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Commission des affaires sociales

Mercredi 14 décembre 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Bernard Perrut, Vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, consacrée à l’insertion par l’activité économique réunissant Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice à l’ingénierie de l’accès et du retour à l’emploi à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail, de l’emploi et de la santé, M. Laurent Laïk, président du Comité national des entreprises d’insertion, M. Pascal Duprez, administrateur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, M. Alexandre Bonjour, secrétaire général de la Fédération COORACE, M. Emmanuel Stephant, vice-président, du réseau CHANTIER école, et Mme Soline Gravouil, directrice de l’association OVALIE

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 14 décembre 2011

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales organise une table ronde, ouverte à la presse, consacrée à l’insertion par l’activité économique réunissant Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice à l’ingénierie de l’accès et du retour à l’emploi et à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail, de l’emploi et de la santé, M. Laurent Laïk, président du Comité national des entreprises d’insertion, M. Pascal Duprez, administrateur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, M. Alexandre Bonjour, secrétaire général de la Fédération COORACE, M. Emmanuel Stephant, vice-président, du réseau CHANTIER école, et Mme Soline Gravouil, directrice de l’association OVALIE.

M. le président Pierre Méhaignerie. Les responsables des structures d’insertion par l’activité économique auraient souhaité la création d’une mission d’information sur le sujet. Eu à égard à l’importance de la question, et sachant que la Cour des comptes va se saisir du dossier au cours de l’année 2012, cela se justifiait ; cependant, le calendrier ne s’y prête guère, puisque nous sommes à quelques semaines de la suspension de nos travaux. En conséquence, j’ai choisi d’organiser une table ronde afin d’amorcer la réflexion.

On distingue traditionnellement deux grands types de structures d’insertion par l’activité économique : celles qui produisent directement des biens et des services, et celles qui mettent leurs salariés à la disposition d’utilisateurs. Les derniers chiffres publiés par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), qui portent sur l’année 2008, font état d’environ 3 500 structures et 200 000 salariés présents en fin de mois.

J’ai invité, pour participer à cette table ronde, les principaux acteurs du secteur : la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), représentée par M. Pascal Duprez, administrateur, et Mme Sophie Alary, responsable du service Vie fédérale et partenariats ; le Comité national des entreprises d’insertion (CNEI), représenté par son président, M. Laurent Laïk et M. Olivier Dupuis, secrétaire général ; la Fédération COORACE, représentée par son secrétaire général, M. Alexandre Bonjour ; le réseau CHANTIER école, représenté par M. Emmanuel Stephant, vice-président, et M. Luis Semedo, délégué général. J’ai proposé à Mme Soline Gravouil de se joindre à eux pour présenter le réseau Ovalie, l’entreprise de travail temporaire d’insertion dont l’activité devrait intéresser tous ceux qui se préoccupent de l’insertion des handicapés.

Pour avoir une vision globale et savoir quelle politique l’État entend mener dans ce domaine, j’ai demandé à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de participer à la table ronde ; elle y est représentée par Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice de l’ingénierie de l’accès et du retour à l’emploi, et par Mme Céline Jaeggy-Roulmann, qui dirige la mission « Insertion professionnelle » de la délégation générale.

Mesdames, messieurs, je suis heureux de vous accueillir. Je propose que chacun présente rapidement son analyse de la situation de l’insertion par l’activité économique et évoque les moyens, notamment financiers, d’assurer son développement. Je demanderai ensuite à Mme Hoppé de faire un état des lieux, puis nous procéderons au jeu habituel des questions-réponses.

Avant de vous laisser la parole, je signale que, chez nos voisins, des expériences visant à mobiliser des financements privés ont été menées, notamment au travers de ce qu’on appelle « l’entreprenariat social ». Peut-être pourrions-nous aborder ce point parmi les perspectives d’avenir.

M. Laurent Laïk, président du Comité national des entreprises d’insertion (CNEI). Pour éviter les redites, nous avons décidé de nous partager un exposé qui vaudra pour tous.

On compte aujourd’hui 4,5 millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, dont 1,7 million au chômage depuis plus de douze mois ; plus de 8 millions de Français sont sans emploi ou exercent une activité précaire, soit 13 % de la population active. Afin de combler les lacunes des politiques de l’emploi et, plus largement, de remédier au manque de liens avec les politiques sociales, des activités innovantes visant à favoriser l’accès ou le retour à l’emploi de personnes durablement éloignées du marché du travail ont vu le jour : c’est ce qu’on appelle « l’insertion par l’activité économique » (IAE). L’objectif est de favoriser, grâce à un accompagnement spécialisé, le retour progressif sur le marché du travail traditionnel – nos structures ne souhaitant pas susciter une économie parallèle destinée aux seules personnes précaires – d’un public composé à 80 % de personnes ayant un niveau de formation égal ou inférieur au certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou au brevet d’études professionnelles (BEP).

Le secteur regroupe plusieurs types de structures : chantiers d’insertion, entreprises d’insertion, entreprises de travail temporaire d’insertion, associations intermédiaires ; chacune s’adressant à des publics différents, elles sont complémentaires et travaillent de plus en plus ensemble. On estime aujourd’hui à 250 000 le nombre de personnes ainsi accompagnées.

Nous intervenons dans le secteur marchand, en fournissant des prestations et des produits « normaux », commercialisés au prix du marché et en concurrence avec les autres acteurs économiques, ainsi que dans le cadre de dispositifs du type chantiers d’insertion, situés hors du secteur marchand, qui visent à resocialiser et à remobiliser des personnes très éloignées de l’emploi.

Notre pays traversant actuellement une crise majeure, à la fois économique, financière et bancaire, nous souhaitons nous mobiliser collectivement, coordonner nos actions, et proposer à la Nation et à l’État des solutions afin de mieux accompagner ces publics et de renforcer la cohésion sociale. Un des moyens de résoudre les tensions dans les cités est, en effet, de donner à notre jeunesse du travail et des raisons d’espérer. Dans cette perspective, notre ambition est de passer de 250 000 à 500 000 emplois au sein de nos structures. Chacun des réseaux a son propre programme pour y parvenir, mais cela impose de réviser le modèle actuel, en particulier ses modalités de financement. Pour cela, nous avons besoin de décisions politiques et de projets ambitieux.

Mme Sophie Alary, responsable du service « Vie fédérale et partenariats » de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). À cet égard, nous avons eu le sentiment d’une série de rendez-vous manqués. Il y a ainsi eu le plan de cohésion sociale, en 2005, puis le Grenelle de l’insertion, qui a débouché sur la loi du 1er décembre 2008 ; celle-ci a généralisé le revenu de solidarité active (RSA), mais aussi réformé les politiques d’insertion, l’ambition étant de parvenir à des résultats partagés entre les pouvoirs publics et les structures d’insertions par l’activité économique, à une réforme de la gouvernance à l’échelon des territoires, en partant d’un diagnostic commun, et, enfin, à une simplification et à une révision des schémas de financement, de manière à assurer à nos structures des moyens à la hauteur de leurs besoins. Cette réforme avait en outre l’intérêt de s’inscrire dans un cadre plus large, qui englobait aussi la refonte des politiques de l’emploi, avec une réforme du service public de l’emploi qui devait garantir aux personnes en insertion le bénéfice des services de Pôle emploi, et la réforme de la formation professionnelle, avec la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), destiné notamment aux personnes les plus éloignées de l’emploi.

Si l’on fait le bilan aujourd’hui, force est de constater qu’on est loin des résultats annoncés. Les schémas de financement, encore très hétérogènes, sont toujours conçus sur une base annuelle, et non pluriannuelle ; Pôle emploi se met difficilement en place ; le fonds paritaire ne s’est pas encore préoccupé des personnes les plus éloignées de l’emploi ; quant aux collectivités territoriales, elles sont peu associées aux réformes. Pour atteindre les objectifs fixés, il faudrait au minimum se doter d’une autre gouvernance, revoir les modes de financement et ancrer plus fortement l’insertion par l’activité économique dans les territoires.

M. Pascal Duprez, administrateur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Quel que soit le taux de chômage, certaines personnes resteront plus éloignées de l’emploi que d’autres. Il faut mobiliser l’ensemble des acteurs en leur faveur. Nous souhaitons plus que jamais participer à la co-construction des politiques publiques de l’insertion et de l’emploi, fondée sur une évaluation des besoins des personnes et des moyens mis en œuvre sur les territoires.

Aujourd’hui, la gouvernance nationale et territoriale ne fonctionne pas bien. Il faut l’élargir et aller vers un pilotage décloisonné, qui intègre les partenaires sociaux. Il existe actuellement une diversité de financements qui structurent le secteur, mais sans pilotage ni gouvernance. Ce pilotage relève bien évidemment de la mission régalienne de l’État, mais il importe d’intégrer les autres acteurs : collectivités territoriales – régions pour la formation, départements pour les pactes territoriaux d’insertion, sans oublier les communautés d’agglomération, proches des publics concernés –, organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, Pôle emploi… Il convient de trouver, à chaque niveau, le mode de pilotage qui assurera une réelle complémentarité et le développement de l’insertion par l’activité économique. Nous avons les moyens de remettre au travail les personnes les plus éloignées du marché de l’emploi ; ça marche : un euro investi dans notre secteur produit trois euros au final ! Alors, pourquoi n’y met-on pas plus de moyens et, surtout, pourquoi n’instaure-t-on pas une gouvernance plus active et plus efficace ?

La révision générale des politiques publiques (RGPP) nous fragilise, car chaque financement est fléché, donc cloisonné ; il n’existe pas de réelle fongibilité, y compris au sein d’un même ministère. Cela nous désole : nous voyons qu’il existe des possibilités, mais nous ne pouvons les exploiter parce que les acteurs travaillent chacun dans leur coin !

La mesure de l’efficacité et de la performance se fait essentiellement sur le critère du retour à l’emploi. Pour nos publics, cela ne suffit pas ; il faudrait aussi prendre en considération la santé, le logement, la mobilité, l’accès aux compétences, la famille. Nous savons accompagner ces personnes et les rapprocher de l’emploi quand c’est possible. Alors, donnez-nous les moyens de le faire !

M. le président Pierre Méhaignerie. Des moyens publics ou des moyens privés ?

M. Pascal Duprez, administrateur de la FNARS. N’importe ! Nous n’excluons pas le recours au privé, du moment qu’il s’intègre dans l’ensemble et ne vient pas aggraver le cloisonnement.

M. Emmanuel Stephant, vice-président du réseau CHANTIER école. En sus des problèmes déjà mentionnés se pose pour le secteur de l’insertion par l’activité économique un problème de financement.

Par-delà nos différences, nous sommes tous convaincus que la mission sociale que remplissent nos structures relève d’une responsabilité publique, et qu’elle doit continuer à être financée comme telle. Si nous sommes devant vous aujourd’hui, c’est parce que nous avons besoin de travailler sereinement, dans la durée. Actuellement, les structures de l’insertion par l’activité économique supportent des coûts très supérieurs aux ressources qui leur sont allouées : elles enregistrent, en moyenne, un déficit d’environ 3 600 euros par an et par poste en équivalent temps plein. Ce chiffre a été établi dans le cadre d’une expérimentation conduite en liaison avec la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, qui a mesuré avec précision le coût de l’insertion et a envisagé à cette occasion une réforme des modes de financement actuels.

Ce que nous demandons, c’est que l’on réévalue le plus rapidement possible ce niveau de financement. Bien évidemment, il ne s’agit pas uniquement d’augmenter la part de l’État ; nous avons besoin d’une cohérence territoriale, au plus près des publics que nous accompagnons, et cela suppose des financements à la fois nationaux et régionaux.

Ne vous y méprenez pas : il ne s’agit pas de demander plus, mais de faire mieux à budget constant. Comment ? D’abord, en examinant les dispositifs en place pour voir s’ils ont ou non atteint leurs objectifs. Certains peuvent avoir été mal « ciblés », comme le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS), le contrat unique d’insertion-contrat initiative emploi (CUI-CIE) ou encore les contrats aidés accordés à l’Éducation nationale. Des fonds n’ont pas toujours été bien utilisés et pourraient être réorientés, comme le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. D’autres sont sous-exploités, car d’utilisation trop complexe, comme le Fonds social européen (FSE) qui ne participe qu’à hauteur de 10 % au financement de nos structures. Il faudrait examiner ce qui est proposé au niveau européen, notamment au titre de l’inclusion sociale, et réunir les conditions d’une démultiplication de ces financements, grâce à une stratégie européenne ambitieuse où nous tiendrions toute notre place et moyennant une simplification de la gestion.

Nous souhaitons respecter la logique du contrat unique tel qu’il est prévu dans la loi, mais nous appelons votre attention sur le fait que, dans son application, il ne permet pas toujours d’aller aussi loin que ce que vous aviez prévu. Aujourd’hui, le niveau de prise en charge des contrats aidés par l’État conduit à verser des salaires inférieurs au seuil de pauvreté, et la durée de plus en plus courte de ces contrats ne nous permet pas d’accompagner les personnes suffisamment longtemps pour qu’elles en retirent un véritable bénéfice, notamment sous forme de formation qualifiante.

Nous avons les idées et vous avez, je n’en doute pas, les solutions. À moyen terme, nous souhaiterions pouvoir travailler dans un cadre pluriannuel. Aujourd’hui, les financements dont nous bénéficions sont relativement précaires, ce qui ne favorise guère les projections dans l’avenir, même relativement proche, et ne nous permet pas de redonner à ces personnes en difficulté la sérénité nécessaire pour rebondir.

M. Alexandre Bonjour, secrétaire général de la Fédération COORACE. Notre ambition est de changer d’échelle. Viser l’emploi pour tous ne nous paraît pas un rêve impossible, même en période de crise. Cela passe par une politique concertée, par une rationalisation des ressources et par le renforcement de nos capacités de développement économique et d’innovation sociale.

Tout au long de son histoire, l’insertion par l’activité économique a été un acteur du développement économique dans les territoires, de la création de nouvelles filières, parfois de la relocalisation d’activités. Il s’agit maintenant d’aller encore plus loin, premièrement en permettant à nos outils d’atteindre une taille critique et d’être visibles, au cœur de l’animation du territoire ; deuxièmement, en construisant un nouveau maillage territorial, où l’ensemble des acteurs présents dans un territoire se mobiliseraient, avec les structures de l’insertion par l’activité économique, sur un seul et même objectif de développement solidaire ; troisièmement, en renforçant nos capacités d’innovation, de création d’activités et de développement. Dans tous ces domaines, nous faisons des propositions fortes, innovantes, simples à mettre en pratique. Nous sommes heureux de pouvoir en discuter avec vous.

Mme Soline Gravouil, directrice de l’association Ovalie. J’illustrerai les propos précédents par la description des obstacles auxquels se heurte une innovation sociale.

Ovalie est une entreprise de travail temporaire d’insertion (ETTI) qui se consacre prioritairement aux personnes handicapées – ce sont 80 % de nos salariés. Nous nous trouvons donc au carrefour de la politique de l’emploi, de celle du handicap et de l’insertion par l’activité économique.

Or, lorsque nous entreprenons, à la demande de nos clients, de nous implanter quelque part en vue de fournir un travail à cette population, nous n’avons pas toujours la possibilité de le faire, parce que notre modèle échappe à tout fléchage : nous ne sommes considérés ni comme une vraie entreprise de travail temporaire d’insertion, ni comme une entreprise d’insertion, ni comme une entreprise de travail temporaire, précisément parce que nous voulons mettre l’insertion par l’activité économique au service de l’intégration des personnes handicapées. Alors même que nous donnons aux entreprises le moyen de satisfaire à l’obligation d’employer des travailleurs handicapés, nous n’arrivons pas à nous développer. Quant à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), à laquelle nous nous sommes adressés pour obtenir un financement par réaffectation de fonds existants, elle nous a répondu que notre activité n’était pas répertoriée parmi celles qu’elle était autorisée à soutenir.

Le fait de travailler sur des bassins d’emploi qui chevauchent parfois les frontières administratives nous expose à l’inconvénient d’autres cloisonnements. Ainsi, il nous arrive de devoir demander un agrément supplémentaire dans un deuxième département pour intervenir dans un seul et même bassin d’emploi.

Aujourd’hui, nous avons des clients et les moyens d’agir efficacement aussi bien en faveur de l’emploi de notre public que de sa santé. Pourtant, nous ne pouvons pas nous développer parce que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ne peuvent nous rattacher à aucun modèle connu !

M. le président Pierre Méhaignerie. C’est d’autant plus dommageable que les entreprises ne savent pas toujours comment recruter des travailleurs handicapés et se retrouvent alors obligées de payer des cotisations de plus en plus lourdes, faute d’atteindre le quota.

M. Pascal Duprez, administrateur de la FNARS. L’insertion par l’activité économique relève d’une responsabilité collective, ce qui doit se traduire dans sa gouvernance. Celle-ci pourrait être assurée par une agence ou par un groupement d’intérêt public qui intégrerait dans son conseil d’administration les partenaires financiers institutionnels – y compris l’État –, qui élaborerait un plan pluriannuel et qui simplifierait et sécuriserait les modes de financement existants, contrats aidés compris. Cela garantirait le financement de l’insertion sociale et professionnelle, assurerait une meilleure fluidité des parcours et faciliterait les transitions professionnelles.

Les réseaux et les partenaires sociaux participent aux conseils départementaux de l’insertion par l’activité économique (CDIAE), avec voix consultative ; en revanche, d’autres acteurs, comme les agences régionales de santé (ARS), en sont absents bien que nos publics puissent être confrontés à des problèmes de santé. Il convient de remédier à ce manque de cohérence dans la gouvernance : on ne peut s’en tenir à régler le seul problème de l’emploi, de plus à court terme.

M. le président Pierre Méhaignerie. Madame Hoppé, les différents intervenants ont souligné l’absence de fongibilité et la complexité des modes de financement actuels, mais aussi la possibilité de mieux utiliser les ressources venant du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, de la formation professionnelle ou des collectivités territoriales. Êtes-vous du même avis ?

Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice de l’ingénierie de l’accès et du retour à l’emploi à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du délégué général, retenu par une réunion du conseil d’administration de Pôle emploi.

S’agissant de la complexité du dispositif actuel, il est vrai que nous souhaiterions faire mieux et plus vite sur le terrain, et que les conseils départementaux n’ont pas encore réussi à entraîner tous les partenaires qu’il serait utile de mobiliser.

Quant à la fongibilité, le nouveau système d’exploitation Chorus la rend désormais possible ; la situation n’ira qu’en s’améliorant grâce à l’important travail de conventionnement en cours au niveau national – je rappelle que l’insertion par l’activité économique est le fait de 3 500 structures.

Pour ce qui est des contrats aidés, il est vrai que la crise actuelle ne facilite guère les choses. En 2011, notre objectif était d’atteindre un total de 440 000. Dans les ateliers et chantiers d’insertion (ACI), le taux de prise en charge par l’État est de 105 % du SMIC brut, et la loi de finances pour 2012 pérennise ce dispositif. Le taux ne sera donc pas remis en cause chaque année.

Presque 100 000 contrats aidés ont été réservés aux ateliers et chantiers d’insertion. Leur durée moyenne – de sept mois aujourd’hui – tend peut-être à se réduire, mais il est tout à fait possible d’en conclure de plus longs dès lors qu’il y a une professionnalisation à la clef. Nous travaillons avec tous les réseaux. Le budget global dédié à l’insertion par l’activité économique est de 200 millions d’euros et, vu les contraintes budgétaires actuelles, il convient d’être innovant ! Bien que la finalité de l’insertion par l’activité économique reste le retour à l’emploi, nous sommes disposés à travailler davantage dans la perspective d’une prise en charge globale, en partenariat avec Pôle emploi et avec les autres acteurs ministériels. De ce point de vue, le récent rapport du Comité d’orientation pour l’emploi (COE) ouvre des pistes de travail intéressantes, en particulier pour ce qui concerne les chômeurs de longue durée ; nous avons repris à notre compte certaines de ses propositions.

M. le président Pierre Méhaignerie. Participez-vous, à l’échelon européen, à la réflexion sur les crédits 2014-2020 du Fonds social européen ?

Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice à la DGEFP. La délégation générale travaille bien entendu sur la programmation 2014-2020, mais aussi, en parallèle, sur la programmation en cours du Fonds social européen. Nous avons bien conscience que le reporting, le contrôle des opérations, prend du temps. Nous essayons de simplifier la procédure, mais ce travail n’en est encore qu’à mi-parcours. Cela étant, on ne manque pas de crédits en provenance du Fonds social européen, notamment pour les actions destinées à favoriser l’inclusion sociale, au titre de l’axe 3. Le secteur de l’insertion par l’activité économique est même l’un des principaux bénéficiaires de ce fonds. Si vous le désirez, nous vous transmettrons des chiffres précis.

M. le président Pierre Méhaignerie. Et que pensez-vous de la suggestion de mieux utiliser les crédits de formation professionnelle et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels ?

Mme Gabrielle Hoppé., sous-directrice à la DGEFP Le fonds paritaire n’en est qu’à ses débuts. Au commencement de l’année prochaine aura lieu une journée nationale de la formation professionnelle. Cette année, comme vous le savez, il a fallu procéder à l’agrément des organismes paritaires collecteurs. La prochaine étape consistera, en conséquence de la création du fonds paritaire et de la loi dite Cherpion, d’améliorer l’accès du réseau de l’insertion par l’activité économique à la formation professionnelle. Cela devrait être acquis en 2012.

M. Rémi Delatte. Merci, mesdames et messieurs, pour vos propos réalistes ; je note que vous dressez un bilan plutôt positif de l’insertion par l’activité économique, malgré les contraintes que vous avez soulignées.

J’insisterai en ce qui me concerne sur la nécessité d’un partenariat entre la structure d’insertion, les collectivités territoriales et l’entreprise amenée à assurer l’accueil et le suivi de la personne à insérer. La collectivité territoriale doit avoir toute sa place dans ce dispositif, car elle connaît bien le public et elle est d’une certaine manière prescriptrice, car elle peut engager certaines personnes à rejoindre l’entreprise d’insertion ; en outre, elle propose des marchés, pour lesquels elle doit être encouragée à faire jouer la clause d’insertion. Quant à l’entreprise de droit commun, il faut la convaincre de voir dans l’entreprise d’insertion une partenaire et non une concurrente.

Si la professionnalisation est assurée par les dispositifs que vous avez évoqués, les activités sont quant à elles proposées par les collectivités territoriales. Il convient d’anticiper ces offres. Les collectivités territoriales savent si des entreprises vont venir s’installer sur leur territoire et quels seront les prochains développements urbains. Il faut pouvoir préparer les publics engagés dans les structures d’insertion, afin qu’ils soient à même de répondre immédiatement aux offres de travail.

Vous avez raison de demander un financement plus important, mais chacun connaît les contraintes actuelles. J’ai entendu dire qu’il y avait davantage de fongibilité, mais ce n’est guère visible sur le terrain – qu’il s’agisse de la fongibilité entre les différents dispositifs ou entre les régions. Il serait pourtant bien utile de redéployer les crédits non consommés ! Toutefois, j’ai cru comprendre qu’une amélioration était en vue.

Je souhaiterais avoir votre avis sur une expérimentation conduite dans mon département : le conseil général a décidé de verser l’équivalent de la moitié du revenu de solidarité active (RSA) aux entreprises d’insertion qui accueillent des personnes pouvant y prétendre. Cela représente une économie pour la collectivité, qui n’a pas à verser un RSA complet, ainsi que pour l’entreprise d’insertion, qui dispose de moyens supplémentaires et s’intègre ainsi dans un dispositif connu.

J’insisterai moi aussi, pour conclure, sur la nécessité d’une approche globale, et non centrée sur le seul retour à l’emploi.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je me félicite que l’année s’achève par une table ronde sur un sujet qui nous préoccupe tous, compte tenu du nombre important de personnes actuellement à la recherche d’un emploi. Il est dommage d’ailleurs qu’on n’ait pu répondre favorablement à la demande de création d’une mission d’information, car nous sommes souvent interrogés sur l’insertion par l’activité économique, et nous avons parfois bien des difficultés à nous retrouver dans le dispositif actuel.

L’insertion par l’activité économique s’est construite au fil des années ; les dispositifs se sont empilés, et les divers contrats n’ont pas toujours été conçus en adéquation avec les besoins réels des gens. Nous partageons donc votre souhait de plus de cohérence.

Les chantiers d’insertion, l’accompagnement social, les entreprises d’insertion sont autant d’étapes dans le parcours des personnes très éloignées de l’emploi. Sur le terrain, nous voyons bien que tout cela manque de cohérence. Serait-il possible, et profitable, de regrouper toutes ces étapes dans une seule approche ou un seul dispositif ? Ainsi la précarité reste extrêmement forte dans les chantiers ou les agences d’intérim d’insertion, qui relèvent d’approches à court terme, alors que l’entreprise d’insertion intervient sur une durée plus longue.

La place des personnes en situation de handicap est en outre difficile à assigner ; on ne saisit pas toujours très bien les différences et les complémentarités entre les entreprises adaptées, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et vos propres structures. Peut-être faudrait-il approfondir la réflexion, car il y a une forte proportion de chômeurs parmi les travailleurs handicapés.

Vos structures ont un rôle important à jouer dans le domaine de l’accompagnement social, en particulier en matière de formation, de santé et de logement ; la question de l’accès à l’emploi ne se pose qu’ensuite, au terme d’un parcours bien souvent compliqué. Ne faudrait-il pas se doter d’un fonds unique, qui répondrait à une autre conception de l’accompagnement et de l’accès à l’emploi ?

Mme Martine Billard. Les interventions des uns et des autres montrent que nous avançons bien lentement sur cette question de l’insertion, car cela fait des années que nous disons qu’on ne peut la résumer à l’insertion dans l’emploi. En effet, les difficultés économiques ont sur le logement et sur la santé des personnes concernées des conséquences qu’il faut également traiter.

Il est étonnant qu’en période de crise, alors que les personnes exclues de l’emploi sont de plus en plus nombreuses, vous soyez confrontés à une réduction de vos moyens. En effet, si l’on vous invite à travailler à budgets constants, ceux-ci sont en réalité en baisse si l’on tient compte de l’inflation. Et la réduction de la durée des contrats aidés empêche tout simplement les personnes dont vous vous occupez de reprendre pied – je ne dis pas de « se réinsérer » car beaucoup se retrouvent sans emploi sans pour autant être « désinsérées » de la société.

La question du financement est préoccupante. L’ouverture de l’insertion à l’intérim induit forcément l’intervention de financements privés et si l’on joint à cela la réduction de la durée des contrats aidés et le privilège donné à l’accès à l’emploi, le risque est grand d’en venir à une insertion à deux vitesses, au bénéfice de ceux qui sont immédiatement employables et au détriment des plus fragiles.

Je suis surprise que personne n’ait mentionné les régies de quartier, dont l’intérêt est de fournir un emploi à ceux qui en ont besoin en même temps que des services à la population. La régie de quartier Paris Centre, que je connais bien, permet à un public en insertion d’effectuer, chez des personnes âgées par exemple, de petits travaux pour lesquels les entrepreneurs ne se déplacent pas.

M. le président Pierre Méhaignerie. Existe-t-il dans chaque département un interlocuteur identifiable qui maîtrise l’immense complexité du domaine de l’insertion par l’activité économique ?

Selon vous, les expériences positives telles que celle qui a été menée en Côte-d’Or sur le RSA pourraient-elles être contagieuses ? Enfin, existe-t-il dans d’autres pays des expériences qui mériteraient d’être valorisées ?

M. Laurent Laïk, président du CNEI. Le point sur lequel les progrès ont été les plus nets au cours des cinq dernières années, ce sont sans doute nos relations avec les entreprises et avec les collectivités. S’agissant de ces dernières, le recours croissant à la clause d’insertion a créé un véritable « appel d’air » : dans la plupart des marchés publics, la part de la commande publique réservée aux personnes en difficulté d’emploi tourne autour de 5 %. Pour ce qui est des entreprises, la notion de « responsabilité sociale des entreprises » prend de plus en plus de consistance, aussi bien dans les PME que dans les grands groupes – où d’ailleurs elle n’est plus gérée comme autrefois par le service de la communication, mais par celui des ressources humaines. Nos réseaux sont de plus en plus sollicités pour établir des partenariats commerciaux ou des actionnariats. Malheureusement, faute de postes, nous ne sommes pas toujours en mesure de répondre à cette demande.

Le secteur de l’insertion est désormais sorti de sa confidentialité et s’est donc rapproché à la fois des collectivités et des entreprises, désormais soucieuses de produire biens ou services avec du personnel local et de ne pas laisser la gestion de l’exclusion au seul secteur social.

Certains départements attribuent une part du RSA à une entreprise, à un chantier d’insertion ou à une association intermédiaire, afin de faire rentrer les exclus dans le droit commun. Cette expérience pourrait être étendue à l’ensemble des départements. Plus généralement, la gouvernance que nous souhaitons devrait permettre à l’État et aux collectivités de s’inspirer systématiquement de telles expériences gagnant-gagnant.

Enfin, nous assistons aujourd’hui en Europe, à travers le social business, au développement de la finance solidaire. La France pourrait également s’en inspirer pour rénover le financement de l’insertion, ne serait-ce qu’au niveau de territoires restreints.

M. Pascal Duprez, administrateur de la FNARS. L’expérience de la Côte-d’Or est intéressante, monsieur Delatte, à condition toutefois de ne pas oublier que les publics qui se trouvent dans nos structures ne sont pas forcément tous bénéficiaires du RSA et de ne pas se contenter de contrats de sept heures par semaine, qui ne permettent pas d’acquérir une qualification ou, pour les personnes les plus en difficulté, de se restructurer.

Nous reconnaissons la complexité des dispositifs et nous avons le souci d’y remédier, y compris à l’intérieur de nos réseaux. Cela implique de réfléchir au modèle économique que nous voulons et à la manière dont il convient de le financer. Notre mission est de répondre aux besoins des publics, chaque individu devant être considéré en fonction de son éloignement de l’emploi. On a reproché à la politique du logement de procéder marche par marche, « en escalier » : il ne faudrait pas appliquer la même logique à l’emploi, car certains peuvent très rapidement reprendre un travail dans le secteur marchand tandis que d’autres en sont fort loin.

Les réseaux apportent certes des réponses, mais insuffisamment durables. Qu’arrive-t-il à celui qui sort d’un contrat aidé de six ou sept mois ? Il retourne au chômage, au risque d’être à nouveau déstructuré, et sa famille avec lui. Le travail d’insertion doit impérativement être de plus longue haleine.

C’est vrai, monsieur le président, nous n’avons pas d’interlocuteur identifiable. Nos interlocuteurs sont trop nombreux et nous demandent des documents, des justificatifs et des évaluations reposant pour chacun sur des critères différents. Au lieu de se consacrer à leur public et à la recherche de marchés, nos structures s’épuisent à rechercher les financements dont elles ont besoin. La bonne pratique consisterait à réunir dans chaque territoire une conférence de financeurs, pilotée par l’État. Actuellement, les conseils régionaux, les conseils généraux, Pôle emploi, mais aussi les partenaires sociaux, pourtant impliqués dans la gestion du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et des OPCA, désertent trop souvent les comités départementaux de l’insertion par l’activité économique. Ce que nous attendons, c’est un interlocuteur unique sous la forme d’une agence territoriale.

Mme Gabrielle Hoppé, sous-directrice à la DGEFP. Pour l’État, c’est au préfet et à ses services qu’il appartient d’identifier les besoins. Les régions dans lesquelles les relations entre le conseil régional et les conseils généraux sont bonnes organisent des conférences de financeurs mais, dans d’autres, l’État a du mal à susciter la même collaboration. Nous, au ministère, ne demandons qu’à travailler avec l’ensemble des partenaires. Quant à Pôle emploi, après l’épreuve de la fusion, son nouveau directeur général aura pour consigne de déconcentrer et de laisser plus d’autonomie aux agences pour travailler au plus près du terrain.

Les contrats aidés sont certes de courte durée, mais renouvelables. Ce renouvellement est même souhaitable, particulièrement pour les publics les plus en difficulté, et nous le spécifions. Des expérimentations ont d’ailleurs été menées sur des durées plus longues, allant jusqu’à cinq ans, mais nous tenons à ce qu’elles soient évaluées avant d’être généralisées, compte tenu de nos contraintes financières. La durée d’un contrat aidé n’est donc pas préétablie dès lors qu’il porte des fruits. Nous évaluons chaque situation et prenons nos décisions au cas par cas.

M. Luis Semedo, délégué général du réseau CHANTIER école. Pour avoir dirigé différents types de structures d’insertion, je peux affirmer que le dispositif unique est une fausse bonne idée. Chaque structure a, en effet, son approche propre concernant la manière de remettre les personnes au travail. Mieux vaut privilégier la recherche de la complémentarité, la coopération et la mutualisation au sein d’un territoire donné, de manière à fluidifier les parcours, chaque personne trouvant l’outil qui lui conviendra le mieux compte tenu de la distance qui la sépare de l’emploi ou de la qualification. Cette collaboration dans la diversité permettra, en outre, de toucher un public plus large alors qu’avec un dispositif unique, on court le risque de se concentrer sur une seule catégorie de personnes en laissant de côté celles qui ne correspondent pas au modèle.

M. Alexandre Bonjour, secrétaire général de la Fédération COORACE. Nous en sommes persuadés, nous ne pourrons changer d’échelle et atteindre la taille critique qu’en changeant notre conception de l’animation des territoires. Il nous faut pour cela agir sur trois leviers essentiels.

Tout d’abord, il faut partager et appliquer les mêmes principes d’action, donner aux territoires une vision stratégique et prospective, favoriser l’élaboration en commun des politiques, mener des actions transversales, supprimer les cloisonnements entre publics et assurer à nos salariés les plus fragiles une représentation et une promotion.

Ensuite, nous devons être capables d’innover pour ce qui est de l’organisation. La Fédération COORACE développe ainsi depuis 2008 les groupes économiques solidaires : des entreprises regroupant plusieurs structures ou activités liées par leur contribution à la création d’activités économiques. Ces groupes se caractérisent par trois éléments principaux : une offre de services coordonnée et une stratégie globale de développement, une gouvernance unique et simplifiée, et une logique de mutualisation.

Enfin, après de nombreuses expériences locales et la tenue des états généraux de l’économie sociale et solidaire, nous expérimentons les pôles territoriaux de coopération économique qui regroupent sur un territoire donné des entreprises, des acteurs de l’économie sociale et solidaire et de l’insertion par l’activité économique et des collectivités locales. Les Ces pôles se caractérisent par la recherche d’un développement local et solidaire, par la valorisation de la diversité des ressources locales, par un ancrage territorial des activités économiques, par un investissement commun dans l’innovation sociale, par une diversité sectorielle et enfin par l’intégration d’acteurs, de collectivités et d’institutions de toute taille et de toute échelle. Ces schémas de maillage, de mutualisation et d’organisation devraient nous permettre ensemble de changer d’échelle.

M. le président Pierre Méhaignerie. Existe-t-il des territoires répondant à ces critères : vision stratégique, coopération et action transversale ?

M. Laurent Laïk, président du CNEI. Beaucoup de territoires ont adopté de bonnes pratiques. Il appartient à l’État de généraliser les coopérations et les exemples de développement économique et social qui ont donné de bons résultats et dont les acteurs sont satisfaits. Nous devons mener une action différenciée, car il y a dans notre pays des secteurs d’activité et des territoires qui, plus que d’autres, ont besoin d’être soutenus. Il faut organiser des appels à projets locaux. C’est la gouvernance rénovée que nous appelons de nos vœux mais que nous n’avons définie que partiellement, faute de lieux pour en débattre.

Dans le domaine de l’insertion, une partie du budget voté n’est pas consommée cependant que certains territoires manquent de postes pour développer leurs projets. Plus de fluidité dans l’utilisation de ces fonds nous ferait gagner en efficacité.

M. Alexandre Bonjour, secrétaire général de la Fédération COORACE. À Romans, dans la Drôme, le succès du projet Pôle Sud de la Fédération COORACE illustre à quel point le modèle alternatif et pluriel du pôle territorial de coopération économique peut être facteur de création d’activités et de relocalisation – au bénéfice, en l’espèce, de l’industrie de la chaussure et de la sous-traitance automobile.

M. Christophe Sirugue. Comme Martine Billard, je suis navré que nous en soyons toujours, après tant de temps, à déplorer les mêmes difficultés. Contrairement à ce qu’on pourrait penser en effet, elles ne sont pas liées à la conjoncture économique. Le problème est structurel : il y aura toujours nécessité d’accompagner des personnes qui, pour une raison ou une autre, se trouvent à un moment donné éloignées de l’emploi.

Madame Hoppé, le financement reste ce qu’il était il y a des années de cela : chaotique, complexe, injuste et limité à l’année alors même que le sujet nécessite stabilité et continuité. Tant que nous n’aurons pas conforté les structures d’insertion et consolidé des dispositifs – aides au poste, contrats aidés – soumis à d’incessants changements, nous ne pourrons mener des politiques d’insertion efficaces. Sans pluriannualité, il ne peut y avoir de véritables parcours d’insertion. Ceux-ci sont impossibles avec des contrats de six ou sept mois.

Il faut aussi organiser la complémentarité entre les ressources qu’offrent les différentes structures d’insertion et celles que peuvent procurer les collectivités territoriales, au travers des clauses sociales notamment : tous ces outils peuvent être utiles à des stades divers du parcours d’insertion.

Je suis également navré que nous soyons encore obligés d’insister en faveur d’une approche globale. Demander aux structures d’insertion de n’agir que sur l’emploi, alors même que leurs publics rencontrent des problèmes bien plus variés, c’est les condamner à l’inefficacité. De ce point de vue, il me paraît indispensable de clarifier le rôle des collectivités territoriales. Nous avions imaginé que les départements seraient les instigateurs des politiques d’insertion, mais l’institution du revenu de solidarité active ne semble guère avoir amené de progrès en ce sens : départements et régions ont les uns et les autres leurs politiques et il n’y a toujours pas de pilote.

Lorsque j’étais président du conseil général, j’ai présidé le conseil départemental d’insertion par l’activité économique. Pardonnez-moi, mais cette grand-messe ne sert à rien, si ce n’est à nous faire perdre notre temps. Il faut inventer des lieux où nous pourrions travailler ensemble au quotidien et non des lieux qui servent à montrer aux autres à quel point nous avons bien travaillé. J’espère que notre débat nous permettra d’avancer dans cette voie.

M. Bernard Perrut. Je rends hommage à l’action de toutes les structures qui œuvrent sur notre territoire pour l’insertion par l’activité économique. Les élus, qu’ils soient nationaux ou locaux, en mesurent toute l’importance en même temps que la difficulté. Toutefois, nous n’en percevons pas aussi clairement les effets. Quel est le bilan, au niveau national et au niveau des territoires, de tout ce travail ? Combien d’insertions réussies et combien de créations d’emplois pérennes ?

Comment, cependant, mesurer la performance de toutes ces structures – associations intermédiaires, entreprises d’insertion, chantiers d’insertion, entreprises de travail temporaire d’insertion – qui devraient avoir une obligation de résultats : faire en sorte que la majorité des personnes prises en charge bénéficient d’une insertion durable ?

Nous parlons beaucoup d’insertion par l’économie, mais nous n’avons pas parlé d’économie. Or, pour qu’il y ait insertion, il faut de l’emploi et de l’activité. Quels sont les liens entre les structures d’insertion et les milieux économiques – chambres de commerce et d’industrie, chambres des métiers, entreprises –, sans oublier les collectivités locales ?

Ces dernières doivent, en effet, se mobiliser pour le retour à l’emploi. Ma commune insère ainsi depuis plusieurs années des clauses sociales dans les marchés qu’elle passe, en sorte que les entreprises d’insertion assurent durablement l’entretien des espaces verts ou diverses collectes. Combien de communes, de départements et de régions ont mis ces clauses en œuvre ? La pratique a-t-elle fait l’objet d’une analyse au niveau national ? Conviendrait-il de sensibiliser les élus à cette possibilité, étant entendu que le recours à ces clauses ne doit pas aller jusqu’à mettre en péril des entreprises classiques présentes sur leur territoire ?

Puisqu’on déplore le manque de coordination au niveau local, pourquoi ne pas confier cette tâche aux sous-préfets, qui ont déjà reçu du ministre de l’emploi mission de coordonner l’action du service public de l’emploi local ? D’ailleurs, certains d’entre eux se sont déjà engagés dans cette voie.

Enfin, l’un d’entre vous a évoqué le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS). En tant que président du Conseil national des missions locales, j’aimerais savoir en quoi ce dispositif est, selon lui, mal ciblé.

M. Michel Liebgott. J’ai entendu des propos contradictoires : la représentante du ministère invoque les contraintes financières, un autre intervenant nous dit que tous les crédits ne sont pas utilisés… Quoi qu’il en soit, nous faisons tous le même constat : le marché du travail n’étant pas extensible, il doit être partagé et, pour cela, il faut définir des priorités. D’où la question : l’insertion par l’activité économique est-elle une priorité ? La réponse a été donnée par Christophe Sirugue notamment : l’annualité budgétaire impose des contraintes qui empêchent de donner aux actions d’insertion l’ampleur nécessaire. Quant aux clauses sociales, elles mettent souvent en concurrence les associations d’insertion entre elles.

Il est indispensable d’allonger la durée des contrats aidés. On ne peut faire de l’insertion en six mois, même renouvelables une fois. Une action d’insertion doit durer au minimum un an, c’est aussi une question de dignité pour les personnes accueillies.

Cela dit, certains dispositifs fonctionnent très bien. C’est le cas des régies de quartier, qui associent des financements très divers et rendent de bien meilleurs services que ne feraient des entreprises ou des bénévoles. Au surplus, quand on confie l’entretien des quartiers à ses habitants, on s’aperçoit que les équipements sont beaucoup mieux respectés, notamment par les jeunes.

Les chantiers d’insertion sont aussi un dispositif remarquable : ils permettent de remettre au travail des personnes qu’aucune autre structure n’aurait acceptées.

Mais le vrai débat est politique et il porte, comme je l’ai dit, sur le partage du travail. Avec mes collègues du groupe socialiste, nous avons à plusieurs reprises demandé qu’on révise les objectifs et les priorités en matière d’emploi et, en particulier, qu’on réduise les crédits affectés aux micro-entreprises qui prennent du travail aux autres entreprises, y compris aux structures d’insertion par l’activité économique. Un fonctionnaire de ma commune, également sapeur-pompier, en a créé une : grâce à quelques prête-noms, il a ainsi trois activités, donc trois rémunérations. Ce n’est pas acceptable même si chacune d’elles n’est pas mirobolante. Il faut revoir ces législations, catastrophiques en période de crise car elles incitent nos compatriotes à multiplier les petits boulots. Ne suivons pas l’exemple de pays libéraux comme l’Angleterre en particulier, inspirons-nous plutôt à cet égard de l’Allemagne, où le fonctionnement des PME n’est pas perturbé par ces micro-entreprises ! Mais on peut faire le même procès à l’exonération des heures supplémentaires : bénéficiant à ceux qui ont déjà un emploi, elles contribuent à priver les autres de travail.

La législation de notre pays nous empêche de faire de l’insertion une priorité et de lui donner les moyens de fonctionner efficacement, ce qui explique les difficultés rencontrées par vos structures. Le fait que les aides au poste n’aient pas augmenté depuis dix ans est symptomatique à cet égard : l’insertion n’est qu’une variable d’ajustement qui permet d’assurer une certaine paix sociale.

Autrefois, les usines sidérurgiques, par exemple, employaient des portiers. Aujourd’hui, les entreprises recourent à des sociétés extérieures. Pourquoi ne pas remettre au goût du jour ces professions en les ouvrant aux entreprises d’insertion par l’activité économique ?

M. Michel Issindou. Vous représentez un secteur foisonnant et essentiel, qui a pour mission de rapprocher de l’emploi durable ceux qui en sont très éloignés, mais qui a trois soucis principaux qu’on peut résumer en trois mots : gouvernance, financement et territorialisation.

S’agissant de la gouvernance, nous avons du mal à comprendre qui fait quoi pour les personnes en difficulté. Le futur directeur de Pôle emploi s’est engagé devant nous à ce que ses services leur consacrent davantage de temps ; les maisons de l’emploi et les missions locales sont présentes partout et il y a les structures d’insertion. Mais l’organisation de tout cela demeure floue et l’on se demande même parfois si vous travaillez bien tous dans la même direction.

Pour financer les 500 000 personnes éloignées de l’emploi, nous avons voté il y a quelques mois la proposition de loi de Gérard Cherpion. La Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle organisera une journée sur la formation professionnelle en janvier, nous dit-on : il est temps ! J’espère qu’au moins quelques-unes de ces personnes éloignées de l’emploi ont déjà ressenti les effets de ce texte.

Avec un budget en baisse de 12 % et des structures éprouvées par ces restrictions, l’emploi est-il encore une priorité de l’État ? Nous, élus, sommes sans cesse sollicités par les maisons pour l’emploi et les missions locales qui n’arrivent pas à établir des budgets au-delà d’une année.

Selon vous, monsieur Bonjour, chaque Français peut trouver un emploi dans notre pays. Permettez-moi d’en douter. Votre enthousiasme vous honore, mais force est de constater que, depuis près de trente ans, le nombre des chômeurs n’a jamais été inférieur à deux millions et ceux dont vous vous occupez sont particulièrement éloignés de l’emploi. Sans croissance, nous ne parviendrons pas à les y ramener, mais nous le pourrons d’autant moins qu’on réduit vos moyens !

Nous vous devons toutefois quelques réussites. Je citerai l’hôtel d’activités pour l’économie sociale et solidaire qui a été créé dans ma circonscription, ou encore les clauses d’insertion sur les grands chantiers. Mais il reste tellement à faire, et avec si peu de moyens...

M. Étienne Pinte. Il y a quelques semaines, le Secours catholique a publié son rapport annuel démontrant que les jeunes sont de plus en plus nombreux à tomber dans la pauvreté, parce qu’ils ne trouvent pas à s’employer quelles que soient leur qualification et leur formation professionnelle. Dans son avis sur le 3e rapport du Gouvernement relatif à l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, que je préside, s’est lui aussi inquiété des difficultés que rencontrent beaucoup de jeunes et qui obligent les associations de lutte contre la pauvreté à se mobiliser en faveur de ce nouveau public. Que proposent les entreprises d’insertion pour faciliter l’accès de ces jeunes à l’emploi ?

M. Christian Hutin. Avez-vous comme moi le sentiment que les modalités d’attribution du RSA ont entraîné une rupture entre les structures d’insertion et une partie du public qu’elles ont vocation à aider ?

Vous avez un certain nombre de détracteurs – en dehors de cette Commission bien sûr. Si vous aviez à défendre votre bilan, sur quelles réussites insisteriez-vous, étant entendu que la restauration de la dignité et la resocialisation ne peuvent être retracées par des statistiques ?

Vos relations avec le secteur marchand concurrentiel sont étonnamment bonnes dans ma circonscription, où je vois des chefs d’entreprise devenir administrateurs très actifs de structures d’insertion. Est-ce le cas partout en France ?

Mme Monique Iborra. Dans quelle proportion vos structures relèvent-elles de l’économie sociale et solidaire ? Y a-t-il eu une évolution à cet égard au cours des dernières années ?

N’avez-vous pas l’impression de participer à des activités de sous-traitance qui ne débouchent pas sur de vrais emplois ?

Mme Anny Poursinoff. Les entreprises demandent à leurs salariés d’être de plus en plus performants et adaptables et rejettent ceux qui ne s’adaptent pas. Ces derniers se retrouvent alors dans vos structures qui s’efforcent de les réintégrer dans les entreprises. N’est-ce pas le tonneau des Danaïdes ? La « responsabilité sociale des entreprises » ne devrait-elle pas se concrétiser en amont, en évitant d’exclure pour avoir ensuite à réintégrer ?

Mme Véronique Besse. Quelle est votre position sur l’insertion des gens du voyage ?

M. Guy Malherbe. Je voudrais témoigner de quelques réussites. Ma commune a recruté des personnes en parcours d’insertion, recrutements qui ont débouché sur des emplois à temps complet. Je veux donc attester que l’insertion par l’activité économique fonctionne.

Dans le département de l’Essonne, les communes ont signé des conventions avec le conseil général afin que les personnes qui perçoivent le RSA puissent remplir leur dossier en mairie.

M. le président Pierre Méhaignerie. Vos interventions montrent que des voies existent pour des progrès concrets, qu’il s’agisse de la gouvernance ou du financement, ce dernier devant sans aucun doute être organisé dans un cadre pluriannuel et au prix d’un redéploiement des crédits budgétaires – car la formation professionnelle dispose de moyens, qu’il n’est pas question d’augmenter dans la période actuelle mais qui pourraient être mieux utilisés. Des améliorations s’imposent également dans l’application de la clause sociale et dans la valorisation des bonnes pratiques.

C’est la raison pour laquelle, mesdames et messieurs, je souhaite que vous nous adressiez, à la suite de cette table ronde, une note de synthèse. Je demanderai au ministre du travail de venir devant cette Commission au début du mois de février prochain pour examiner avec nous les adaptations ou les changements nécessaires et nous transmettrons ces propositions à la Cour des comptes, qui se saisira de ce dossier au cours de l’année 2012.

M. Pascal Duprez, administrateur de la FNARS. S’agissant de nos relations avec les entreprises, certaines, heureusement minoritaires, nous voient encore comme des concurrents du fait que nous sommes subventionnés. Cependant, la plupart ont compris qu’il s’agit là d’un mauvais procès. La difficulté à laquelle nous nous heurtons est bien plutôt celle de l’interconnaissance : les personnes que nous prenons en charge n’imaginent pas pouvoir tenir un emploi industriel et le secteur industriel ne pense pas pouvoir les embaucher. Or nous ne disposons d’aucun financement pour mieux faire connaître nos publics dans les entreprises, de manière à ce qu’elles mesurent la difficulté d’une insertion durable pour quelqu’un qui, à un moment de son existence, a été « cassé », et adaptent leurs comportements en conséquence. De notre côté, nous, entreprises d’insertion, devons acquérir la culture de ce secteur marchand.

Pour ce qui est des marchés publics, les appels d’offres ne correspondent pas toujours aux moyens des entreprises d’insertion – comment, par exemple, soumissionner pour l’aménagement d’un rond-point quand il y faut une goudronneuse que nous n’avons pas ? Il faut donc convaincre les collectivités locales de recourir à l’allotissement. De plus, il arrive que certaines souhaitent que nous acceptions de réaliser des travaux, auparavant exécutés par un employé communal, à un prix inférieur au juste prix. Il faut donc insister sur la valeur économique de nos actions, trop souvent regardée comme secondaire. Savez-vous que nous ne connaissons même pas le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des structures d’insertion par l’activité économique ? Alors que chacune fournit son chiffre d’affaires annuel et qu’il serait donc facile de faire le total, nous ne connaissons pas le montant de ce que nous produisons parce que personne ne veut le calculer, si bien que l’insertion par l’activité économique est perçue uniquement comme un coût, non comme un investissement.

Mme Soline Gravouil, directrice de l’association Ovalie. En effet, on oublie trop et que nous sommes avant tout des entreprises, et que nous faisons faire des économies à la collectivité chaque fois que nous accompagnons une personne, que nous la réinsérons dans l’emploi durable ou que nous résolvons ses problèmes de logement.

Notre action doit être évaluée à l’aune de sa rentabilité sociale pour les territoires, car loin de coûter à ceux-ci, nous leur apportons de l’activité. La richesse de nos structures, qu’il s’agisse de l’insertion par l’activité économique ou du social business, repose sur le fait que nous sommes concentrés sur la finalité sociale de nos entreprises qui, n’étant pas délocalisables, ne cessent de chercher des solutions pour ceux qu’elles ont sous leur responsabilité. Cela nous permet d’être des vecteurs d’innovation technologique dans de nombreux secteurs, comme celui des espaces verts, et donc, aussi, des vecteurs de croissance économique ou sociale. Les élus que vous êtes doivent porter ce message dans les territoires.

Chaque fois que j’ai créé une entreprise, on m’a posé deux questions : quel est votre capital social, et quel est votre objet social ? Mais, en fait, le sens du mot « social » a été oublié. Or nous servons deux finalités à la fois : économique et sociale. Dans le cadre du travail que vous lancez, il conviendra de poser la question de la richesse que nos entreprises apportent aux territoires, richesse qui n’est pas mesurée aujourd'hui.

M. Emmanuel Stephant, vice-président du réseau CHANTIER école. Vous vous êtes demandé si nous ne pouvions pas travailler en amont, pour éviter l’exclusion, ou davantage en relation avec les entreprises dites « classiques », dans le cadre d’un partenariat quotidien. À moi de vous retourner la question : le secteur que nous représentons ne pourrait-il exister plus fortement ? Si l’insertion par l’activité économique est une priorité, il faut l’affirmer ; sinon, il vaut mieux l’oublier.

Nous sommes convaincus que nous pouvons faire plus et mieux grâce à des améliorations qui ne coûteraient pas nécessairement plus cher.

Je ne suis pas salarié d’une structure d’insertion : je suis un bénévole qui travaille par ailleurs. C’est à ce dernier titre que je siège dans des structures telles que le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle ou le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles : ces commissions ont pour but de développer, au niveau régional, des partenariats entre les syndicats de salariés, les organisations professionnelles, les conseils régionaux et les conseils généraux. Or les structures d’insertion n’y siègent pas : ne devraient-elles pas figurer dans toutes les structures dédiées à la formation ou à l’accès et au retour à l’emploi ? Des compétences existent, des personnes s’investissent – vous connaissez dans vos circonscriptions les associations et les entreprises qui s’occupent d’insertion. Dès lors, l’insertion par l’activité économique ne devrait-elle pas être reconnue comme une politique à part entière ? Ne convient-il pas de faciliter son exercice au quotidien pour lui permettre d’être plus efficace ? Répondre par l’affirmative ne suffit pas. Encore faut-il lui donner effectivement la place qu’elle mérite pour débattre, s’affirmer et créer, sur le terrain, les interactions pertinentes.

M. Laurent Laïk, président du CNEI. Nous ne sommes pas aujourd'hui suffisamment organisés pour répondre, par exemple, à la demande d’une grande entreprise du bâtiment qui, ayant un million d’heures de clauses d’insertion à réaliser en France, visera un public jeune tout en insistant sur la qualité du travail à réaliser – elle souhaitera obtenir de nous les éléments lui permettant d’évaluer les prestations que nous sommes susceptibles de lui fournir.

Pour nous rapprocher des entreprises, qui connaissent elles aussi des problèmes de recrutement, nous pouvons cibler le public « jeune ». Il faut également que les différents acteurs de l’économie sociale et de l’insertion par l’activité économique coopèrent davantage encore entre eux tout en implantant leurs structures dans les quartiers en difficulté, qu’ils ont eu trop tendance, ces dernières années, à négliger pour se rapprocher de leurs clients. Installer une agence de travail temporaire d’insertion dans un quartier en difficulté permet de recréer du lien social. De plus, nous savons nous adresser à ce public. La jeunesse est une de nos préoccupations majeures, d’autant que, dans certaines cités, le taux de chômage dépasse 50 % dans cette population en âge de travailler.

On évalue toujours les entreprises d’insertion comme un dispositif d’accompagnement – dans le budget de l’État, la ligne concernée est située entre celle de la mission locale et celle de la maison de l’emploi –, oubliant qu’elles sont également un outil de création de richesses comme n’importe quelles autres entreprises. Leur chiffre d’affaires a progressé, en 2010, de 11 % et la masse salariale qu’elles versent a crû exactement dans la même proportion : notre développement bénéficie donc en totalité à l’emploi. Toutefois, dans cette masse, la part des salaires d’insertion a stagné : ce sont des emplois classiques que nous avons créés, parce que nous n’avons pas suffisamment de postes d’insertion pour développer notre fonction sociale.

Il convient d’évaluer notre secteur et ses différents outils non seulement du point de vue de la commande publique à laquelle nous répondons, mais également du point de vue purement économique, lequel est aussi important pour le développement des parcours que l’accompagnement social et professionnel que nous réalisons. Il faut passer de l’évaluation exclusivement fondée sur le taux de retour à l’emploi à une évaluation prenant aussi concrètement en compte la professionnalisation, la qualification et la contribution à la régulation sociale dans les territoires. Cela représenterait un changement d’échelle en termes de volume et un changement d’appréciation de nos dispositifs en termes qualitatifs – il est normal de justifier l’utilisation de l’argent public –, tout en nous permettant de dégager les conditions optimales de coordination de nos activités. Pris isolément, chacun de nos dispositifs présente de l’intérêt, mais leur maillage permettrait de doubler leur efficacité. Du reste, aujourd'hui, des entrepreneurs sociaux de plus en plus nombreux disposent de plusieurs outils d’insertion : j’ai une entreprise d’insertion, une entreprise de travail temporaire d’insertion et un chantier d’insertion. Je suis adhérent de toutes les fédérations correspondantes, pour coordonner les actions que je mène et donner au public que je vise de meilleures chances de quitter rapidement et, si possible, définitivement l’exclusion.

L’image que nous souhaitons vous donner est celle de la solidarité et de la coordination, ce qui est assez nouveau dans notre secteur. Les fédérations sont prêtes à faire l’objet d’une meilleure évaluation et leurs présidents à aller sur le terrain régler les éventuels problèmes de concurrence entre associations. L’insertion par l’activité économique doit être vue, non comme une simple somme de coûts, mais comme une dépense d’investissement, en prenant en outre en compte toutes les taxes que nous payons, car nous sommes assujettis à la réglementation sociale et fiscale.

Mme Sophie Alary, chef de service à la FNARS. L’accompagnement des bénéficiaires du RSA fonctionne mal car, comme nos travailleurs sociaux le soulignent, il est difficile d’identifier dans les territoires le référent de premier plan. Les personnes sont ballottées du conseil général à Pôle emploi en passant par la caisse d’allocations familiales ou d’autres structures encore. L’action sociale sur les territoires est dépourvue aujourd'hui de toute coordination efficace.

En outre, ces bénéficiaires sont orientés en priorité vers les politiques d’insertion, si bien que les jeunes, très rares parmi eux, sont privés de cette ressource. Nous travaillons insuffisamment avec les missions locales, avec les centres communaux d’action sociale et avec la prévention spécialisée parce que nous perdons du temps en démarches administratives. Or les 2 000 centres d’hébergement que fédère la FNARS accueillent 25 % de jeunes, confrontés directement à des problèmes d’emploi, de santé et de logement.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie, mesdames et messieurs.

(M. Bernard Perrut, vice-président, remplace
le président Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance)

La Commission des affaires sociales examine ensuite, en vue de la lecture définitive, sur le rapport de M. Arnaud Robinet, le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (n° 4072).

M. Bernard Perrut, président. En application de l’alinéa 4 de l’article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, l’ordre du jour appelle l’examen par notre commission, en vue de la lecture définitive, du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Je tiens à cette occasion à remercier le rapporteur pour son travail, et ceux, parmi nos collègues, qui se sont particulièrement impliqués.

Je rappelle qu’à ce stade de la procédure, en raison de l’échec de la commission mixte paritaire et du rejet du texte en nouvelle lecture par le Sénat, l’Assemblée nationale ne peut se prononcer que sur le dernier texte adopté par elle en nouvelle lecture le 23 novembre, sans possibilité de l’amender.

M. Arnaud Robinet, rapporteur. En adoptant hier une question préalable, le Sénat a rejeté ce projet de loi, ce que je regrette. Le texte n’a pourtant qu’un seul objectif : améliorer la sécurité sanitaire des médicaments. Les clivages politiques entre la droite et la gauche auraient donc pu être dépassés.

Je rappelle que, pour que le doute bénéficie au patient – un des leitmotivs de nos discussions – les missions de la nouvelle agence du médicament ont été renforcées par rapport à l’Agence française de sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé, tandis que des mesures garantissant la transparence des liens d’intérêt, pour éviter tout conflit d’intérêts, ont été adoptées.

Je déplore que nous n’ayons pas pu établir un dialogue constructif avec nos collègues du Sénat.

M. Bernard Perrut, président. Nous devons respecter le vote du Sénat, même si nous ne le partageons pas. La lecture définitive est en tout cas une situation à laquelle nous ne sommes pas habitués.

Mme Catherine Lemorton. Comme vous connaissez déjà les points d’achoppements entre ce projet de loi et les positions du groupe SRC, inutile de recommencer le débat. Je rappelle simplement que le texte adopté par le Sénat nous convenait, étant donné que les amendements rejetés à l’Assemblée nationale y avaient été adoptés.

Je remercie également le rapporteur pour son travail, de même que ceux parmi nos collègues de la majorité qui ont travaillé de manière constructive. Après l’affaire du Mediator, qui a révélé une situation que nous dénoncions depuis plusieurs années, le projet de loi a, en effet, le mérite de poser une base de travail qui s’étend au-delà de la seule question du médicament.

Nous voterons néanmoins contre son adoption car il ne va pas assez loin sur certains points.

Plus précisément, nous restons frustrés face à la rédaction de l’article 22, faute d’avoir obtenu des réponses satisfaisantes à nos questions. Cet article prévoit la création d’un groupement d’intérêt public sur les études en santé publique. Pourquoi ce groupement d’intérêt public est-il créé, alors qu’il existe un Institut des données de santé ? L’Institut des données de santé posait-il problème ? Si c’est le cas, pourquoi ne pas avoir amélioré l’existant plutôt que de créer une structure nouvelle ? L’Institut de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) aurait pu être intégré à l’IDS, étant donné ses missions de promotion de la santé publique. Je rappelle qu’on reproche souvent à la gauche d’accumuler les structures en mille-feuilles tout comme les fonctionnaires : c’est exactement ce que la majorité fait ici.

De plus, peut-on parler de démocratie sanitaire quand les associations de patients sont exclues du GIP, alors qu’elles étaient membres de l’IVS ? Vous nous disiez pourtant à juste titre, monsieur le rapporteur, que « le doute doit bénéficier au patient ». Ce sont tout de même les patients qui sont les plus proches des médicaments, vu qu’ils les consomment !

Par ailleurs, les complémentaires santé complètent aveuglement les remboursements des médicaments sur le ticket modérateur, sans savoir ce qu’elles remboursent : cela pose problème. Aujourd’hui, la Mutualité demande à très juste titre combien le Mediator, qui a causé beaucoup de dégâts, lui a coûté au total.

Comme je n’ai pas l’habitude de prendre mes collègues en traître, je vous précise que l’intervention en séance du groupe SRC, au cours de la discussion générale, portera sur l’article 22. J’espère que nous obtiendrons alors une véritable réponse à nos interrogations. Celles qui m’ont été apportées ne me satisfont pas pour les raisons que j’ai développées. Je refuse, de plus, que la Caisse nationale d’assurance-maladie opère une OPA de sur les données de santé, même s’il s’agit d’une structure publique. Si le dispositif existant ne donnait réellement pas satisfaction, il eût mieux valu l’améliorer plutôt que de créer ce nouveau GIP.

M. Dominique Dord. Je salue le rapporteur pour son travail. Le projet de loi ne va peut-être pas assez loin sur certains points, mais il répond aux crises à répétition qui se sont succédé dernièrement, personne ne le contestera. Je salue les avancées prévues par le projet de loi, qu’il s’agisse, par exemple, des dispositions du titre Ier sur les liens d’intérêt ou encore celles du titre III.

Les Pères de notre Constitution avaient tout prévu, y compris qu’une navette puisse se conclure par la voix prépondérante de l’Assemblée nationale. La Constitution a été bien conçue – et mon point de vue n’est pas partisan – de manière à ce que l’on puisse travailler dans des conditions fluides mêmes en cas de désaccord entre les deux chambres.

Mme Anny Poursinoff. Je partage ce qui a été dit par Catherine Lemorton. Même si ce projet de loi définit une base, il devra être complété, ce qui nous laisse un sentiment de frustration.

J’avais personnellement cru que nous sortirions des débats politiciens, afin que le drame du Mediator ne se reproduise plus. Comme la question de garantir le maximum de sécurité n’a pas fait consensus, un tel drame risque de se reproduire.

Nous sommes également très frustrés du refus de la majorité d’introduire les actions de groupe. Or, nous le savons bien, des personnes isolées n’auront jamais les moyens de se défendre face aux énormes moyens des groupes pharmaceutiques.

Pour conclure, nous déplorons que la politique politicienne et l’intérêt des industriels n’aient pris le dessus sur l’intérêt des citoyens. Pour ces raisons, nous voterons contre ce texte.

M. Jean-Luc Préel. Nous voterons en faveur de ce texte, car il s’agit du texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, sans modification.

Il faut redonner confiance à nos concitoyens dans la chaîne du médicament. Le texte y concourt, même s’il ne résoudra pas tous les problèmes. Tout d’abord, la définition du lien d’intérêt et du conflit d’intérêt n’est pas claire, comme en témoigne ce qui se déroule depuis quelques jours au niveau de la commission technique de l’antibiothérapie : tous ses experts ont démissionné. Ce projet de loi posera des problèmes d’application complexes, tel le recrutement d’experts à la fois indépendants et compétents.

Étant donné le refus opposé par le ministre aux préfigurateurs proposés par le directeur de l’Afssaps, je m’interroge sur l’autorité dont dispose désormais ce directeur. Cela pose un réel problème.

Autre problème, déjà évoqué par Catherine Lemorton, la place des mutuelles. J’avais d’ailleurs déposé des amendements pour que les complémentaires deviennent des partenaires dans la chaîne du médicament. L’assurance complémentaire joue, en effet, un rôle important dans le remboursement des médicaments qui sont déremboursés ou peu remboursés. Il n’est donc pas judicieux de la laisser à l’écart.

Les relations entre la Haute Autorité de santé et la nouvelle agence seront également à améliorer à l’avenir car la situation actuelle ne me semble pas très claire.

Nous voterons néanmoins en faveur du texte, comme nous l’avons fait en nouvelle lecture, car il permet des progrès importants.

M. Jacques Domergue. Personne ici ne peut discuter du bien fondé de ce projet de loi. Néanmoins, étant donné l’écart entre la volonté du législateur et la réalité pratique du quotidien, nous allons nous heurter à d’importantes difficultés. Je souhaite revenir sur les propos de Jean-Luc Préel sur les difficultés de la Haute Autorité de santé à recruter des experts indépendants : j’ai appris ce matin par un membre de celle-ci, avec qui je voyageais, qu’elle doit recevoir entre soixante-dix et quatre-vingts personnes pour recruter un seul expert. Ces chiffres m’effraient.

Les critères que nous avons définis sont vertueux. Mais en avons-nous mesuré les conséquences ? L’application de ce texte sera, en effet, problématique.

La Commission adopte le projet de loi tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, sans modification.

La séance est levée à douze heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 14 décembre 2011 à 10 heures

Présents. – M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Martine Billard, M. Jean-Louis Borloo, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Marianne Dubois, Mme Cécile Dumoulin, M. Michel Heinrich, Mme Sandrine Hurel, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Raymond Lancelin, M. Guy Lefrand, M. Jean-Marie Le Guen, Mme Catherine Lemorton, M. Claude Leteurtre, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, M. Guy Malherbe, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, Mme Dominique Orliac, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, Mme Bérengère Poletti, Mme Anny Poursinoff, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, M. Michel Rossi, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, Mme Laurence Dumont, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Patrick Lebreton, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean Mallot, M. Roland Muzeau