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Commission des affaires sociales

Mardi 6 avril 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition de M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites sur la réforme des retraites

– Présences en réunion 13

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 6 avril 2010

La séance est ouverte à 17 heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites, sur la réforme des retraites.

La séance est ouverte à dix-sept heures

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées à la réforme des retraites, en recevant M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites (FRR).

Monsieur Briet, vous êtes un grand connaisseur des questions de protection sociale. Vous avez été directeur de la sécurité sociale au ministère de 1996 à 2000, puis président du comité de protection sociale de la Commission européenne de 2001 à 2002. Vous êtes également membre du collège de la Haute Autorité de santé. Vous avez rédigé de nombreux rapports, notamment sur la dépendance en 2004 et sur le bouclier sanitaire en 2007. Récemment, le Gouvernement vous a confié la présidence d’un groupe de travail sur le pilotage des dépenses d’assurance maladie.

Mais c’est sur le dossier des retraites que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui, dossier que vous connaissez également très bien : vous avez remis en 1994 un rapport sur les perspectives à long terme des retraites et vous avez dirigé la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) de 1994 à 1996. Vous présidez le conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites depuis 2002.

Vous nous direz quelle est aujourd'hui la situation du Fonds et ce que vous pensez du rôle qu’il pourra jouer à l’avenir, mais nous serons heureux de vous entendre également sur tout ce qui concerne la réforme des régimes de retraite, compte tenu de votre grande expérience en la matière.

M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites. En guide de propos liminaires, j’indiquerai les principales caractéristiques du Fonds et ferai le point sur sa situation en avril 2010. Enfin, je vous ferai part de mes réflexions sur le rendez-vous 2010.

On dit parfois que les lois sont bavardes. Celle de 2001, qui institue le Fonds, est plutôt laconique. Elle dispose seulement qu’il a pour mission principale de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite. Elle identifie les trois régimes qui bénéficieront de ces réserves : le régime général des salariés du privé et les régimes, désormais alignés, des commerçants et des artisans, l’Organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce (ORGANIC), et la Caisse nationale de compensation d'assurances vieillesse des artisans (CANCAVA). Enfin, elle précise que les sommes affectées sont mises en réserve jusqu’en 2020.

Le texte était laconique, mais le contexte était plus explicite.

L’ambition initiale était de parvenir à accumuler 150 milliards d’euros en 2020 – 1 000 milliards de francs, disait-on à l’époque – en mobilisant, outre une ressource pérenne – c'est-à-dire une fraction de la CSG sur les revenus du patrimoine et des placements, fraction qui représente aujourd'hui environ 1,5 milliard par an –, les excédents de la caisse nationale d’assurance vieillesse, ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ainsi que le produit de cessions d’actifs.

L’idée était de permettre aux trois régimes éligibles de supporter les conséquences du baby-boom sur leur propre équilibre : en effet, de 2006 à 2035, les trente générations « pleines », nées entre 1945 et 1975, feront liquider leurs pensions, créant une « bosse » dans l’évolution des charges des régimes.

Par rapport aux nombreux pays étrangers où il existe des fonds de réserve publics destinés aux retraites, le fonds français a ceci de particulier qu’il est simplement juxtaposé au système alors que, au Canada ou en Suède par exemple, les fonds de réserve sont incorporés techniquement, financièrement et actuariellement dans le pilotage à long terme du système de retraite. En Suède, la détermination de l’équilibre actuariel se fait à partir des charges et de leur évolution, des cotisations et de leur évolution, mais aussi des réserves constituées.

Deuxième notation qui a son importance, le Fonds est neutre en termes « maastrichtien » : que les ressources lui soient affectées ou non revient au même en matière de solde public, en ce sens qu’elles viennent réduire le déficit. En revanche, il n’est pas neutre en ce qui concerne l’endettement public. Les concepts maastrichtiens ayant pour caractéristique – pas forcément très intelligente – de s’exprimer en dette publique brute, le Fonds est un actif et les 34 milliards d’euros qu’il possède aujourd'hui ne viennent pas en déduction de la dette brute des administrations publiques. Cela n’avait guère d’importance au moment de sa création, dans une période où les perspectives des finances publiques étaient beaucoup moins tendues. Cela en a plus maintenant dans les prises de décision publiques et dans d’éventuels arbitrages entre désendettement de la « maison France » et dotation du Fonds.

J’en viens à la situation actuelle.

Le Fonds avait en caisse 34,4 milliards d’euros à la fin du mois de mars. D’un point de vue comptable, tous ces chiffres sont exprimés en valeur de marché, avec toute la volatilité qui en résulte : au plus bas de la crise financière, il y a un an, nous étions descendus à 25 ou 26 milliards. Fort heureusement les choses ont repris.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se leurrer : l’ambition initiale est aujourd'hui inaccessible. Tous les moteurs d’alimentation du Fonds sont tombés en panne les uns après les autres. La projection ambitieuse reposait sur des hypothèses de chômage basses qui auraient permis au Fonds de solidarité vieillesse d’être excédentaire ; on sait ce qu’il est advenu depuis. On escomptait également que les excédents de la CNAV dureraient plus longtemps que cela n’a été le cas. Les aléas de la croissance et la mesure de 2003, permettant la retraite anticipée pour les longues carrières, ont précipité le passage au déficit. Enfin, le moteur que représentaient les cessions d’actifs s’est progressivement enrayé : la dernière mesure dont le Fonds a bénéficié – la fin de la privatisation du Crédit Lyonnais – remonte à la fin de 2002. Les choix ont ensuite privilégié le désendettement de l’État. Aujourd'hui, c’est la source même des cessions d’actifs qui est tarie.

De plus, la performance du Fonds n’a pu que souffrir de ce qui s’est passé en 2008 et au début de 2009 sur les marchés. Elle était à deux chiffres en 2005 et en 2006, elle était encore positive en 2007, puis elle a chuté de 25 % en 2008 et elle a remonté à + 15 % en 2009. La performance annuelle moyenne, depuis que nous avons commencé à investir, s’élève aujourd'hui à 3,1 ou 3,2 %. C’est deux fois plus que l’inflation, mais cela ne peut être considéré comme satisfaisant, même si l’on peut espérer une amélioration au fil du temps. Au 1er janvier 2009, cet indicateur était à zéro : nous avions perdu en six mois les bénéfices de trois ans et demi d’investissements.

Nous estimons maintenant possible d’atteindre, à compter de 2009 – sauf nouvelle catastrophe financière, bien entendu –, un rendement annuel moyen compris entre 5,5 et 6 %. Dans cette hypothèse, et si nous n’avons pas d’autre ressource que la fraction de CSG sur les revenus du patrimoine et des placements, on arrive à 83 milliards d’euros courants pour 2020, équivalant à 67 ou 68 milliards d’euros en valeur 2009. Nous avons réalisé ces calculs en juin 2009, mais ils restent valables.

Quel sera le passif du Fonds – c'est-à-dire sa « feuille de route », la chronique de ses décaissements – à partir de 2020 ? Nous n’avons, en tant que gestionnaires, aucune indication sur ce point. La loi de 2001 est muette et ni la réforme de 2003 ni la loi de 2007 n’abordent le sujet. Dans le silence des textes, le conseil de surveillance a néanmoins fait des choix d’allocation d’actifs reposant sur une hypothèse technique de passif. En l’absence d’horizon précis, nous avons construit, à partir de l’échéance de 2020, une hypothèse de décaissement linéaire entre 2020 et 2040. Nous avons estimé qu’il ne serait pas déraisonnable, pour un fonds de lissage accumulé pendant vingt ans, de décaisser sur une période identique. De plus, tant que nous n’avons pas d’indications précises concernant la trajectoire et les mesures de financement et d’équilibrage du système à long terme, le décaissement linéaire – et non pas progressif ou dégressif – constitue une hypothèse conservatoire.

C’est cette hypothèse qui nous a conduits à donner une part relativement importante – environ 45 % – aux actifs volatils, à savoir les actions. Les placements obligataires et monétaires représentent une part à peu près équivalente. À terme, les parts de l’immobilier, des infrastructures et des matières premières s’élèveront à environ 15 %.

Je signale au passage que les partenaires sociaux, qui représentent la moitié des membres du conseil de surveillance, ont assumé pleinement les décisions prises, y compris dans les moments difficiles, lorsqu’il nous a fallu assumer solidairement le choc des résultats très négatifs de l’année dernière.

Pour ce qui est des perspectives, le Fonds de réserve pour les retraites peut être un sujet du rendez-vous 2010 si les négociateurs, les décideurs et le législateur se donnent un horizon qui va bien au-delà de 2020, ce que je souhaite à titre personnel. Dans la mesure où, en 2003, on a raisonné sur 2020, il ne serait pas illogique qu’en 2010 on raisonne au moins sur 2030. Dès lors, cet horizon inclut, de fait, le Fonds.

Dès lors que le rendez-vous concerne également le Fonds, on imagine aisément que les sommes dont nous disposons sont l’objet de spéculations, non pas financières, mais intellectuelles. Lors de sa dernière réunion, à la mi-février, le conseil de surveillance a tenu à rappeler que le Fonds était à caractère temporaire, qu’il était autorisé par la loi à décaisser seulement à partir de 2020 et qu’il était destiné à lisser l’impact sur les régimes de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom. Il a rappelé également le scénario technique choisi pour 2020-2040. Il a précisé, enfin, que toute réflexion sur la place du Fonds se doit de prendre en compte cette vocation de long terme et que le Fonds ne peut se substituer à une stratégie de rééquilibrage reposant sur les leviers d’action permanents que sont l’âge et la durée de cotisation, le niveau des pensions et le niveau des recettes. Le Fonds n’est en quelque sorte qu’un quatrième levier, temporaire.

J’ajouterai quelques commentaires à titre personnel.

Premier élément, il faut préserver la vocation fondamentale du Fonds, telle que la loi de 2001 l’a énoncée : financer les retraites futures versées par trois régimes. Chacun de ces éléments ont leur importante.

Financer les retraites signifie d’abord que le Fonds ne doit pas devenir un « fonds à tout faire ».

Les retraites futures, cela signifie également qu’on ne saurait s’en servir pour solder une partie de la dette afférant aux régimes de retraite. En effet, un régime de retraite, fût-il public, se pilote sur le long terme – c’est d’ailleurs ce que font les régimes complémentaires privés de l’AGIRC et l’ARRCO, qui ont mis en place un dispositif de réserve au montant sensiblement supérieur à celui du Fonds. Bien que les déficits se soient produits plus tôt que prévu et que la crise financière et économique les ait aggravés, le choc du baby-boom n’a pas disparu pour autant et il est toujours légitime de chercher à lisser la bosse qu’il provoquera. De plus, les signaux de long terme pour les générations futures sont suffisamment rares dans nos finances publiques pour que l’on ne soit pas attentif à l’utilisation des 34 milliards d’euros du Fonds.

Cela signifie, enfin, qu’il ne faut pas allonger la liste des régimes éligibles, comme on a pu en débattre à un certain moment, en l’étendant notamment au régime des fonctionnaires et aux régimes du secteur public. De mon point de vue, les salariés du privé, les commerçants et les artisans ne disposent d’aucune forme de garantie ou de réassurance sur leurs retraites, contrairement aux fonctionnaires et aux agents du secteur public, qui sont gérés par des collectivités qui ont les moyens de collecter l’impôt. En termes de légitimité politique et sociale, il existe des raisons fortes pour que seuls les régimes prévus en 2001 bénéficient du Fonds dont les montants ne sont déjà pas considérables.

M. le président Pierre Méhaignerie. Pas même le régime des agriculteurs ?

M. le président du conseil de surveillance. Non, car il n’est pas aligné – du moins en ce qui concerne les exploitants, les salariés relevant du régime général.

Deuxième élément : il faut préserver la nature transitoire du Fonds. Celui-ci ne saurait être considéré comme la solution miracle. Il ne peut se substituer aux trois leviers permanents : je le répète, c’est un quatrième levier provisoire. On doit veiller à ne pas utiliser ses ressources trop rapidement, car cela ne ferait que différer les choix et les adaptations nécessaires pour remettre le système sur la voie de la soutenabilité.

Troisième élément : pour bien gérer patrimonialement un fonds, il est important de disposer de prévisibilité et de lisibilité quant à l’emploi qui sera fait des ressources. Il faut donc éviter toute mécanique qui conduirait à une utilisation précipitée et, potentiellement, à se mettre en situation de devoir céder des actifs à des moments non pas choisis mais subis, donc inopportuns en termes patrimoniaux et financiers. Il faut également éviter une utilisation opportuniste : la plus mauvaise solution serait celle où l’on déciderait chaque année, en loi de financement de la sécurité sociale, de la somme sollicitée auprès du Fonds. Les gestionnaires seraient placés dans une situation d’inconfort et d’indétermination maximale et il ne faudrait plus attendre du Fonds qu’il soit un outil financièrement performant. La gestion deviendrait purement obligataire et monétaire, et l’on pourrait s’interroger sur l’utilité même du Fonds.

Si le rendez-vous 2010 se donne un horizon qui va au-delà de 2020, il faudra poser une question qui n’a jusqu’à présent pas fait l’objet du moindre début de réponse juridique ou politique : quelle est la mission exacte du Fonds de réserve pour les retraites, pendant combien d’années va-t-il décaisser, quelles seront ces années, pour quels montants ? Cela étant, on ne pourra aborder ces sujets qu’après que l’on aura débattu et tranché les actions à mener sur les trois leviers permanents que j’ai énumérés tout à l’heure.

M. le président Pierre Méhaignerie. Le Fonds fait-il actuellement l’objet de tentations ?

M. le président du conseil de surveillance. Ces tentations sont permanentes...

M. le président Pierre Méhaignerie. Mais elles seraient maintenant davantage d’actualité ?

M. le président du conseil de surveillance. Elles l’ont été. Ma vieille expérience de haut fonctionnaire m’a appris que l’on échafaude naturellement des scénarii et que, dans un univers public plutôt désargenté, la petite poche « argentée » que constitue le Fonds de réserve pour les retraites peut susciter quelques tentations Le moment présent se prête à de telles réflexions.

M. Denis Jacquat. Vous avez déjà répondu à certaines de mes interrogations. De quel niveau de ressources auriez-vous besoin pour rester dans l’esprit de la loi de 2001 ? Vous prévoyez 83 milliards d’euros pour 2020. Il en manquera donc 67. Le conseil de surveillance a-t-il réfléchi à de nouvelles ressources pérennes, qu’aucun gouvernement, depuis la création du Fonds, n’a réussi à lui affecter ?

Je vous remercie d’avoir indiqué qu’un décaissement anticipé ne ferait que poser de façon plus aiguë le problème du lissage de la bosse après 2020. Quant à l’horizon 2030 et au-delà, il avait été dit que la réflexion serait entamée un peu avant 2020, mais la crise n’avait pas encore eu lieu.

Vous avez retenu l’hypothèse d’un décaissement linéaire. Le nombre d’allocataires au-delà de 2010 pouvant faire l’objet d’une estimation, avez-vous réalisé des projections selon le montant qu’atteindra le Fonds en 2020 ? Quel apport pourra-t-il constituer pour « raboter la bosse » ?

Vous avez longtemps travaillé sur les retraites de la fonction publique. Quelles réformes estimez-vous souhaitables pour rapprocher ce régime du régime général ? La convergence, que la population semble souhaiter, doit être étudiée.

M. Michel Issindou. C’était assurément une bonne idée que d’essayer d’anticiper, en 2001, les effets du « papy boom » sur des régimes par définition fragiles. Nous sommes néanmoins un peu déçus, car les 83 milliards attendus pour 2020 sont loin de l’objectif annoncé.

Vous avez raison : il faut résister à la tentation d’y piocher annuellement. Le Fonds a du sens et sera très utile à l’échéance fixée, même s’il ne faut pas rêver sur les montants en cause : l’apport sera d’environ 4 milliards d’euros par an. Ce n’est pas négligeable, mais il est à craindre que ce ne soit pas à la hauteur des enjeux du moment.

J’espère que la réflexion à venir dépassera de loin l’horizon 2020. Contrairement à ce qui s’est passé lors de la réforme de 2003, j’espère que nous aurons la force collective pour réfléchir jusqu’à 2050, ce qui permettra de rassurer les jeunes qui commencent à travailler actuellement et qui aimeraient bien disposer de retraites à peu près stables dans quarante ans.

Le montant de 83 milliards restant incertain, n’y aurait-il pas moyen de mettre à profit la réforme annoncée pour relancer l’alimentation du Fonds ? Les ressources issues de la CNAV, du FSV et des cessions d’actifs étant désormais taries, ne pourrait-on, par le biais des cotisations par exemple, raviver cette belle idée de 2001 qui nous permettra de répondre à des besoins impératifs dans vingt ans ?

M. Jean-Luc Préel. Le Fonds doit jouer un rôle important pour la pérennité de notre système de retraites. Cela dit, la loi ne prévoit le décaissement qu’à partir de 2020, alors que le « papy boom » a commencé en 2005 – grosso modo, on est passé de 400 000 naissances pendant la Seconde Guerre mondiale à 800 000 dans l’après-guerre – et nous sommes déjà en pleine « bosse ». Pourquoi ne nous en sommes nous pas préoccupés plus tôt ?

Vous avez indiqué que le Fonds ne concerne pas le régime des fonctionnaires et les régimes spéciaux de la fonction publique. Pourtant, les contraintes démographiques auxquelles ils sont soumis sont les mêmes. Comment les résoudra-t-on, sinon en faisant appel au budget de l’État, donc aux impôts ?

Je suis partisan de l’idée d’un régime universel de retraites, qui permettrait d’assurer l’équité. Dans l’hypothèse de la mise en place progressive d’un tel système, donc de la disparition du régime général et des régimes spécifiques des artisans et des commerçants, quel serait le fonctionnement du Fonds ?

Par ailleurs, quelles pourraient être les ressources nouvelles affectées au Fonds ?

Il est certes souhaitable de ne pas utiliser cette réserve d’ici à 2020, mais la tentation sera forte, pour éviter d’augmenter les prélèvements, de cueillir le fruit avant maturité !

M. Michel Heinrich. Sur quels critères avait-on établi l’objectif de 150 milliards d’euros ?

La prévision du passage de 35 à 83 milliards d’euros en dix ans me semble très optimiste ? Je doute que les marchés, au cours des dix dernières années, auraient permis une telle performance ?

M. le président du conseil de surveillance. L’objectif des 150 milliards était la résultante de la vision macroéconomique de la fin des années 1990 et du début des années 2000, où il était question de croissance sans inflation et où les anticipations étaient très allantes. Lorsque les scénarios économiques sont très porteurs, tout marche : l’excédent de la CNAV est durable, les charges du Fonds de solidarité vieillesse en matière de chômage diminuent, et c’est autant qui tombe dans la caisse du Fonds de réserve pour les retraites. En outre, plus ces sommes tombent tôt, plus elles sont financièrement productives.

M. Michel Heinrich. Le montant n’était donc pas lié à un besoin estimé.

M. le président du conseil de surveillance. Non, c’était plutôt la projection mécanique d’un scénario très optimiste.

Pour ce qui est des 83 milliards d’euros, la recette annuelle pérenne est d’1,5 ou 1,6 milliard par an. Si l’on réalise une performance moyenne annuelle de 5 %, la progression sera d’au moins 1,7 milliard, soit une progression annuelle globale comprise entre 3 et 4 milliards. On aboutit donc au montant estimé.

Je ne dispose d’aucune recette magique pour doter le Fonds de nouvelles ressources pérennes. Dans l’hypothèse d’une augmentation des cotisations, le plus probable est qu’on en utiliserait le produit pour couvrir les déficits actuels plutôt que pour faire face aux déficits futurs. Le maintien du Fonds, dans les conditions actuelles, représente déjà une forme de vertu et de courage qu’il faut saluer.

En outre, ce n’est pas parce que le Fonds n’atteindra jamais 150 milliards d’euros et ne permettra pas de lisser l’intégralité de la bosse, qu’il n’est pas utile. Il servira à hauteur de son montant, ce qui est mieux que rien.

L’échéance de 2020 résulte d’un choix politique consistant à prévoir un traitement par des réformes jusqu’à cette date, puis de passer le relais au Fonds.

M. Denis Jacquat. Le raisonnement était que l’on tiendrait le coup financièrement jusqu’en 2020, l’apport du Fonds devant apporter ensuite 20 % du montant des retraites.

M. le président du conseil de surveillance. Comme M. Préel l’a relevé, les premières générations « pleines » ont déjà commencé à partir à la retraite. Néanmoins, il faudra 20 à 25 ans avant que les effectifs de la CNAV ne soient composés uniquement de générations nombreuses. Le plafond sera atteint aux alentours de 2030. Il était donc assez logique de concentrer l’utilisation du Fonds sur la période 2020-2040, quand cette charge pèsera au maximum.

Pour ce qui est des autres régimes, monsieur Préel, on peut estimer qu’ils bénéficient de modes de réassurance implicites par le biais de la fongibilité entre le régime de la fonction publique et le budget de l’État. Un mécanisme de réassurance est donc moins justifié que s’agissant des retraites des salariés du secteur privé.

À mes yeux, monsieur Jacquat, la convergence est en marche entre le régime général et celui de la fonction publique. La réforme de 2003 a marqué, de ce point de vue, une étape importante : pour la première fois, on a modifié les paramètres des régimes de retraite des fonctionnaires dans la logique du régime général, s’agissant notamment de la durée d’assurance et de la décote. Je ne crois pas que la comparaison des modes de calcul des pensions soit la question qui mérite le plus d’attention, même si c’est le sujet perçu le plus nettement par les Français. Un examen approfondi, sur des cas types et en dynamique, montre qu’il faut apporter beaucoup de nuances à cette comparaison. En outre, on ne peut envisager d’harmoniser le calcul des pensions dans les régimes des fonctionnaires sans poser la question de l’intégration des primes dans la base de ce calcul, qui se traduirait sans doute plus par une augmentation du taux de remplacement au bénéfice des fonctionnaires, que par une harmonisation de celui-ci entre public et privé.

Dès lors que l’harmonisation en matière de durée est en route et que la question de la référence de calcul est plus symbolique que réelle, un des sujets difficiles et importants du rendez-vous 2010 sera l’éventuelle augmentation de l’âge minimum de départ à la retraite. S’il apparaissait légitime de le repousser pour les salariés, la question de la modification des âges minima moins élevés, dont bénéficie une part significative d’agents de la fonction publique, sera immanquablement posée. En termes d’équité et de compréhension globale, le problème me paraît plus substantiel et plus délicat que celui des modes de calcul.

M. le président Pierre Méhaignerie. Et la cotisation des actifs ?

M. le président du conseil de surveillance. J’ai été à l’origine d’un rapport de la Cour des comptes qui préconisait en 2003 d’harmoniser, à tout le moins, la cotisation des actifs. Cela est resté lettre morte pour des raisons de politique salariale. Pourtant, l’écart reste symboliquement difficile à justifier, puisque l’effort salarial apparent est plus faible pour des régimes plus avantageux que ceux qui sont applicables aux salariés du secteur privé.

En ce qui concerne le changement de système, on voit bien dans les propositions de MM. Piketty et Bozio que le régime universel de demain laisse entiers les problèmes d’aujourd'hui. Il conduit à la mise en place d’une sorte de structure de défaisance destinée à régler les dettes du passé. Ce n’est pas le fait de construire un régime équilibré pour demain qui règle le problème de transition avec le régime non-équilibré actuel, d’autant que cette transition est l’affaire de plusieurs décennies.

M. le président Pierre Méhaignerie. Pour vous, le risque est que l’on n’assume pas ses responsabilités.

M. le président du conseil de surveillance. Le risque est de s’engager dans une construction technique et politique très lourde, qui ne règle pas les problèmes actuels. Pas à pas, les réformes de 2003 et de 2007 nous font progresser vers une convergence. Je préfère la convergence progressive et la réforme continue à un grand bouleversement, qui créerait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait.

M. Michel Liebgott. Mon sentiment est que le Fonds de réserve pour les retraites est un succès. Même si l’on n’a pas atteint les objectifs escomptés, disposer d’une telle somme est une chose positive dans une période où les déficits s’accumulent. La crainte porte plutôt sur l’éventuelle préemption de ces sommes !

Le Fonds était conçu comme un outil conjoncturel. Ne ressort-il pas de vos propos qu’il pourrait devenir un levier structurel ? Ce serait justifié : le placement à long terme qu’il représente permet le lissage et joue en faveur d’une certaine solidarité.

M. Dominique Dord. Rien ne pourra nous exonérer d’une réforme en profondeur du système actuel. Pour autant, il me semble absurde de faire du Fonds de réserve pour les retraites une vache sacrée ! Je suis président du conseil de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse, dont le déficit s’élève à 10 milliards. Quel est l’intérêt d’avoir un trou de 10 milliards d’un côté et un excédent de 30 milliards de l’autre ? Le Fonds est un instrument financier, rien de plus. Si, dans le même temps où nous accumulons ces 30 milliards, l’accumulation des déficits nous coûte la « peau des fesses », où est le succès ?

Étant économe par nature, je comprends qu’on ne veuille surtout pas toucher au Fonds. Mais, de grâce, que l’on ne parle pas de vertu ou de courage ! Si, techniquement et financièrement, il se révèle plus intéressant de le consommer maintenant ou dans cinq ou dix ans, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas...

M. Bernard Perrut. Le Fonds est fondé sur la solidarité intergénérationnelle. Ce concept a été mis en œuvre dans d’autres pays : Suède, Finlande, Norvège, Irlande, Canada, Espagne, Australie. Disposons-nous d’exemples étrangers qui pourraient nous éclairer aujourd’hui ?

Avec la crise financière, nous avez-vous dit, le Fonds, géré par la Caisse des dépôts et consignations, a subi des pertes relativement lourdes. En juin 2009, vous avez déclaré dans une revue qu’une gestion plus réactive et flexible, tenant compte des cycles financiers, était nécessaire. Des changements ont-ils été opérés ? Des garanties ont-elles été instituées pour mettre le Fonds à l’abri de telles pertes – 3 milliards d'euros en 2008 ?

Enfin, certains ont pu un temps envisager une fusion entre le Fonds et la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Quels seraient les intérêts et les inconvénients de cette solution ?

M. Arnaud Robinet. Dominique Dord a évoqué la nécessité de ne pas sacraliser le Fonds de réserve pour les retraites. Cependant, même s’il est possible de mettre en relation le déficit de la CNAV et les 30 milliards d'euros du Fonds, envisager le transvasement d’un compte vers l’autre serait une politique à court terme, qui ne résoudrait rien.

Nous en sommes d’accord, une réforme systémique – un passage aux comptes notionnels – ne permettra pas de rétablir l’équilibre financier et une réforme paramétrique semble donc plus adaptée. Cependant, dans les années à venir, ne serons-nous pas contraints de procéder à une telle réforme systémique ? S’ils ne permettent pas de tout résoudre, des systèmes de comptes par points – ou comptes notionnels –, ont au moins la vertu de s’auto-équilibrer dans le temps, du fait des paramètres qu’ils permettent de prendre en compte – notamment l’évolution économique et l’espérance de vie d’une génération – et aussi celle de la transparence et de la simplicité envers les Français et les futurs retraités.

M. le président du conseil de surveillance. La France présente une singularité : le Fonds a été mis en place dans un pays, dont on ne peut pas dire qu’il avait durablement maîtrisé ses déficits publics. Au contraire, dans les pays auquel nous nous référons – Suède ou Canada –, la mise en place de fonds de réserve s’est effectuée dans des contextes de maîtrise ou d’excédent des finances publiques. C’est cela, la singularité française qui conduit au débat soulevé par M. Dord. Ce débat est également lié à l’histoire française des finances publiques. Le président Méhaignerie connaît bien l’épisode de la « cagnotte », à la fin des années 1990. La création du Fonds a eu, entre autres objectifs, le souci de ne pas renouveler cet épisode – qui n’est pas l’un des plus glorieux de gestion de nos finances publiques. À l’époque, le régime général de la sécurité sociale revenait à l’équilibre et la Caisse nationale d’assurance vieillesse était en excédent pour sept ou huit ans. Mon souci de directeur de la sécurité sociale à l’époque était d’éviter que ces modestes excédents ne soient très vite dilapidés.

Si ce scénario économique s’est fracassé dans le réel à partir de 2002, le Fonds conserve entre autres intérêts pédagogiques celui de rappeler qu’un régime de retraite, même public, se pilote dans un horizon de long terme, ce que notre pays n’a jamais réussi à faire. Or, ne pas y parvenir crée auprès de nos concitoyens de l’anxiété, de l’inquiétude, voire des préoccupations – à mon sens excessives – sur le devenir même du système. Pour moi, disposer pour la gestion des retraites d’un outil qui incarne une dimension de long terme est vertueux.

Depuis 2009, nous avons fait évoluer notre gestion financière. Nous avons élargi les marges de fluctuation de notre allocation stratégique. Si la part des actifs dits de performance – actions, matières premières, immobilier et infrastructures – a été fixée à 55 %, et celles des obligations à 45 %, une marge de 20 % a été instituée autour de ces pourcentages. La part de nos actifs de performance se trouve ainsi placée entre 40 % et 60 %. La flexibilité de notre gestion en est accrue.

La flexibilité, c’est aussi savoir prévoir et prévenir. En 2007 – comme la quasi-totalité des gestionnaires financiers –, nous n’avons pas vu venir l’effondrement des marchés boursiers. Sur ce point, l’année 2008 a été la pire depuis 1928.

Pour nous mettre dans une situation plus réactive et anticipatrice, nous avons élargi notre marge de fluctuation et notre tour de table. En accord avec le président du directoire, M. Augustin de Romanet, nous avons mis en place un comité stratégique d’investissement. Émanation du conseil de surveillance, il accueille cependant deux personnalités extérieures aux équipes du Fonds et de la Caisse des dépôts et consignations : MM. Bertrand Jacquillat et Marc de Scitivaux. Ces personnes nous aident à piloter, avec une meilleure capacité d’anticipation, nos allocations de gestion. Ce pilotage est effectué en concertation avec le directoire et le conseil de surveillance. Il s’agit de nous mettre en situation de réagir plus tôt et plus efficacement aux évolutions.

En 2009, nous avons décidé que notre gestion financière devait nous mettre en mesure, dans la quasi-totalité des scénarii, de produire au moins vingt annuités de 2,3 milliards d'euros, autrement dit – au minimum – de restituer les actifs qui nous ont été confiés, majorés de l’inflation. Ce n’est qu’une fois ce minimum assuré, que nous recherchons une performance qui nous permette un résultat meilleur. La contrainte de restitution a minima des abondements revalorisés de l’inflation est donc tout à fait incorporée dans notre gestion. Sauf catastrophe économique et financière planétaire, aucun souci n’est à craindre dans ce sens.

Les pays qui sont passés aux comptes notionnels l’ont fait sur la base de délais de transition parfois très longs. L’architecture des systèmes de retraite de ceux qui ont le mieux réussi la transition était également moins éclatée, déjà plus unifiée et mieux harmonisée que la nôtre. De plus, un pays comme la Suède a créé son système notionnel sur la base d’un actif net détenu par la collectivité. Au contraire, le système français serait mis en place en présence d’un passif. Le passage aux comptes notionnels ne le ferait pas disparaître. Une fois la structure de défaisance mise en place, l’enjeu resterait le financement de la promesse faite aux générations anciennes. Le contexte à la fois financier, institutionnel et économique qui a permis dans certains pays la mise en place des comptes notionnels, n’est clairement pas le contexte français d’aujourd’hui.

Par ailleurs, le pilotage des structures de comptes notionnels est beaucoup moins automatique qu’on ne le présente. En 2008, devant la nécessité d’expliquer aux Suédois que leurs pensions allaient devoir baisser significativement du fait de la perte de valeur des placements du fonds de réserve suédois – nous n’avons fait ni mieux ni pire que lui –, les décideurs ont mis entre parenthèses l’aspect automatique des conséquences de la diminution des actifs du fonds de réserve. Le pilotage ne peut jamais être totalement automatique.

Enfin, au contraire du système français actuel, et quoi qu’en disent leurs promoteurs, les comptes notionnels sont fondamentalement des régimes à contribution définie. Basculer dans ce type de système, c’est passer dans un système à cotisations déterminées et par lequel on ajuste les prestations a posteriori. C’est un choix politique majeur.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci beaucoup, monsieur Briet, pour ces propos clairs et concis.

(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 6 avril 2010 à 17 heures

Présents. – Mme Edwige Antier, Mme Valérie Boyer, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Dominique Dord, Mme Cécile Gallez, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Jean-Claude Leroy, M. Michel Liebgott, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Bernard Perrut, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Robinet

Excusés. – M. Jean Bardet, M. Pierre Cardo, M. Guy Delcourt, M. Guy Lefrand, M. Jean-Marie Rolland