Méhaignerie. Vous avez parlé de durée de cotisation et non d’âge de départ à la retraite : vous n’évoquez donc pas le symbole que représente l’âge de soixante ans ?

M. Jacques Attali. Effectivement, si nous étions dans une société de plein emploi, on pourrait ne pas toucher à ce symbole des soixante ans. Il y a aussi un curseur à mettre entre les efforts accomplis pour établir le plein emploi et l’âge de départ à la retraite mais comme le plein emploi n’est pas facilement accessible, il faudra augmenter l’âge légal de départ en retraite dès maintenant. Malheureusement, je pense que nous nous sommes mis dans un tel engrenage qu’il n’est plus possible de l’éviter. Bien évidemment, c’est la durée de cotisations qui reste la seule chose qui compte.

M. le président Pierre Méhaignerie. Jouer sur l’âge rapporte pourtant plus à court terme !

M. Jacques Attali. Certes, mais encore une fois, c’est la durée de cotisations qui compte d’abord. Il faut équilibrer cela avec les efforts faits en matière d’emploi, en sachant que l’allongement de la durée de cotisations pourrait être réduit si nous sommes capables de revenir au plein emploi. Là-dessus, nous serons, d’ici un mois, en mesure de vous communiquer des éléments plus précis.

M. le président Pierre Méhaignerie. Vous avez évoqué les agences de notation : si on ne modifie pas l’âge et qu’on joue un peu plus sur la durée, donnera-t-on le sentiment d’avoir géré sérieusement le dossier des retraites ?

M. Jacques Attali. Tout cela va être totalement transparent et les éléments seront bientôt sur la place publique, avec tous les commentaires possibles. Il faudra que les chiffres soient convaincants. Je pense que malheureusement ils ne le seront pas avec l’âge légal actuel.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie !

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 24 mars 2010 à 17 heures

Présents. - Mme Edwige Antier, M. Yves Bur, M. Rémi Delatte, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, M. Jean-Patrick Gille, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Guy Malherbe, M. Pierre Méhaignerie, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Dominique Tian

Excusés. - M. Jean Bardet, M. Pierre Cardo, M. Francis Vercamer

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy