Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Mardi 13 juillet 2010

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 69

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et de M. Georges Tron, secrétaire d’État à la fonction publique, sur le projet de loi portant réforme des retraites

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 13 juillet 2010

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et M. Georges Tron, secrétaire d’État à la fonction publique, sur le projet de loi portant réforme des retraites.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci, Messieurs les ministres, de venir nous présenter le projet portant réforme des retraites, qui vient d’être adopté en conseil des ministres.

Avec le dépôt de ce projet de loi, nous entrons dans le vif du sujet. La commission a déjà entendu et confronté les points de vue des responsables des régimes de retraite, des partenaires sociaux et des experts au cours de 32 auditions, représentant près de 43 heures de réunion, qui ont permis aux membres de la commission qui y ont assisté de faire évoluer leur position. Je demanderai d’ailleurs à la Commission d’autoriser la publication des comptes rendus de ces auditions dans un rapport d’information.

Je souhaite la bienvenue à Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Il y a près d’un mois, j’ai eu l’honneur, avec Georges Tron, de présenter à votre commission l’avant-projet de réforme visant à sauvegarder notre système de retraite. Nous l’avons ensuite soumis au Conseil d’État, puis aux conseils d’administration des organismes de sécurité sociale, notamment de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), qui ont émis un avis favorable. J’y vois la preuve qu’il s’agit d’un texte équilibré, répondant aux défis que notre système doit affronter sans attendre.

Le projet de loi que voici est nécessaire, car nous ne pouvons pas laisser plus longtemps se dégrader la situation financière de nos régimes de retraite, confrontés à un choc démographique sans précédent. Cette réforme est également urgente, la crise ayant accéléré de vingt ans le rythme des déficits. Enfin cette réforme est juste, parce qu’elle donne un avenir à notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, les actifs finançant les retraites des plus âgés, comme à l’intérieur des générations, via les nombreux dispositifs destinés à compenser les aléas de la vie active, tels que le chômage ou la maladie. On ne peut pas prétendre être attaché à la solidarité entre les générations et se résigner à faire peser tout le poids de l’effort sur nos enfants.

Conformément à la volonté du Président de la République, le Gouvernement a donc pris ses responsabilités sans tarder, dans la continuité des réformes déjà accomplies par notre majorité en 1993, en 2003 et en 2007-2008 pour les régimes spéciaux.

Nous avons bâti cette réforme sur trois exigences : celle de la responsabilité, car on ne peut prétendre maintenir la pérennité d’un système par répartition sans agir sur la durée d’activité ; celle de l’efficacité, puisque nous visons, non seulement la réduction du déficit, mais également le retour à l’équilibre en 2018 ; celle de la justice, car nous ne pouvons pas demander à tous un effort, sans tenir compte de ceux qui ont été exposés à des conditions de travail plus pénibles ou qui ont commencé à travailler plus tôt.

En application de ces principes, cette réforme se fixe les quatre orientations suivantes : augmenter la durée d’activité de manière progressive jusqu’en 2018 ; renforcer l’équité du système de retraites ; améliorer les mécanismes de solidarité à l’intérieur du système de retraites et renforcer la compréhension par les Français des règles de la retraite.

L’augmentation de la durée d’activité est au cœur de la réforme proposée. C’est une réponse de bon sens : qui peut prétendre que l’allongement de la durée de vie ne doit emporter aucune conséquence sur la durée de la vie active ? Qui peut prétendre qu’il est juste de faire face à ce défi en chargeant les générations futures d’une augmentation massive des impôts ? La plupart des pays européens, confrontés à la même situation, y ont répondu de la même manière. Que ce soit en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, cette solution n’a pas été celle d’un camp ou d’un parti : elle a été le fait de gouvernements de droite comme de gauche, qui ont tout simplement choisi de regarder la réalité telle qu’elle est.

Cette augmentation sera progressive, pour ne pas bouleverser les projets des Français qui sont proches de la retraite. L’âge de la retraite sera augmenté de quatre mois par génération dans l’ensemble des régimes de retraite, pour atteindre 62 ans en 2018. Parallèlement au recul de l’âge légal, c’est-à-dire l’âge auquel on a le droit de prendre sa retraite, l’âge d’annulation de la décote, aujourd’hui fixé à 65 ans, sera reculé aussi, pour être porté à 67 ans d’ici 2023.

Il est une vérité qu’il faut rétablir : aujourd’hui, ceux qui font valoir leur droit à la retraite à 65 ans ne travaillent pas nécessairement jusqu’à cet âge, certains attendant d’avoir atteint cet âge pour pouvoir échapper à la décote. Ceux qui prétendent, comme je l’ai souvent lu et entendu, que nous allons obliger les femmes à travailler jusqu’à 67 ans ne disent pas la vérité.

M. Alain Vidalies. C’est un comble ! Elles devront attendre deux ans de plus au chômage !

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. L’élévation de l’âge du départ à la retraite sera générale. Elle concernera tous les assurés, quel que soit le régime dont ils relèvent. Pour les régimes spéciaux cependant, le relèvement de l’âge de la retraite débutera au 1er janvier 2017, pour tenir compte du calendrier de montée en charge de la réforme de 2008.

Dans un souci d’équité, ceux qui ont commencé à travailler tôt, ou que leur travail a usé physiquement de façon prématurée, pourront continuer à partir à 60 ans ou avant 60 ans. Le dispositif « carrières longues » créé en 2003 sera préservé et étendu aux salariés qui ont commencé à travailler à 17 ans, au lieu de 16 ans actuellement. Tous les salariés concernés pourront partir au plus tard à 60 ans : cela concernera 90 000 personnes en 2015. Un salarié de 58 ans ayant commencé à travailler à 15 ou 16 ans continuera de bénéficier des mêmes conditions de départ à la retraite.

Ceux qui sont usés physiquement du fait de leur activité professionnelle pourront, eux aussi, continuer de partir à 60 ans sans subir de décote. C’est là un droit social nouveau, comme le dispositif « carrières longues » l’était en 2003, et sans précédent en Europe. Au total, grâce à ce dispositif et au dispositif « carrières longues », ce sont 100 000 personnes par an, soit un Français sur sept, qui pourront partir plus tôt à la retraite.

À la demande du Président de la République, nous travaillons, en concertation avec les partenaires sociaux, à améliorer ces dispositifs. Nous souhaitons notamment renforcer la prévention. Nous proposons que les expositions à certains facteurs de pénibilité soient désormais enregistrées dans un carnet de santé au travail individuel, pour permettre un meilleur suivi du salarié tout au long de sa carrière. Sur ce sujet, les discussions sont en cours. Nous explorons aussi d’autres pistes, telles qu’une meilleure participation de la médecine du travail à la politique de prévention en entreprise, ou un suivi médical post-professionnel des salariés exposés. Le deuxième plan Santé au travail pour la période 2010-2014, que j’ai présenté hier, nous permettra également de progresser dans ce domaine.

Enfin, nous allons poursuivre et amplifier l’effort engagé depuis 2007 en faveur de l’emploi des seniors, en créant une aide à l’embauche pour les chômeurs de plus de 55 ans. Le développement du tutorat sera par ailleurs encouragé pour favoriser la transmission du savoir et valoriser les carrières.

Notre deuxième objectif est d’améliorer l’équité du système de retraite. Dans cette logique, il est apparu nécessaire de renforcer la convergence entre le public et le privé, en supprimant certaines différences qui n’étaient plus justifiées par des spécificités de la fonction publique. Le taux de la cotisation acquittée par les fonctionnaires sera porté de 7,85 à 10,55 % en dix ans, afin de l’aligner sur celui s’appliquant aux salariés du privé. La possibilité de retraite anticipée sans condition d’âge, ouverte aux parents de trois enfants pouvant justifier d’au moins quinze ans d’activité, sera supprimée à compter du 1er janvier 2012. Les fonctionnaires, qui remplissent ces deux conditions à cette date, conserveront la possibilité de partir plus tôt sur la base des règles applicables à tous les Français. Quant au minimum garanti dans la fonction publique, il sera désormais, comme dans le secteur privé, soumis à une condition de taux plein.

Par ailleurs, pour faire participer l’ensemble des assurés à l’effort de rééquilibrage des régimes de retraite, le Gouvernement proposera, dans les prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, des mesures de recettes à hauteur de quatre milliards d’euros. En effet, si le Gouvernement refuse de répondre au choc démographique par un choc fiscal, il n’a jamais écarté la possibilité de recourir à des mesures de recettes ciblées dans un souci d’équité. Ces mesures concerneront principalement les hauts revenus : majoration de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu, renforcement de la taxation des stock options et des retraites chapeaux. Les revenus du capital seront également concernés, avec l’augmentation des prélèvements libératoires sur les revenus du patrimoine, la suppression du crédit d’impôt sur les dividendes et l’imposition au premier euro des plus-values de cession d’actifs, actions et obligations. Les entreprises, enfin, seront mises à contribution via des mesures relatives aux niches sociales dont elles bénéficient, notamment l’annualisation du calcul des allégements généraux de charges sociales.

Nous allons, enfin, améliorer les mécanismes de solidarité qui caractérisent le système de retraite français. Non contents de pérenniser son caractère solidaire, nous le renforçons pour un certain nombre de catégories d’assurés. Les jeunes, qui rencontrent des difficultés à entrer dans le marché du travail, bénéficieront de six trimestres validés gratuitement en début de carrière, contre quatre aujourd’hui. Les indemnités journalières que perçoivent les femmes au cours de leurs congés maternité seront prises en compte dans le calcul de leur pension de retraite. En outre, étant donné que la faiblesse des pensions des femmes est due avant tout aux inégalités salariales entre les hommes et les femmes, nous mettrons en œuvre des mesures incitant les entreprises à s’investir davantage dans la réduction de ces écarts salariaux. Enfin, la retraite des exploitants agricoles sera améliorée, grâce en particulier à l’assouplissement des conditions d’accès au minimum vieillesse.

Quatrième et dernier objectif, nous voulons renforcer la compréhension des règles de retraite, leur lisibilité étant un élément décisif de la confiance des Français. Dans la continuité des précédentes réformes, nous proposons la création d’un point d’étape retraite à 45 ans, pour permettre aux Français de faire le meilleur choix ; la transmission, dès l’entrée dans la vie professionnelle, de documents d’information générale sur le système de retraite ; la mise en place, dans tous les régimes, d’un relevé de carrière en ligne.

Telles sont les mesures que nous proposons pour rééquilibrer et pérenniser le modèle français de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations et à l’intérieur des générations. Cette réforme permettra aux caisses de retraite de renouer avec l’équilibre dès 2018. Les déficits accumulés d’ici cette date seront repris par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), à laquelle seront transférés en contrepartie les actifs du Fonds de réserve pour les retraites, qui a été créé pour cela.

M. Alain Vidalies. C’est un hold-up !

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Nous ne sommes pas dans l’idéologie : nous sommes dans le pragmatisme et la responsabilité.

M. le président Pierre Méhaignerie. Que chacun fasse preuve de modestie. Dois-je rappeler qu’avant 2003, personne ne s’inquiétait du sort des ouvriers qui avaient travaillé pendant 45 ans ?

M. Alain Vidalies. Et la retraite à 60 ans ? Il est vrai que vous ne l’avez pas votée !

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. La réforme des retraites n’est ni de droite, ni de gauche. C’est une réforme responsable, parce que nous veillerons à assurer son succès sur le long terme : de nouvelles instances de pilotage seront chargées de préparer le rendez-vous sur les retraites de 2018, afin d’assurer l’équilibre du système des retraites après 2020. C’est une réforme absolument juste, parce qu’elle ne reporte pas tout l’effort sur les plus jeunes, mais le répartit équitablement entre tous les actifs.

De même qu’il y a des hommes et des femmes d’État, qui savent dépasser les calculs politiques pour s’intéresser à l’intérêt collectif de la Nation, il y a des réformes d’État : celle-ci en est une.

M. Denis Jacquat, rapporteur. Les dispositions du projet de loi sont conformes aux grandes orientations présentées par le Gouvernement le 16 juin dernier et je les soutiens entièrement.

Je souhaiterais néanmoins poser sept questions précises.

Quelles pistes de travail devons-nous privilégier sur le dossier de la pénibilité, sujet qui tient particulièrement à cœur au Président Méhaignerie ?

Concernant le veuvage précoce, nous sommes nombreux à souhaiter que le problème soit traité dès maintenant, sans attendre le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Partagez-vous ce souhait ?

S’agissant des polypensionnés, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait que nous allions plus loin. Quelles pistes privilégiez-vous ?

Que pensez-vous des améliorations et des simplifications proposées par certains députés concernant la retraite supplémentaire ?

Quelles solutions proposez-vous aux lourds problèmes de compensation que le statut de l’auto-entrepreneur pose au régime social des indépendants (RSI), comme à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAV-PL) ?

Concernant la possibilité de rachat des années d’études, la mise en œuvre de la réforme susciterait un certain nombre de difficultés. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le nombre de personnes concernées et sur les réponses envisagées ?

Enfin, êtes-vous favorable au projet de fusion des régimes complémentaires des artisans et des commerçants ?

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la Commission des finances. Pour notre commission, déplacer le curseur de l’âge légal de départ à la retraite est la première mesure à prendre pour garantir la pérennité de notre système par répartition.

Les projections financières à horizon 2020 tiennent compte non seulement des dispositions du projet de loi portant réforme des retraites, mais également des mesures de recettes que vous proposerez à l’automne, dans le cadre du projet de loi des finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pouvez-vous nous détailler dès aujourd’hui ces mesures par régime, qu’il s’agisse des régimes de base ou des régimes complémentaires ?

Quelles seront globalement les modalités d’affectation aux régimes de retraite des nouvelles recettes ou des réductions de dépenses ? En particulier, quelles recettes seront affectées respectivement au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et à la CNAV ?

S’agissant des pensions des agents de l’État, la contribution de l’État au compte d’affection spéciale Pensions sera gelée jusqu’en 2020, si l’on en croit le document annexé au projet de loi. Quel serait le trend de cette contribution, autrement dit sa progression naturelle si on ne tenait pas compte des mesures prises dans le cadre du projet de loi ? Le gel de la contribution de l’État est-il compensé par le relèvement du taux de cotisation des fonctionnaires et par les autres mesures d’économies prévues dans le champ des pensions de la fonction publique ?

Pouvez-vous également préciser le schéma qui sera retenu pour couvrir, d’une part les déficits cumulés du régime général et du FSV en 2009 et 2010 et d’autre part, les déficits de la branche vieillesse de 2011 à 2018 ? L’utilisation du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) me paraît logique dans la perspective d’un rééquilibrage des comptes sociaux qui ne pèse pas sur les générations futures.

Mme Valérie Rosso-Debord. Ne nous y trompons pas : l’enjeu de la réforme des retraites est bien d’assurer la pérennisation de notre système par répartition, qui a permis une réelle amélioration du niveau de vie des retraités et constitue un modèle de solidarité auquel nous sommes attachés. Je rends hommage au Gouvernement d’avoir privilégié une approche responsable et attentive à la situation de chacun.

L’allongement de la durée de la vie active constitue une dimension incontournable de la réforme. C’est une réalité partagée par l’ensemble des pays européens. Avec un âge légal de départ à la retraite fixé à 60 ans, la France est devenue une exception en Europe, où il est plus souvent fixé à 65 ans et va progressivement être porté à 67 ans.

Mais s’il est indispensable de travailler plus longtemps, il est tout aussi important de tenir compte des conditions de travail. C’est pourquoi le projet de loi prend en compte l’usure des salariés, en permettant à ceux qui ont une vie professionnelle plus dure de partir à la retraite plus tôt : pour eux, la retraite sera maintenue à 60 ans. Mais, ce texte encourage par ailleurs une approche préventive de la pénibilité, extrêmement novatrice. Cela suppose une plus grande implication de la médecine du travail et une meilleure gestion des carrières : je vous demanderai, monsieur le ministre, de détailler ce point. La réflexion sur la pénibilité doit promouvoir une approche prenant en compte la spécificité de chaque cas, de chaque parcours professionnel.

Enfin, pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 17 ans, le dispositif « carrières longues » est maintenu. J’attache une grande importance à la préservation de ce dispositif, que la gauche a refusé de voter, alors qu’il concernera 100 000 personnes à l’horizon 2015.

Ce projet de loi est équilibré, il a su trouver un juste milieu entre l’urgence de faire face aux défis, démographique et financier, et la nécessité d’améliorer les dispositifs en vigueur. Une fois de plus, c’est notre majorité qui en prend l’initiative. Le groupe socialiste s’est toujours dangereusement abstenu de toute mesure susceptible de sauver notre système de retraite. Ce sera donc à nous de les prendre en 2010, comme nous l’avons déjà fait en 1993, en 2003 et en 2008. Le temps des responsabilités est venu : à chacun de prendre la sienne.

Mme Marisol Touraine. Je voudrais dire tout d’abord à quel point nous sommes choqués par les propos de ceux qui, comme le Président de la République hier, nous accusent de favoriser un climat délétère dans notre pays pour éviter de débattre de la réforme des retraites. De telles insinuations sont d’autant plus indignes que c’est la majorité qui ne cesse d’osciller entre deux attitudes contradictoires : alors que, fidèle à la stratégie de votre groupe, madame Valérie Rosso-Debord, vous nous reprochez de ne rien proposer, le Président de la République a contesté, hier, le bien-fondé de nos propositions : c’est bien la preuve que nous en avons.

Nous sommes évidemment prêts à une confrontation d’idées et de projets, et il serait légitime que vous y soyez également disposés. Mais, si la majorité aborde ce débat avec l’idée qu’elle seule connaît la bonne solution et que seule la réforme qu’elle propose est à même de résoudre le problème des retraites, nous allons au-devant de débats houleux. Il nous est quand même loisible, monsieur le président, tout en admettant la nécessité d’une réforme, de faire nos propositions et d’avoir notre avis sur les mesures qu’on nous présente. Il est insupportable de vous entendre prétendre que nous ne contribuons pas au débat public.

Il est tout aussi insupportable que vous tentiez de faire accroire à nos concitoyens que les Français vivraient dans je ne sais quel paradis social. Puisque vous citez des exemples étrangers, comparez ce qui est comparable. En France comme dans ces pays, l’âge de la retraite à taux plein est de 65 ans. Dans la plupart de ces pays, la durée de cotisation exigée est de 35 annuités, et non pas de 40 ou 41. Allez donc jusqu’au bout : ayez le courage de dire à nos concitoyens qu’aux termes de votre réforme, le système français sera le plus dur d’Europe. C’est d’ailleurs la teneur des propos de Mme Lagarde devant la presse économique. À l’en croire, les marchés peuvent dormir sur leurs deux oreilles : la France ira plus vite que l’Allemagne ou que le Royaume-Uni.

Vos propositions nous ont d’autant moins convaincus, monsieur le ministre, qu’elles sont strictement identiques à celles que vous aviez présentées il y a quelques semaines : on se demande à quoi aura servi la consultation des organisations syndicales. Il est vrai que le Président de la République nous a assuré qu’aucune opposition ni manifestation ne changerait un iota au fond de la réforme.

Votre projet est à la fois injuste, imprévoyant et inefficace. Il est injuste, parce qu’il fait reposer tout l’effort sur les salariés, en particulier sur ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont eu une carrière hachée. La prise en compte de la pénibilité, que vous nous proposez, ne peut être considérée comme une avancée sociale : ce n’est rien d’autre que le droit pour les malades ou les invalides d’être reconnus comme tels, et cela existe déjà. Quant au dispositif prévu pour les carrières longues, il faudra, pour en bénéficier, avoir cotisé au moins 43 ans et demi. Autant dire qu’il ne s’agit pas non plus d’une grande avancée sociale.

Votre réforme est également imprévoyante. Comment prétendre qu’elle évitera de transférer la dette aux générations futures, alors que celles-ci seront les premières pénalisées par le hold-up que vous opérez sur le Fonds de réserve pour les retraites ? Avec les mesures que vous nous annoncez et celles que contiendra le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui prévoit l’allongement de la durée de vie de la CADES, le Gouvernement prélève les ressources destinées aux générations futures sans garantir le financement du système après 2018, alors qu’on attend à cette date un choc démographique extrêmement fort.

Enfin, la réforme est inefficace, puisque, par idéologie, par dogmatisme, vous refusez d’opérer des prélèvements sur les revenus du capital ou ceux des plus riches. Ce n’est pas avec des recettes de 4 milliards d’euros, dont deux prélevés sur les revenus d’entreprises, que vous parviendrez à l’équilibre. Par ailleurs, le tiers au moins du financement de la réforme nous est inconnu. C’est pourquoi je relaie la demande de Laurent Hénart : comme lui, je souhaite que vous nous transmettiez un tableau du financement prévu à l’horizon de 2020, voire après cette date, afin de comprendre comment vous gérerez dans la durée le déficit de la CNAV et des caisses de retraites.

Au nom du groupe socialiste, je regrette que le président de la Commission des affaires sociales et le Bureau aient refusé d’ouvrir à la presse nos débats en commission. Cependant, nous abordons la discussion dans un esprit constructif, qui tient non au projet du Gouvernement mais aux préoccupations des Français.

Nous souhaitons une réforme qui s’inscrive dans la durée, à l’horizon de 2025, et qui s’appuie sur un financement équilibré, ce qui suppose une mise à contribution significative des revenus du capital. Nous souhaitons aussi une réforme qui, sans faire l’impasse sur le travail ni sur l’emploi des seniors, propose des mesures raisonnables, comme l’allongement de la durée de cotisation et l’incitation, pour ceux qui le peuvent et qui le souhaitent, à travailler plus longtemps. C’est ce que nous appelons la retraite choisie. Là où la droite impose, les socialistes entendent privilégier la liberté de choix et l’incitation.

M. Roland Muzeau. Même si, jusqu’au dernier jour, le Gouvernement et le Président de la République ont manipulé l’opinion publique, la concertation n’a jamais eu lieu. Il suffit pour s’en convaincre de rencontrer les organisations syndicales. Les annonces distillées jour après jour n’ont servi qu’à conforter un projet décidé de longue date, malgré les engagements, d’ailleurs contradictoires, du Président Sarkozy. Celui-ci avait annoncé, en janvier 2007, que la réforme des retraites n’était pas à son programme. En mars 2008, il avait indiqué à Mme Parisot qu’il était hors de question qu’elle vienne en discussion avant la fin de son mandat. Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent !

Votre projet, messieurs les ministres, ne vise qu’à répondre aux exigences de plus en plus fortes du monde de la finance et des agences de notation, qui, durant ces derniers mois, ont multiplié leurs oukases à l’adresse des puissances publiques. Il y a peu, vous avez assuré que certains points restaient ouverts à la discussion : la pénibilité, les carrières longues, le cas des polypensionnés. Or, aucune modification n’est intervenue dans ces domaines. De même, toutes les mesures contestées prévues pour les fonctionnaires ont été maintenues. Les Français doivent savoir que les sacrifices pèseront à 85 % sur les salariés, puisque le MEDEF a la main sur le dossier. D’ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, les syndicats de salariés ont rejeté en bloc la démarche du Gouvernement.

Hier soir, sur un ton aussi patelin que peu convaincant, le Président de la République a asséné sa vérité. À l’en croire, aucune autre solution que la sienne ne serait possible. Faute de pouvoir convaincre, il tente de faire entrer ce discours à coup de marteau dans la tête des Français. Or, on peut parfaitement maintenir le départ à 60 ans, sans retarder à 65 ans l’accès à la retraite à taux plein. Non seulement les députés communistes et du parti de gauche n’ont jamais refusé d’en débattre, mais ils ont déposé en ce sens une proposition de loi, en vue de réfléchir à une nouvelle répartition des richesses nationales. Nous en reprendrons les mesures sous forme d’amendements. Pour trouver de nouveaux financements, on peut soumettre à cotisation les revenus financiers des banques et des entreprises, et moduler les cotisations de celles-ci en fonction de leur politique en vue de développer l’emploi et de soutenir les salaires.

En ce qui concerne la pénibilité, la voie individuelle est scandaleuse et injuste, alors que l’examen des postes de travail serait une réponse collective. Pour certains métiers, il faut ouvrir le droit à la retraite avant 60 ans, afin de prendre en compte la pénibilité des tâches.

Quant aux femmes, dont le passage à la retraite augmente la paupérisation, comment de ne pas douter des nouvelles mesures en faveur de l’égalité salariale que vous nous promettez ? Après vingt-cinq ans d’action et cinq lois, rien n’a changé. L’égalité entre hommes et femmes n’existe ni pour la nature du travail ni pour sa rémunération, et la précarité reste majoritairement féminine.

Enfin, aucune mesure crédible ne peut être prise en matière de retraite, dès lors que l’emploi n’est pas soutenu par une politique publique et industrielle. Si vous occultez cet aspect du dossier, votre réforme s’avérera aussi inefficace que celle de 2003, et elle en appellera d’autres, porteuses, comme les précédentes, de nouvelles régressions.

M. Jean-Luc Préel. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la réforme des retraites est indispensable pour sauvegarder notre système par répartition, du fait du papy-boom et de l’allongement de la durée de vie. Le Nouveau Centre salue votre courage. Vous vous êtes attelé à une réforme que, par le passé, d’autres n’ont pas voulu mener à bien. Elle devrait susciter un consensus, comme toutes celles visant à repousser l’âge de la retraite, qui ont été prises dans les pays confrontés aux mêmes problèmes que nous.

Il n’est pas choquant d’utiliser le Fonds de réserve pour les retraites pour financer la période de 2010 à 2018, puisque celui-ci a été créé précisément pour résorber les déficits.

Après avoir été quelque peu dubitatif, le Nouveau Centre approuve votre choix. Cependant, nous aimerions recevoir l’assurance que nous pourrons faire adopter des amendements, comme l’a annoncé le Président de la République.

Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir saisi l’occasion de la réforme pour simplifier les trente-huit régimes de retraite et passer à un régime unique géré par les partenaires sociaux ? Vous auriez pu ainsi prévoir l’extinction des régimes spéciaux, la création d’une caisse de retraite des fonctionnaires, l’alignement de la période prise en compte des six derniers mois aux vingt-cinq meilleures années, tout en intégrant les primes dans le calcul de la pension, puisque, dans le cadre d’une réforme des retraites, il faut respecter le principe d’équité, auquel les Français sont très attachés.

Je m’interroge également sur l’hypothèse d’un retour à l’équilibre financier en 2018, qui me semble optimiste. Il me paraîtrait judicieux de proposer quelques recettes supplémentaires en plus de celles que vous prévoyez. Le Nouveau Centre s’y emploiera.

Par rapport au Conseil d’orientation des retraites, quel sera le pouvoir du comité de pilotage que vous créez, et quelles seront ses missions ?

Sera-t-il possible de prendre en compte les vingt-cinq meilleures années des polypensionnés, qui sont actuellement pénalisés, puisqu’ils perçoivent des retraites minorées ?

Bien que, dans les autres pays, le problème de la pénibilité ne soit pas traité par les régimes de retraites, Francis Vercamer préconise, dans un rapport remarquable, la création d’un observatoire de la pénibilité. Envisagez-vous de le créer et de définir ses missions ? Il serait dommageable de repousser l’âge de départ à la retraite sans se préoccuper de cette question ni prendre en compte l’exposition aux risques et à certains produits.

Enfin, allez-vous améliorer les pensions de réversion et prolonger l’allocation de veuvage ? Dès lors que la condition d’âge a été rétablie pour la pension de réversion, l’allocation veuvage mérite, sans doute, d’être pérennisée et son taux d’être amélioré.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je souhaite que, même s’il est passionné, le débat reste sérieux et responsable. Je vous invite donc, mes chers collègues, à écouter les orateurs. Quant à vous, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir laissé ouvert le débat sur la pénibilité, qui est essentiel. Le texte prévoit actuellement qu’une personne sur six pourra partir en retraite à 60 ans, sinon plus tôt. Ce sera le cas de plus de 100 000 personnes sur les 700 000 à 800 000 départs prévus. Reste à savoir s’il faut aller au-delà pour ceux qui ont commencé à travailler après 18 ans dans un métier pénible.

Quoi qu’il en soit, aucune position ne doit être caricaturée. Je rappelle aux députés de l’opposition que, en 2001 et en 2002, certains ouvriers travaillaient quarante-cinq ou quarante-six ans avant de pouvoir partir en retraite. D’autre part, je rappelle – parce que les bonnes intentions se heurtent parfois à la réalité – que c’est entre 1983 et 1987 que la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé le plus fortement. Voilà qui devrait nous inciter tous à une certaine modestie.

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Mon collègue Georges Tron répondra aux questions ayant trait à la fonction publique.

Monsieur Jacquat, l’assurance veuvage a été prolongée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Nous poursuivrons la politique qui a été menée dans ce sens, en sachant que vous êtes attentif à ce dossier.

La médecine du travail est un point clé de la réforme des retraites. J’avais d’ailleurs envisagé de traiter les deux sujets dans le même texte, mais cela aurait sans doute compliqué les choses. Quoi qu’il en soit, on ne peut parler de retraite ni de pénibilité si l’on ne traite pas des conditions de travail, qui, en France, peuvent encore être considérablement améliorées. Nous rédigerons donc un texte en vue de réformer la médecine du travail. Récemment, j’ai rencontré des médecins dans cette perspective, mais peut-être faudrait-il créer des équipes pluridisciplinaires, comprenant aussi des ergonomes et des psychothérapeutes. Tous les services de médecine du travail n’ont pas évolué au même rythme. À certains endroits, il n’en existe pas du tout. En outre, leur rôle ne doit pas se limiter à organiser des visites médicales. Il faut aussi analyser les postes de travail. Dans ce domaine, on constate beaucoup d’inégalités et une réforme de fond doit être menée. Aujourd’hui, deux médecins du travail sur trois ont plus de cinquante ans. Il y a donc une crise de recrutement à régler. On ne disposera d’aucun outil de traçabilité en matière de pénibilité si l’on ne modernise pas ce secteur.

Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, l’État ne compense plus les cotisations des auto-entrepreneurs dont l’activité est inférieure à 200 heures de SMIC, ce qui a réduit fortement les charges de compensation de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Cependant, nous sommes prêts à aller plus loin sur le sujet.

Beaucoup d’entre vous se sont exprimés sur la question de la pénibilité, qui est un point essentiel de la réforme. Je regrette que certains aient caricaturé notre position. Pour la première fois, nous créons un lien entre la retraite et la pénibilité, qui sera prise en compte à hauteur de 20 %. C’est d’abord aux médecins qu’il reviendra de se prononcer : dès lors qu’ils constateront une usure physique prématurée, en lien avec l’activité professionnelle, il sera possible à l’intéressé de prendre sa retraite plus tôt. Cette mesure s’inscrit dans le cadre bien connu de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, car notre but n’est pas de créer une usine à gaz, mais de partir sur des bases objectives. Cela dit, on peut sans doute aller plus loin.

Certains d’entre vous ont regretté que le texte n’ait pas évolué depuis un mois. Comment s’en étonner ? Conformément à ce qui était prévu, nous avons rencontré tous les partenaires sociaux dans des réunions techniques. À partir de septembre, quand commencera la discussion du texte, des évolutions pourront intervenir, notamment sur la prise en compte de la pénibilité. Les partenaires sociaux ont beaucoup travaillé sur le lien entre l’âge de la retraite et l’usure liée à l’exercice d’un métier. Ils ont détaillé les facteurs d’exposition aux risques. Reste qu’il ne suffit pas de prendre en compte ces données pour le passé, en les intégrant au calcul de la retraite. Il faut prévoir, à l’avenir, des dispositifs de traçabilité plus forts.

Monsieur Jacquat, vous m’avez interrogé sur la situation de ceux qui ont racheté des trimestres avant la réforme. Pour ma part, je suis favorable à ce qu’ils soient remboursés, s’ils ne peuvent en retirer le bénéfice escompté.

Sur le régime social des indépendants et la fusion des régimes complémentaires des artisans et des commerçants, je suis sensible à vos arguments. C’est un sujet que nous examinerons.

La question des polypensionnés est délicate. Une partie du chemin a été faite en 2003. Faut-il aller plus loin ? C’est surtout une question de moyens, puisque nous devons respecter l’équilibre général de la réforme, qui doit être atteint en 2018. Nous verrons à la fin de l’été si nous pouvons aller plus loin.

Monsieur Hénart, vous m’avez interrogé sur les conditions générales du bouclage. Un report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite représente 9 milliards d’euros pour la CNAV ; 2,1 milliards d’euros pour la fonction publique d’État ; et 2,3 milliards d’euros pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Par ailleurs, il faudra procéder à un équilibrage des différents régimes. À cette fin, nous avons saisi toutes les caisses et nous vous présenterons à la rentrée une proposition.

Quant à l’affectation des recettes, c’est une question de tuyauterie. La somme, légèrement supérieure à 4 milliards d’euros en 2020, soit 3,7 milliards en 2011, servira intégralement à financer les retraites, mais un partage interviendra entre le Fonds de solidarité vieillesse et la CNAV, afin d’améliorer les résultats de celle-ci et de consolider les financements solidaires qui interviennent au sein du FSV. Ce point devra être précisé, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter à cet égard.

À l’égard du Fonds de réserve pour les retraites, je ne comprends pas la position des députés socialistes. Ce fonds n’a pas à susciter en eux je ne sais quelle nostalgie. C’est un instrument technique, qui a été créé afin d’absorber une « bosse », c’est-à-dire un surcroît de départs en retraite à partir de 2020. Depuis sa création, une réforme des retraites est intervenue : dès lors que l’âge de départ en retraite est reporté de deux ans, l’effet de bosse est en partie traité.

Par ailleurs, le fonds a accumulé 33 milliards d’euros de réserve, somme inférieure à la totalité des dettes cumulées par la CNAV et le FSV depuis 1999. Tous les pays qui ont créé des fonds de ce type l’ont fait à une époque où ils dégageaient des excédents, dans le but de les utiliser pendant les périodes de déficit. Dès lors que nous avons vingt ans d’avance sur les déficits en points de PIB, il est logique de l’utiliser. Il n’y a pas lieu de parler de hold-up, c’est un débat technique. Si nous n’utilisions pas le fonds de réserve, les déficits accumulés entre 2011 et 2018 seraient financés par la dette, c’est-à-dire qu’ils seraient payés par les générations suivantes, ce qui serait injuste. D’ailleurs, la première personne à avoir effectué une ponction sur le fonds est Mme Martine Aubry, qui, aussitôt après la création de celui-ci, l’a utilisé pour financer les 35 heures !

Quant à la retraite choisie, cette notion existe déjà en France. Il est prévu une date d’entrée dans les droits, et une autre à partir de laquelle on peut exercer ces droits sans décote, quelle que soit la durée de cotisation. Aujourd’hui, ces seuils sont respectivement de 60 et de 65 ans ; à partir de 2018, la retraite sera choisie entre 62 et 67 ans. Si quelqu’un veut continuer à travailler, il bénéficie d’une surcote ; s’il veut partir à 60 ans sans disposer de tous ses trimestres, il subit une décote. Il s’agit donc bien d’une retraite « à la carte », valable pendant une période donnée.

Il est par ailleurs logique qu’une telle période soit fixée. Alors que dans un régime par capitalisation, on peut partir en retraite quand on le veut, dès lors que le contrat le permet, dans un régime par répartition, il est normal que les générations suivantes – dans la mesure où elles paient les pensions – vous donnent, au moment où elles le jugent légitime, l’autorisation de liquider votre retraite. C’est bien sur ce point, que se joue le débat sur la solidarité entre les générations.

Monsieur Muzeau, ce n’est pas parce que le texte ne fait pas l’unanimité, notamment à gauche, qu’il n’y a pas eu de concertation. Celle-ci a duré deux mois et demi, et a donné des résultats intéressants, en matière par exemple de pénibilité, de carrières longues ou d’âge. En revanche, il n’y a eu – la notion est différente – aucune négociation : les partenaires sociaux n’y étaient pas prêts, parce qu’ils refusaient les mesures d’âge. Le Parti socialiste a eu d’ailleurs la même attitude, ce qui est son droit – même si nous pensons qu’il a profondément tort. Quoi qu’il en soit, il est difficile de négocier quoi que ce soit avec des gens qui refusent l’idée selon laquelle la notion d’âge intervient en matière de retraite.

En ce qui concerne l’égalité professionnelle, il est vrai qu’en dépit du grand nombre de textes adoptés, les choses n’ont pas vraiment évolué. Le fait que, à travail et à responsabilités égaux, les femmes soient moins bien payées que les hommes, est un véritable scandale social. L’écart s’est un peu réduit, mais il reste conséquent. J’ai donc l’intention de prendre des mesures fortes sur ce sujet dans les mois qui viennent – mais pas à l’occasion du texte sur les retraites, dans lequel on ne peut pas tout mettre.

Par principe, monsieur Préel, les amendements sont naturellement possibles, et vous n’avez nullement besoin de mon accord pour en déposer.

Pourquoi n’avoir pas fait le choix d’un système par points, ou en comptes notionnels ? Tout d’abord, un tel système ne permet pas de résorber les déficits. Quand on prévoit un déficit de plus de 40 milliards d’euros dans les dix ans à venir, ce n’est pas un changement de système qui peut résoudre le problème. On cite toujours l’exemple des Suédois, mais ceux-ci viennent justement de baisser de 3 % le montant des pensions. C’est leur variable d’ajustement. Il en est de même pour le système allemand, madame Touraine : les 35 années de cotisations en Allemagne ne sont pas équivalentes aux 41 années de cotisations en France, car il n’existe pas là-bas les majorations de durée d’assurance que nous avons ici. On ne peut donc pas faire cette comparaison.

Mme Marisol Touraine. Pourquoi pas ?

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. En Allemagne, on peut partir à la retraite après 35 ans de cotisations, mais seulement à partir de 63 ans, et en subissant une lourde décote. L’entrée dans un système d’assurance à taux plein ne se fait pas avant l’âge de 65, 66 ans, et bientôt de 67 ans.

Mme Marisol Touraine. Comme chez nous !

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Pas du tout ! Vous ne pouvez pas mettre sur le même plan les systèmes allemand et français, qu’il s’agisse de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, de la décote ou du nombre d’années de cotisations nécessaires. En effet, les durées de majoration ne sont pas calculées de la même manière.

En ce qui concerne nos prévisions, ce sont aussi celles du Conseil d’orientation des retraites (COR). Dans ce domaine, on doit se garder d’être catastrophiste – il n’y aurait aucun sens, par exemple, à prolonger sur dix ou quinze ans les tendances actuelles en matière de chômage – ou de se montrer trop optimiste, au risque de rester dans le domaine du rêve. Nous avons donc repris les prévisions du COR, qui sont loin d’être irréalistes. Deux ans avant la crise, le taux de chômage tendait à se réduire. Il est donc tout à fait possible – heureusement !– que ce taux redescende à 6 % vers 2018 et que l’on connaisse le plein-emploi vers 2024. De même, il n’est pas absurde de prévoir que la productivité va augmenter de 1,8 %. Évidemment, si les résultats se révèlent moins bons, cela n’aura pas seulement des conséquences sur l’équilibre du système de retraite mais sur l’ensemble des finances publiques.

Le comité de pilotage est un aspect important de la réforme, car notre système de retraite n’est pas suffisamment piloté à l’heure actuelle. En particulier, les rapports avec les partenaires sociaux restent faibles, et n’ont lieu que lorsqu’une réforme est envisagée. Il serait souhaitable que le Gouvernement et les partenaires sociaux se rencontrent régulièrement pour faire le point sur l’état d’avancement des réformes et pour préparer les rendez-vous importants. Plus on dédramatisera les modifications et ajustements dont notre système de retraite a besoin, mieux ce sera.

J’ai déjà répondu concernant l’allocation veuvage. S’agissant de la pénibilité, c’est un sujet sur lequel nous travaillons. Nous verrons en septembre si nous pouvons présenter de nouvelles propositions dans ce domaine.

M. Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Concernant le gel de l’effort financier de l’État au financement du régime de retraite des fonctionnaires, nous nous fondons, monsieur Hénart, sur la convention de calcul établie par le COR. Après avoir mesuré l’écart entre l’année 2000 et l’année 2010, qui est de 15 milliards d’euros, le Conseil a fait une projection jusqu’aux années 2020, estimant que le besoin de financement augmenterait de 5 milliards d’euros entre 2010 et 2020. Les mesures proposées par le projet de loi permettront de rétablir l’équilibre, puisque nous attendons, sur la base des mesures d’âge et des trois mesures ponctuelles, une économie de 4 milliards d’euros en 2018 et de 4,9 milliards d’euros en 2020.

En ce qui concerne la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), le redressement est encore plus spectaculaire. Aujourd’hui, elle connaît un solde technique positif de 1,9 milliard d’euros, mais d’après les projections, ses résultats seraient déficitaires à partir de 2015, avec le départ en retraite des fonctionnaires transférés. Le déficit atteindrait même 1,3 milliard d’euros en 2020. Avec les mesures que nous proposons, ce solde resterait positif en 2020, avec un excédent de 2,6 milliards d’euros. Ainsi, non seulement nous gelons la contribution de l’État aux pensions de ses agents, mais nous faisons aussi tout ce qui est nécessaire pour renforcer le bilan de la CNRACL.

Nos propositions, monsieur Muzeau, s’inscrivent dans une recherche de l’équité, en particulier de celle réclamée par nos concitoyens entre le régime du public et le régime du privé. C’est pourquoi, au-delà des mesures d’âge, qui s’appliqueront de manière universelle – sauf pour les régimes spéciaux, qui ne seront concernés qu’à partir du 1er janvier 2017 –, nous avons prévu trois mesures : augmentation du taux de la cotisation salariale, extinction du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants ayant quinze ans de service, modification du minimum garanti.

Pour ce qui est du taux de cotisation, sa progression sera extrêmement lente : l’alignement se fera en dix ans, et il en résultera pour les agents une augmentation de 6 euros en moyenne de leur contribution. En outre, l’examen de la rémunération moyenne des personnes en place entre 2000 et 2010 montre que, quelles que soient les circonstances, cette augmentation sera rapidement absorbée par celle du pouvoir d’achat. En effet, entre 2000 et 2010, lors des trois années – 2000, 2004 et 2006 – où une augmentation du point d’indice égale à celle que nous avons décidée en 2010, soit 0,5, a été appliquée, on a observé une augmentation du pouvoir d’achat dans la fonction publique de respectivement 2,4 %, 1,8 % et 1,7 %. Même en retenant la seule année – 2003 – où il y a eu 0 % d’augmentation du point d’indice, on constaterait malgré tout une augmentation du pouvoir d’achat des fonctionnaires de l’ordre de 1,8 %. D’ailleurs, lors de nos discussions avec les organisations syndicales – qui, évidemment, n’étaient pas favorables à cette mesure –, nous avons posé cette question très simple : pour un montant de pension moyen à peu près similaire dans le public et dans le privé, existe-t-il une raison de maintenir un écart entre les coûts d’acquisition ? Nous sommes convenus que tel n’était pas le cas.

S’agissant du mécanisme de départ anticipé pour les fonctionnaires réunissant les deux conditions – quinze ans de services effectifs et parent de trois enfants –, je rappelle que nous laissons aux familles la possibilité d’en bénéficier jusqu’à la fin de l’année 2011. En outre, l’extinction du dispositif sera progressive : les personnes remplissant les conditions à la date du 1er janvier 2012 conserveront la possibilité de partir après quinze ans de service. Il ne s’agit donc pas d’une mesure particulièrement brutale.

Enfin, en ce qui concerne le minimum garanti, la réforme tend également à établir l’équité. À l’heure actuelle, en effet, les conditions d’obtention du minimum de pension sont très différentes dans le privé et dans le public : il faut le taux plein pour bénéficier du minimum contributif, mais pas pour obtenir le minimum garanti. Cependant, conformément à la promesse que nous avons faite, nous n’alignons pas le montant du minimum garanti sur celui du minimum contributif. Le dispositif reste donc, là encore, assez mesuré.

À partir du moment où nous sommes tous d’accord – je pense en effet que nous pourrions l’être – sur la nécessité de faire converger les régimes du secteur public et du secteur privé, les mesures que nous proposons apparaissent justes et sans excès. Si, cependant, elles vous apparaissent critiquables, monsieur Muzeau, je suis prêt à écouter les propositions que vous pourriez être conduit à faire pour aller vers cette convergence voulue par les Français. C’est justement l’un des sujets sur lesquels nous allons travailler pendant l’été.

On peut toujours penser, monsieur Préel, qu’une réforme systémique était possible, mais nous avons fait le choix d’une réforme paramétrique.

Vous avez évoqué l’harmonisation du calcul de la retraite entre le secteur privé et le secteur public et la prise en compte des primes. Les chiffres fournis par le COR montrent que la pension versée est approximativement du même montant, que son calcul soit effectué en prenant en compte les six derniers mois, comme dans la fonction publique, ou en retenant les vingt-cinq meilleures années, comme dans le privé. Si nous avions constaté des écarts très importants, nous aurions pu choisir la logique de l’alignement – même si les organisations syndicales nous ont signalé à plusieurs reprises qu’elles jugeaient une telle réforme difficile à accepter, car attentatoire au statut de la fonction publique et au code des pensions. Mais dans la mesure où les pensions sont comparables, nous n’avons pas jugé utile de lancer un chantier aussi vaste, d’autant – et vous le soulignez vous-même – que cela supposerait de modifier toutes les règles d’inclusion des primes dans l’assiette de la pension. Alors que la situation est déjà complexe – avec la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), une partie des primes représentant jusqu’à 20 % du traitement indiciaire est incluse dans le dispositif –, il aurait fallu adopter un mode de calcul radicalement différent.

Je rappelle, en outre, qu’il existe plus de 1 800 primes différentes dans la fonction publique de l’État, et que le système de primes est également extraordinairement complexe et divers dans la fonction publique territoriale. Nous souhaitons donc d’abord harmoniser le dispositif général des primes, notamment en introduisant la prime de fonction et de résultats. Celle-ci existe déjà, mais sera généralisée, suite à l’adoption de la loi du 5 juillet dernier relative à la rénovation du dialogue social, dans les filières sociales et techniques de la fonction publique, ainsi que dans la fonction publique territoriale et hospitalière.

Vous avez également suggéré la création d’une caisse de retraites des fonctionnaires. Permettez-moi de poser la question : qu’est-ce qui pourrait justifier une telle option ? En particulier, quel serait l’avantage d’une caisse de retraite par rapport au compte d’affectation spéciale existant ?

Sur le plan de la transparence, l’utilisation d’un compte d’affectation spéciale permet d’obtenir toutes les informations dont on a besoin. En particulier, elle met en exergue l’évolution de la contribution de l’État employeur, qui est aujourd’hui de 62,15 %. Elle permet également de connaître le montant des différentes contributions. Ainsi, l’État versera 35,2 milliards d’euros en 2010 pour équilibrer le régime des pensions. La contribution de 7,85 % versée par les fonctionnaires à leur régime de retraite rapporte 4,6 milliards d’euros ; celle des autres employeurs publics – La Poste et France Télécom –, 5,6 milliards d’euros ; et la compensation interrégime est de l’ordre de 1 milliard d’euros. La seule donnée qui pourrait manquer concerne les frais de gestion, mais ceux-ci sont indiqués dans les documents de la Direction générale des finances publiques. De plus, le compte général de l’État ne se contente pas d’estimer le montant des versements de l’année en cours, mais rend également compte de l’ensemble des droits déjà validés pour les fonctionnaires. En 2010, les engagements de l’État dans son bilan s’élèvent, comme vous le savez, à près de un milliard d’euros. Ainsi, nous pouvons penser qu’en matière d’information, une caisse de retraite n’apporterait rien de plus que le compte d’affectation spéciale.

Par ailleurs, une caisse de retraite serait dotée de la personnalité juridique et d’un conseil d’administration. Or, les organisations syndicales, avec lesquelles j’ai bien entendu ouvert la discussion à la demande d’Éric Woerth, ont prévenu que, dans le cas où une caisse de retraite autonome serait créée, elles ne souhaitaient pas y être directement présentes. Les représentants de l’État auraient donc été les seuls à siéger au conseil d’administration, ce qui serait apparu peu efficace. C’est un argument supplémentaire en faveur du maintien d’un compte d’affectation spéciale.

M. Arnaud Robinet. Je rends hommage à notre ministre pour la qualité de son projet de loi. N’en déplaise à l’opposition, il s’agit de la plus grande réforme des retraites que la France ait connue, et elle mérite donc autre chose que la caricature.

Cette réforme est juste et équitable, et porte une avancée sociale, la prise en compte de la pénibilité. Pourtant, le Parti socialiste s’oppose à cette mesure, de même qu’il s’était opposé, en 2003, au dispositif des carrières longues.

L’objectif est bien sûr de sauver le système par répartition. Or, dans la mesure où celui-ci repose essentiellement sur la démographie, il est naturel d’opter pour une solution démographique : le recul de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite.

Je rappelle, par ailleurs, à notre collègue Marisol Touraine qu’en France, le taux plein existe à 60 ans, et que deux tiers des Français en bénéficient avant 65 ans.

Vous avez déjà répondu, monsieur le ministre, à une partie des questions que je souhaitais vous poser, notamment sur les avancées possibles en matière de pénibilité ou sur les polypensionnés. Quel dispositif pourrait être créé concernant la retraite supplémentaire ? Comment rendre l’épargne retraite accessible à l’ensemble des salariés français ? Est-il possible de poursuivre la réflexion sur l’opportunité de réaliser une réforme systémique après 2018 ou 2020 ?

M. Christophe Sirugue. Une des appréciations essentielles que nous portons sur ce projet est son aspect injuste. J’en donnerai deux exemples, illustrant notamment les conséquences de votre projet sur les personnes en situation de précarité.

Les jeunes, tout d’abord. Comme vous le savez, l’entrée sur le marché du travail est particulièrement difficile en France où la stabilisation y est la plus longue : entre sept et dix ans. Selon un récent rapport, 60 % des jeunes de moins de trente ans ne disposent pas d’un emploi stable. On peut craindre pour eux que les mesures que vous proposez n’aient aucune incidence positive pour eux. En 2003, une réforme des retraites avait déjà eu lieu, qui devait résoudre tous les problèmes en échange des efforts consentis. Sept ans plus tard, cette promesse est remise en question. Les jeunes d’aujourd’hui devront-ils subir dans quelques années une nouvelle réforme destinée à répondre à leur situation ?

Une autre catégorie exposée est celle des chômeurs en fin de droits ou des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Ces personnes sont déjà fragilisées par la précarité et par un dispositif, le RSA, dont on peut d’ores et déjà constater le faible développement. Or, contrairement aux demandeurs d’emploi de longue durée bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), les demandeurs d’emploi en fin de droits qui bénéficiaient de l’aide exceptionnelle prévue dans le cadre du plan Rebond pour l’emploi ou du RSA n’acquièrent pas de trimestre validé d’assurance vieillesse pour l’assurance de base. Que prévoit votre projet de loi pour ces personnes, qui risquent de n’avoir que des miettes lorsqu’elles feront valoir leur droit à la retraite ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je souris lorsque j’entends Marisol Touraine affirmer que les propositions des députés du groupe UMP sont en conformité avec celles du Gouvernement. Je n’ai pas entendu, au sein de l’opposition, d’autres propositions que celles provenant de la rue de Solferino !

Pendant l’intervention de mon collègue de l’UMP à l’instant, j’ai entendu certains dénoncer l’utilisation d’éléments de langage. Mais si un tel reproche peut être fait, il devrait plutôt s’appliquer à l’opposition qui ne cesse de marteler un seul et même argument – qu’elle ne va pas manquer de répéter pendant tout l’examen du projet de loi –, à savoir que la réforme des retraites serait injuste ! Or, cette réforme est juste parce qu’elle est équitable et, surtout, parce qu’elle garantit le grand principe de la solidarité intergénérationnelle. N’est-ce pas d’ailleurs justement cet élément qui gêne profondément l’opposition ?

Je remarque par ailleurs que, pour la première fois en France, on aborde la notion de pénibilité dans un texte de loi. Il est dommage qu’en son temps, l’opposition ne l’ait pas considérée comme une priorité ! C’est bien une majorité UMP qui va introduire la reconnaissance individuelle de la pénibilité.

Et de grâce, arrêtez de faire l’amalgame entre invalidité et incapacité permanente à un taux fixé par décret. Ce n’est pas la même chose ! Une incapacité de 20 %, par exemple, n’est pas une invalidité définitive et totale. Avec ce mauvais procès, vous prenez les Français en otage.

M. Jacques Domergue. Les Français ont compris que nous souhaitions réformer les retraites sur la base de l’équité. La réforme ne sera donc acceptée que si cette équité est incontestable.

De même, ils ont compris que la question démographique était au fondement de la réforme des retraites, dès lors que l’on ne veut pas toucher aux pensions ni au taux de cotisation.

Il existe deux points sur lesquels, en tant que parlementaires, nous serons conduits à garantir le mieux possible une certaine équité : les régimes spéciaux et la pénibilité.

La réforme des régimes spéciaux date de 2008 et, depuis, une crise est survenue. Même si une convergence est prévue à partir de 2017, les Français comprendraient mal qu’aucune modification de ces régimes ne soit prévue pour tenir compte des nouvelles circonstances. Le rôle du Parlement sera donc de veiller à ce que toutes les catégories de Français soient concernées par la réforme.

Concernant la pénibilité, mes propos risquent d’être un peu dissonants. Vous souhaitez, monsieur le ministre, que son évaluation se fasse sur des critères objectifs. Il serait, en effet, très difficile d’entrer dans le détail des différents métiers : quel Français, aujourd’hui, ne prétend pas que son métier est pénible ? Cependant, l’incapacité n’est pas le meilleur critère à retenir pour définir la pénibilité, sous peine de négociations difficiles avec la médecine du travail et des contentieux. Nous devons travailler à mettre l’équité au cœur de la réforme des retraites.

M. Michel Issindou. Monsieur le ministre, vous avez au moins évolué sur un point : vous avez enfin reconnu que les socialistes avaient des propositions à formuler. Cependant, si vous assumez votre projet avec force et conviction, vous répétez en boucle les mêmes arguments sans entendre les nôtres, que nous vous exposerons donc en commission, puis, à l’automne, dans l’hémicycle.

N’en déplaise à Marie-Christine Dalloz, je persiste à penser que votre projet est injuste. Ainsi, 85 % ou 90 % de son financement seront assurés par les salariés, alors que le projet socialiste prévoit de demander à ceux qui en ont les capacités de contribuer davantage. Vous prévoyez, certes, que 4,4 milliards d’euros, sur 45 ou 50 milliards, seront prélevés sur les riches, mais cela ne représente qu’une élévation d’un point du taux maximal – de 40 % à 41 % –, ce qui fait sourire. Vous auriez au moins pu augmenter de 5 ou 10 points : cela aurait fait des recettes supplémentaires.

Vous devriez cesser d’employer le terme de « pénibilité », car vous ne la prenez en compte que s’il y a invalidité – ce n’est, au fond, pour vous, qu’anticiper sur une retraite pénible ! Ce n’est pas sérieux.

Quant aux carrières longues, les salariés qui ont commencé à 14 ou 15 ans, que vous citez sans cesse, sont bien peu nombreux, car il y a déjà longtemps que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Pensez plutôt à ceux qui commencent à 18 ans, et qui travailleront bien jusqu’à 62 ans.

Allez donc voir sur le terrain ce que c’est que des travaux pénibles – comme je l’ai fait récemment en allant visiter une forge à Voiron, dans l’Isère. Pour les salariés concernés, le fait de partir à 60 ou à 62 ans fait une vraie différence, qui les inquiète même s’ils sont aujourd’hui en bonne santé.

À quoi bon, par ailleurs, repousser l’âge du taux plein à 67 ans si, comme vous l’affirmez, personne ne travaille jusqu’à cet âge ? Supprimez donc cette provocation supplémentaire et restez-en à 65 ans.

Enfin, votre réforme est inefficace, car elle sera à refaire en 2018, alors même qu’on nous avait promis que celle de 2003 vaudrait pour deux ou trois générations. Vous laissez à la CADES une charge de dette insupportable et vous avez ponctionné le Fonds de réserve pour les retraites, qui était destiné à passer la bosse de 2020 – mais vous semblez vous soucier bien peu de ce qu’il adviendra après 2018.

Votre projet suscite donc chez les Français une grande déception. Ils vous l’ont dit, mais vous ne l’entendez pas. Ils vous le rediront – peut-être encore plus fort – au mois de septembre et j’espère que vous les entendrez mieux.

M. Guy Malherbe. Le Médiateur de la République a récemment attiré l’attention sur trois mécanismes du système de retraite des fonctionnaires qui soulèvent des problèmes. Ces questions ont-elles été pris en compte dans le projet de loi ? Le cas échéant, des avancées seront-elles possibles lors du débat sur le texte ?

Tout d’abord, à la différence de ce qui a cours pour les autres régimes, la pension de réversion des veuves et veufs de fonctionnaires n’est pas répartie sur les autres ayants droit lors du décès du conjoint survivant, mais cette part est récupérée par l’État. Le médiateur propose de supprimer cette inégalité de traitement, dont rien ne justifie l’existence.

Par ailleurs, il semble que tous les fonctionnaires ne puissent pas bénéficier de la bonification d’un an accordée aux parents d’enfants nés avant le 1er janvier 2004 – c’est notamment le cas des hommes, des enseignantes ayant accouché durant les vacances d’été, qui n’ont donc pas pris de congé de maternité, et des mères adoptantes, qui ont eu un congé de deux mois ou d’une durée inférieure. Le médiateur propose de rétablir ce droit à bonification.

Enfin, la possibilité dont disposent les fonctionnaires à temps partiel de cotiser sur la base d’un temps plein, limitée à quatre trimestres pour l’ensemble de la carrière, est inférieure à celle dont disposent les salariés affiliés au régime général et laisse à la charge de l’agent 80 % des cotisations salariales. Le médiateur propose de supprimer cette limitation à quatre trimestres, sans modifier la charge financière.

M. Michel Heinrich. J’ai été surpris de l’agressivité de nos collègues de l’opposition et je regrette qu’ils n’aient pas davantage soutenu les mesures que nous avons prises en faveur, par exemple, des petites retraites, en revalorisant de 25 % le minimum vieillesse, ou pour revaloriser les pensions de réversion et les retraites agricoles.

Je tiens à saluer la qualité du projet de loi, qui sauvegarde réellement notre régime de retraite par répartition avec des mesures d’âge bien moins drastiques que dans la quasi-totalité des pays européens et avec l’attention portée à la pénibilité – progrès qui vient s’ajouter à la prise en compte également des carrières longues instaurée en 2003 et améliorée aujourd’hui par l’extension aux salariés qui débutent leur carrière à 17 ans. La notion de pénibilité obligera certainement les employeurs et les partenaires sociaux à mieux travailler, à mieux écouter et à mieux suivre le parcours professionnel des salariés dans l’entreprise. À cet égard, le carnet de santé est un bon dispositif de traçabilité. Il faudra améliorer l’organisation de la santé au travail. Nous formulerons des propositions en la matière et serons à l’écoute des vôtres.

Les convergences des régimes ne soulèvent guère de contestation. Pouvez-vous toutefois nous expliquer votre prudence quant au dispositif de réversion, que vous ne semblez pas avoir voulu modifier, alors qu’il existe de grandes différences en la matière entre le public et le privé ?

Enfin, n’eût-il pas été judicieux d’aligner les cotisations à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, qui ne représentent que 85 % du plafond pour le régime de base, sur le taux qui s’applique aux commerçants et artisans ? Du reste, les auditions auxquelles nous avons procédé semblent indiquer que les intéressés y seraient plutôt favorables.

Mme Martine Billard. Quand disposerons-nous du texte du projet de loi afin de pouvoir déposer des amendements avant l’examen du texte en commission mardi prochain ?

Par ailleurs, quand aura lieu le débat dans l’hémicycle ? En effet la date du 7 septembre a été annoncée, mais le Président de la République évoquait, hier, celle du 6 septembre.

M. le président Pierre Méhaignerie. Compte tenu des manifestations prévues le mardi 7 septembre, il serait peut-être préférable de commencer l’examen du texte le lundi 6 au soir, afin que le plus grand nombre possible d’entre nous soit présent. En outre, il faut que nous ayons le temps nécessaire pour la discussion générale. Nous en reparlerons.

Mme Martine Billard. Pour en revenir au projet de loi, la réforme, tout d’abord, n’est pas « juste ». Ainsi, le départ à 62 ans se traduira, pour ceux qui auront commencé à cotiser à 18 ans, par 44 années de cotisation. Du reste, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas reprocher à la gauche le fait que l’on travaillait plus longtemps quand elle était aux affaires et critiquer en même temps sa mesure d’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans...

J’observe que les convergences sont généralement défavorables. En termes d’équité, la question se pose depuis plusieurs années de l’égalité des droits des pacsés en matière de pension de réversion.

Je remarque, par ailleurs, que les 30 % des femmes, qui doivent déjà attendre l’âge de 65 ans pour liquider leur retraite, devront désormais cotiser jusqu’à 67 ans, ce qui dégradera encore leur situation.

En matière de pénibilité, il existait des dispositifs tels que la préretraite et les régimes spéciaux, sans parler de l’âge de départ alors fixé à 60 ans. Il n’est donc pas indifférent que vous tentiez de noyer le nombre de personnes concernées – moins de 1 % des salariés – dans les carrières longues. Pour ce qui est de la pénibilité, cette réforme n’est pas sérieuse. Je rappelle à ce propos que des critères avaient été actés par les organisations syndicales et patronales et qu’il ne restait plus qu’à s’accorder sur le mode de mise en œuvre – le MEDEF refusant la demande des syndicats d’une participation financière des entreprises et de négociations par branche visant à définir, à partir des critères fixés, les postes de travail ouvrant droit à un départ anticipé.

J’en viens à une question très précise : comme ceux qui, lors de la création du corps des professeurs des écoles, ont choisi de garder leur ancien statut d’instituteurs et institutrices, les professeurs des écoles issus de ce corps conservaient le droit de partir à la retraite à 55 ans s’ils avaient effectué 15 années de services actifs comme instituteur. Le projet de loi, qui fait passer de 15 à 17 le nombre d’années requises, remet-il en question le droit de ces fonctionnaires, qui ne sont plus en mesure d’effectuer deux années supplémentaires dans un corps qu’ils ont quitté ? La situation n’est pas claire et le rectorat a d’ailleurs indiqué aux instituteurs qu’ils devaient déposer dès maintenant leur dossier pour pouvoir bénéficier de ce droit. Pour éviter des problèmes sérieux à la rentrée scolaire, une annonce claire s’impose, comme cela a été le cas pour le report au 31 décembre de la date limite pour les mères de trois enfants.

Mme Michèle Delaunay. Monsieur le ministre, vous remplacez la pénibilité par l’invalidité – c’est-à-dire par les dégâts qu’elle cause. Pourquoi ne pas utiliser les critères validés par les partenaires sociaux et les données fournies par la médecine du travail – qui permettent, en effet, pour de nombreux groupes professionnels, de connaître les risques et les taux d’accidents et de morbidité, ainsi que l’âge de survenue ? Pas un ministre – et, sans doute, pas un député – ne tiendrait deux heures sur un toit avec les couvreurs par les chaleurs que nous avons connues ces derniers jours. De même, on connaît les troubles qu’encourent par exemple les jockeys de Chantilly dont on sait bien qu’ils n’exerceront pas leur activité jusqu’à 65 ans. Pourquoi donc ne pas accepter, sur la base des risques connus, des critères de pénibilité, au lieu de ne tenir compte de cette dernière que lorsqu’elle a fait des dégâts et limite d’au moins 20 % les capacités de vie normale ?

M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. L’épargne retraite, évoquée par M. Arnaud Robinet, ne figure pas dans le texte, car celui-ci a pour objet de sauver les retraites par répartition. Nous étudierons, bien entendu, les amendements relatifs à cette question.

Monsieur Sirugue, pour ce qui est de la précarité, le texte prévoit la possibilité, pour les personnes inscrites au chômage et ne percevant pas ou n’ayant pas perçu d’indemnité, d’enregistrer six trimestres, au lieu de quatre aujourd’hui. De fait, les salariés acquièrent des droits à la retraite, et c’est du reste la raison pour laquelle ils ont le plus souvent, lorsqu’ils partent à 60 ans – et, a fortiori, à 62 ans – tous les trimestres nécessaires.

Madame Dalloz, merci de vos propos.

Monsieur Domergue, un travail considérable a été fait voilà deux ans sur les régimes spéciaux. Il faut respecter ce travail et greffer le calendrier de la réforme des retraites sur celui des mesures adoptées en 2007 et 2008.

Monsieur Issindou, le Gouvernement n’est pas moins déçu par le projet de la gauche que vous ne l’êtes par le sien. Votre projet est un projet fiscal, et non pas un projet de réforme des retraites.

Madame Delaunay, la pénibilité que retient le texte est la pénibilité constatée. Il est heureux qu’il n’y ait pas plus de 10 000 personnes présentant un taux d’invalidité de 20 % : cela signifie que les conditions de travail s’améliorent en France. Pourquoi ne pourrait-on pas travailler jusqu’à 62 ans en France, alors que l’on peut travailler au-delà de 60 ans dans la quasi-totalité des autres pays, y compris Nordiques ? Vous n’avez jamais répondu à cette question.

Monsieur Heinrich, il faut en effet parvenir à une convergence des régimes, mais nous avons considéré que cette convergence avait déjà bien avancé pour les fonctionnaires et qu’il n’était pas nécessaire d’aller au-delà dans le cadre de cette réforme. Quant à la réversion, il faudra en discuter.

Madame Billard, le PACS n’instaure pas de solidarité financière totale entre les parties. Or, la réversion relève de cette solidarité.

Pour ce qui est des instituteurs, nous avons déjà répondu : la durée de cotisation retenue reste de 15 ans. Ce point a été confirmé par les trois conseils supérieurs de la fonction publique.

M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique. Pour les régimes spéciaux, le passage de 37 années et demie à 40 années de cotisation est prévu pour 2012 et le passage à 41 années pour 2016. Nous sommes donc dans une logique de convergence progressive. Le texte doit s’appliquer, je le rappelle, à partir du 1er janvier 2017. La logique adoptée est également de ne pas réduire le montant des pensions.

Madame Billard, les trois conseils supérieurs, je le répète à mon tour, ont acté le dispositif évoqué.

Monsieur Malherbe, plusieurs des questions soulevées par le Médiateur de la République sont à l’examen. Pour ce qui est de la reliquidation des retraites aux veuves, je rappelle que le principe général qui s’applique aux retraites est celui de la non-reliquidation des pensions : lorsqu’une pension est liquidée, son montant n’est plus révocable.

Enfin, pour ce qui est des enfants nés avant le fait générateur, c’est l’arrêt de travail qui ouvre le droit à bonification. La question a été réglée pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Ce point n’avait pas été retenu dans le cadre de la réforme de 2003. Quant aux mères adoptives, qui ne se sont pas arrêtées de travailler, il ne s’agit pas de la récupération d’un préjudice, comme c’est le cas pour les mères non adoptives.

M. le président Pierre Méhaignerie. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vos réponses ont été précises, concises et sereines. Je vous en remercie.

La Commission autorise la publication des comptes rendus des 32 auditions réalisées.

La séance est levée à treize heures trente.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné M. Denis Jacquat rapporteur sur le projet de loi portant réforme des retraites (n° 2760).

La Commission a désigné M. Guy Lefrand rapporteur sur le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 357).

La Commission a autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, la publication d’un rapport d’information rassemblant les comptes-rendus des auditions relatives à la réforme des retraites auxquelles elle a procédé.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 13 juillet à 11 heures 30

Présents. - M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, Mme Martine Billard, M. Yves Bur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Cécile Dumoulin, M. Yves Durand, Mme Odette Duriez, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, Mme Anne Grommerch, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Régis Juanico, M. Guy Lefrand, M. Jean-Claude Leroy, M. Guy Malherbe, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, M. Roland Muzeau, Mme Marie-Renée Oget, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, Mme Marisol Touraine, M. Francis Vercamer, M. Alain Vidalies

Excusés. - M. Jean Bardet, Mme Gisèle Biémouret, M. Georges Colombier, M. Jean-Marie Rolland

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Marc Ayrault, M. Gérard Bapt, M. Christophe Bouillon, Mme Danielle Bousquet, M. François Brottes, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, Mme Martine Carrillon-Couvreur, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Derosier, M. Tony Dreyfus, M. Yves Durand, Mme Corinne Erhel, Mme Aurélie Filippetti, Mme Geneviève Fioraso, Mme Valérie Fourneyron, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, Mme Colette Langlade, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, M. Victorin Lurel, Mme Jacqueline Maquet, M. Philippe Martin, Mme Frédérique Massat, M. Michel Ménard, M. Alain Néri, M. Michel Pajon, M. Bernard Roman, M. Alain Rousset, M. Francis Saint-Léger, Mme Odile Saugues, M. Jean-Louis Touraine