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Commission des affaires sociales

Mercredi 28 septembre 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 66

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Examen de la proposition de loi de M. Victorin Lurel tendant à prohiber la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone (n° 3574) (M. Victorin Lurel, rapporteur)

Amendements examinés par la commission

Examen de la proposition de loi de M. Gérard Bapt visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (n° 3584) (Mme Michèle Delaunay, rapporteure)

Amendements examinés par la commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 28 septembre 2011

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission examine tout d’abord, sur le rapport de M. Victorin Lurel, la proposition de loi tendant à prohiber la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone (n° 3574)

M. Victorin Lurel, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le Président, de me donner l’occasion de présenter devant votre commission un texte qui répond à une urgence sociale dans nos régions. Il s’agit d’une disposition législative simple destinée à lutter contre l’obésité, ce fléau que l’Organisation mondiale de la santé n’hésite pas à qualifier d’épidémie, et qui touche avec une acuité particulière la France d’outre-mer. C’est dire que nous traitons aujourd’hui d’un enjeu de santé publique majeur.

Lorsqu’on examine la prévalence et les tendances de l’obésité, on observe des résultats significativement différents entre la France hexagonale et l’outre-mer.

Au niveau national, la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes continue de croître et près de 15 % de la population adulte est aujourd’hui considérée comme obèse, c’est-à-dire possède un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. On peut certes se féliciter que, depuis 2000, la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants se soit stabilisée entre 2,8 et 3,5 %. Toutefois, une analyse plus fine des statistiques laisse voir que des inégalités territoriales perdurent dont nous ne pouvons nous satisfaire. Les statistiques globales dissimulent, en effet, des écarts géographiques importants entre la partie européenne de la France et l’outre-mer.

Le rapport au Président de la République de décembre 2009 de la Commission pour la prévention et la prise en charge de l’obésité soulignait déjà par exemple, s’agissant de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants, que la situation dans les collectivités d’outre-mer était « une source de préoccupation majeure ». Des données récentes confirment d’ailleurs que l’obésité touche tout particulièrement ces régions.

Analysant les disparités géographiques en matière de prévalence de l’obésité, le rapport précité soulignait ainsi que « la situation dans les collectivités d’outre-mer est plus particulièrement préoccupante chez les femmes, avec des prévalences nettement plus élevées qu’en métropole ».

Plus récemment, à l’initiative de mon ami le docteur André Atallah, cardiologue au centre hospitalier de Basse-Terre et secrétaire de l’association AGRUM (Action du groupe de réflexion ultramarine) qui regroupe des médecins, une enquête dite « PODIUM » (prévalence de l’obésité, de sa diversité et de son image ultramarine) a été menée pour obtenir des données sur le surpoids et l’obésité dans les départements et collectivités d’outre-mer.

Cette enquête, dont vous trouverez tous les résultats dans les documents qui vous ont été distribués, montre sans conteste que l’obésité et le surpoids demeurent, tant chez l’adulte que chez l’enfant, à des niveaux significativement plus élevés dans les collectivités ultramarines qu’en France hexagonale.

Cette situation spécifique de l’outre-mer est d’autant plus préoccupante que l’obésité favorise nombre de pathologies associées : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires et respiratoires, atteintes articulaires sources de handicaps.

Certes, l’obésité est une maladie complexe dont on ne connaît pas encore bien tous les mécanismes. C’est, en effet, un phénomène multifactoriel qui découle bien souvent de l’interaction d’un grand nombre de déterminants individuels et environnementaux. Il n’est donc pas exclu que des facteurs culturels – qui régissent les habitudes de vie comme celles relatives à l’alimentation ou à l’activité physique –, sociaux ou économiques expliquent en partie les différences territoriales enregistrées entre les régions d’outre-mer et l’Hexagone.

Toutefois, la responsabilité des groupes industriels de l’agro-alimentaire dans la progression de l’obésité outre-mer ne doit pas pour autant être négligée.

En premier lieu, plusieurs produits de consommation courante distribués outre-mer, tout spécialement des yaourts ou spécialités laitières et des sodas, ont une concentration en sucres supérieure à celle des mêmes produits de même marque vendus en France hexagonale.

Lorsqu’on les interroge sur cette bizarrerie, les groupes nationaux concernés font valoir que le conditionnement et la commercialisation outre-mer de leurs produits sont le plus souvent sous-traités à des groupes agro-alimentaires locaux. De ce fait, les groupes nationaux ne s’estiment pas responsables des différences de teneur en sucres. Ils mettent aussi parfois en avant des différences minimes de présentation ou de conditionnement pour indiquer que les produits ne sont pas identiques.

Principalement, ils expliquent les différences de teneur en glucides par des différences de process de fabrication, l’absence de lait frais en outre-mer obligeant à recourir à des poudres de lait plus riches en lactose. Selon eux, la teneur globale en glucides recouvre à la fois les sucres ajoutés et ce lactose, qui n’a pas de goût sucré. Plus de la moitié des écarts constatés proviendrait du lactose, dont ils soulignent le caractère moins gras, qui se transforme ensuite en acide lactique et qu’il conviendrait donc, selon eux, de défalquer de la teneur totale en sucres.

De façon indirecte, les industriels laissent également entendre que les consommateurs d’outre-mer préfèrent les produits les plus sucrés. Selon eux, une réduction de la teneur en sucres des produits manufacturés localement par leurs franchisés bénéficierait avant tout à leurs concurrents. Il n’existe pourtant aucun argument scientifique pour étayer l’existence, chez les populations de l’outre-mer, d’un goût particulier pour les aliments riches en sucres.

En second lieu, certaines boissons comme les sodas locaux, distribuées quasi exclusivement outre-mer, contiennent un taux de sucres très élevé. Ces pratiques sont d’autant plus critiquables que le consommateur n’en est le plus souvent pas informé, l’étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires étant, à ce jour, facultatif en Europe et donc en France.

Or, il est désormais bien établi qu’une consommation excessive de sucres est un des facteurs qui favorisent l’obésité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, indique ainsi sur son site Internet que « les effets délétères des glucides ont pu être établis avec certitude vis-à-vis du développement du surpoids et de l’obésité chez les enfants et les adolescents, dans les pays industrialisés. D’après des études menées en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, une consommation excessive de glucides, et en particulier de glucides simples ajoutés, notamment sous forme de boissons (jus de fruits, sodas, etc.), serait responsable du développement du surpoids et de l’obésité chez les enfants et les adolescents ».

Pourtant, la nécessité d’une politique de santé publique spécifique à l’outre-mer en matière d’obésité commence à peine à être prise en compte. Ainsi, le plan national obésité 2011-2013, rappelant que les problématiques en matière de nutrition et de pathologies liées sont différentes de celles de l’Hexagone et que l’obésité est plus fréquente dans les départements d’outre-mer, particulièrement chez les femmes, souligne, dans sa mesure 1-8, la nécessité de mener dans ces territoires une politique préventive renforcée et adaptée. Pour autant, le plan se contente trop souvent de recommandations et d’appels à de bonnes pratiques commerciales.

Lors des échanges que j’ai eus avec les principaux acteurs de l’industrie agro-alimentaire outre-mer, ceux-ci se sont montrés plus que réservés sur la nécessité de recourir à la loi pour régler ce problème de santé publique et ont souligné que des partenariats intelligents pouvaient se nouer entre santé et industrie agro-alimentaire. Au cours de son déplacement à Fort-de-France en juillet 2011, M. Xavier Bertrand a également affirmé vouloir privilégier la voie de la concertation pour régler ce problème spécifique à l’outre-mer. Il a annoncé qu’il allait mandater les directeurs des agences régionales de santé ultramarines en vue d’engager, dès la rentrée, des discussions avec les fabricants et d’envisager les moyens de diminuer rapidement la teneur en sucres des produits alimentaires transformés.

Ces discussions demeurent néanmoins encore à un stade très peu avancé, alors que l’urgence du problème commanderait des solutions rapides.

Le projet du Gouvernement d’instaurer, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, une taxation des boissons sucrées illustre d’ailleurs, si besoin en était, que la lutte contre l’abus de sucres fait partie intégrante d’une politique de santé publique, laquelle doit trouver une traduction législative pour s’imposer à tous.

La lutte contre le fléau de l’obésité, et spécialement l’obésité de l’enfant, implique donc de mettre en place dans les meilleurs délais un dispositif juridique volontariste et réellement contraignant pour l’industrie alimentaire, de façon à protéger les consommateurs contre certaines pratiques industrielles aussi dangereuses que dénuées de justification.

La proposition de loi que j’ai déposée vise à mieux lutter contre l’obésité et ses pathologies associées dans les régions ultramarines à travers un dispositif simple.

L’article 1er interdit aux industriels de l’agro-alimentaire de distribuer dans les régions d’outre-mer des denrées alimentaires dont la concentration en sucres est supérieure à celle des mêmes produits de même marque vendus dans l’Hexagone. C’est une mesure nécessaire afin de rétablir une égalité de traitement entre les populations d’outre-mer et hexagonales.

L’article 2 a pour objet de confier au ministre chargé de la santé la mission de fixer par arrêté, après avis du Haut Conseil de la santé publique, la teneur maximale en sucres des boissons non alcooliques et des spécialités laitières distribuées exclusivement dans les régions d’outre-mer.

Cette proposition de loi a été saluée par les médecins locaux de Guadeloupe et par des associations de consommateurs. Elle ne constitue bien sûr que le socle minimal de la politique plus vaste de lutte contre l’obésité qui doit impérativement se développer dans les collectivités ultramarines.

En effet, il est clair que la prévention du surpoids, de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires en outre-mer ne repose pas seulement sur la réduction des apports en glucides simples ajoutés, mais passe aussi par l’approfondissement d’autres axes de prévention, comme par exemple la pratique d’une activité physique ou une alimentation plus variée et équilibrée.

Pleinement conscient que la prévention nutritionnelle est devenue un enjeu économique et de santé crucial pour l’outre-mer, j’ai, dans cet esprit, pris l’initiative d’organiser en Guadeloupe, au mois de novembre prochain, un congrès des élus régionaux et généraux qui réunira l’ensemble des parties intéressées. Par ailleurs, j’ai commencé à installer, dans toutes les communes, des parcours sportifs destinés à faire « bouger » la population de l’île…

Ce n’est, en effet, qu’en développant une prévention multifactorielle et en sollicitant à la fois l’État, dans sa dimension interministérielle, les collectivités territoriales, le secteur associatif et les professionnels de l’alimentation, c’est-à-dire divers partenaires au-delà du monde de la santé, que l’on parviendra à éradiquer l’épidémie d’obésité préoccupante qui touche encore tout spécialement les collectivités ultramarines.

M. Dominique Dord. Sur le fond, nous ne pouvons que tomber d’accord : comment pourrait-on accepter la distribution, dans les régions d’outre-mer, de produits plus sucrés qu’en métropole ?

Cela étant, la rédaction de l’article 1er ne me semble pas satisfaisante en ce qu’elle érige en norme la teneur en sucres des produits alimentaires de consommation courante vendus en « France hexagonale ». On trouve certainement aussi, en métropole, des produits dont le taux de sucres est excessif.

Si j’ai bien compris, le ministre de la santé s’est déjà emparé du dossier. Dès lors, plutôt que d’adopter cette proposition de loi, ne devrions-nous pas nous inspirer de l’article 2 et formuler le vœu que le ministère fixe, par arrêté, après avis du Haut Conseil de la santé publique, la teneur maximale en sucres des produits considérés ? Il n’est pas du tout sûr, en effet, que le vote d’une loi soit un moyen plus efficace et plus rapide d’atteindre notre but. Il vaut sans doute mieux laisser le ministre poursuivre les discussions sur le sujet.

Mme Michèle Delaunay. Je suis d’un avis tout à fait contraire, car dans un domaine comme celui-ci – mais on pourrait aussi évoquer celui du médicament –, le Gouvernement est soumis à de fortes pressions. Mme Bachelot s’en est rendu compte – même si nous l’avions avertie – lors de l’examen de l’amendement au projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoire » visant à interdire la publicité pour des aliments trop gras ou trop sucrés dans les programmes pour enfants à la télévision. Il est regrettable que l’amendement ait été finalement rejeté, alors que ces produits sont en partie responsable de l’obésité.

L’épidémie d’obésité, qu’avant nous, les États-Unis ont connue, constitue un problème considérable. Bien entendu, les facteurs génétiques ne sont pas seuls en cause, car ils n’ont pas changé depuis cinquante ans : seule leur répartition a été modifiée. Il y a, avant tout, une responsabilité politique. À cet égard, la proposition de loi de Victorin  Lurel représente un premier pas, mais il ne doit pas être le seul. Ainsi, plutôt que de taxer les sodas, nous aurions dû imposer une réduction de leur teneur en sucres, ou, du moins, taxer les produits ne respectant pas une certaine limitation. Une telle mesure aurait été mieux comprise par le public.

En tout état de cause, nous devons aller de l’avant et ne pas démissionner face à ce problème. Ce sont nos enfants qui sont en cause ! Ce sont eux les premiers touchés, pour une raison simple : si on s’habitue au sucré dès son plus jeune âge, la quantité de sucre nécessaire pour satisfaire son envie – ou son besoin – de sucre sera par la suite de plus en plus élevée. Le mécanisme qui est en œuvre est comparable à celui de l’addiction.

Le même problème se pose pour le sel, dont les industriels augmentent progressivement la teneur pour rendre les aliments plus sapides, et donc pour les vendre mieux. Nous avons ainsi assisté, au États-Unis d’abord, puis en France, à une véritable épidémie d’hypertension.

Il est vrai que l’étiquetage précise désormais – en caractères d’ailleurs microscopiques – la teneur en sel ou en sucres des produits alimentaires. Mais cette mesure n’est pas comprise par les catégories de la population les plus touchées par le risque, et qui sont aussi les moins informées.

Il est donc temps de surmonter notre réticence à faire figurer de telles dispositions dans la loi. Certes, la loi n’a pas vocation à tout régir, mais c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu.

Mme Anny Poursinoff. Je partage le point de vue du rapporteur : il ne faut pas attendre pour légiférer. L’objection de Dominique Dord – il faudrait également réduire la teneur en sucres des produits vendus dans l’Hexagone – n’est pas en contradiction avec le contenu de la proposition de loi.

Par ailleurs, les écologistes s’inquiètent de la vente de produits allégés en sucres, mais qui conservent leur goût sucré grâce à des édulcorants. L’aspartame, en particulier, suscite des questions en termes de sécurité alimentaire.

En ce qui concerne l’étiquetage, j’ai déjà eu l’occasion d’inviter notre assemblée à adopter un système plus simple, plus facile à lire par les consommateurs. Je conserve l’espoir qu’un code couleur permette un jour de distinguer les produits trop riches en sucres ou en graisses de ceux qui sont bons pour la santé. En attendant, cette proposition de loi reçoit le soutien total des députés écologistes.

M. Bernard Perrut. La préoccupation de notre rapporteur est légitime, compte tenu des habitudes de vie et des risques liés à la consommation de produits trop sucrés. La lutte contre l’obésité est d’ailleurs également une préoccupation du Gouvernement et du Parlement. Mais je ne pense pas que nous soyons obligés de recourir à la loi pour faire évoluer la situation. Vous avez vous-même évoqué, monsieur le rapporteur, les autres solutions possibles : concertation, partenariats avec les industriels, signature d’accords avec les agences régionales de santé d’outre-mer…

Par ailleurs, un certain nombre de produits en cause sont fabriqués, conditionnés et commercialisés par des groupes alimentaires locaux dont on conçoit qu’ils pourraient prendre leurs responsabilités – même si, comme vous l’avez souligné, ils risquent d’être confrontés à la concurrence de produits importés plus sucrés, et donc plus attirants pour les consommateurs.

Enfin, en adoptant cette proposition de loi, on risquerait de rester au milieu du gué, dans la mesure où l’article 2 ne vise que les « boissons non alcooliques » et les « spécialités laitières ». Outre qu’il est difficile de donner une définition juridique précise de ces dernières, un certain nombre de produits continueraient à échapper à toute limitation de la teneur en sucres : confiseries, viennoiseries, pâtisseries, barres chocolatées, etc. Faut-il recourir à la loi pour réduire la teneur en sucres des yaourts, alors même que cette mesure ne permettra pas vraiment de lutter contre l’obésité ?

Le débat sur la limitation de la teneur en sucres des produits alimentaires doit avoir lieu au niveau des branches professionnelles. Il faut laisser au ministre de la santé le soin de lancer une concertation afin d’obtenir dans les meilleures conditions une évolution de la composition des produits, et pas seulement des boissons non alcooliques et des spécialités laitières.

M. Yves Bur. Je comprends parfaitement la préoccupation du rapporteur de ce texte, même si je trouve gênant de devoir recourir systématiquement à la loi dans notre pays. S’il faut en arriver à cette extrémité, c’est à l’évidence parce que les services de l’État et les autorités sanitaires ne jouent pas leur rôle et ne considèrent pas à sa juste mesure le problème de santé publique posé par l’obésité et le surpoids. L’outre-mer n’est d’ailleurs pas la seule région concernée, puisqu’en Alsace, où je suis élu, la prévalence de l’obésité est plus importante que la moyenne nationale. Or je doute que la consommation de la choucroute soit seule en cause, surtout chez les jeunes enfants…

On ne peut sans doute pas nier l’existence d’habitudes de consommation culturelles ancrées dans l’histoire des territoires d’outre-mer. Peut-être faut-il tenter de les modifier par un effort de pédagogie renforcé. Mais si le contexte culturel était la seule explication, le problème n’aurait pas atteint une telle ampleur. D’autres facteurs aggravent la situation, sur lesquels nous devons essayer de peser. Or on ne saurait, en même temps, instituer une taxe sur les sodas et accepter qu’en certains points du territoire, les groupes agro-alimentaires aient une pratique particulière en termes d’ajout de sucres.

Comment peut-on nous faire croire que les directeurs des agences régionales de santé vont s’emparer du problème et négocier avec les fabricants ? C’est totalement illusoire ! C’est pourquoi, à titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi, car il faut envoyer un signal. Bien sûr, son adoption ne réglera pas tout. Mais d’ici à ce qu’elle soit examinée en séance publique, nous obtiendrons peut-être des engagements clairs de la part du ministre.

Si l’administration a tendance à couper les cheveux en quatre, c’est sans doute, aussi, à cause de la pression des lobbies, qui ne s’attaquent pas seulement aux parlementaires. Il faut donc agir rapidement, y compris en réalisant un important effort de pédagogie, car l’obésité et le surpoids représentent, pour toute une partie de la jeunesse, un facteur aggravant les pathologies.

M. Paul Jeanneteau. Sur le fond, nous sommes tous d’accord. Plus encore, nous ne comprenons pas comment une telle différence peut être observée entre les produits vendus en métropole et ceux proposés outre-mer. Mais je partage aussi l’avis de Bernard Perrut et de Dominique Dord.

Quelle est la meilleure solution, la plus efficace ou la plus rapide, pour répondre à ce problème : l’adoption de la proposition de loi ou la signature d’un décret par le ministre de la santé ? Le recours à la loi est une tendance lourde dans notre pays, mais, comme l’a admis Michèle Delaunay, elle ne peut pas tout. Or nous assistons, au fil des ans, à un véritable empilement législatif, source d’une importante complexité juridique.

Certains domaines relèvent du pouvoir législatif, d’autres du pouvoir réglementaire. Il me semble que la question du taux de sucres d’un aliment appartient à la seconde catégorie.

Certes, comme Yves Bur, j’attends du Gouvernement qu’il agisse rapidement, même si un délai minimum est nécessaire, ne serait-ce que pour vérifier la composition des produits incriminés. Mais je persiste à juger la voie réglementaire plus appropriée.

Mme Valérie Boyer. La lecture de la page 4 du projet de rapport, où figure la comparaison des teneurs en sucres de plusieurs produits de grande marque selon qu’ils sont commercialisés à Paris, en Guadeloupe, en Guyane ou en Martinique, m’a scandalisée. Ces résultats trahissent, en effet, une véritable perversion de la part de l’industrie agro-alimentaire, laquelle n’hésite pas à ajouter à ses produits du sucre, du sel ou des matières grasses, pour la seule raison que ces ingrédients ne coûtent pas cher et induisent – en particulier le sucre – une addiction auprès des populations les plus vulnérables. En effet, l’épidémie d’obésité, problème grave auquel notre pays est confronté, est un véritable fléau dans la France d’outre-mer. C’est pourquoi la Commission pour la prévention et la prise en charge de l’obésité avait souligné la nécessité de développer des programmes spécifiques dans ces collectivités.

Cette prévalence particulière a sans doute des causes liées à une exception culturelle, mais aussi – nous en avons aujourd’hui la preuve – à la façon dont les industriels traitent ces populations. Leurs représentants, que nous avons souvent reçus à l’Assemblée nationale, soulignent généralement les efforts qu’ils accomplissent : signature de chartes, mise en place d’un observatoire de la qualité des aliments, etc. Ils ont promis – et peut-être tiennent-ils parole – qu’ils réduiraient le taux de sel, de sucres et de gras dans leurs produits.

Par ailleurs, on peut lire dans la presse que l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), juge « stupide » l’institution d’une taxe sur les sodas. Je pense le contraire : non seulement c’est une mesure intelligente, mais elle constitue le premier pas vers une modulation de la fiscalité sur les aliments. Est-il normal, en effet, qu’un même taux de TVA, 5,5 % s’applique à tous les aliments, qu’ils soient transformés ou non transformés, nécessaires à une alimentation équilibrée ou destinés au pur plaisir ? Bien que les boissons sucrées figurent dans la deuxième catégorie, les consommateurs ne disposent d’aucune information sur leur valeur énergétique. Alors que l’Assemblée nationale avait décidé de rendre obligatoire pour tous les aliments l’affichage de la quantité de calories pour cent grammes, le Sénat a rejeté cette proposition. On a prétendu que les institutions européennes allaient prendre des mesures en ce domaine, mais nous attendons toujours. Il est donc impératif, pour des raisons de santé publique et au nom de l’information du consommateur, de progresser sur cette question.

Je rappelle, par ailleurs, que les boissons gazeuses sucrées représentent 30 % des apports en liquide des adolescents. Plus la population est défavorisée, plus elle consomme de sodas riches en sucres. Or aucune information n’est délivrée sur la teneur en sucres et les apports caloriques de ces boissons – pourtant beaucoup plus importants que dans l’alimentation solide.

Le rapporteur a fait la démonstration d’une différence de traitement des populations, selon qu’elles sont favorisées ou défavorisées. Cela étant, nous savons bien que l’adoption de dispositions relevant du pouvoir réglementaire pourrait exposer le Parlement à une censure du Conseil constitutionnel. Or le texte que nous examinons aujourd’hui relève de toute évidence du domaine réglementaire. Ce sujet devrait également faire l’objet de négociations avec l’industrie agro-alimentaire, même si je n’y crois pas beaucoup : jusqu’à présent, la signature de chartes n’a pas donné de résultats. Je propose donc que nous joignions tous nos efforts pour demander au ministre et à l’administration la publication, dans les meilleurs délais, d’un décret ou d’un arrêté destiné à mettre fin à ces pratiques commerciales scandaleuses.

Il n’appartient pas aux directeurs d’agence régionale de santé de mener des discussions avec l’industrie agro-alimentaire. En revanche, il revient au pays de déterminer quelle politique de santé publique il souhaite mettre en place. Or une telle politique doit également avoir pour but de préciser l’information que l’industrie doit à ses clients ainsi que le type d’aliments que les produits doivent contenir ou ne pas contenir.

M. Michel Issindou. J’approuve la quasi-totalité des propos de Valérie Boyer, à l’exclusion de leur conclusion. Même si cette question ne relève pas de la loi, un vote unanime de notre commission sur cette proposition de bon sens constituerait un signe envoyé au Gouvernement et marquerait notre détermination.

Au moment où nous sommes confrontés à plusieurs scandales touchant l’industrie pharmaceutique, il convient d’éviter qu’un scandale comparable n’éclate dans le secteur alimentaire. Un jour, des parents d’enfants obèses finiront par attaquer en justice les industriels qui, s’adaptant vraisemblablement au goût des consommateurs d’outre-mer, empoisonnent sciemment des jeunes enfants, ou tout au moins prennent le risque de dégrader leur santé et de compromettre leurs conditions de vie pour l’avenir.

Peut-être cette question ne relève-t-elle pas du domaine législatif. Mais quelle que soit la volonté manifestée par le ministre, la concertation avec les puissants lobbies alimentaires n’aboutira pas, nous le savons bien. Les industriels continuent d’opposer une résistance, alors même qu’ils ont conscience du mal qu’ils font. L’adoption de cette proposition de loi aurait au moins le mérite de donner l’alerte et de provoquer un changement dans leurs pratiques. Dans le cas contraire, nous prendrions la responsabilité de n’avoir rien fait pour mettre fin à un scandale sanitaire.

M. Simon Renucci. Une question est posée, et la population attend une réponse. Or on voit s’esquisser le jeu habituel : la publication d’un décret est réclamée en urgence, avant de passer rapidement à un autre sujet, en oubliant qu’il est nécessaire de changer les habitudes. Ce zapping permanent est un des maux du monde moderne.

Nous devons faire preuve d’enthousiasme et affirmer notre liberté de choix. Nous devons aussi rester fidèles à une conviction ancienne, celle de la nécessité d’une vraie loi de santé publique, dont le texte que nous examinons ne serait qu’une disposition parmi d’autres. Or, comme toujours en pareil cas, certains affirment que, si nous avons raison sur le fond, une telle question relève du pouvoir réglementaire. Il faudrait donc attendre. Mais les populations, elles, attendent de l’Assemblée nationale qu’elle entre par effraction dans ce débat et en profite pour poser les fondements d’une législation sur la santé publique.

L’urgence, aujourd’hui, est de mettre un terme aux souffrances des populations concernées. Il serait intéressant d’examiner les répercussions, en termes de santé, de la situation décrite par le rapporteur, qu’il s’agisse des maladies cardiovasculaires, du diabète, des insuffisances rénales ou des infarctus.

Nous devons prendre nos responsabilités. Que feriez-vous, mes chers collègues, si votre circonscription était concernée : préféreriez-vous voter immédiatement la proposition de loi ou attendre la publication d’un décret ? La question est provocatrice, mais c’est un pédiatre qui vous la pose.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Selon moi, réclamer un décret constitue un vœu pieu. Si notre collègue Victorin Lurel a présenté cette proposition de loi, c’est parce qu’autour de lui, des médecins ont constaté, dans les départements d’outre-mer – et plus particulièrement en Guadeloupe – le développement de l’obésité, mais aussi du diabète, notamment chez les jeunes enfants. La forte teneur en sucres des aliments vendus sur nos territoires constitue donc un véritable problème de santé publique. Le ministre de la santé a d’ailleurs fait allusion au dépôt de ce texte lors de son déplacement en Martinique et en Guadeloupe. Que se serait-il passé si nous n’avions pas mis le doigt sur le sujet ?

Lors d’une réunion à laquelle j’ai assisté, des industriels ont admis que les sodas distribués en métropole étaient moins sucrés que ceux vendus dans les départements d’outre-mer. Pour les industriels et les lobbies qui les représentent, mais aussi pour les populations de ces territoires, l’adoption de cette proposition de loi représenterait un signal fort.

M. Gérard Bapt. Tout en reconnaissant la réalité du problème, Bernard Perrut a jugé la proposition de loi inadaptée, parce qu’elle laisse de côté la plupart des produits alimentaires très sucrés – comme les barres chocolatées. Mais on pourrait en dire autant de la taxe sur les boissons sucrées prévue par le Gouvernement.

Par ailleurs, la conclusion de Valérie Boyer est désarmante, même si j’approuve la plus grande partie de ses propos. Mme Bachelot avait soulevé le même argument pour s’opposer à l’interdiction des biberons contenant du bisphénol A : une telle mesure ne relevait pas du domaine législatif.

Nous devons justement examiner ce matin une proposition de loi concernant le bisphénol A. Comme le montrent deux études, l’une de l’INSERM et l’autre de chercheurs chinois, non seulement l’exposition de souris gestantes à cette substance a un effet sur le poids des petits à la naissance, mais elle entraîne des syndromes métaboliques lorsque ces derniers sont soumis à un régime hypercalorique. Cela signifie que l’effet des yaourts trop sucrés de Danone pourrait s’associer à celui produit par la migration du bisphénol A du contenant vers le contenu.

S’il a fallu recourir à la loi pour interdire l’usage du bisphénol A dans la fabrication des biberons, c’est bien parce que l’on ne pouvait pas se contenter d’une charte ou s’en remettre à la bonne volonté des industriels – nous avons vu, à propos de certains médicaments ou de certaines substances chimiques, les résultats d’une telle attitude. Le rapport publié hier par l’ANSES est une nouvelle alerte que nous ne pouvons pas ignorer. C’est pourquoi, comme Yves Bur, je pense qu’il faut parfois forcer le destin.

Mme Edwige Antier. Avant tout, appliquer dans les territoires d’outre-mer les mêmes normes qu’en métropole serait un signe de respect auquel leur population ne pourrait qu’être sensible.

Ensuite, je rappelle que c’est au cours des trois premières années de la vie que se façonne le goût. Plus on est jeune, et plus on développe de papilles avides de sucre lorsqu’on est stimulé par du sucre. C’est pourquoi je voterai en faveur de cette proposition de loi sans rechercher le moindre argument pour faire diversion. Ce faisant, je me distingue de ceux qui, pour des raisons politiciennes, se sont opposés à notre proposition de loi tendant à organiser le dépistage précoce de la surdité. Honte à eux ! Je me refuse à recourir à ce genre de stratégie lorsque la protection de l’enfance est en jeu.

Je proposerai par ailleurs un amendement visant à créer un label « alimentation infantile ». En effet, monsieur Bapt, les compotes destinées aux enfants en bas âge sont conditionnés dans des pots en verre – donc dépourvus de bisphénol A – et leur teneur en sucres est très faible. En revanche, les Pom’potes, que sirotent tous les enfants, sont des produits très sucrés et contiennent du bisphénol A. Comment les parents pourraient-ils le savoir ? Un label apposé sur les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans serait un moyen de les éduquer.

M. Élie Aboud. C’est sans état d’âme que je voterai cette proposition de loi, car il s’agit d’un sujet de santé publique majeur. L’incidence et la prévalence de l’obésité augmentent, de même que l’incidence et la prévalence du diabète – même s’il n’y a pas de lien direct entre la consommation de sucre et le diabète, les causes de cette maladie étant bien plus complexes.

Je la voterai d’autant plus volontiers qu’il faut un certain courage politique pour porter une telle proposition. Je suppose en effet que les entreprises qui, en Guadeloupe, produisent sous licence les produits concernés ont soumis le rapporteur à un lobbying intense.

L’ajout de sucres a pour but de modifier le goût, d’améliorer l’aspect, la texture du produit, mais aussi d’en prolonger la durée de conservation. Les industriels invoquent aussi la nécessité de recourir au lait en poudre, plus riche en sucres. Je pose donc la question à Victorin Lurel : la proposition de loi peut-elle avoir des incidences économiques ?

M. Jean Mallot. Cette proposition conjugue deux démarches différentes. La première est la lutte contre l’obésité, qui concerne les métropolitains comme les habitants de l’outre-mer et doit, le moment venu, trouver sa place dans la grande loi de santé publique que le Gouvernement nous promet depuis des mois. La deuxième consiste à faire cesser une discrimination entre les populations métropolitaine et ultramarine. Il n’est pas normal que cette dernière subisse un traitement différent s’agissant de ce qu’on lui donne à boire et à manger, surtout si ces aliments nuisent à leur santé. Or sur ce deuxième point, il est nécessaire que nous passions à l’acte en adoptant la proposition de loi.

Certains collègues en appellent au pouvoir réglementaire, mais cet argument ne tient pas. L’exécutif a connaissance de cette proposition de loi depuis la date de son dépôt, le 22 juin. S’il avait vraiment l’intention de régler le problème en prenant un arrêté dont la rédaction ne prendrait que quelques jours, ce serait déjà fait depuis plusieurs semaines ! C’est pourquoi il faut voter en faveur de ce texte.

Mme Véronique Besse. J’aimerais savoir si la taxation des boissons sucrées annoncée par le Gouvernement s’appliquera aux boissons produites localement dans les collectivités d’outre-mer.

Mme Catherine Lemorton. Edwige Antier nous a reproché avec véhémence un prétendu comportement politicien. J’estime qu’elle aurait pu user de la même énergie pour soutenir les amendements que nous défendons depuis des années sur le médicament – et dont l’utilité est désormais une évidence.

À l’heure où nous tentons de clarifier les relations de l’industrie pharmaceutique avec la santé de nos concitoyens, nous observons la conclusion entre le secteur de l’agro-alimentaire et celui des médicaments de partenariats destinés, par exemple, à apporter une caution scientifique à ce qu’il est convenu d’appeler les alicaments. Inversement, on voit l’association des fromagers se présenter devant les associations de diabétiques, afin d’assurer aux malades qu’ils peuvent tout de même manger du fromage. Le problème soulevé par Valérie Boyer est donc encore plus vaste qu’il n’apparaît au premier abord.

Peut-être ce sujet relève-t-il du domaine réglementaire. Mais il pourrait surtout être traité dans le cadre d’une vraie loi de santé publique.

M. le rapporteur. Lors de mes nombreuses rencontres avec les représentants de l’industrie, j’ai entendu les mêmes objections qu’aujourd’hui : le sujet relève du pouvoir réglementaire ; il vaudrait mieux s’en remettre au marché, ou compter sur l’autorégulation. De son côté, le ministre a promis de régler en partie ce problème dès la rentrée ; il aurait donné des instructions en ce sens aux directeurs des agences régionales de santé. Mais la directrice de l’agence de Guadeloupe m’a dit qu’elle attendait encore de vraies consignes.

Par ailleurs, le secteur agro-alimentaire exprime des résistances fortes. Certains, à l’Association nationale des industries alimentaires notamment, évoquent la signature de chartes destinées à modifier les pratiques sur une durée de vingt ans ! Autant dire qu’on n’en verrait jamais les résultats.

Rien ne nous empêche d’adopter un texte, quitte à ce qu’il soit suivi dans les six mois de la publication d’un décret ou d’un rapport d’évaluation. Jean. Mallot a raison : la discussion, engagée depuis un bon moment avec les pouvoirs publics et le secteur agro-alimentaire, aurait pu permettre d’élaborer un projet de décret. Or rien n’est venu.

Vous ne disposez pas de tous les éléments sur les pratiques stupéfiantes du secteur alimentaire dans la France d’outre-mer. Nous avons fait analyser les produits laitiers et les sodas proposés dans nos collectivités : en moyenne, entre quatre et cinq grammes de sucre y sont ajoutés. Rien n’explique cette différence, sinon les raisons évoquées par Elie Aboud : c’est un problème de marketing. Il faut améliorer la texture, la présentation, la conservation.

Il est faux d’affirmer qu’une sorte de fatalité culturelle – pour ne pas dire génétique – conduirait les habitants de l’outre-mer à préférer les aliments plus sucrés, plus salés ou plus gras. La preuve : Coca-Cola vend la même boisson à Paris, à Pointe-à-Pitre, à Cayenne ou à Saint-Denis de la Réunion, ce que confirment les analyses effectuées par le laboratoire Eurofins de Nantes. La marque n’est pourtant pas confrontée à des problèmes de part de marché ou de conservation – même si les proportions entre saccharose, fructose et glucose ont tendance à se modifier à l’approche de la date limite de consommation.

Nous avons posé la question, monsieur Aboud : le texte n’a pas d’incidence économique, si ce n’est qu’il entraînerait, selon les producteurs, un préjudice d’image. Les remarques de nos interlocuteurs nous ont d’ailleurs conduits à proposer, par amendement, une nouvelle rédaction du texte, tout en préservant son économie générale. L’amendement AS 3, en particulier, répond à l’objection de Bernard Perrut, puisqu’il étend la disposition de l’article 2 à toutes les denrées alimentaires de consommation courante – y compris, donc, les viennoiseries, les pâtisseries ou les barres chocolatées. Il appartiendra au ministre chargé de la santé, après avis du Haut Conseil de la santé publique, d’en établir la liste.

Mieux encore : en mettant tout le monde sous la même toise, la proposition évite toute distorsion de concurrence. Nous évitons ainsi le risque de voir les denrées produites localement perdre des parts de marché au profit de marques importées, ce qui ne serait pas le cas si nous privilégions la signature de chartes. Certains produits sont importés chez nous depuis le Costa Rica : comment pourrions-nous convaincre les grands groupes qui les commercialisent d’en modifier la teneur en sucres ? Seule la loi peut s’imposer à tous.

Dominique Dord réclame la publication d’un arrêté, mais je suis comme la sœur Anne du conte de Perrault : je scrute l’horizon, et je ne vois rien venir.

Il est vrai, madame Delaunay, qu’aucune spécificité culturelle ne justifie l’ajout de quatre ou cinq grammes de sucres dans les produits alimentaires. Or un gramme de sucre représente 4 kilocalories supplémentaires. Une telle pratique peut donc conduire à prendre dix kilos en vingt ans.

Mme Antier a raison : c’est entre zéro et trois ans que s’acquièrent les habitudes alimentaires – y compris, hélas, les addictions. C’est pourquoi il est urgent d’agir.

Je remercie Mme Poursinoff de son soutien. Mais comme elle l’a noté à juste titre, le problème des édulcorants reste entier.

Je le répète, monsieur Perrut : mes amendements répondent à vos objections. Rien n’empêche donc un consensus autour de cette proposition de loi.

Yves Bur a évoqué les habitudes alimentaires en Alsace. Pourquoi y mange-t-on trop salé ? Là encore, certains invoqueront des facteurs culturels, comme la proximité de mines de sel. Je pense pour ma part qu’il n’y a aucune fatalité : il est possible de lutter contre ce phénomène.

Il est vrai, monsieur Aboud, que j’ai reçu de nombreux appels, et que l’on m’a parfois agressivement accusé de remettre en cause l’emploi local. Mais souvent, mes interlocuteurs ont fini par admettre un problème s’agissant de la composition des produits. En outre, dès lors que tout le monde est soumis à la même toise, ce texte n’aura pas de conséquence économique.

Il est vrai que l’industrie laitière a disparu en Guadeloupe, et que l’île doit importer du lait en poudre. Mais seules des questions de marketing incitent à l’ajout de sucres. Nous ne pouvons le tolérer plus longtemps.

Même si le problème est d’ordre réglementaire, monsieur Jeanneteau, la loi peut donner une impulsion.

Je remercie Valérie Boyer pour ses propos, même si je ne partage pas sa conclusion. Notre collègue a évoqué la législation européenne : celle-ci ne constitue pas un obstacle aux dispositions que je propose.

Oui, il faut mettre un terme à ce que l’on peut qualifier de scandale. Oui, monsieur Renucci, les populations attendent une réponse. Il conviendrait d’établir une comparaison pour évaluer les conséquences de ces pratiques commerciales sur la santé publique et le financement de la sécurité sociale, en raison de leur influence dans la prévalence du diabète ou des maladies cardiovasculaires. C’est pourquoi nous devons faire preuve de courage politique.

M. le président Pierre Méhaignerie. L’objectif est largement partagé, car l’épidémie d’obésité entraîne non seulement une augmentation des dépenses de santé, mais aussi un développement du mal-être. Lors du débat en séance publique, dans une semaine, le Gouvernement exposera ses arguments quant à la voie que nous devons adopter.

Simon Renucci nous demande quel serait notre comportement si cela se passait dans notre circonscription. Mais je rappelle que certains élus locaux sont parvenus à diminuer fortement l’obésité des enfants dans leur ville. Cela prouve qu’il est possible d’agir sans recourir à la loi, et que les comportements individuels jouent un rôle important.

Ainsi, du fait de la dévalorisation du travail manuel, une grande partie des fruits et légumes consommés en Guadeloupe est importée, alors que l’île bénéficie à la fois du soleil et de la pluie. De même, dans le coût des denrées alimentaires, la part liée au marketing, au conditionnement et plus généralement au contenant, est de plus en plus importante par rapport au coût du contenu. Ces exemples montrent que la pédagogie et l’action sur les comportements sont encore plus importantes que la législation. La loi ne règle qu’une petite partie des problèmes.

M. Simon Renucci. Vous semblez étonné par mes propos, monsieur le Président, mais en tant qu’élu d’un territoire insulaire connaissant des difficultés économiques, je ne peux qu’être sensible au problème. Par ailleurs, je rappelle qu’Ajaccio fait partie du réseau des villes-santé de l’Organisation mondiale de la santé, et que je suis délégué national du Conseil national de la fonction publique territoriale pour la santé publique. À ce titre, j’estime que l’adoption de cette proposition de loi ferait honneur à notre assemblée.

La Commission procède à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1 : Interdiction de la distribution dans les régions d’outre-mer de denrées alimentaires dont la concentration en sucre est supérieure à celle du même produit de même marque vendu en France hexagonale

La Commission est saisie de l’amendement AS 2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement introduit d’abord quelques précisions rédactionnelles afin d’améliorer la lisibilité du texte. Ainsi propose-t-il, d’une part, de remplacer la notion de « produit alimentaire » par celle de « denrée alimentaire », conformément à la rédaction du code de la consommation et, d’autre part, de viser « les sucres » – au pluriel – afin d’inclure toutes les formes de saccharose.

Plus fondamentalement, les denrées concernées sont étendues à celles destinées à être présentées aux « collectivités », et non plus seulement, comme dans le texte initial, au consommateur final. Rappelons que l’article R. 112-1 du code de la consommation définit les collectivités comme recouvrant « les restaurants, hôpitaux, cantines et autres collectivités similaires ».

Par ailleurs, de façon à permettre aux industriels de modifier leurs processus de fabrication et de disposer, afin de tenir compte de leurs objections, d’un délai suffisant avant l’entrée en vigueur, dans les régions d’outre-mer, de l’interdiction de vendre un produit alimentaire plus sucré que le même produit de même marque vendu dans l’Hexagone, l’amendement prévoit que cette interdiction n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2013.

Enfin, si l’article 1er ne visait que le même produit de même marque vendu dans l’Hexagone, il existerait un risque que l’industrie agro-alimentaire s’abrite derrière une différence infime de conditionnement ou de présentation pour échapper à la loi. La référence à un produit « similaire » de même marque, c’est-à-dire à peu près de même nature, permettra d’éviter tout contournement juridique.

M. Élie Aboud. Attention à ne pas commettre de confusion entre les notions de marque, de produit et de fabricant. Si un produit, inconnu dans l’Hexagone, se présente outre-mer avec un conditionnement différent, comment le traite-t-on ?

M. le rapporteur. L’article 2 de la proposition de loi répond à votre préoccupation en renvoyant à la liste des produits concernés.

La Commission adopte l’amendement AS 2.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Fixation d’une teneur maximale en sucres des boissons non alcooliques et des spécialités laitières distribuées dans les régions d’outre-mer

La Commission examine l’amendement AS 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement tend à supprimer, en premier lieu, le caractère exclusif de la distribution outre-mer afin que les produits entrent dans le périmètre de l’article 2. En effet, le fait de ne viser que les produits distribués exclusivement dans les régions d’outre-mer risquerait de limiter fortement l’efficacité du dispositif mis en place pour lutter contre l’obésité. Il suffirait aux industriels du secteur agro-alimentaire de distribuer, même de façon marginale, leurs produits dans l’Hexagone, à destination de restaurants de spécialités locales par exemple, pour échapper au dispositif législatif. Il s’agit donc de parer à toute stratégie de contournement de la loi.

En deuxième lieu, l’article 2, dans sa rédaction initiale, ne soumettait les produits vendus aussi dans l’Hexagone à aucune teneur maximale en sucres, à la différence des produits distribués exclusivement outre-mer. Cela risquerait de créer une rupture d’égalité entre les industriels de l’agro-alimentaires selon qu’ils distribuent ou non de façon exclusive leurs produits dans les régions ultramarines.

Il convient, pour ces deux raisons, de supprimer la mention de caractère exclusif de la distribution dans les régions d’outre-mer.

L’amendement AS 3 vise également à lever une objection selon laquelle la proposition de loi stigmatiserait certains industriels seulement, tels que ceux des produits laitiers et des boissons sucrées. Le choix de limiter initialement le périmètre de l’article aux seules boissons sans alcool et aux spécialités laitières s’expliquait du fait que ces deux catégories de produits recouvrent l’essentiel des denrées alimentaires consommées par les enfants et les adolescents, dont on craint un effet néfaste sur leur santé, ainsi que par la volonté de limiter le taux de sucres dans les sodas locaux.

Toutefois, il est logique, tant sur le plan des principes que pour ne pas montrer du doigt les industriels de deux secteurs agro-alimentaires seulement, d’étendre la fixation d’une teneur maximale en sucres aux principales denrées alimentaires distribuées outre-mer. On pense ici aux barres chocolatées et céréalières, aux pâtisseries et aux viennoiseries, ainsi qu’à d’autres produits similaires.

Il reviendra donc au ministre chargé de la santé, éclairé par un avis du Haut Conseil de la santé publique, en tant que structure d’expertise pluridisciplinaire, de fixer la liste des produits concernés.

La Commission adopte l’amendement AS 3.

En conséquence, l’article 2 est ainsi rédigé.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement AS 1 de Mme Edwige Antier, portant article additionnel après l’article 2.

Mme Edwige Antier. Cet amendement vise à instaurer un label permettant d’identifier, visuellement et officiellement, les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans. Il serait apposé après avis de l’Agence de sécurité sanitaire des aliments, qui préciserait les qualités nutritionnelles des aliments correspondants. Une telle indication favoriserait le respect des besoins de l’enfant et aiderait les parents dans leur choix, aujourd’hui totalement privés de repères : 85 % des enfants entrés dans leur deuxième année consomment des aliments pour adultes et trop sucrés, indifféremment présentés dans les rayons d’alimentation.

M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve d’une rectification : il faut viser non « l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments » mais « l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail » (ANSES) qui lui a succédé.

La Commission adopte l’amendement AS 1 ainsi corrigé.

La Commission adopte ensuite l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je remercie M. le rapporteur d’avoir indiqué qu’il convenait de respecter certains délais, comme d’avoir évité de caricaturer l’industrie agro-alimentaire.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AS 1 présenté par Mme Edwige Antier

Après l’article 2

Insérer l’article suivant :

Le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code de la consommation est complété par un article L. 112-12 ainsi rédigé :

« Art. L. 112-12. – Un signe d'identification visuelle officiel, dénommé logo « alimentation infantile » doit être apposé sur les produits alimentaires dont le ministre chargé de la santé fixe la liste par arrêté, après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, compte tenu de leurs caractéristiques nutritionnelles adaptées aux besoins d'une alimentation équilibrée convenant à un enfant de moins de trois ans. »

Amendement n° AS 2 présenté par M. Victorin Lurel, rapporteur

Article 1er

Rédiger l’alinéa 2 :

« Art. L. 3232-5. – Aucune denrée alimentaire de consommation courante destinée à être présentée au consommateur final ou aux collectivités dans les régions d’outre-mer ne peut contenir, à compter du 1er janvier 2013, davantage de sucres que le produit similaire de même marque vendu en France hexagonale ».

Amendement n° AS 3 présenté par M. Victorin Lurel, rapporteur

Article 2

Rédiger ainsi cet article :

« Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe pris après avis du Haut Conseil de la santé publique, la liste des denrées alimentaires de consommation courante distribuées dans les régions d’outre-mer soumises à une teneur maximale en sucres et les teneurs y afférentes ».

La Commission procède ensuite à l’examen, sur le rapport de Mme Michèle Delaunay, de la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (n° 3584).

Mme Michèle Delaunay, rapporteure. Les auspices se montrent favorables à ce texte.

C’est juste hier que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a lancé un appel à contributions visant à recueillir les données disponibles sur les produits de substitution au bisphénol A. La note correspondante indique que « l’agence considère qu’il existe des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes. Cet objectif passe par la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires qui constituent la source principale d’exposition des populations ».

La proposition de loi de notre collègue Gérard Bapt vise donc à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire contenant cette substance.

Les revues bibliographiques, comme les auditions que nous avons effectuées, conduisent à affirmer, d’une part, que les études sur la nocivité du bisphénol A pour les humains doivent être prises très au sérieux et, d’autre part, que son remplacement par d’autres produits est tout à fait possible.

Les signaux d’alerte concernant la toxicité du bisphénol A doivent être soigneusement examinés.

Cette substance est un composant chimique permettant de fabriquer des matières plastiques très performantes et aux nombreuses applications. Elle est associée à d’autres composants, essentiellement pour la fabrication de deux types de matériaux : une matière plastique, le polycarbonate, et toutes les résines époxy. Il est important de signaler que le bisphénol A n’est pas un additif mais un élément indissociable de ces produits : sans lui, on ne pourrait les fabriquer.

Le polycarbonate présente de grandes qualités : transparence, solidité, résistance et inaltérabilité. Sa surface lisse limite la fixation des bactéries. C’est pourquoi on l’utilise dans de très nombreux produits de la vie courante : bonbonnes d’eau, biberons, vitres des voitures, casques de motos, boucliers des CRS, bouilloires, amalgames dentaires, prothèses…

Les résines époxy servent au revêtement intérieur des boîtes de conserves et des canettes.

Mais le bisphénol A est un perturbateur endocrinien. Il agit comme un leurre hormonal, capable de mimer l’effet des hormones sexuelles intervenant dans la fonction de reproduction, grâce à la parenté de sa formule chimique. Il agit aussi dans le développement d’organes tels que le cerveau ou le système cardio-vasculaire. Nous évoquons là les effets constatés lors d’expériences où la substance est souvent en contact direct avec les œstrogènes. La question est donc de savoir d’abord si, contenue dans les matériaux mentionnés précédemment, elle peut se trouver en contact avec des hormones et avec leur récepteur dans le corps humain, ensuite si elle présente un effet nocif.

Malgré de nombreuses études démontrant un effet négatif sur le développement d’animaux, les autorités sanitaires ont considéré, pendant des années, que la substance ne présentait pas de risque pour l’homme.

Toutefois, une évolution importante s’est produite l’année dernière. L’avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) du 29 janvier 2010 a reconnu des « signaux d’alerte » parmi les études scientifiques et recommandé de poursuivre les recherches afin de comprendre les effets du bisphénol A sur l’homme. L’agence commence ainsi à remettre en cause la notion de dose journalière admissible (DJA) qui fonde la réglementation de l’utilisation des substances susceptibles de présenter un danger pour la santé, et en particulier celle relative au bisphénol A, dont la dose admissible s’élève à 0,5 mg/kg de poids corporel et par jour. Cette mesure permet de fixer la limite de migration spécifique, c’est-à-dire la quantité de substances qui peut migrer vers l’aliment sans danger pour le consommateur. Elle est aujourd’hui majoritairement remise en question mais conserve sa valeur internationale.

L’agence indiquait par ailleurs que les études analysées ne permettaient ni d’établir une relation entre la dose et l’effet ni de définir une dose sans effet sur laquelle fonder une dose journalière admissible. Mais la règle générale voulant qu’un produit est d’autant plus toxique qu’il se présente en grande quantité pourrait ne pas se vérifier aussi pour le bisphénol A. Il s’agit là d’un changement important de conception.

Selon son avis du 7 juin 2010, dans lequel figure un tableau de l’exposition de la population au bisphénol A, l’AFSSA estimait souhaitable de maintenir aussi basse que possible l’exposition des consommateurs, notamment les sujets les plus sensibles. Elle recommandait donc que la limite de migration spécifique du bisphénol A soit réévaluée en s’alignant sur les meilleures technologies actuellement disponibles. Elle recommandait par ailleurs un étiquetage systématique des ustensiles ménagers contenant du bisphénol A afin d’éviter leur utilisation pour un chauffage excessif des aliments.

Enfin, les deux rapports publiés très opportunément hier par l’ANSES sont extrêmement éclairants et versent au débat des arguments nombreux.

L’ANSES a organisé une expertise collective, ambitieux travail de méta-analyse de toutes les études scientifiques disponibles sur les perturbateurs endocriniens, avec une douzaine de perturbateurs prioritaires, dont le bisphénol A. La méthodologie employée prend en compte l’intégralité des études publiées dans les revues à comité de lecture. Celles-ci ont ensuite été analysées et classées en trois parties : effet avéré, effet controversé et effet suspecté. Certaines études ont été écartées, car considérées comme insuffisamment fiables.

Il existe peu de conclusions quant aux effets du bisphénol A sur l’homme. On ne pointe, pour l’instant, que des effets suspectés ou controversés, aucun d’avéré. En revanche, l’ANSES recense de nombreux effets avérés chez les animaux, extrêmement inquiétants, sachant bien sûr qu’il est plus facile de réaliser des expériences sur les animaux que sur les hommes, sachant aussi que les voies d’administration de la substance peuvent introduire des biais d’interprétation.

L’ANSES fournit donc des recommandations de recherche à l’intention des scientifiques, de façon à mieux caractériser le danger. Elle lance ainsi un appel à contributions, jusqu’au 30 novembre 2011, visant à recueillir toutes les données scientifiques disponibles sur les produits de substitution.

Dans sa note d’appel, elle rappelle notamment que les effets suspectés chez l’homme et avérés chez l’animal ont été mis en évidence à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires. Elle souligne l’existence possible d’une relation non linéaire entre dose et effet, et la difficulté à établir un seuil de dose sans effet sur la base des données disponibles. Elle rappelle enfin l’existence de « fenêtres d’exposition » et de populations sensibles : le bisphénol A a principalement des effets nocifs sur les organismes en formation, les fœtus et les jeunes enfants. Cette observation est quasi générale.

Enfin l’ANSES recommande la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires.

Il ne faut par confondre l’expertise, c’est-à-dire l’examen des données scientifiques sans interprétation particulière, et ce qui ressort de l’expérience, à savoir la confrontation de ces mêmes données à ce que l’on sait dans d’autres champs d’étude.

Le temps des décisions est maintenant venu. Certains cas exigent, comme Edwige Antier l’a souligné lors de l’examen de la proposition de loi de Victorin Lurel, l’intervention de mesures générales d’interdiction. Les endocrinologues émettent l’hypothèse que le bisphénol A présente des effets négatifs pendant des périodes particulières du développement. Certaines populations doivent donc être spécialement protégées : les femmes enceintes et allaitantes, les bébés, les enfants et les adolescents. Car la suppression du bisphénol A dans les biberons ne suffit pas. Il faut aussi viser le fœtus à travers la femme enceinte : le placenta ne protège pas l’embryon de l’exposition au bisphénol A, bien au contraire. Ainsi, le professeur Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l’université de Bordeaux I, nous a expliqué que le problème particulier du bisphénol A, ainsi que des phtalates, provenait de leur accumulation dans le liquide amniotique, surexposant le fœtus aux autres perturbateurs endocriniens.

Dans son avis du 7 juin 2010, l’AFSSA montrait que les principaux contributeurs à l’exposition des bébés au bisphénol A étaient le lait, en particulier en boîte, pour 39 %, les petits pots pour 25 %, et les fruits en conserves pour 14 %. La contribution des biberons à l’exposition n’est que de 4 %. S’agissant des bébés allaités, le lait maternel constitue également une source importante d’exposition à travers l’alimentation de la mère. Or, les études chez l’animal ont montré que les périodes fœtale et postnatale, puis l’enfance, constituent des périodes à risque. Protéger les femmes enceintes et allaitantes implique de protéger l’ensemble de leur alimentation, car la principale source d’exposition de la population est alimentaire. L’ANSES indique que, pour les adultes et les enfants de plus de trois ans, les groupes d’aliments contribuant majoritairement à l’exposition sont les conserves de plats composés, de soupes, de charcuteries ou de légumes.

La loi du 30 juin 2010 suspendant la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A a permis une prise de conscience utile mais insuffisante. Les laits en poudre conditionnés dans des boîtes en métal contiennent eux-mêmes du bisphénol A, de même que le lait maternel.

Il faut donc aborder le problème de façon rationnelle, en prenant en compte le rapport bénéfices/risques du bisphénol A, comme des produits qui pourraient le remplacer.

La suspension du bisphénol A est-elle réaliste et raisonnable ? S’agissant des contenants de denrées alimentaires, nous pensons que oui. Des substituts existent. Nos auditions ont montré que se présentent d’ores et déjà des solutions alternatives, même si elles ne peuvent s’appliquer universellement à tous les contenants. Au Japon, pays très tôt sensibilisé, on constate bien moins de bisphénol A dans les emballages que chez nous.

Il faut, non stigmatiser, mais mobiliser les industriels en leur envoyant un signal. Les solutions de substitution ne sont pas toutes opérationnelles mais la fixation d’un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A devrait leur permettre de réaliser rapidement des substituts dont l’innocuité sera démontrée. Porter le délai à juillet 2013, comme je le proposerai dans un amendement, devrait permettre aux industriels de tester des produits de remplacement, comme aux scientifiques de répondre à l’appel de l’ANSES. Car il ne s’agit évidemment pas de substituer au bisphénol A d’autres substances dangereuses.

Parallèlement, en attendant que le bisphénol A ait disparu de notre alimentation, la sensibilisation au problème pour les femmes enceintes et les jeunes enfants doit passer à la fois par une campagne d’information à destination des femmes enceintes et des jeunes mères, et par un étiquetage des produits. Des plaquettes d’informations, réalisées par le ministère chargé de la santé, doivent être maintenant en circulation, en particulier dans les maternités.

Par ailleurs, je propose que l’on mette en place un étiquetage des récipients et des emballages alimentaires au contact des aliments contenant du bisphénol A, comme l’a déjà recommandé l’ANSES à plusieurs reprises. Il est temps d’agir.

Les rapports de l’ANSES viennent de montrer que les preuves scientifiques étaient suffisantes pour établir le danger, adopter des recommandations et prendre des mesures de précaution.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’adopter la présente proposition de loi.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je note que vous avez indiqué que le remède pourrait être pire que le mal si on ne trouvait pas de produits de substitution au bisphénol A et que la sécurité microbiologique constituait également un élément important.

Aucune des trois études conduites en Allemagne en avril 2011, aux États-Unis, par la Food and drug administration (FDA) en juin 2011, ainsi qu’au Japon le 30 août 2011, sur les conséquences de l’exposition au bisphénol A ne semble avoir évoqué un quelconque danger. Qu’en est-il exactement ? Bien entendu, cela ne remet pas en cause les orientations de votre rapport mais nous aimerions connaître les conclusions exactes de ces études pour compléter notre information.

Mme la rapporteure. Je ne vois pas exactement de quelles études il s’agit. Cela dit, il existe de très nombreuses publications sur la question du bisphénol A. La FDA, que l’on sait pointilleuse, y travaille en ce moment ; nous disposerons de ses conclusions le moment venu.

M. Denis Jacquat. Le délai devant permettre aux industriels de s’adapter aux nouvelles dispositions est un élément important du dossier.

Deux études publiées l’année dernière, l’une émanant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’autre de l’Agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA), montrent que le bisphénol A ne soulève pas de difficultés particulières. Favorable a priori au principe de précaution, je souhaiterais donc qu’on m’éclaire.

M. Michel Issindou. Il s’agit bien, en effet, de la mise en oeuvre du principe de précaution. Le bisphénol A soulève bien des doutes : le Danemark, comme d’autres pays, en a interdit l’usage ; les études en cours n’aboutiraient pas toutes aux mêmes conclusions.

S’il existe des produits de remplacement, faciles à fabriquer dans un délai raisonnable, le risque que peuvent courir les populations sensibles déjà mentionnées mérite que l’on adopte cette proposition de loi. Suffisamment d’indices concordent en sa faveur. Car, nous l’avons encore vu avec l’affaire du Mediator, n’attendons pas qu’un scandale éclate pour légiférer.

Mme Anny Poursinoff. Je constate avec plaisir qu’à travers cette proposition de loi, comme avec la précédente, les parlementaires savent se faire les relais de la population et des lanceurs d’alerte, lesquels d’ailleurs devraient bénéficier d’une meilleur protection : c’est l’un des thèmes dont nous discutons actuellement dans le cadre du projet de loi sur le médicament.

Les perturbateurs endocriniens agissent sur des mécanismes remettant en cause l’idée que la dose fait le poison. Il s’agit là d’un important changement de paradigme. Les écologistes ne peuvent que s’en réjouir, même s’il faut regretter le temps perdu en raison d’études publiques réalisées trop tardivement.

Le principe de précaution doit s’appliquer. La présente proposition de loi devrait entrer en vigueur dans les plus brefs délais en donnant à l’industrie la possibilité de s’adapter dans un délai raisonnable, le plus court étant le meilleur.

Le rapport de l’ANSES confirme le bien-fondé de cette proposition de loi, que nous voterons avec grand plaisir.

M. Paul Jeanneteau. Les conclusions du rapport de l’ANSES, rendu public hier mardi, mettent en évidence les effets sanitaires du bisphénol A, avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme. L’agence propose donc d’afficher comme priorité la protection des populations sensibles : nourrissons, jeunes enfants, femmes enceintes ou allaitantes. Elle estime également qu’il faut réduire au maximum les expositions au bisphénol A à travers les emballages de denrées alimentaires, source principale d’exposition des populations.

Depuis plus d’un an, la France interdit la fabrication et la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A car on sait que cette substance migre plus facilement dans les aliments dont le contenant est chauffé.

L’ANSES lance donc un appel aux industriels pour établir, d’ici au 30 novembre prochain, la liste exhaustive des produits de substitution existants et faisant preuve de leur innocuité, qu’il faut également apprécier à l’échelle internationale. Dans ce délai, scientifiques et industriels devront présenter des propositions. L’ANSES publiera, en 2012, un projet de calendrier à cet effet.

On comprend donc le fondement de la présente proposition de loi, qui soulève néanmoins quelques questions.

Où en sont les autres études mentionnées par le président Pierre Méhaignerie ? Quelles études ont été menées en Europe et quelles en sont les conclusions ? Quels produits de substitution sont envisageables, sachant que les produits contenant du bisphénol A sont largement répandus dans la consommation quotidienne ? Dans quels délais ? Que feront les industriels après l’adoption définitive de la proposition de loi ?

L’amendement AS 3 de la rapporteure me paraît donc particulièrement opportun en repoussant au 1er juillet 2013 l’entrée en vigueur de la mesure de suspension. Mais il serait plus raisonnable de viser le 1er juillet 2014 ou 2015, afin que les produits de substitution inoffensifs véritablement soient prêts à l’emploi.

Pour ma part, lors du vote sur la proposition de loi, je m’abstiendrai.

M. Vincent Descoeur. À titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi. Au moment où nous débattons de la sécurité sanitaire du médicament, il me paraît légitime de nous préoccuper aussi de la sécurité des produits alimentaires ainsi que des produits entrant dans la composition des emballages et susceptibles de migrer vers les premiers. D’autant plus que sont particulièrement concernés les embryons et les femmes enceintes.

Compte tenu des résultats des expérimentations menées sur les animaux, je suis favorable à une extension de la suspension à l’ensemble des contenants à vocation alimentaire, fabriqués chez nous ou importés.

Se pose maintenant la question du délai. Car si des solutions techniques alternatives existent, ou se manifestent rapidement, elles en sont encore au stade de la recherche. Compte tenu du grand nombre d’emballages concernés, il serait utile d’en connaître la liste. Il convient d’évaluer le délai nécessaire aux entreprises pour mettre en œuvre de nouveaux produits après qu’elles se seront assurées de leur absence de toxicité et d’un rapport positif entre leur bénéfice et leur risque.

Un délai juste est donc à déterminer, sans occulter notre volonté de nous orienter vers une extension de la suspension.

Mme Bérengère Poletti. Je suis également favorable à cette proposition de loi et je félicite la rapporteure pour nous avoir exposé les choses de façon claire, objective et rationnelle.

Ce n’est pas la première fois que nous discutons de ce sujet, sur lequel nous exprimons des inquiétudes depuis déjà longtemps. Comme nous l’avons vu tout à l’heure lors de notre débat sur la question du sucre dans les produits alimentaires vendus outre-mer, il semble difficile pour les industries agro-alimentaires de traiter spécifiquement un problème quand les autres industries ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. Il convient donc de fixer un objectif et un calendrier de mise en oeuvre des solutions qui pourront être trouvées.

Des progrès ont déjà été enregistrés à l’étranger. Pourquoi en irait-il différemment en France ? Les produits alimentaires ne sont pas les seuls concernés, comme nous l’observons dans le cadre du groupe chargé de suivre le plan national santé-environnement, qui a soulevé le problème de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Ainsi, par exemple, les tickets de caisses de grandes surfaces contenaient du bisphénol A, ce qui désormais n’est plus le cas.

Mme Edwige Antier. L’ANSES fournit des résultats de plus en plus précis et montre combien il faut veiller à la santé des femmes enceintes et des jeunes enfants au regard de la présence de bisphénol A.

J’ai, par exemple, connu le cas d’une petite fille qui, à huit mois, avait déjà une poitrine de femme adulte. De tels cas sont de plus en plus courants. On n’ose pas inquiéter les parents en incriminant le bisphénol A. On vérifie donc en endocrinologie que d’autres facteurs n’interviennent pas mais, à la différence d’une banale rougeole, aucune déclaration n’est requise. Dans ces conditions, on ne saura jamais quelle est la portée réelle des perturbateurs endocriniens, sauf à se contenter des études sur les animaux. C’est une question plus générale que j’ai souvent abordée ici : les certificats de santé sont de moins en moins bien remplis alors qu’ils sont prévus par la loi. On pourra donc toujours alléguer l’absence de données statistiques, malgré ce que constatent de plus en plus de pédiatres, d’urologues et d’endocrinologues. Il faut donc absolument sensibiliser le public au problème.

On nous fait aussi valoir que nous manquons d’autres types de contenants que ceux comportant du bisphénol A. C’est faux : on peut manger un yaourt dans un type adapté de carton mais aussi dans un verre. Un parent averti essaiera donc d’éviter l’exposition au risque. Pour les biberons, nous avons trouvé un substitut et les parents se sont adaptés. Il faudrait s’attaquer d’abord au maillon de la chaîne qui est le plus vulnérable.

Un jour, un autre pays nous montrera que les effets du bisphénol A sont réels et que des solutions existent pour se dispenser de son utilisation.

M. Jean-Marie Rolland. Les aspects scientifique et industriel de la question devraient l’emporter sur son aspect médiatique. Or, quand on lit les 311 pages du rapport de l’ANSES, on reste perplexe devant la complexité du sujet. Le rapport rappelle d’ailleurs lui-même les limites méthodologiques de l’exercice en indiquant : « Les données actuellement disponibles chez l’Homme concernant le lien entre une exposition au bisphénol A et des effets sur la santé sont jugées par le groupe de travail très limitées et insuffisantes pour être utilisées de prime abord pour conduire une étude sur les répercussions en santé publique quantitative. »

La piste du rapport suggérant la substitution de produits afin de réduire l’exposition au bisphénol A mérite évidemment qu’on la suive, sachant cependant qu’il n’existe pas aujourd’hui de produits de substitution dans tous les cas d’utilisation et que le remplacement des produits existants compliquera inévitablement les procédés industriels, avec les incidences que l’on peut prévoir sur les coûts de fabrication. Il faut donc demeurer très vigilant, surtout dans cette période qui a davantage besoin de facteurs de croissance économique que de freins à celle-ci.

Toutefois, l’amendement AS 3 de la rapporteure, proposant le report de l’application du dispositif au 1er juillet 2013, traduit une volonté d’ouverture et une certaine hésitation en face des demandes des industriels. Je serais favorable à ce nous recherchions un consensus afin, d’une part, d’améliorer l’information du public et l’étiquetage des produits et, d’autre part, de reporter le délai. La suggestion de Paul Jeanneteau, le 1er juillet 2014, me paraît raisonnable. L’industrie serait alors capable de trouver, dans les différents usages du bisphénol A, des solutions techniques acceptables par tous.

M. Bernard Perrut. Je tiens, moi aussi, à souligner la qualité du rapport qui nous est soumis. Nous avions déjà examiné, dans cette commission, la suppression du bisphénol A dans les biberons. Il s’agit bien d’un perturbateur endocrinien dont l’usage est subordonné à une réglementation communautaire en termes de dose journalière admissible.

On pourrait s’interroger sur l’accumulation du bisphénol A avec d’autres perturbateurs endocriniens qui pourraient présenter des effets encore plus importants.

Mais le rapport avance parfois des avis quelque peu contradictoires. Ainsi, les agences sanitaires ont conclu à l’innocuité du bisphénol A pour la consommation. Le 30 septembre 2010, le rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) estimait qu’aucun élément ne pousse à reconsidérer la dose journalière admissible limitée à 0,05 mg/kg. Ne faut-il donc pas distinguer ce qui relève du danger et ce qui relève du risque ?

L’AFSSA, dans ses rapports de janvier et de juin 2010, émettait un certain nombre de préconisations qui méritent de nous faire réagir immédiatement : maintenir aussi basses que possible l’utilisation et la consommation de bisphénol A, prévoir un étiquetage adapté, adresser des recommandations aux familles en vue de modifier les habitudes de consommations. Mais, pour l’avenir, quelles mesures prendre ? Pouvons-nous vraiment mettre en œuvre des alternatives aux polycarbonates et aux résines époxy ? Sommes-nous certains de l’innocuité des produits de substitution ? Ne faut-il pas laisser aux entreprises le temps de trouver les solutions alternatives les meilleures possibles ?

Dans la conclusion de son rapport, l’ANSES plaide pour une prévention en faveur des populations les plus sensibles. C’est là que doit, pour le moment, porter notre effort. Dans un deuxième temps, nous pourrons imposer des obligations aux entreprises. Un délai d’un ou deux ans me paraît insuffisant si nous voulons véritablement appliquer pleinement le principe de précaution.

M. Gérard Bapt. Notre collègue défend bien mal le principe qu’il met en avant. Ce que j’entends me rappelle la longue histoire du Mediator : nous attendions toujours de nouvelles études, tandis qu’on nous assurait qu’il s’agissait d’un produit indispensable pour ceux des diabétiques qui ne pouvaient supporter un autre médicament.

En juin 2010, nous avions déjà eu ici un débat sur le même sujet au cours duquel Mme Valérie Létard, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’écologie, nous avait affirmé qu’on ne pouvait aller au-delà de l’interdiction du bisphénol A dans la composition des biberons, dans l’attente d’expertises robustes. Or l’AFSSA avait déjà indiqué que 80 % de la contamination des jeunes enfants provenait soit du lait maternel, soit des petits pots.

Nous devions ensuite statuer en janvier 2011, après d’ailleurs que Mme Roselyne Bachelot nous avait annoncé un débat pour la fin de 2010 et m’avait indiqué que les agences sanitaires françaises et étrangères considéraient le bisphénol A de la même façon, c’est-à-dire comme ne présentant aucun risque.

Hier est intervenu un événement d’une importance extraordinaire : une agence sanitaire vient de procéder à une révolution culturelle en admettant qu’il fallait prendre en considération toutes les études scientifiques, y compris académiques et universitaires, même si elles n’ont pas les moyens nécessaires pour respecter les critères européens des bonnes pratiques de laboratoire. Ainsi, l’Institut national de recherche agronomique de Toulouse, bien qu’ayant abandonné ces bonnes pratiques, a produit deux études sur le bisphénol A qui constituent des premières mondiales, notamment la découverte de l’altération de la paroi intestinale et le transfert à travers la peau comme dans le cas du ticket de caisse.

Une étude en cours des INSERM de Grenoble et de Rennes, conduite par M. Rémy Slama, a montré comment l’imprégnation de la mère par du bisphénol A agissait sur le poids de l’enfant à la naissance. Elle montre aussi l’incidence de l’imprégnation par des phtalates sur les dysgénésies sexuelles à la naissance. Toutefois, étant donné que les conclusions de cette étude ne sont pas encore publiées, elle n’est toujours pas prise en compte.

Par ailleurs, je rejoins Edwige Antier quand elle évoque les incidences des perturbateurs endocriniens sur le développement sexuel des enfants.

L’ANSES indique également que la notion de dose journalière admissible n’a plus de valeur puisque des effets sanitaires sont observés à des valeurs sensiblement inférieures à la norme de 0,05 mg par kg de poids. Ce qui signifie qu’il faut interdire le produit.

Ma proposition de loi ne fait que reprendre l’amendement que vous aviez repoussé en juin 2010, dans l’attente d’études supplémentaires d’extension à l’ensemble des contenants alimentaires. J’avais prévu un délai, fixé au 1er janvier 2012, soit un an et demi, pour que l’industrie puisse se retourner. Il ne faut plus tarder pour légiférer, même si on peut admettre un nouvel allongement du délai.

On évoque le problème des produits de substitution. Mais il faut savoir que certains pays ont déjà interdit le bisphénol A, tels que le Danemark, le Costa-Rica et certains États américains. Il leur a bien fallu trouver des substituts. Les lentilles de contact contenant du bisphénol A, une entreprise américaine développe actuellement un produit de substitution susceptible d’utilisation dans l’industrie optique. De nombreuses autres entreprises proposent des substituts, y compris certaines catégories de plastiques non cancérigènes et non perturbateurs endocriniens.

Un entrepreneur de la région de Roanne développe aujourd’hui des plastiques à visée médicale, notamment des tubulures de perfusion dépourvus de phtalates. Les États-Unis lui achètent plus volontiers ses produits que la France.

Ces quelques exemples montrent que « si on veut, on peut. »

Je suis donc heureux de voir que cette proposition de loi va, semble-t-il, être adoptée par notre commission. Le Parlement doit jouer un rôle d’aiguillon. Les agences européennes seront ainsi conduites à changer de paradigmes.

M. Arnaud Robinet. La présente proposition de loi apparaît particulièrement sympathique dans le contexte actuel marqué par les débats sur la sécurité sanitaire du médicament.

Je relève d’abord que l’ANSES n’a pas mis en évidence d’effet du bisphénol A sur l’homme. Elle doit remettre un nouveau rapport fin novembre.

J’entends aussi nos collègues de l’opposition nous expliquer que si nous ne votons pas ce texte, nous irons à l’encontre de la sécurité sanitaire et du principe de précaution. J’aurais aimé les voir adopter la même attitude à l’égard du projet de loi sur le médicament présenté aujourd’hui en séance publique.

M. Dominique Dord. N’étant pas un professionnel de santé, je refuse néanmoins de subir la dictature des « sachants », surtout quand les études scientifiques sont particulièrement nuancées. Le rapport de l’ANSES ne tire pas vraiment la sonnette d’alarme. On ne peut, à tout bout de champ, évoquer le précédent du Mediator.

Je souscris à l’idée proposée par notre collègue Paul Jeanneteau d’allonger le délai de mise en œuvre du dispositif. Nous sommes, en effet, dans une situation assez différente de celle examinée avec la précédente proposition de loi sur le sucre : en diminuer le taux dans les aliments ne soulève pas de problème technique particulier.

Je veux bien croire qu’au Costa-Rica on ait trouvé la formule miracle permettant de se dispenser du bisphénol A mais je voudrais qu’on prouve, avec les agences françaises, que cette formule ne présente pas elle-même d’autres types d’inconvénients pour la santé.

Une piste nous est proposée sans verser dans l’excès d’alarmisme. Donnons donc à l’industrie le temps nécessaire à dégager des solutions alternatives. L’année 2012 me semble trop proche, celles de 2014 ou 2015 me paraissent plus réalistes. Fixons une perspective et arrêtons une date butoir.

Si le bisphénol A est aussi dangereux qu’on le dit, ce ne sont pas seulement les tétines des biberons qu’il faut considérer. Beaucoup d’enfants passent leur journée à sucer des objets en plastique, que la proposition de loi ne vise pas. Il faudrait donc également les inclure dans le dispositif. Les contacts avec la peau peuvent aussi être mis en cause. Nous avons évoqué les lentilles de contact : elles ne sont pas davantage concernées par le texte. Ainsi, d’un côté, on se focalise sur un aspect du problème, sans disposer de solution de rechange, et, d’un autre, on oublie toute une série de produits dont l’utilisation est peut-être aussi dangereuse.

Le texte traduit certes une bonne intention, presque culpabilisante, mais on néglige de nombreux autres sujets au nom d’une volonté de réaction parlementaire. Peut-être légiférons-nous trop sur le coup des émotions.

Je m’abstiendrai donc lors du vote de cette proposition de loi et demande que la proposition d’allongement du délai soit retenue afin que l’industrie puisse trouver des solutions validées par les agences sanitaires.

Mme Jacqueline Fraysse. Les interrogations que vient de soulever Dominique Dord sont fondées, mais elles ne sauraient nous inciter à l’inaction. La proposition de loi s’appuie sur des données précises. Chacun peut bien sûr placer différemment le curseur de la dangerosité, mais notre responsabilité de parlementaires consiste à veiller à la protection de la santé de nos concitoyens.

Nous avons, dans notre pays, la fâcheuse habitude de prendre des dispositions au moment que se produit un drame, comme dans les cas du Mediator ou de l’amiante. Il vaudrait mieux légiférer préalablement et sereinement.

C’est pourquoi il y a lieu d’adopter le texte qui nous est aujourd’hui soumis et de créer les conditions de sa bonne application. Je fais pour cela confiance à nos scientifiques et à nos entreprises : ils sauront trouver les formules de substitution au bisphénol A dans les meilleurs délais, mais dès lors que nous leur aurons adressé une injonction, faute de quoi l’industrie ne bougera pas. Nous devons prendre en considération les exemples fournis par les spécialistes de la santé publique, dont on ne peut traiter les travaux à la légère en raison de contraintes industrielles : il nous faut hiérarchiser les priorités.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je remercie nos collègues de la qualité de ce débat, équilibré et fondé sur des bases scientifiques.

Vincent Descoeur a bien posé le problème de la balance entre les bénéfices et les risques. Nous nous trouvons placés entre deux urgences : celle, notamment mentionnée par Edwige Antier, de la protection de l’enfant et de la femme enceinte, et celle de fixer des délais, tant pour la mise au point industrielle de produits de substitution que pour la généralisation de la suspension du bisphénol A.

Comme l’a dit Jacqueline Fraysse, nous devons faire confiance aux scientifiques, d’autant qu’ils traversent aujourd’hui une crise d’identité. Je rappellerai à cet égard le procès qui se déroule actuellement à Colmar où sont jugés des « irresponsables », qui ont détruit un travail mené pendant vingt ans par l’INRA, avec toutes les précautions nécessaires, sur une maladie très grave de la vigne, le court-noué. Le Parlement devrait se montrer solidaire de nos scientifiques, toutes sensibilités politiques confondues.

Mme la rapporteure. Je remercie tous les intervenants car je crois que nous ne sommes pas très éloignés les uns des autres. Les travaux menés antérieurement par Gérard Bapt ont servi de fondements aux nôtres.

La très opportune parution, hier, du rapport de l’ANSES n’était pas préméditée. Elle nous fournit toutefois des arguments très solides. Tous les experts reconnaissent que cette agence se situe au meilleur niveau en Europe. Rappelons qu’elle ne réalise pas elle-même d’études en laboratoire mais qu’elle compile celles déjà effectuées et les expertise selon des critères d’analyse rigoureux, illustrant ainsi la différence entre expertise et expérience.

Dominique Dord prétend ne pas avoir constaté de faits avérés permettant de tirer un signal d’alarme : il a raison, mais il faut savoir que la recommandation de l’ANSES ne se base pas sur des chiffres. Heureusement ! Car lorsqu’on observera qu’un pourcentage significatif de la population présente des troubles endocriniens notables, il sera trop tard. Comme dans le cas du Mediator, nous aurons manqué la marche. C’est ce que notre démarche cherche à éviter.

La question des délais de mise en oeuvre de la mesure de suspension du bisphénol A constitue un sujet majeur. Nous avons écouté les industriels. Ils disposent de produits de substitution. Le délai que nous souhaitons doit servir à prouver, comme le demande l’ANSES, que ceux-ci ne sont pas nocifs. De quelle durée doit-il être ? Les industriels réclament trois ans. Dans toute négociation, la demande initiale est supérieure au besoin réel. Je propose vingt mois par mon amendement AS 3, mais je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’il soit porté à deux ans, soit une date limite repoussée au 1er janvier 2014 et cohérente avec les délais demandés par l’ANSES pour fournir de nouvelles contributions.

Il n’est pas exclu que les industriels recueillent un bénéfice de cette démarche. Déjà, certains produits et objets ne contenant pas de bisphénol A sont mentionnés comme tels afin de mieux se vendre. Si notre industrie agro-alimentaire, qui doit promouvoir la qualité sur les marchés, est l’une des premières à afficher ce signe positif, elle peut en retirer un avantage économique. Et je crois qu’elle le sait.

La Commission procède à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique : Suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A à compter du 1er juillet 2012

La Commission est saisie de l’amendement AS 3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement propose de repousser au 1er juillet 2013 l’entrée en vigueur de la mesure de suspension. Toutefois, si Gérard Bapt y souscrit, je serais favorable à ce qu’on la reporte cette date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2014, afin d’envoyer un signe positif à l’industrie.

M. le président Pierre Méhaignerie. Cette suggestion me paraît acceptable, sous le bénéfice des informations que pourra nous apporter le Gouvernement en séance publique.

La Commission adopte l’amendement AS 3 corrigé.

En conséquence, les amendements AS 4 de la rapporteure et AS 1 de Mme Edwige Antier deviennent sans objet.

Mme Edwige Antier. Mon amendement proposait de viser plus particulièrement les enfants de moins de trois ans afin de souligner la période sensible d’exposition au bisphénol A. Les industries alimentaires ont déjà réalisé d’importants progrès à cet égard : des solutions existent donc.

M. le président Pierre Méhaignerie. La formulation de l’amendement de la rapporteure étant plus large, votre amendement est tombé.

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements AS 5 de la rapporteure et AS 2 de Mme Edwige Antier.

Mme la rapporteure. Notre amendement revêt une importance particulière dès lors que nous avons retenu un délai plus long pour la date d’entrée en vigueur de la mesure de suspension : il vise à ce que tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires comporte un avertissement permettant de mieux sensibiliser les publics présentant le plus de risques.

Mme Edwige Antier. Mon amendement répond au même souci. Il prévoit une obligation d’étiquetage pour tous les plastiques alimentaires produits à base de bisphénol A et utilisés par les enfants de moins de trois ans – d’autant que ces plastiques peuvent être soumis à des techniques de chauffage, lesquelles augmentent la quantité de bisphénol A dans l’aliment.

Mme la rapporteure. Mon amendement est plus large car il cible aussi les femmes enceintes et allaitantes. Je propose à Edwige Antier de s’y rallier.

Mme Edwige Antier. Tout à fait. Je retire l’amendement AS 2

L’amendement AS 2 est retiré.

La Commission adopte l’amendement AS 5.

Puis la Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à douze heures dix.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AS 1 présenté par Mme Edwige Antier

Article unique

I.– Rédiger ainsi l'alinéa 2 :

À l’intitulé, les mots : «  biberons produits à base de bisphénol A » sont remplacés par les mots : « tous plastiques alimentaires utilisés par des enfants de moins de trois ans ».

II.– À l'alinéa 3, après les mots : « à vocation alimentaire », insérer les mots : « utilisé par des enfants de moins de 3 ans ».

Amendement n° AS 2 présenté par Mme Edwige Antier

Article unique

Compléter cet article par l’alinéa suivant :

« 4° La mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tous plastiques alimentaires utilisés par des enfants de moins de trois ans, produits à base de bisphénol A sera soumise à une obligation d'étiquetage afin de garantir aux consommateurs une information précise et exacte sur la nature des produits. ».

Amendement n° AS 3 présenté par Mme Michèle Delaunay, rapporteure

Article unique

Rédiger ainsi les alinéas 2 et 3 :

« 1° À l’intitulé, les mots : « biberons produits à base de bisphénol A » sont remplacés par les mots : « tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires » ;

« 2° À l’article 1er, les mots : « biberons produits à base de bisphénol A » sont remplacés par les mots : « tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires à compter du 1er janvier 2014 ». »

Amendement n° AS 4 présenté par Mme Michèle Delaunay, rapporteure

Article unique

Rédiger ainsi les alinéas 2 et 3 :

« 1° À l’intitulé, les mots : « biberons produits à base de bisphénol A » sont remplacés par les mots : « tout conditionnement comportant du bisphénol A contenant des produits alimentaires destinés aux enfants de moins de trois ans ».

« 2° À l’article 1er, les mots : « biberons produits à base de bisphénol A » sont remplacés par les mots : « tout conditionnement comportant du bisphénol A contenant des produits alimentaires destinés aux enfants de moins de trois ans à compter du 1er juillet 2013 ». »

Amendement n° AS 5 présenté par Mme Michèle Delaunay, rapporteure

Article unique

Substituer à l’alinéa 4 les deux alinéas suivants :

« 3° L’article 2 est ainsi rédigé :

«  Tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires doit comporter un avertissement déconseillant son usage aux femmes enceintes et aux enfants de moins de trois ans du fait de la présence de bisphénol A dans le contenant. » »

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 28 septembre 2011 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Martine Billard, Mme Valérie Boyer, M. Yves Bur, M. Gérard Cherpion, M. Georges Colombier, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Marianne Dubois, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, Mme Pascale Gruny, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Raymond Lancelin, M. Guy Lefrand, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Guy Malherbe, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, Mme Anny Poursinoff, M. Simon Renucci, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, M. Michel Rossi, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian

Excusés. – Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Guy Delcourt, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, M. Jean-Claude Leroy, M. Roland Muzeau

Assistait également à la réunion. – M. Gérard Bapt