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Commission des affaires sociales

Mercredi 29 février 2012

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Bernard Perrut, Vice-président

– Audition, ouverte à la presse, du docteur Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie, sur le premier rapport annuel de celui-ci

– Présences en réunion 12

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 29 février 2012

La séance est ouverte à dix heures cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend le docteur Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie, sur le premier rapport annuel de celui-ci.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous accueillons aujourd’hui le docteur Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie, qui va nous présenter le premier rapport d’activité de cet organisme.

Monsieur Aubry, vous êtes médecin, chef du département « douleur et soins palliatifs » du Centre hospitalier universitaire de Besançon et coordinateur du Programme national de développement des soins palliatifs. Vous présidez l’Observatoire national depuis sa création en 2010.

La création de cet observatoire avait été proposée par le rapport de Jean Leonetti sur l’évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie,  qui porte son nom. Il est chargé, aux termes du décret qui l’institue, d’étudier les conditions de la fin de vie et des pratiques médicales qui s’y rapportent, d’indiquer les besoins d’information du public et des professionnels, ainsi que le besoin de recherche dans ce domaine. Il est rattaché au ministère de la santé.

Vous avez remis son premier rapport d’activité au Premier ministre il y a quinze jours. Vous m’avez alors proposé de présenter ce rapport devant la Commission des affaires sociales, ce que j’ai bien volontiers accepté, de nombreux membres de celle-ci s’intéressant de longue date à ce dossier.

La publication de ce rapport a suscité quelques polémiques venant, me semble-t-il, de bords opposés. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) vous a accusé d’avoir créé un « outil de propagande anti-euthanasie ». À l’opposé, la psychologue Marie de Hennezel a démissionné de l’Observatoire, jugeant qu’il s’agissait d’un rapport inutile qui n’explorait pas suffisamment les raisons des blocages empêchant une meilleure application de la « loi Leonetti ». Vous nous direz si vous êtes surpris par ces réactions, plutôt vives, à votre travail.

M. le docteur Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie. Monsieur le président, merci d’avoir accepté cette audition. Dans les sociétés démocratiques, aborder les complexes questions de fin de vie est à la fois essentiel et particulièrement délicat. En France notamment, elles comportent une dimension émotionnelle, voire s’accompagnent de logiques inscrites dans un registre parfois idéologique qui, de ce fait, nuisent gravement à la possibilité de les aborder d’une manière aussi neutre et factuelle que possible.

L’Observatoire a parmi ses missions celle de mettre autant que possible en évidence des connaissances qui permettent d’alimenter le débat public, voire de contribuer à l’élaboration des politiques publiques relatives à la fin de vie.

D’abord, l’importance de la problématique de la fin de vie est liée à ce que, du fait des progrès de la médecine, de plus en plus de personnes peuvent aujourd’hui vivre très longtemps avec des maladies qui ne peuvent pas guérir. C’est l’une des conséquences paradoxales des progrès de la santé publique, et notamment de la médecine. Cette évolution vient modifier fondamentalement le paradigme du fonctionnement des acteurs de santé en matière de fin de vie, et pose de nouvelles questions à notre société. Le fait que de plus en plus de gens vivent avec des maladies qui ne vont pas guérir nous pose aujourd’hui la question de la qualité et du sens des vies que nous savons prolonger. Dans une société où la logique du « faire » est très valorisée, la dépendance est parfois vécue avec une forme de culpabilité. Or, me semble-t-il, dans une démocratie, les personnes vulnérabilisées par leur maladie doivent faire l’objet d’une attention particulière. La capacité à accompagner les personnes vulnérables se mesure à l’aune de la capacité à faire vivre une démocratie.

Deuxième point, les questions liées à la fin de vie ne se limitent pas au débat sur l’euthanasie. La tendance à les y réduire me semble fâcheuse. Elle provoque un effet d’occultation. La France est le pays qui dispose le moins de résultats de travaux de recherche sur la question extrêmement complexe de l’euthanasie. Depuis vingt-cinq ans que nous en discutons – souvent au détour d’affaires médiatisées – nous ne nous sommes pas donnés les moyens de mener des travaux de recherche susceptibles de nourrir le débat. Faute de données factuelles, celui-ci s’appuie essentiellement sur des sondages d’opinion, effectués de plus auprès de personnes qui ne sont pas les principales intéressées. Nous allons publier prochainement les résultats d’une première enquête française, menée par l’Observatoire en lien avec l’Institut national d’études démographiques (INED), sur la réalité des pratiques médicales dans le domaine de la fin de vie et notamment celle de l’euthanasie. Nous en médiatiserons un peu les résultats.

Troisième point, pour nous les questions de fin de vie ne sont pas solubles dans les champs de la médecine ou de la santé ; elles sont bel et bien des questions de société. Or, les travaux que nous avons menés montrent que la France est le pays européen où l’approche des questions de fin de vie est la plus médicalisée. Il faudra donc réfléchir sur un autre regard à porter sur ces questions. Cela renforce l’idée, émise dans notre rapport, selon laquelle un débat public sur les questions de fin de vie est un préalable indispensable à une éventuelle évolution de la loi.

Quatrième point, l’Observatoire a aussi pour mission d’évaluer les limites d’application de la loi du 22 avril 2005 et de chercher pourquoi, six ans après, il est si difficile de faire entrer dans les us et coutumes et les pratiques des professionnels de santé le changement de paradigme introduit par cette loi, après la « loi Kouchner » de 2002. Ces deux lois ont transformé complètement le rapport des malades à leur maladie et celui des soignants avec les personnes malades. Au-delà de défauts d’information – en partie corrigés depuis –, nous avons essayé de comprendre les raisons expliquant la difficulté à appliquer une loi modifiant autant les pratiques.

D’abord, il ne faut pas s’étonner que les soignants – et tout particulièrement les médecins – aient du mal à intégrer ce changement puisque la formation médicale elle-même ne l’a pas fait ! L’un des enjeux forts de nos travaux actuels est donc une évolution de la formation des acteurs de santé vers l’assimilation des droits des personnes malades et d’autres façons de travailler. La médecine n’avait pas pensé qu’elle produirait de la complexité ! Elle croyait au contraire que le progrès serait facteur de libération et de simplification. Or, aujourd’hui, nous constatons – à l’hôpital notamment – que des personnes se trouvent dans des situations de grande vulnérabilité et de grande complexité.

Que pouvons-nous faire, nous, acteurs de santé, lorsque nous sommes confrontés à ces situations de complexité dont nous ne savons pas grand-chose ? Nous atteignons les limites de la dimension scientifique du savoir médical. Il nous faut apprendre à travailler différemment. La « loi Leonetti » mentionne expressément l’approche collégiale. Il n’est pas si facile de faire évoluer une culture médicale traditionnellement verticale. Aujourd’hui, il faut transformer en profondeur la formation des médecins.

Pour comprendre les difficultés de l’application de la loi, les travaux de l’Observatoire font aussi apparaître une autre idée reçue. Nous avions déjà souligné que, dans le champ de la santé, la posture française allait plutôt vers l’acharnement thérapeutique. Certes, la médecine moderne provoque des situations si complexes qu’elles peuvent obliger à des réflexions autour de la fin de vie. Mais comment pouvons-nous nous retrouver si souvent dans des situations qui peuvent être assimilées à des formes d’acharnement thérapeutique, autrement dit à des traitements qui peuvent être jugés déraisonnables, ce que la loi interdit ? Les résultats de nos enquêtes nous ont surpris. Alors que des affaires très médiatisées ont pu donner l’impression que ce sont plutôt les médecins qui sont à l’origine de l’acharnement thérapeutique, nous avons découvert que ce sont en fait souvent les familles qui demandent à prolonger des traitements parfois jugés déraisonnables par les médecins. Cette situation conflictuelle pose la question d’une éducation, plutôt que celle de la formation. Les difficultés ne se situent donc pas là où nous le pensions.

En matière d’acharnement thérapeutique, nous avons aussi pu mesurer la différence considérable d’approche entre les soignants – infirmières ou aides-soignantes, par exemple – et les médecins. Il faut en tenir compte dans la formation.

Dans notre rapport, nous avons procédé à une évaluation inédite, celle de la population requérant des soins palliatifs. Les deux tiers des décès en France, soit 300 000 à 350 000 personnes par an, relèvent de soins palliatifs. Or, si nous nous fions à la valeur des indicateurs dont nous disposons, seulement un tiers de la population requérante bénéficie de tels soins.

Si, à la suite des plans successifs de développement des soins palliatifs, la France a globalement comblé son retard en matière de structures – aujourd’hui, plus de 110 unités de soins palliatifs, 4 500 lits identifiés, presque 400 équipes mobiles – en revanche, sur le plan de la culture palliative, autrement dit de l’intégration dans la pratique des professionnels de santé, nous devons réaliser un véritable travail de fond qui ne nécessite pas beaucoup de moyens, mais demande beaucoup d’énergie et un peu de temps, car cela passe par la formation et la transformation des pratiques professionnelles.

Par ailleurs, alors que 67 % des décès qui surviennent dans les services des urgences des hôpitaux relèvent des soins palliatifs, nos travaux font apparaître que seulement 7 % des personnes ainsi décédées ont bénéficié de tels soins.

Tout cela pose non seulement la question du rapport de notre société à la mort, de la médicalisation de la toute fin de vie, mais aussi celle de la mission des services d’urgence dans ce domaine, puisque nous sommes manifestement défaillants de ce point de vue.

D’autres chiffres appellent visiblement des mesures correctrices. Seulement un peu plus de 2 % des médecins généralistes ont bénéficié d’une formation continue en matière de fin de vie ! L’insuffisance est criante. Nous devons donc centrer notre action sur ce point.

Enfin, pour en venir aux réactions à notre rapport évoquées par le président, il est vrai que des associations qui se positionnent, comme elles en ont le droit, dans un registre partisan ou opposant ont réagi assez violemment à sa publication. La vivacité de la réaction à des résultats que j’essaie de rendre aussi factuels que possible montre d’ailleurs à quel point il est difficile, en France, d’aborder ces questions de façon neutre. Nous ne pourrons pas progresser dans l’avenir sans les dépassionner.

L’Observatoire national de la fin de vie a en effet enregistré deux démissions. Le professeur Emmanuel Hirsch a souhaité prendre de la distance et se dégager du devoir de neutralité auquel il était soumis pour pouvoir s’engager dans un militantisme, que nous respectons, contre la légalisation de l’euthanasie.

Quant à Mme Marie de Hennezel, elle a démissionné parce qu’elle a considéré que notre rapport n’apportait pas grand-chose. Pour ma part, je considère que l’important était que ce rapport établisse des sources très fiables pour justifier des données, certes connues de Mme de Hennezel, mais moins du grand public.

M. Paul Jeanneteau. Il me paraît inutile de légiférer à nouveau en matière de fin de vie. La « loi Leonetti » pose des principes forts : refus de l’acharnement thérapeutique, droit pour le malade de refuser un traitement, obligation pour le médecin de tout mettre en œuvre pour soulager la douleur du patient et droit pour chacun d’exprimer à l’avance ses souhaits pour l’organisation de ses derniers moments. Cette excellente loi, qui envisage les différents cas auxquels les médecins peuvent être confrontés face aux malades en fin de vie, n’est malheureusement pas assez connue, non seulement de la population, mais surtout du corps médical. Plutôt que de légiférer inutilement, il faut promouvoir la « loi Leonetti » auprès des malades, des familles et des médecins.

Les médecins doivent aussi, comme vous l’avez rappelé, être mieux formés aux soins palliatifs. En tant que professionnel de santé, j’ai pu à de nombreuses reprises constater l’efficacité des unités de soins palliatifs, non seulement pour la prise en charge du malade et de sa douleur, dans toutes les dimensions de celle-ci – physiologique, thérapeutique et psychologique –, mais aussi pour la prise en charge de sa famille.

Légiférer sur l’euthanasie serait légiférer sur le droit de donner la mort. Le législateur ferait alors sauter un puissant interdit et ouvrirait ainsi la porte à de nombreux abus. Quels critères permettraient d’euthanasier un malade ? Comment pourrait-on être sûr de respecter la volonté du patient ?

Le droit à mourir dans la dignité, référence des partisans de l’euthanasie, est déjà assuré par les soins palliatifs. Que signifie le terme de dignité ? Lorsque la personne souffrante perd de ses capacités intellectuelles ou physiques, perd-elle aussi une part de sa dignité ? La dignité de la personne est intrinsèque ! Elle ne doit pas être fonction de son état de santé. La société doit poser des interdits à la transgression. Le droit a pour mission d’encadrer des pratiques en fonction des valeurs de la société. Pour légiférer, nous devons suivre notre propre conscience et, surtout, ne pas déroger aux pratiques qui fondent notre « vivre ensemble », car ce serait quitter l’état de culture pour revenir à l’état de nature.

Mme Catherine Lemorton. La question éminemment douloureuse de la fin de vie comporte une dimension philosophique. Même collégiale, la décision de mettre fin à une vie ne correspond-elle pas à une projection de la vision qu’a chacun de sa propre fin de vie ? Or la décision doit être prise exclusivement en fonction de la personne concernée. Comment prendre le recul nécessaire ?

La pluridisciplinarité est en effet une aide pour la mort dans la dignité. Quant aux soins palliatifs, je suis d’accord pour dire qu’ils ne sont pas assez développés dans notre pays. Les professionnels de santé, dont je fais partie, sont formés pour soigner et amener les gens jusqu’au bout de la vie. Dès lors, comment leur reprocher de vouloir soigner jusqu’à la fin ?

En 2007, la mise en place des franchises médicales devait être utilisée pour aider au développement des soins palliatifs, mais je ne sais pas combien d’argent y a été effectivement affecté.

Enfin, notre réflexion nous a amenés à envisager qu’une décision de permettre à une personne de mourir dans la dignité puisse être prise en cas de souffrance physique ou psychique insupportable. Monsieur le docteur Aubry – nous sollicitons votre aide –, ce mot « ou » ne devrait-il pas être remplacé par « et » ? L’emploi de « ou » ne risque-t-il pas de laisser de côté la question de savoir si tous les moyens ont bien été mis en œuvre pour lutter contre l’état dépressif qui amène à vouloir mourir ?

M. Jean-Luc Préel. Merci, docteur Aubry, pour ce rapport qui fait objectivement le point sur un sujet majeur qui nous concerne tous, à savoir la fin de vie. Aujourd’hui, notre société occulte la mort et des gens meurent isolés à l’hôpital sans être entourés de leur famille, ce qui n’était pas le cas autrefois.

Pour quelles raisons la « loi Leonetti », pourtant équilibrée, est-elle aussi méconnue ? Comment la faire connaître auprès des professionnels de santé, dont certains ignorent son contenu, ainsi que de la population ?

En matière de soins palliatifs, la formation initiale et continue des professionnels de santé est aujourd’hui très insuffisante. Comment l’améliorer ? Cette absence de formation est-elle due à des raisons psychologiques ou à des raisons de métier, le médecin étant d’abord considéré comme un pourvoyeur de soins ?

Enfin, si le nombre de lits en soins palliatifs est passé de 232 en 2000 à plus de 5 000 aujourd’hui, n’est-il pas encore insuffisant ? Chaque établissement n’en est toujours pas pourvu.

Enfin, ne faudrait-il pas développer les équipes mobiles qui peuvent rayonner à partir d’un centre de soins palliatifs ?

M. Bernard Perrut. La question qui nous préoccupe n’est pas seulement médicale ; c’est un grand sujet de société. Je voudrais souligner la qualité du travail mené par Jean Leonetti dans le cadre de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, au cours de laquelle nous avons auditionné non seulement des professionnels de santé, mais aussi des psychologues ou encore des philosophes. La loi importante qui en a résulté est fondée sur des équilibres en matière de solutions à trouver pour la fin de vie. Elle a été complétée par d’autres dispositions fortes, comme le congé de solidarité familiale et le texte instituant l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, dont j’ai été le rapporteur. On ne peut en effet évoquer la fin de vie sans évoquer la place de la famille, des professionnels de santé, voire des bénévoles. Mme de Hennezel l’a dit : sans les familles, rien n’est possible.

Dans notre pays, la conscience de la nécessité des soins palliatifs a peut-être été un peu tardive. L’analyse en la matière ne doit pas être formulée exclusivement du point de vue de la santé. Les soins palliatifs sont délivrés en fonction d’une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. Leur objet est la prise en compte des douleurs physiques, mais aussi psychologiques, sociales, voire spirituelles. Or, ces éléments sont difficiles à chiffrer, car ils se mesurent en fonction de la force interne de chacun, voire des croyances religieuses ou philosophiques.

En France, l’interdisciplinarité en matière de soins palliatifs est-elle suffisante ? L’approche de la fin de vie accorde-t-elle une place suffisante à la famille et aux proches ? Nos médecins y sont-ils suffisamment formés aujourd’hui ? Au passage, il semble que les personnels infirmiers seraient mieux formés qu’eux aux soins palliatifs. Ce n’est que très récemment que le cursus universitaire s’est vu doter d’une formation dans ce domaine ; peut-être les médecins ont-ils trop longtemps considéré que la mort était une forme d’échec et d’abandon. J’ai néanmoins perçu une évolution lors des auditions auxquelles nous avions procédé.

Par ailleurs, pourriez-vous dresser à notre intention une carte nationale des hôpitaux qui ont su prendre à bras le corps ce problème de la fin de vie et des soins palliatifs ? Combien, département par département, la France compte-t-elle de réseaux de soins palliatifs ? Quel est, pour chaque hôpital, le nombre d’unités et d’équipes mobiles consacrés à ces soins ? Il ne faut pas non plus oublier les réseaux de maintien à domicile.

Enfin, quel peut être le rôle des associations dans l’approche de la fin de vie ? Certaines militent pour la fin de vie dans la dignité, d’autres au contraire souhaitent que la vie se prolonge jusqu’au dernier moment.

M. Christophe Sirugue. Considérer que la législation doit rester constante me semble contradictoire avec l’évolution des études, des pratiques, des attentes et des mentalités dont fait état le rapport de l’Observatoire. Pour autant, l’on ne peut modifier la loi en la matière sans un grand débat national qui dépasse bien évidemment les clivages politiques et doit permettre de poser les problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

Si la question est aussi sensible, comment se peut-il que la « loi Leonetti » et ses avancées soient aussi peu connues ? Si nous considérons tous que l’amélioration des soins palliatifs est un progrès très positif, pourquoi en sommes-nous encore à constater la faiblesse des moyens affectés à ceux-ci ou encore les difficultés, dans certains centres hospitaliers, à accepter la présence d’une unité ou de lits de soins palliatifs ?

Alors que, selon le rapport, on meurt plutôt à l’hôpital ou en maison de retraite, faut-il vraiment faire porter l’effort sur les soins palliatifs à domicile ?

Enfin, j’entends bien que les professionnels de santé sont formés pour soigner et non pas pour accompagner vers la mort, mais le débat doit être porté dans sa dimension nationale. Ceux d’entre nous qui sont des professionnels de santé – et ils sont nombreux – doivent d’abord réagir en tant que parlementaires.

M. Dominique Dord. Bien que n’étant pas professionnel de santé, je m’associe aux propos remarquables de Paul Jeanneteau. La « loi Leonetti » fixe des principes équilibrés pour régir un sujet bien difficile, mais elle est en effet encore trop mal connue et peu appliquée faute de formation des médecins et d’une éducation spécifique de la population.

Comme vous l’avez dit au début de votre intervention, docteur Aubry, si la médecine ne sait pas soigner certaines maladies très invalidantes et handicapantes de la fin de vie, elle sait néanmoins maintenir en vie, quelquefois pendant très longtemps, des personnes atteintes de ces maladies. Une question me préoccupe depuis longtemps : nous recevons des témoignages selon lesquels lorsque de telles personnes sont prises en charge dans des structures privées – donc « commerciales » –, l’exploitation de cette capacité à faire vivre longtemps un « client » malade serait très différente de ce qui se passe dans les structures hospitalières non commerciales. L’Observatoire a-t-il pu déterminer s’il y avait là une réalité ou, au contraire, constater l’absence de différence dans la prise en charge des patients, que la structure soit commerciale ou non ?

(Présidence, de M. Bernard Perrut, vice-président de la Commission)

M. Jean Bardet. Je voudrais revenir sur l’ « obstination déraisonnable » évoquée par le rapport. Le rôle d’un médecin, c’est d’être obstiné. Je ne vois pas en quoi l’obstination serait une attitude déraisonnable. Pour moi qui suis médecin, l’objectif d’un médecin doit être de maintenir son malade en vie. Je me limiterai à citer quatre exemples d’ « obstination déraisonnable » qui ont entraîné des progrès de la médecine que plus personne ne conteste.

Le premier remonte au XIXème siècle, époque des premières tentatives de sutures du cœur. Un grand chirurgien anglais, Theodor Billroth, avait alors dit que tout chirurgien qui voudrait faire une suture du cœur perdrait l’estime de ses confrères. Or, aujourd’hui, même si cette opération est rare en raison du caractère très spécifique des situations qui l’imposent, elle se pratique.

Le deuxième exemple concerne la leucémie aiguë de l’enfant. Lorsque Jean Bernard a réalisé les premières exsanguino-transfusions, il a permis à un enfant de vivre trois semaines supplémentaires et a alors été critiqué par tous ses confrères. Or, aujourd’hui, la plupart des enfants atteints de leucémie – maladie mortelle à l’époque où j’étais jeune étudiant en médecine – sont en situation de rémission prolongée, voire de guérison.

Le troisième exemple est celui des transplantations cardiaques. Aucun comité d’éthique n’aurait donné à Christian Barnard l’autorisation de réaliser la première de ces transplantations. Alors que son maître, Norman Shumway, qui avait réalisé toute l’expérimentation animale, n’avait jamais franchi le pas, Barnard l’a fait à une époque où la cyclosporine n’était pas connue et où le rejet était donc quasi systématique. Certes, son malade n’a survécu que trois semaines, mais s’il n’avait pas effectué la première transplantation cardiaque, la cyclosporine aurait-elle été découverte ? La transplantation cardiaque n’est-elle pas devenue un espoir pour les malades ?

Enfin, lorsque le chirurgien français Jean-Louis Lortat-Jacob a réalisé les premières chirurgies du cancer de l’œsophage, ses quarante premiers malades sont morts. La petite histoire dit qu’il l’avait fait savoir au quarante-et-unième, qui l’interrogeait sur ses chances de survie. Ce malade a néanmoins accepté l’opération, et a survécu – assez brièvement, il est vrai, car le cancer de l’œsophage reste un cancer extrêmement grave.

Autrement dit, pour moi qui suis médecin, il n’y a pas d’ « obstination déraisonnable ». Ce sont les progrès de la médecine qui sont en jeu.

M. Vincent Descoeur. On constate en effet, à la lecture du rapport, un écart entre le nombre de personnes susceptibles de bénéficier d’un accompagnement et la réalité : un peu plus de 120 000 personnes ont pu bénéficier de soins palliatifs. S’il existe dans ce domaine des disparités régionales, quelles en sont les explications ? Par ailleurs, faut-il créer ou développer une formation aux soins palliatifs ? Enfin, les gens finissent souvent leur vie à l’hôpital ou en établissement, mais envisage-t-on de développer l’accompagnement à domicile ?

M. Christian Hutin. Notre groupe insiste régulièrement sur la nécessité de rendre opérationnelle et indépendante la formation continue des médecins. De fait, celle-ci est au cœur du problème dont nous parlons : nous devrons y réfléchir au cours de la prochaine législature. On compte, parmi les parlementaires, des médecins de formations différentes, et certains d’entre eux n’exercent plus. Pour ma part, je suis généraliste dans une zone urbaine défavorisée. Selon votre rapport, monsieur Aubry, environ 25 % des décès interviennent à domicile. Vous déplorez que 2 % seulement des médecins soient formés aux soins palliatifs, mais il faut saluer le rôle que jouent les médecins de ville auprès des familles, dans un cadre intime qui dépasse celui de la loi.

M. Bernard Perrut, président. Quelle est la place des enfants dans la fin de vie, notamment au sein des services d’accueil qui leur sont dédiés ? L’approche est-elle différente avec eux ?

Docteur Régis Aubry. L’idée que l’on pourrait supprimer toute souffrance, qu’elle soit physique ou psychique, n’a pas de sens. Et l’on ne peut laisser penser que les soins palliatifs seraient le remède à la souffrance, car l’homme est doté à la fois d’une conscience et d’une capacité à souffrir. Certains messages, très réducteurs, confondant douleur et souffrance, peuvent de ce point de vue se révéler dangereux. On ne saurait reprocher à quiconque d’abandonner un homme à sa souffrance : le devoir de la société et de la médecine est non pas de se donner des ambitions inaccessibles, mais d’accompagner ceux qui finissent leur vie dans la souffrance.

Selon un sondage réalisé, il y a deux ans, par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, les trois quarts des Français ignorent que la loi prohibe l’acharnement thérapeutique. C’est dire que la méconnaissance de la loi ne concerne pas seulement les professionnels de santé. Plus généralement, notre société a un problème avec la mort ; c’est sans doute ce qui explique que la question de la fin de vie ait surtout été abordée, jusqu’à présent, de façon polémique. Vous avez raison, monsieur Hutin, de souligner l’expérience des médecins généralistes en matière d’accompagnement. Néanmoins, force est de constater que la médecine moderne a mis l’accent, pour des raisons qu’il n’y a d’ailleurs pas lieu de critiquer, sur l’aspect biotechnologique, au détriment de la dimension philosophique des soins, de l’attention portée à la souffrance de l’autre. La formation des médecins, dont on peut en effet craindre qu’elle s’éloigne de celle des infirmières sur ce point, doit donc être réformée en profondeur ; c’est ce à quoi nous nous employons avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment dans la cadre de l’application des accords de Bologne ; mais cela n’est pas simple.

J’appelle cependant de mes vœux des états généraux, ou en tout cas une réflexion citoyenne sur la fin de vie. Aux Pays-Bas, je le rappelle, la dépénalisation de l’euthanasie a été précédée par un débat public qui a duré douze ans ! Des sujets aussi graves et aussi complexes ne peuvent être réduits à des caricatures ou à des approches binaires : ils appellent une vraie réflexion et des débats sereins.

L’offre de soins palliatifs est désormais satisfaisante du point de vue des structures, malgré quelques carences ici ou là et même si certains établissements de santé ont du mal à intégrer de telles structures. Cela dit, outre la formation, dont j’ai parlé, nous devrions peut-être envisager d’accueillir les patients en fin de vie dans des structures plus « démédicalisées », comme le font certains pays anglo-saxons, en particulier le Canada. En effet, les études de l’Institut national d’études démographiques montrent qu’il y a de plus en plus de personnes seules dans notre pays. Nous avons besoin, dès aujourd’hui, de lieux de répit pour les familles car les fins de vie sont de plus en plus longues et difficiles. Par ailleurs, certains patients n’ont pas d’autre lieu pour terminer leur vie que l’hôpital, et ce malgré le travail formidable réalisé par les acteurs à domicile, dont il convient de renforcer les moyens. Or l’hôpital, à ce stade où la question centrale est non plus le traitement, mais l’accompagnement, fait ce qu’il sait faire : il médicalise. Bref, tout cela mérite réflexion : ce premier rapport ne fait que pointer des besoins qu’il faut encore chiffrer.

Aux termes de la loi du 22 avril 2005, c’est le malade qui doit juger si l’obstination est déraisonnable ou pas. Et, contrairement à ce que nous pensions avant de faire ce rapport, l’acharnement thérapeutique vient moins des médecins que des malades. Dès lors, la question que nous devons poser est la suivante : comment, dans un contexte économiquement contraint, appréhender les conséquences du progrès qui permet à des patients atteints de maladies incurables de survivre longtemps ? Comment maintenir l’humain au cœur de nos politiques de santé ? L’Angleterre, par exemple, a fixé à 85 ans l’âge au-delà duquel tout traitement susceptible de maintenir le patient artificiellement en vie doit être arrêté. Faudra-t-il envisager des solutions aussi radicales, ou plutôt considérer, de façon plus intelligente et humaine, si vous me permettez l’expression, que l’état physiologique prime sur l’âge ? Quelles priorités fixerons-nous, et avec quels moyens ? Doit-on par ailleurs maintenir en vie, dès lors qu’on le peut ? Notre société devra s’emparer de ces questions dans le cadre d’un grand débat public et se confronter à l’idée de la mort, dont aucun vaccin ne prémunira jamais. Toute vision réductrice de ces questions complexes s’apparenterait à du populisme. On ne peut réduire le problème de la fin de vie à une approche binaire. Les médecins, il est vrai, perçoivent souvent la mort comme un échec, mais il faut précisément nous interroger sur ce sentiment de culpabilité, car tout se passe comme si nous avions oublié que nous étions mortels.

Quant aux enfants, il faut distinguer ceux qui sont atteints d’une maladie inguérissable de ceux dont c’est un membre de la famille qui est malade. La France, rappelons-le, est le seul pays au monde à avoir doté les services de soins palliatifs d’équipes spécialisées en pédiatrie – on en compte désormais une par région. Les situations d’enfants en fin de vie sont rares, certes, mais elles ont un impact considérable sur la fratrie et les parents. La création de ces services spécialisés est trop récente pour faire l’objet d’un bilan, mais elle est prometteuse, notamment au regard de cette question de fond qu’est l’accompagnement des enfants dont un membre de la famille est en fin de vie. C’est un véritable enjeu de santé publique, car un individu qui commence sa vie dans la souffrance ne la finira pas sans souffrir, surtout si l’idée de la mort lui a été occultée. C’est pourquoi notre société doit se réhabituer à considérer la vie comme relative. Ce faisant, elle développera des solidarités nouvelles, retrouvant par là même des valeurs qui la fondent.

Notre société, qui compte beaucoup sur la médecine, se tromperait en ignorant cette indispensable solidarité, que certaines associations prennent en charge, mais de façon encore insuffisante. C’est sans doute moins par la médicalisation que par l’accompagnement que l’on aidera le mieux nos concitoyens fragilisés par la maladie : rien n’est pire, dans la souffrance, que l’abandon. Notre société a-t-elle les moyens de mettre en œuvre de nouvelles formes de solidarité pour accompagner les plus vulnérables ? Telle est, à mon sens, l’une des questions fondamentales à poser dans le cadre d’un débat sur la fin de vie.

M. Bernard Perrut, président. Merci, docteur Aubry, pour cet exposé que vous avez conclu en insistant sur la dimension humaine. La fin de vie nous concerne tous, mais c’est lorsque des personnes sont seules que l’on mesure la responsabilité de tous les acteurs : professionnels de santé, bénévoles en milieu associatif, voire amis ou voisins.

La séance est levée à onze heures vingt.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 29 février 2012 à 10 heures 

Présents. – Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Valérie Boyer, M. Gérard Cherpion, M. Rémi Delatte, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Dominique Dord, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, M. Jean-Patrick Gille, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Jean-Marie Le Guen, Mme Catherine Lemorton, M. Claude Leteurtre, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Simon Renucci, M. Arnaud Richard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, M. Michel Rossi, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, Mme Marisol Touraine

Excusés. – M. Georges Colombier, M. Guy Delcourt, Mme Monique Iborra, M. Patrick Lebreton, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean Mallot, Mme Anny Poursinoff

Assistait également à la réunion. – M. Gérard Bapt