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Commission des affaires sociales

Mardi 21 février 2012

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition de Mme Danièle Hoffman-Rispal et de M. Arnaud Richard, sur le rapport fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence (n° 4221)

– Présences en réunion 18

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 21 février 2012

La séance est ouverte à seize heures cinquante-cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend Mme Danièle Hoffman-Rispal et M. Arnaud Richard sur le rapport fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence (n° 4221).

M. le président Pierre Méhaignerie. Chers collègues, Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard vont présenter le rapport qu’ils ont rédigé au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence. Après la présentation du rapport de Michel Heinrich et de Régis Juanico, c’est la deuxième fois que nous entendrons les auteurs d’un rapport remis au comité dans des domaines relevant de la compétence de la Commission des affaires sociales. Il faudra poursuivre sur cette voie. Il importe en effet que notre Commission s’approprie les travaux du comité, qui présentent souvent plus d’intérêt que les multiples propositions ou même projets de loi.

Le présent rapport est le fruit d’un long travail des deux rapporteurs, qui ont en outre bénéficié du concours de la Cour des comptes, dont le « rapport d’évaluation de la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile » est annexé au rapport.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le 28 octobre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, présidé par le Président Bernard Accoyer, nous a désignés, Danièle Hoffman-Rispal et moi-même, pour être rapporteurs d’une mission d’évaluation sur l’hébergement d’urgence.

Le comité a autorisé la publication de notre rapport le 26 janvier 2012, au terme de douze mois de travail en commun. Nous sommes honorés de présenter aujourd’hui le résultat de nos travaux devant cette Commission, à l’invitation de son président Pierre Méhaignerie.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Monsieur le président, il importe en effet de faire davantage connaître les travaux du CEC. Parlementaire depuis dix ans, j’ai le sentiment que l’élaboration de ce rapport a été l’expérience la plus intéressante à laquelle il m’ait été donné de participer.

En vertu de l’article 47-2 introduit dans la Constitution en 2008, nous avons pu en effet bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes. S’agissant d’une étude conduite par le CEC, cette assistance a, conformément à la loi du 3 février 2011, pris la forme d’un rapport que le Premier président Didier Migaud a présenté devant le Comité le 15 décembre 2011.

Mais la collaboration, et c’était une première, est allée bien au-delà : nous avons en effet travaillé main dans la main avec les rapporteurs de la Cour, qui ont participé à bon nombre des auditions et déplacements que nous avons organisés. Ce fut enrichissant pour nous et sans doute aussi pour ces magistrats qui n’avaient pas l’habitude de travailler ainsi avec des politiques.

La Cour ne pouvant cependant se charger de la question de la coopération de l’État avec les collectivités territoriales, nous avons pris l’initiative d’interroger trente conseils généraux, grâce à un questionnaire établi avec le concours de l’Association des départements de France : nous avons obtenu des réponses de vingt et un d’entre eux.

Les questions étaient techniques : comment les départements envisagent-ils l’application de la disposition législative qui les implique dans la mise à l’abri des femmes enceintes ou des mères accompagnées de leurs enfants de moins de trois ans ? Quelles sont les modalités de la coopération qu’ils nouent avec l’État pour les dispositifs techniques sur lesquels celui-ci s’appuie en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes défavorisées : prévention des expulsions, veille sociale, programmation de l’offre ?

Nous avons également posé des questions de principe, la principale consistant bien entendu à demander aux conseils généraux leur opinion sur une éventuelle décentralisation de cette politique, la seule en matière d’aide sociale à ne pas leur avoir été confiée à ce stade – la réponse a été que cela leur semblait impossible dans l’immédiat.

Nous leur avons également demandé de réagir au constat selon lequel un nombre non négligeable des jeunes qu’ils ont pris en charge, durant leur minorité, au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) se retrouvent pris en charge par l’État au titre de l’hébergement d’urgence, une fois leur majorité acquise. Il s’impose certainement d’améliorer les conditions de sortie de l’aide sociale à l’enfance, de façon à éviter à ces jeunes de nouvelles situations d’échec.

Au total, nous sommes heureux d’avoir pu nous appuyer sur cet ensemble de vingt et une réponses pour fonder notre propos, qui conclut – précisons-le d’emblée – au maintien en l’état des compétences respectives de l’État et des départements, étant précisé que la coopération entre eux doit et peut progresser en intensité et en qualité.

Enfin, nous avons tenté de donner la parole, autant que faire se pouvait, aux personnes accueillies et aux praticiens.

Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons effectué plusieurs déplacements sur le terrain, dont de nombreux à Paris, mais aussi en Île-de-France, à Nantes, à Lyon et à Londres. Nous nous sommes rendus dans des centres d’hébergement, dans des maisons d’accueil, dans des structures d’accueil de jour et de nuit, dans les locaux du 115 et nous avons accompagné une maraude organisée par la Ville de Paris, un soir de tempête. Tout cela a considérablement enrichi notre approche et nous a montré aussi à quel point il était difficile, mais également nécessaire et utile, d’entrer en contact avec les personnes sans domicile et avec les plus démunis.

Enfin, nous avons rencontré M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et en charge des questions d’hébergement, lequel nous a en outre fait parvenir des observations écrites que nous avons jointes, en annexe, à notre rapport.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le sujet qui nous occupait a pour caractéristique d’être à la fois concret et très technique. Il se subdivise en quatre « compartiments », distincts mais inséparables.

En amont, il y a la veille sociale. Elle est constituée de l’ensemble des dispositifs qui visent à établir un premier contact avec les personnes sans abri : il s’agit d’abord des maraudes, au cours desquelles des équipes mobiles vont à leur rencontre pour évaluer leur état physique et psychique et pour leur proposer, le cas échéant, le début d’une prise en charge, par exemple la mise à l’abri. Il s’agit ensuite de l’infrastructure et des moyens humains consacrés au fonctionnement du numéro d’appel 115, au moyen duquel les sans-abri sollicitent un hébergement d’urgence. Dans le cadre de la « refondation » – lancée en 2009 – de la politique d’hébergement et d’accès au logement des plus démunis, les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) ont vocation à constituer dans chaque département, autour des équipes de maraude, des SAMU sociaux et de répondants au 115, les lieux uniques de traitement des demandes de prise en charge. La veille sociale, ce sont enfin les accueils de jour où les personnes sans domicile peuvent recevoir le soutien d’une équipe de travailleurs sociaux, sans toutefois bénéficier de l’hébergement.

Ensuite, l’hébergement d’urgence proprement dit est une prestation de mise à l’abri, qui comprend, comme le précise la loi depuis 2009 « le gîte, le couvert et l’hygiène, [ainsi qu’] une première évaluation médicale, psychique et sociale ». Aux termes de la même loi, il s’agit d’un droit pour « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale » – il y a donc inconditionnalité de l’accueil – et la prestation, servie par l’État et comprenant « un accompagnement personnalisé », s’étend au droit pour la personne concernée à rester dans les murs « dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée », cette orientation étant « effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ». L’hébergement d’urgence proscrit ainsi en principe la remise à la rue systématique chaque matin, pratique encore générale il y a un peu plus de dix ans de cela et qui n’a pas complètement disparu.

Concrètement, l’hébergement d’urgence est pratiqué dans des centres spécialisés gérés par des opérateurs associatifs, en principe pour des durées courtes mais en fait pour des durées de plus en plus longues en raison précisément de la règle de l’orientation consentie, qui tend de plus en plus à s’imposer. Les nuitées d’hôtel payées sur fonds publics constituent aussi une modalité d’hébergement d’urgence, pratiquée notamment en Île-de-France et pour les familles avec enfants.

En troisième lieu, l’hébergement d’insertion, dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), constitue l’une des orientations possibles pour une personne accueillie préalablement en urgence. Il s’agit aussi d’un hébergement collectif, dans lequel l’autonomie de la personne accueillie est limitée pour ce qui est des actes de la vie quotidienne, notamment pour la confection et la prise des repas. L’hébergement d’insertion conduit à des séjours plus longs, préparant en principe un retour au droit commun, tant en matière de logement que d’insertion professionnelle. Les centres d’hébergement sont à cet effet des structures où se pratique un travail social quotidien, effectué souvent par des personnels salariés.

Il n’est pas toujours aisé de distinguer nettement sur le terrain hébergement d’urgence et hébergement d’insertion : les statuts juridiques différents conduisent à l’usage de tuyauteries budgétaires distinctes, mais nous avons constaté que certains centres d’hébergement d’urgence font du long séjour dans une perspective d’insertion.

Enfin, le logement adapté regroupe un ensemble de prestations qui sont clairement distinctes de l’hébergement. Dans un logement adapté, une personne jouit d’un titre à disposer de son logement, en principe de façon pérenne, à l’instar du droit à occuper un logement social. Dans les maisons relais et pensions de famille, les personnes accueillies sont locataires et disposent d’un « chez soi » autonome, où elles peuvent faire la cuisine. Les locaux communs et l’encadrement par au moins un hôte salarié doivent permettre le suivi médico-social de ces personnes, caractérisées souvent par une fragilité qui rendrait périlleuse leur installation dans un logement social. Il n’y a pas d’échéance fixée pour le départ, sauf choix personnel.

La situation est un peu différente s’agissant de l’intermédiation locative : les personnes logées à ce titre le sont en principe pour une période donnée – dix-huit mois environ –, dans l’optique d’accéder au logement social dans la foulée. Il faudra dans quelque temps vérifier si ce délai est réaliste. Rappelons que l’intermédiation locative est un système de location dans lequel une association, qui sous-loue à un ménage sans domicile, se porte garante à l’égard du propriétaire du paiement du loyer au propriétaire comme de l’état du logement.

Précisons enfin que la rubrique « logement adapté » comprend aussi l’accompagnement vers et dans le logement, l’AVDL. Il s’agit d’une prestation de travail social servie par des opérateurs spécialisés, financés par l’État, pour que l’entrée dans le logement d’un ménage soit une réussite en termes de socialisation, de gestion de l’espace du logement, de respect des règles collectives et de tenue du budget du foyer… C’est évidemment un point fondamental : il est clair qu’un ménage ou une personne sans domicile qui accède au logement doit être accompagné.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Pour ces quatre compartiments, les crédits opérationnels délégués aux préfets de région en application de la loi de finances initiale pour 2011 se sont élevés à 938 millions d’euros : 233 millions pour l’hébergement d’urgence, 613 pour les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, 58 pour les maisons relais et pensions de famille, 34 au titre de l’intermédiation locative.

En 2010, ont été financées 34 000 places d’hébergement d’urgence – dont 15 000 places d’hôtel –, 39 500 places de centres d’hébergement et de réinsertion sociale, 9 200 de maisons relais et pensions de famille et 4 700 en intermédiation locative : soit un total de 87 400, en progression de 70 % par rapport à 2004 – l’évolution ayant été particulièrement forte pour les places en maisons relais, dont le nombre a quintuplé, tandis que celui des places d’hébergement d’urgence a presque doublé, celui des places de centres n’augmentant que de 30 %.

Toujours en 2010, selon le rapport de la Cour des comptes, le coût annuel à la place s’est établi à 15 900 euros pour les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, à 8 500 euros pour l’hébergement d’urgence, à 5 200 euros pour les maisons relais et à 5 800 en intermédiation locative.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Les 87 400 places ainsi financées sont à mettre en regard du nombre des personnes sans domicile. Estimé à 86 000 en 2001 par l’INSEE – dont une nouvelle étude ne paraîtra qu’en 2013 –, cet effectif s’élèverait désormais à 150 000 selon la Cour des comptes, les opérateurs associatifs considérant quant à eux qu’il est compris entre 150 000 et 200 000. Nous faisons donc nôtres la recommandation de la Cour des comptes demandant une mise à jour régulière de cette information, indispensable aux décideurs publics.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Il est incontestable que l’hébergement et le logement adapté ont fait l’objet d’un effort budgétaire substantiel de la part de l’État depuis 2006 : les crédits consacrés à cette politique ont ainsi augmenté de 50 %, pour atteindre 1 130 millions d’euros en 2010, en exécution. Après quelques atermoiements, ce montant a été et sera stabilisé en 2011 et 2012. Parallèlement, le Plan de relance de l’économie a permis la construction de places neuves et la réfection de places existantes pour un montant de 175 millions d’euros entre 2008 et 2010.

Sur la base du rapport de la Cour des comptes, nous mentionnons le nombre de 87 500 places financées en 2010. Il faut y ajouter quelque 11 000 places supplémentaires ouvertes durant l’hiver, notamment pendant les périodes de grand froid. Mais la différence avec le chiffre de 116 000 places avancé par le Gouvernement ne se situe pas là : le Gouvernement prend en compte, en effet, l’hébergement des demandeurs d’asile, financé sur un programme spécifique, en écartant à l’inverse les places de logement adapté en pension de famille.

Quelles que soient les références choisies, on peut cependant comparer le nombre des places financées et celui des personnes sans domicile – avec prudence dans la mesure où nous ne connaissons pas ce dernier avec certitude et où il serait malvenu d’opérer, comme l’a fait malheureusement la presse, une soustraction simpliste – 150 000 – 87 500 = 62 500 – pour évaluer le nombre des places supposées manquantes. Nous ne tenons pas un tel raisonnement même si nous considérons que le nombre de places n’est pas suffisant. En effet, si le système est fluidifié et permet par exemple davantage de sorties, et dans des délais plus brefs, vers le logement social, une même place d’urgence peut constituer un sas positif pour un plus grand nombre de personnes sans abri. C’est d’ailleurs l’un des fondements de la stratégie du « logement d’abord » définie par M. Benoist Apparu : il s’agit de limiter le temps de passage dans l’hébergement pour privilégier l’accès rapide au logement. Cela ne vaut cependant que pour un certain nombre de catégories sociales aptes à reprendre un logement. Pour les autres, il faut passer par les maisons relais et par les pensions de famille.

En tout état de cause, l’intérêt de cette stratégie se mesure à l’aune d’un autre constat important, qui ressort de la comparaison des coûts par catégorie de places : l’hébergement coûte notablement plus cher que le logement adapté, alors même que les prestations d’habitation y sont bien évidemment de moindre qualité. Ainsi, en toute logique, la fluidification du système et l’accélération des sorties « positives » vers le logement devraient contribuer à dégager des marges budgétaires nouvelles pour augmenter le nombre des places de logement adapté et créer les conditions d’un accompagnement social dans le logement.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Lancée comme on l’a dit en 2009, la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées est une réforme d’ensemble, concertée avec les opérateurs associatifs à la suite de la conférence de consensus organisée après l’action menée en 2007 par les Enfants de Don Quichotte le long du canal Saint-Martin à Paris.

Il s’agit tout d’abord de continuer à privilégier une politique exercée par l’État finançant des opérateurs associatifs sur le terrain.

Nous avons vu que la période récente a enregistré une augmentation importante des moyens budgétaires consacrés à cette politique. L’idée de la refondation est de coupler le relèvement des capacités d’accueil avec une stratégie d’efficience pour rendre un meilleur service à moyens donnés. Il a donc été entrepris de créer un service public de l’hébergement et de l’accès au logement dans chaque département. Ce service public doit s’appuyer sur une vision d’ensemble de la demande et de l’offre, dans sa gestion quotidienne comme pour la programmation à plus long terme. Cela nécessite que chaque opérateur s’inscrive dans ce cadre, alors que beaucoup ont développé leur activité en fonction d’une analyse très localisée des besoins. C’est donc à un changement profond de ses pratiques que le monde associatif a consenti : un centre ne peut plus choisir les personnes qu’il accueille au quotidien et ses projets à moyen terme doivent être compatibles avec les besoins identifiés par l’État. Mais, en contrepartie, son financement et son activité sont programmés sur plusieurs années.

Les objectifs poursuivis sont assez simples : il s’agit, grâce à la réactivité d’un réel service public qui connaît l’offre mobilisable face à une demande bien identifiée, de réduire le nombre des personnes vivant à la rue. Il s’agit aussi de proposer à celles-ci un chemin plus rapide vers le droit commun, notamment en privilégiant sans délai ou dès que possible l’accès au logement, adapté ou de droit commun – c’est la stratégie du « logement d’abord ». Cela nécessite bien entendu un travail social efficace pour mesurer les besoins et pour évaluer la capacité à vivre en autonomie des personnes sans domicile.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. La refondation s’appuie sur un certain nombre d’outils, pour le bon fonctionnement du service public de l’hébergement et de l’accès au logement.

Les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) doivent permettre une action conjointe de l’État et des conseils généraux pour trouver des solutions aux impayés de loyer le plus en amont possible, avant qu’ils n’atteignent des montants auxquels il devient impossible de faire face, et ce en privilégiant autant que possible le maintien dans le logement. Les organismes payeurs des aides au logement et les élus locaux siègent dans ces commissions.

Pour mettre en adéquation offre et demande d’hébergement et de logement, deux outils nouveaux ont été prévus, eux aussi au niveau départemental.

D’une part, les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) mettent en regard chaque jour l’offre et la demande d’hébergement et de logement adapté. Ce service, géré par un ou des opérateurs associatifs, dispose en principe d’une vision sur toute l’offre départementale. Il attribue les places selon les disponibilités et les besoins identifiés pour chaque personne.

D’autre part, les plans départementaux « accueil, hébergement, insertion » (PDAHI) portent sur la programmation quantitative et géographique des besoins en hébergement et en logement adapté, sur le moyen terme. Ils sont établis par l’État dans le département, en concertation avec les collectivités territoriales. La loi prévoit que ces plans sont intégrés aux programmations établies par les collectivités territoriales, notamment au plan départemental d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD).

Au regard des besoins identifiés dans le PDAHI, l’activité à moyen terme des opérateurs associatifs est programmée via des contrats d’objectifs et de moyens. Ceux-ci n’ont pas été signés à ce jour. En effet, alors que les plans ont été établis dans la plupart des départements, manque encore l’outil qui, complétant le référentiel de la définition des prestations publié en juillet 2010, permettra de « traduire » l’activité programmée en crédits budgétaires pour chaque opérateur associatif – à savoir le référentiel national des coûts de ces prestations, dont l’élaboration, complexe, a subi un retard important.

Le service public ainsi organisé doit permettre des sorties plus nombreuses et plus rapides vers le logement – conformément à la logique du « logement d’abord ». À cette fin, toute la palette du logement social et adapté est mobilisée : reconquête des droits de réservation détenus par l’État pour l’attribution des logements sociaux, production de logements très sociaux, notamment en prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), augmentation de l’offre en places de pension de famille et en intermédiation locative. Sur tous ces aspects, des efforts substantiels ont été consentis ces dernières années par l’État, même si la Cour des comptes relève que les objectifs quantitatifs fixés initialement étaient trop ambitieux pour être atteints.

Si l’offre a été augmentée en quantité, la réussite du « logement d’abord » passe aussi par la capacité de la veille sociale et des services intégrés d’accueil et d’orientation à proposer un logement aux personnes qui sont en mesure d’y habiter. Dans l’un des centres que nous avons visités, nous avons rencontré un homme qui, après avoir été expulsé de chez lui, a passé six mois à la rue avant finalement de retrouver son appartement. Cet exemple montre qu’il faut encore améliorer le dispositif. Cela implique un premier travail social rapide et de grande qualité. Enfin, la politique du « logement d’abord » doit s’appuyer sur un accompagnement social dans le logement pour ne pas laisser seule et sans repères la personne sans domicile qui y accède.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Nous considérons – et c’est là une différence d’appréciation avec le ministre – que l’ouverture de places nouvelles en hébergement doit être mise à l’étude. Le nombre en est insuffisant, en effet, comme le prouve d’ailleurs l’ouverture de capacités supplémentaires pendant les périodes de grand froid. Or cette modalité d’ajustement n’est pas satisfaisante. Elle peut laisser penser que la vie à la rue est nettement moins difficile quand le climat est plus clément, ce qui est faux. Elle conduit aussi à remettre à la rue des milliers de personnes, au mois de mars, sans accompagnement social et sans avoir défini avec elles une orientation. Ce qui est très précisément l’inverse de l’esprit de la refondation et de la politique du « logement d’abord ».

Pour toutes ces raisons, nous proposons que soient pérennisées, en totalité ou en partie, les places supplémentaires ouvertes l’hiver, notamment dans les zones les plus tendues. Ces places présentent en outre l’avantage de répondre à des besoins bien identifiés dans ces zones, ce qui est précieux dans un contexte où nous manquons d’informations et de statistiques sur le « sans abrisme » en France.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Nous avons évoqué les retards pris dans les programmes de création de places en pension de famille et de « captation » de logements en intermédiation locative. Le constat est le même s’agissant de la production de nouveaux logements très sociaux et de la reconquête des droits à réservation prévus par la loi au bénéfice de l’État dans le parc des logements sociaux : les objectifs sont ambitieux, les réalisations effectives mais encore en retrait de ces objectifs.

Nous appelons donc à une action volontariste de l’État pour continuer d’augmenter l’offre en logements adaptés et très sociaux, dans des conditions financières abordables pour les personnes les plus précarisées – en priorité absolue dans les zones où les besoins sont les plus criants. Pour cela, nous proposons que soit relevé, dans ces zones, le taux de 20 % de logements sociaux prévus par la « loi SRU », en bonifiant dans le calcul de ce taux les logements les plus sociaux : places en pension de famille et logements sociaux en prêt locatif aidé d’intégration.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Nous avons précisé que les commissions de coordination (Ccapex) ont été installées dans tous les départements. Les réponses des conseils généraux montrent une assez grande diversité de la coopération avec l’État, alors que les départements disposent avec les fonds de solidarité logement (FSL) d’un des principaux instruments permettant une action de prévention des mises à la rue en cas d’impayés de loyer. Plus encore, ces réponses révèlent que, dans un nombre non négligeable de départements, les commissions en sont encore à la définition de leur objet, de leur règlement intérieur ou encore de leur programme de travail. Certaines ne semblent pas avoir déterminé quelle pourrait être leur valeur ajoutée au regard des dispositifs existants, se contentant d’avoir pour ambition de proposer d’améliorer ou d’harmoniser les pratiques en vigueur.

Nous pensons que ces commissions doivent avoir des objectifs opérationnels précis, le cas échéant définis par la loi. Il faut qu’elles prennent en charge et traitent directement les dossiers d’impayés de loyers, de façon très précoce, en privilégiant résolument le maintien dans un logement – quitte à en changer. Alors qu’on dénombre chaque année 110 000 jugements d’expulsion et 10 000 expulsions assistées par la force publique, personne ne sait ce que deviennent les 100 000 ménages pour lesquelles un jugement d’expulsion a été rendu sans recours à la force publique. Ont-ils quitté leur logement et si oui, pour quelle destination ? Ont-ils pu effacer leur dette ? Habitent-ils un nouveau logement ? Ont-ils eu recours à l’hébergement d’urgence ? Les commissions de coordination doivent permettre de savoir et d’agir.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Comme les commissions, les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) ont été installés partout. Cet instrument de régulation quotidienne de l’offre et de la demande d’hébergement et en logement adapté doit, en principe, avoir une vision globale de la situation dans l’ensemble d’un département et pouvoir indiquer aux opérateurs de terrain les bénéficiaires des places dont ils assurent la gestion. Or nous avons constaté, comme la Cour des comptes, que dans certains départements il existait deux services, respectivement en charge de l’urgence et de l’orientation, qui avaient peu de contacts entre eux. Dans un souci de simplification, nous recommandons donc qu’il n’y en ait qu’un par département afin notamment de pouvoir orienter très vite vers un logement une personne qui serait en mesure d’y vivre dans de bonnes conditions, au lieu de la faire passer par tout le circuit que nous venons de décrire. Dans un certain nombre de cas, cela permettrait de gagner du temps.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le principe de la refondation, pour la réussite de la politique du « logement d’abord », est de concevoir une chaîne intégrée et fluide allant de la mise à l’abri la plus urgente à l’accès au logement de droit commun, notamment social. Nous constatons que cette vision ne s’est pas totalement traduite dans l’organisation administrative. Il est vrai que la refondation est désormais conduite par un seul ministre – le secrétaire d’État chargé du logement – et a été engagée au moment où se créait, sur la suggestion d’Étienne Pinte, la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (DIAHL), qui intègre donc les dimensions de l’hébergement et du logement. Cette délégation ne dispose cependant ni de pouvoirs d’instruction auprès des services déconcentrés, ni de l’autorité sur l’usage des crédits. Les deux directions d’administration centrale historiquement compétentes pour chacun de ces volets ont en effet gardé leurs prérogatives : la direction générale de la cohésion sociale – DGCS – et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages – DHUP.

En outre, hormis en Île-de-France où a été créée la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL), les volets hébergement et logement demeurent gérés de façon distincte aux niveaux déconcentrés de l’État. La réforme de l’administration territoriale (RéATE), dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, n’a donc pas été accompagnée de la réorganisation qu’impliquait la refondation. Cette réforme a par ailleurs conduit – beaucoup de nos interlocuteurs sur le terrain l’ont constaté – à une baisse des effectifs et à un renouvellement, parfois déstabilisateur, des personnels de l’État en charge de ces questions.

Pour amorcer une articulation plus forte entre hébergement et logement, nous recommandons de commencer le mouvement d’intégration administrative au niveau des administrations centrales.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Les opérateurs associatifs ont conçu, avec les pouvoirs publics, les principes et les outils de la refondation. Ils les approuvent donc, même si se fait jour désormais une certaine lassitude devant l’absence de résultats concrets, qu’il s’agisse du nombre des personnes sans abri ou des sorties vers le logement. Ils considèrent aussi que l’État a tendance à leur demander trop vite des économies alors que les outils d’une plus grande efficience ne sont pas tous en place.

Nous l’avons dit, il ne faut pas négliger le fort impact que la refondation va avoir sur les pratiques associatives. On passe d’un système où chaque opérateur était maître d’accueillir qui il voulait, sans avoir à se comparer à d’autres et sans être responsabilisé quant à l’efficacité de l’ensemble du dispositif, à un système où il fait partie d’un service public et doit, en conséquence, rendre des comptes sur son activité et sur ses pratiques. Ce que certains présentent comme une « révolution culturelle » doit être, selon nous, accompagné d’un dialogue réel, approfondi et déconcentré entre l’État et les associations, afin d’aborder toutes les questions utiles dans le cadre de ce changement : diffusion des bonnes pratiques, formation des travailleurs sociaux, évolution de leurs carrières…

La refondation peut conduire à terme à la baisse du nombre des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), au profit du financement de places nouvelles en pension de famille et en intermédiation locative. Il nous semble nécessaire d’accompagner ce « transfert » par la « reconversion » de l’activité des travailleurs sociaux hors les murs des centres d’hébergement, en direction des personnes qui ont besoin d’être accompagnées socialement dans leur logement. Il faut organiser cette modification du lieu d’exercice du métier, qui constitue sans doute aussi un changement de métier.

Nous pensons, d’autre part, nécessaire de relancer la création de référents personnels des personnes sans domicile, notamment quand elles accèdent au logement. L’idée nous semble bonne qu’une personne sache qu’elle peut se tourner vers une « quasi-connaissance », se distinguant des travailleurs sociaux et des pouvoirs publics et qui peut être un recours en cas de « coup de mou » ou une interface avec ces mêmes travailleurs sociaux ou avec les « guichets » publics utiles. Pourquoi ne pas imaginer d’impliquer les volontaires du service civique dans cette action ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. Les bailleurs sociaux constituent des acteurs incontournables de la refondation : ils disposent notamment du savoir-faire nécessaire pour les opérations immobilières telles que la construction de pensions de famille, dont certaines sont d’ores et déjà réalisées grâce aux prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI). Ils sont aussi bien mieux armés financièrement que les structures associatives, pour lesquelles les questions immobilières sont souvent à la fois incontournables et insurmontables.

L’implication des bailleurs sociaux est, en tout état de cause, essentielle pour la mise à disposition de logements très sociaux. Or cette implication demeure variable, tant il reste du chemin à parcourir pour les convaincre tous que leur vocation consiste, au moins en partie, à proposer du logement social à ceux qui précisément n’ont pas de logement et ont des revenus très faibles.

Peut-être en jouant dans un premier temps sur les conventions d’utilité sociale, il convient selon nous de mobiliser résolument l’expertise, le savoir-faire et les moyens des bailleurs sociaux dans cette chaîne qui va de la mise à l’abri à l’hébergement d’urgence, au centre d’hébergement, au logement adapté et, enfin, au logement social.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. La refondation implique qu’on maintienne à l’État la compétence de l’hébergement et de l’accès au logement des plus démunis, qui demeurera ainsi la seule compétence d’aide sociale dont les conseils généraux ne sont pas responsables. Nous pensons qu’il ne convient effectivement pas, à ce stade, de la décentraliser. Sur quoi en effet fonder la compétence d’une collectivité territoriale plutôt que d’une autre pour la prise en charge d’une personne sans domicile ? Comment contrôler le respect, par cent conseils généraux différents, des principes d’inconditionnalité et d’équité dans la prise en charge des personnes sans domicile ?

Pour autant, la coopération de l’État avec les collectivités territoriales est indispensable pour assurer le succès de la refondation. Les compétences qu’exercent les secondes en matière de logement, d’urbanisme, d’aide sociale et de minima sociaux les rendent incontournables, mais nous préconisons de resserrer et de mieux organiser cette collaboration, grâce à l’élaboration d’une stratégie partagée entre l’État et l’Assemblée des départements de France.

Plus précisément, notre attention a été souvent attirée sur le fait qu’un nombre non négligeable – mais non quantifiable – de personnes ayant recours à l’hébergement d’urgence avaient été prises en charge durant leur minorité par un conseil général, au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il n’est pas rare que les travailleurs sociaux aient à s’occuper de l’hébergement de ces personnes en ignorant tout du travail social antérieur réalisé par le département. À l’inverse, les services des conseils généraux ne procèdent pas au suivi des jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance une fois que ceux-ci ont atteint leur majorité. Une connexion entre les dispositifs serait utile. Il nous semble regrettable qu’un travail social important effectué pendant l’enfance puisse être « perdu » sous prétexte que l’autorité publique compétente change au moment de la majorité de la personne concernée.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Nous avons évoqué le manque d’informations statistiques régulièrement mises à jour concernant les personnes sans domicile. Ainsi que je l’ai indiqué, la prochaine enquête de l’INSEE – en cours de réalisation – sera publiée au début de l’année 2013, soit plus de dix ans après la première, et cette périodicité ne semble pas pouvoir être améliorée.

La difficulté tient tout autant au nombre des intéressés qu’à leur profil. Les constats selon lesquels il y aurait aujourd’hui dans la rue davantage de femmes et de travailleurs pauvres, une majorité de personnes souffrant de pathologies psychiatriques ou une proportion non négligeable de personnes issues de l’aide sociale à l’enfance, ne reposent finalement que sur des témoignages d’observateurs et de praticiens. Aussi éminents soient-ils, il n’est pas possible d’étayer leurs propos par des informations objectives et chiffrées.

C’est pourquoi nous approuvons en premier lieu toutes les recommandations de la Cour des comptes tendant à l’amélioration de la collecte des données sur notre sujet : enquêtes quantitatives légères deux fois par an dans les grandes agglomérations, exploitation des données saisies dans le cadre des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO)…

Nous pensons en outre que deux sujets mériteraient des études complémentaires. Le premier concerne les minima sociaux. Les personnes fragiles et parfois non domiciliées font-elles valoir tous leurs droits en la matière ? Pourquoi certains bénéficiaires de minima sociaux – comme l’allocation aux adultes handicapés ou le minimum vieillesse – ont-ils recours à l’hébergement d’urgence ou d’insertion ? L’hébergement n’a-t-il pas tendance à devenir le volet « logement » de certains minima sociaux ?

Le second sujet a trait aux conditions d’accueil et de vie des demandeurs d’asile et des personnes sans papier dans notre pays. Chacun connaît le parcours de certains d’entre eux : l’attente longue d’une décision en matière d’asile et, dans un nombre de cas non négligeable, l’hébergement d’urgence, à l’hôtel lorsqu’il s’agit de familles. Étant entendu que lorsque les demandeurs d’asile sont déboutés, ils ne peuvent prétendre à un autre habitat que l’hébergement d’urgence accordé de façon inconditionnelle, sauf à ce qu’ils soient en mesure, d’une façon ou d’une autre, de se loger chez des tiers ou dans le parc locatif privé.

Les situations d’hébergement à l’hôtel sont banales, visibles par tout un chacun et, de surcroît, financées sur fonds publics. Au-delà des discours « musclés » ou misérabilistes, elles nous interrogent sur nos choix réels en matière d’accueil des étrangers et elles constituent un poids déjà lourd et sans doute croissant pour notre politique publique. Nous sommes convaincus que la prochaine législature ne pourra faire l’économie d’un travail parlementaire transpartisan sur ce sujet et d’un large débat public, qui pourrait conduire à des états généraux sur la base d’informations et de diagnostics partagés.

Mes chers collègues, sur cette question des demandeurs d’asile, nous n’avons pas voulu nous laisser piéger : nous insistons sur la nécessité d’un travail transpartisan.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. …travail auquel la Cour des comptes pourra être associée.

Au total, vous l’aurez compris, nous sommes favorables à la poursuite de la refondation qui, comme le relève la Cour des comptes, a l’immense mérite d’avoir été conçue en concertation réelle avec les opérateurs associatifs. Le bilan opérationnel de cette refondation demeure néanmoins faible à ce jour, du fait de retards pris dans la mise en place de certains de ses outils et aussi d’un contexte de réforme de l’État et de rareté de la ressource budgétaire.

Nous pensons qu’il est nécessaire de conforter et de pérenniser la refondation et ses outils, en soumettant au débat parlementaire, dès le début de la prochaine législature, un projet de loi d’orientation et de programmation, sur le modèle notamment du Plan de cohésion sociale. Diverses mesures pourraient dans ce cadre venir conforter la priorité collective accordée à la prise en charge des personnes sans domicile. Peut-être pourrait-on réfléchir à orienter une fraction des fonds collectés au titre d’un produit d’épargne réglementée existant vers les investissements réalisés par les opérateurs associatifs et par les bailleurs sociaux, à défaut d’imaginer un produit nouveau.

Il pourrait être envisagé de confier la présentation et la mise en œuvre de ce projet de loi à un ministre de plein exercice, directement rattaché au Premier ministre et exerçant des compétences transversales.

Mes chers collègues, pardonnez-nous d’avoir été un peu longs, mais nous avions à rendre compte d’une année de travail !

M. le président Pierre Méhaignerie. Il ressort de ce rapport que, si beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire…

Tout d’abord, les publics accueillis au titre de la politique du « logement d’abord » ont besoin d’un encadrement. Dans ma ville, on essaie de faire le maximum pour le « logement adapté », mais les réactions du voisinage ne sont pas toujours faciles à gérer. À cela s’ajoute la diversité très grande des publics accueillis au sein des centres d’hébergement : certains sont simplement d’origine étrangère, mais d’autres ont été victimes de violences familiales et d’autres encore souffrent de graves problèmes psychiatriques.

Je m’interroge à ce propos sur ce que pourrait être l’équivalence, en termes d’effort consenti par les collectivités au sens de la « loi SRU », entre centres d’hébergement et logement social. Il me semble que le bon rapport serait de trois pour un, compte tenu des problèmes que pose la gestion de ces centres – celui qui est implanté dans ma rue avait auparavant été refusé dans quatre autres villes et, afin d’éviter un rejet, l’association qui s’en occupe nous a d’ailleurs demandé qu’il n’y ait pas de concertation.

S’agissant de ces mêmes structures, ne pourrait-on, en effet, envisager une participation de volontaires du service civique ?

En ce qui concerne la prévention des expulsions, j’aimerais savoir pourquoi nous n’avons pas de données chiffrées.

J’observe, enfin, qu’il n’existe pas de recette miracle à l’étranger : c’est un des enseignements des comparaisons internationales réalisées par la Cour des comptes.

M. Bernard Perrut. Je tiens à féliciter nos collègues pour le travail important qu’ils ont réalisé : grâce à eux, nous avons maintenant une vision globale de ce sujet très complexe.

Reste que nous avons encore bien du mal à savoir ce qui se cache derrière les sigles : CHU, CHRS, SIAO, AVDL… Comment croire alors que les personnes en difficulté puissent s’y retrouver ? L’hébergement et l’accès au logement des plus démunis dépendent aujourd’hui, à la fois, de l’État, des départements, des associations, mais aussi des communes, dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ou d’autres initiatives locales. Il conviendrait de simplifier le dispositif et sa gouvernance.

Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui font vivre ces structures accueillant des personnes désemparées et parfois révoltées contre la société. Leur travail est loin d’être facile. Hier encore, j’ai reçu une jeune femme de 24 ans sur le point de quitter son lieu d’hébergement, en raison de problèmes avec son compagnon, et demandeuse de soins psychiatriques.

Tout le monde sait qu’il manque des places lorsque l’hiver vient, mais nous manquons de chiffres clairs. Il conviendrait de savoir plus précisément qui est sans logement, démuni ou en difficulté. Nous avons également besoin d’un suivi des expulsions locatives, afin de comprendre ce qu’il advient de ces gens : où vont-ils ? Peuvent-ils continuer à travailler ?

Vous avez évoqué, à juste titre, la nécessité d’organiser le passage de ces différents dispositifs au logement social. Encore faudrait-il que les logements nécessaires existent, qu’ils soient adaptés et financés, et qu’il y ait un accompagnement social. Dans certains cas, un lieu d’hébergement ne suffit pas : il faut aussi aider les personnes concernées à trouver une formation, un emploi, un accompagnement ou toute autre forme d’insertion sociale.

Avez-vous une idée de l’effort financier consenti pour ces publics par l’État, par les départements, mais aussi par les communes ? Ces dernières, outre tout ce qu’elles font pour l’hébergement d’urgence, dispensent aussi des aides, en particulier des aides alimentaires.

Pour Henri Grouès, plus connu sous le nom d’abbé Pierre et qui est né il y a exactement cent ans, le logement était une « question de justice », idée que M. Benoist Apparu a reprise à son compte avec la stratégie du « logement d’abord ». La situation s’est améliorée grâce à l’abbé Pierre et le rapport de nos collègues montre qu’un autre pas en avant, lui aussi important, a été réalisé au cours des dernières années. Pour aller plus loin, pourquoi ne pas envisager un plan pluriannuel ou une loi de programmation ? Il faut en tout cas réfléchir à des solutions pérennes, en dépassant les clivages politiques.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. En ce qui concerne les chiffres, la dernière étude de l’INSEE date de 2000. Les résultats d’une nouvelle étude, aujourd’hui en cours, devraient être publiés en 2013. Pour notre part, nous demandons des études régulières.

Les capacités d’accueil ont certes augmenté, mais il y a aussi de plus en plus de personnes à la rue, à cause de la crise et des accidents de la vie. Il faut donc davantage de logements, notamment dans les zones tendues.

Les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex), créées en 2009, sont un outil pertinent, mais il faudrait l’améliorer, en particulier en renforçant les moyens humains. Le dispositif fonctionne assez bien avec les bailleurs sociaux, mais le bilan est moins bon avec le secteur privé, vis-à-vis duquel un effort d’information s’imposerait. Il nous semble, de plus, que ces commissions devraient être saisies dès le premier impayé : si l’on attend le troisième ou le quatrième, il est beaucoup plus difficile d’agir, même avec l’appui du Fonds de solidarité pour le logement (FSL).

Comme vous, monsieur Perrut, je trouve le dispositif actuel trop lourd : il faudrait un seul service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) par département, et davantage de moyens pour les commissions de coordination car leur intervention pourrait éviter le détour par l’hébergement d’urgence et donc, en définitive, permettre des économies. L’intermédiation locative, telle que la pratique la ville de Paris, nous semble également à tous deux être une formule à développer : elle permet à ses bénéficiaires de retrouver un logement, grâce aux garanties offertes aux propriétaires, et elle est assortie d’un bon accompagnement social.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Nous nous sommes pudiquement contentés de recommander d’introduire dans la « loi SRU » une pondération pour les centres d’hébergement, mais le ratio suggéré par le président Méhaignerie est tout à fait envisageable, ne serait-ce que pour encourager les collectivités à accueillir de ces structures.

S’agissant de l’accompagnement vers et dans le logement (AVDL), je rappelle qu’il s’agit d’un programme récent et novateur visant à accompagner l’entrée dans le logement social ou dans le logement adapté, au sortir des centres d’hébergement.

Sur le volontariat, on constate un schisme au sein des acteurs associatifs : il est le bienvenu pour certains, mais d’autres estiment que le travail ne doit être réalisé que par les travailleurs sociaux. Dans certaines associations, les volontaires sont très nombreux et très présents auprès des SDF, mais ils ne sont pas toujours bien perçus dans d’autres.

Nous avons étudié, avec la Cour des comptes, ce qui se fait dans d’autres pays, mais nous n’avons pas, en effet, découvert de solution magique dont nous pourrions nous inspirer. Au Canada par exemple, ces questions sont uniquement du ressort des autorités locales ou régionales alors que, chez nous, elles relèvent d’abord d’une politique de l’État. À qui l’avenir donnera-t-il raison ?

Quant à l’obligation faite aux communes d’ouvrir une place d’hébergement pour mille habitants, nous n’avons pas pu en avoir le bilan. C’est encore une preuve qu’il reste beaucoup à faire pour bien maîtriser le sujet.

À titre personnel, je ne serais pas hostile à ce que l’on confie à un grand acteur le soin de créer des places d’accueil pour les plus fragiles, au moins en Île-de-France. À défaut de charger de cette tâche l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, nous pourrions nous inspirer de son modèle…

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Si nous avons obtenu des chiffres d’un certain nombre de conseils généraux, nous n’avons pu enquêter auprès des communes. C’est certainement un des manques de notre rapport, monsieur Perrut.

Mme Jacqueline Fraysse. Je salue à mon tour le travail des deux rapporteurs, d’autant que les documents sont rares sur ces situations à la marge de la « vraie vie », mais malheureusement de plus en plus nombreuses : le nombre des sans-abri aurait quasiment doublé en dix ans si l’on en croit la Cour des comptes – et ses chiffres sont certainement fiables. Il faudrait s’interroger sur les causes de ce phénomène.

J’ai eu le plaisir de vous accueillir au Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, qui reçoit beaucoup de personnes sans domicile. Elles y passent en général la nuit avant de regagner Paris dès le matin, mais il arrive souvent aussi qu’elles soient prises en charge par l’hôpital attenant, qui accueille également des détenus. Or nous nous inquiétons beaucoup d’une perspective de réduction de l’activité de cet établissement et nous insistons donc pour que l’État lui maintienne les moyens de fonctionner, quitte à l’affranchir des normes ordinaires telles que la tarification à l’activité, car il importe que les personnes en détresse continuent de bénéficier de traitements convenables.

Je ne m’oppose pas à la réorientation décidée par le Gouvernement – offrir un logement plutôt qu’un hébergement d’urgence. Je la soutiens même, quand elle est possible. Malheureusement, aujourd’hui, rien ne nous assure que la suppression prévue de 4 500 places d’hébergement d’urgence sera compensée comme annoncé par la construction de logements sociaux en nombre équivalent. Avant de fermer des structures d’ailleurs déjà insuffisantes, il faudrait s’assurer de disposer de ces logements ! Faut-il rappeler qu’à Paris, 12 000 ménages attendent de trouver le toit que leur garantit la loi sur le droit opposable au logement, « loi DALO » ?

Une grande politique de construction de logements sociaux est donc nécessaire, y compris à Nanterre, commune qui a pourtant consenti de grands efforts puisque ces logements constituent la moitié de son parc : on y compte encore 3 500 demandeurs, dont certains sont des enseignants ! La vérité est que l’on ne peut plus se loger dans la région parisienne quand on gagne le salaire médian, soit 1 500 euros par mois. Il faut donc bâtir, mais aussi refondre l’aide personnalisée au logement (APL) et encadrer les loyers dans le secteur privé.

J’ai lu dans Le Monde qu’à la fin de l’année dernière, les trois quarts des appels au 115 se soldaient par une réponse négative, de sorte que des centaines d’enfants auraient été laissés dans la rue. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Catherine Lemorton. J’adresse, à mon tour, mes félicitations aux rapporteurs pour le travail considérable qu’ils ont réalisé en un an.

Il faut être conscient que, quand bien même elle aboutirait à des constructions en nombre suffisant, la politique en faveur du logement n’est pas la réponse aux besoins de tous les publics. Parmi ceux qui vivent en marge de notre société, il en est qui sont tellement désocialisés – du fait de problèmes psychiatriques ou d’addictions – que la question n’est pas de leur trouver un logement et un emploi, mais de les mettre à l’abri quand il fait trop froid, d’assurer leur simple survie, de leur tenir la tête hors de l’eau.

Or le fonctionnement des centres d’hébergement d’urgence pose problème : on y est accueilli pour une nuit avant de retrouver la rue dès le lendemain matin, et l’on n’a aucune certitude d’y trouver une place la nuit suivante. D’autre part, il importerait d’en ouvrir davantage à proximité des lieux où se trouvent les populations en situation de grande précarité.

L’audition, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.

M. Patrick Lebreton. Cet excellent rapport porte essentiellement sur la métropole, mais les mêmes problèmes se posent outre-mer, et particulièrement à la Réunion, même si c’est en termes quelque peu différents, en raison du climat – ainsi nous n’avons pas de cellule « grand froid »… Notre île dispose par exemple de capacités d’hébergement très insuffisantes : on n’y compte que 346 places de logement temporaire et, pour 500 SDF recensés, seulement six lits d’urgence ! Je ne méconnais pas l’intérêt de la stratégie du « logement d’abord », mais je crains qu’il ne bloque la création de places d’hébergement d’urgence. Ne pourrait-on lui adjoindre un volet consacré à cette question ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Par mesure d’économie, nous avons limité le nombre de nos déplacements, monsieur Lebreton, et nous ne nous sommes donc pas rendus outre-mer. D’autre part, madame Lemorton, notre mission portait sur l’hébergement et sur l’accès au logement des plus démunis, et non sur le logement en général.

Cela étant, si nous avons marqué dans notre rapport notre approbation de la stratégie en faveur du « logement d’abord », nous y insistons aussi sur la nécessité de créer des places d’hébergement d’urgence et, à tout le moins, de pérenniser celles qui sont ouvertes l’hiver. En effet, il n’est pas plus agréable de vivre dans la rue l’été que l’hiver : les sans-abri éprouvent de grandes difficultés toute l’année, et en particulier en période de canicule. Or toutes les associations nous ont dit que les campagnes lancées en hiver contribuaient à occulter cette réalité.

Ayant constaté les difficultés évoquées par Jacqueline Fraysse, Arnaud Richard et moi-même avons écrit au ministre de la santé à propos de l’hôpital de Nanterre. Nous rappelons d’ailleurs dans notre rapport que le service des urgences de cet établissement de 286 lits enregistre chaque année 37 000 passages, dont 7 000 de sans-abri. Il joue donc un rôle indispensable, à côté du centre d’hébergement de 400 places, pour toutes ces personnes « cassées » par la vie, amenées là par les soins de la Préfecture de police de Paris, généralement à partir de la station de métro Nation. Mais je dois dire aussi que, même si ce centre a fait l’objet de travaux importants, nous avons eu un choc en le visitant.

Quant aux 12 000 logements – 12 500, plus exactement – qui font défaut pour l’application de la « loi DALO », ce n’est pas à Paris qu’ils manquent, mais dans l’ensemble de l’Île-de-France.

M. Arnaud Richard, rapporteur. En réponse aux propos de Jacqueline Fraysse, qui a évoqué des situations « en marge de la vraie vie », je tiens à rappeler qu’il y a de plus en plus de travailleurs pauvres obligés de recourir à l’hébergement d’urgence – cela arrive plus vite qu’on ne croit. Le retour à une existence normale est ensuite très difficile.

Le plan de relance a largement contribué à humaniser certains centres, dont celui de Nanterre. Néanmoins, si nous avons choisi d’intituler notre rapport « Pour un service public efficace de l’hébergement et de l’accès au logement des plus démunis », c’est que, malgré l’existence d’outils financiers et juridiques utiles, tout ne fonctionne pas comme il le faudrait – je pense en particulier aux commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) –, mais que nous tenons à nous appuyer en ce domaine sur un service public, seul apte à garantir le respect des principes d’égalité de traitement et d’inconditionnalité.

L’un des principaux problèmes à résoudre est celui des « ruptures de charge » : il faut que les sans-abri ne soient plus ballottés d’un service social à l’autre. À cet égard, la situation s’est même aggravée depuis l’époque où Étienne Pinte a remis son rapport en 2008, l’afflux des demandeurs d’asile contribuant à une véritable embolie du système.

M. le président Pierre Méhaignerie. Soyez en tout cas félicités tous deux pour ce rapport, dont ne pourront manquer de tenir compte ceux qui auront à préparer les prochains budgets.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mardi 21 février 2012 à 16 heures 45

Présents. – M. Gérard Cherpion, M. Georges Colombier, Mme Jacqueline Fraysse, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Sandrine Hurel, M. Denis Jacquat, M. Patrick Lebreton, Mme Catherine Lemorton, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, Mme Marie-Renée Oget, M. Bernard Perrut, M. Arnaud Richard, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, Mme Laurence Dumont, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean Mallot, Mme Bérengère Poletti, Mme Anny Poursinoff