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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 12 décembre 2007

1ère séance
Séance de 15 heures
82ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

VISITE DE M. MOUAMMAR KADHAFI

M. Arnaud Montebourg – La République française est en train d’offrir une réhabilitation retentissante et dorée sur tranche au colonel Kadhafi, dont le régime a torturé des êtres humains et rançonné, encore récemment, la communauté internationale.

Pour justifier ce geste, vous avez prétendu que ce dictateur, à la tête d’un État voyou, serait devenu respectable. Pourtant, M. Kadhafi a fait à Lisbonne l’apologie du terrorisme.

M. Patrick Ollier – C’est faux !

M. Arnaud Montebourg – Vous avez prétendu que cette réconciliation ferait progresser les droits de l’homme en Libye. Pourtant, M. Kadhafi a affirmé que cette question n’avait pas été évoquée dans ses entretiens avec le Président de la République, traitant ainsi notre pays de menteur. Vous avez prétendu, comme M. Sarkozy, que cette visite officielle rapporterait dix milliards d’euros de contrats. Ce chiffre, vérification faite, est faux, et le montant total des contrats signés lors de cette visite ne s’élève qu’à 300 petits millions d’euros.

Entre affronts, humiliations et zizanies, cette visite tourne à la farce tragicomique. Elle ridiculise la France, affaiblit la force de sa parole et ternit l’universalité de son message. Que des relations diplomatiques normales soient rétablies avec la Libye, cela se conçoit. Mais que la France réhabilite à grands frais ce régime est un cadeau maladroit et coûteux.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez dit qu’il fallait savoir avaler son chapeau. Jusqu’où irez-vous dans la négation de vous-même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Pierre Brard – Jusqu’à Canossa !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  J’irai le moins loin possible ! Sachez que je réprouve les récentes prises de position du colonel Kadhafi, tout comme l’ensemble des députés ici présents (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). Nous condamnons son affirmation selon laquelle le terrorisme est l’arme des pauvres. Certes, la pauvreté pousse parfois au terrorisme, mais de tels actes sont injustifiables. Nous condamnons sa réprobation des accords de paix entre Israël et la Palestine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). Nous condamnons sa vision pitoyable des droits de l’homme en France et en Europe (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Plusieurs députés du groupe SRC – Alors ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Pourtant, ce régime évolue. En 2003, il a cessé de fabriquer des armes de destruction massive, a abandonné le terrorisme et rendu les stocks d’armes. En 2006, il a renoncé à la peine de mort (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). En 2007, grâce à l’action de l’Europe et de la France, les infirmières ont été relâchées.

M. Arnaud Montebourg – Heureusement !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Cela a justifié que nous pratiquions une diplomatie de la réconciliation et que nous le recevions, comme d’ailleurs le fera l’Espagne. M. Zapatero ne tiendra pas d’autre langage. Alors que le terrorisme a encore frappé hier, à Alger et à Beyrouth, nous cherchons à favoriser l’évolution d’un homme qui l’a condamné et s’est élevé contre les deux attentats en Algérie. Nous voulons encourager ce pays sur cette voie, tout comme nous le faisons pour l’Iran.

Nous n’avons rien abandonné, mais il est difficile de se contraindre à agir, lorsque c’est à ses dépens. En retour, nous n’espérons pas d’enthousiasme de votre part, mais pas d’hypocrisie non plus (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

RISQUES SISMIQUES AUX ANTILLES

M. Alfred Marie-Jeanne – Croyez-moi, la Martinique l'a échappé belle le 29 novembre, lorsqu’elle a été touchée par un séisme de magnitude 7,3. Heureusement, l’épicentre se trouvait à plus de 150 kilomètres de profondeur. Ce ne sera pas toujours le cas.

Chaque année qui passe doit être mise à profit pour la protection des vies humaines. J’ai interpellé le Gouvernement à quatre reprises, en 1999 et en 2005. Le conseil régional a mis en place en 2000 une formation spécifique pour les architectes, les ingénieurs et les techniciens supérieurs et a instauré en 2004 une prime à la construction parasismique. Enfin, trois lycées ont été construits en utilisant le principe de l'isolation à la base.

Par contre, les propositions conjointes du conseil régional et des professionnels du BTP sur la refonte des règles « DOM » n'ont jamais été prises en compte dans la rédaction des annexes françaises des Eurocodes. En conséquence, les règles de mise en oeuvre sont inadaptées aux risques encourus. Monsieur le ministre de l’outre-mer, il importe d'habiliter le conseil régional à prendre les mesures appropriées dans les domaines du parasismique, de l'acoustique, de la thermique et de la mise en oeuvre des matériaux (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Christian Estrosi, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer – Vous avez raison : les Antilles ont échappé à une catastrophe humaine et matérielle. Il est essentiel d’aller plus loin dans la prévention des risques sismiques.

Un plan d’action « outre-mer » a été décidé en conseil des ministres en janvier 2007. Il a été confirmé lors du Grenelle de l’environnement. L’idée est de rendre les outre-mers exemplaires dans les domaines environnementaux, et particulièrement dans celui de la prévention des risques naturels.

La première urgence, c’est de mettre aux normes les bâtiments publics et le parc de logements sociaux. La contractualisation entre l’État et la région, avec l’appui des fonds structurels européens, a permis d’engager une première tranche de 20 millions pour les écoles et de 70 millions pour les deux CHU de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre, affectée tant au diagnostic qu’aux travaux.

La deuxième urgence, c’est la prévention, à travers des actions ambitieuses auprès de la population, menées en association avec les collectivités, et dont nous avons pu mesurer toute l’utilité le 29 novembre dernier. S’agissant des constructions nouvelles, il faut imposer le respect des normes parasismiques ; je veux à cet égard saluer l’action du conseil régional de la Martinique, qui participe au financement des surcoûts, ainsi qu’à des actions de formation.

Le Président de la République et le Premier ministre souhaitent que dans les prochains jours, nous précisions encore notre politique ambitieuse en ce domaine. Je veillerai à ce que, conformément à votre souhait, nous allions beaucoup plus loin en termes de contractualisation avec les collectivités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ALLOCATION PERSONNALISÉE D’AUTONOMIE

M. Yvan Lachaud – Madame la Secrétaire d’État chargée de la solidarité, le Sénat a voté dans la nuit du 10 décembre un amendement, présenté par MM. Arthuis et Marini, qui fait grand bruit. Il vise en effet à récupérer sur les successions supérieures à 100 000 euros les sommes versées dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie : c’est inadmissible (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

L’APA, créée en 2002, est populaire parce qu’elle est juste : elle permet à des personnes en difficulté de mieux vivre au quotidien. Venue remplacer le dispositif précédent, la prestation spécifique dépendance, qui était versée à 148 000 personnes, elle profite à plus d’un million de nos concitoyens. Variant en fonction de l’état de dépendance et des revenus du bénéficiaire, elle représente en moyenne 410 euros par mois pour les personnes vivant à domicile et 275 euros pour les personnes en établissement.

Sous prétexte de redistribution, cet amendement a été voté en catimini, sans aucune concertation. Comment comptez-vous réagir à cette provocation évidente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la solidarité – Le Sénat a effectivement adopté lundi dernier cet amendement au projet de loi de finances pour 2008, qui vise les actifs successoraux supérieurs à 100 000 euros ; le dispositif, applicable à compter du 1er janvier 2009, ne s’appliquerait qu’au seul flux des allocataires.

M. Maxime Gremetz – Scandaleux ! C’est une honte !

Mme Valérie Létard, secrétaire d’État  Le Gouvernement s’est opposé à l’adoption de cet amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP). C’est une question très sensible, qui avait été tranchée non sans débat lors de la discussion du projet de loi sur l’APA, et qui mérite mieux qu’un vote au détour d’un amendement au projet de loi de finances. Elle mérite surtout d’être abordée dans le cadre du chantier du cinquième risque (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC) : l’augmentation de la population âgée nous impose de rechercher ensemble des financements, à partir du rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ; les partenaires sociaux, les départements, les associations représentant les personnes âgées ont proposé des pistes de réflexion, et Xavier Bertrand et moi–même voulons engager au premier semestre 2008 un large débat. Nous souhaitons que cette disposition soit retirée du PLF parce qu’elle anticipe sur ce travail (Mêmes mouvements). Les départements, qui seront associés à la réflexion, ne doivent pas oublier que l’APA a permis de créer des dizaines de milliers d’emplois de services à la personne et qu’ils risqueraient de payer demain au titre du RMI ce qu’ils paient aujourd’hui au titre de l’APA ! (Mêmes mouvements)

TRAITÉ EUROPÉEN

M. Céleste Lett – Député de la Moselle, je suis né sur la frontière, et plus encore à la confluence de deux rivières, la Blies qui prend sa source en Allemagne, et la Sarre qui prend la sienne en France, au Donon, dans le massif vosgien. Cette confluence a donné naissance à la ville de Sarreguemines : c'est là sans doute aussi la source de mes profondes convictions européennes, à l'instar de l’un de nos modèles en Lorraine, Robert Schuman. Il y a d'ailleurs un apparent paradoxe à ce que la réconciliation et la construction européenne aient germé sur ces terres profondément meurtries.

Cette semaine, Monsieur le ministre des affaires étrangères, l'Europe est à l'honneur, et j'ai été très heureux que l'Assemblée nationale soit invitée hier à mesurer l'ampleur historique de l’événement : vous participerez demain, avec le Président de la République et le Premier ministre, à la cérémonie de signature du nouveau traité, dit « de Lisbonne ». L'Europe va ainsi fermer une parenthèse de deux ans et demi pour rouvrir une période de progrès et de construction (Exclamations sur les bancs du groupe GDR).

Ce traité nous offrira enfin les outils d’une Union tournée vers l'avenir, avec des procédures et des institutions adaptées, un président stable, un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, une commission réduite, un nombre de parlementaires plafonné et l'extension de la majorité qualifiée. Nous allons donc voir l'Europe se remettre sur les rails.

M. le Président – Veuillez poser votre question.

M. Céleste Lett – À tous ses détracteurs, ce traité simplifié apporte une première réponse, celle du courage et de la responsabilité (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Le groupe UMP saluera d'ailleurs ce grand événement mardi prochain en recevant les présidents de groupes de droite et centre droit des parlements nationaux de l'Union. Quel sera le rôle de la présidence française dans la mise en oeuvre de ce traité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Je salue le député de Sarreguemines…

M. le Président – Député de la nation, Monsieur le ministre…

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères Certes, mais il n’est pas interdit de mentionner d’où monte cette voix européenne. Le nouveau traité n’aura pas été ratifié par tous les États membres lorsque la présidence française de l’Union commencera, mais nous avons bon espoir qu’il s’applique le 1er juillet 2009. À cette fin, notre rôle consistera principalement à aider la présidence slovène qui s’engagera le 1er janvier. Pour ce faire, nous « prêterons » cent dix ambassadeurs à la Slovénie, qui l’assisteront dans la tâche ardue consistant à faire signer le traité à tous les pays membres – car, vous le savez, il suffit qu’un seul pays ne le signe pas pour que nous nous trouvions tous dans un grand embarras.

M. Maxime Gremetz – Pourquoi ne voulez-vous pas d’un référendum ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères La présidence française de l’Union se concentrera sur les trois dossiers prioritaires que sont l’énergie – en espérant parvenir à la mise en commun des sources –, le développement durable et les migrations, la défense européenne enfin. Nous la mettrons au cœur de notre présidence car la situation au Darfour et au Tchad montre qu’il y a beaucoup à faire pour asseoir la crédibilité de la politique européenne à ce sujet. Comme vous l’avez justement rappelé, le nouveau traité renforcera le volet social des politiques européennes et facilitera le fonctionnement de l’Union des Vingt-sept (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

ALLOCATION PERSONNALISÉE D’AUTONOMIE

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Les applaudissements qui ont accompagné la question de M. Lachaud relative à l’APA ont montré que cette allocation, qui permet aux personnes âgées dépendantes de rester quelques années de plus chez elles, fait finalement l’unanimité sur les bancs de l’actuelle majorité aussi. J’en suis heureuse, car je n’ai pas oublié que tel ne fut pas toujours le cas et qu’en 2003 encore, il a été question de la remettre en cause. Si le nombre des allocataires dépasse à présent le million, c’est que nous n’avions pas retenu l’hypothèse du recours sur succession. Le Gouvernement qui, cet été, a privilégié dans son paquet fiscal de 15 milliards les successions les plus importantes (Protestations sur les bancs du groupe UMP) puis ponctionné les plus modestes, notamment en instituant les franchises médicales, serait malvenu de persister dans cette voie. J’aimerais donc, Madame la ministre, vous entendre prendre l’engagement que le fâcheux amendement sénatorial restera sans suite (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la solidarité – Votre question a de quoi surprendre, car un amendement du sénateur socialiste Michel Charasse, beaucoup plus dur que celui auquel vous faites référence, a été repoussé : il fixait à 50 000 euros le seuil de recouvrement sur succession, avec effet au début 2008 ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous souhaitons, en concertation avec les départements pour combiner toutes les sources de financement, développer les services aux personnes âgées. Non seulement elles se trouveront bien de cette solidarité active, mais il y a là un gisement d’emplois non délocalisables de toute première importance. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite que la CMP ne retienne pas l’amendement sénatorial (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

FUSION ANPE-UNEDIC

M. Dominique Tian – Le taux de chômage, continuant de se réduire, est passé au troisième trimestre 2007 sous la barre des 8 %. Cela montre l’efficacité du travail du Gouvernement, qui a fait de la lutte contre le chômage l’une de ses priorités. À cette fin, la loi portant réforme du service public de l’emploi prévoit la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, ce qui permettra à chaque demandeur d’emploi de s’adresser à un interlocuteur unique, qui l’accompagnera dans sa recherche. Plus de 500 000 offres d’emplois restant non pourvues, l’enjeu est d’importance. L’objectif est de parvenir, à terme, à ce qu’un agent assure le suivi personnalisé d’une trentaine de demandeurs d’emploi, et non plus de 120 comme c’est le cas actuellement. Les agents de l’ANPE et de l’UNEDIC s’inquiètent de ce projet. Rapporteur de ce texte, je sais qu’il contient des garanties sociales fortes, mais j’aimerais savoir quels engagements le Gouvernement peut prendre à ce sujet (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi Pour la première fois depuis cinq ans, le taux de chômage est en effet passé, au troisième trimestre 2007, sous la barre des 8 % (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ce résultat est d’autant plus important que le chômage des jeunes et celui des seniors sont en diminution sensible. Cela étant, nous ne relâcherons pas l’effort, car de nombreuses dispositions doivent encore être prises si nous voulons atteindre l’objectif que nous nous sommes fixés : avoir réduit à 5 % le taux de chômage en 2012, en centrant notre politique de l’emploi sur les seniors, les jeunes et les salariés qui travaillent à temps partiel – notamment subi.

M. Maxime Gremetz – La précarité s’aggrave !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie  Le succès de notre politique de l’emploi passe aussi par l’amélioration du service public de l’emploi. La fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC permettra aux demandeurs et aux entreprises de ne plus s’adresser qu’à un interlocuteur unique et polyvalent sur l’ensemble du territoire. Toutes les catégories de chômeurs se verront proposer des indemnisations, mais surtout des offres d’emploi : une enquête récente, commandée par M. Hirsch, révèle que les bénéficiaires du RMI préfèrent généralement le travail à l’assistanat. Par ailleurs, cette réforme profitera particulièrement aux personnes les plus en difficulté, avec un référent pour trente demandeurs.

M. Maxime Gremetz – C’est de la chasse au chômeur !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie  Enfin, si cette réforme concerne avant tout les demandeurs et les entreprises, je vous garantis qu’elle ne se fera pas sans les personnels de l’ANPE et de l’UNEDIC ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PROJET DE LOI RELATIF AU POUVOIR D’ACHAT

M. Jean-Claude Mathis – L’emploi, la croissance, le travail et le pouvoir d’achat furent au cœur de la dernière campagne électorale. Cet été, le Parlement a longuement débattu de la loi dite TEPA, qui valorise le travail pour tous. Défiscalisation des heures supplémentaires et du travail étudiant, fiscalité des PME, réforme des successions et des donations, aides à l’accession à la propriété : autant de mesures qui vont provoquer un véritable choc de croissance !

La France est comme d’autres confrontée à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières et, partant, à celle du carburant. Nos concitoyens éprouvent par ailleurs des difficultés croissantes à se loger. La revalorisation du travail n’en est que plus urgente.

Vous avez, Monsieur le ministre, présenté ce matin en conseil des ministres un projet de loi reprenant les mesures annoncées le 29 novembre dernier par le Président de la République. Quelle en est la teneur, et comment changera-t-il concrètement le quotidien des Français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Le Gouvernement n’a, depuis six mois, cessé de se mobiliser en faveur du pouvoir d’achat.

M. Michel Sapin – En vain !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail  Il ne cessera, tout au long du quinquennat, de valoriser le travail. Les cinq mesures présentées ce matin en conseil des ministres ont été annoncées par le Président de la République il y a moins de quinze jours, et feront l’objet d’un texte bref, simple et clair qui vous sera soumis dès la semaine prochaine. Deux d’entre elles concernent le logement et les trois autres, le pouvoir d’achat. Les Français pourront notamment débloquer leur participation au fonds d’entreprise dans la limite de 10 000 euros : plus de la moitié des salariés sont concernés ! Quant à ceux qui travaillent dans une entreprise sans participation, nous ne les oublions pas : ils pourront percevoir une prime de mille euros exonérée de charges. S’agissant des RTT, nous ne voulons plus imposer d’en haut, mais laisser la liberté de choix aux salariés : soit ils conservent leurs journées, soit ils les monétisent. Cinq jours rapporteront ainsi 720 euros à un salarié gagnant 2 500 euros, et 375 euros à un salarié touchant le SMIC !

M. Michel Sapin – Vaste marchandage !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail  Toutes ces mesures prendront effet dès le 1er janvier prochain. Grâce à la valorisation du travail qui concerne tous les Français, il n’y a plus de déclassement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

POUVOIR D’ACHAT

M. Frédéric Cuvillier – Au fil de vos « beaux voyages » en Chine ou en Argentine, Madame la ministre de l’économie, vous n’avez peut-être pas eu le loisir de parcourir l’édifiant rapport du Secours catholique. Son diagnostic est grave : les Français sont de plus en plus nombreux à vivre sous le seuil de pauvreté. On attendrait du Gouvernement qu’il prenne des mesures de solidarité en leur faveur mais, hélas, ils n’appartiennent pas à la France des grandes fortunes. Pendant que, d’une main, vous offrez des milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches, vous accablez les plus pauvres de l’autre avec les franchises médicales, les déremboursements massifs et, plus récemment, l’annulation de l’exonération de la redevance audiovisuelle pour 800 000 personnes, âgées pour la plupart (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Marsaudon – Vous parlez beaucoup mais agissez peu !

M. Frédéric Cuvillier – Les bénéfices de GDF sont historiques, mais les ménages vont subir une nouvelle augmentation en plein hiver. Charité bien ordonnée commence par soi-même : le Président de la République se fait dans le même temps voter une augmentation de 170 % de son traitement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Et voici maintenant que vous vous attaquez à ceux qui souhaitent retrouver leur dignité par le travail.

M. Jean Marsaudon – Le chômage diminue !

M. Frédéric Cuvillier – Travailler plus pour gagner plus, dites-vous. Entendez-vous seulement ceux qui souhaitent tout bonnement trouver un emploi ? L’étude que vous citiez il y a un instant révèle en effet que ceux qui ne travaillent pas n’attendent qu’une chose : retrouver un emploi et quitter l’assistanat ! Pourquoi dès lors avoir supprimé un tiers des crédits des contrats aidés ce semestre, et en supprimer encore la moitié dès l’an prochain ? À l’approche des fêtes, plutôt que de leur annoncer la tenue de nouvelles tables rondes, voire d’un nouveau Grenelle, quelles mesures prendrez-vous en faveur de ceux que vous privez de ressources ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi Toute l’action du Gouvernement est destinée à encourager l’emploi, pour ceux qui en ont un et surtout pour ceux qui en sont éloignés – les seniors, les érémistes et les jeunes, notamment.

Mme Catherine Génisson – Et les femmes !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie C’est à eux que s’adressera la plateforme unique ANPE-UNEDIC. Quant aux contrats aidés, si leurs crédits ont diminué de 12 % dans le secteur non marchand, c’est tout simplement parce que l’emploi repart et que le chômage diminue !

M. Jérôme Lambert – Cela ne se voit pas partout…

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie Nous avons par ailleurs considérablement renforcé les contrats de professionnalisation, car l’apprentissage permettra aux jeunes de mieux s’insérer dans la vie active. À ces mesures s’ajoutent celles que nous avons prises cet été en faveur du pouvoir d’achat, de la prime à la cuve pour les ménages les plus défavorisés à la défiscalisation des heures supplémentaires.

Cessez donc de dire que tout cela est destiné aux riches, ce n’est pas vrai. Le Gouvernement mène une action déterminée en faveur de l’emploi, aussi bien pour ceux qui en ont déjà que pour ceux qui en cherchent un (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

COOPÉRATION DANS LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

M. Francis Saint-Léger – Deux membres de l'organisation indépendantiste basque ETA viennent d’être mis en examen pour l'assassinat de deux gardes civils espagnols le 1er décembre à Capbreton. Je tiens avant tout à saluer la mémoire de ces deux jeunes gens de 23 et 24 ans. Le couple soupçonné du crime a été arrêté quelques jours plus tard en Lozère, dans le village de Châteauneuf-de-Randon. Il convient de féliciter chaleureusement les services de police et de gendarmerie pour l’efficacité et la rapidité de leur enquête : c’est un grand succès pour nos forces de l'ordre. En qualité d'élu de la Lozère, je voudrais plus particulièrement souligner le courage et le sang-froid remarquables dont ont fait preuve les gendarmes, quatre hommes et quatre femmes, appartenant à trois brigades du département, qui ont procédé à l’arrestation de ces personnes déterminées et solidement armées sans qu'un seul coup de feu n'ait été tiré.

Voilà qui illustre toute l'importance de l'implantation cantonale des brigades de gendarmerie en matière de renseignement et de maintien de l'ordre. Cet événement tragique démontre par ailleurs la nécessité d’une vigilance constante face au terrorisme, ainsi que d’une coopération plus étroite entre États. Le Président du gouvernement espagnol José Luís Rodríguez Zapatero et le Président Sarkozy ont ainsi convenu de créer une équipe conjointe d'enquête permanente contre le terrorisme. Quelles mesures concrètes la France entend-elle mettre en œuvre pour renforcer la lutte contre le terrorisme ? Et, de façon connexe, comment conforter le maillage territorial des brigades de gendarmerie, gage d'une efficacité incontestable ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales L’attentat de Beyrouth ce matin, celui d’Alger hier nous rappellent que le terrorisme est une réalité quotidienne. Je voudrais, au nom je pense de l’ensemble de la représentation nationale, dire notre solidarité aux peuples libanais et algérien, ainsi qu’aux fonctionnaires internationaux qui ont perdu plusieurs des leurs alors qu’ils remplissaient une mission de paix.

Sur notre territoire, deux gardes civils espagnols en mission d’observation ont été tués par l’ETA. Grâce au professionnalisme, à l’efficacité et à la détermination des forces de police et de gendarmerie, auxquelles nous pouvons tous rendre hommage, deux des assassins ont été interpellés extrêmement rapidement. Ces événements montrent qu’en matière de terrorisme, la coopération interétatique est fondamentale. Pour la renforcer, en matière de renseignement d’abord, j’ai demandé à tous nos représentants dans les pays sensibles d’accentuer leurs efforts pour la collecte et la remontée des informations. Les dispositifs d’observation se montrent tout aussi importants. Ils existaient déjà – la présence des deux gardes civils en était une manifestation – mais j’ai demandé à ce qu’ils fonctionnent désormais en continu. La réforme des services de renseignement va dans ce sens. Dans le domaine de l’investigation ensuite, il a été décidé de développer les équipes qui avaient été testées à partir de 1986. Enfin, le maillage territorial de la gendarmerie a clairement fait preuve de ses qualités dans cette opération et il est évident qu’il faut conserver toute son efficacité à ce dispositif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

LOGEMENT SOCIAL

M. Claude Birraux – Dans mon département, frontalier, les disparités de revenus sont très fortes, les prix du foncier excessivement élevés et il est donc extrêmement difficile de construire des logement sociaux. Les collectivités se sont pourtant mobilisées, avec la création d’un office foncier, des participations du conseil général aux surcoûts, et un effort des communes. Le résultat est qu’on n’a jamais construit autant de logements sociaux, mais la liste d'attente est toujours aussi longue. On en arrive à ce paradoxe que le logement social semble comme figé et qu’il est devenu inaccessible aux plus démunis.

Hier, le Président de la République s'est exprimé sur le sujet. Quelles actions allez-vous mener, Madame la ministre du logement, pour que le logement social réponde à nouveau à sa vocation première et réponde aux besoins des plus déshérités ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz – À Neuilly aussi ?

Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville – La situation est effectivement grave, et le Président de la République a donné hier les grandes lignes de la politique du logement que nous devons mener. Deux millions de nos concitoyens sont aujourd’hui mal logés, et la situation dans des zones telles que la vôtre est particulièrement difficile. Cela n’est pas acceptable.

M. François Hollande – Loger un chef d’État sous une tente, c’est vrai, quelle honte !

Mme Christine Boutin, ministre du logement – Il faut considérer la question dans sa globalité, depuis le SDF jusqu’aux personnes bien logées. Je ne peux pas décliner ici toutes les mesures qui doivent être engagées, mais en ce qui concerne les plus modestes, l’objectif principal est très simple : construire, construire, construire. Tout le monde doit s’y atteler, et les maires tout particulièrement.

De nombreux députés du groupe SRC et du groupe GDR – À Neuilly ?

Mme Christine Boutin, ministre du logement – Mme Lagarde et moi sommes en train de réfléchir à des mesures de nature à encourager les maires bâtisseurs.

De nombreux députés du groupe SRC et du groupe GDR – À Neuilly !

Mme Christine Boutin, ministre du logement – Mais il faut aussi que les citoyens arrêtent de former recours sur recours contre les projets de construction et prennent conscience de la responsabilité qu’ils portent en retardant ainsi l’action des élus. Quant à la loi SRU, j’ai déjà dit de façon claire qu’elle serait appliquée de façon ferme.

L’autre objectif est d’améliorer la mobilité dans l’ensemble du parc. Pour cela, nous allons appliquer des surloyers afin que les personnes qui bénéficient de ressources supérieures quittent les logement sociaux, au profit des plus modestes. Nous allons aussi examiner les situations des locataires de HLM tous les trois ans et constituer un dossier pour chaque famille afin de suivre l’évolution de ses moyens. Enfin, un accord de vente de 40 000 logements HLM va augmenter la mobilité dans le parc et permettre aux sociétés HLM de construire davantage (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

POLITIQUE MINIÈRE OUTRE-MER

Mme Christiane Taubira – Ma question s’adresse au ministre de l’Écologie. Je constate qu’il n’est pas là. J’espère qu’il n’est pas en train de polluer la planète par des voyages intempestifs… (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe SRC ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Ma question concerne la politique minière. Après la fermeture des mines d’or, de charbon, de fer et même d’uranium , il n’existe plus guère d’exploitations que dans les outre-mers, avec le nickel en Nouvelle-Calédonie, le pétrole à Saint-Pierre-et-Miquelon et probablement à la Martinique, l’or et le pétrole en Guyane.

Le pétrole est off shore. Or l’article 31 du code minier, reprenant les dispositions de la loi de décembre 1993, exonère de toute redevance les concessionnaires de gisements en mer. Le Gouvernement semble considérer le code minier comme un texte sacré, puisqu’il répugne à introduire la moindre disposition de justice fiscale afin que les multinationales titulaires de ces concessions contribuent aux charges communes. Lors du débat budgétaire sur la mission outre-mer, il a exprimé un nouveau refus. Si c’est le ministre de l’outre-mer qui me répond, j’espère qu’il précisera à quelle date sera remise l’énième étude d’impact qu’il nous a promise (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En outre, des pratiques dilatoires permettent de contourner la loi de décembre 2000 qui transfère aux régions la compétence d’attribution des titres miniers en mer. En six ans, vous n’avez pas trouvé le temps de publier les articles d’application de cet article !

S’agissant des ressources terrestres, vous avez dépêché ces derniers jours une mission d’experts en Guyane. Elle doit remettre son rapport en fin d’année. C’était un engagement pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Vous allez donc devoir ensuite décider très vite. Quelles garanties nous donnez-vous quant à la transparence de la décision et au fait qu’elle ne sera pas seulement fondée sur le risque de demande de dédommagements de l’entreprise à l’État qui a tardé avant de trancher ? Prendrez-vous en considération les servitudes de la loi sur l’eau et la préservation d’un écosystème fragile, et ferez-vous la part des bonnes pratiques artisanales et industrielles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Christian Estrosi, secrétaire d’État chargé de l’outre-mer – Madame Taubira, puisque vous persévérez dans votre question après le débat sur les crédits de l’outre-mer, je vous confirme que la loi de programme que je présenterai au premier trimestre 2008 comportera bien des dispositions concernant la mise en place d’une taxe sur les gisements d’hydrocarbures, dont le produit irait aux collectivités d’outre-mer.

Je saisis cette occasion pour évoquer globalement quelques dispositions du plan d’action outre-mer issu du Grenelle de l’environnement. Pour la première fois nous avons pris des décisions importantes dans le domaine des énergies renouvelables ou du plan d’extraction minier. En Guyane, un projet important pourrait voir le jour à Camp Caïman si la mission d’expertise qui comprend des experts scientifiques et des représentants d’ONG nous apporte toutes garanties pour prendre une décision équilibrée. Mais vous n’évoquez pas le fait que l’orpaillage clandestin est très nocif pour l’environnement, avec le déversement de cyanure et de mercure dans la forêt amazonienne, où nos policiers et nos gendarmes sont en outre menacés par des forces paramilitaires, venant parfois du Brésil et du Surinam. La politique de la France est de trouver un juste équilibre pour mettre un terme à cette situation inacceptable tout en organisant une activité minière bien réglementée et respectueuse du schéma de développement durable issu du Grenelle de l’environnement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

TÉLÉVISION NUMÉRIQUE TERRESTRE

M. Vincent Descœur – Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication. La loi du 5 mars 2007 a fixé comme objectif la couverture de 95 % de la population métropolitaine par la TNT en 2011, et le CSA estime que les 85 % seront atteints d’ici la fin de l’année. Mais dans le Cantal, la couverture n’atteindra que 30 %, et d’autres départementaux ruraux sont dans le même cas. Il y a là une forme d’injustice, alors même que le conseil général fait des efforts pour la couverture en téléphonie mobile et l’accès au haut débit. D’autre part, l’extinction progressive de la télévision analogique est programmée. Pouvez-vous me confirmer que les départements ruraux bénéficieront à terme du niveau de couverture en TNT prévu par la loi et que la télévision analogique ne cessera pas d’être retransmise avant qu’on se soit assuré que les populations captent déjà la TNT ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – La TNT est un succès, avec 11 400 000 équipements commercialisés et un taux de couverture qui est de 75 % et atteindra 85 % à la fin de l’année. Vingt nouvelles zones seront couvertes dans les jours qui viennent, notamment dans l’est et le nord. En 2011, plus de 90 % des départements seront couverts. Certaines zones bénéficieront d’autres moyens de diffusion, comme le satellite, mais toujours gratuitement, car il n’y aura ni frais d’abonnement ni de location. Dans le Cantal, la couverture est de 30 %, mais grâce à dix nouvelles antennes, notamment à Saint-Flour, Murat, Riom-ès-Montagnes et Vic-sur-Cère, elle sera portée à 75 % fin 2008. Nous serons très attentifs à ce qu’il n’y ait aucune rupture lors du passage de l’analogique au numérique et à ce qu’aucune population ne soit privée de télévision (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

TRAITÉ DE LISBONNE

M. Nicolas Dupont-Aignan – Ma question s’adresse au Premier ministre ou au ministre des affaires étrangères. Le 16 mai 2007, lorsqu’il est entré en fonctions, le Président de la République a déclaré : « Le peuple français ne veut pas que l’on pense à sa place, le peuple français ne veut pas que l’on décide à sa place. » (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC) Aussi, pourquoi aujourd’hui le chef de l’État, le Gouvernement, une partie des élus de droite comme de gauche veulent-ils penser et décider à la place du peuple français sur le traité de Lisbonne ?

En un mot, pourquoi le Président de la République n’organise-t-il pas un référendum sur le traité de Lisbonne qu’il s’apprête à signer ? (Mêmes mouvements) À ces questions, vous répondez invariablement qu’il avait promis au cours de sa campagne un mini-traité ratifié par voie parlementaire (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Mais soyons honnêtes : le traité de Lisbonne n’a rien d’un mini-traité : il est la copie conforme de la Constitution européenne rejetée par la majorité du peuple français le 29 mai 2005 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC) M. Giscard d’Estaing le dit lui-même : il s’agit de la même « boîte à outils », rangée et décorée différemment !

C’est donc au seul peuple qu’il appartient de confirmer ou de réviser sa position par référendum.

M. Maxime Gremetz – Voilà la démocratie !

M. Nicolas Dupont-Aignan – La voie parlementaire serait certes légale, mais illégitime. Pour la première fois depuis bien longtemps, au mépris de l’esprit comme de la pratique propres à la VRépublique voulue par le général de Gaulle, la représentation parlementaire contredirait la voix du peuple à propos d’un texte qui met en cause la souveraineté nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC).

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous imaginer bâtir l’Europe, la faire aimer des Français, la faire respecter des peuples en organisant un tel coup de force ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC ; protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Monsieur le député, vous repoussez l’essentiel d’un revers de main, ou, si l’on veut, d’un joli revers de phrase : le Président de la République avait promis un mini-traité ; une fois élu, il tient sa promesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC ; vives protestations sur les bancs du groupe GDR)

M. Jean-Paul Lecoq – Il n’a même plus besoin de signer : il a tout dit !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  J’entends du brouhaha derrière moi, mais c’est bien à vous que je m’adresse, Monsieur le député ! (Vives protestations sur les bancs du groupe GDR)

M. le Président – Poursuivez, Monsieur le ministre.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  C’est que je suis effrayé par ce bruit ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

La campagne référendaire a permis de parler des préoccupations des Français, de leur attitude envers le Gouvernement, mais guère de l’Europe ! (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe GDR) Le traité de Lisbonne, qui n’est pas un traité constitutionnel, sera ratifié par le Parlement, comme tous les autres traités, à la seule exception du traité de Maastricht, ratifié par référendum parce qu’en instaurant l’euro, il modifiait – sans la menacer – la souveraineté nationale.

M. Jean-Paul Lecoq – C’est aussi le cas du traité de Lisbonne !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  La « boîte à outils » dont parlait M. Giscard d’Estaing sera bientôt opérationnelle.

Enfin, les dix-huit pays qui avaient approuvé la constitution, certains – le Luxembourg, l’Espagne – par référendum, ont tous accepté la proposition française (« Et alors ? » sur les bancs du groupe GDR) et recourront tous à la voie parlementaire pour ratifier le traité de Lisbonne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. La séance reprendra à 18 heures.

La séance est suspendue à 16 heures 5.

La séance est reprise à 18 heures.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

VALORISATION DES PRODUITS AGRICOLES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’ordonnance n° 2006-1547 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer.

M. André Chassaigne – Rappel au Règlement. Une fois de plus, l'Assemblée nationale est dépossédée d’une partie de ses prérogatives. La commission ayant été réunie ce matin en vertu de l’article 88 du Règlement, il nous a été signalé que le Gouvernement souhaitait un vote conforme sur ce texte, et qu’en conséquence, les amendements déposés aujourd’hui seraient a priori rejetés, quel que soit leur intérêt. Notre chambre n’a-t-elle donc plus le droit de modifier un projet de loi adopté par le Sénat ?

Cela est extrêmement grave, Monsieur le ministre, d’autant que cet après-midi, le travail parlementaire a une nouvelle fois été bafoué : le projet de loi relatif au pouvoir d’achat n’ayant été présenté que ce matin en Conseil des ministres, les députés n’ont pas disposé du temps nécessaire pour en prendre connaissance avant son examen par la commission, à 16 heures 15. Le débat démocratique compte-t-il pour si peu ?

M. Yves Cochet – Très bien !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche  Monsieur Chassaigne, j’ai beaucoup de respect pour le travail parlementaire, d’autant que j’ai été moi-même député et sénateur. Je souhaite que nous examinions chacun des amendements déposés sur ce texte. Il n’y a pas de volonté idéologique de parvenir à un vote conforme, même si cela peut accélérer la procédure.

Depuis longtemps, la France milite pour le développement des signes d'identification de la qualité et de l'origine dans le domaine agricole. Elle est l’inventeur du concept d'appellation d'origine et a été l’un des acteurs de la prise en compte des démarches de qualité par la réglementation communautaire. Nous poursuivons aujourd’hui la promotion des signes de qualité au travers de la préférence communautaire, que j'entends défendre dans le cadre du bilan de santé de la politique agricole commune.

Avec le temps, les règles françaises dans ce domaine se sont ajoutées les unes aux autres, les structures se sont multipliées et les démarches de caractère privé ont explosé. Tout cela a créé de la confusion et a contribué à rendre notre dispositif moins cohérent. La loi d’orientation agricole de 2006 a donc jeté les bases d'une profonde réforme de notre dispositif de valorisation des produits agricoles et agroalimentaires. Elle a clarifié le dispositif en fixant trois catégories d'instruments de valorisation : signes d'identification de la qualité et de l'origine – label rouge, appellation d’origine, indication géographique protégée, spécialité traditionnelle garantie, mention « agriculture biologique » – ; mentions valorisantes ; démarches de certification.

Cette nouvelle organisation rendait nécessaire l'adaptation de notre dispositif législatif et réglementaire. C’est pourquoi le Parlement a bien voulu donner délégation au Gouvernement pour l'établissement d'une ordonnance et de ses textes d'application. L’ordonnance a été publiée le 8 décembre 2006 et son décret d'application est paru en janvier 2007. C'est ce dont je viens rendre compte devant vous, après la validation par le Sénat.

Cette ordonnance se contente d’adapter le dispositif régissant les mentions valorisantes et simplifie la démarche de certification, en substituant un régime déclaratif à un régime d’autorisation administrative. S'agissant des signes d'identification de la qualité et de l'origine, l'ordonnance concrétise la volonté exprimée par le législateur en mettant en œuvre trois principes.

Il s’agit en premier lieu de regrouper le suivi de ces démarches au sein d’un seul établissement, l'Institut national de l'origine et de la qualité – INAO –, qui rassemble des comités thématiques, composés de représentants professionnels, de personnalités qualifiées et de délégués des consommateurs. Afin de favoriser un enrichissement mutuel, chaque comité accueille des représentants des autres comités. Un conseil des agréments et des contrôles traite des questions transversales, tandis qu’un conseil permanent est chargé de l'administration de l'Institut et des questions générales.

En second lieu, le rôle et les missions des structures chargées de gérer les cahiers des charges des différents signes d'identification de la qualité et de l'origine sont confortés. Les opérateurs désireux de valoriser leur patrimoine auprès des consommateurs se regroupent et conçoivent un cahier des charges destiné à fixer des contraintes de production. Ils s’assurent ensuite de la mise en œuvre du label et de son évolution. Il importe donc que tous les professionnels impliqués dans ces démarches soient associés à la conception et à la gestion du cahier des charges. Conformément à ce que souhaitait le législateur, l’ordonnance confère un statut aux « organismes de défense et de gestion ». Ces ODG sont reconnus par l'INAO, dès lors que leur représentativité est assurée et que le caractère pleinement démocratique de leur fonctionnement a été vérifié, ce qui a été le cas de la quasi-intégralité des ODG à ce jour.

Enfin, il convient de conforter la crédibilité des contrôles, afin que le consommateur soit certain de la conformité des produits avec les cahiers des charges. Cet enjeu essentiel implique que les contrôles soient menés par des organismes compétents, indépendants et impartiaux. C’est le cas aujourd’hui pour le label rouge, l'IGP et l'agriculture biologique. Toutes les appellations d’origine seront concernées, au plus tard en juillet 2008.

Les professionnels sont convaincus de l’importance d’une telle évolution, même s’ils l’appréhendent, notamment en raison des coûts. L'ordonnance propose donc un délai qui permettra d’instaurer des règles garantissant l'équité de traitement et d’approuver les plans de contrôle. L'INAO fera preuve de pédagogie auprès des opérateurs : de nombreuses rencontres régionales avec les professionnels se sont déjà tenues et des réflexions seront conduites pour réduire les coûts, notamment par la mutualisation et les économies d’échelle.

Le Sénat a bien voulu valider l'approche proposée par le Gouvernement, en procédant toutefois à des améliorations rédactionnelles et en proposant quelques aménagements. Ceux-ci visent notamment à faciliter l'évolution des cahiers des charges « label rouge » et à conforter ces démarches lorsqu'elles sont conçues en synergie avec une approche territoriale. Les ODG pourront ainsi décider de lier une démarche « label rouge » avec un cahier des charges « indication géographique protégée ».

Le Sénat a été particulièrement soucieux de prendre en compte les contributions des fédérations professionnelles, sans toutefois remettre en cause le processus de décision et la gouvernance propres à l'INAO. C'est pourquoi j’ai souhaité que les relations entre l'INAO et ces fédérations professionnelles soient formalisées : un protocole a été soumis à la validation des organisations professionnelles concernées.

Le texte qui vous est présenté aujourd'hui, avec les améliorations qui y ont été apportées, répond aux objectifs que le Parlement avait fixés au Gouvernement. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour la qualité du travail de réflexion que vous avez conduit en véritable connaisseur. Je suis disposé à examiner avec beaucoup d’attention tous les amendements ; j’ai toutefois le sentiment que nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant sur ce sujet qui est au cœur du modèle agricole que nous allons défendre dans le débat sur l’avenir de la PAC, première politique européenne réellement mutualisée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Les signes d'identification de l'origine et de la qualité constituent à bien des égards une spécificité de notre culture agricole et alimentaire, qu'il est de notre devoir d'encourager. Si la politique alimentaire vise d’abord à approvisionner la population en denrées payées au juste prix, elle vise aussi, et de plus en plus, à assurer la sécurité sanitaire et la traçabilité des produits ; mais dans un pays comme le nôtre, aux traditions culinaires si riches, elle ne peut faire l'impasse sur la qualité, les terroirs et le savoir-faire artisanal. On dénombre ainsi 561 AOC, dont beaucoup sont de véritables ambassadeurs de la France.

Politique agricole et politique alimentaire vont donc de pair. Pour les producteurs comme pour les transformateurs, les signes d'identification de la qualité et de l'origine ont une importance capitale, dans un contexte commercial où l’on peine parfois à valoriser les produits standards sur le marché. La politique de valorisation des produits agricoles constitue également un véritable atout pour le consommateur : selon une enquête d'Opinion Way…

M. Yves Cochet – Institut pas très fiable !

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – …réalisée il y a un an, près de 48 % des Français estiment que les produits alimentaires les plus sûrs sont ceux qui bénéficient d'un label. Les consommateurs attendent des signes officiels d'identification qu'ils leur apportent des garanties sur l'origine, le mode d'élaboration, la qualité ou la spécificité des produits, grâce à un cahier des charges validé par les pouvoirs publics ; sur leur identification, grâce à un étiquetage clair, lui aussi approuvé par les pouvoirs publics ; et sur leur traçabilité, donc leur crédibilité, grâce à des contrôles indépendants. La valorisation des produits agricoles et alimentaires repose ainsi sur des avantages mutuels : pour que le producteur puisse valoriser sa production, le consommateur doit y trouver son compte.

Mais le système était devenu de moins en moins lisible, du fait de la multiplicité des signes, sans aucune hiérarchie entre eux, de l’empilement des réglementations, nationales et communautaires, et d’un relatif manque de rigueur dans le contrôle de certains produits, notamment de certaines appellations d'origine viticoles. Dans son avis du 14 mars 2001 sur les signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine des produits agricoles et alimentaires, le Conseil économique et social soulignait déjà la nécessité d'éviter les confusions entre les signes officiels et les autres marques et logos distinctifs, et de rendre ces signes plus compréhensibles pour le consommateur.

En dépit de l’introduction d'un contrôle des produits dans la loi relative au développement des territoires ruraux, avec une définition plus claire de l'agrément dans le secteur des AOC, le débat n'a été réellement lancé qu'avec la discussion du projet de loi d'orientation agricole. Son texte initial renvoyant intégralement à l'ordonnance la refonte du système de valorisation des produits, nous nous étions battus, tous groupes confondus, pour que certaines dispositions soient réintégrées dans le corps de la loi. La politique de valorisation est en effet un sujet que le Parlement ne peut ignorer, tant son importance est grande pour les consommateurs, pour les agriculteurs et pour les territoires.

Je me félicite que nous nous penchions maintenant sur le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 7 décembre 2006. Celle-ci repose sur des principes simples : séparation claire entre les signes d'identification de la qualité et de l'origine proprement dits et les autres modes de valorisation ; établissement public unique compétent pour l'ensemble des signes d'identification ; organismes de défense et de gestion à la représentativité renforcée ; procédures de contrôle indépendantes menées par des organismes agréés. Les représentants des producteurs que nous avons auditionnés se sont tous estimés satisfaits du contenu de la réforme, à l'élaboration de laquelle ils ont été étroitement associés. Tous les acteurs concernés sont pleinement mobilisés depuis le 1er janvier 2007 – date d'entrée en vigueur de l’ordonnance – pour que la réforme soit complètement opérationnelle au 1er juillet 2008, c'est-à-dire pour que les nouveaux organismes de défense et de gestion aient été créés et reconnus par l'INAO, que les organismes de contrôle et d'inspection aient été constitués et agréés, les cahiers des charges révisés et que les plans de contrôle et d'inspection soient prêts.

Je suis persuadé que ce nouveau dispositif permettra d'insuffler un nouvel état esprit chez les opérateurs, qu'ils soient producteurs ou transformateurs : l'ordonnance leur offre les moyens de se réapproprier la gestion de leurs produits sous signes d'identification, tout en les faisant bénéficier d'une caution extérieure, capitale aux yeux des consommateurs. Ils seront ainsi mieux armés pour affronter les nouveaux défis à relever tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation.

C'est bien au consommateur, en effet, qu'il appartiendra finalement de juger la réforme, et aussi d'exprimer de nouvelles exigences. À cet égard, il paraît évident que le respect de l'environnement dans les modes de production est un critère qui va tenir une place croissante dans les choix de consommation des Français.

M. Yves Cochet – C’est un aspect qui laisse à désirer dans le projet !

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Les critères de l’environnement et de la santé sont en passe de devenir prépondérants ; et en matière de risques alimentaires, la crainte des pesticides progresse fortement.

M. Yves Cochet – Eh oui !

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Les produits sous signes d'identification, tout en conservant ce qui fait leur authenticité et leur caractère, doivent s'adapter à la demande. L'INAO doit d’ailleurs signer prochainement un contrat d'objectifs et de moyens avec l'État pour la période 2008-2010, qui comprendra des objectifs et des indicateurs en lien avec les conclusions du Grenelle de l'environnement.

Ce projet de loi n’a pas pour seul objet la ratification de l'ordonnance du 7 décembre 2006, notamment en raison de l'interprétation faite par le Conseil d'État de l'autorisation donnée par le Parlement : il contient certaines dispositions, comme la suppression des VDQS, qui n’ont pas pu être intégrées dans l'ordonnance. De plus, le Sénat a apporté des modifications rédactionnelles et des améliorations de fond, concernant notamment la possibilité pour les organismes de défense et de gestion de maintenir couplés label rouge et IGP – indication géographique protégée – ou d'accéder au casier viticole informatisé.

Tous les éléments étant réunis pour faire de cette réforme un succès, je vous propose d'adopter conforme ce projet de loi de ratification (M. André Chassaigne et M. Yves Cochet s’exclament), dans sa version issue de l'examen en première lecture par le Sénat, comme l'a fait la commission des affaires économiques à l'unanimité de ses membres présents le 28 novembre dernier. Ce serait faire insulte au rapporteur que d’insinuer qu’il a agi sous la contrainte du Gouvernement.

M. Yves Cochet – Je ne dis pas cela !

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Agriculteurs comme consommateurs attendent beaucoup de cette loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Yves Cochet – Ce projet est intéressant et il est utile d’en débattre mais il est lacunaire, passant sous silence des questions centrales. Ce sont de ses carences que je traiterai, et elles sont nombreuses. C’est, d’ailleurs, l’objet de cette question préalable, car peut-on délibérer valablement d’un texte inabouti ? Il s’inscrit, le ministre et le rapporteur l’ont dit, dans une continuité, et l’on ne peut qu’être d’accord avec les quelques propositions maigrelettes qu’il contient. Mais il manque d’ambition et de courage en ce qu’il n’évoque pas les enjeux contemporains. J’en citerai quelques-uns : la question des OGM et de leur présence dans l’agriculture et dans les produits agro-alimentaires ; la distorsion de concurrence induite par les différences de réglementation relatives à l’agriculture biologique en Europe ; la relocalisation de nos productions ; le respect de la saisonnalité des cultures.

En outre, bien qu’il s’agisse de valoriser « les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer », les produits forestiers et ceux de la mer sont pratiquement absents de ce projet. Il y aurait pourtant beaucoup à faire ! Rappelez-vous, Monsieur le ministre, les marins pêcheurs du Guilvinec que vous êtes allés visiter ! Pourquoi la hausse du prix du pétrole a-t-elle eu un si grave impact sur leur activité ? Parce que la raréfaction de la ressource halieutique les oblige à aller chercher le poisson de plus en plus loin en haute mer, avec des bateaux de plus en plus gros, aux moteurs surdimensionnés. Ils sont ainsi contraints à prendre de plus en plus de risques tout en dépensant de plus en plus de gazole. Vous avez certes pris des mesures d’urgence, mais le texte que vous nous soumettez ne contient aucune disposition de long terme les concernant.

D’autre part, déléguer à des instances autonomes la fixation des cahiers des charges revient, comme l’a justement dit notre collègue Chassaigne, à dessaisir le Parlement de son droit de débattre et d’amender. C’est reconnaître aux organismes de défense et de gestion une mission d’intérêt général et, en les chargeant d’élaborer les critères définissant les différents produits, avalisés ensuite par décret, déposséder le législateur de ses prérogatives alors qu’il s’agit parfois de questions sensibles qui mériteraient d’être tranchées au terme d’un débat public et non par des décisions confidentielles. Cette méthode est condamnable.

J’imagine que le projet a été écrit avant que les conclusions du Grenelle de l’environnement soient connues. Cela expliquerait, nous a-t-on dit, qu’elles n’y soient pas reprises. J’observe toutefois que d’autres annonces faites à son de trompe il y a très peu de temps sont immédiatement suivies d’effet. On le voit avec le projet relatif au pouvoir d’achat adopté ce matin par le Conseil des ministres et à propos duquel la commission s’est réunie – pour examiner des amendements sur un texte dont on ne sait rien, ce qui est véritablement scandaleux ! Je constate donc que les conclusions du Grenelle de l’environnement sont désormais connues depuis six semaines mais qu’il n’en est pas tenu compte.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Laissez les choses se faire !

M. Yves Cochet – Qu’en sera-t-il, alors, des propositions qui figurent dans le compte rendu de la table ronde « Agriculture écologique » ? À quand la démarche de certification environnementale volontaire des exploitations graduée jusqu'au niveau « HVE » – de « haute valeur environnementale » ? Nous devions aussi permettre l'intégration des prescriptions environnementales dans les produits d'appellation d'origine contrôlée ; or, il n'en est pas fait mention dans le texte. Qu'en est-il du bilan qui devait être dressé, dès 2007, de la pertinence des cahiers des charges au regard des exigences environnementales ? Des contrats pluriannuels avec la grande distribution destinés à développer les productions HVE et biologiques, il n’est dit mot. Et encore : les organismes de contrôle et de gestion ou l’INAO nouvelle manière s'apparentent-ils, selon vous, au comité opérationnel promis lors du Grenelle de l’environnement ? Et en quoi ce texte permettra-t-il de parvenir à l'objectif fixé – 50 % des exploitations certifiées en 2012 sur une base volontaire ? Il n'est pas davantage fait mention d'un bonus aux jeunes qui choisissent, dès leur installation, de produire en niveau HVE ou en agriculture biologique. Pour encourager les bonnes volontés, un soutien public à l'amorçage des filières avait pourtant été prévu. Dans la même optique, il avait été question de qualifier en HVE l'ensemble des exploitations des lycées agricoles d'ici 2012 et d'imposer des modules de formation à la biodiversité, et sur les effets environnementaux des intrants. Qu’en est-il ? Le Grenelle de l’environnement n'a-t-il été qu'un exutoire collectif, un grand moment d'exaltation médiatique destiné à rester sans suite ?

Certes, une première mesure a été prise la semaine dernière, avec le système de bonus-malus pour les véhicules neufs. Malheureusement, elle est très limitée – et pour un acheteur prêt à dépenser 100 000 euros pour l’acquisition d’un 4x4, un malus de 2 500 euros payé une fois, c’est une somme dérisoire (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Pourquoi est-il raisonnable d'être alarmiste ? En premier lieu, en raison de nos excès alimentaires. Nourrir et bien se nourrir sont choses différentes. Il n'est pas suffisant de s’approvisionner : encore faut-il aussi pouvoir garantir qualité et sécurité. Aujourd'hui, les pays occidentaux membres de l’OCDE ont tous adopté la culture « hors-sol ». Devenus urbains, nous ne savons plus cultiver la terre, nous avons oublié le soin et le temps que demandent des productions agricoles saines.

M. Alain Cousin et M. Michel Piron – C’est un Parisien qui parle !

M. Yves Cochet – J’ai vécu cinquante ans en Bretagne, première région agricole d’Europe, et qui connaît de multiples problèmes ! Je combattais déjà les intrants dans les années 1970 !

Notre alimentation a des caractéristiques critiquables. Non seulement il s'agit d'une nourriture sans saison, importée du monde entier par avions cargos réfrigérés – une pure folie ! – mais nous mangeons trop de viande. Or, l'alimentation d'origine animale exige en moyenne sept fois plus de moyens que l'alimentation végétale en termes de surface, d'énergie et d'irrigation. De surcroît, la déforestation de l’Amazonie au profit des grands pâturages ne provoque pas moins de 6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! Et songez que la production d’un kilogramme de viande de bœuf en élevage intensif pollue autant qu’une voiture qui roulerait cent kilomètres !

M. Yves Albarello – Faut-il taxer les bêtes ?

M. Yves Cochet – Enfin, nous nous nourrissons de produits transformés, aseptisés, surgelés, trop emballés, voire lyophilisés. Un innocent yaourt aux fruits parcourt en moyenne deux mille kilomètres avant d’atterrir dans notre réfrigérateur ! Ce type d’alimentation est insoutenable.

Autre grave question qu’évite votre texte : les OGM. Ignorant les lois des saisons et des sols, nous réinventons la nature avec les plantes transgéniques. Pourtant, aucune compagnie d’assurance n’a à ce jour accepté de couvrir les risques induits par les OGM, et pour cause : ils sont encore inconnus !

M. Christian Ménard – Certains assureurs y sont déjà prêts.

M. Yves Cochet – La question, au fond, est éthique : vous envisagez de laisser à l’appréciation des agriculteurs eux-mêmes la question du franchissement délibéré de la barrière des espèces. Les risques existent pourtant, ne serait-ce que celui de contaminer les exploitations voisines !

M. Michel Piron – Quel bouillon de légumes !

M. Yves Cochet – Ne vaudrait-il pas mieux interdire les OGM, tout simplement ? Les consommateurs européens le souhaitent, tous les sondages le montrent – sauf ceux d’Opinion Way, un institut dont les méthodes sont pour le moins biaisées… Bref, une interdiction pure et simple serait cohérente avec le retour d’une alimentation saine et naturelle. Le Gouvernement devrait appliquer la clause de sauvegarde sur les OGM, comme l’a fait l’Autriche, plutôt que de se contenter de suspendre l’utilisation du Monsanto 810 jusqu’en février – vaste plaisanterie, compte tenu que personne ne sème quoi que ce soit en cette saison.

De même, votre projet de loi ne dit mot des méfaits des pesticides, que le rapporteur a tout de même eu la clairvoyance d’évoquer. La valorisation des produits agricoles ne vaut que si elle garantit la sécurité des consommateurs, mais aussi celle des producteurs, qui sont en première ligne en termes d’exposition aux pesticides ! On soupçonne déjà, Monsieur le rapporteur, que des enfants de viticulteurs ont des problèmes de santé dus à une utilisation excessive de certains produits phytosanitaires. Le groupe de recherche sur le cancer basé à Caen a lancé dans douze départements une étude épidémiologique auprès des agriculteurs, dont les premiers résultats seront connus en 2009. L’enjeu est énorme : il s’agit de 5 % des actifs ! La loi doit s’emparer de ce sujet. Le Président de la République n’envisageait-il pas de diminuer de 50 % l’usage de pesticides ? « Si possible », ajoutait-il hélas…

M. Alain Cousin – Vous ne l’avez jamais fait !

M. Yves Cochet – Au contraire : voici près de quarante ans que je lutte contre les pesticides qui souillent les rivières bretonnes !

L’OMS estime qu’un million d’empoisonnements graves sont dus chaque année aux pesticides, dont 220 000 sont mortels. La Mutualité sociale agricole a recensé des effets indésirables chez un manipulateur français de pesticides sur six – même s’il ne s’agit encore que de recherches locales, en attendant une grande enquête nationale.

J’en viens enfin au coût énergétique de l’industrie agro-alimentaire. Le prix peu élevé de produits de base tels que le lait, le beurre ou les pâtes était jusqu’ici imputable au faible coût des énergies fossiles, mais l’explosion actuelle du prix du baril ne manquera pas de se répercuter sur les prix à la consommation. Il faut trois tonnes de pétrole pour produire une tonne d’engrais azoté. Or, l’agriculture produit 19 à 24 % des émissions de gaz à effet de serre, et un kilogramme de protoxyde d’azote en produit autant que 310 kilogrammes de dioxyde de carbone ! Il faut cinquante fois plus de pétrole pour importer des fruits et légumes hors saison que pour les produire localement en saison. Il ne serait donc pas exagéré de dire que nous mangeons du pétrole ! Au fond, les prétendues « révolutions vertes » du XXe siècle n’ont fait qu’accroître la dépendance de l’agriculture à l’égard des hydrocarbures, au point que l’industrie agro-alimentaire est aujourd’hui un véritable gouffre énergétique ! Il faut dépenser treize calories, dont sept en pétrole, pour chaque calorie dans notre assiette !

M. Michel Piron – C’est effrayant : cessons de manger !

M. Yves Cochet – Non, mais mangeons moins de viande et plus de produits locaux et saisonniers.

Une vraie définition de la qualité des produits agricoles, en vue de leur valorisation, doit prendre en compte leur coût énergétique, notamment pour le transport. Nous préconisons de relocaliser les productions pour favoriser les circuits courts. L’identification géographique des produits est un point positif de votre texte, encore faut-il que chaque région produise elle-même des fruits et légumes de bonne qualité, afin de réduire les temps de transport. Nous souhaitons également que des crédits importants soient consacrés à la recherche en matière d’agriculture biologique, puisque ce label est le seul à garantir une authentique qualité environnementale des produits.

En somme, il n’y a pas lieu de débattre de ce texte très insuffisant, qui n’améliore qu’à la marge un système de classification déjà en place. L’écologie n’est pas un luxe de Parisien gâté, contrairement à ce que vous insinuez (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ! Chacun doit pouvoir se nourrir de produits de qualité : nous devrions tous être d’accord là-dessus.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – C’est vrai !

M. Yves Cochet – Nous aurions pu nous abstenir sur ce texte qui comporte certaines dispositions techniques intéressantes, mais sa présentation malheureuse, y compris par le rapporteur nous invitant à l’adopter conforme, nous incite à voter contre, hélas !

M. André Chassaigne – Très bien !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  Je n’aurais jamais imaginé que ce texte principalement technique susciterait de tels débordements, mais j’aimerais répondre à quelques-unes des nombreuses questions de M. Cochet. D’abord, et puisqu’il a évoqué le Grenelle de l'environnement, je voudrais souligner que je n’ai pas souvenir, sous aucun gouvernement précédent, y compris lorsqu’il était ministre, d’un tel moment de démocratie. Pendant plusieurs mois, tout le monde a pu parler, et s’est écouté ; des rencontres improbables ont eu lieu ; le tout étant conduit avec beaucoup de cœur par M. Borloo et Mme Kosciusko-Morizet. Les secteurs agricoles et de la pêche se sont engagés sans états d’âme dans les différents groupes de discussion, de même que les parlementaires. Donnez au moins acte au Gouvernement que c’est la première fois, sur ce sujet si important – un défi qui s’impose à tous, qui va bouleverser nos habitudes – que l’on prend le temps de tenir un débat démocratique, arbitré au plus haut niveau par le Président de la République.

Les agriculteurs s’y sont pleinement impliqués. Je sais que vous êtes toujours tenté de donner des leçons aux paysans.

M. Yves Cochet – Pas du tout !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  Les agriculteurs n’ont pourtant pas de leçons à recevoir. Ce sont les seuls, dans notre société, dont l’activité soit entièrement organisée autour de l’air, de l’eau et du sol (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Philippe Boënnec – Ça se respecte !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  Je l’avais déjà dit lorsque j’étais ministre de l’environnement : ils sont les premiers écologistes. Avant de les mettre en accusation, j’aimerais qu’on calcule le coût que représenterait leur disparition pour notre société, en matière d’entretien des sols et des paysages ou de risques naturels, sans parler de l’alimentation goûteuse et de qualité qu’ils nous garantissent. Il faut donc être juste, et reconnaître que ce n’est pas par plaisir qu’ils utilisent des produits phytosanitaires, au détriment parfois de leur propre sécurité.

M. Yves Cochet – Je l’ai dit !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture Donnez-moi acte, pour ma part, d’avoir constitué quatre groupes : sur la certification des exploitations agricoles, sur la performance énergétique des exploitations, sur la forêt et la biodiversité et sur l’agriculture biologique. Je tiens aussi beaucoup au groupe sur les produits phytosanitaires, qui répond à l’objectif très ambitieux, mais très nécessaire, fixé par le Président de la République, visant à réduire de moitié l’usage des produits phytosanitaires dans les dix prochaines années. Tout le monde est autour de la table, toutes sensibilités rassemblées, pour travailler sur ce sujet central. Je me suis également engagé à relancer l’agriculture bio.

Quant aux OGM, c’est un sujet sensible dont j’aimerais qu’il soit traité de manière plus rationnelle et parfois moins tragique – je pense au suicide d’un agriculteur cet été. Le Conseil des ministres examinera la semaine prochaine un projet de loi reposant sur le libre choix de produire et de consommer, avec ou sans OGM, et prévoyant la création d’une Haute autorité : il sera soumis à votre vote avant le 9 février. Un décret a été publié la semaine dernière, qui met en place un comité de préfiguration de la Haute autorité, lequel devrait déposer notamment un rapport sur le maïs Mon 810, seul maïs pesticide autorisé actuellement. Enfin, l’arrêté que vous avez tourné en dérision tout à l’heure est loin d’être anodin puisqu’il suspend la commercialisation de semences Mon 810 jusqu’au vote de cette loi. Le cadre est maintenant fixé, avec une Haute autorité plus forte, dont j’espère que les avis seront respectés, et une loi qui sécurisera les autorisations de mise en culture et surtout qui confortera la recherche sur les OGM, car il n’est pas question que sur des sujets qui touchent à l’industrie, l’agriculture, la nutrition et la thérapie de certaines maladies, nous soyons dans quelques années totalement dépendants de la recherche américaine, chinoise ou indienne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

En ce qui concerne la Bretagne, donnez acte au Gouvernement de ses efforts pour rétablir la confiance avec la Commission de Bruxelles et les agriculteurs locaux.

M. Yves Cochet – Avec beaucoup de retard !

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture Vous avez été ministre, ne l’oubliez pas. Nous avons abouti à un plan anti-nitrates dans les neuf bassins concernés. Il sera mené avec les acteurs locaux, pas contre eux, et en concertation avec les élus.

Concernant les ODG, vous affirmez que l’État se décharge de ses responsabilités, mais c’est bien l’esprit de la loi que de donner aux professionnels la possibilité de définir les règles qu’ils s’imposent, sous le contrôle de l’État. Vous avez aussi estimé que ce texte, une fois voté, dépossèderait le législateur. Mais les démarches de qualité sont volontaires. Le législateur national – et communautaire – ne fait que fixer le cadre à l’intérieur duquel les professionnels apportent leurs preuves de qualité. Il n’y a aucune dépossession du législateur, mais une clarification des actions de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Je suis déçu de la tournure que prend ce débat. J’avais espéré, après le Grenelle de l'environnement, que nous pourrions discuter ensemble de ces sujets qui intéressent tous les Français. Mais dans votre catalogue de Noël, qui allait des 4x4 aux surgelés – alors que le texte n’envisage pas d’AOC « voitures » ou « Picard » ! – en passant par la contre-saison – alors que les AOC assurent précisément la saisonnalité : les pruneaux d’Agen sont cueillis à la bonne saison ! – vous vous êtes montré soit injuste, soit peu au fait de la production agricole de notre pays.

Sur le fond, ce texte est un véritable séisme pour les AOC et les signes de qualité. Il prévoit une refonte des cahiers des charges, qui en avaient bien besoin, et impose à l’ensemble des filières une démarche beaucoup plus transparente. C’est donc un texte fondateur, qui sera essentiel pour améliorer encore la qualité de notre agriculture. Je suis d’ailleurs surpris de l’attaque que vous portez contre l’agriculture en règle générale, à propos d’un texte qui touche à ses fleurons. Enfin, je vous rappelle que la commission était ouverte et que chacun a pu s’exprimer le 28 novembre. Il est bien dommage que vous n’ayez pas été là (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Gaubert – Les problèmes soulevés par M. Cochet sont bien réels, et ils intéressent l’ensemble des Français. On nous a promis que le Grenelle ne resterait pas un simple moment d’échange et de démocratie, mais qu’il se traduirait concrètement par des textes qui devraient nous être soumis à partir de janvier. Mais d’un autre côté, d’importantes associations et organisations syndicales, commentant les décisions du Gouvernement en matière autoroutière ou de fret SNCF, viennent de lui demander de se ressaisir ! Il serait dangereux, Monsieur le ministre, d’avoir fait rêver les gens et de partir ensuite dans une tout autre direction.

Les questions que M. Cochet a soulevées concernant notre alimentation se posent à tous. On sait que certains de nos concitoyens ont une alimentation qui nuit à leur santé, soit par manque de moyens, soit du fait d’habitudes complètement déséquilibrées. Quant aux OGM, ce ne sont bien sûr pas nos amendements de ce soir qui vont lancer le débat nécessaire, mais il ne faut plus tarder. La France doit être présente dans la recherche en matière d’OGM, à condition de prendre toutes les précautions requises. La question des intrants dans l’agriculture méritait enfin d’être posée, avec celle connexe consistant à savoir s’il est bien opportun de consommer beaucoup d’énergie pour fabriquer des produits moins indispensables qu’on ne l’avait dit.

Tous ces débats s’imposent à nous. Nous devrons les tenir. Fallait-il néanmoins les ouvrir à l’occasion du présent texte ? Le groupe socialiste considère que la ratification de cette ordonnance n’a que trop tardé. S’il adhère à la démonstration de M. Cochet, il ne peut donc pas le suivre dans sa conclusion. Certes, cette ordonnance est insuffisante, mais elle répond à la mission donnée par le Parlement au Gouvernement lors du vote de la loi d’orientation agricole. Nous allons donc adopter pour une fois une position centriste en ne nous opposant pas à la ratification d’une ordonnance nécessaire pour assurer la sécurité juridique dans plusieurs filières.

M. Jean-Marie Binetruy – M. Cochet a tracé un tableau apocalyptique de notre agriculture qu’apprécieront sans doute les paysans, qui sont de plus en plus sensibles aux aspects environnementaux de leur activité. Il aurait voulu que ce texte soit tout à la fois une nouvelle loi d’orientation agricole et une loi d’orientation environnementale et traite du réchauffement climatique comme de la biodiversité. Ce n’est pas son objet. M. Cochet n’a pas compris que ce texte vise à protéger notre alimentation. Il a, au fond, démontré combien il était nécessaire de le voter si nous voulons éviter ce qu’il nous a décrit avec ironie et même une certaine légèreté.

M. Yves Cochet – J’ai cité des chiffres dramatiques !

M. Jean-Marie Binetruy – C’est pourquoi le groupe UMP repoussera cette question préalable.

M. André Chassaigne – Le groupe GDR rassemble des sensibilités différentes et nous avons toute liberté de vote. En ce qui nous concerne, nous avons rejeté tout centralisme démocratique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). M. Cochet a assaisonné ses propos de quelques grains de poivre et je l’apprécie : il soulève des questions fondamentales, qui ne se réduisent pas à une opposition de l’urbain et du rural, mais touchent au devenir de l’humanité, et à celui de notre agriculture.

De cette agriculture, je n’ai pas la même approche que lui. Quand il parle de la consommation de viande…

M. Yves Cochet – Trop importante !

M. André Chassaigne – …je vois une entrecôte de Salers, et au-delà du plaisir qu’elle me procurerait, je vois aussi comment elle renvoie à l’entretien de nos territoires. Sans l’élevage, le Massif central risquerait une catastrophe écologique.

Malgré ces divergences, je reconnais que M. Cochet a raison quand il dit que le texte est déconnecté de l’actualité. On en exclut des problèmes fondamentaux évoqués dans le cadre du Grenelle de l’environnement, notamment par la commission qui a travaillé sur les produits alimentaires. Dans les sous-commissions mises en place par la commission des affaires économiques, on parle sans cesse de questions environnementales dont il va falloir tenir compte. Très rapidement, il y aura des critères de certification environnementale que les cahiers des charges des AOC devront intégrer. Aussi, même si ce texte présente beaucoup d’intérêt pour valoriser les produits agricoles, il fait l’impasse sur cette priorité environnementale. C’est pourquoi je voterai la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. Jean Gaubert – L’ordonnance qu’on nous demande de ratifier apporte des clarifications nécessaires. Cela étant, le Parlement est réduit au rôle de chambre d’enregistrement, puisque l’ordonnance est en vigueur depuis le 1er janvier 2007. L’amender traduit une certaine inconstance juridique, d’autant que le Sénat l’a fait pour introduire des cavaliers, par exemple sur le tribunal des baux ruraux. Libération écrivait hier que le Parlement se sent méprisé par le chef de l’exécutif. En voici un exemple.

Lors de l’examen de la loi d’orientation agricole, il avait fallu faire admettre au Gouvernement qu’il ne pouvait laisser le Parlement de côté pour définir les signes de qualité. Il doit nous consulter, mais a tendance à l’oublier. Ne signe-t-il pas des amendements qu’il attribue à des députés qui ne sont même pas au courant, comme, tout récemment, celui créant la taxe sur le poisson ? Nous l’avons voté en urgence et des commissions cherchent déjà une autre solution. Même l’UMP reconnaît que la précipitation de ce début de législature nous obligera à revenir sur certains textes votés.

Politique agricole, politique des territoires, politique de la consommation, l’ordonnance touche à ces trois sujets. Les produits dont il est question concernent 200 000 agriculteurs et 13 000 entreprises en amont et en aval, engagés dans une démarche de qualité, pour un chiffre d’affaires de 16 milliards. Il est donc essentiel que le Parlement se saisisse du sujet, d’autant qu’il suit également l’évolution de la législation européenne.

Or, nous constatons que l’ambition manifestée par le Gouvernement dans l’ordonnance du 7 décembre 2006 est trahie par le budget que vous venez de faire voter. Le programme « Valorisation des produits » subit une baisse de 7,8 % en autorisations d’engagement et de 9,2 % en crédits de paiement. Dans leur rapport, MM. Herth et d’Ettore parlent de situation inquiétante car le ministère de l’agriculture ne dispose plus de marge de manœuvre financière. Les crédits relatifs à l’adaptation des filières à l’évolution des marchés diminuent de 14,8 % et ceux consacrés à la promotion des signes de qualité sont tombés de 258 810 euros à 246 681 euros.

Cette évolution est sensible dans de nombreux secteurs. Ainsi, s’agissant des indemnités compensatoires pour handicaps naturels, le Gouvernement semble avoir renoncé à tenir ses engagements concernant la revalorisation à 50 % du taux de majoration applicable aux 25 premiers hectares. Or, de nombreux AOC sont produits dans les régions éligibles aux ICHN. Les agriculteurs y seront doublement pénalisés.

Ainsi, la réalité budgétaire contredit-elle le discours politique, et sa traduction juridique.

Les signes de qualité sont un repère essentiel pour le consommateur et une récompense des efforts des agriculteurs ; Nous connaissons tous les volailles de Bresse, le Chabichou et les moules de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel. La certification revêt une importance stratégique pour une production. Elle est le fruit d’un travail de longue haleine. Seul l’acharnement des producteurs de moules de la baie du Mont-Saint-Michel leur a permis, au terme d’une procédure entamée en 1993, d’obtenir en juin 2006 l’AOC qu’ils sollicitaient depuis les années 1980.

Mais, afin de préserver le sens des signes de qualité, notamment des AOC, et d’éviter que des problèmes locaux n’en viennent à menacer leur réputation, il faut réduire leur quantité, devenue excessive, simplifier le maquis réglementaire et fixer des règles communes claires et précises.

En remettant en ordre la législation et en apportant des précisions sur les cahiers des charges, le texte, parfois insuffisant, améliore néanmoins la situation des producteurs, des commerçants et des consommateurs. Comme l’ont souligné les spécialistes, il procède à la refonte des dispositions d'un titre du code rural afin de le rendre plus cohérent, conformément à la révision des règles de l'OMC, le 15 mars 2005, et aux règlements européens du 20 mars 2006. Afin de favoriser une « segmentation claire du marché », il expose clairement chaque mode de valorisation et définit les organes d'intervention et de contrôle. Enfin, l’acronyme de l'INAO a été préservé pour des raisons de stabilité et de clarté.

Les professionnels se félicitent de ce travail sérieux. En effet, la rupture du lien de confiance avec les consommateurs serait dramatique pour les producteurs ; c’est du reste ce qui nous a conduits à déposer trois amendements relatifs aux OGM. Prétendre, comme l’a fait le rapporteur en commission, que tel n’est pas l’objet du texte, c’est faire fi du rôle technique et symbolique des signes de qualité et, en définitive, tromper les acteurs eux-mêmes. Les productions qui bénéficient de ces signes portent la marque d'un travail de la nature et d’un savoir-faire agricole lié à la terre, aux caractéristiques locales. Le seul soupçon d’introduction d’OGM suffirait à les exposer au rejet des consommateurs, ce qui serait économiquement dramatique. C’est pourquoi nous proposons de modifier les articles sur l'obtention du label rouge et de l'AOC, que réécrit l’ordonnance. Monsieur le rapporteur, vous avez objecté en commission que la définition des conditions de délivrance des signes de qualité incombe au cahier des charges créé par et pour les producteurs, et non au législateur. Mais c’est sur les produits que portent les signes de qualité, alors que les cahiers des charges des labels et des AOC, qui ne concernent que les producteurs voués à une production donnée, n’excluent pas la contamination d’une production par dissémination du fait d’une autre production dans la même zone. Quel coût cela représenterait-il pour l’AOC ou le label si l’on découvrait qu’un foie gras est issu d’une alimentation de maïs OGM par contamination ? Ne laissons planer aucun soupçon sur les signes de qualité, qui contribuent à sécuriser les filières en période de crise, comme l’a souligné en 2004 un rapport du Conseil économique et social. Notre proposition permettrait au contraire de prévenir ces risques et de témoigner de notre détermination à protéger et à développer les signes de qualité – ni plus ni moins que la production biologique, comme le montre le projet de loi relatif aux OGM. 

Quant à la possibilité inédite, offerte aux agriculteurs, de transférer des gènes étrangers dans les génomes de plantes, elle n’a rien à voir avec le long travail de sélection génétique et d’acclimatation progressive, notamment au moyen de greffes, dont résultent les AOC. Ne nous accusez donc pas de refuser le progrès à propos de pratiques qui mettraient en péril l’image des produits, liée au travail ancestral des agriculteurs !

S’agissant des produits biologiques, nos lois sont plus restrictives que celles de nos voisins, notamment allemands, qui se contentent d’appliquer la législation européenne ; or cette norme, à la différence des AOC, ne dépend pas du territoire. Plus généralement, comment concilier le maintien des exigences de qualité et la libre circulation des marchandises en Europe ? À en croire les spécialistes, c’est plutôt ce second principe que privilégie la jurisprudence de la CJCE. Selon un avocat général de la Cour, les labels sont compatibles avec le droit communautaire à condition d’améliorer véritablement la qualité des produits et de ne pas servir de prétexte à l’expression du chauvinisme. La France pourrait tenter d’infléchir cette politique, forte de son histoire agricole, de sa conception de la qualité des produits et de son modèle alimentaire.

Monsieur le ministre, si nous saluons la conformité du texte aux objectifs qui lui avaient été fixés, nous regrettons, outre votre mauvais budget, les lacunes de l’ordonnance en matière d’OGM, de qualification et de réglementation de la production biologique. C’est donc de l’accueil réservé à ses propositions que dépendra le vote du groupe SRC.

M. André Chassaigne – « Il faut en finir avec la culture millénaire de la vigne en Europe », déclarait il y a peu Mme Mariann Fischer-Boel, commissaire européenne chargée de l’agriculture. Outre le vin, ce sont aussi les fromages et la charcuterie, entre autres, que menace une politique européenne à la solde des grands groupes. Programme d’arrachage de quelque 200 000 hectares de vigne en Europe dès 2009 et de libéralisation des plantations dès 2014, volonté de supprimer toutes les bannières douanières, remise en cause des subventions agricoles : si la Commission européenne avait décidé d’anéantir purement et simplement l'agriculture traditionnelle au nom de l'insertion dans les marchés mondiaux, elle ne s’y prendrait pas autrement… Les grands groupes désireux de produire des vins standardisés auront bientôt le champ libre, comme l’ensemble d’une agro-industrie régie par la seule logique financière.

Or, en définissant le périmètre du marché pour certains produits et en déterminant largement les comportements des consommateurs, placés en position d'arbitres, les signes d'identification, notamment les appellations d’origine, jouent un rôle essentiel dans le conflit qui oppose exploitants familiaux et industriels de l’agroalimentaire. Aux yeux des premiers, la segmentation du marché selon le savoir-faire local, la qualité et le terroir permet d’enraciner les produits, les hommes et l'emploi dans un territoire tout en rendant le produit anticoncurrentiel, car difficilement reproductible. Dans ces conditions, l’agriculteur a tout intérêt à valoriser le produit et le négoce et le transformateur à bien rémunérer le producteur. Ainsi, le prix du litre de lait est plus élevé dans la région du comté que dans la zone de production des fromages d'Auvergne, car le cahier des charges y est plus strict. Il en va de même, en Normandie, s’agissant de l'AOC incorporant du lait cru.

À cette conception s’oppose celle de l'agrobusiness, qui cherche au contraire à uniformiser les produits et les procédés de fabrication afin d’occuper les rayons des grandes surfaces de Pékin à New York. Ainsi les industriels normands troqueraient-ils volontiers le lait pasteurisé contre le lait cru pour réduire leurs coûts de production et standardiser le camembert – au détriment des producteurs, car la perte de qualité irait de pair avec une perte de rémunération.

De même, la Commission européenne, pour laquelle les cahiers des charges rigoureux font obstacle à la libre concurrence, refuse aux organismes de défense et de gestion – les anciens syndicats d'appellation –, comme aux interprofessions, la possibilité de créer des outils de régulation de l'offre permettant de maîtriser les cours et d’éviter les crises. L’un de mes amendements propose au contraire de renforcer la régulation. Cette politique communautaire ne fait que transcrire celle de l'OMC, qui menace le concept même d'appellation d'origine au profit d'une politique de marques – surtout depuis que les États-Unis ont quitté l'Organisation internationale de la vigne et du vin.

Dans ce contexte, les appellations d'origine, si imparfaites soient-elles, protègent les savoirs et les pratiques que le temps, l'expérience, l'intelligence, l'opiniâtreté ou simplement le bon sens ont permis aux paysans d’élaborer. En imposant un terroir spécifique, en limitant les volumes produits, elles freinent les assemblages de matières premières provenant de zones à très faible coût de production. Elles contribuent ainsi à lutter contre un dumping qui favorise au Nord comme au Sud la baisse des rémunérations et de la qualité des produits, tirant profit de la régression du pouvoir d'achat.

Néanmoins, renforcer encore les exigences du cahier des charges, comme le proposent certains responsables agricoles en réaction à la banalisation des produits, favoriserait à terme le développement des seules appellations d'origine ultra-élitistes. Ainsi, votre proposition de confier la décision effective de l'agrément et de son contrôle à des experts extérieurs risque-t-elle de favoriser une interprétation trop stricte des appellations au détriment d'une réflexion globale sur les conditions de production. Or, l’application du texte ne doit pas en faire une machine de guerre excluant du bénéfice des appellations un grand nombre de productions, surtout viticoles, conformément à la logique européenne. La constitution d’une caste de producteurs privilégiés ne serait que le revers de la médaille libérale. Ainsi, les producteurs fermiers se voient parfois refuser l’AOC au profit des productions standardisées des industriels : l'AOC Fourme d'Ambert n'intègre chaque année qu'un seul producteur fermier – sur plusieurs dizaines –, moyennant une rotation qui laisse aux industriels laitiers la maîtrise de l'appellation. Les producteurs du Livardois-Forez en sont particulièrement affectés. Les règles d'appellation sont appliquées aussi bien à des laiteries industrielles – produisant par exemple 600 tonnes de produits – qu’à des producteurs fermiers n’en écoulant que six tonnes ! De plus, les producteurs devront assumer les frais liés au contrôle du cahier des charges alors qu’ils n’ont pas tous les mêmes moyens d'appliquer cette réglementation. L'un de mes amendements visait à ce que ces frais soient pris en charge par l'État, mais il a été jugé irrecevable.

De plus, votre texte ne prévoit pas de représentation des producteurs fermiers dans les ODG, alors qu'il s'agit d'un secteur essentiel de l'agriculture. Enfin, les termes « fermier », « montagne », « campagne » et « paysan » ne sont pas protégés, ce qui permet à de grands groupes tels que Lactalis, d’en abuser pour leurs aliments industriels. Les producteurs fermiers ne devraient-ils pas bénéficier a priori de l'appellation AOC, sauf s’il est prouvé qu’ils n’appliquent pas le cahier des charges ? Et comment ne pas évoquer les contrôles vétérinaires tatillons que subissent ces producteurs, certaines directions des services vétérinaires occultant ou méconnaissant les dérogations inscrites au « Paquet hygiène » de l'Union européenne ?

Malgré votre projet de loi, le phénomène de concentration de la production risque de s’accélérer, l’agriculture productiviste, goulue de pesticides, gourmande en eau et désastreuse pour l'emploi ne manquant pas de se généraliser. L'appellation Comté a permis le maintien de 160 fruitières et de 400 emplois. Mais les 50 millions de litres qui sont transformés pourraient tout aussi bien l’être par une seule laiterie employant une vingtaine de personnes ! Le risque est grand d'uniformiser les produits à l'intérieur même des appellations d'origine, contrairement à leur vocation première.

Les notions de savoir-faire, de terroirs et de culture paysanne sont-elles passées de mode ? Votre projet de loi ne prend pas toute la mesure du défi que constitue la défense des productions traditionnelles. Nous aurions pu nous abstenir sur ce texte, qui comporte, malgré tout, des avancées. Mais si nos amendements sont rejetés sans façon au motif qu’il faut un vote conforme, comme cela a été affirmé en réunion de commission, nous serons sans doute conduits à voter contre.

M. Jean-Marie Binetruy – Ce texte revêt une importance particulière pour la France, qui se trouve depuis 1905 à la pointe des signes d'origine et de qualité. Alors que l'OMC incite à une ouverture totale des marchés, il est essentiel que nous conservions notre image d'excellence en matière de productions agro-alimentaires et de gastronomie, due en grande partie à nos AOC. L'enjeu est d'importance pour nos territoires et je parle en connaissance de cause, puisque je suis élu du Doubs, département producteur de Comté.

Nos textes devaient être toilettés afin d’être plus lisibles et plus crédibles, ce qui assure la pérennité de ces reconnaissances au niveau national et international. La loi d'orientation agricole de 2006 a autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans ce domaine : il nous appartient de donner un caractère définitif à ces mesures en approuvant ce projet de loi. Je tiens à féliciter M. le rapporteur Sermier pour la clarté et la précision de son rapport, et à rappeler le travail de MM. Herth et Le Fur, qui avaient été rapporteurs de la LOA.

Nos collègues sénateurs, et particulièrement M. Hure, ont apporté des compléments au texte initial, ce qui devrait nous permettre de voter un texte conforme : je pense notamment à la possibilité donnée aux producteurs de continuer à utiliser de façon complémentaire l'IGP et le label rouge, comme cela se fait pour une IGP qui m’est chère, la saucisse de Morteau (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, ce texte permet aux producteurs d'assumer totalement leur responsabilité par l'élaboration et le respect d'un cahier des charges dans le cadre des ODG, et il assure aux consommateurs la transparence et la garantie par le contrôle indépendant des organismes de contrôle ou d'inspection. Ce n’était pas l’objet de ce texte que de régler la question des OGM : il appartiendra aux producteurs de se déterminer, ce que certaines interprofessions ont déjà fait. Pour l’heure, je m’étonne de l’acharnement d’une partie de l’opposition contre ce texte, et vous assure du soutien total du groupe UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Clément – La situation est singulière : on nous demande de légiférer sur un texte déjà appliqué. Du reste, il revenait au Parlement de se prononcer sur un sujet aussi déterminant pour l'avenir de nos territoires et de nos producteurs, au lieu de recourir à une ordonnance. Toutefois, d’intéressants amendements ont été adoptés au Sénat – même si nous relevons un article insolite relatif au renouvellement des assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux –, ce qui nous laisse encore de l’espoir quant à l’exercice de notre propre droit d’amendement.

Je veux revenir sur plusieurs critiques de fond quant au dispositif de valorisation des produits agricoles et alimentaires. Les changements successifs sur l’ordonnancement des signes d’identification de la qualité et de l’origine ont créé le trouble dans l’esprit des consommateurs, ce qui a retenti sur les producteurs, déjà confrontés au surcoût inhérent au cahier des charges. Cinq signes de qualités figuraient dans le texte initial de 1994 revu par la loi d'orientation de 1999. Il serait intéressant de demander aux consommateurs combien il en existe aujourd'hui. La multiplication des références territoriales est cause de confusions. Ainsi, la notion de « mention valorisante » pour la dénomination « montagne » pose un problème puisqu’elle n'est qu'une indication géographique.

La seconde critique porte sur le contenu même de l'ordonnance, qui n’est pas complète, dès lors qu'il s'agissait de procéder à la mise en conformité d'un texte national avec la réglementation européenne. Par ailleurs, certains décrets d’application n’ont pas encore été publiés.

Enfin, nous pensons que le Gouvernement aurait pu aller plus loin et répondre aux attentes en matière de sécurité alimentaire. Il convenait d'améliorer les conditions de la sécurité des modes de production et de couvrir ainsi la responsabilité des producteurs du fait de leurs produits. Pour nous, l'absence de toute référence à la présence d’OGM affecte l’ensemble du dispositif et remet en cause la crédibilité même des signes de qualité.

En réponse à ces critiques, on ne trouvera que le crédit d'impôt relatif à l'agriculture biologique, bien insuffisant et qui n’aura pas d’effet de levier sur la qualité des produits. Des mesures incitatives d'ordre fiscal, notamment sur d'autres signes attachés à des territoires, auraient pu accompagner ce dispositif. Mais il n’est pas certain que la « valorisation de la démarche d'entreprise », dont la majorité a fait le socle de la dernière LOA, doive passer par le développement sans fin des signes de différenciation.

À l'heure où la Commission va mettre en débat des réformes essentielles pour l'avenir de notre agriculture, il aurait été judicieux de prendre en compte le développement durable, l'aménagement du territoire et la qualité des produits. Cela aurait permis de préparer les territoires à la réversibilité des aides PAC, du premier pilier vers le second pilier.

Ne pas soutenir suffisamment les signes de qualité, n'est-ce pas condamner les productions qui y sont attachées, en les obligeant à choisir entre les orientations d'une agriculture productiviste – encouragée par le premier pilier – et une agriculture confinée à l'aménagement de l'espace – reconnue par le deuxième pilier ?

Il aurait été intéressant que vous proposiez une politique d'accompagnement. Mais, après la loi de finances, avez-vous encore les moyens de mener une politique ambitieuse ?

La discussion générale est close.

M. le Président – J’appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

ARTICLE PREMIER

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ARTICLE PREMIER BIS

L'article premier bis, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER BIS

Mme Corinne Erhel – Notre amendement 1 vise à interdire toute présence d’OGM dans les produits agricoles et alimentaires bénéficiant d’un signe de qualité – la décision de l’interdire ou non relevant actuellement de chaque groupement.

J’appelle en effet votre attention, comme l’a fait M. Gaubert, sur le risque que peut faire courir à l’ensemble de la filière la suspicion de présence ou la présence avérée d’OGM dans ces produits. Pour le consommateur, il va de soi qu’ils n’en contiennent pas ; or, cet été, par exemple, il y a eu un cas de suspicion pour l’AOC « volaille de Bresse ». C’est donc un amendement important tant pour les producteurs que pour les consommateurs.

M. André Chassaigne – Pour certaines AOC, comme le Saint-Nectaire, le choix a déjà été fait d’interdire les OGM, à quelque niveau que ce soit de la fabrication. Mais j’ai déposé un sous-amendement 16 pour préciser qu’on vise le dépassement du seuil admis de présence fortuite d’OGM – actuellement fixé par la réglementation à 0,9 %.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Il faut faire confiance aux ODG. D’ailleurs, il serait difficile de légiférer sur un seuil sans savoir si on doit le mesurer à l’intérieur du fromage ou à l’intérieur de la vache ! La commission a rejeté l’amendement, et à titre personnel je suis défavorable au sous-amendement.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  L’esprit de la loi, c’est en effet de confier aux professionnels, dans le cadre des ODG, la responsabilité de fixer eux-mêmes les règles de production qu’ils vont s’imposer. Par ailleurs, vous allez débattre au début de l’année d’un projet de loi issu des travaux du Grenelle de l’environnement, qui a été transmis la semaine dernière au Conseil d’État et sera examiné la semaine prochaine en Conseil des ministres ; ce sera l’occasion de reparler de ces questions. Avis défavorable, donc, tant à l’amendement qu’au sous-amendement – de même qu’à ceux qui vont suivre sur le même objet.

Le sous-amendement 16, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 1.

ARTICLE PREMIER TER

L'article premier ter, mis aux voix, est adopté.

ARTICLE PREMIER QUATER

L'article premier quater, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER QUATER

Mme Corinne Erhel – Notre amendement 2 a le même objet que le précédent, s’agissant cette fois de l’article L. 641-5 du code rural et non plus de l’article L. 641-1.

M. André Chassaigne – Mon sous-amendement 17 est défendu.

Le sous-amendement 17, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 2.

M. André Chassaigne – Mon amendement 4 est défendu.

L'amendement 4, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Michel Clément – Notre amendement 3 vise à interdire la production d’OGM dans les aires géographiques de production des AOC.

L'amendement 3, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – Mon amendement 5 vise à imposer que les refus d’agrément soient motivés et à prévoir une procédure d’appel.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – C’est une disposition d’ordre réglementaire. Au demeurant, le principe général du droit administratif est que toute décision de rejet doit être dûment motivée et est susceptible de recours. Avis défavorable, donc.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  Un éventuel refus d’agrément ne peut intervenir que dans les conditions fixées par les plans de contrôle validés pour chaque appellation. La décision n’est pas prononcée par le ministre mais, selon les cas, par l’organisme certificateur ou par l’INAO. Dans les deux cas, elle est motivée, et les voies de recours sont indiquées. En conséquence, avis défavorable également.

L'amendement 5 est retiré.

M. André Chassaigne – Mon amendement 6 est défendu.

L'amendement 6, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – Mon amendement 7 est défendu.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – La commission ne l’a pas examiné. À titre personnel, j’y suis défavorable. Les droits INAO, qui existent depuis 20 ans, correspondent au financement d’un service rendu aux producteurs. La réforme n’a entraîné aucune modification du dispositif  – et si un financement public était instauré, la puissance publique deviendrait juge et partie.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture J’ajoute que l’État apporte déjà à l’INAO une dotation qui couvre les trois quarts de son budget. À travers leur contribution, les professionnels s’approprient la politique des signes de qualité ; votre proposition, Monsieur Chassaigne, tendrait à les déresponsabiliser. Avis défavorable.

M. André Chassaigne – Je suis convaincu !

L'amendement 7 est retiré.

M. André Chassaigne – Mon amendement 8 vise à mettre à disposition des ODG des moyens de régulation de l’offre en cas de crise, qui seraient définis par décret en Conseil d’État.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur – Je m’étonne que M. Chassaigne propose d’enlever à l’État ses instruments d’intervention au profit d’acteurs privés… Je ne crois pas que ce soit aux ODG de gérer les quotas laitiers ou les rendements viticoles, et les dispositions de l’article L. 642-4 ont déjà fait leurs preuves en matière de réponse aux crises.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture  Ce débat nous aura donc permis d’entendre M. Chassaigne défendre une forme d’autogestion (M. Chassaigne s’étonne). Si l’on vous suivait, les ODG pourraient modifier à leur gré les conditions de production sans que l’on ait aucune garantie sur la qualité des produits. Cela ne se peut. Avis défavorable.

M. André Chassaigne – J’ai voulu, par cet amendement, souligner la disparition progressive des outils de régulation (M. le ministre s’exclame). Toutes les organisations agricoles en font état. En réalité, le traitement des crises successives que subissent les différentes filières aboutit toujours au même résultat : la disparition des plus faibles. Comment la Commission européenne peut-elle avoir le culot de proposer l’arrachage des vignes tout en expliquant qu’à partir de 2014 on pourra planter librement ? Comment dire plus clairement qu’une fois les petits viticulteurs disparus on permettra aux grands groupes de replanter pour produire des vins standardisés ? Peut-être l’amendement n’est-il pas aussi bien rédigé qu’il aurait pu l’être, mais la question de fond est celle de la disparition des outils de régulation.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture Ce n’est pas ce que souhaite le Gouvernement, je l’ai dit aujourd’hui encore à l’assemblée générale des chambres d’agriculture. Nous voulons défendre la PAC et, avec elle, les outils de régulation. J’ai beau être un libéral, je ne crois pas au « tout libéral » et je tiens non seulement à préserver la régulation mais à la renforcer en divers domaines, sanitaire en particulier. S’agissant de l’OCM 20, par exemple, je ne suis pas du tout certain de donner l’accord de la France si nous ne sommes pas entendus. L’arrachage des vignes peut, de fait, avoir un effet régulateur, mais il ne doit pas être systématique. Je me suis d’ailleurs opposé à une première proposition de la Commission tendant à l’arrachage de 400 000 pieds dans toute l’Union ; la proposition actuelle est d’en arracher moitié moins. Quoi qu’il en soit, je ne suis aucunement disposé à accepter la dérégulation totale en 2013. Jamais ! Relisez mes prises de position et vous constaterez que, sur de nombreux points, j’attends de la Commission qu’elle revienne à des positions plus raisonnables. Je suis convaincu que nous avons besoin d’une organisation de marché solide. Rassurez-vous, Monsieur Chassaigne, le Gouvernement s’attachera à défendre la PAC.

L'amendement 8, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – L’amendement 9 est défendu.

L'amendement 9, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – L'ordonnance propose qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'utilisation simultanée d'une marque commerciale et d'une appellation d'origine. Mais le principe même d'une utilisation simultanée est contestable car la marque commerciale risque très vite de prendre le pas sur le signe de qualité et, à terme, de le phagocyter. Le risque est réel, on le constate déjà dans la grande distribution, et si on continue de laisser faire, on assistera immanquablement à un glissement vers des produits standardisés. Je propose donc, par l'amendement 11, d’interdire l’utilisation simultanée d'une marque commerciale et d'une appellation d'origine.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur Avis défavorable. Cette possibilité, encadrée, existe depuis longtemps. Une interdiction générale et absolue serait contraire au droit communautaire et au principe de liberté du commerce. De plus, l’exemple du champagne montre que cette pratique peut être un avantage plutôt qu’un inconvénient.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture Même avis.

L'amendement 11, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – L’amendement 10 est défendu.

L'amendement 10, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER QUINQUIES

L'article premier quinquies, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER QUINQUIES

M. André Chassaigne – L'ordonnance prévoit que le récoltant qui destine la récolte d'une parcelle à la production d'un vin labellisé « vin de pays » peut être tenu d'en faire la déclaration dans des conditions fixées par décret. Mais comment gérer collectivement une production si ces déclarations ne sont pas faites ? Par l'amendement 12, je propose que la déclaration soit rendue obligatoire.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur La commission a repoussé l’amendement car le texte est clair : le producteur doit faire une déclaration, puisque le syndicat en a besoin.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture – Le cadre fixé par le texte est suffisamment précis. Il n’y pas lieu de déresponsabiliser les producteurs en allant au-delà. Avis défavorable.

L'amendement 12, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – Les amendements 13 et 14 sont défendus.

Les amendements 13 et 14, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

ARTICLE PREMIER SEXIES

M. André Chassaigne – Si le renouvellement des membres assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux est repoussé à janvier 2010, c’est que ces tribunaux siègent auprès des tribunaux d’instance. Il s’agit donc d’accompagner la révision de la carte judiciaire. Ainsi, le tribunal d’instance d’Ambert va disparaître et avec lui le tribunal paritaire des baux ruraux, auquel font appel des agriculteurs pour la plupart âgés, qui devront désormais parcourir cinquante ou cent kilomètres pour voir juger des affaires qui se réglaient jusqu’à maintenant à deux pas de chez eux.

L'article premier sexies, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Michel Clément – Le groupe SRC considérait initialement ce texte avec une particulière bienveillance, le considérant essentiel pour l’agriculture française et ses productions de qualité, auxquelles nous sommes tous très attachés. Néanmoins, on aurait pu profiter de ce texte décisif pour y intégrer un moratoire sur la production d’OGM, quitte à ce qu’il soit transitoire et en attendant mieux, plutôt que de se contenter, sans l’aval du Parlement, de suspendre inutilement l’usage de certaines semences particulières. C’est pourquoi le groupe SRC s’abstiendra.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques – Abstention positive !

M. Jean-Marie Binetruy – Le débat fut ouvert, libre et intéressant. Nous sommes tous ici d’accord pour protéger nos produits agricoles et nos spécialités traditionnelles, certains parce qu’ils veulent renforcer la crédibilité de nos signes de qualité, d’autres craignant le spectre d’un modèle qu’ils rejettent. L’examen de ce projet a aussi fourni l’occasion au ministre de préciser les orientations qu’il entend défendre, s’agissant notamment de la PAC. Quant au débat sur les OGM, il aura bientôt lieu. Nous pouvons donc tous voter ce texte qui confirme que la France est tout entière mobilisée en faveur de la protection des consommateurs contre la malbouffe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Chassaigne – Je remercie le rapporteur et surtout le ministre pour le respect qu’ils ont manifesté à l’égard du Parlement, en répondant notamment de manière très précise à mes questions et amendements. J’espère que ces réponses se concrétiseront : on a, hélas, souvent vu des ministres remarquables capituler après des nuits de négociation à Bruxelles… Elles me conduisent en tout cas à ne pas voter contre le projet tout en craignant qu’il ne suffise pas à fermer la porte à une économie mondialisée qui risque bien, à terme, de faire sauter ces digues que sont encore nos signes de qualité (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 45.

La séance est levée à 20 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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