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Commission des affaires sociales

Mardi 22 juin 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 61

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition de M. Pierre Khalfa, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, sur la réforme des retraites

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 22 juin 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Pierre Khalfa, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, sur la réforme des retraites.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous poursuivons notre cycle d’auditions des partenaires sociaux sur la réforme des retraites, en recevant M. Pierre Khalfa, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, et Mme Thi Trinh Lescure, déléguée adjointe de l’Union syndicale Solidaires - Fonctions publiques et assimilés.

Nous aimerions savoir, madame, monsieur, quelles sont vos réactions par rapport au projet de réforme du Gouvernement et quelles sont vos propositions alternatives.

M. Pierre Khalfa, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Nous remercions la commission de nous accueillir.

Nous sommes totalement opposés au projet que le Gouvernement vient de rendre public. Nous considérons que la logique qu’il met en avant, à savoir travailler plus longtemps pour répondre aux problèmes des retraites, est fondamentalement injuste et constitue une importante régression sociale par rapport au sens même que la retraite a pris au cours du XXe siècle.

Quand les retraites ont commencé à être mises en place au début du XXe siècle – nous fêtons cette année le centième anniversaire de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes –, elles ont donné lieu à un débat et un certain nombre de gens, notamment les syndicalistes, ont fait remarquer qu’était instituée en fait une retraite pour les morts, ce qui, à l’époque, était assez vrai puisque, non seulement le niveau des retraites était très bas, mais encore les gens mouraient quasiment au moment où ils prenaient leur retraite. L’accroissement de l’espérance de vie et l’augmentation du niveau des retraites ont entraîné un changement radical. Or, les mesures prises dernièrement – réformes de 1993, puis de 2003 – et celles proposées maintenant par le Gouvernement visent à revenir sur cet acquis social fondamental – que l’on peut même qualifier d’acquis de civilisation –, d’une part, en réduisant le montant des pensions – car c’est à cela qu’aboutiront en fin de compte ces mesures – et, d’autre part, en voulant faire travailler les salariés plus longtemps.

Les arguments développés pour justifier cette réforme – « on vit plus vieux, donc il faut travailler plus longtemps » ; « sans ces réformes, nous n’aurons pas les moyens financiers de payer les retraites à l’avenir » – nous semblent erronés.

L’accroissement de l’espérance de vie ne date pas d’aujourd’hui. Il a commencé il y a environ 250 ans, s’est accéléré au XXe siècle et s’est accompagné, entre 1930 et l’an 2000, d’une baisse de la durée passée au travail d’une vingtaine d’années pour les hommes – la seule statistique que nous connaissons concerne les hommes. Pendant le même temps, a été enregistrée une augmentation à la fois du pouvoir d’achat des salariés, des profits des entreprises et de la production. Donc, on ne voit pas pourquoi ce qui a été possible par le passé ne le serait plus dans l’avenir. Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, le rythme d’accroissement de l’espérance de vie n’augmente plus. Il diminue.

Parler d’une croissance de l’espérance de vie d’un trimestre pas an, c’est confondre volontairement croissance de l’espérance de vie à la naissance, qui est effectivement d’un trimestre par an, et croissance de l’espérance de vie à 60 ans, qui n’est que de 0,4 trimestre par an. Dans le cadre des retraites, c’est cette dernière qu’il faut prendre en compte.

Qui plus est, il faut considérer l’espérance de vie en bonne santé. À 60 ans, celle-ci est moitié moindre que l’espérance de vie tout court, ce qui signifie que ce qui est demandé aux salariés dans la réforme du Gouvernement, c’est de passer les meilleures années de leur retraite future au travail. Or, ces dernières sont, comme nous le savons tous, les pires années au travail, car les conditions de travail se dégradent et les salariés sont fatigués et usés.

Depuis environ une cinquantaine d’années, la période de retraite a progressivement changé de sens : elle est devenue un temps d’activités choisies, socialement utiles. Les retraités ont de nombreuses occupations, au service de la société. Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps revient à remettre en cause cet acquis de civilisation fondamental, qui a fait de la période de retraite un nouveau temps d’activité, en bonne santé et avec des revenus qui ne se sont pas encore totalement effondrés. C’est pour nous totalement inacceptable.

Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps est à la fois hypocrite et dangereux.

Hypocrite, car on sait très bien que, aujourd’hui, six salariés sur dix sont hors emploi au moment de liquider leur retraite et que l’âge de cessation d’activité est inférieur à 59 ans. Comme les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, si la durée de cotisation est augmentée, comme elle l’a été et comme il est prévu qu’elle le soit encore au moins jusqu’en 2020, les salariés auront de plus en plus de difficulté à cotiser le nombre d’annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, ce qui signifie qu’on organise ainsi, en fait, la baisse du niveau des pensions. Celle-ci a déjà commencé puisque, de 80 %, en moyenne, en 1993, le taux de remplacement est passé à 72 % en 2008-2009 et passerait, si aucune mesure n’était prise, à 59 % à l’horizon de 2050.

Vouloir faire travailler les salariés plus longtemps est également dangereux car le fait de reculer également la borne supérieure, correspondant à l’âge de départ à la retraite à taux plein, placera dans la zone grise du hors emploi et du hors retraite toute une série de personnes qui n’ont pas les moyens de partir à la retraite à 60 ans et qui devront continuer à attendre dans des situations assez précaires le moment de pouvoir partir à la retraite, soit à 62 ans, soit, pire, à 67 ans – ce qui pénalisera encore les femmes, car elles sont 30 % à partir à 65 ans aujourd’hui.

La situation des retraités va donc gravement se dégrader.

Est-il possible de faire autrement ? Autrement dit, est-il possible de financer la retraite ? Nous pensons que oui, mais à condition de lever un tabou auquel le Gouvernement refuse de toucher : accompagner l’augmentation du nombre de retraités par l’accroissement de la part de la richesse produite revenant aux retraités.

La part des retraites dans le PIB était de 5 % en 1950. Elle est aujourd’hui d’environ 13 %. Suivant le pire scénario du Conseil d’orientation des retraites d’avril 2010, pour maintenir le taux de remplacement au niveau de ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire à 72 %, et dans l’hypothèse – que nous ne pouvons pas accepter – d’un allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités à l’horizon 2020, il faudrait trois points de PIB supplémentaires à l’horizon de 2050 pour financer l’ensemble des 35 régimes de retraite. Suivant le Conseil d’orientation des retraites, cela correspond à un prélèvement supplémentaire de 10,4 points, ce qui, lissé sur quarante ans, fait 0,26 point par an. Qui peut prétendre que 0,26 point de prélèvement supplémentaire par an sur une quarantaine d’années va mettre en danger l’économie française ? C’est totalement absurde.

Le choix que nous privilégions est donc une faible augmentation, année après année, du taux de cotisation. Il est difficile de calculer à quoi cela correspondrait parce que ni les masses financières, ni les taux de cotisation ne sont homothétiques mais l’augmentation serait, de toute façon, inférieure à 0,26 point, puisque ce taux concerne l’ensemble des régimes de retraite.

Cela est d’autant plus simple à faire, d’un point de vue économique, que la part des salaires – au sens global du terme, c’est-à-dire en considérant à la fois le salaire direct et les cotisations sociales – dans la valeur ajoutée, c’est-à-dire la richesse créée par les entreprises, a diminué en une trentaine d’années d’environ 9 points, tandis que les dividendes versés aux actionnaires ont considérablement augmenté, passant de 3,2 % à 8,5 % du PIB entre 1982 et 2007. Cette augmentation ne répond à aucune nécessité économique. Elle n’accroît pas d’un iota la compétitivité des entreprises, puisque les dividendes versés aux actionnaires sont une ponction faite sur la richesse créée par ces dernières.

Il suffirait donc d’augmenter chaque année la part des cotisations patronales de toutes petites fractions – inférieures à 0,26 point – et de diminuer dans le même temps, et dans la même proportion, les dividendes versés aux actionnaires pour régler le problème de financement des retraites. L’investissement productif n’étant pas touché, on ne nuirait pas à la compétitivité des entreprises. On donnerait simplement un petit coup d’arrêt à l’accaparement par une petite minorité de possédants de la richesse créée par les salariés dans les entreprises.

Notre solution, comme vous le voyez, est aux antipodes de ce que propose le Gouvernement.

M. le président Pierre Méhaignerie. Existe-t-il un pays qui, pour vous, est une référence ?

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. C’est une question intéressante, dont je perçois néanmoins le piège.

Depuis maintenant à peu près une trentaine d’années, des mesures similaires à celles que le Gouvernement s’apprête à prendre sont adoptées dans la plupart des pays européens.

M. Élie Aboud. Elles sont plus dures dans les autres pays.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. En France, nous avons la double peine – l’allongement de la durée de cotisation et le report de l’âge de départ à la retraite – alors que, dans les autres pays, si l’âge de départ à la retraite est reporté, le nombre d’annuités nécessaires pour avoir une retraite à taux plein est beaucoup plus faible. Mais il est vrai que, globalement, toutes les mesures vont dans le même sens.

Je ne discuterai pas du bien-fondé de ces mesures dans ces pays, mais m’attarderai quelques instants sur la question de la démographie, qui est parfois mise en avant.

Vous n’êtes pas sans savoir que la situation démographique de la France est assez exceptionnelle, puisque l’indice conjoncturel de fécondité, qui mesure le nombre d’enfants par femme année après année, est aujourd’hui supérieur à 2.

Mme Martine Billard. 2,14, selon les chiffres publiés, il y a quinze jours, par l’INSEE.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. L’Allemagne peine avec un taux inférieur à 1,4, de même que l’Espagne avec un taux de 1,3. Je ne parle pas des anciens pays de l’Est où la démographie s’est totalement effondrée.

Donc, vouloir appliquer des mesures au motif qu’elles le sont dans d’autres pays, alors que la situation démographique est totalement différente, est aussi absurde que de vouloir appliquer la même politique de chauffage d’Helsinki à Palerme !

Enfin, la France a été le premier pays européen à mettre en place les congés payés. Donc, l’argument de comparaison ne vaut pas raison en la matière.

M. le président Pierre Méhaignerie. J’ai été ministre de l’agriculture entre 1976 et 1981. En 1981, François Mitterrand a demandé un rapport d’évaluation de la politique de son prédécesseur. Celui-ci a été rédigé par M. Bloch-Lainé. La critique essentielle qui nous était faite était que nous n’avions pas assez investi : M. Giscard d’Estaing aurait mené une politique travailliste, en privilégiant le travail au détriment du capital et de l’investissement d’avenir. C’est François Mitterrand qui, en 1982, a fait chuter de huit points la part de la valeur ajoutée allant au travail, ce qui montre que, quand on est dans l’opposition, il est facile de jouer au Père Noël, mais que, quand on devient ensuite la majorité, on peut avoir des déconvenues fantastiques.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Vous avez tout à fait raison. Cet épisode est connu sous le nom de « tournant de la rigueur » et marque un changement de politique radical entre 1983 et 1989.

Cela dit, l’histoire est l’histoire. J’espère que le parti socialiste a tiré le bilan de cette période. Nous le verrons dans le futur.

M. Élie Aboud. En tout cas, les membres du groupe socialiste sont aujourd’hui absents de la commission.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Vous aurez remarqué que, dans la proposition que nous faisons, nous ne touchons absolument pas à l’investissement productif, puisque nous ne prenons qu’à la rente.

M. le président Pierre Méhaignerie. Mais le capital circule.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Peut-être trop d’ailleurs. Si on l’empêchait de circuler autant, peut-être n’aurions-nous pas eu la crise financière que nous connaissons actuellement, laquelle s’accompagne d’une crise de l’Union européenne, d’une crise de l’euro et d’une crise des dettes publiques. Mais, c’est sans doute une autre discussion.

M. Denis Jacquat. En France, nous voulons sauver notre système par répartition. C’est pourquoi, il est proposé une réforme paramétrique et non systémique, tandis que la Suède a opté pour les comptes notionnels, suivie en cela par l’Italie et la Pologne, et que l’Allemagne a choisi de combiner un système par points avec de l’épargne retraite.

La compétitivité de notre pays doit entrer en ligne de compte et l’on doit se demander jusqu’à quel niveau on peut porter les cotisations dans un pays qui est déjà champion pour les prélèvements obligatoires. Pour faire une politique sociale, il faut de l’emploi et donc de l’argent.

Personnellement, je trouve le texte présenté par le Gouvernement bien équilibré dans le contexte difficile actuel.

Pour le reste, chacun exprime ses convictions.

Mme Martine Billard. Pour ma part, je partage l’analyse qui a été faite.

Je précise que les derniers chiffres de l’INSEE donnent comme indice de descendance finale de la génération des femmes nées en 1957, qui n’ont donc plus l’espoir d’avoir d’enfants – encore que les miracles de la science peuvent en rajouter deux ou trois à la marge –, le chiffre de 2,14.

J’aimerais connaître, madame, monsieur, vos réactions sur les mesures proposées dans le texte du Gouvernement sur la pénibilité et les longues carrières.

M. Élie Aboud. Vous avez employé, monsieur Khalfa, des mots forts comme régression sociale, injustice sociale, hypocrisie. C’est votre droit, nous sommes en démocratie. Toutefois, je tenais à les relever.

Vous avez parlé de chiffres erronés. Je soulignerai deux remarques que vous avez faites qui me paraissent, selon moi, elles aussi, erronées.

Premièrement, vous avez dit que les salariés étaient fatigués après 60 ans. Or, tous les épidémiologistes et tous les professionnels de la santé font état d’une baisse de la morbidité après 60 ans.

Deuxièmement, vous affirmez qu’à 58 ou 59 ans, une bonne partie des Français ne sont déjà plus en situation d’activité professionnelle.

Mme Martine Billard. Ce sont les chiffres : 40 % sont au chômage ou en invalidité.

M. Élie Aboud. Il est curieux de constater qu’à cet âge-là, ils cherchent à travailler encore. Il y a donc une contradiction de fond dans ce que vous dites.

M. Bernard Perrut. Bien que nous ayons été un peu surpris par la teneur de certains de vos propos, qui semblaient nier la réalité du rapport démographique et le bon sens des mesures proposées par le Gouvernement, nous vous avons écouté avec tout le respect que nous commande la procédure d’audition en commission.

Que pensez-vous de la convergence entre le secteur privé et le secteur public et de l’existence de régimes spéciaux ?

Quelle est votre approche de la pénibilité du travail ?

M. Dominique Dord. Vous avez dit qu’il vaudrait mieux que le capital circule un peu moins. Par quels moyens ?

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Vous avez souligné que la France ne s’était pas engagée dans une réforme systémique. Je me permettrai un petit aparté sur la notion de réforme, car il est important de s’entendre sur les mots. Il y a encore une vingtaine d’années, le mot « réforme » avait une connotation positive : cela signifiait un changement en mieux. Aujourd’hui, quand on entend ce mot, il est compris comme un changement en pire. En l’occurrence, la « réforme » des retraites de 1993 a entraîné, comme je l’ai déjà indiqué, une baisse non négligeable du taux de remplacement, qui est passé de 80 % avant la réforme à 72 % actuellement et qui, selon le Conseil d’orientation des retraites, risque de chuter à 59 % en 2050, si l’on continue dans la même logique.

Je ne nie absolument pas la réalité démographique. Mais, il y a plusieurs façons de la prendre en compte. Quand le nombre de retraités augmente, soit on fait porter l’ajustement sur les retraités eux-mêmes – ils doivent travailler plus longtemps ou leur niveau de pension baisse, ou les deux –, soit on dote les régimes de retraite de ressources supplémentaires. La solution que nous proposons est la seconde. Je n’ai pas inventé les chiffres que j’ai cités, ce sont ceux du Conseil d’orientation des retraites. Je ne nie absolument pas le fait qu’il y ait des évolutions démographiques ; ce que je conteste, c’est la façon dont le Gouvernement y répond. Je me place dans le cadre d’un débat politique, et non dans celui de discussions sur l’évolution démographique.

Certes, l’espérance de vie en bonne santé augmente, mais les rapports de l’Institut national des études démographiques – INED – indiquent qu’elle est moitié moindre que l’espérance de vie tout court. Si votre espérance de vie à 60 ans est estimée à quinze ou dix-huit ans, cela signifie que vous pouvez espérer être en bonne santé la moitié de ce temps.

La démarche proposée par le Gouvernement pour prendre en compte la pénibilité est individuelle, médicalisée et fondée sur le handicap. Pour qu’une personne puisse bénéficier de la mention « pénibilité », il faut qu’elle ait 20 % d’incapacité. C’est une rupture avec la façon dont la pénibilité au travail était conçue jusqu’à présent car, celle-ci était attachée aux métiers exercés. On glisse de la notion de pénibilité au travail vers celle de handicap.

M. le président Pierre Méhaignerie. L’Union professionnelle artisanale nous a indiqué ne pas vouloir que les professions qu’elle représente soient stigmatisées par la mention « métiers pénibles », car elle craint que, dans ces conditions, plus personne ne veuille exercer des métiers artisanaux.

Par ailleurs, d’autres organisations, y compris syndicales, mettent en avant que, si la pénibilité est traitée de manière collective, les entreprises ne feront plus d’efforts de prévention.

Enfin, il est très difficile de distinguer, même au sein d’une même entreprise, les métiers pénibles de ceux qui ne le sont pas. Les difficultés à prendre en compte sont telles qu’aucun pays n’a vraiment traité le dossier des métiers pénibles par la voie collective.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. D’abord, en tant que syndicalistes, nous essayons de prendre des mesures pour diminuer la pénibilité au travail. Nous ne sommes pas pour que les travailleurs exercent des métiers harassants et partent quelques années plus tôt à la retraite.

Ensuite, il existe des métiers pénibles. Leur identification doit être laissée à la négociation collective. Dans la fonction publique, il existe encore – c’est heureux – la notion de service actif, qui permet aux salariés de partir plus tôt à la retraite.

Un exemple de métier déclaré pénible, qui n’existe plus aujourd’hui, était l’installation de lignes de télécommunication dans les égouts.

C’est à la négociation collective que revient la tâche de dire si un métier est pénible ou non. Ensuite, si les entreprises ou les branches professionnelles veulent voir disparaître le tampon d’infamie « métier pénible », elles devront prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de travail. En ce sens, dire de tel métier qu’il est pénible peut être un point d’appui pour aider à améliorer les conditions de travail.

Mme Thi Trinh Lescure, déléguée adjointe de l’Union syndicale Solidaires. Il est choquant de penser que la pénibilité d’un métier ne sera prise en compte qu’à partir du moment où le travailleur qui l’exerce sera « cassé ».

Si certains de ceux qui exercent le métier d’éboueur sont de constitution solide et en excellente santé, d’autres sont physiquement beaucoup plus faibles. Pourtant, ils font le même métier. Traiter le problème au cas par cas et attendre qu’un travailleur soit « abîmé » à 20 % pour reconnaître un travail pénible n’est pas, pour nous, une bonne mesure. On aura beau améliorer les conditions de travail des éboueurs, le métier restera toujours le même : ils auront toujours à porter des poubelles.

Certains métiers sont pénibles, et tout le monde le sait. Il ne faut pas attendre que ceux qui les exercent soit « cassés », pour prendre en compte leur pénibilité.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Je suis favorable à la convergence entre le secteur public et le secteur privé. Mais, là encore, tout dépend du sens que l’on donne au mot « convergence », comme au mot « équité ». Si cela signifie aligner tout le monde vers le bas, vous comprendrez qu’un syndicaliste ne puisse pas porter de telles « valeurs ».

Le Conseil d’orientation des retraites a montré – et cela a été confirmé par d’autres études – que, à qualification égale, le montant moyen des pensions entre le secteur privé et le secteur public était équivalent. Certes, lorsqu’on compare le secteur privé au secteur public, on voit apparaître des différences très importantes. Toutefois, la raison de ces différences est simple : une carrière dans la fonction publique est linéaire, tandis qu’elle peut être heurtée et interrompue de périodes de chômage dans le secteur privé. Il faut donc comparer toutes choses égales par ailleurs : on s’aperçoit alors, à condition d’être de bonne foi, que, malgré les formes d’organisations différentes des deux secteurs, un salarié du privé et un salarié du public faisant un travail équivalent et appartenant à la même catégorie socioprofessionnelle, touchent des pensions relativement similaires.

M. le président Pierre Méhaignerie. Les départs à 52, 55 ou 57 ans dans le secteur public changent un peu la donne.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Les métiers du secteur public identifiés comme pénibles doivent être intégrés dans la négociation collective. Cependant, ce problème ne mérite pas toute l’agitation qu’il suscite actuellement.

Dernier point : la liberté de circulation des capitaux est le résultat de mesures prises par les gouvernements au milieu des années 1980 et la déréglementation financière n’a pas toujours existé – une réglementation existe d’ailleurs encore dans certains pays. Il serait donc tout à fait possible d’instaurer au niveau européen une taxation sur les transactions financières, avec par exemple des taux variables selon le nombre d’allers-retours. Les économistes, notamment l’association ATTAC, proposent de nombreuses mesures en ce sens, qui feraient de l’Union européenne une zone réglementée financièrement. On pourrait ainsi remettre en place un minimum de contrôle des changes. Cela ne poserait aucun problème – mais il y faut, bien sûr, une volonté politique.

Le fait que les banques puissent emprunter à la Banque centrale européenne et se refinancer à des taux variant entre 0 % et 1 %, tandis que les États doivent emprunter à ces mêmes banques à des taux de 3 % à 7 % – voire de 10 % – est un scandale et est l’une des causes de la crise actuelle. C’est là un problème politique fondamental. Il existe des solutions pour faire autrement : il faut s’attaquer à la finance de marché et la soumettre aux nécessités de l’économie productive.

M. Guy Malherbe. Certains de nos collègues, malheureusement absents, déclarent qu’ils souhaitent remettre en cause la réforme des retraites lorsqu’ils seront en situation de le faire. Pensez-vous que cette réforme risque davantage d’être remise en cause que les précédentes, qui avaient suscité les mêmes déclarations, mais qui sont toujours en place ?

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Je crois toujours les déclarations des hommes et des femmes politiques, jusqu’à preuve du contraire – mais, jusqu’à présent, j’ai été très déçu. Cependant, on ne peut pas décevoir toujours les citoyens, car cela se paie d’un prix politique élevé. Nous saurons, le moment venu, rappeler aux uns et aux autres leurs déclarations, comme nous l’avons déjà fait sur d’autres sujets. Nous avons certes des expériences douloureuses en la matière, mais si on pense que rien ne changera jamais, il faut arrêter de faire du syndicalisme et de la politique.

M. Dominique Dord. Curieusement, pour ce qui concerne la circulation des capitaux, notre avis est exactement le contraire du vôtre : plus on taxe les capitaux, plus ils s’en vont. Du reste, l’opposition partage cet avis, car elle considère que le bouclier fiscal ne suffit pas à maintenir les capitaux en France. Votre proposition de répondre à la circulation des capitaux par la taxation est donc pour moi une grande découverte et je vous en remercie.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Vous ne m’avez pas entendu : pour moi, la taxation est une mesure parmi d’autres, dans un ensemble global. Les capitaux ont commencé à fuir lorsqu’on les a laissés fuir. L’expérience montre qu’aux États-Unis, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ou lors du New Deal, c’est le contraire qui s’est produit, comme d’ailleurs dans certains pays d’Europe au cours des « Trente glorieuses ». Il y a aura toujours des fuites, mais il est très possible d’avoir une politique européenne en la matière.

M. Dominique Dord. Pour cela, il faut avoir des partenaires.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Il faut déjà une volonté politique en France, ce qui n’est pas le cas. Avant de parler de nos voisins, soyons déjà clairs sur nos propres objectifs.

Mme la déléguée adjointe de l’Union syndicale Solidaires. Je tiens encore à souligner un point technique : les agentes de la fonction publique remplissant les conditions nécessaires pour bénéficier du départ anticipé auquel ont droit les parents de trois enfants ayant accompli quinze ans de services doivent, selon l’article 18 du projet de loi, en faire la demande avant le 13 juillet 2010, soit dans à peine plus d’une quinzaine et bien avant le vote même de la loi, alors même que la mesure doit être maintenue durant toute l’année 2011. C’est grave et elles sont légitimement inquiètes.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vérifierai ce point.

M. le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Pour revenir d’un mot sur les carrières longues, il est curieux que le dossier de presse du Gouvernement prévoie une durée de cotisation de 44 ans.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous regarderons cela également. Madame Lescure, monsieur Khalfa, je vous remercie pour ces échanges. On peut ne pas être d’accord tout en dialoguant avec le sourire.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 22 juin 2010 à 17 heures

Présents. - M. Élie Aboud, Mme Martine Billard, M. Gérard Cherpion, M. Dominique Dord, M. Michel Heinrich, M. Denis Jacquat, M. Guy Malherbe, M. Pierre Méhaignerie, M. Bernard Perrut

Excusés. - M. Jean Bardet, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Maxime Gremetz, M. Yves Jégo