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Commission des affaires sociales

Mardi 18 janvier 2011

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Denis Jacquat membre de la commission

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Luc Broussy, vice-président de la commission des politiques sociales et familiales de l’Assemblée des départements de France (ADF) et M. Laurent Vachey, directeur de la Caisse nationale pour la solidarité et l’autonomie (CNSA), sur la réforme de la dépendance

– Présences en réunion 22

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 18 janvier 2011

La séance est ouverte à dix-sept heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales organise une table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Luc Broussy, vice-président de la commission des politiques sociales et familiales de l’Assemblée des départements de France (ADF) et M. Laurent Vachey, directeur de la Caisse nationale pour la solidarité et l’autonomie (CNSA), sur la réforme de la dépendance.

M. le président Pierre Méhaignerie. Mes chers collègues, après avoir entendu le mois dernier M. Vincent Chriqui, du Centre d’analyse stratégique, sur le rapport « Vivre ensemble plus longtemps », nous poursuivons le cycle d’auditions ou de tables rondes que j’ai souhaité que nous consacrions à la réforme de la dépendance, afin de préparer le débat prévu à l’automne.

Nous accueillons donc aujourd’hui M. Luc Broussy, vice-président de la commission des politiques sociales et familiales de l’Assemblée des départements de France (ADF), conseiller général du Val-d’Oise, délégué aux personnes âgées et aux personnes handicapées de ce département, accompagné de M. Jean-Pierre Hardy, chef du service des affaires sociales, ainsi que M. Laurent Vachey, directeur de la Caisse nationale pour la solidarité et l’autonomie (CNSA). J’ai souhaité que nous les entendions en même temps pour que nous puissions véritablement faire le point sur les relations financières existant entre les départements et la CNSA, s’agissant notamment du financement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Au-delà de l’enjeu que représente pour notre modèle social le vieillissement de la population, il est en effet essentiel de mesurer le poids financier des dépenses liées à la dépendance pour ces deux partenaires.

Messieurs, vous nous direz également ce qu’il faut attendre du fonds de soutien aux départements en difficulté, institué par la dernière loi de finances rectificative pour 2010, et ce que vous attendez du prochain débat budgétaire de façon que les départements, notamment ceux où le rapport actifs/inactifs est défavorable, soient mieux aidés.

M. Laurent Vachey, directeur général de la CNSA. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a été créée par la loi du 30 juin 2004, après le drame de la canicule de 2003, afin de mieux organiser la réponse aux besoins des personnes âgées et des personnes handicapées en situation de perte d’autonomie. La loi du 11 février 2005 a précisé et étendu ses missions. En tant qu’opérateur technique et qu’animateur des politiques à destination de ces personnes, la caisse a donc maintenant cinq ans d’expérience.

La CNSA se démarque des caisses de sécurité sociale à deux égards.

Tout d’abord, le Gouvernement a tenu à réunir au sein de son conseil l’ensemble des parties concernées par cette question de la perte d’autonomie : y siègent six présidents ou vice-présidents de conseils généraux – désignés par l’Assemblée des départements de France (ADF) –, deux parlementaires, des représentants des partenaires sociaux, douze représentants des associations oeuvrant au niveau national pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées, des personnalités qualifiées, des représentants de fédérations compétentes et de dix administrations centrales de l’État. Pour bien affirmer le caractère partenarial de ce conseil, il a été décidé que l’État n’y aurait pas de majorité automatique – il ne dispose que d’environ 45 % des voix.

Le conseil de la CNSA constitue, de ce fait, un organe de gouvernance assez original : c’est à la fois le conseil d’administration d’un établissement public administratif de l’État, votant le budget et approuvant le rapport annuel, et une sorte de « haut conseil de la perte d’autonomie », regroupant l’ensemble des acteurs concernés par la question. Ce dernier élément a contribué à l’instauration d’une vraie dynamique d’échanges, notamment entre les associations qui s’occupent des personnes âgées et celles qui s’occupent des personnes handicapées, qui avaient rarement l’occasion de se rencontrer, et avec les conseils généraux, qui mettent en oeuvre sur le terrain les politiques de compensation de la perte d’autonomie.

Ensuite, dans son modèle institutionnel actuel, la CNSA présente une autre spécificité : c’est une caisse sans réseau. Il n’existe pas de caisse locale de compensation de la perte d’autonomie, que ce soit au niveau du département ou à celui de la région.

Nous nous appuyons sur les conseils généraux pour tout ce qui concerne les allocations individuelles de compensation de la perte d’autonomie – allocation personnalisée d’autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH) – ; sur les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour la mise en œuvre des politiques en faveur des personnes handicapées au niveau départemental ; et sur les nouvelles agences régionales de santé (ARS) pour tout ce qui concerne le financement des établissements et services médico-sociaux, pour la partie de leur budget couverte par l’assurance-maladie et, complémentairement, par la CNSA.

La situation de la caisse est ainsi plus confortable, dans la mesure où elle n’a pas à gérer de réseau ni à exercer de pouvoir hiérarchique sur ses partenaires locaux – c’est en effet uniquement dans la qualité de ses rapports d’animation et de partenariat avec les agences régionales de santé et les conseils généraux qu’elle puise sa légitimité.

Tout en confiant principalement la mise en œuvre des politiques de solidarité nationale aux collectivités locales, on a donc fait le choix – qui tranche avec celui qui a été fait pour l’aide sociale à l’enfance, par exemple – de créer une instance d’animation de ces politiques au niveau national. Je suis personnellement assez convaincu de la pertinence de ce modèle, qui semble avoir assez bien trouvé sa place si l’on en croit les derniers rapports des inspections générales ou des assemblées parlementaires. Mais bien évidemment, certaines difficultés subsistent.

Le problème majeur est celui de la répartition de la charge de financement. À l’origine, pour l’APA, le partage se faisait à peu près à égalité entre la solidarité nationale et les collectivités locales, mais la situation s’est rapidement dégradée et le taux de compensation de la charge des départements est tombé aux alentours de 30 à 33 % – les écarts s’expliquant par les taux de péréquation. Ce taux est resté stable pendant plusieurs années, puis a à nouveau nettement baissé en 2009 et 2010, en raison de la crise économique. D’où les tensions que nous connaissons.

Pour ce qui est de la prestation de compensation du handicap, pendant les trois premières années, les conseils généraux ont reçu davantage qu’ils ne dépensaient. Mais depuis deux ans, en raison d’une croissance de cette dépense supérieure aux prévisions, la situation s’est là aussi nettement dégradée au point qu’aujourd’hui cette prestation représente de plus en plus souvent une charge nette pour les départements – y compris parfois en cumulé.

On sent bien que, dans le débat qui s’engage, une des questions importantes portera sur cette configuration originale d’une politique animée par une caisse nationale répartissant des financements, mais mise en œuvre par des acteurs locaux confrontés à des contraintes financières extrêmement pesantes dans certains départements.

M. Luc Broussy, vice-président de la commission des politiques sociales et familiales de l’Assemblée des départements de France (ADF). Mesdames et messieurs, l’Assemblée des départements de France représente l’ensemble des départements, quelle que soit la couleur politique de leurs responsables, et elle s’emploie donc à définir des positions aussi consensuelles que possible. Je vais tenter de vous faire part de l’état des réflexions que nous menons depuis quelques mois sur ce sujet de la perte d’autonomie, sachant que nous avons, à notre tour, entamé la semaine dernière un cycle de trois conférences qui aboutira début mai à la tenue d’une conférence nationale où nous présenterons nos propositions.

Du point de vue démographique, il ne faut pas céder au catastrophisme. Le nombre de personnes âgées en situation de dépendance augmentera évidemment dans les prochaines années, mais à des rythmes toutefois contrastés. Très rapide avant 2005, cette croissance se ralentira jusqu’en 2030, date à laquelle pourrait intervenir une explosion – mais ce n’est qu’une prévision qui pourrait se trouver démentie si la recherche sur la maladie d’Alzheimer arrivait à des résultats concluants. Quoi qu’il en soit de ce dernier point, notre débat est double : il nous faut, d’une part, nous préoccuper d’améliorer, immédiatement et pour les dix prochaines années, le sort et la prise en charge des personnes âgées dépendantes et, d’autre part, nous préparer à prendre éventuellement en charge un plus grand nombre de personnes à partir de 2030 ou de 2040, ce qui n’est pas le même problème.

Je veux, par ailleurs, insister sur le flou des notions en jeu : on parle de dépendance, de cinquième risque, de cinquième branche, etc., sans bien définir ces termes. Voilà pourquoi nous avons été amenés à essayer de cerner trois périmètres, en fonction des rapports entre handicap et dépendance, entre dépendance et soins, et entre dépendance et hébergement.

Commençons par le rapport entre handicap et dépendance. En 1975, lorsque a été votée la première loi d’orientation sur le handicap instituant l’allocation compensatrice pour tierce personne, la définition du handicap était : « l’incapacité d’effectuer seul les actes essentiels de la vie quotidienne ». Cette définition est la même pour une personne handicapée de 30 ans et pour une personne de 95 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer. De fait, un certain nombre de questions se posent pour toutes deux à peu près dans les mêmes termes et peuvent donc relever d’un traitement commun – à tout le moins d’un tronc commun.

C’est le cas du transport. Ainsi, en Île-de-France, le transport adapté répond aux besoins aussi bien des personnes handicapées que des titulaires de l’APA, à la mobilité réduite.

C’est le cas, encore, de l’accueil, de l’orientation et de l’information des familles, qui ont souvent du mal à « s’y retrouver » dans le parcours de soins. Certains départements ont d’ailleurs innové en décidant de transformer les maisons départementales des personnes handicapées en maisons départementales de l’autonomie – ce qui ne signifie pas qu’ils entendent nier ou gommer la spécificité des situations de handicap.

C’est le cas également de l’aménagement des logements – installation de barres d’appui, transformation des baignoires en douches accessibles, etc. Il serait bon, à cet égard, d’engager un travail avec les bailleurs sociaux pour répertorier les logements accessibles, qui peuvent servir aussi bien aux personnes handicapées physiques qu’aux personnes âgées dépendantes : cela éviterait qu’on demande aux locataires qui les quittent de les remettre dans l’état dans lequel ils les ont trouvés, comme cela arrive encore parfois.

Les départements sont d’accord pour reprendre la formule qui avait été adoptée par la CNSA en 2007 : « convergence sans confusion ». Certaines problématiques sont, je le répète, communes aux deux publics. Ainsi, les règles en matière d’accessibilité des lieux publics, si elles sont issues de la loi de 2005 sur le handicap, profitent surtout dans les faits aux personnes âgées. Il en est de même des règles d’accessibilité dans le domaine de l’habitat ou de l’urbanisme. Il faut savoir, en effet, que les personnes âgées vivent le plus souvent à domicile, et que c’est seulement à partir de 96 ans que plus de 50 % d’entre elles se retrouvent dans des institutions.

On évoque régulièrement, dans les colloques, une autre question liée à ce sujet de la relation entre handicap et dépendance : celle de la barrière des 60 ans. Il est absurde qu’un handicap survenu à 59 ans se traduise par l’allocation de la prestation de compensation du handicap, alors qu’à 61 ans il conduit au versement de l’APA. Faut-il conserver cette barrière d’âge qui fait qu’à 60 ans, on passe d’une situation de handicap à une situation de dépendance ? C’est d’autant plus incompréhensible que cette dernière survient, en moyenne, à 85 ans.

En 2007, le rapport de la CNSA préconisait l’institution d’une prestation universelle de compensation, qui ne serait donc plus fonction de l’âge de l’intéressé. Depuis, le rapport de MM. Philippe Marini et Alain Vasselle, au Sénat, et celui de Mme Valérie Rosso-Debord, à l’Assemblée nationale, ont traité uniquement du vieillissement, et non du handicap. Nous tenons donc à reposer la question : ne faudrait-il pas traiter des deux sujets ensemble ?

Deuxième problème de périmètre : la relation entre dépendance et soin est également floue. Comment un non-spécialiste pourrait-il comprendre que la « maladie » d’Alzheimer ne soit pas prise en charge, pour l’essentiel, par l’assurance-maladie ? Et quand le Premier ministre évalue devant vous le financement de la dépendance à 22 milliards d’euros, je note, sans critiquer, qu’il intègre dans ce montant l’APA, pour 5 milliards, l’aide sociale, les aides au logement, les dépenses d’hospitalisation et de médecine de ville, ainsi que les forfaits soins des établissements. À mélanger ainsi allègrement ce qui relève de l’hébergement, de la dépendance et du soin, on ne sait plus de quoi l’on parle lorsqu’on parle de dépendance…

Enfin, il faut également clarifier la relation entre dépendance et hébergement. Personne n’est choqué que celui-ci soit soumis au recours sur succession et à l’obligation alimentaire alors que ce n’est pas le cas, aujourd’hui, de l’APA. D’autant plus que, si une prise en charge à 100 % dans une maison de retraite couvre les soins et les frais liés à la dépendance d’une personne âgée, elle laisse à la charge de la personne âgée ou de sa famille les dépenses d’hébergement, qui se montent à quelque 2 000 euros par mois.

Pour conclure ce chapitre, je dirai que, tant que nous n’aurons pas réglé ces questions de périmètres, il sera inutile d’essayer de solvabiliser qui que ce soit, puisqu’on ne sait pas de quoi on parle.

J’en viens aux limites du système actuel. La dépendance entraîne une charge croissante pour les conseils généraux et l’on peut déplorer une certaine inégalité des situations – mais non une inégalité de traitement – selon les départements. Cette inégalité est souvent liée à la sociologie : un département fortement agricole et ouvrier aura proportionnellement davantage de personnes âgées dépendantes qu’un département riche où les cadres sont nombreux. Et, bien évidemment, les conseils généraux des départements « jeunes » et riches parviendront plus facilement à prendre en charge une population dépendante, relativement minoritaire. Enfin, les départements les plus vieillissants sont aussi fiscalement les plus pauvres. Ainsi les situations sont très contrastées entre l’Ardèche, la Haute-Loire et la Corrèze, d’une part, et les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise, d’autre part. Je n’y insisterai pas, car tout cela est bien connu de tous. En revanche, je m’arrêterai un moment sur quelques chiffres précis, concernant le montant de la solidarité nationale.

En 2008, l’APA coûtait 4,8 milliards d’euros et la dotation de la CNSA couvrait 32 % des dépenses. En 2009, nous en étions, respectivement, à 5,1 milliards et à 30 % ; en 2010, selon nos estimations, ce sera 5,6 milliards d’euros et 27 % ! Depuis dix ans, la contribution de la solidarité nationale baisse, ce qui se traduit par une progression du financement assumé par les conseils généraux. Sans réforme, les finances départementales iront droit dans le mur !

Avant de savoir s’il faut supprimer le GIR 4 ou instaurer un recours sur succession, il faut apprécier exactement la situation. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), l’APA est en moyenne de 350 euros par mois pour une personne en établissement, et de 450 euros pour une personne maintenue à domicile, alors que la prestation de compensation du handicap est d’environ 950 euros par mois. Le rapport est plus que du simple au double ! On peut déplorer l’insuffisante solvabilisation en établissement et à domicile. Il faut cependant remarquer que, dans le cas du maintien à domicile, la situation se régule de manière différente, la personne âgée ayant tendance à réduire son propre plan d’aide afin de limiter le coût du ticket modérateur. Entre 2009 et 2010, de nombreuses associations ont ainsi vu baisser le volume horaire de leurs interventions au domicile des bénéficiaires de l’APA.

Le dernier défaut que je soulignerai est l’absence de continuité dans la prise en charge. La création des agences régionales de santé doit être mise à profit pour y remédier et pour mieux organiser le parcours de soin de la personne âgée. Un excessif cloisonnement entraîne des problèmes de coordination entre l’hôpital, les centres de moyen séjour, les services d’aide et les services de soins infirmiers à domicile, et les établissements d’hébergement, etc., et c’est aujourd’hui un facteur clairement inflationniste. À ce propos, je vous encourage à consulter le remarquable rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, présidé par M. Denis Piveteau, où l’on insiste sur la nécessité de fluidifier ce parcours.

Plusieurs rapports parlementaires ont avancé des solutions. S’agissant du recours sur succession, ou « gage patrimonial », je relèverai son effet dissuasif : alors que la prestation spécifique dépendance (PSD), était perçue par 120 000 personnes âgées dépendantes au terme de quatre ans d’existence, l’APA qui l’a remplacée en 2002 et qui, elle, exclut une telle disposition, compte aujourd’hui 1 200 000 bénéficiaires. Le recours sur succession permet certes de faire baisser les dépenses des conseils généraux, mais constitue-t-il pour autant un progrès ? Notre but est de prendre en charge correctement les personnes âgées ! Enfin, les politiques sociales étant au cœur de nos politiques départementales, le meilleur moyen d’expliquer que les départements n’ont plus de rôle à jouer demain est de leur enlever les responsabilités qui sont les leurs aujourd’hui.

De la même façon, l’institution d’un système assurantiel allégerait la tâche des conseils généraux, mais ferait disparaître un système qui a fait ses preuves depuis dix ans. N’ayant plus à la financer, les conseils généraux n’auraient plus rien à voir avec la prise en charge des personnes âgées. Or, leurs équipes réalisent un bon travail d’ingénierie sociale, versant les prestations, contrôlant les établissements et les services d’aides à domicile, qu’elles soutiennent et parfois conseillent. Il faut donc que nos conseils conservent ce rôle opérationnel : personne n’a autant d’expérience pour assumer à leur place cette responsabilité.

Je ne reviens pas sur la suppression du GIR 4, mesure dont on a beaucoup parlé mais qui a reçu peu de soutien.

Je terminerai en évoquant notre collaboration avec la CNSA. Tous en sont d’accord : la création de cette caisse est une des meilleures choses qui soient arrivées au secteur depuis 2005. Je proposerai malgré tout deux améliorations.

Premièrement, la CNSA a contractualisé avec les maisons départementales des personnes handicapées de manière extrêmement positive. En tant que président d’une de ces maisons, je suis invité par la CNSA une fois par an pour faire un bilan de la politique que nous menons dans notre département, et j’apprécie ce partenariat. Tous les directeurs de maisons départementales vous diront combien ils apprécient de même la collaboration et le soutien de la caisse. Mais, ce qui est vrai pour le handicap l’est un peu moins pour les personnes âgées. Il conviendrait donc de voir comment une CNSA rénovée et chacun des conseils généraux pourraient passer contrat à la fois sur le handicap et sur la dépendance.

Deuxièmement, je souhaite une autre gouvernance pour la CNSA. M. Vachey a raison : aujourd’hui, l’État n’est pas majoritaire. Mais, il a juste oublié de vous dire que le « delta » qui le sépare des 50 % est constitué par les personnes qualifiées… nommées par le Gouvernement ! Si donc le débat est libre, c’est tout de même l’État qui finit par gagner, alors que la contribution des départements est très importante. Il nous paraîtrait opportun et efficace de renforcer la cogestion de la caisse, entre État, assurance maladie, parlementaires et conseils généraux – voire en y associant les organisations syndicales, puisque la CNSA reçoit une partie de la CSG. On pourrait à tout le moins réfléchir à la constitution, à côté d’un comité d’orientation auquel participeraient toutes les associations, d’un conseil, réunissant l’État, les conseils généraux et les parlementaires, qui serait vraiment responsable du financement et de la caisse. La CNSA pourrait ainsi devenir l’instrument de pilotage des politiques du handicap et de la dépendance, dans le cadre d’une collaboration renforcée entre l’État et les conseils généraux – qui ne comptent que six représentants sur la quarantaine de membres du conseil actuel.

M. Denis Jacquat. Ayant rapporté le texte instituant la CNSA, je me souviens des critiques qu’on nous opposait alors : nous mettions en place une nouvelle vignette, disait-on par exemple ! Aujourd’hui, nous constatons unanimement que cette caisse fonctionne bien. Partisan du cinquième risque ou d’une cinquième branche, je pense pour ma part qu’il est maintenant possible de créer une cinquième caisse dans notre pays à partir d’une CNSA rénovée.

En 2002, comme porte-parole de mon groupe politique, j’ai soutenu la création de l’APA. Toutefois, le Gouvernement de l’époque, représenté par Mme Paulette Guinchard-Kunstler, s’étant refusé à inscrire dans la loi une contribution à égalité de la solidarité nationale et des départements, j’ai dans le même temps alerté l’Assemblée sur le risque qui en découlait pour le financement de cette prestation, compte tenu de la démographie. Il était évident, dès le départ, qu’on allait dans le mur ! De fait, dix ans après, si le système fonctionne de façon satisfaisante au niveau national, on en est à chercher une nouveau moyen de financer la compensation de la perte d’autonomie.

Je suis entièrement d’accord avec M. Luc Broussy sur les questions de périmètres et sur la convergence des besoins entre personnes handicapées et personnes âgées. De ce point de vue, je me demande si les centres locaux d’information et de coordination (CLIC), qui ont été créés entre-temps pour les personnes âgées, ne pourraient pas être intégrés dans les maisons départementales des personnes handicapées. Leur rôle est en effet avant tout d’informer les intéressés.

Je rappelle ensuite que le rapport de Valérie Rosso-Debord, qui avait été demandé par la commission, portait avant tout sur le vieillissement,…

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous l’avions voulu ainsi.

M. Denis Jacquat. …sur les problèmes de la personne âgée dépendante et de l’APA. On ne peut donc pas reprocher à ses auteurs d’avoir oublié de traiter du handicap.

La question de la péréquation entre départements a été soulevée. Cela est tout à fait compréhensible. Je ferai néanmoins observer que certains départements, pourtant considérés comme riches, peuvent rencontrer des difficultés spécifiques, qui entraînent des dépenses importantes. C’est le cas du mien, la Moselle, confronté à un important chômage dû à la désindustrialisation, et à des problèmes de flux migratoires en raison de sa situation frontalière.

La solvabilisation, à domicile et en établissement, est le véritable problème, apparu depuis que l’on parle de grande dépendance – c’était du temps d’Adrien Zeller et de Théo Braun, où notre collègue Jean-Claude Boulard demandait que l’allocation compensatrice pour tierce personne soit étendue aux personnes âgées. Je conviens avec M. Broussy que la personne âgée maintenue à domicile dispose d’une certaine latitude pour s’adapter à cette difficulté, pour réguler, mais je lui ferai remarquer qu’à côté des associations prestataires, dont certaines ont vu leur activité diminuer, existe l’emploi direct, avec le système du chèque emploi-service universel (CESU). Il faudrait être en mesure de prendre en compte cette donnée aussi pour déterminer si ces personnes sont plus ou moins aidées qu’elles ne l’étaient auparavant.

S’agissant du recours sur succession, c’est moi qui suis à l’origine de l’amendement visant à le supprimer. Gauche comme droite étaient divisées sur la question, mais ceux d’entre nous qui y étaient favorables ont laissé le groupe socialiste déposer cet amendement en séance publique et nous l’avons voté avec lui car nous étions convaincus que ce recours était source de blocage. Une étude réalisée dans plusieurs départements, en particulier dans le Bas-Rhin, avait d’ailleurs démontré que le coût administratif du recours était supérieur aux sommes récupérées. Par conséquent, pour le cas où nous déciderions de réexaminer cette décision, il faudrait nous montrer très prudents.

Enfin, le GIR 4 ne figurait pas dans le texte initial : il y a été ajouté à notre demande. À mes yeux, toutes les pertes d’autonomie doivent être prises en compte, du GIR 1 au GIR 6.

(M. Denis Jacquat remplace M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance.)

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je vous remercie, monsieur Vachey, d’avoir utilisé les termes de « perte d’autonomie », et non le mot « dépendance » car, pour moi, les mots ont un sens : on peut parler de dépendance au tabac, à l’alcool, à la drogue, mais pas pour la vieillesse. Les politiques auront fait un grand pas lorsqu’ils auront changé leur regard sur le vieillissement de la population en adoptant un vocabulaire plus adéquat – qui est au reste celui qu’utilise la CNSA depuis son rapport de 2007, mais aussi celui que préconisent les professionnels et Mme Bernadette Puijalon, entendue par le groupe d’études sur la longévité que je copréside avec M. Jacquat.

Certes, plus personne ne doute aujourd’hui du caractère innovant de la CNSA ; néanmoins, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de l’année dernière et la mission présidée par Laurence Dumont nous conduisent à nous interroger, en premier lieu sur l’articulation entre l’activité de la caisse et celle de ses autorités de tutelle et des agences régionales de santé. Sur le terrain, on ne sait plus très bien, en effet, qui fait quoi, qui paie quoi. Le besoin d’une meilleure coordination, d’une clarification des responsabilités est évident.

Je rappelle aussi que la première proposition du rapport Dumont-Poletti était d’éviter à l’avenir tout nouveau débasage de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour le médico-social.

Je me réjouis que Mme Bachelot ait annoncé, le 10 de ce mois, son intention de mobiliser, sur votre caisse, 50 millions d’euros en faveur des services à domicile regroupés dans le collectif des seize associations. C’est un premier pas, même s’il faut sans doute faire davantage.

Ensuite, le rapport de l’IGAS comme celui de la mission d’information préconisent de nous permettre d’y voir un peu plus clair s’agissant des crédits. Nous savons qu’il peut s’écouler plusieurs années entre la décision de construire un établissement et le versement des crédits mais, entre les crédits non reconductibles et les crédits affectés mais non versés, on s’y perd. La CNSA avait cumulé 1,855 milliard d’euros; le débasage a atteint 300 millions l’année dernière et 100 millions d’euros cette année : les sommes sont importantes et nous préférerions voir la CNSA aider chaque année à l’investissement – comme le permettaient auparavant les plans pluriannuels. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements en la matière ?

Sur la convergence, je me bornerai à renvoyer aux mesures contenues dans la loi du 11 février 2005 tout en rappelant qu’on ne soigne pas de la même manière un autiste de 20 ans et une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Nous serions sans doute tous pour que la contribution de la CNSA et celle des départements soient égales mais, selon certains, cela exigerait que la caisse débourse 1,8 milliard de plus. Pouvez-vous confirmer ce montant, monsieur Broussy ?

Autre incertitude sur les chiffres : selon M. Baroin, il faudrait 22 à 30 milliards d’euros pour financer la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie alors que, selon d’autres, 5 milliards d’euros suffiraient. Quels sont les besoins réels ?

Enfin, qu’en est-il des problèmes qui se sont posés à propos de votre dernier budget, monsieur Vachey ?

M. Maxime Gremetz. En dépit de calculs que j’avais fait réaliser à l’époque pour le Val-de-Marne et pour la Seine-Saint-Denis, prouvant l’incapacité des départements à supporter la charge de la dépendance, je n’ai pas réussi à convaincre le gouvernement de gauche de la nécessité de faire participer les employeurs au financement de l’APA. J’avais pourtant mis en avant l’augmentation des inégalités qui ne manquerait pas de résulter de cette absence de réelle solidarité nationale, et j’étais allé jusqu’à parler de faute ! Est-il juste que les plus pauvres contribuent à l’APA, mais non les employeurs ? On ne m’a pas davantage entendu lorsque j’ai rappelé que la sécurité sociale avait été créée, non pour faire face à quatre risques seulement, mais pour couvrir l’ensemble des risques susceptibles de toucher nos concitoyens.

Les inégalités entre départements aboutissent à une situation insupportable pour les moins riches d’entre eux, qui ne peuvent plus faire face à la dépense qu’exige l’APA. Quant aux familles, elles doivent bien souvent payer aux maisons de retraite des sommes colossales – jusqu’à 2 000 euros par mois ! Cela ne peut conduire qu’à un développement de l’aide à domicile, alors même que les personnes qui en sont chargées connaissent des conditions de travail très difficile, pour ne pas parler de leur rémunération, qui est une honte ! Tant qu’il n’y aura pas de vraie solidarité nationale, ces situations ne peuvent que s’aggraver.

Par ailleurs, les personnes autistes se plaignent de s’entendre qualifier de « victimes de handicap », et non plus de handicapées, simplement. Elles souhaitent qu’on appelle un chat un chat et qu’on ne se cache plus derrière des mots pour éluder l’exigence de compensation ! Il en va de même de l’expression « perte d’autonomie », qui recouvre selon moi la même réalité que le mot « dépendance » ! Le vocabulaire ne change rien à la réalité des besoins et à la nécessité de les satisfaire.

La question est donc celle des moyens nouveaux à dégager. Pour notre part, nous étant battus tous – avec certains collègues de droite comme de gauche – contre le recours sur succession, nous avions également proposé, avec quelques autres, la création, non d’une cinquième branche, mais d’un cinquième risque, en faisant cotiser les employeurs. Aujourd’hui, si nous nous retrouvons dans une impasse, nous pouvons aussi nous appuyer sur l’expérience de ces dernières années : il faut sérieusement engager le débat sur le financement !

M. Denis Jacquat, président. En effet, l’article 1er de l’ordonnance de 1945 instituant la sécurité sociale mentionnait « les risques de toute nature ». Mais, le problème des recettes peut être résolu sans recourir aux employeurs : en Alsace-Moselle, le régime local de sécurité sociale fonctionne efficacement avec les cotisations des seuls employés et personne, j’en suis convaincu, ne songe à y rien changer.

M. Dominique Dord. Je distinguerai, dans le débat qui nous occupe, deux sujets : le transfert de compétence, d’une part, et la part que doit prendre la solidarité nationale dans la prise en charge de la dépendance afin de réduire le reste à charge pour les familles, d’autre part.

On a peu traité du second cet après-midi, ce qui se comprend étant donné la personnalité de nos interlocuteurs, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir. C’est donc au thème du transfert de compétence que je consacrerai mon propos : comment « renationaliser » le travail réalisé par les départements pour aboutir à une prestation plus solidaire ? Je souhaite moi aussi voir les départements rester opérateurs, au moins pour une part, mais je me pose la question du financement, plus précisément de la part nette financée aujourd’hui par les conseils généraux. Depuis toujours, les élus locaux que nous sommes s’élèvent contre le fait que l’État transfère des compétences sans transférer les ressources correspondantes, qu’il utilise autrement : lorsque les départements souhaitent transférer tout ou partie de cette part nette, cela me semble donc juste, mais considèrent-ils que cela doit être versé au « pot commun » ? Si tel était le cas, notre travail en serait facilité sur le deuxième sujet, à savoir comment consacrer davantage d’argent public à la prise en charge de la perte d’autonomie en réduisant l’effort demandé à nos concitoyens.

M. Paul Jeanneteau. Monsieur Vachey, vous avez dit que, la CNSA n’ayant aucun réseau en propre, elle tirait sa force de la qualité du partenariat qu’elle nouait avec les conseils généraux et avec les agences régionales de santé. M. Broussy s’est quant à lui félicité de la qualité du partenariat entre la caisse et les maisons départementales des personnes handicapées. Mais, partenariat n’est pas forcément synonyme d’environnement juridique stable. Ne regrettez-vous pas que vos rapports avec toutes ces institutions n’aient que ce fondement ? N’est-ce pas un frein aux politiques que vous développez ? Ne pourrait-on améliorer la situation, grâce à la contractualisation par exemple ?

D’autre part, que pensez-vous de la création d’une deuxième journée de solidarité, comme certains en émettent l’idée, pour dégager des financements supplémentaires ?

Monsieur Broussy, vous avez dénoncé les fausses bonnes solutions, mais j’aurais aimé vous entendre présenter quelques propositions, au moins sous forme d’esquisses.

M. Jean-Marie Rolland L’intérêt de cette table ronde serait d’ouvrir des pistes de réflexion pour assurer durablement l’équilibre financier d’un système dont l’efficacité est un unanimement reconnue, mais qui est menacé de faillite. Rappelons-nous qu’il absorbe 1,1 % du PIB et que la dépense a crû d’à peu près 25 % au cours des trois dernières années ! Dans ces conditions, il me semblerait indispensable que nous nous accordions, en premier lieu, sur les perspectives démographiques : devrons-nous faire face à un scénario catastrophe, avec des « armées » de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, ou ne serons-nous confrontés qu’à une augmentation de 1,4 ou 1,6 % par an du nombre de personnes dépendantes ? Peut-on ou non espérer que les progrès de la médecine et de la prévention contribueront à retarder l’âge où l’on devient dépendant ?

Comme Paul Jeanneteau, j’attendais des propositions, en particulier sur le mode de gestion de l’APA. M. Broussy a le souci de conserver aux conseils généraux leur rôle d’opérateurs, mais quelle est sa position sur l’assurance contre la perte d’autonomie ou sur le recours sur succession ? L’Assemblée des départements de France envisage-t-elle une réforme du mode de financement et de tarification des services d’aide à domicile ou de l’hébergement ?

En tant que membre du conseil de la CNSA et de celui du fonds de gestion de la couverture maladie universelle (CMU), je sais que le mélange des genres, entre usagers et financeurs, nous mène droit dans le mur. Je prône donc, pour la CNSA, la séparation entre un conseil de surveillance, qui serait un véritable parlement de la dépendance, et un conseil d’administration réunissant les financeurs : État, départements et assurance maladie, en attendant éventuellement que d’autres se joignent à eux.

M. Vincent Descoeur. Certains départements cumulent vieillissement de la population et relative faiblesse de leurs ressources : le département du Cantal, que je préside, en est une parfaite illustration. Certes, chacun doit faire face à des dépenses spécifiques, mais s’agissant de la perte d’autonomie – qui évolue pour devenir dépendance, n’ayons pas peur des mots ! –, la question est de savoir comment ces départements peuvent trouver une solution dans un système collectif.

Nous devons nous préoccuper aussi de la solvabilité des personnes âgées et de leur famille. En effet, dans nos départements, nous constatons une véritable asphyxie du système, au point que certaines personnes revoient à la baisse leur demande de services à domicile, mais aussi, ces derniers mois, renoncent à la solution de l’hébergement en établissement. Le débat ne doit en aucun cas se réduire à la seule question du financement de l’APA !

Je confirme que les conseils généraux voient en la CNSA un véritable partenaire, ce qui nous amène à nous poser la question de ses recettes. Dans quelle mesure la CSG y contribue-t-elle ? Quel apport représenterait l’institution d’une deuxième journée de solidarité ? Avez-vous évalué également celui du recours sur succession, dont Denis Jacquat vient de dire qu’il pourrait être inférieur à ses coûts de gestion ?

Enfin, si les départements aspirent à un rééquilibrage de la dépense entre eux et la caisse, je ne peux souscrire aujourd’hui à l’idée de figer leur contribution à son niveau actuel en considérant que cette charge nette est acquise au système, surtout pour ceux qui sont le plus en difficulté.

M. Michel Issindou. Merci, messieurs, de nous avoir éclairés sur ce sujet crucial. Comme vous l’avez fort justement souligné, la situation n’est pas forcément catastrophique : le coût de la dépendance – de 22 à 30 milliards – est loin d’atteindre celui de l’assurance maladie. Toutefois, chacun le reconnaît, la CNSA n’est plus en mesure, en l’état, de faire face au problème de la dépendance et les départements sont confrontés à de grandes difficultés financières.

Pour autant, face aux maladies qui nous font peur – Alzheimer, notamment –, y a-t-il vraiment nécessité de créer un cinquième risque, ou une branche supplémentaire de la sécurité sociale ? Il s’agit après tout, comme le nom qu’on leur donne l’indique, de maladies. Devrons-nous, demain, créer une branche cancer ? J’avoue que je n’ai pas de réponse, mais cette interrogation me conduit à insister sur l’exigence d’un financement solidaire, qu’il repose sur les employeurs et les salariés, ou sur les contribuables à travers la CSG. Et, en tout cas, je refuse un système d’assurance, qui aboutirait à infliger une double peine à ceux que ces maladies atteindraient. Quant au recours sur succession, il engendrerait des situations sordides : on ne soignerait plus les gens pour ne pas amputer le patrimoine !

En bref, je me demande si la dépendance ne devrait pas être traitée comme un problème de santé parmi d’autres.

Mme Marisol Touraine. Même si la question du financement n’est pas centrale dans cette table ronde, je tiens à souligner que le groupe socialiste refuse catégoriquement le recours à une assurance privée, sous quelque forme que ce soit, pour financer en tout ou partie la prise en charge de la perte d’autonomie. Pour nous, ce problème majeur doit être assumé par la solidarité collective : le débat doit donc porter sur la forme de cette solidarité et sur le niveau de prise en charge.

M. Broussy souhaite voir clairement marquée la frontière entre les dépenses destinées à compenser la perte d’autonomie et celles qui relèvent de l’assurance maladie. Pour ma part, j’insisterai pour que soit mieux identifiée la part prise par l’assurance maladie dans les premières. Il ne s’agit pas de s’interroger sur la place de la CNSA, dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’efficacité, mais bien plutôt sur la manière dont son intervention doit s’articuler avec celle des autres structures existantes, notamment avec celle de l’assurance maladie. Je ne sais pas si la caisse doit être adossée à la sécurité sociale, ou si les dépenses maladie en faveur des personnes dépendantes doivent être « fléchées » vers elle ; en tout cas, il me semble que la frontière entre l’assurance maladie et la prise en charge de la perte d’autonomie ne doit pas être étanche.

Pour être également conseillère générale, j’entends bien la plainte qu’expriment les responsables des départements devant l’aggravation de leur charge. Cependant, une réforme de la prise en charge de la dépendance qui se bornerait à mieux solvabiliser leur dépense sans se préoccuper de la réponse à apporter à nos concitoyens n’aurait pas atteint ses objectifs. Si nous avons su, au fil du temps, donner corps à l’idée de panier de soins et évaluer plus ou moins ce qu’il appartient à la collectivité de consentir en matière de couverture maladie, ne pourrions-nous de même essayer de définir les besoins qui doivent impérativement être couverts par la solidarité nationale s’agissant de la prise en charge, à domicile ou en établissement, des personnes dépendantes ? C’est sur ce point, me semble-t-il, que devraient porter nos débats. Et il s’agirait de mettre l’accent, moins sur l’aspect quantitatif de ces besoins – l’augmentation du nombre de personnes dépendantes sera en réalité très limitée au cours de la décennie qui vient – que sur leur aspect qualitatif : c’est en effet de la qualité de cette prise en charge que nous devons avant tout nous préoccuper, car c’est elle qui déterminera, au moins à une échéance proche, le niveau des financements à consentir. Une réflexion est-elle menée sous cet angle ?

M. Georges Colombier. Comme toujours depuis vingt-cinq ans, je me retrouve en accord avec Denis Jacquat : nous ne sommes plus en 1945 où, les gens vivant moins longtemps, ils étaient moins nombreux à être dépendants et, si nous devions créer la sécurité sociale aujourd’hui, je suis convaincu que ce serait avec une branche « dépendance » – je ne parle pas de cinquième risque, ce qui serait tout autre chose.

Monsieur Broussy, vous souhaitez voir les conseils généraux continuer à assumer la compétence « dépendance ». Pour ma part, je suis ces problèmes de près. La commission de recours gracieux du conseil général de l’Isère, dont je fais partie, ne traite, sur 12 000 bénéficiaires de l’APA, qu’un ou deux dossiers par mois – trois au grand maximum – de gens placés en GIR 5 ou GIR 6 dont les familles souhaiteraient qu’ils soient classés, au pire, en GIR 4.

Les familles des résidents en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes protestent contre le fait d’avoir à contribuer, par le biais des frais d’hébergement qu’elles paient, au remboursement de l’investissement – ce que ne fait pas le sportif qui fréquente un gymnase ou un stade –, alors qu’elles ne deviennent pas propriétaires de l’établissement au décès du résident. Cette plainte étant un leitmotiv, je tenais à en faire état.

Le département de l’Isère est relativement riche. Or, l’impact de la dépendance sur ses finances est déjà considérable. Comment font des départements plus pauvres ?

Si certains de nos concitoyens sont opposés à la journée de solidarité, c’est que d’autres y échappent et, de ce fait, ne participent pas au financement de la CNSA. Pour augmenter celui-ci, il conviendrait d’en élargir l’assiette en y faisant participer notamment les plus riches. Les Français sont généreux : encore faut-il que les sacrifices qui leur sont demandés soient mieux répartis. C’est une question de justice, même si celle-ci est, je le reconnais, difficile à établir.

Mme Bérengère Poletti. C’est à juste titre qu’on a dit beaucoup de bien de la CNSA. Cependant, comme le montre le rapport, que j’ai rendu, concluant les travaux de la mission d’information présidée par Laurence Dumont, si la qualité de son action en faveur des personnes handicapées est largement reconnue par les opérateurs de terrain, ce n’est plus du tout le cas s’agissant des personnes âgées. Même les personnels des conseils généraux que nous avons auditionnés ne la connaissent pas ! Obtenir la même visibilité de la caisse en matière de politique des personnes âgées qu’en matière de handicap serait un progrès considérable.

Je tiens également à dénoncer la complexité des politiques que mène la France en direction non seulement des personnes handicapées, mais surtout des personnes âgées. Personne n’y comprend rien, ou presque, et il est difficile même pour les spécialistes de s’y retrouver dans le circuit de financement. Il faut donc profiter des travaux que nous menons actuellement sur ce qui deviendra, je l’espère du moins, la cinquième branche de l’assurance maladie, pour formuler des propositions de simplification et de clarification des politiques publiques : nos concitoyens n’en perçoivent que ce qui leur reste à payer, si bien qu’ils ont l’impression d’être laissés pour compte, alors même que des moyens considérables, pour certains en augmentation, ont été dégagés par l’État pour les soins et par les départements pour la dépendance.

M. Broussy a par ailleurs relevé qu’on mélangeait toutes les politiques publiques, départementales ou de l’État, lorsqu’on évoquait le chiffre de 22 milliards d’euros : on confond dans le même ensemble les 5 milliards de l’APA, dont 27 % viennent de l’État, le solde étant couvert par les départements, l’aide sociale, l’hospitalisation, la médecine de ville, les forfaits soins... Quant aux 8 milliards d’euros qui nous ont été annoncés, à quoi correspondent-ils ? Sont-ils destinés à couvrir le reste à charge des personnes âgées hébergées en établissement ? Et qui va les financer ?

En ce qui vous concerne, publierez-vous les chiffres de l’APA par structure de GIR et par département, en sorte que nous prenions l’exacte mesure de l’action des conseils généraux ?

Vous avez, avec raison, évoqué la diversité des profils socio-professionnels selon les départements, qui conduit chacun d’eux à mener des politiques spécifiques. Toutefois, le rapport Jamet a mis également en lumière des différences d’interprétation, aboutissant à des options divergentes, y compris à l’intérieur d’un même département, en particulier pour l’attribution du GIR 4. Vous êtes-vous penchés sur cette question ?

Enfin, je tiens à dénoncer l’hypocrisie du discours politique relatif au recours sur succession. On dit qu’un tel recours serait une horreur : c’est oublier qu’il existe déjà, mais de manière informelle et totalement injuste. En effet, des personnes prises à la gorge vendent leurs biens pour payer leur reste à charge à l’établissement. Il faut donc aborder ce sujet sans tabou, en toute honnêteté, d’autant qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune règle ni aucun plafond. À mes yeux, en revanche, il ne serait pas choquant que ceux qui ont des patrimoines importants participent au financement d’une nouvelle prise en charge de la dépendance.

M. Olivier Jardé. Non seulement la dépendance augmente, mais elle se modifie : en effet, si la dépendance fonctionnelle ou celle qui est liée aux accidents vasculaires cérébraux diminue, le nombre des personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives croît.

En tant que conseiller général de la Somme ayant connu la prestation spécifique dépendance puis l’APA qui l’a remplacée, je puis témoigner du fait que le recours sur succession entraînait une réelle auto-maltraitance chez les personnes âgées. Au début du mois de juillet 2001, 120 000 personnes bénéficiaient de l’APA ; en fin d’année, il y en avait 800 000 ! Et je puis vous assurer que les heures que le syndicat intercommunal que je présidais a versées à l’aide sociale étaient justifiées.

Je suis également favorable à la préservation de la prise en compte du GIR 4, essentiel pour le maintien à domicile et pour la bien-traitance.

Monsieur Broussy, vous nous avez annoncé une diminution du nombre des heures d’aide à domicile en 2010. Cette diminution est-elle due au passage, comme dans le département de la Somme, du service mandataire au service prestataire, passage que je regrette et qui n’a été effectué que pour des raisons idéologiques ? En effet, alors que le service mandataire permettait, dans un département agricole comme la Somme, de compléter le revenu des agriculteurs tout en renforçant la cohésion familiale, le service prestataire a entraîné une diminution mécanique du nombre des heures. Qu’en est-il exactement ?

La dépendance exigera de nouveaux financements : la CNSA sera-t-elle en mesure de les gérer, monsieur Vachey ?

Mme Martine Pinville. Ne prend-on pas la question de la perte d’autonomie et de son financement à l’envers ? Ne conviendrait-il pas de penser d’abord à l’accompagnement de la personne âgée en fin de vie, qu’elle soit maintenue à domicile ou accueillie dans un établissement ? Réfléchissons donc, avec l’agence régionale de santé et la CNSA, à la façon d’organiser cela dans le cadre départemental, avant de traiter de la question du financement !

Mme Anny Poursinoff. Le recours sur succession existe déjà en raison du coût élevé de l’accueil en établissement. Les familles concernées sont alors frappées d’une double peine, puisque, outre la situation pénible que vit leur parent dépendant, la succession est rognée, les enfants devant parfois contribuer eux-mêmes au financement de l’hébergement.

Ne conviendrait-il pas de recréer une vraie solidarité au travers de droits de succession versés par l’ensemble de nos concitoyens ? Je me suis occupée, durant vingt ans, du maintien à domicile dans le cadre d’un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Si celui-ci prend tout en charge à 100 %, il faut toutefois savoir que la toilette est réputée médicale lorsqu’elle est effectuée par une aide-soignante et, de ce fait, remboursée par la sécurité sociale ; elle ne l’est plus lorsqu’elle est effectuée par une auxiliaire de vie. Certaines familles maintiennent à domicile des personnes dépendantes, parce qu’elles ne peuvent pas payer leur hébergement dans un établissement. Le financement de la dépendance au travers des droits de succession me paraît une forme de solidarité à étudier.

M. Roland Muzeau. M. Vachey a eu raison de rappeler que la CNSA est avant tout un opérateur technique. Elle n’est donc pas chargée de préconiser de nouveaux modes de financement.

S’agissant de l’Assemblée des départements de France, monsieur Broussy, vous avez distingué deux périodes : la première s’étendrait jusqu’à 2020 et la seconde, qui irait jusqu’en 2030, soulèverait des questions différentes sur le plan démographique. Pourriez-vous approfondir cette distinction ?

Vous avez également évoqué la question de la barrière d’âge – 60 ans. Votre assemblée a-t-elle une position officielle sur sa suppression ? Cette question intéresse tous ceux qui s’occupent de la dépendance.

Quelles sont également vos propositions sur les périmètres d’intervention, sur les financements et sur les politiques solidaires territoriales. Avez-vous, à ces différents égards, pris en compte la suppression des départements récemment votée par la majorité présidentielle, ce qui soulève des problèmes en termes d’égalité territoriale ?

Mme Michèle Delaunay. S’agissant de l’assurance individuelle que certains proposent, le risque de dépendance étant imprévisible, son coût sera inévitablement supérieur à celui de l’assurance collective que constituent ensemble la sécurité sociale et la solidarité nationale. En raison de cette seule considération mathématique, cette proposition est donc choquante.

Le recours sur succession, quant à lui, reviendrait à pénaliser une deuxième fois celui qui a la malchance d’avoir longtemps à sa charge un parent âgé en perte d’autonomie grave. La réponse se trouve bien plutôt dans le recours collectif au travers de droits de succession plus substantiels, permettant d’assurer de surcroît une certaine redistribution.

Par ailleurs, la perte d’autonomie n’est presque jamais brutale et complète : elle est le plus souvent progressive, d’où notre interrogation sur le fait d’inclure le GIR 1 à 6. C’est cette progressivité qui nous conduit à souhaiter l’abolition des barrières d’âge, d’autant que la perte d’autonomie commence bien souvent avant 60 ans, ne serait-ce que par un début de surdité ou par la nécessité de recourir à des lunettes ! Elle nous conduit également à poser la question du périmètre, soulevée par M. Broussy : quels déficits seront considérés comme relevant du soin ou, au contraire, de la dépendance ?

Enfin, il est étrange que nous ayons à peine évoqué la prévention, qui, non seulement, devrait figurer dans le budget consacré à la perte d’autonomie, mais devrait même en être le chapitre principal. Nous savons que ce sont les dernières années de grande dépendance qui coûtent le plus cher. Il vaut mieux soigner cent personnes âgées durant un an que dix en état de grande dépendance durant dix ans. Le nombre de personnes âgées augmentant, si nous ne voulons pas aller dans le mur, notre objectif doit être de reculer au maximum la survenue de ce qu’un professeur de médecine bordelais appelle le « mauvais vieillissement », qui se caractérise par des pertes d’autonomie majeures et qui est très coûteux. Si la perte d’autonomie est inéluctable pour chacun, il convient toutefois de pallier autant que possible les pertes d’autonomie ponctuelles, afin de retarder le plus possible la très grande dépendance. La prévention le permet.

M. le directeur de la CNSA. Mme Delaunay et M. Rolland ont eu raison d’insister sur la prévention. Les données épidémiologiques dont nous disposons nous laissent penser que l’augmentation de l’espérance de vie, et donc celle du nombre et de la proportion de personnes âgées, s’accompagnera d’un recul de la perte d’autonomie. Non seulement ces situations sont déjà minoritaires, comme l’a rappelé M. Broussy, mais leur durée raccourcit également.

Le conseil de la CNSA est cependant convaincu que la prévention de la perte d’autonomie peut encore être améliorée et il a décidé de travailler sur cette thématique dans les mois à venir : considérant que le débat ne doit pas tourner autour de la seule question de la solvabilisation, il consacrera à cette question des propositions dans son rapport du mois d’avril prochain.

Plusieurs d’entre vous sont intervenus sur l’implication de la CNSA dans la gestion de l’APA par les conseils généraux. Je tiens à rappeler que les statistiques du ministère, réactualisées à notre demande, permettent d’expliquer par la composition socio-démographique deux tiers des écarts observés entre les départements pour ce qui est du nombre de bénéficiaires de cette allocation. C’est ainsi que la dépense est plus élevée dans les départements qui comptent une forte proportion d’anciens agriculteurs et ouvriers : en effet, ces derniers se retrouvent plus rapidement en situation de perte d’autonomie, leurs retraites sont peu élevées et, de ce fait, le ticket modérateur APA plus bas. On peut supposer que le dernier tiers des écarts tient au moins pour partie à la façon dont se sont organisés les conseils généraux pour attribuer l’APA. Demain, la CNSA devra davantage s’impliquer dans l’organisation de leurs équipes médico-sociales afin de leur dispenser, notamment sur la base de comparaisons entre départements, des conseils techniques leur permettant de réfléchir à une politique d’attribution plus équitable et, éventuellement, à une approche territoriale commune pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées – ce qui peut contribuer à une plus grande efficacité du dispositif et à une réduction des coûts administratifs. La CNSA a demandé à l’État de pouvoir ouvrir ce chantier dans le cadre de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, mais nous attendons encore la réponse, ce qui peut s’expliquer par la pression exercée par Bercy pour amener les opérateurs de l’État à réduire leurs dépenses de personnel, notamment en termes d’effectifs – mais la caisse emploie peu de fonctionnaires, recourant pour l’essentiel à des salariés de droit privé qu’elle finance elle-même.

Nous avons également des progrès à accomplir pour ce qui est de la cohérence et de la continuité des réponses apportées en matière de santé et en matière médico-sociale. Il n’existe à l’heure actuelle aucun modèle pertinent de gestion de la sortie d’hospitalisation d’une personne âgée et de sa prise en charge médico-sociale à domicile ou en hébergement. Cependant, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a consacré un rapport très pertinent à ce sujet l’année dernière et des améliorations peuvent être attendues.

La dépense de santé et la compensation de la perte d’autonomie ne répondent pas aux mêmes besoins. C’est pourquoi le conseil de la CNSA considère que l’instauration d’une réponse particulière pour les personnes âgées et les personnes handicapées serait une erreur stratégique. La couverture maladie doit être la même pour tous, d’autant que les personnes âgées représentent une part importante de la demande de soins adressée à l’assurance maladie.

La perte d’autonomie, quant à elle, qu’elle soit consécutive ou non à une maladie, exige une assistance pour les gestes quotidiens – se lever, faire sa toilette, préparer son repas ou simplement se nourrir, sortir… Cette assistance est même à l’heure actuelle, dans le cas de la maladie d’Alzheimer et à la différence par exemple du cancer, quasi la seule réponse, faute de traitements autres que retardateurs. Pour autant, les deux champs – santé et dépendance – ne sont pas étanches, et il convient de renforcer la cohérence entre les deux types de réponse.

Mme Hoffman-Rispal et Mme Poletti ont dénoncé la complexité excessive du système : des progrès significatifs sont effectivement à réaliser en la matière, ce qu’un sondage de 2009 a confirmé. Il a, en effet, révélé que moins de 5 % de nos concitoyens savaient qu’il fallait s’adresser aux services du conseil général en cas de perte d’autonomie, la plupart des réponses se partageant entre le médecin de famille et le banquier ! On voit à quel point le dispositif est peu lisible pour nos compatriotes.

De plus, historiquement, la prise en considération du problème de la perte d’autonomie a été progressive, créant un enchevêtrement de réponses, qui se sont comme sédimentées, les unes relevant de l’assurance maladie, d’autres des conseils généraux et d’autres encore de financements mixtes. Cette complexité, qui manque assurément de rationalité, interdit parfois la création de nouveaux services, en cas notamment de double financement où il s’agit de concilier les contraintes budgétaires des deux financeurs. La médicalisation des maisons de retraite se trouve, de ce fait, freinée par certains conseils généraux, ce qui empêche la signature des conventions tripartites. Dans le secteur du handicap aussi, en raison de ces mêmes contraintes de financement, il arrive qu’on se renvoie la balle. Il convient donc de simplifier les règles de financement et de ne pas multiplier les financements croisés entre assurance maladie et conseils généraux, ou même familles dans certains cas.

Nous avons également beaucoup à apprendre d’une analyse de la politique de santé menée depuis vingt-cinq ans, en particulier en matière de tarification : prix à la journée, puis tarification globale et enfin tarification à l’activité (T2A), ce dernier choix emportant l’adoption de systèmes d’information et d’expertise. Le secteur médico-social n’a pas l’équivalent de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) qui a su accumuler les données sur les coûts des établissements de santé, en procédant notamment à un échantillonnage de ces derniers pour mesurer si le coût de la prise en charge de telle ou telle pathologie, telle qu’elle a été décrite dans la T2A, correspond au coût médico-économique réel. Tout au plus la médicalisation des maisons de retraite a-t-elle permis de rationaliser quelque peu l’allocation des moyens, de même que les grilles AGGIR et PATHOS, mais celles-ci n’ont pas bénéficié du même investissement méthodologique fait sur l’hospitalisation. Il faut donc nous doter de systèmes d’information permettant de déterminer s’il y a une réelle correspondance entre le modèle théorique de tarification et son application dans les quelque 20 000 établissements et services médico-sociaux relevant de notre compétence.

Plusieurs d’entre vous nous ont interrogés sur nos capacités de modélisation des besoins actuels et à venir, en rapport bien évidemment avec la question du financement. S’agissant des personnes âgées, les évolutions démographiques à attendre au cours des trente ou quarante prochaines années sont assez bien connues, ce qui nous permet de prévoir, à quelques aléas près, le nombre de personnes potentiellement concernées par des situations de perte d’autonomie. L’incertitude est plus grande en ce qui concerne l’espérance de vie sans perte d’autonomie, car nous ignorons l’efficacité réelle des actions de prévention qui seront mises en place. Le Conseil d’analyse stratégique et l’INSEE avaient toutefois établi, en 2005, une fourchette qui a été reprise par la mission menée par Mme Gisserot sur les perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l’horizon de 2025. En revanche, le niveau des prestations de service qui seront fournies aux personnes dépend des choix politiques qui seront faits par vous, mesdames et messieurs les députés, dans le cadre de la solidarité collective. Je vous renvoie sur le sujet au rapport que Mme Gisserot a remis au début de l’année 2007. Nous connaissons à peu près le coût des prestations d’ici à trente ans pour un niveau de service et de solvabilisation identique à ce qu’il est aujourd'hui dans le cadre de l’APA. Si le Gouvernement et le Parlement décident de diminuer le reste à charge, d’augmenter le nombre des heures accordées ou de relever le salaire des personnels, le coût s’en ressentira mécaniquement. Certaines hypothèses ont été chiffrées dans le cadre de nos travaux, il y a deux ans, notamment en cas d’augmentation de la prestation d’aide à domicile pour les personnes isolées, l’APA représentant à l’heure actuelle une réponse insuffisante en la matière.

Nous pouvons également chiffrer les ressources mobilisables. Une journée de solidarité procure 2,3 milliards d’euros. L’alignement du taux de CSG des retraités imposables sur celui des actifs permettrait d’engranger de 1 à 1,7 milliard supplémentaire selon les modalités de l’alignement. Si la contribution solidarité autonomie, qui repose aujourd’hui sur les seuls salariés au titre de la journée de solidarité, était étendue à tous les Français et concernait également les revenus du patrimoine, le gain serait de 700 à 800 millions d’euros.

Par ailleurs, l’instauration d’une assurance dépendance obligatoire pour les personnes de plus de 50 ans, suggérée par les assureurs eux-mêmes ou évoquée dans le rapport de Mme Rosso-Debord, ne pourrait être une solution qu’à échéance de trente ans, car les assureurs ne couvriront pas les personnes actuellement en situation de perte d’autonomie, le principe même de l’assurance interdisant de couvrir un risque déjà advenu. Quant à couvrir le risque pour les personnes non dépendantes âgées de plus de 75 ans, cela supposerait de leur demander des cotisations beaucoup plus élevées que celles des quadragénaires ou des quinquagénaires. Il ne s’agit pas d’écarter a priori une telle solution. Il faut toutefois savoir que l’assurance n’apportera aucune réponse à la question du financement de la perte d’autonomie avant vingt ans.

M. Darcos, alors ministre chargé de la dépendance, nous avait demandé de voir avec les assureurs et les conseils généraux si le même référentiel de la perte d’autonomie ne pourrait pas être utilisé pour l’APA et pour les contrats d’assurance. Nous remettrons prochainement notre rapport à son successeur, Mme Bachelot. Je puis d’ores et déjà annoncer que l’emploi d’un référentiel commun serait effectivement possible dans le cas d’une articulation entre solidarité nationale et prestation complémentaire d’assurance.

M. le vice-président de la commission des politiques sociales et familiales de l’Assemblée des départements de France. S’agissant de la démographie, l’INSEE prévoit d’ici à 2040 une augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes de l’ordre de 400 000 – elles passeraient de 800 000 à 1,2 million, alors que, pour la même période, celui des plus de 85 ans augmentera de 2,5 millions environ. Nous assisterons donc, sur cette période, à l’explosion du nombre de personnes très âgées, mais qui ne seront pas nécessairement dépendantes.

Cela signifie que, dans le cadre d’un éventuel projet de loi, les parlementaires ne devraient pas se focaliser sur la dépendance : ils devraient également se pencher sur la prévention et sur l’adaptation de la ville, de l’habitat et des transports. Il convient de préparer la France à son vieillissement, la dépendance n’étant qu’un aspect de la question et les meilleurs moyens de la retarder consistant dans la prévention et l’adaptation de l’environnement.

En raison de son taux de natalité, la France, qui a dépassé cette semaine les 65 millions d’habitants, n’est pas dans une situation catastrophique, surtout si on la compare à celle des autres pays européens : alors que la population des pays d’Europe centrale et orientale, de l’Espagne et de l’Allemagne diminuera dans les trente prochaines années, la nôtre continuera de croître, ce qui est une exception européenne.

Nos propositions peuvent porter sur la solvabilisation ou sur la baisse des coûts.

S’agissant de la solvabilisation, je n’ai jamais parlé de renationalisation, contrairement à ce qu’ont dit M. Jeanneteau et M. Dord. Il s’agit d’autant moins pour nous, d’ailleurs, de renationaliser le financement de la dépendance que nous entendons rester opérateurs ! Cela précisé, sur le sujet, l’Assemblée des départements de France n’a pas à avoir des propositions plus précises que les élus. Le Gouvernement a lancé un grand débat sur le sujet afin de connaître celles de chacun : il serait bon que nous puissions aussi connaître les siennes ! Il est vrai que, s’agissant de la question du financement, personne n’a envie de sortir du bois trop rapidement. En ce qui nous concerne, nous respecterons le processus que nous avons défini de manière consensuelle avec l’ensemble de nos membres et qui doit s’achever début mai.

S’agissant du partage à « 50-50 », il n’est pas question d’y revenir puisqu’il n’a jamais existé, ni dans la loi ni dans la réalité : dès l’application de la loi, c’est le « 60-40 » qui s’est imposé. Après un an, la part des conseils généraux était déjà beaucoup plus importante que celle de l’État. M. Dominique Dord a remarqué qu’en cas de renationalisation, les conseils généraux devraient rendre l’argent. Mais comme ils ne demandent pas de renationalisation, ils vont garder cet argent, le but de l’opération étant d’en venir effectivement, à terme, à une répartition « 50-50 », mais qui devrait constituer une moyenne au plan national et non pas valoir dans chaque département. Comme l’a souligné M. Descoeur, même à « 50-50 », le Cantal ne peut pas s’en sortir. Chaque département devrait financer selon ses capacités économiques, financières et démographiques.

Il conviendrait que les conseils généraux arrêtent leurs compteurs et que le financement de l’État passe de 28 % à 50 %, afin de rattraper celui des conseils généraux. Le problème est qu’un tel rattrapage devient chaque année plus coûteux. En 2010, la contribution de l’État était de 1,5 milliard ; pour égaler celle des conseils généraux, il aurait dû verser 1,8 milliard supplémentaire – chiffre qui correspondait au produit de l’alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs ! En 2011, il y faudrait un peu plus de 2 milliards… Cela posé, c’est à vous qu’il appartient de peser sur les choix de l’État en matière de solidarité nationale, et non aux représentants des conseils généraux.

Comme l’a souligné Mme Marisol Touraine, il ne s’agit pas de voter une loi de solvabilisation des conseils généraux. Aujourd'hui, ils financent la dépendance pour 4 milliards d’euros : ils continueront de les verser. Je le répète : ils souhaitent simplement arrêter les compteurs, afin de rééquilibrer leur part avec celle de la solidarité nationale, ce qui permettrait d’augmenter d’un peu plus de 2 milliards d’euros la somme globale consacrée à la dépendance. Ce sont des sommes qui sont à peu près de l’ordre des montants nécessaires chaque année pour assumer le coût de la dépendance durant la prochaine décennie, et qui sont bien faibles, rapportées au déficit de l’assurance maladie.

En matière de coûts, les propositions peuvent porter – raisonnablement – sur celui des maisons de retraites ou sur celui des services de l’aide à domicile. Des solutions existent. Nous en avons, pour notre part, avancé trois, mais l’une a été refusée par le Gouvernement. De février à juin dernier, l’Assemblée des départements de France a conduit un groupe de travail qui a réuni les seize organisations représentatives de l’aide à domicile. Nous sommes arrivés à un accord d’autant plus raisonnable que les conseils généraux financent à hauteur de 80 % l’aide à domicile et qu’ils n’avaient donc aucun intérêt à se montrer dépensiers. Adopté à l’unanimité par notre bureau, ce qui n’est pas sans signification politique, cet accord visait notamment à sortir du tarif horaire, qui est injuste sur le plan économique, pour entrer dans la voie de la dotation globale annuelle, définie dans le cadre d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens portant sur le profil des populations concernées et la nature des prestations servies. En d’autres termes, nous voulions adopter pour les services à domicile la réforme de la tarification menée il y a dix ans pour les établissements, avec le souci d’une meilleure lisibilité et d’une plus grande rationalité économique. Cette réforme était loin d’être inflationniste. Le sénateur Yves Daudigny, président de la commission des affaires sociales et familiales de l'Association des départements de France, l’a soumise au vote du Sénat sous forme d’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cette proposition a recueilli la moitié des suffrages, ce qui montre, là encore, le caractère non partisan de l’accord. Le Gouvernement, pour finir, l’a renvoyée à l’examen du cinquième risque ! Il est dommage que Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé, ait ainsi refusé ce qui était l’aboutissement d’un travail responsable. Sachez toutefois que nous représenterons cette proposition dès que possible.

S’agissant de l’assurance maladie, l’État a longtemps voulu globaliser et forfaitiser afin de mieux contrôler les dépenses, notamment de médicaments. Or, à peine les professionnels eurent-ils été acquis à l’idée d’une dotation globale pour les médicaments dans les maisons de retraite que la mesure a disparu ! Quant à la généralisation des dotations globales pour les maisons de retraite, elle est actuellement freinée par la baisse des crédits des agences régionales de santé. Comme M. Vachey l’a souligné avec raison, cette globalisation suppose un transfert de l’offre des soins de ville vers le médico-social – question qui vous concerne puisque c’est vous qui votez la loi de financement de la sécurité sociale. Or, ce transfert d’enveloppes ne se fait pas, en raison de résistances bien connues, ce qui compromet les efforts de rationalisation.

Mme Touraine a évoqué la définition d’un panier de soins. À cet égard, il convient de distinguer le scénario pour les dix prochaines années des scénarios à plus long terme. Chaque euro supplémentaire peut être utilisé de trois façons, qui sont mutuellement exclusives. La première consiste dans l’amélioration de l’existant, à nombre de personnes âgées constant – c’est ainsi que les organisations professionnelles souhaitent l’augmentation du ratio des personnels dans les maisons de retraite et qu’on augmente la superficie des chambres. La deuxième consiste dans la solvabilisation des personnes et de leurs familles et la troisième dans l’évolution de l’offre. Durant dix ans, les ratios dans les maisons de retraites n’ont cessé d’augmenter aux dépens des critères de qualité et de la solvabilisation. Il convient donc de faire des choix, de définir des priorités, entre amélioration de l’existant, solvabilisation des personnes et évolution de l’offre – des choix qui sont d’autant plus importants que les intérêts des familles et ceux des professionnels sont loin d’être convergents comme on voudrait trop souvent le faire croire.

Je finirai en rappelant les rapports très particuliers que le sanitaire et le social entretiennent depuis vingt ans : c’est « je t’aime, moi non plus » ! Ils doivent collaborer alors même qu’ils ne reposent pas sur les mêmes principes de protection sociale. M. Alain Minc, il y a six mois, a posé une vraie question, qui dépasse celle de la frontière entre soins et dépendance : pour les personnes âgées, le recours sur succession ou sur patrimoine doit-il englober les soins ? Par ailleurs, si on conserve des dispositifs « handicap » et « dépendance » distincts, il faut s’interroger sur la barrière d’âge et peut-être reculer le dispositif « dépendance » au-delà de 75 ans. Si le projet de loi se focalise sur la dépendance des personnes âgées, vous devrez sans doute vous pencher sur les personnes véritablement âgées, et non sur les sexagénaires.

M. Denis Jacquat, président. Je vous remercie, messieurs Luc Broussy et Laurent Vachey.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 18 janvier 2011 à 16 heures 45

Présents. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Martine Billard, M. Jean-Louis Borloo, M. Yves Bur, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, M. Dominique Dord, Mme Laurence Dumont, M. Maxime Gremetz, Mme Pascale Gruny, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Jean-Claude Leroy, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Roland Muzeau, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Jean-Marie Rolland, M. Fernand Siré, Mme Marisol Touraine

Excusés. - M. Jean-François Chossy, M. Guy Delcourt, Mme Catherine Lemorton, M. Simon Renucci

Assistaient également à la réunion. - M. Olivier Jardé, M. Régis Juanico, Mme Annick Le Loch, Mme Anny Poursinoff, M. Lionel Tardy