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Commission des affaires sociales

Mercredi 28 avril 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 43

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président, puis de M. Bernard Perrut, Vice-président

– Examen du rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur la flexisécurité à la française (M. Pierre Morange, rapporteur)

– Audition de M. Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) sur la réforme des retraites

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 28 avril 2010

La séance est ouverte à 10 heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales examine le rapport d’information de M. Pierre Morange sur la flexisécurité à la française.

M. le président Pierre Méhaignerie. La flexisécurité se trouve au cœur de nos préoccupations. Beaucoup d’entre nous pensent que le vrai progrès social réside à la fois dans la sécurisation des parcours professionnels et dans la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux changements du monde économique.

M. Pierre Morange. En préambule à mon exposé, je tiens à saluer et à remercier l’ensemble des membres de la mission tant pour l’état d’esprit positif qui a animé nos travaux que pour le labeur effectué.

C’est avec grand plaisir que je dois vous présenter ce matin les conclusions du rapport de la mission d’information sur la flexisécurité à la française. Cette mission a accompli un travail de près d’un an. Elle a entendu plus de soixante personnes, en France et dans les institutions communautaires, d’horizons et de professions très divers : représentants politiques, syndicaux, administratifs, chercheurs et avocats.

Tout au long de ses travaux, la mission d’information s’est donnée pour objectif de proposer une assurance professionnelle pour l’ensemble des salariés, en réaménageant certains dispositifs existants. Il s’agit de répondre aux défis d’une économie de marché mondialisée très concurrentielle, amplifiés par la crise économique et financière actuelle, dans laquelle la compétitivité des entreprises repose notamment sur la formation des salariés, garante d’une sécurité pour ces derniers.

La mission d’information est partie du constat que le droit du travail français contient déjà de nombreux éléments concourant à la sécurisation des parcours professionnels mais qu’il leur manque une logique d’ensemble. La mission d’information a travaillé au rassemblement des différentes pièces de ce puzzle encore éclaté.

Il s’agit de mettre un place un véritable « triangle d’or » français en référence au modèle danois et, à cette fin, la mission d’information a examiné la réflexion théorique sur la flexisécurité : celles qui ont présidé à l’émergence de cette notion, au centre des débats sur la rénovation du modèle social depuis quinze ans, celles qui ont fondé le modèle danois – objet de nombreux rapports, tels ceux de MM. Larcher, Boissonnat et Supiot, sans oublier celui de notre président qui avait déjà œuvré sur ce sujet en 2004 – celles qui se sont développées au niveau européen sur la « flexicurité », qui constitue aujourd’hui la matrice de la stratégie européenne de l’emploi. La mission a d’ailleurs étudié les caractéristiques de cette dernière et la façon dont la France s’y inscrit, à travers son propre chemin vers la « flexisécurité ».

La première pointe du triangle d’or français vise à instaurer une assurance professionnelle pour les salariés. Face à la discontinuité accrue des parcours professionnels des travailleurs, dont le rapport restitue la mesure chiffrée, une réponse originale a été apportée : la portabilité des droits. Parmi ceux-ci, on peut citer par exemple le droit individuel à la formation ou les droits relatifs à l’épargne salariale.

La mission d’information propose d’aller plus loin et de créer un compte social ouvert à tous les salariés sur l’ensemble de leur carrière. La création de ce compte s’effectuerait à partir de la transformation du compte épargne-temps, après son évaluation précise et sa généralisation dans un délai raisonnable pour les entreprises. Le périmètre exact de ce compte social ainsi que les modalités de son financement seraient déterminés par la négociation sociale. Il existe déjà un modèle individuel de comptes de droits portables en Autriche susceptible de nous inspirer.

À partir des comptes sociaux, un répertoire national des droits acquis au titre du travail pourrait être bâti, avec des garanties de confidentialité des données. Il serait accessible en ligne et permettrait aux salariés de prendre facilement connaissance de leurs droits. La gestion des comptes sociaux serait confiée à une assurance chômage rénovée, transformée en une assurance professionnelle, dans le cadre d’un paritarisme renforcé, apportant ainsi sur le plan organisationnel une réponse collective et individuelle.

À côté de ces comptes sociaux, on disposerait de deux outils.

On disposerait tout d’abord d’un outil collectif : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui doit être étendue jusqu’au niveau territorial. Il y aurait également des outils individuels : les mesures de formation professionnelle, les entretiens et bilans professionnels ou encore le contrat de transition professionnelle. Au vu de l’efficacité du contrat de transition professionnelle et des projections macro-économiques, une généralisation de ce dispositif semble envisageable sur tout le territoire pour les personnes licenciées pour motif économique éligibles. Cette généralisation engendrerait en effet un besoin de financement supplémentaire entre 1 milliard et 1 milliard et demi d’euros, pour un coût global de près de 2,7 milliards d’euros, dans une hypothèse basse, et de 3,9 milliards d’euros, dans une hypothèse haute.

Je me permets de vous rappeler que l’ensemble des sommes consacrées au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle s’élèverait à 74 milliards d’euros, en tenant compte des dispositifs généraux ou ciblés.

La mission d’information a demandé aux services de l’État d’établir des simulations financières concernant l’extension du contrat de transition professionnelle non pas seulement aux licenciés économiques mais à l’ensemble de la population se trouvant dans des situations de précarité (contrats à durée déterminée, intérim). Une telle généralisation coûterait environ 10 milliards d’euros. Toutefois, compte tenu des sommes en jeu déjà indiquées – 74 milliards d’euros –, il ne sera pas inintéressant de réfléchir à leur optimisation afin de répondre aux aspirations des travailleurs, qu’ils soient en activité ou non.

Par ailleurs le rapport d’information revient sur les principaux apports de la récente réforme de la formation professionnelle par la loi du 24 novembre 2009, à savoir : la rénovation des dispositifs de formation autour d’un droit à l’orientation et à la qualification professionnelle tout au long de la vie, la réorganisation du secteur de la formation professionnelle et la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

La deuxième pointe du triangle d’or français a trait aux instances chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Au cours de ses travaux, la mission d’information a pu constater leur dispersion. Le rapport présente d’ailleurs en annexe une liste, qui se veut la plus complète possible, de ces structures, de leurs missions, de leurs activités et de leurs budgets quand ces données sont disponibles, ce qui est loin d’être toujours le cas.

Des rapprochements doivent donc être opérés pour une meilleure lisibilité du système. Le rapport propose de créer un Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle, rassemblant tous les acteurs du domaine, par la fusion de plusieurs structures existantes. Il s’agit de mettre en place une plateforme stratégique de coordination, de définition et d’évaluation de ces politiques et de leurs financements. La présidence du conseil serait assurée par le ou les ministres en charge du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, et la vice-présidence par un représentant de Pôle emploi.

Le Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle, instance de délibération unifiée aux côtés de Pôle emploi, disposerait d’un réseau régional, les « conseils régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle », issus également de la fusion de structures territoriales actuelles. La coprésidence des conseils serait assurée par le représentant de l’État et le président du conseil régional, et la vice-présidence par un représentant de Pôle emploi. Ces organismes auraient notamment pour mission d’évaluer et de contrôler les organismes de formation et les cellules de reclassement, comme le préconisait l’avis budgétaire de M. Gérard Cherpion d’octobre 2008.

Au niveau des bassins d’emploi, seraient créés des conseils territoriaux de l’emploi et de la formation professionnelle.

La troisième pointe du triangle d’or français concerne le service public de l’emploi : la logique de guichet unique doit être poursuivie pour mettre en place une véritable plateforme multiservices d’opérateurs autour de Pôle emploi. Au niveau local, un renforcement des maisons de l’emploi semble nécessaire, comme le préconisait déjà Mme Marie-Christine Dalloz dans son rapport sur les maisons de l’emploi de juin 2008. Les maisons de l’emploi doivent intégrer progressivement les comités de bassin d’emploi et les plans locaux pour l’insertion et l’emploi. De plus, la politique de partenariats entre Pôle emploi et les autres opérateurs de l’emploi et de la formation professionnelle doit être poursuivie.

Au cœur du triangle d’or français, se trouve le dialogue social. La mission d’information a tenu à revenir sur les modifications récentes apportées au droit des relations collectives, qui ont conféré un poids accru à la négociation sociale dans l’élaboration du droit du travail, au niveau national et dans les entreprises. La mission s’est également interrogée sur les limites entre les domaines de la loi et de la convention en la matière. Il semble impératif de poursuivre le mouvement d’implication croissante des partenaires sociaux dans la création du corpus juridique commun des travailleurs. Il faut donc encourager le développement du dialogue social jusqu’au niveau territorial. Cette promotion du dialogue social a été d’ailleurs rappelée par de nombreux rapports dont celui de M. Gérard Larcher de décembre 2008.

Au total, il s’agit bien de construire un filet de sécurité pour l’ensemble des salariés en trois branches : une assurance professionnelle ; des instances unifiées de décision des orientations stratégiques et des financements rassemblant tous les acteurs ; un service public de l’emploi sous la forme d’une plateforme multiservices d’opérateurs autour de l’acteur pivot Pôle emploi, du niveau national au niveau local.

J’en viens maintenant aux quinze propositions du rapport qui se déclinent en quatre chapitres relatifs à une assurance professionnelle, des instances multipartites unifiées en matière d’emploi et de formation professionnelle, une plateforme multiservices d’opérateurs autour de Pôle emploi et un véritable dialogue social.

La notion d’assurance professionnelle est adossée sur le compte social proposé qui doit permettre de comptabiliser les droits affectés à chaque travailleur, salarié ou non salarié. Une connaissance statistique précise de l’actuel compte épargne-temps est donc nécessaire. La généralisation du compte épargne-temps, outil souple et polyvalent, serait effectuée par une négociation nationale interprofessionnelle sur le périmètre exact du compte social et sur les modalités de son financement. L’assurance professionnelle devrait, par ailleurs, gérer les comptes sociaux lesquels n’auraient pas – j’insiste sur ce point – à être financés par les seuls salariés. C’est pour cette raison qu’une négociation doit être ouverte avec les partenaires sociaux et que le rapport fait allusion au protocole adopté par la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale le 16 février 2010. Ce protocole prévoit la consultation des partenaires sociaux sur toute proposition de loi à caractère social.

Par ailleurs, il est proposé :

– d’ouvrir une négociation sociale sur la transformation de l’assurance chômage en une assurance professionnelle, qui lui donnerait une nouvelle mission, dans le respect du dialogue social. Cette assurance professionnelle serait adossée à des financements mutualisés ;

– de bâtir un répertoire national des droits acquis au titre du travail, avec des garanties de confidentialité des données, qui serait accessible en ligne ;

– de favoriser le développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les territoires ;

– de lancer une concertation sociale sur l’articulation entre la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et le droit de la modification du contrat de travail. Il s’agit de passer d’une logique de statut à une logique d’assurance professionnelle rattachée au citoyen, à travers la portabilité et l’individualisation des droits ;

– de généraliser, avec les conséquences financières que je vous ai déjà rappelées, le contrat de transition professionnelle sur tout le territoire à l’ensemble des personnes licenciées pour motif économique actuellement éligibles, à savoir celles des entreprises de moins de 1 000 salariés et en redressement ou en liquidation judiciaires, quel que soit leur effectif.

L’unification des instances multipartites en matière d’emploi et de formation professionnelle comprend quatre propositions que j’ai déjà évoquées : la création d’un Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle en fusionnant le Conseil national de l’emploi et le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie ; la création de conseils régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle fusionnant les conseils régionaux de l’emploi et les comités de coordination régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle ; la création de conseils territoriaux de l’emploi et de la formation professionnelle ; la recherche d’un rapprochement des structures créées par les partenaires sociaux avec le Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle proposé et son réseau régional.

La plateforme multiservices d’opérateurs autour de Pôle emploi a pour vocation de rationaliser et d’optimiser les structures œuvrant en matière de travail, d’emploi et de formation professionnelle.

Le dialogue social, qui doit se décliner jusqu’au niveau des territoires, doit enfin pouvoir permettre d’asseoir et de légitimer cette plateforme.

M. le président Pierre Méhaignerie. Constatant qu’il s’agit tout à la fois d’un problème de société – car les mutations actuelles touchent une grande partie des Français –, mais aussi de justice, d’efficacité économique et de finances, je me demande si nous ne devrions pas effectuer quelques expérimentations territoriales avant de faire le grand saut et d’appliquer une telle législation, dont la complexité peut être grande et dont la mise en place risque de susciter de nombreuses inquiétudes. Personnellement, je crois à la notion de flexisécurité.

M. le rapporteur. Je ne peux qu’approuver la sagesse et le pragmatisme du président.

M. Yves Bur. Je tiens à souligner le mérite de ce rapport qui fait le point sur un sujet dont on parle souvent sans savoir comment le concrétiser sur le terrain. Sa lecture permet de découvrir que près de 80 organismes – le plus souvent déclinés au niveau régional et territorial – s’occupent du travail et de l’emploi, et de s’interroger par conséquent sur la manière dont il convient de traiter de tels sujets avec autant d’organismes dédiés à tant de publics différents. Comment aller vers plus de simplification ? La liste des organismes dressée par le rapport est stupéfiante.

Si je fais le parallèle avec le domaine de la santé où une multitude d’organismes existait sans dialoguer entre eux, je me demande s’il ne serait pas souhaitable de créer également dans le domaine du travail et de l’emploi, une agence régionale fédératrice et pilote des politiques gouvernementales au sein des territoires.

Enfin, l’ensemble des propositions présentées a un coût qui peut se répercuter sur les entreprises. Je crains qu’il ne joue contre l’emploi en atteignant la compétitivité des entreprises françaises au moment même où chacune des sociétés européennes effectue une course à la compétitivité pour sortir de la crise économique. Ces quinze propositions ne risquent-elles pas de renchérir le coût du travail ?

M. Jean-Patrick Gille. En premier lieu, je tiens à saluer, au nom du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC), la qualité du travail réalisé par la mission d’information, ainsi que la clarté du rapport qui en découle et qui devrait profiter à tous, même aux non-spécialistes. Mais si nous en partageons l’intérêt, nous n’en partageons pas toutes les conclusions et notamment les propositions qui s’inscrivent dans la droite ligne des réformes engagées depuis quelques années en matière de politique de l’emploi et que nous jugeons négatives.

Deux propositions présentées dans le rapport ont particulièrement retenu notre attention : la création d’un compte social de droits portables tout au long de la vie professionnelle et une nouvelle réorganisation, encore, du service public de l’emploi. Cela étant, comme Yves Bur, il me semblerait utile de compléter cette approche par l’évaluation du coût des réformes proposées et de réfléchir à un meilleur usage des 74 milliards d’euros consacrés aux politiques de l’emploi et de la formation professionnelle.

Nous sommes plus critiques sur l’application en France du concept européen de flexicurité. Il semble se traduire ici par une déréglementation du droit du travail.

Les réformes menées ces dernières années, à partir de l’impulsion donnée par la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social du 4 mai 2004 introduisant, par un amendement de dernière minute, le processus de renversement de la hiérarchie des normes, ont engagé un « détricotage » des garanties collectives et donc des sécurités. L’idée qui prime, pour vous, reste de faire du contrat de travail un contrat comme un autre, où tout est négociable, alors qu’il est, pour nous, un contrat fondamentalement déséquilibré qui doit être encadré par le droit du travail.

La flexisécurité aurait dû apporter de nouvelles garanties collectives en contrepartie des flexibilités consenties. Or, si celles-ci ont progressé, les sécurités nouvelles ont été rares et la question salariale qui aurait pu être une forme de compensation de la flexibilité a été évacuée.

Sur la méthode, c’est-à-dire le dialogue social, nous vous rejoignons sur les principes et même sur l’idée qu’il doit se décliner jusqu’au niveau territorial, bien que son organisation locale n’en soit pas si simple. Mais force est de constater que le Gouvernement, qui vante le dialogue social, ne l’utilise que lorsqu’il l’avantage. Ainsi, si les dispositions négociées par les partenaires sociaux sur la représentativité des organisations syndicales dans la position commune du 9 avril 2008 ont été reprises par le Gouvernement, celles sur la réduction du temps de travail ont été instrumentalisées à partir d’un petit codicille de cette position commune des syndicats, et contre leur volonté, pour « détricoter » le dispositif des 35 heures. La gestion du dialogue social est donc à géométrie variable.

Mais le groupe SRC, qui est attaché à la méthode du dialogue social, va déposer prochainement une proposition de résolution pour étendre l’obligation de consultation des organisations syndicales, dont parlait le rapporteur, aux propositions de loi à caractère social. Nous avons eu en effet l’impression que le Gouvernement se sert parfois de propositions de loi pour contourner son obligation de consultation des partenaires sociaux.

M. le président Pierre Méhaignerie. Elle est déjà concrétisée aujourd’hui.

M. le rapporteur. Au titre d’un protocole expérimental mis en place par le Président de l’Assemblée nationale le 16 février 2010.

M. Jean-Patrick Gille. Il s’agit de donner une plus grande portée à ce protocole que nous soutenons.

Par ailleurs, le « compte social » est une idée à creuser. Cependant les propositions du rapporteur ne permettent son abondement que par les salariés. Cela pose deux difficultés. Tout d’abord, ces propositions créent une sorte d’« auto-assurance » pour les salariés, qui devraient capitaliser des droits pour se prémunir des ruptures de parcours. De plus, cette formule ne fonctionnerait qu’en faveur des travailleurs insérés sur le marché du travail.

Nous proposons que le compte social soit crédité dès la sortie du système scolaire par un droit de tirage à congé de formation et à formation, inversement proportionnel à la durée du parcours scolaire. Un salarié titulaire d’une licence aurait un droit de tirage limité, alors qu’un salarié titulaire d’une certification d’aptitude professionnelle bénéficierait de droits plus importants. S’il faut prendre en compte les coûts induits, il convient de réfléchir à une réaffectation des crédits. Les partenaires sociaux se sont déjà accordés sur le droit à la formation initiale différée.

Il convient de remarquer qu’en l’état, les propositions du rapporteur conduisent à mutualiser les risques des licenciements pour les employeurs et en à individualiser totalement les conséquences pour les salariés, ce qui n’est pas tout à fait équilibré !

De même, la proposition faite par le rapporteur d’extension du contrat de transition professionnelle en faveur des salariés en contrats à durée indéterminée ne concerne là aussi que les salariés intégrés sur le marché du travail. Les salariés en contrat précaire, les jeunes en situation de « stop and go », en sont exclus par définition alors qu’ils en auraient le plus besoin.

Concernant le développement de l’employabilité des salariés, le rapport reprend à son compte une formule du professeur Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l’université de Paris I, particulièrement inquiétante : « Les salariés sont locataires de leur emploi mais propriétaires de leur employabilité ». Cette formule affirme clairement que le salarié ne possède pas son emploi et surtout qu’il est uniquement responsable de son employabilité. Ne doit-on pas au contraire, comme vous semblez le suggérer, réfléchir à une responsabilité et à une obligation effectives de formation de l’employeur à destination de ses salariés ? La jurisprudence a déjà admis qu’il existe une responsabilité de l’employeur dans le maintien de l’employabilité de ses salariés.

Notre principal désaccord porte sur l’articulation entre la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et le droit de la modification du contrat de travail. Cela veut-il dire que vous souhaitez contourner le droit du travail en remettant en cause le principe de l’accord du salarié pour accepter les mesures d’adaptation et de mobilité que propose le plan de gestion prévisionnelle de l’entreprise ? Si c’est le cas, vous porteriez un coup de bélier au contrat de travail.

Quant aux autres dispositifs évoqués dans le rapport – la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le bilan de compétences et la validation des acquis de l’expérience –, ils ne peuvent efficacement fonctionner qu’à condition que les salariés se les approprient. C’est là seulement que doit jouer la logique d’individualisation, dans une démarche concertée, sécurisée et sécurisante. Trop de salariés craignent encore que le bilan de compétences soit en fait un bilan d’incompétences.

Un autre point de désaccord porte sur la réorganisation du service public de l’emploi. Vous affirmez sa nécessité. Or, nos propositions de simplification des structures, notamment au niveau régional, ont toutes été repoussées en séance, alors que la majorité complexifiait le système de son côté. Il nous semble, par exemple, que le conseil régional de l’emploi a été créé uniquement pour permettre au préfet de région de le présider, contrairement aux autres instances du même ordre, présidées par le président du conseil régional, ou co-présidées par lui.

Bien loin de simplifier, les propositions du rapporteur sont plutôt recentralisatrices car elles confient à Pôle emploi un rôle hégémonique qu’il n’est pas en capacité d’assumer. Cela ne serait de toute façon pas souhaitable. Vous soulignez vous-même la nécessité de distinguer, d’une part, la structure de concertation et de définition stratégique des orientations et, d’autre part, Pôle emploi, conçu comme opérateur, puis vous réintroduisez Pôle emploi dans la structure de concertation. Votre « triangle d’or » comprend finalement Pôle emploi à deux de ses sommets, contrairement à la logique que vous défendez. Votre propos n’est donc exempt d’une certaine contradiction.

À titre personnel, je considère que la résolution d’une partie des dysfonctionnements de Pôle emploi passe par une régionalisation de son pilotage, au plus près du terrain. Cela ne signifie pas qu’il faille confier cette institution aux régions mais la réforme instituant Pôle emploi a évacué les partenaires sociaux et les élus locaux de sa gouvernance alors qu’ils ont un rôle important à y jouer.

Si je ne remets pas en cause le travail très intéressant et pertinent accompli par la mission et son rapporteur, il n’apporte pas de réponse pour les salariés les plus précarisés. Il semble guidé par le souhait de soumettre le droit du travail aux lois de l’économie, alors qu’il devrait les corriger ou au moins en limiter les impacts. Le groupe SRC est donc favorable à la publication du rapport mais n’en partage pas l’orientation générale qui participe, comme toujours, d’une remise en cause du contrat de travail systématiquement pensé comme un obstacle à l’emploi.

M. le président Pierre Méhaignerie. Il ne me semble pas que la ligne directrice de notre majorité soit de porter des « coups de bélier » au contrat de travail comme vous le prétendez. Si l’on compare notre action à celle d’autres pays européens, il me semble au contraire que nous nous efforçons de trouver un équilibre entre, d’une part, l’efficacité et la souplesse qu’exige aujourd’hui l’économie – si l’on veut créer des emplois – et, d’autre part, la sécurité du salarié.

M. Roland Muzeau. Ce rapport d’information sur la flexisécurité doit être mis en parallèle avec celui, en cours d’élaboration, concernant les risques psychosociaux au travail. En effet, ce dernier devrait montrer que certains de ces risques sont la conséquence des dispositions législatives accentuant la flexibilité. Les experts sont d’ailleurs nombreux à être réservés sur les vertus de la flexisécurité louées par le rapporteur. Le moins que l’on puisse dire est que votre engouement et celui du patronat pour ces mesures de flexibilité n’est pas du tout partagé par les salariés qui n’ont pas vu la sécurité qui devait les accompagner.

Je voudrais également souligner que pour généraliser la flexibilité et libéraliser les règles en matière de droit du travail, vous ne cessez d’instrumentaliser et de galvauder ce qui, à l’origine, était important et novateur, la « sécurité sociale professionnelle » telle qu’elle était portée par les organisations syndicales de salariés notamment par la Confédération générale du travail, qui en était l’initiatrice, conçue comme un moyen de réinventer un droit du travail du XXIème siècle digne de ce nom.

Comme nous y invitait déjà, en février 2008, M. Bernard Brunhes, pourtant souvent reçu par la commission, commentant l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail : « s’il y a des progrès en terme de flexibilité, le volet sécurité est pour le moins modeste ». Je ne peux que m’associer à cette appréciation.

Les textes intervenus ultérieurement, réformant la politique de l’emploi, notamment ceux relatifs aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi, à l’offre valable d’emploi, à la fusion entre l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et l’Unédic ont confirmé votre vision à sens unique de la flexisécurité, synonyme de renforcement des pressions pour ne pas dire des sanctions à l’encontre des demandeurs d’emploi, et non de sécurité.

Les études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) l’ont montré : « il est impossible de mettre en lumière un impact positif sur le chômage des réformes du marché du travail dans le sens de la flexisécurité, de la flexibilité et de la fluidité ». Rien n’a été prouvé en la matière. Parer de vertus la flexisécurité sans pouvoir en mesurer les effets positifs pose, pour le moins, problème.

Il nous semble aussi qu’un des défauts majeurs du rapport est que, bien loin d’analyser et de critiquer les conséquences de la création de Pôle emploi et la fusion de deux organismes aux missions et aux cultures différentes – que nous avions dénoncée –, il considère Pôle emploi comme le modèle des fusions à venir, alors même que les personnels, comme les demandeurs d’emploi, en subissent pleinement les effets négatifs.

Contrairement au Président, je ne pense pas du tout que l’expérimentation de tout ou partie des préconisations présentées par le rapporteur soit de bonne méthode. La pratique des expérimentations est votre outil privilégié dans maints domaines : elle permet de préparer des généralisations. Elle est contraire au rôle du législateur qui est de légiférer pour tous, sur tout le territoire. Dans le même ordre d’idées d’ailleurs, si j’apprécie la compétence d’Yves Bur, j’observerais qu’il défend régulièrement les spécificités de l’Alsace, qui n’est jamais concernée par la plupart des mesures dont nous discutons, en matière de travail le dimanche par exemple.

M. Bernard Perrut. Je veux saluer, moi aussi, la qualité du travail de la mission qui livre une analyse approfondie de la question de la flexisécurité dans notre pays au regard des expériences conduites dans d’autres pays européens. La question de la flexisécurité est essentielle en ce qu’elle permet d’envisager le basculement d’une logique de protection de l’emploi, avec une logique de statut, vers une logique de protection dans l’emploi, avec une logique de parcours professionnels. Le rapport montre bien la complexité du système de gestion des risques professionnels et des structures de la politique du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Les propositions sont organisées autour de trois volets, formant un « triangle d’or », un triptyque logique. En tout état de cause, toutes les initiatives qui pourront être prises doivent reposer sur le dialogue social et sur la confiance des partenaires sociaux amenés à négocier ces évolutions.

Par ailleurs, le rapport propose une nouvelle approche, en suggérant la création d’un compte social qui s’inscrit dans la logique d’une assurance professionnelle et l’unification des instances œuvrant en matière d’emploi et de formation professionnelle. Dans cette logique, partant du constat des aspects positifs mais aussi des nombreuses lacunes du dispositif actuel de prise en charge des demandeurs d’emploi et des salariés, le rapport propose également la création d’une plateforme multiservices. L’ensemble de ces propositions, qui s’appuie et reprend les conclusions des travaux qui ont été récemment menés par Mme Marie-Christine Dalloz et M. Gérard Cherpion, est intéressant.

Il convient de s’appuyer, comme le proposait Mme Marie-Christine Dalloz, sur les maisons de l’emploi, desquelles doivent se rapprocher rapidement les comités de bassin d’emploi, et sur les conseils nationaux et régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle. Il faut clarifier la répartition des compétences entre les acteurs afin de mettre en œuvre une politique de l’emploi et de la formation professionnelle plus cohérente.

Le soutien de l’orientation proposée par le rapporteur consistant à étendre l’application du contrat de transition professionnelle mérite d’être approuvé. L’expérience qui en a été faite est très intéressante. Le contrat de transition professionnelle s’est révélé essentiel dans la période de crise économique actuelle. Il serait cependant souhaitable de s’assurer des conditions de financement définitives du dispositif. Il faudra désormais voir comment les propositions du rapport peuvent être reprises et appliquées par des expérimentations territoriales, dans une logique de « gagnant-gagnant » pour les salariés et les entreprises, de développement économique et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Je souhaite saluer les actions conduites par les régions en matière d’emploi et de formation professionnelle. On peut notamment citer l’exemple de la région Rhône-Alpes qui a décidé de s’appuyer sur les maisons de l’emploi, et notamment sur celle de Villefranche-sur-Saône, devenue « maison de l’emploi et de la formation professionnelle ». D’une manière générale, il y a lieu, comme le propose le rapport, de simplifier notre système de soutien à l’emploi et à la formation professionnelle, qui est aujourd’hui d’une grande complexité, comme le démontrent les tableaux annexés rapport, et d’assurer la mise en cohérence de l’ensemble des dispositifs dédiés.

M. Michel Issindou. Je souligne la qualité du rapport qui nous est présenté, qui est plein de bonnes intentions mais qui n’est pas cohérent avec les textes qui ont été adoptés par le Parlement sur les questions d’emploi et de formation professionnelle depuis deux ans et demi. Nombre de ces textes, qui ont concerné davantage la flexibilité mais peu la sécurité, vont en effet à l’encontre de propositions présentées dans le rapport. Ses propositions s’articulent autour d’un renforcement de Pôle emploi alors que cet organisme, à l’évidence, ne fonctionne pas conformément aux espérances qui avaient été placées sur lui lors de l’adoption de la loi du 13 février 2008. En témoigne d’ailleurs la démission récente du médiateur de Pôle emploi. La loi du 25 juin 2008 relative à la modernisation du marché du travail a également apporté plus de flexibilité, au travers de la rupture conventionnelle, et peu de sécurité aux salariés. Il faut enfin signaler, en opposition aux orientations préconisées par le rapport, la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie qui recentralise la mise en œuvre de la politique de formation professionnelle. Les propositions du rapport ne sont donc pas en cohérence avec la politique qui est conduite depuis le début de la législature.

Le Gouvernement a bien dégagé quelques financements en catastrophe pour aider une partie du million de chômeurs en fin de droits non indemnisés mais cette démarche a été quelque peu acrobatique. Le rapport propose de s’appuyer sur la responsabilité individuelle du salarié et s’inscrit dans la logique d’un système d’auto-assurance, dans lequel le salarié assure lui-même son après-licenciement, avec une participation financière réduite des entreprises. Le groupe socialiste s’oppose à cette orientation inquiétante et ne votera donc pas le rapport. Il propose à l’inverse la création d’une véritable sécurité sociale professionnelle, comme cela est indiqué dans la contribution de noter groupe annexée au rapport.

M. Dominique Dord. La mission d’information présente un excellent rapport qui comprend des propositions intéressantes. Le développement de la flexisécurité suppose la négociation approfondie des accords entre les partenaires sociaux et d’assurer le respect de la sécurité juridique nécessaire aux accords conclus par les salariés et les entreprises, malgré les alternances politiques.

Dans cette logique, qui est reprise par le rapport, il faut insister sur le fait que de très nombreux accords ont été conclus dans la période récente par les partenaires sociaux. Il est rappelé justement que, en 2008, 26 accords nationaux interprofessionnels ont été conclus sur des questions d’emploi et de formation professionnelle qui sont de véritables marqueurs de la flexisécurité à la française, tels que la modernisation du marché du travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou la convention de reclassement personnalisé. Ce mouvement s’est poursuivi en 2009, avec des accords portant sur la formation professionnelle, l’assurance chômage, la gestion sociale des conséquences de la crise économique, ce qui montre bien la vitalité du dialogue social et de la négociation interprofessionnelle dans notre pays. Les partenaires sociaux ont donc un temps d’avance sur nos propres débats.

La France est bien, d’ores et déjà, engagée dans la démarche de flexisécurité. De nombreux accords conclus par les partenaires sociaux sont très ambitieux, et le rôle du législateur est d’accompagner leur mise en œuvre. La flexisécurité n’est pas un « gros mot » ; elle est voulue et organisée par les partenaires sociaux depuis plusieurs années. Les initiatives prises en amont par eux, libres de négocier et de signer des accords, doivent simplement être relayées par le législateur. Le projet de loi qui devrait nous être soumis dans quelques mois, concernant la représentativité syndicale dans les très petites entreprises, sera d’ailleurs l’occasion de valoriser le dialogue social, de le consolider, et de mesurer l’audience des différents partenaires sociaux. Cela permettra de conférer encore plus de poids aux accords conclus et d’aller plus loin dans cette flexisécurité choisie par les partenaires sociaux signataires.

M. Maxime Gremetz. Tout est donc parfait ! C’est Alice au pays des merveilles !

M. Jacques Domergue. Le rapport, de grande qualité, montre bien que la flexisécurité est rentrée dans les mœurs des Français car elle correspond à un effort partagé. Il souligne aussi l’importance des financements qui sont consacrés aux politiques d’emploi et de formation professionnelle dans notre pays. Le montant de 74 milliards d’euros dégagé à cet effet doit notamment nous conduire à nous interroger sur l’efficacité de Pôle emploi.

M. le rapporteur. Je précise que le montant de 74 milliards d’euros comprend l’ensemble des crédits destinés aux politiques de l’emploi et de la formation professionnelle et qu’il inclut notamment les exonérations de charges sociales.

M. Jacques Domergue. Devant une telle masse financière, il convient de savoir s’il ne vaudrait pas mieux redéployer une partie des financements pour développer l’investissement dans la création d’activités plutôt que dans l’organisation des parcours vers l’emploi, qui sont un constat d’échec face au problème de sous activité de la France. Revenant de Chine, j’ai pu prendre la mesure des différences flagrantes de réactivité et de coûts de production avec les conditions qui sont imposées dans notre pays. Il convient de trouver un juste milieu dans l’organisation de l’activité entre ces deux extrêmes.

M. Régis Juanico. Je ne souhaite pas revenir sur le bilan des différentes mesures de flexibilité et de sécurité adoptées depuis le début de la législature, car cela a été rappelé par Jean-Patrick Gille, Michel Issindou et Roland Muzeau. Elles ont accru la flexibilité, en particulier en matière de temps de travail, au moment où la France traversait une crise économique et ont créé davantage de précarité. Le Gouvernement, manquant de pragmatisme, n’a même pas souhaité retirer certains dispositifs qui pourtant aggravaient la crise.

Il me semble que la question de l’insertion professionnelle des jeunes est peu abordée dans le rapport. Or, on constate que l’insertion professionnelle des jeunes est de plus en plus difficile et tardive, ce qui a des conséquences sur leur vie privée. Entre vingt et un et vingt-huit ans, les jeunes, bien souvent, enchaînent les contrats précaires et leur situation ne se stabilise qu’à l’approche de la trentaine. Il conviendrait de réfléchir aux solutions de nature à pallier ce retard dans l’intégration des jeunes sur le marché du travail. Je rejoins par ailleurs le propos de Roland Muzeau concernant la nécessité de prendre des initiatives afin de lutter contre les risques psychosociaux et la souffrance au travail, dont le développement découle de la flexibilité toujours accrue du marché du travail et des nouveaux modes d’organisation de celui-ci.

S’agissant de la proposition du rapport visant à créer un compte social pour chaque salarié, il serait souhaitable d’indiquer si ce dispositif serait parallèle ou jumelé avec celui de curriculum laboris, proposé par la mission d’information sur la pénibilité au travail. Par ailleurs, face à la multiplication des dispositifs spécifiques, tels que le droit individuel à la formation, la validation des acquis de l’expérience ou le bilan de compétences, ne conviendrait-il pas mieux de vérifier l’effectivité de leur mise en œuvre, plutôt que de proposer un grand bouleversement juridique, même s’il s’agit d’un triangle d’or bien construit ?

M. Gérard Cherpion. Je tiens à féliciter le rapporteur pour le travail accompli et j’approuve les propos de Dominique Dord. J’estime fondamentale la convergence vers un seul système aboutissant à un contrat équitable de continuité et de transition professionnelle unifié pour tous les salariés, et à la création duquel travaille l’inspection générale des affaires sociales.

Deux autres points me paraissent nécessiter une réflexion approfondie :

– un rapprochement de la direction générale du travail et de la direction générale à l’emploi et à la formation professionnelle qui permettrait une simplification et une direction unique des structures ;

– et la nécessité de procéder à une expérimentation par étapes – à l’exemple de celle du contrat de transition professionnelle qui a été exemplaire : une première sur la convergence puis une deuxième sur la gouvernance et enfin une troisième sur le compte social.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je félicite le rapporteur pour son travail de fond. Siégeant au Conseil national de l’emploi, je ne suis pas convaincue de la pertinence de la proposition tendant à la fusion de ce conseil avec le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Il serait préférable d’améliorer au sein du Conseil national de l’emploi les procédures d’évaluation des politiques publiques. En revanche, je suis extrêmement favorable à la généralisation du contrat de transition professionnelle qui est essentielle sur nos territoires meurtris par la récession économique. Ainsi, au sein de la maison de l’emploi que je préside, une cellule interentreprises a été ouverte à l’attention des travailleurs frontaliers qui ne font pas forcément l’objet d’un suivi par Pôle emploi. Elle a accueilli et suivi une centaine de personnes dans un cadre équivalent à celui du contrat de transition professionnelle. Il conviendra donc de prendre en compte un certain nombre d’expérimentations comme celle-ci.

M. le rapporteur. Je répondrai à vos questions en les regroupant sous trois chapitres. Celui du financement tout d’abord. La généralisation du contrat de transition professionnelle génèrera un surcoût qui évoluera, en fonction des hypothèses basse ou haute, de 1 milliard à 1,5 milliard d’euros. Je pense qu’un consensus s’est dégagé sur ce point et que nous sommes tous conscients que ce dispositif ne concerne que les personnes licenciées pour motif économique.

Or, comme le souligne le rapport, il existe toute une population – des femmes, des jeunes, des titulaires de contrats précaires – exclue du dispositif de contrat de transition professionnelle. Pour elle, nous avons demandé l’aide de l’administration centrale pour estimer le surcoût qu’entraînerait l’extension du contrat de transition professionnelle. Il atteindrait 8,6 à 10 milliards d’euros. Dans un contexte de finances publiques dégradé, ce surcoût soulève certes des interrogations, mais il semble que le redéploiement des quelques 74 milliards d’euros consacrés aux dispositifs généraux et aux dispositifs ciblés pour l’emploi et la formation professionnelle permettrait d’y faire face, au moins en partie.

Il est actuellement difficile d’aller plus loin dans cette réflexion en l’absence d’éléments d’information plus fouillés sur le sujet. Or, c’est bien là le problème. Jacques Domergue s’interrogeait, avec pertinence, sur les sommes en jeu, leur effectivité et leur caractère opérationnel pour les travailleurs et, plus généralement, pour notre économie. Mais tant que nous ne disposons pas de données plus précises, notre volonté d’ajouter un dispositif à une assurance professionnelle qui représente d’ores et déjà 2,7 % du produit intérieur brut français – alors que l’Autriche, un modèle social européen reconnu, n’y consacre que 2 % – restera paralysée.

Je tiens à rappeler à nos collègues de l’opposition que la transformation d’une assurance chômage en une assurance professionnelle se fonde sur le paritarisme et la mutualisation des fonds. Elle s’inscrit donc dans une dynamique de prise en charge collective. Le compte social n’est pas qu’une « auto–assurance », une individualisation du risque supportée par les salariés sans mutualisation au niveau des entreprises. L’inquiétude soulignée par nos collègues socialistes est donc infondée : il y a un support individuel – le compte social – et un support collectif – l’assurance professionnelle. Tous deux sont adossés à des mécanismes de financement qui doivent faire l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux.

Notre collègue Jean-Patrick Gille a évoqué un droit à la formation initiale différée inversement proportionnel à la durée de la formation initiale. Ce sujet doit être débattu. Je ne voudrais pas qu’il contribue à pérenniser les éventuelles insuffisances de la formation initiale. Nous savons en effet que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans avoir acquis une véritable formation. Il faudrait, avant tout, trouver les voies et moyens d’une amélioration de la formation initiale afin que 100 % des jeunes sortent du système scolaire avec une compétence et une formation réelles.

S’agissant de la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et le réseau des Assedic, qui a abouti à la création de Pôle emploi, il faut rappeler la complexité de l’opération tenant à la variété des statuts en cause et à l’impact de la crise économique sur les services fournis aux assurés. La logique d’une plateforme multiservices coordonnés a son intérêt et l’expérimentation, comme le soulignait le président, peut en faire la démonstration. Bernard Perrut a, de son côté, souligné à juste titre le caractère opérationnel de cette plateforme sur le terrain.

À travers mes propos sur la logique du cofinancement, je pense avoir répondu sur la problématique des salariés intégrés sur le marché du travail, les « insiders », et des salariés en difficulté d’insertion ou « outsiders ».

On peut difficilement contester la légitimité de l’État à assurer l’équité de traitement en tous points du territoire. Par conséquent, sa présence aux différents échelons nationaux, régionaux et territoriaux des structures dédiées aux politiques de l’emploi et de la formation professionnelle est pleinement justifiée. C’est pour cette raison que la notion du copilotage sur le plan régional permet une sécurisation des parcours professionnels. Je rappelle à nos collègues de l’opposition que la création de conseils régionaux de l’emploi et de la formation remplacerait une multitude de structures et d’organismes, source d’inefficience.

Je suis parfaitement d’accord avec Gérard Cherpion sur la nécessité d’améliorer la coordination entre la direction générale du travail et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle ainsi qu’avec les réflexions de Dominique Dord sur le caractère fondamental du travail accompli en amont par les partenaires sociaux sur la flexisécurité.

En conclusion, je conviens que la notion de flexisécurité est aujourd’hui davantage perçue par les salariés comme synonyme de flexibilité à cause de la crise économique que traverse la France. C’est pour cette raison que la mission d’information a préféré retenir l’expression d’assurance professionnelle, qui s’inscrit dans la logique de la sécurité sociale professionnelle et des institutions issues des réflexions du Conseil national de la résistance.

Sur la contribution de Roland Muzeau au rapport de la mission, je dois préciser que le compte social proposé ne serait pas piloté par Pôle emploi mais par l’assurance professionnelle.

M. le président Pierre Méhaignerie. La mission a produit en tout cas un travail sur lequel il faudra revenir.

La Commission, consultée, autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

*

La Commission des affaires sociales entend M. Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) sur la réforme des retraites.

M. le président Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales. Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées à la réforme des retraites. Je remercie M. Jean-François Pilliard d’avoir accepté d’y participer pour donner son sentiment sur les différentes hypothèses retenues par le Conseil d’orientation des retraites dans son dernier rapport et nous faire part des propositions de son organisation.

M. Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du MEDEF. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis de l’occasion qui nous est offerte d’échanger nos points de vue. Je me propose de vous livrer tout d’abord le diagnostic qui est le nôtre sur la situation des retraites dans notre pays, avant d’évoquer les pistes et les orientations sur lesquelles le MEDEF travaille actuellement – je parle bien de pistes et d’orientations, car nous en sommes au stade de la concertation et nous devons nous efforcer, les uns et les autres, à examiner tout le champ du possible avant que le Conseil d’orientation des retraites ne nous transmettre ses conclusions sur les différents scénarios qui ont été soumis à son examen. Je répondrai ensuite à vos questions.

Quel est notre diagnostic ? Les analyses que nous avons effectuées font apparaître que les problèmes posés par les retraites dans notre pays sont de nature essentiellement structurelle, bien que l’environnement conjoncturel qui est le nôtre aujourd’hui ait accéléré le processus de dix ans par rapport aux prévisions initiales. Deux raisons objectives expliquent cette situation. Tout d’abord, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter – c’est un point très positif, mais qui a des conséquences démographiques lourdes. Alors qu’en 1960, notre pays comptait quatre cotisants pour un retraité, il n’en compte plus que 1,8 en 2010, et ce chiffre tombera à 1,5 en 2020 et à 1,2 en 2050. Par ailleurs, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail –  à 21 ans en moyenne. Nous nous trouvons donc dans une situation très déséquilibrée.

Je rappelle tout de même que si l’on n’avait pas, en 1983, touché à l’âge de départ à la retraite, nous serions probablement en train de discuter de la manière dont nous pourrions utiliser les excédents du régime, soit pour augmenter les pensions, soit pour baisser les cotisations, voire les deux à la fois.

Les trois scénarios macroéconomiques, qui ont été présentés par le COR, se révèlent extrêmement ambitieux, puisqu’ils s’appuient sur un taux de chômage de 4,5 % – ce qui correspond pratiquement au plein emploi. Sans doute devons-nous nous réjouir de cette ambition qui prouverait que nous aurons, d’ici à quelques années, retrouvé une croissance vigoureuse – proche de 3 % – et réussi à rénover profondément le marché du travail. On sait que, chez nous, le chômage est lié à des raisons structurelles et non conjoncturelles.

Le COR a également pris en compte la croissance de productivité globale de notre pays, s’appuyant sur un taux de croissance annuelle de 1,5 à 1,8 %.

Force est de constater que, même avec un scénario aussi ambitieux, notre système de retraite se prépare à rencontrer des difficultés majeures. Même si nous nous montrons très volontaristes sur le plan de l’emploi et des conditions économiques, des remèdes très puissants sont nécessaires.

Pour faire face à ces déséquilibres, dans le cadre d’une approche paramétrique, nous pouvons examiner trois types de leviers : le premier consiste à augmenter le niveau des prélèvements, le deuxième à baisser le niveau des pensions, le troisième à travailler plus longtemps. Après une rapide analyse de ces trois leviers, je vous présenterai les orientations du MEDEF.

Est-il envisageable d’augmenter le niveau des cotisations et des prélèvements ? Cela ne vous surprendra pas, nous pensons que c’est une solution extrêmement dangereuse pour notre compétitivité et injuste pour les actifs. La compétitivité de notre pays est faible par rapport à la moyenne, déjà assez basse, des pays européens. Quant à l’emploi, il connaît dans notre pays une dégradation régulière.

Entre 1967 et 2009, le taux de cotisation vieillesse du régime général sur le salaire plafonné a quasiment doublé, passant de 8,5 % à 16,65 %, dont 6,75 % à la charge des salariés et 9,9 % à la charge des employeurs. Si nous ajoutons les régimes complémentaires, l’addition est encore plus élevée – de l’ordre de 25,5 %, dont près de 16 % à la charge des employeurs.

Cela peut vous paraître réducteur, mais c’est la réalité : lorsque vous augmentez les cotisations, vous affectez la compétitivité. Ce faisant, vous dégradez l’emploi, ce qui a pour conséquence d’aggraver la situation de tous les systèmes de protection sociale, donc de notre régime de retraite. Quelles que soient nos sensibilités, ce constat résiste difficilement à toute autre analyse.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous aimerions disposer d’éléments de comparaison avec notre voisin allemand, en particulier s’agissant du coût horaire par heure travaillée, dans une entreprise industrielle par exemple.

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Nous sommes en mesure de vous fournir des informations détaillées et objectives sur le coût du travail et le taux d’emploi, mais les paramètres économiques ne sont pas seuls en jeu. Nos voisins allemands, par exemple, ont des pratiques fondamentalement différentes des nôtres en matière d’animation du marché du travail.

Le deuxième levier consiste à baisser le niveau des retraites – qui est en France supérieur au niveau moyen européen et à celui des pays de l’OCDE. Toutefois, nous constatons que depuis un certain nombre d’années, sous la contrainte des événements, les taux de pension diminuent régulièrement.

Au MEDEF, nous avons la conviction que la baisse des pensions n’est pas une solution acceptable et que nous devons tout faire pour maintenir leur niveau.

Le troisième levier consiste à travailler plus longtemps. Il ne s’agit pas uniquement de résorber les déficits des régimes de retraite. En effet, l’espérance de vie ne cessant d’augmenter, un nombre important d’hommes et de femmes souhaitent travailler jusqu’à un âge plus avancé. Conserver ces personnes au sein de l’entreprise représente pour cette dernière un enjeu important en termes de compétences. L’équilibre entre les jeunes et les seniors est un élément d’efficacité pour l’entreprise et l’économie en général. Je précise que, sur cet éventuel report de l’âge de départ à la retraite, nous sommes tout à fait prêts à discuter des situations spécifiques liées à la pénibilité du travail.

M. Roland Muzeau. Mais vous n’avancez pas sur cette question depuis plusieurs années, vous avez même bloqué les négociations !

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Lorsque nous n’avançons pas, c’est de façon collective ! Chacun a sa part de responsabilité dans ce domaine. La France, avec un âge de départ à la retraite à soixante ans, est désormais une exception en Europe, car les pays qui nous entourent ont tous choisi de le repousser. Dans ces pays – ce qui montre qu’il existe une corrélation entre les différents paramètres –, la durée du travail est généralement supérieure à la nôtre et, dans quelques cas, le taux de chômage structurel est inférieur.

Il nous paraît donc intéressant, au MEDEF, d’agir sur l’âge effectif de départ à la retraite, et cela permettrait d’augmenter de façon sensible le taux d’emploi des seniors.

M. Roland Muzeau et M. Maxime Gremetz. Vous ne cessez de les licencier !

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Je ne porte aucun jugement de valeur, je ne fais que citer des chiffres. Jusqu’à l’âge de soixante ans, le taux d’emploi des seniors en France est à peu près identique à celui de l’ensemble des pays européens. Il se dégrade sensiblement à partir de soixante ans. C’est donc l’un des leviers sur lesquels il est pertinent d’agir.

J’en viens aux orientations auxquelles le MEDEF a décidé de réfléchir pour contribuer à la concertation en cours.

Tout d’abord, toujours dans un cadre paramétrique, il nous paraît impératif de rétablir l’équilibre financier à moyen terme, en agissant sur ces deux paramètres que sont l’âge de départ et la durée des cotisations.

Nous pensons qu’il convient de mettre en place un dispositif de pilotage sur le long terme et améliorer la lisibilité de notre système de retraite, car celle-ci n’est pas suffisante. Il serait intéressant de pouvoir déterminer, comme c’est le cas dans d’autres pays, le taux de cotisation maximum supportable par la collectivité à l’horizon 2020, 2030 ou 2050 et, à l’opposé, le taux minimum. Cela nous permettrait de piloter notre régime de retraites de façon plus pertinente.

Il faut également améliorer la lisibilité pour tous les salariés. Actuellement, c’est à cinquante-cinq ans qu’un salarié du privé peut prendre connaissance de ce que sera sa situation au moment de la retraite. Pour la majorité de nos concitoyens, il est trop tard pour s’organiser. Il serait intéressant pour chaque salarié de recevoir, dès le début de la vie professionnelle, une information chiffrée et qualitative lui permettant d’être plus responsable et d’envisager des solutions alternatives.

Nous réfléchissons également à la pénibilité du travail. Dans ce domaine, tant pour des raisons humaines évidentes que d’efficacité économique et industrielle, il est capital d’améliorer la prévention. D’ailleurs, c’est le premier levier qu’ont choisi tous les pays qui nous entourent. La prévention relève de pratiques d’entreprise et de branche. Il convient de faire en sorte qu’un homme ou une femme exposé à un environnement dit pénible ne reste pas durablement dans cet environnement. Or, dans nos pratiques actuelles, et nous en partageons tous la responsabilité – ayant passé trente-cinq ans dans l’industrie, y compris dans l’atelier, c’est pour moi une question concrète –, on a tendance à encourager les salariés qui se trouvent dans une situation de pénibilité à y rester en leur versant des primes de pénibilité. Nous devons donc améliorer les pratiques de prévention, au niveau de l’entreprise comme de la branche.

Mais nous nous heurtons à un problème difficile à résoudre – sur lequel nous n’entendons pas nous enfermer dans un cadre rigide –, celui des salariés qui ont jusqu’à maintenant un emploi dit pénible. Faut-il le résoudre dans le cadre de la réforme des retraites ? Comment « gérer le stock » de personnes concernées ? Doit-on inscrire les dispositions nécessaires dans la durée ? Cette question est en cours de discussion.

M. le président Pierre Méhaignerie. Disposez-vous d’éléments de comparaison sur les conditions de départ des ouvriers, dans les secteurs de la métallurgie ou de l’agroalimentaire, aux Pays-Bas et en Allemagne ? Quel est l’âge de départ réel dans ces pays ?

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Dans ces deux pays, les cessations d’activité anticipées sont loin d’être la règle. La plupart des entreprises ont mis en place des pratiques d’aménagement du temps de travail et encouragent la mobilité vers un environnement de travail moins pénible.

Sur cette question de mobilité, nous sommes ouverts à la discussion. En revanche, il ne nous paraît pas souhaitable, pour des raisons d’efficacité et d’équité, de revenir à des pratiques relevant de régimes spéciaux. Permettez-moi de vous citer un exemple : les ouvriers ayant une espérance de vie inférieure à celle des cadres, on pourrait mettre en place un système uniforme, applicable à l’ensemble des ouvriers. Mais, il se trouve que les femmes ouvrières ont une espérance de vie très supérieure à celle des cadres !

Mme Catherine Génisson. Ce qui est normal puisqu’elles travaillent à temps très partiel !

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Certes, mais cela montre que les approches uniformes ne sont pas adaptées.

Les partenaires sociaux ont engagé une réflexion sur cette question, qui n’a malheureusement pas abouti à un accord. Nous pensons, pour notre part, que les situations dites pénibles doivent être identifiées avec précision et validées sur le plan médical. Car le fait de travailler dans un environnement pénible n’a pas nécessairement des conséquences sur le plan médical. C’est une précision à laquelle nous sommes attachés.

J’en viens aux deux dernières orientations qui font l’objet de nos travaux. Ce n’est pas le rôle du MEDEF d’intervenir sur les retraites de la fonction publique, mais il nous paraît important que les décisions que prendra l’État respectent les principes d’équité concernant l’âge de départ et la durée de cotisation.

Enfin, nous croyons à la nécessité de préserver notre régime de retraites par répartition. Mais quel que soit le scénario économique choisi, ce régime est soumis à des aléas de nature conjoncturelle ou structurelle. Il est donc normal, dans des proportions qui doivent rester limitées, de permettre à ceux qui le souhaitent de recourir à des formes d’épargne, collective ou individuelle. L’une des pistes que nous étudions se rapproche de l’épargne salariale, très développée dans des entreprises de grande taille, associant un système d’intéressement à une épargne longue durée, ce qui présente l’avantage de renforcer les fonds propres des petites et moyennes entreprises qui en ont bien besoin.

Voilà les pistes que nous examinons actuellement et que nous entendons affiner dans les semaines qui viennent, en attendant les neuf scénarios étudiés par le COR. Nous sommes engagés, je le répète, dans un processus de concertation. Comme vous tous, nous avons un certain nombre de convictions mais nous sommes prêts, par le dialogue, à faire évoluer ces orientations dans un sens ou dans l’autre.

M. Denis Jacquat. Vous avez évoqué la pénibilité. Je suis médecin de formation et je constate que si la pénibilité physique est plutôt bien traitée dans notre pays, je suis de plus en plus confronté à des situations de pénibilité psychique, le plus souvent dues à des troubles relationnels entre les salariés et leur hiérarchie. La pénibilité psychique, notion éminemment subjective, a-t-elle fait l’objet d’études au sein du MEDEF ?

J’ai eu l’occasion de me rendre aux Pays-Bas. Les inaptitudes temporaires y sont très courantes. Les personnes ne travaillent pas pendant une période d’un an ou deux, mais ont la possibilité de revenir sur un poste aménagé. En France, l’inaptitude est définitive. Pourquoi ne pas faire supporter les années d’inaptitude définitive, non par les régimes de retraite, mais par la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

Il est évident que l’emploi des seniors doit être encouragé. Les mesures que nous avons prises en ce sens dans une récente loi de financement de la sécurité sociale donnent-elles des résultats dans les entreprises ?

Enfin, les travaux du COR confirment que ni le report de l’âge légal de départ à la retraite, ni l’allongement de la durée de cotisation ne seront suffisants seuls pour équilibrer le système de retraite. Si de nouvelles ressources doivent être recherchées, quelle piste, selon vous, faut-il privilégier ?

M. Michel Issindou. Nous pourrions trouver un accord sur le constat et le diagnostic, monsieur Pilliard, mais nous ne partageons pas votre volonté de ne rien demander aux entreprises. Pour nous, l’effort sera collectif ou ne sera pas.

Depuis plusieurs années, nous faisons tout pour améliorer la compétitivité dans notre pays, avec les résultats moyens sur l’emploi que nous connaissons. Nous ne sommes jamais parvenus à retrouver le plein emploi, malgré tous les efforts qui ont été faits en faveur des entreprises. Pourtant, vous nous proposez de les épargner à nouveau.

J’espère que nous reviendrons un jour sur les allégements de charges sur les bas salaires, car on s’interroge encore sur leur efficacité en matière de compétitivité et d’emploi.

Vous prétendez que le MEDEF n’est pas fermé, mais votre présidente ne manque pas une occasion de rappeler qu’elle ne souhaite pas alourdir les prélèvements des entreprises.

Vous parlez de compétitivité. Je parlerai, quant à moi, du pouvoir d’achat des salariés. Si nous leur demandons de nouveaux efforts, nous nous heurterons à de graves conflits.

Vous dites que les retraites sont d’un bon niveau dans notre pays, mais les retraites chapeau de quelques grands patrons font désordre, alors même que 50 % des retraites sont inférieures au SMIC. Dans la négociation, chacun devra être exemplaire s’il veut défendre ses positions de manière pertinente.

Vous proposez de compenser les retraites grâce à l’épargne salariale, mais celle-ci ne concerne que les grandes entreprises. Il s’agit en réalité de salaires déguisés, taxés à 4 %. Quel manque à gagner pour la sécurité sociale ! Est-ce raisonnable ?

J’espère que le MEDEF saura se montrer ouvert au cours des négociations. Vous avez réaffirmé votre choix de préserver la retraite par répartition : c’est la moindre des choses.

En ce qui concerne la fonction publique, vous nous dites que votre organisation n’est pas concernée mais, en filigrane, nous comprenons ce que vous en pensez quand vous dites souhaiter plus d’égalité dans les différents régimes de retraite.

S’agissant de la pénibilité, les organisations syndicales affirment que la négociation est au point mort, mais vous en avez discuté longuement, entre 2005 et 2008, sans jamais parvenir à un accord. Le Gouvernement, souvent prompt à reprendre les dossiers bloqués au niveau des organisations syndicales, n’a rien fait depuis et nous sommes sceptiques quant à la possibilité de trouver une solution dans le cadre de la réforme des retraites. Vous avez proposé quelques pistes. Pour nous, les personnes qui ont commencé à travailler à seize ans ou qui ont un métier pénible doivent pouvoir partir à soixante ans. Actuellement, 10 % des personnes de cinquante ans sont en invalidité ou en incapacité de travail, ce qui prouve qu’il y a encore dans notre pays des métiers pénibles.

Quelle est la position du MEDEF sur les dispositions de M. Laurent Wauquiez en faveur de l’emploi des seniors ? Quelle est la situation concrète dans les entreprises ? Nous avons l’impression que les plans sociaux se terminent toujours de la même manière, par le licenciement des plus âgés. Je l’ai encore constaté chez Caterpillar, à Grenoble. Ce n’est pas du tout ce qu’il faut faire. Nos concitoyens ont aujourd’hui l’impression qu’après cinquante ans, ils n’ont plus aucune valeur sur le marché du travail. Comment allez-vous responsabiliser les entreprises afin de faire évoluer ces pratiques ?

M. Jean-Luc Préel. Vous jugez les hypothèses du COR très optimistes… Cela montre que nous devons prendre rapidement des mesures pour sauvegarder la retraite par répartition.

Une réforme systémique est souhaitable, mais il faudra du temps pour la mettre en place, sans doute dix à vingt ans. Êtes-vous favorable à la fusion entre retraite de base et retraite complémentaire, à la retraite par points, voire à un régime universel ?

Selon vous, il n’est pas opportun de baisser le niveau des pensions et d’augmenter les cotisations. Reste l’âge de départ, mais agir sur un seul paramètre va vite devenir ingérable. La bonne solution est probablement d’utiliser les trois leviers.

Quant aux autres prélèvements qui pourraient être envisagés, sur la valeur ajoutée par exemple, ne risquent-ils pas de changer la philosophie de notre système de retraite par répartition ? Est-il raisonnable de revenir sur ce principe ?

M. Roland Muzeau. Je m’étonne que le MEDEF, par votre voix, enfonce une nouvelle fois le clou sur la nécessité de travailler plus longtemps du fait de l’allongement de l’espérance de vie alors que, dans le même temps, les entreprises continuent de licencier massivement les salariés de plus de 50 ans.

S’agissant de la pénibilité, je suis en total désaccord avec vous. Toutes les organisations syndicales de salariés l’ont dit, c’est le MEDEF qui a bloqué les négociations, alors même que cette question constituait, avec celle des carrières longues, l’un des points majeurs de la réforme Fillon de 2003. Vous portez seuls la responsabilité de l’échec de la négociation et le Gouvernement n’a rien fait pour reprendre la main.

J’en viens à mes questions. Seriez-vous d’accord pour que l’assiette des cotisations soit élargie aux bonus, aux stock-options, à l’intéressement et à la participation ? Quelle est votre position sur l’élargissement de cette assiette aux produits financiers ? Enfin, confirmez-vous les propos de Mme Parisot, qui a déclaré souhaiter la mise en place d’un système de retraite par capitalisation, complémentaire du système par répartition ?

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Contrairement à une idée reçue, le taux d’emploi des seniors en France est pratiquement le même qu’ailleurs en Europe jusqu’à 60 ans. Ce n’est qu’à partir de cet âge-là que les taux divergent. En 2008, dernière année pour laquelle les données soient disponibles, le taux d’emploi des 50-54 ans est de 80,5 % en France contre 75,5 % en moyenne dans l’Union européenne ; celui des 55-59 ans de 56,3 % contre 59 % ; celui des 60-64 ans de 16,3 % contre 30,1 %. Ce ne sont pas là des chiffres du MEDEF, mais des statistiques officielles, à la disposition de tous.

Pourquoi la France est-elle un pays où, à la fois, le taux d’emploi des seniors fait pour le moins débat et le taux d’emploi des jeunes est parmi les plus faibles ? Et pourquoi le taux d’emploi global y a-t-il nettement diminué ces sept dernières années alors que sur la même période, dans des conditions économiques comparables, il augmentait substantiellement en Allemagne ? Dans notre pays, lorsqu’une entreprise est confrontée à des difficultés, conjoncturelles ou structurelles, ayant des incidences en matière d’emploi, les délais entre le moment où le problème apparaît et celui où il peut être résolu sont beaucoup plus longs que partout ailleurs dans l’Union européenne – l’écart est encore plus net si on prend pour base de comparaison l’ensemble des pays de l’OCDE. Et lorsque l’entreprise a traité son problème, après des délais, disais-je, extrêmement longs, demeurent encore des aléas juridiques. Dans un tel contexte, il est inévitable que les entreprises fassent du stop and go en matière de recrutements – ce dont les jeunes sont les premiers à faire les frais.

S’agissant de l’emploi des seniors, même s’il faut se garder de généraliser car les pratiques diffèrent fortement dans les grands groupes et dans les PME – un dirigeant de PME ou de TPE, lui, recherche avec obsession à garder le plus longtemps possible ses salariés, pour des raisons de compétences et d’équilibre –, force est de constater que, depuis trente ans dans notre pays, les problèmes d’emploi se règlent par le biais du départ des seniors. Et nous portons tous, organisations syndicales, organisations patronales, politiques à tous les échelons, une responsabilité dans cet état de fait. L’hypothèse, généreuse certes, était que le départ des seniors permettrait de recruter des jeunes. Elle ne s’est, hélas, jamais pleinement concrétisée et s’en est seulement suivi un fort déséquilibre, que nul ne peut contester. Aujourd’hui, un salarié, homme ou femme, qui a l’opportunité de quitter son activité professionnelle à 55 ans, voire plus tôt, avec un revenu net quasiment identique à celui qu’il percevrait en activité, part, ce qui a des effets pervers. Je ne porte là aucun jugement de valeur, je me limite à un constat.

Pour encourager l’emploi des seniors, différentes mesures ont été prises depuis quelque temps rendant le départ de ces salariés plus coûteux, dans le même temps que l’on a incité à une négociation sur le sujet. Même dans une conjoncture très défavorable en matière d’emploi, la quasi-totalité des grandes branches ont engagé des négociations sur l’emploi des seniors et les ont menées à bien. Un grand nombre d’accords sont en train d’être signés au niveau des entreprises, dont les effets, hélas, ne se feront sentir qu’à moyen terme. La tendance ne pourra s’inverser du jour au lendemain, tant les mentalités sont longues à faire évoluer. Chacun a pris conscience que les pratiques qui ont prévalu ces trente dernières années ne peuvent perdurer et veut qu’elles changent radicalement. Mais des obstacles demeurent, à la fois conjoncturels et culturels. Alors que notre économie subit la plus grave crise qu’elle ait connue depuis longtemps, avec des incidences fortes en matière d’emploi, ce n’est certainement pas le moment le plus favorable pour modifier ces pratiques. Par ailleurs, comment amener les salariés à souhaiter travailler plus longtemps – je mets de côté ceux qui exercent un métier dit pénible ?

Pour ce qui est de la pénibilité, on a jusqu’à présent été surtout confronté, dans les milieux industriels qui sont les premiers concernés, à des situations de travail pénibles sur le plan physique, dommageables pour les intéressés et pour la collectivité. Ces situations présentaient l’avantage, si je puis m’exprimer ainsi, d’être facilement identifiables, ce qui facilitait la recherche d’une solution. Chacun s’accorde à reconnaître que les conditions de travail se sont globalement améliorées sur le plan physique, même si des progrès restent encore à faire. Mais, dans le même temps, sont apparus de nouveaux problèmes liés à une pénibilité psychique, beaucoup plus difficile à cerner, notamment parce qu’il peut exister des interactions entre facteurs personnels et facteurs professionnels. Lors de leurs négociations, les partenaires sociaux avaient intégré dans leur projet d’accord la dimension psychique de la pénibilité et, pour notre part, nous avons bien en tête ces deux aspects, physique et psychique. Des initiatives ont été prises récemment, à la fois par l’État et par les partenaires sociaux, dont je veux pour preuve l’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail, qui ouvre des pistes de réflexion et permet d’envisager des plans d’action. S’il ne faut pas nier la réalité, et nous ne la nions pas, nous n’acceptons pas en revanche les généralisations hâtives sur la souffrance au travail. Entre les personnes qui souffrent de n’avoir pas d’emploi et celles qui souffrent au travail, il existe vraisemblablement un point d’équilibre raisonnable, sur lequel il serait sain que nous puissions nous entendre.

Pour ce qui est des cessations anticipées d’activité pour inaptitude ou invalidité, nous explorons deux voies sans avoir encore tranché. La première serait de gérer « le stock ». Mais est-il opportun de continuer de permettre à des personnes, même ayant travaillé dans des conditions reconnues pénibles et dont l’état a été constaté sur le plan médical, de partir plus tôt en retraite si on relève l’âge légal de départ ? La deuxième serait d’avoir une approche différente concernant l’inaptitude et l’invalidité. Mais se posent inévitablement des questions de financement. La branche accidents du travail-maladies professionnelles est aujourd’hui en déficit de 5 millions d’euros.

M. Roland Muzeau. Il ne serait pas inintéressant de se demander pourquoi !

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Certains d’entre vous l’ont dit, même conjugués, le relèvement de l’âge légal de départ et l’augmentation de la durée de cotisation ne suffiraient pas à combler le déficit structurel des régimes de retraite. Où trouver donc de nouvelles ressources ?

Le MEDEF insiste fermement sur la nécessité de ne pas augmenter le niveau des cotisations, notamment parce que, jusqu’à présent, on a beaucoup plus utilisé ce paramètre-là que tous les autres et qu’en dépit de cela, l’équilibre n’est pas assuré. Il ne serait donc pas raisonnable de continuer sur la même voie.

Certains d’entre vous m’ont interrogé sur l’assiette des cotisations. Il y a bien sûr la question, hautement symbolique, des stock-options. On peut certes débattre de l’opportunité de leur existence mais, il faut savoir que les taxer à 100 %, c’est-à-dire de fait les condamner à disparaître, ne rapporterait aujourd’hui que 2 milliards d’euros. Nous pensons, nous, que, sous réserve qu’elles soient bien encadrées, les stock-options sont un élément important pour la motivation des salariés et le développement des entreprises.

S’agissant de l’intéressement et de la participation, nous pensons non seulement qu’il ne faut pas les fiscaliser davantage mais, au contraire, les rendre encore plus incitatifs, en particulier pour les PME et les TPE. Cette spécificité française-là, contrairement à tant d’autres qui nous singularisent par rapport à nos partenaires européens, nous paraît intéressante. L’intéressement et la participation permettent, en effet, d’associer les salariés au développement de leur entreprise et de mettre en place à leur profit une épargne complémentaire de longue durée. Lorsque nous parlons de capitalisation, nous ne souhaitons nullement qu’un régime de retraite par capitalisation se substitue au régime actuel par répartition, auquel nous sommes très attachés. Nous disons simplement qu’au vu des aléas qui pèsent sur le dispositif actuel, il est normal de rechercher une diversification, mineure, en complément. Nous souhaiterions donc qu’on encourage l’intéressement et la participation. On peut aussi imaginer, comme cela se pratique dans certains pays, qu’une partie de cette épargne bloquée sur une longue durée, constitue une ressource pour les PME et TPE, qui en ont plus que jamais besoin.

M. le président Pierre Méhaignerie. Que les entreprises versent un treizième ou un quatorzième mois, soit ! Mais, vous ne l’ignorez pas, c’est une façon pour elles de s’exonérer de cotisations sociales sur les sommes versées, et ce à un moment où nos comptes sociaux connaissent de graves problèmes d’équilibre. Par ailleurs, un salarié qui ne perçoit toujours que le SMIC ou 1,5 SMIC après quinze ans d’activité se sent toujours smicard, même s’il reçoit un treizième ou un quatorzième mois. L’intéressement et la participation ne présentent pas que des avantages : outre qu’ils peuvent paradoxalement conduire les salariés à se sentir toujours mal considérés et nuire donc à leur motivation, ils ne sont pas neutres sur l’équilibre des régimes sociaux

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. J’en conviens. En dépit de ces difficultés, qui sont réelles, nous persistons à penser que ce dispositif présente plus d’avantages que d’inconvénients et qu’une partie des inconvénients pourrait être réglée s’il était étendu aux PME. Par ailleurs, par expérience du monde de l’entreprise, dans des environnements très différents, je puis assurer que, contrairement, là encore, aux idées reçues, ce sont les salariés aux revenus les plus modestes qui épargnent le plus dans le cadre des dispositifs d’intéressement avec épargne.

Nous partageons l’avis selon lequel, dans l’approche paramétrique qui nous a été, à ce stade, fixée pour cadre de réflexion, même conjugués, le recul de l’âge légal de départ et l’augmentation de la durée de cotisation ne suffiront pas, selon toute vraisemblance, à rétablir l’équilibre des comptes. On peut dès lors légitimement se demander s’il ne faudrait pas élargir la réflexion. Pour l’heure, nous nous en tenons au cadre fixé par le Gouvernement.

Sur tous ces sujets, la dimension humaine et pédagogique est très importante. D’une manière générale, nos concitoyens, sauf peut-être les fonctionnaires, n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils paient pour leur retraite ni de ce qu’ils toucheront, ce qui crée d’ailleurs un climat anxiogène. Si, à un moment où la visibilité est déjà faible, on remet tout sur la table dans le délai bref qui a été imparti, cela risque vraiment de susciter des problèmes. Il nous faut explorer tout le champ des possibles dans le cadre qui nous a été fixé – des points d’accord seront trouvés et des divergences demeureront, comme il est d’ailleurs normal en démocratie. Nous ne nous interdisons pas, dans un deuxième temps, de nous demander s’il n’y aurait pas lieu de réfléchir, dans un cadre totalement différent, à l’architecture globale de notre système de retraites. La dernière réforme des retraites menée en Allemagne, qui a notamment touché aux règles de l’emploi sur le marché du travail, a pris plus de deux ans. Si se fait jour une volonté partagée de s’orienter vers une telle réflexion approfondie, il faudra prendre le temps nécessaire et choisir le moment le plus opportun pour la mener. Nous ne sommes pas dogmatiques. Il est urgent de trouver des solutions aux difficultés actuelles des régimes par répartition. Cela n’exclut pas, si les conditions sont réunies, une réflexion de fond plus large.

Pour ce qui est d’une éventuelle fusion des régimes, vous me ferez certainement valoir que je suis partial, mais je l’assume. Force est de constater que les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, gérés par les partenaires sociaux, le sont bien mieux que les régimes publics gérés par l’État. C’est là un avis que les organisations syndicales semblent d’ailleurs partager avec nous. Nous sommes donc assez réservés à ce stade sur l’instauration d’un régime universel. Si devait un jour s’ouvrir une réflexion sur le sujet, elle devrait prendre place au sein d’une réflexion plus globale sur l’architecture même de notre système de retraites, où tous les aspects seraient abordés.

M. le président Pierre Méhaignerie. Que faudrait-il faire, selon vous, de courageux et juste ?

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Il y a les symboles, comme les stock-options ou les « retraites chapeau ». Pour ce qui est de ces dernières, des mesures ont été prises, comme en attestent les derniers rapports annuels des grands groupes du CAC 40 : la quasi-totalité de ces privilèges, réservés à un nombre restreint de dirigeants, vont progressivement s’éteindre – c’était inéluctable. En revanche, les engagements pris antérieurement par les entreprises ne peuvent être remis en cause. Quelle indignation, légitime, ne susciterait pas la remise en question d’avantages acquis, quels que soient d’ailleurs ceux à qui ils profitent ! Les « retraites chapeau » ont vocation à disparaître, telle est en tout cas notre position. Mais les hommes et les femmes qui, dans le cadre de leur contrat de travail, ont acquis au fil des ans certains avantages ne peuvent se les voir supprimer du jour au lendemain. Si vous pensez le contraire, il faudrait en ce cas, par simple équité, considérer que si certains avantages acquis peuvent être remis en cause, tous peuvent l’être.

S’agissant des stock-options, la fiscalité qui leur est applicable est désormais quasiment la même que celle s’appliquant aux autres éléments de rémunération.

M. Roland Muzeau et M. Michel Issindou. Ce n’est pas l’avis de la Cour des comptes !

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Les taxer à 100 % ne rapporterait, je l’ai dit, que 2 milliards d’euros.

M. Roland Muzeau. C’est un symbole.

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Il est beaucoup d’autres symboles… L’équité exigerait de les examiner tous.

M. Roland Muzeau. Il n’y en a pas chez les smicards ! Et les stock-options, c’est tout de même un symbole qui vaut plusieurs milliards d’euros.

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Nous sommes ouverts pour discuter de tous les symboles, sous réserve que l’approche ne soit pas sélective, dans un sens non conforme à l’équité.

Pour le reste, sortant d’une réunion consacrée à l’évaluation des politiques de l’emploi en France, je puis dire que le coût global de ces politiques sur la durée, rapportée à leur efficacité, peut laisser perplexe. Une partie des crédits qui y sont actuellement consacrés pourrait sans doute être utilement affectée à la résorption du déficit des régimes de retraite. Nous ne sommes pas du tout opposés à une réflexion sur des rééquilibrages de cette nature.

S’agissant de prélèvements comme l’impôt, le MEDEF a toujours dit qu’il n’avait pas vocation à se prononcer sur le sujet. On parle beaucoup du bouclier fiscal, mais il y a aussi un bouclier social. Quel est le pourcentage de ménages aujourd’hui exonérés d’impôt sur le revenu ?

(M. Bernard Perrut, vice-président, remplace
M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance).

M. Bernard Perrut, président. Vous avez, monsieur, bien posé les problèmes et engagé le débat. La solution ne sera certainement pas simple. Il faudra trouver des points de convergence. Vous avez ouvert des voies, en rappelant notamment l’ampleur du montant aujourd’hui consacré aux politiques de l’emploi dont on peut douter, pour certaines d’entre elles du moins, de l’efficacité. Certains dispositifs en faveur de l’emploi devraient en revanche être améliorés et d’autres étendus, je pense notamment au contrat de transition professionnelle. C’est tout cet ensemble qu’il faudra prendre en compte.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je pense comme vous, monsieur Pilliard, qu’il conviendra à l’occasion de cette réforme des retraites, même si ce n’est pas au départ le sujet, s’interroger sur l’ensemble de nos politiques de l’emploi. Il nous faudra, pour notre part, le faire au sein de nos deux commissions des affaires sociales et des affaires économiques.

Je comprends l’agacement de mes collègues Michel Issindou et Roland Muzeau devant des avantages proprement exorbitants accordés à certains dans leur contrat de travail. Mais je comprends également votre réponse, monsieur, car ce serait en effet ouvrir une brèche extrêmement dangereuse que de remettre en cause par la loi certains éléments des contrats de travail. Pour le reste, et je suis heureux que ce soit aussi votre avis, je ne vois pas d’autre solution pragmatique que l’extinction des dispositifs comme les « retraites chapeau ». Si cette solution présente l’inconvénient de ne pouvoir être mise en œuvre que pour l’avenir et progressivement, elle respecte les principes et les équilibres généraux du droit.

Une idée, fort désagréable, de remettre en cause les bonifications d’annuités accordées aux mères de famille commence de se faire jour. Quelle est votre position sur le sujet ?

Sur la pénibilité, question éminemment complexe, les négociations ont échoué, on ne peut que le regretter. Ce n’est pas ici le lieu de savoir qui en porte la responsabilité : chacune des parties porte sa part dans cet échec. Mais, il est un point qui n’a été abordé ni par les syndicats, ni, à ma connaissance, par le patronat, qui est de savoir s’il serait possible d’avoir une approche différente de la pénibilité, et si oui comment, selon les secteurs d’activité et les branches – on sait parfaitement que certaines branches, comme la métallurgie, la chimie, ou encore le transport, concentrent plus de métiers pénibles que d’autres. Les organisations patronales vous paraissent-elles soudées dans une perspective comme celle-là ?

M. Jacques Domergue. Il est impératif que de cette réforme des retraites ressorte un sentiment d’équité. Sinon, on court à l’échec.

Vous avez indiqué, monsieur, que l’État avait fixé les règles du jeu et limité le champ de la réflexion aux seules évolutions de notre régime de retraite par répartition, et que vous n’avez par conséquent pas envisagé d’autre dispositif. Mais, il semblerait que vous puissiez, le cas échéant, dévoiler d’autres pistes. Pourriez-vous nous dire lesquelles ?

Enfin, d’un côté, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail et il y a peu de chances que cette tendance change sous peu. D’un autre côté, les salariés ont du mal à rester dans les entreprises au-delà d’un certain âge, comme en atteste le pourcentage de 16 % seulement de nos concitoyens qui travaillent au-delà de 60 ans. Dans ces conditions, devons-nous entériner l’idée que quasiment aucun d’entre nous ne pourra bénéficier d’une retraite à taux plein ?

M. Régis Juanico. La négociation entre partenaires sociaux sur la pénibilité a été une occasion manquée, je le regrette, d’autant qu’il existait des points d’accord comme sur la définition même de la pénibilité, les facteurs d’exposition… Et le volet prévention aurait pu faire l’objet d’un accord si tous l’avaient voulu. Il ne sert à rien de chercher aujourd’hui à qui imputer la responsabilité de l’échec. Le problème est que le sujet de la pénibilité, puisqu’il n’a pas été traité auparavant, va l’être dans le cadre de la réforme des retraites. Les désaccords entre partenaires sociaux portaient notamment sur le financement, les conditions d’accès au dispositif, la population-cible… Comment pensez-vous parvenir à les réduire ? Chacun devra faire un pas, car la pénibilité sera nécessairement l’un des volets du futur projet de loi. Ne regrettez-vous pas finalement que ce sujet soit rouvert à l’occasion de la réforme des retraites ?

M. Bernard Perrut, président. Comme l’a dit Jacques Domergue, l’équité devra être au fondement de la future réforme. Pourriez-vous nous dire comment vous voyez, vous, la justice sociale ?

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Monsieur Poisson, nous n’avons aucune intention belliqueuse à l’encontre des mères de famille, ni des femmes en général. Le système actuel de retraites est source d’inégalités criantes, dont les femmes sont les premières victimes. Nous sommes de ceux qui pensent que la future réforme devrait être l’occasion de gommer tout ou partie de ces inégalités.

S’agissant de la pénibilité, que serait-il possible de faire au niveau des entreprises, des branches et des inter-professions ?

M. Jean-Frédéric Poisson. L’une des difficultés tient au fait que les branches où il existe le plus de facteurs d’exposition sont précisément celles où les marges de manœuvre financières sont les plus faibles.

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. L’entreprise et la branche paraissent, à ce stade, les lieux les plus appropriés pour, dans le cadre du dialogue social, définir la pénibilité, identifier les situations spécifiques ainsi que les environnements sources de pénibilité, physique ou psychique. Dans la métallurgie, j’ai récemment signé un accord avec les organisations syndicales concernant les seniors, dont un chapitre traite du sujet. Y est défini de manière précise et rigoureuse ce qu’on entend par « situation spécifique de pénibilité. »

M. Jean-Frédéric Poisson. Il faut aussi tenir compte des durées d’exposition.

M. le président de la commission Protection sociale du MEDEF. Tout à fait. Ce sont les entreprises et les branches qui peuvent engager des plans d’action. Demeure la question du financement. En effet, vous l’avez dit, les secteurs où la pénibilité, au moins physique, plus facile à identifier, est la plus fréquente, sont précisément ceux où les marges sont les plus faibles et le niveau de compétitivité le plus crucial. C’est pourquoi le MEDEF a toujours considéré qu’il faudrait, d’une façon ou d’une autre, mutualiser le financement, quelle que soit la réponse apportée. Une telle mutualisation existe déjà dans le domaine de l’emploi : des branches où le taux de chômage est faible payant proportionnellement davantage que d’autres où le taux de chômage est plus fort.

Un travail considérable a déjà été accompli par les partenaires sociaux sur le sujet de la pénibilité. Je pense qu’il faut reprendre le débat en s’inspirant largement de ce qui a déjà été réalisé, notamment en ce qui concerne le volet prévention. Sur le volet réparation, les positions n’étaient pas très éloignées concernant la définition des situations de pénibilité. Mais, le MEDEF est hostile à une mesure générale qui aboutirait à recréer des régimes spéciaux alors que des mesures ont été prises pour les faire disparaître progressivement. Nous souhaitons que, pour l’évaluation des situations, on croise l’exposition à des situations dites de pénibilité et les conséquences individuelles de cette exposition, attestées médicalement. Vous connaissez tous les évolutions de la jurisprudence s’agissant de l’amiante. Nous comprenons parfaitement le drame des personnes qui ont été exposées à ce matériau et estimons normal que des réponses soient apportées. Mais, une approche systématique serait, elle, source d’autres drames, entraînant la disparition pure et simple d’entreprises, et donc d’emplois. Il faut adopter une approche à la fois rigoureuse et équilibrée, afin d’éviter tous excès, toujours préjudiciables à la collectivité.

Pour ce qui est de la justice sociale – ce pourrait être le sujet d’une thèse de philosophie ! –, ce n’est pas ici et à cette heure que je pourrai en exposer notre conception. En quelques mots toutefois, je dirai qu’à nos yeux, la responsabilité vis-à-vis des générations futures fait partie intégrante de la justice sociale. La justice sociale, c’est, d’un côté, permettre aux actifs d’avoir le niveau de vie et l’environnement de travail qu’on est en droit d’attendre dans un pays moderne comme le nôtre et, d’un autre côté, garantir aux générations futures une réponse durable à la question des retraites. Il ne faudrait surtout pas dans la future réforme se limiter à des aménagements à la marge, car cela aurait pour conséquence de devoir rouvrir le débat dans deux ans pour procéder à de nouveaux aménagements à la marge. Tous nos concitoyens, quelle que soit leur sensibilité, vivent aujourd’hui dans une anxiété insupportable sur le plan humain, qui est préjudiciable à l’efficacité économique.

M. Bernard Perrut, président. Il me reste, monsieur, à vous remercier, ainsi que les personnes qui vous accompagnaient, au nom de l’ensemble de la Commission.

La séance est levée à 12 heures 50.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 28 avril 2010 à 10 heures

Présents. – M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, Mme Véronique Besse, Mme Valérie Boyer, M. Yves Bur, M. Pierre Cardo, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Cécile Dumoulin, Mme Cécile Gallez, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Maxime Gremetz, Mme Anne Grommerch, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Olivier Jardé, M. Paul Jeanneteau, M. Régis Juanico, M. Guy Lefrand, M. Jean-Marie Le Guen, M. Jean-Claude Leroy, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Guy Malherbe, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, M. Roland Muzeau, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, Mme Martine Pinville, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Jean-Luc Préel, M. Simon Renucci, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean Ueberschlag

Excusés. – M. Jean Bardet, M. Georges Colombier, Mme Laurence Dumont, M. Yvan Lachaud, Mme Catherine Lemorton, Mme Bérengère Poletti