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Commission des affaires sociales

Mercredi 25 mai 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Examen du rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur les risques psychosociaux au travail (M. Guy Lefrand, rapporteur)

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 25 mai 2011

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales examine le rapport d’information de M. Guy Lefrand sur les risques psychosociaux au travail.

M. Guy Lefrand, rapporteur. Les suicides dramatiques survenus dans des entreprises telles que France Télécom, Renault ou dans des services publics tels que Pôle emploi montrent que de plus en plus de salariés sont en situation de souffrance au travail. Les auditions menées par la mission d’information ont montré un consensus sur quatre constats.

Le premier constat fait par la mission est que de plus en plus de salariés sont confrontés à des risques psychosociaux. Selon un sondage IPSOS d’octobre 2010, 62 % des salariés interrogés affirment ressentir un niveau de stress élevé au travail et 30 % estiment que leur travail actuel est susceptible de leur causer de graves problèmes psychologiques. Les consultations pour risques psychosociaux sont devenues, en 2007, la première cause de consultation pour pathologie professionnelle devant les troubles musculo-squelettiques. Il ne s’agit pas d’une particularité française : au sein de l’Union européenne, 28 % des travailleurs seraient exposés à au moins un facteur susceptible d’affecter de manière défavorable leur bien-être mental. L’exemple de l’entreprise France Télécom illustre en effet l’issue dramatique à laquelle a pu conduire le développement de risques psychosociaux dans une entreprise. En effet, soixante salariés de France Télécom se sont suicidés depuis 2008 et le dernier suicide intervenu le 26 avril dernier montre que la situation dans cette entreprise reste encore très préoccupante. Selon l’Union nationale de prévention du suicide, environ 400 suicides seraient, chaque année, liés au travail.

Le deuxième constat fait par la mission est l’indéniable impact des risques psychosociaux sur la santé. Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, 20 % des causes des arrêts maladie de plus de quarante-cinq jours seraient liées à des troubles psychosociaux.

Le troisième constat est que les problèmes de santé mentale ont un coût économique important en raison de leurs conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise. L’Organisation mondiale de la santé estime que le stress professionnel représenterait 2 % à 3 % du produit intérieur brut des pays industrialisés.

Le dernier constat concerne les facteurs de risques psychosociaux. Deux sont particulièrement importants : l’organisation du travail et le management. Un consensus s’est dégagé au sein de la mission pour constater que certaines formes d’organisation du travail peuvent être un facteur de risques psychosociaux. Dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue entre les entreprises, les salariés sont confrontés à une augmentation de leur charge de travail et doivent faire preuve d’une motivation toujours plus grande. Par ailleurs, certaines formes d’organisation de l’espace de travail et une utilisation trop systématique des nouvelles technologies peuvent aggraver le stress, l’isolement des salariés ou brouiller la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée. Un autre facteur important de risques est un management défaillant. Le constat est unanime sur les lacunes actuelles de la formation des managers en matière de santé et de gestion des ressources humaines.

S’agissant des préconisations, le rapport souligne qu’il est nécessaire, en premier lieu, de développer la prévention des risques psychosociaux. Premièrement, la prévention des risques psychosociaux passe par un renforcement de la médecine du travail. Je reviendrai ultérieurement sur l’importance de la réforme des services de santé au travail, prochainement en discussion dans notre assemblée, après avoir été adoptée en première lecture au Sénat.

Deuxièmement, la prévention des risques psychosociaux implique une meilleure évaluation de ces risques : la mise en place d’indicateurs statistiques nationaux constitue d’ailleurs une des priorités du deuxième plan « Santé au travail » (2010-2014). Cette mission a été confiée à un groupe d’expert piloté par MM. Philippe Nasse et Patrick Légeron, et un rapport proposant des indicateurs a été remis à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, le 11 avril dernier.

Troisièmement, il faut inciter les chefs d’entreprise à se saisir de la question des risques psychosociaux. Il faut trouver un juste équilibre entre l’incitation et la coercition. La législation et la jurisprudence affirment clairement la responsabilité de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Cependant, pour que les risques psychosociaux soient pleinement pris en compte dans la politique de prévention de l’entreprise, il pourrait être opportun de prévoir que les deux rapports remis par l’employeur chaque année au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, traitent spécifiquement des risques psychosociaux et des actions menées dans ce domaine et que le document unique d’évaluation des risques professionnels comprenne une évaluation des risques psychosociaux.

Quatrièmement, il est aussi primordial de développer la formation des managers en matière de gestion des équipes et de santé au travail. Un réseau francophone de formation en santé et sécurité au travail a été mis en place en 2010 afin de faciliter l’insertion de la question de la santé au travail et des risques psychosociaux dans les référentiels de formation initiale des grandes écoles et de la formation continue dans les entreprises. Il y a quelques jours, l’école de management de Grenoble et l'école « Arts et Métiers Paris Tech » ont été retenues par le ministre du travail comme écoles pilotes dans le cadre du plan Santé au travail II, en vue de former les futurs managers aux risques psychosociaux. L’État pourrait être amené à jouer un rôle particulier en organisant la labellisation des écoles qui mettraient en place un module de formation sur la santé au travail et la gestion des équipes.

Cinquièmement, la prévention des risques psychosociaux passe aussi par la diffusion de bonnes pratiques. Le site internet « travailler-mieux.gouv.fr », permet de diffuser un certain nombre d’outils, d’exemples de bonnes pratiques et de témoignages d’entreprises. Il faut aller plus loin : la mise en place d’un label « Santé et qualité de vie au travail » serait de nature à inciter les entreprises à mettre en place des actions concrètes dans le domaine des risques psychosociaux et permettrait de valoriser les entreprises soucieuses du bien-être de leurs salariés. Ce label pourrait être délivré par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Il pourrait s’accompagner d’une « charte d’intervention » que les acteurs s’engageraient à respecter. Par ailleurs, une attention particulière doit être portée aux petites et moyennes entreprises car les risques psychosociaux ne sont malheureusement pas présents seulement dans les grandes entreprises. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des actions territoriales spécifiques d’information et d’accompagnement à destination de ces entreprises. À ce titre, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) travaille à l’adaptation de ces instruments de prévention afin que les petites entreprises puissent se les approprier.

Sixièmement, il est impératif de renforcer les moyens des acteurs publics en matière de santé au travail. L’augmentation du budget de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, le renforcement des effectifs de l’inspection du travail et le développement de leur formation en matière de risques psychosociaux apparaissent aujourd’hui nécessaires.

Septièmement, la prévention des risques psychosociaux implique de renforcer le dialogue social sur les sujets de santé au travail. Les partenaires sociaux ont été amenés à négocier des accords sur ces risques. Après l’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail, un accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail a été signé par les partenaires sociaux le 26 mars 2010. Le plan d’urgence sur la prévention du stress professionnel, annoncé le 9 octobre 2009, a prévu l’ouverture de négociations obligatoires sur le stress au travail dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, avant le 1er février 2010, afin de transposer l’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 portant sur ce sujet. 600 accords ou plans d’actions ont été d’ores et déjà engagés. Ce bilan est très encourageant car il concerne près d’une entreprise de plus de 1 000 salariés sur deux. Il est aujourd’hui primordial d’accompagner la montée en puissance des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Plusieurs réformes pourraient être envisagées : prévoir une élection de ses membres au suffrage direct pour renforcer leur visibilité et leur légitimité, augmenter leurs moyens d’actions, en accordant aux élus des délégations horaires plus importantes ou en dotant les comités d’un budget propre et développer la formation des élus, plus particulièrement sur les nouveaux risques pour la santé psychologique des salariés. Par ailleurs, une réflexion devrait être lancée sur l’augmentation de la durée du mandat de ses membres.

Il est aussi primordial d’améliorer la prise en charge des victimes de risques psychosociaux. Il n’existe pas à ce jour de tableau des maladies professionnelles permettant de reconnaître les pathologies inhérentes aux risques psychosociaux. L’inscription de telles pathologies paraît délicate. En effet, les maladies psychosomatiques ont des origines multiples : il est souvent difficile de faire la part entre les causes liées à la vie privée et celles liées à la vie professionnelle. De même, assouplir la procédure en vue de reconnaître plus facilement des troubles psychologiques comme une maladie professionnelle doit être envisagé avec précaution et ne peut se faire sans une étude d’impact préalable. À cet égard, je tiens à rappeler que le juge reconnaît de plus en plus facilement la faute inexcusable de l’employeur pour avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat à la suite d’un accident du travail ou d’un suicide. Cette évolution jurisprudentielle permet d’augmenter considérablement l’indemnisation des salariés ou de ses ayants droit. La récente décision de la cour d’appel de Versailles du 18 mai dernier reconnaissant la faute inexcusable de l’entreprise Renault à la suite du suicide d’un salarié, illustre parfaitement cette évolution. Par ailleurs, la problématique du stress au travail devenant de plus en plus présente dans les entreprises, de nombreux acteurs interviennent dans ce domaine. Il est aujourd’hui nécessaire de mettre en place un agrément pour ces intervenants, dont la délivrance pourrait être confiée à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.

Mais surtout, je suis convaincu qu’une meilleure prise en charge des risques psychosociaux passe prioritairement par une indispensable réforme des services de santé au travail. La proposition de loi de M. Nicolas About relative à la médecine du travail, adoptée par le Sénat et déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 28 janvier dernier, propose une telle réforme. Elle devrait être de nature à permettre une meilleure prévention des risques psychosociaux et une meilleure prise en charge des salariés en situation de détresse, notamment en facilitant l’intervention de personnels spécialisés. Il est impératif que cette proposition de loi soit adoptée rapidement.

Mme Marisol Touraine, présidente de la mission. Nous approuverons la publication du rapport. Cependant je tiens à rappeler que, lors de la dernière réunion de la mission d’information, nous nous sommes abstenus sur le fond et ce pour diverses raisons.

La première réside dans les conditions de travail de la mission qui n’ont pas été satisfaisantes. La mission a eu du mal à se mettre en place et à fonctionner. Tout a été fait pour privilégier le groupe de travail spécifique constitué à l’UMP, au détriment du travail collectif au sein de la mission. À l’exception des deux rapporteurs, nous n’avons pas eu la chance d’avoir des débats avec nos collègues du groupe UMP. Si nous ne nous étions pas abstenus, le rapport n’aurait d’ailleurs pas pu être adopté. Au-delà de ces difficultés, j’aurai espéré pourtant un consensus et une prise de conscience partagée.

La deuxième raison pour laquelle nous ne nous retrouvons pas dans ce rapport est qu’il affirme que la politique gouvernementale actuelle est la meilleure réponse possible, envisageable, face au développement des risques psychosociaux dans les entreprises privées ou dans le secteur public.

Le Gouvernement n’a pas fait de cet enjeu une cause nationale. Il a joué la carte de la responsabilisation des entreprises mais sans aucune contrainte en termes d’agenda ou financières. Peu d’entreprises se sont engagées. Un rapport du ministère du travail le rappelle : les entreprises qui se sont lancées dans une démarche de négociation l’ont fait de façon formelle et sans aboutir à de véritables plans d’action. Malgré la médiatisation régulière du sujet, il n’existe donc pas de politique gouvernementale forte.

La troisième raison qui a conduit à nous abstenir est que si il n’y a pas d’impulsion gouvernementale, si aucun débat public national n’est organisé, la tentation de recourir à des mesures législatives va prévaloir. Nous ne pensons pourtant pas que le recours à la loi soit la seule réponse à apporter à la question des risques psychosociaux. Si la loi est pertinente dans certains domaines comme le rôle et les missions des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il est préférable de recourir à la contractualisation, au dialogue social pour faire prendre conscience que cette question est un sujet majeur. Au Canada, il y a eu un débat national public, un certain nombre de solutions ont pu être apportées et un consensus a émergé sur la nécessité de lutter contre ces troubles et sur le fait que la question devait être traitée au sein des entreprises, au même titre que les questions salariales, l’égalité professionnelle ou la sécurité au travail.

La quatrième raison pour laquelle nous nous sommes abstenus est que, dans ce rapport, tout ce qui renvoie à l’organisation du travail est sous-estimé. Les entreprises elles mêmes sous-estiment ce facteur de risques. On ne peut faire l’impasse sur cet aspect si on veut affirmer le rôle central du travail dans la société, ainsi que le caractère émancipateur pour l’individu, sur le plan personnel ou social, de l’engagement professionnel.

En revanche, nous approuvons la partie de ce rapport consacrée à la formation des « managers ». C’est ainsi que nous n’avons pas voté contre le rapport.

Nous proposons néanmoins des préconisations autour de trois axes : l’amélioration de l’observation, de la prévention et de la réparation des risques psychosociaux.

Sur le premier aspect, si nous disposons d’études et de statistiques sur les troubles, elles sont éparses, contestées et hétérogènes. Il nous parait souhaitable qu’un organisme indépendant soit chargé de l’observation et de l’évaluation. Un observatoire pourrait être créé ou une structure déjà existante pourrait être chargée de coordonner les analyses en toute indépendance. Par ailleurs, plusieurs modèles de questionnaires doivent coexister pour mener les enquêtes internes dans les entreprises pour que le dialogue social puisse s’appuyer sur des données objectives, qui ne puissent pas être contestées.

Nous reconnaissons la nécessité de l’amélioration de la formation des managers. Il est invraisemblable qu’un étudiant puisse terminer son cursus sans avoir reçu aucune formation en matière de santé au travail ou de relations humaines. De même, il est impensable qu’un manager ne reçoive pas de formation continue dans ce domaine durant sa carrière car en quarante ans de vie professionnelle les choses naturellement évoluent. Les entreprises doivent être encouragées à dispenser cette formation par des modes de rémunération différents.

Le dialogue social doit être renforcé. Il doit favoriser la prise en compte des risques psychosociaux par les salariés et par les employeurs notamment au sein du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Mais il est important que de nouvelles structures de dialogue social au niveau territorial ou par branche se mettent en place au sein des petites entreprises où le CHSCT n’existe pas.

Quant à la réparation, il faut faire entrer les risques psychosociaux dans l’obligation générale de sécurité des entreprises qui est une obligation de résultat et non de moyens. Nous proposons de supprimer le seuil d’incapacité de 25 % à partir duquel une maladie est reconnue comme maladie professionnelle en dehors du tableau. Ce seuil est en effet inatteignable et indémontrable.

Les salariés doivent enfin recevoir une indemnisation pour les psychopathologies liées au travail. Un fonds d’indemnisation des salariés devrait être mis en place et alimenté par les entreprises sur le modèle de celui des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Ce système inciterait les entreprises à avoir des moyens d’action pour lutter contre les risques psychosociaux.

Pour conclure, même si nous n’avons pas trouvé satisfaisantes les conditions de création et de fonctionnement de la mission, je tiens à souligner que les deux rapporteurs, MM. Jean-Frédéric Poisson et Guy Lefrand ont pleinement joué le jeu.

M. le président Pierre Mehaignerie. Je ferai deux observations. La première est que vous avez souligné qu’il n’y avait pas de divergences avec le Rapporteur sur le fond…

Mme Marisol Touraine, présidente de la mission. Je n’ai pas dit cela, j’ai fait observer qu’il n’y avait pas eu de divergences sur la façon dont la mission devait fonctionner.

M. le président Pierre Mehaignerie. … La seconde observation est que les préconisations, notamment relatives aux modifications de comportement ou au management, s’adressent à ceux d’entre nous qui sont aussi employeurs. Les employeurs publics et les collectivités locales sont concernés par ce problème.

M. Dominique Dord. La question des risques psychosociaux est importante et nouvelle. Notre commission a un rôle d’éclaireur à conduire sur ce sujet. J’ai noté les propositions du rapporteur autour de deux axes : l’organisation du travail et l’amélioration du « management ». Mais il me semble qu’il existe aussi un élément manquant : la dimension internationale. Le stress au travail, les risques psychosociaux sont liés à l’organisation des échanges mondiaux et à la concurrence pour les économies occidentales de pays où la main d’œuvre est massive et à bas coûts. Cette situation engendre une organisation du travail où la recherche de la productivité est devenue nécessaire et incontournable pour le salarié. Elle produit du stress au travail.

Il manque dans votre rapport un appel à la mobilisation des organisations internationales du travail, qui ont elles aussi une « guerre de retard », à l’image de nos comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. C’est pourquoi, si la dimension nationale du problème est importante, il faudrait néanmoins ajouter un volet aux recommandations du rapport qui porterait sur une mobilisation dans un cadre plus large, par exemple au sein du Bureau international du travail. Un traitement international de ces questions est notamment nécessaire pour les pays développés qui sont soumis de la même manière aux risques psychosociaux.

M. Roland Muzeau. Chacun se souvient que France Télécom a été – et demeure – un dramatique cas d’école démontrant que l’organisation du travail est la source des troubles psychosociaux au travail, jusqu’à leur forme la plus terrible qu’est le suicide. On comptait vingt-quatre suicides de salariés de cette entreprise lorsque le groupe des députés communistes, républicains et du parti de gauche ont déposé, en 2009, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences sur la santé des salariés des restructurations permanentes, des nouvelles formes d’organisation du travail et méthodes de gestion du personnel à France Télécom comme dans l’ensemble des secteurs de l’économie nationale. Votre majorité a refusé de l’adopter au prétexte qu’une telle initiative aurait stigmatisé une entreprise confrontée à la dure concurrence internationale.

Nous pensons, pour notre part, que France Télécom illustre malheureusement la trajectoire de nombreux autres entreprises ou organismes privatisés, convertis à la « révolution managériale » et « passés d’une culture de service public à une machine à cash », selon l’expression de M. Ivan du Roy. Pour cette raison, le droit de regard du législateur aurait dû s’exercer pour éclairer différemment la situation de Pôle emploi ou de La Poste, confrontés aujourd’hui aux mêmes processus d’épuisement physique et psychique de salariés déboussolés par des stratégies auxquelles ils n’adhèrent pas, contraints de se trahir eux-mêmes et minés par un discours paradoxal sur le travail prescrit et le travail réel.

Certes, sur le papier, les méthodes de management de France Télécom ont changé, mais, au fond, la stratégie de l’entreprise reste la même : courir après une rentabilité maximale. Comme l’a souligné Mme Brigitte Font le Bret, médecin du travail, « France Télécom doit s’attaquer au cœur du problème : la rentabilité et les profits ».

La situation est tout aussi préoccupante à la SNCF, à Pôle emploi ou à La Poste où les réorganisations en chaîne, les baisses d’effectifs et les changements de métier ont manifestement un impact sur la vie, la santé et le moral des salariés. Pour l’année 2009, Force ouvrière a recensé pas moins de soixante-dix suicides pour un total de deux cent quatre-vingt-dix mille postiers !

Je regrette que la question de l’imputabilité à l’employeur des suicides et des pathologies liées au stress, pourtant au cœur du débat, n’ait pas trouvé sa place dans le rapport de la mission d’information qui évacue ou aborde trop superficiellement de nombreuses autres problématiques essentielles pour prendre la mesure de l’ampleur du phénomène des troubles psychosociaux. Ce rapport privilégie de fausses bonnes solutions et préfère la gestion des risques psychosociaux à leur prévention primaire, et même l’inaction lorsqu’il s’agit de réparer les altérations de la santé mentale et physique liées au travail.

Je le déplore : c’est un rapport frileux qui fait l’impasse sur des questions essentielles, pourtant soulevées ou confirmées à l’occasion des auditions auxquelles a procédé la mission d’information. Il en reste à une description succincte et incomplète des transformations du travail à l’origine de ce que Mme Marie Pezé a appelé « l’appauvrissement des gestes de métier » ; il n’étudie pas correctement la perte de sens et le mal-être ressentis par les salariés qui donnent de leur personne sans que leur travail ne soit, en retour, reconnu, comme l’ont pourtant souligné de nombreux témoignages.

Je regrette que certaines questions n’aient pas fait l’objet de développements alors qu’elles ont été fréquemment mentionnées comme étant les causes des risques psychosociaux par les personnes auditionnées. Je pense ainsi à la montée de la précarité, à la peur du chômage, au poids des suppressions d’emplois, à l’impact des restructurations permanentes ou encore aux changements de statut et de périmètre des entreprises ; je pense enfin au lien entre la financiarisation de notre économie et le développement du « mal-travail ».

Je regrette qu’il n’ait pas été fait mention des éclairages de M. Christophe Dejours sur la centralité du travail dans la construction de l’individu, la mise en concurrence généralisée des salariés et leur solitude dans le monde du travail qui est d’autant plus importante que les stratégies collectives de défense n’existent plus. Le travail est le grand absent de ce rapport, auquel manque aussi une analyse du monde du travail, fait de rapports de force et de conflictualité, comme l’a rappelé devant la mission d’information la sociologue Mme Danièle Linhart.

Au lieu d’analyser le problème à la source, en étudiant les nouvelles modalités d’organisation du travail, le rapporteur a pris le parti de s’intéresser à la gestion de leurs conséquences – les risques psychosociaux –, et non pas à la prévention. C’est le défaut majeur du rapport.

Par ailleurs, les médecins du travail y sont trop ignorés alors qu’ils sont des acteurs majeurs de la prévention des altérations de la santé des salariés. Nous sommes en total désaccord avec l’analyse du rapporteur concernant la réforme en cours. Les auditions l’ont montré : il existe une vraie différence de conception du rôle du médecin du travail entre les organisations patronales d’une part et les organisations syndicales et de médecins d’autre part. Devant la mission d’information, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises a indiqué tenir à « l’adaptation de l’homme au travail » et a vanté les mérites de la seule « visite médicale d’embauche comme étant un a priori important » ! Mais plus nombreux ont été ceux qui ont insisté sur la nécessité de garantir l’indépendance des médecins du travail et de définir leurs missions dans le seul but d’éviter toute altération de la santé des travailleurs.

S’agissant de la place et du champ d’intervention des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le rapporteur peine là encore à convaincre de sa volonté d’asseoir leur rôle central. Alors que trois salariés sur quatre ne bénéficient pas d’une telle instance, nous aurions apprécié que soit proposé d’abaisser le nombre de salariés requis pour pouvoir créer ces comités, ou de favoriser leur implantation dans les plus petites entreprises, par exemple par le biais de délégués de site sur des bassins d’emploi.

Il me semble aussi qu’avant de préconiser la poursuite du plan d’urgence pour la prévention du stress au travail, il faudrait avoir l’honnêteté d’en présenter un bilan objectif, qui est en réalité plus que mitigé. Quatre accords conclus par des entreprises sur cinq portent sur la méthode et non sur le fond. Sans surprise, puisque tel est l’objectif du Gouvernement, le sujet de l’organisation du travail en est le grand absent : on y parle de fragilités individuelles mais pas de qualité du travail.

Tant que les entreprises ne seront pas responsabilisées, sur un plan financier, par l’augmentation de leurs cotisations à la branche Accidents du travail et maladies professionnelles, rien ne se passera. L’Association des accidentés de la vie (FNATH) et les organisations syndicales entendues par la mission d’information ont toutes insisté sur l’importance de la question de l’imputabilité des faits à l’employeur et sur la nécessaire amélioration de la reconnaissance des maladies psychiques en tant que maladies professionnelles. Elles ont ainsi proposé la révision des tableaux de maladies professionnelles et l’assouplissement du critère d’incapacité en faisant passer le taux requis de 25 % à 10 %, voire en supprimant celui-ci pour l’accès à la voie complémentaire de reconnaissance.

Enfin, la récente décision de la cour d’appel de Versailles confirmant la faute inexcusable de Renault pour le suicide d’un de ses salariés et reconnaissant la responsabilité de l’employeur dans la mise en place d’une organisation du travail pathogène devrait amener le législateur à se demander s’il ne convient pas de compléter le code du travail pour y inscrire la notion jurisprudentielle de harcèlement moral collectif ou institutionnel.

M. Claude Leteurtre. J’ai le sentiment, en prenant connaissance de ce rapport, qu’il est centré sur les risques psychosociaux dans le seul secteur privé. Or, mon expérience personnelle m’amène à penser que la souffrance au travail existe aussi dans le secteur public, par exemple à l’hôpital ou dans les collectivités territoriales où les questions organisationnelles et managériales dominent désormais. Je ne sais pas quel était exactement le champ d’investigation de la mission d’information ; s’il s’agissait du mal-être au travail en général, il me semble qu’il aurait fallu développer l’aspect que je viens d’évoquer.

J’ai par ailleurs l’impression que les risques psychosociaux font l’objet d’une prise en charge globale. La mission d’information s’est-elle intéressée au fait que ces risques pouvaient être plus fréquents dans certains territoires que dans d’autres ? Je pense à la Basse-Normandie où la prévalence de l’alcoolisme est plus importante que dans d’autres régions et où on déplore de nombreux suicides. Cela a-t-il été pris en compte ?

Il me semble également nécessaire d’évoquer l’organisation du travail comme cause de l’apparition des risques psychosociaux. Si l’on prend l’exemple des personnels techniques, ouvriers et de services de l’État transférés vers les collectivités territoriales, on observe qu’ils ne savaient pas ce qu’allait être leur sort, ce qui a suscité inquiétudes et angoisses.

On parle beaucoup de « managers » ou d’entreprises, mais peu de la solidarité entre salariés. Il me semble nécessaire qu’ils prennent conscience de leur capacité à donner l’alerte et à être solidaires les uns des autres.

M. Christian Hutin. Il est difficile de résumer en deux minutes une année de travail… Le rapport qui vient de nous être présenté a une qualité exceptionnelle : il existe ! Il se fonde sur des données du vingt-et-unième siècle. On aurait pu imaginer que la souffrance au travail n’existait plus – c’est un discours que nous avons d’ailleurs entendu chez certains responsables patronaux. Tel n’est pas le cas. Ce rapport permet de prendre conscience que la souffrance au travail existe encore bel et bien.

Mais permettez-moi de dire que le travail de la mission d’information a été surréaliste. C’était la première fois que je participais à une telle instance parlementaire. Je tiens à dire que M. Jean-Frédéric Poisson, le premier rapporteur de la mission d’information, a été exceptionnel : il a non seulement été brillant, mais aussi extrêmement présent puisqu’il a assisté à l’ensemble des auditions que nous avons menées. Cela a également été le cas de la présidente, que je remercie, ainsi que de trois autres membres de la mission d’information.

Je n’ai rien contre le fait qu’un parti politique s’empare d’un sujet important comme la souffrance au travail, mais cela ne doit pas nuire au travail mené par une mission d’information. M. Guy Lefrand a dû reprendre un dossier qu’il ne connaissait pas. C’est tout à son honneur mais il me semble indispensable de respecter les instances de l’Assemblée nationale : les députés du groupe UMP n’ont pas participé aux auditions de la mission d’information ; c’est regrettable. Certains prennent aujourd’hui la parole sans avoir assisté à aucune de nos auditions, qui étaient pourtant de qualité.

J’en viens au rapport. J’émettrai des observations sur deux points : d’une part, je suis partisan d’une intervention du législateur plus importante que celle préconisée par le rapporteur ; d’autre part, je suis très surpris par la faible qualité des directeurs des ressources humaines sortis de grandes écoles. J’ai ainsi été frappé par une publicité actuellement diffusée à la télévision, dans laquelle la directrice d’un restaurant Mac Donald se réjouit d’être bientôt titulaire, grâce à une équivalence reconnue par l’État, du titre de directrice des ressources humaines. Je doute vraiment qu’une telle équivalence puisse garantir que les personnes concernées disposent des compétences requises.

M. le président Pierre Méhaignerie. L’entreprise Mac Donald ne constitue pas le plus mauvais exemple en matière de promotion et de valorisation des jeunes.

M. Bernard Perrut. Il est vrai que le travail doit être un droit, une fierté et un accomplissement tant personnel que social de l’individu. Pourtant 62 % des Français affirment qu’ils connaissent un niveau de stress élevé au travail. Ce taux doit nous interpeller, surtout lorsque l’on sait que 20 % des arrêts maladie de plus de quarante-cinq jours sont liés aux risques psychosociaux.

Différentes causes expliquent le développement de ces risques : l’organisation du travail, son intensification et les défaillances du management. Je soutiens les priorités retenues par la mission et en particulier la nécessaire amélioration de la prévention des risques psychosociaux. Mais comment y parvenir ? Selon moi, par la sensibilisation des chefs d’entreprise et la lutte contre le harcèlement.

La réduction des risques psychosociaux doit constituer l’un des axes forts de notre politique de santé publique, mais disposons-nous des moyens nécessaires, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du deuxième plan de Santé au travail ? Il me semble qu’il faut renforcer les moyens humains et matériels de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail pour qu’elle puisse mener encore davantage d’actions de formation.

Comment accroître le dialogue social pour mieux détecter les salariés en difficulté ? La réforme de la médecine du travail devrait jouer un rôle mais je souhaiterais connaître ses étapes. Enfin, comment renforcer le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ?

M. Michel Liebgott. Bien que n’étant pas membre de la mission d’information, il me semble que les risques psychosociaux constituent un problème de société qui dépasse le cadre de l’entreprise. Il a été trop longtemps ignoré et, d’ailleurs, la psychiatrie tant publique que privée ne dispose que de moyens limités pour le combattre. Selon moi, l’une de ses causes est la grande misère sociale.

Les chiffres publiés récemment indiquent que les risques psychosociaux touchent également la fonction publique territoriale, au sein de laquelle un taux d’absentéisme élevé a été observé. Ce taux s’explique, en partie, par la pression forte que subissent les personnels suite à la dégradation des services publics. Il me semble qu’il faut donc améliorer la formation des managers tant publics que privés.

Il faut établir un lien entre l’état du marché du travail et de la société et la souffrance au travail. Le développement des emplois précaires, tels que les contrats à durée déterminée, a conduit à une augmentation du malaise des salariés. Nous pouvons, certes, accroître les moyens consacrés à la prévention des risques psychosociaux, mais tant que subsisteront autant d’emplois précaires, le problème ne pourra être résolu. Par le passé, le travail a pu représenter un épanouissement personnel et apporter du bien-être aux salariés car leurs emplois étaient stables.

Mme Martine Billard. Je suis quelque peu choquée par les propos tenus par M. Claude Leteurtre qui évoquait la solidarité entre les salariés. Pour que cette solidarité existe, il faut, au préalable, que l’organisation du travail ne vise pas à détruire les collectifs de travail.

Je souhaiterais évoquer la situation de la Caisse d’Épargne, qui a connu également des suicides de salariés. Les syndicats de cette caisse affirment que la cause de ces suicides réside, en partie, dans les méthodes de travail mises en œuvre, notamment la méthode du benchmark. Cette dernière consiste à fixer des objectifs inatteignables pour les salariés dans un contexte de concurrence généralisée entre les personnels et donc de stress. Les salariés subissent ainsi une remise en cause permanente de leurs compétences, puisqu’ils ne peuvent atteindre les objectifs qui leur ont été fixés et ont, de plus, peur de perdre leurs primes ou d’être licenciés. Alors qu’ils ont la volonté d’être les meilleurs professionnels possibles, l’entreprise ne leur renvoie qu’une image dévalorisante d’eux-mêmes et certains craquent. Il devient de plus en plus difficile aujourd’hui d’être heureux au travail.

Si ces méthodes de management, aujourd’hui appliquées dans l’ensemble des secteurs de l’économie, ne sont pas remises en cause, aucune solution durable ne pourra être trouvée contre les risques psychosociaux, et les suicides perdureront.

M. Michel Heinrich. Je partage le sentiment que la souffrance au travail a augmenté ces dernières années. J’aurai quelques questions à poser au rapporteur : établissez-vous une comparaison de la situation française par rapport aux autres pays européens dans votre rapport ? Les risques psychosociaux sont-ils, en France, plus ou moins développés qu’ailleurs ? La forte productivité des travailleurs français est mondialement reconnue : selon vous, quel a été l’impact de la réduction du temps de travail sur le mal-être au travail ? Au-delà des modifications de management qu’il a induites, le passage aux 35 heures a t-il eu des effets sur le développement des risques psychosociaux ?

M. Georges Colombier. Je tiens à féliciter M. Guy Lefrand pour avoir brillamment pris le relais en tant que rapporteur de la mission d’information. Ayant participé pendant les vingt-cinq années que j’ai passées dans l’industrie à de nombreux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, j’approuve les propositions que vous formulez à leur sujet, que ce soit l’élection des membres au suffrage direct et l’augmentation de la formation des élus et des moyens d’actions qui sont accordés à ces comités.

M. Régis Juanico. En tant que membre assidu de la mission d’information, je ne peux que regretter que la publication du rapport d’information n’intervienne qu’en mai 2011, alors que cette mission a été mise en place fin 2009. Cela explique peut-être qu’on ne perçoive pas, à la lecture du rapport, une complète prise de conscience de l’ampleur du phénomène de la souffrance au travail et que les propositions retenues par le rapporteur n’aillent pas assez loin.

Sur le fond, il me semble qu’il faut développer non seulement la formation des managers, mais également celle des institutions représentatives du personnel. Je suis favorable aux propositions relatives aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, en particulier en ce qui concerne le mode d’élection et la durée du mandat de leurs membres, mais encore ne faut-il pas oublier de renforcer leurs missions et de trouver des solutions au problème de leur maillage territorial. Face à l’absence de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les petites entreprises, peut-être faudrait-il songer à créer des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de sites ou bien accroître le rôle des délégués du personnel dans ces entreprises. Il nous faut en effet créer un réseau d’interlocuteurs des salariés en matière de risques psychosociaux.

Je suis également favorable à l’augmentation des moyens humains et financiers de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et de l’inspection du travail, à condition que l’on élargisse les prérogatives de ces deux institutions. Nous présenterons des amendements en ce sens au prochain projet de loi de finances, comme nous le faisons régulièrement depuis plusieurs années en espérant, cette fois-ci, qu’ils recevront un avis favorable du Gouvernement, car il y a urgence à lutter contre les risques psychosociaux.

Je veux insister sur le problème de l’organisation du travail qui me semble sous-estimé dans le rapport. Parmi les différents facteurs des risques psychosociaux, occupent une place centrale les organisations du travail qui produisent une dilution des collectifs de travail et une diminution de la reconnaissance des salariés. En France, nous pratiquons une gestion dite sans gaspillage ou « limb production », alors qu’en Allemagne et dans les pays scandinaves sont plutôt mises en œuvre des organisations du travail dites « apprenantes ».

Il faut recréer dans les entreprises des espaces de dialogue collectif. Nous proposons, dans la contribution socialiste, une série de mesures visant à ce que les salariés puissent de nouveau s’intéresser à l’organisation de leur travail. Au Québec, tout projet de réorganisation d’une entreprise doit être accompagné d’une étude de son impact sur les conditions de travail des salariés. Nous devrions, en France, rendre obligatoires les négociations sur les risques psychosociaux dans l’ensemble des entreprises, et pas seulement celles de plus de mille salariés.

M. Paul Jeanneteau. Parmi les différents facteurs de risques psychosociaux, se trouvent les défaillances du management en matière de gestion des ressources humaines, qui peuvent être expliquées par une formation insuffisante en santé au travail. Face à ce problème, le rapport affirme qu’il est donc essentiel de redonner des marges de manœuvre aux managers de proximité pour optimiser l’efficacité et la cohésion de leurs équipes et de les sensibiliser à la problématique du stress et des risques psychosociaux. Le développement de la formation continue est, de ce point de vue, essentiel. Au-delà de la formation continue, il me semble nécessaire d’évaluer la formation initiale des managers. Comme l’a souligné M. Christian Hutin, celle-ci n’est pas toujours de qualité. Pourrait-on envisager un système de labellisation de la formation initiale et continue, dispensée dans les grandes écoles de commerce et de management, sur des critères de qualité bien définis ?

M. Vincent Descoeur. Pour améliorer la prévention et la réduction des risques psychosociaux, il me semble qu’il faut plus de moyens et qu’il faut renforcer les équipes pluridisciplinaires dans les services de santé au travail. Nous devons pouvoir identifier, dans les collectivités territoriales par exemple, les personnes se sentant capables d’intervenir auprès des salariés en difficulté et de leur fournir une formation en médiation si elles le demandent.

M. Michel Issindou. Je félicite le rapporteur pour son rapport. Bien que le travail ne puisse pas toujours être un plaisir, il n’est pas acceptable que 62 % des salariés soient stressés. Cette situation est liée aux privatisations sauvages des grandes entreprises ainsi qu’à l’extension de la concurrence. Le stress est entretenu par des gestionnaires qui subissent eux-mêmes la pression de leur hiérarchie. Ce problème a été négligé pendant de nombreuses années ; c’est ainsi que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail était dénigré, son rôle étant considéré comme passif et ses interventions gênantes pour l’activité de l’entreprise.

Il faut renforcer le dialogue social sur les risques psychosociaux, notamment dans les petites et moyennes entreprises.

M. Guy Lefrand, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les prises de positions qui vont dans le même sens que le rapport.

Je rappelle que j’ai succédé à M. Jean-Frédéric Poisson, qui est un fin connaisseur du dossier. J’ai donc préféré ne pas insister sur le diagnostic, qu’il avait abondamment traité, pour me concentrer sur les préconisations.

Je rejoins Mme Marisol Touraine sur le fait que les accords d’entreprise sur le stress au travail signés dans le cadre du plan d’urgence sont plus formels qu’effectifs. Il faudra les développer.

L’augmentation des moyens de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail par les parlementaires peut se heurter à l’article 40 de la Constitution.

Mme Martine Billard. À chaque fois que l’on veut augmenter les moyens de la médecine du travail, on nous oppose l’article 40 !

M. Guy Lefrand, rapporteur. Le sondage indiquant que 62 % des personnes interrogées ressentent un niveau élevé de stress au travail montre qu’il y a malheureusement un lien entre stress et travail.

Je rappellerai à MM. Dominique Dord et Michel Heinrich que la France se trouve dans la moyenne des pays européens en termes de stress au travail. La prise en charge des personnes n’y est pas mauvaise, mais il est vrai que le Canada a beaucoup travaillé sur la prévention des risques. Alors qu’en France, le système est très médicalisé, on ne compte au Canada que 47 médecins du travail pour 5 millions de salariés. Il faudra s’interroger sur le rôle du médecin du travail dans le cadre de la réforme des services de santé au travail. À mon sens, le médecin devrait se concentrer sur le suivi individuel des salariés, tandis que les équipes pluridisciplinaires se consacreraient aux problèmes collectifs.

M. Claude Leteurtre s’est interrogé sur le champ d’investigation du présent rapport : en effet, nous avons choisi dès le départ de n’étudier que le secteur privé, ce qui ne veut pas dire que nous considérons qu’il n’y a pas de risques psychosociaux dans le secteur public. Un autre secteur a été exclu, celui des salariés du particulier employeur, qui n’ont pas accès à la médecine du travail.

MM. Michel Issindou et Roland Muzeau m’ont interrogé sur le renforcement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, auquel je crois beaucoup. Je préconise des élections directes, des formations plus importantes pour leurs membres et des mandats plus longs, dans le but de les rendre plus attractifs.

Enfin, je conviens que le dialogue social sur les risques psychosociaux dans les petites entreprises doit être encouragé.

M. le président Pierre Méhaignerie. La prise en charge des risques psychosociaux n’est pas incompatible avec la compétitivité des entreprises. Elle peut être mise en place à des coûts raisonnables, mais les dirigeants des PME sont souvent persuadés du contraire.

Mme Catherine Génisson. La concurrence et le souci de la performance nuisent à la qualité des conditions de travail. Pour autant, je rejoins le président Pierre Méhaignerie sur le fait que la lutte contre les risques psychosociaux n’est pas incompatible avec la compétitivité.

Le deuxième plan Santé au travail proposé par le ministre du travail, de l’emploi et de la santé nécessite davantage de moyens.

Enfin, il est nécessaire de renforcer la formation initiale et continue des médecins du travail sur les risques psychosociaux. À mon sens, la prévention des risques psychosociaux relève avant tout de la compétence des médecins du travail, dans le cadre du « tiers-temps » qu’ils consacrent à l’amélioration des conditions de travail.

M. Guy Lefrand, rapporteur. Je reste persuadé qu’il faut réformer la médecine du travail. Elle est mal comprise – certains employeurs ne veulent malheureusement pas payer 180 euros pour une visite médicale tous les deux ans – et elle ne peut traiter à elle seule les problèmes psychosociaux qui dépassent la compétence des médecins du travail, et doivent être traités par des équipes pluridisciplinaires, composées notamment de psychologues.

M. le président Pierre Méhaignerie. Il conviendra de demander au Gouvernement ses intentions en matière de suites à donner aux préconisations formulées dans le rapport.

La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

La séance est levée à onze heures trente.

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Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné M. Gérard Cherpion rapporteur sur la proposition de loi pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée (n° 3369).

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 25 mai 2011 à 10 heures

Présents. - M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Gérard Bapt, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Martine Billard, M. Jean-Louis Borloo, Mme Valérie Boyer, M. Yves Bur, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. Rémi Delatte, M. Vincent Descoeur, M. Dominique Dord, Mme Cécile Dumoulin, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, Mme Pascale Gruny, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Guy Lefrand, M. Jean-Claude Leroy, M. Claude Leteurtre, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Guy Malherbe, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, M. Roland Muzeau, Mme Marie-Renée Oget, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, Mme Anny Poursinoff, M. Jean-Luc Préel, M. Simon Renucci, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine

Excusés. - Mme Martine Carrillon-Couvreur, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Michèle Delaunay, Mme Laurence Dumont, Mme Françoise de Salvador, M. Francis Vercamer

Assistait également à la réunion. - M. Michel Issindou