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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 8 janvier 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
93ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

M. le Président – Mes chers collègues, c’est avec une grande émotion et une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Raymond Forni, ancien président de l'Assemblée nationale. Je rendrai hommage à sa mémoire à l’issue de la séance des questions au Gouvernement. Je précise qu’il n’y aura pas de suspension après la réponse à la dernière question. Je vous invite à présent à marquer notre peine en observant une minute de silence à sa mémoire (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

POLITIQUE GÉNÉRALE

M. Jean-François Copé – Je tiens, au nom du groupe UMP, à dire notre émotion à la suite du décès de Raymond Forni. Nous adressons un message de sympathie à nos collègues du groupe socialiste, et en particulier à son président.

Monsieur le Premier ministre, après six mois de réformes intenses, le Président de la République a présenté, ce matin, la feuille de route pour l’année 2008. Elle est dense et atteste de beaucoup de courage et d’ambition.

M. Roland Muzeau – C’est droit dans le mur !

M. Jean-François Copé – Les députés de l’UMP se réjouissent de voir que l’on est bien dans la ligne de ce que nous avons dit aux Français durant la campagne présidentielle (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Nous allons mener trois batailles au service des Français. La première consiste à convaincre nos compatriotes que travailler plus, c’est avoir une vie meilleure, et non l’inverse, comme on le leur a si souvent répété à gauche ! (Même mouvement) C’est une des réponses à la question du pouvoir d’achat, de même qu’à celle de notre identité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La seconde bataille concerne les réformes réputées impossibles que votre gouvernement mène inlassablement : réforme de l’assurance maladie – où nous avions pris beaucoup de retard et dans laquelle nous avançons à présent à un bon rythme –, réforme des retraites, réforme de l’État.

Enfin, il s’agit de la réflexion à laquelle le Président de la République nous invite sur l’identité des Français, sur ce que cela veut dire de travailler ensemble à un projet collectif (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR), à une politique de civilisation (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Nous serons très mobilisés pour convaincre les Français que, face aux difficultés, il s’agit d’un rendez-vous avec le mental, avec l’esprit de conquête, avec la volonté de valoriser nos atouts et de faire en sorte que ceux qui sont les plus jaloux du talent et de la réussite soient les moins nombreux demain (Même mouvement), et qu’au contraire, les admirateurs du talent et de la réussite deviennent un modèle, pour que chacun y participe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Posez votre question, s’il vous plaît.

M. Jean-François Copé – Monsieur le Premier ministre, quelles sont les priorités que vous souhaitez mettre en œuvre dans les six prochains mois, selon quel calendrier, et en offrant quel rôle à la majorité et au Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. François Fillon, Premier ministre Mesdames et Messieurs les députés, je veux vous dire d’abord l’émotion et la douleur que j’ai ressenties à l’annonce du décès de Raymond Forni. J’aurai l’occasion tout à l’heure de répondre, au nom du Gouvernement, à l’éloge funèbre que prononcera votre président.

Et puisque c’est la première fois que je m’exprime devant l'Assemblée nationale en cette année 2008, permettez-moi aussi de vous souhaiter une excellente année à tous.

Le Président de la République a fixé, ce matin, le cap pour 2008. Il nous a proposé de poursuivre l’adaptation de notre pays aux changements du monde, que nous avons refusé d’admettre pendant trop longtemps, parce qu’ils venaient contrarier nos certitudes et qu’ils mettaient en cause la rente des pays riches.

Il nous a proposé de poursuivre la libéralisation du travail, pour qu’enfin disparaisse le carcan des 35 heures, qui ont été une des erreurs les plus graves commises dans notre pays au cours de ces 25 dernières années (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC ; protestations sur les bancs du groupe SRC).

Il nous a proposé d’élever le niveau de formation de tous nos concitoyens, en agissant de manière prioritaire sur l’école primaire, sur l’enseignement supérieur – avec l’ouverture d’une dizaine de chantiers de modernisation des campus universitaires –, et sur la formation professionnelle, en offrant systématiquement aux jeunes des quartiers une seconde chance, avec une formation longue débouchant sur un emploi.

M. Roland Muzeau – C’est du bidon !

M. le Premier ministre – Il nous a proposé d’accroître la concurrence pour peser sur les prix des biens et services et ainsi améliorer le pouvoir d’achat des Français.

M. Roland Muzeau – Augmentez les salaires !

M. le Premier ministre – Mais il nous a aussi proposé d’inscrire l’action réformatrice du Gouvernement dans une perspective de long terme, dans un dessein de civilisation (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR). Il s’agit tout d’abord de renforcer la démocratie dans notre pays. Si la France a longtemps été en avance en la matière, elle a pris du retard depuis plusieurs années. C’est pourquoi nous allons, en 2008, moderniser nos institutions, avec l’accroissement des pouvoirs du Parlement, mais aussi l’ajout à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au préambule de 1946 d’un nouveau préambule, qui intégrera le droit à la diversité, l’égalité entre hommes et femmes ou encore les normes de bioéthique.

Le Président de la République a proposé que nous partagions de façon plus équitable les fruits de la croissance (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), en augmentant l’intéressement et la participation, c’est-à-dire en créant une obligation de distribution de stock-options (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) qui élargisse à l’ensemble des salariés la distribution des résultats de l’entreprise.

Il a proposé aussi une réforme profonde du service public de l’audiovisuel, fondamentale pour le développement de notre culture. La gauche l’avait rêvé, nous allons le faire : la télévision publique ne dépendra plus des contraintes commerciales de la publicité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Le Président de la République a proposé encore une politique maîtrisée d’accueil et d’intégration des étrangers, qui verra le Parlement définir chaque année des objectifs et des quotas, afin que l’intégration soit rendue possible par les capacités d’accueil en matière d’emploi et de logement.

Enfin, il a proposé de moderniser la gouvernance mondiale, en engageant la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale et en élargissant le Conseil de sécurité des Nations unies et le G8 à des pays comme l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud et le Brésil.

Je suis convaincu que les Français n’ont pas peur de ces changements, mais qu’ils sont impatients d’en mesurer les effets. Votre aide et votre soutien permettront de tenir ces engagements en 2008 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

LAÏCITÉ

M. Christian Bataille – Lors de sa rencontre avec le pape Benoît XVI en décembre, le Président de la République – élevé au rang de chanoine de la basilique de Latran – a délivré un message inquiétant. Il a appelé « à assumer les racines chrétiennes de la France » et affirmé que « la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme ». Ces propos violent les principes fondateurs de notre Constitution, dont le préambule affirme que « la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). La loi de 1905, quant à elle, énonce que : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

La laïcité de la République, produit d'une histoire qui va de l'humanisme à la Révolution française, et dont les principes ont été définis sous la IIIe République, est un pilier de la démocratie et un ciment pour la Nation. Souvent voulue par la gauche, promulguée par des partis et des hommes politiques modérés – Jules Ferry, Aristide Briand…

M. Jean-Pierre Soisson – Et Paul BERT !

M. Christian Bataille –…la laïcité appartient à tous, à condition que tous la défendent.

Plusieurs députés du groupe UMP – La question !

M. Christian Bataille – Principe de tolérance, elle admet, pour la sphère privée, toutes les croyances et reconnaît le droit de croire ou de ne pas croire. Elle ne retient pas le principe saugrenu selon lequel iI y aurait ceux qui espèrent et ceux qui n'espèrent pas.

M. le Président – Posez votre question !

M. Christian Bataille – Monsieur le Premier ministre, quelles modifications réglementaires et législatives – en particulier des dispositions de la loi de 1905 – envisagez-vous ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales L’intolérance a causé et cause encore aujourd’hui trop de drames (« Justement ! » sur les bancs du groupe SRC) pour que le Parlement français ne s’honore pas d’une conception tolérante, telle que celle que promeut dans le monde le Président de la République, des écoles de pensée et des religions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il n’est pas question de remettre en cause la loi de 1905 (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur – Mais des ajustements sont nécessaires (« Lesquels ? » sur les bancs du groupe SRC et du groupe des députés communistes et républicains), afin que notre conception de la laïcité demeure d’actualité. On pourrait par exemple autoriser la création de carrés confessionnels dans les cimetières.

Votre conception de la laïcité peut être intolérante et sectaire, ce n’est pas le cas de la nôtre ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe NC – M. Cuvillier brandit une ardoise sur laquelle est inscrite la note de 2/20)

M. le Président – Monsieur Cuvillier, les accessoires – y compris scolaires – ne sont pas admis dans l’hémicycle.

RÉPARTITION DES RICHESSES EN FRANCE

M. Michel Vaxès – La France est devenue un pays de bas salaires : près d'un salarié sur cinq est rémunéré sur la base du SMIC horaire et un salarié sur deux perçoit moins de 1 480 euros net par mois. C’est là le résultat d’une politique qui vise à transférer la richesse produite vers le capital, au détriment de la rémunération du travail.

La part des salaires dans le PIB est tombée de 77 % en 1981 à 66,5 % en 2006. Ce recul représente 180 milliards d'euros, captés pour l'essentiel par les plus gros actionnaires. En 2006, les groupes du CAC 40 leur ont versé 40 % de leurs bénéfices nets, soit un pactole de 40 milliards. Cette envolée est d’autant plus indécente que la rémunération des salariés à temps complet n’a augmenté, en six ans, que de 0,5 %.

Ce matin, le chef de l'État n’a pas parlé de mieux répartir les richesses en augmentant sensiblement les salaires, ce qui constituerait une avancée de civilisation. La colère de nos concitoyens, qui voient leurs revenus stagner, est d’autant plus légitime que les dernières mesures ne concernent ni les chômeurs, ni les retraités, ni les travailleurs précaires. Loin d’inverser la tendance, vous continuez à engraisser les gros rentiers au détriment de ceux qui travaillent toujours plus pour gagner toujours moins.

Monsieur le Premier ministre, comptez-vous prendre des mesures afin que les richesses produites par le travail des salariés soient plus justement réparties ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. le Président – La parole est à M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme – Il convient de rétablir les chiffres : l’écart entre le premier décile et le dernier décile des revenus s’est stabilisé entre 1997 et 2005, passant de 1 à 5,8 à 1 à 5,6.

Faut-il s’en satisfaire ? Bien sûr que non… C’est pourquoi le Gouvernement s’est mobilisé pour relancer le pouvoir d’achat, notamment celui des ménages les plus modestes.

Quand le Gouvernement double la prime à la cuve, c’est 75 euros de plus en faveur des ménages confrontés à la hausse du prix du pétrole (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Et ce n’est pas la majorité que vous avez soutenue qui a instauré le tarif social de l’électricité et du gaz, mais la majorité actuelle (Mêmes mouvements). Quand le Gouvernement indexe le prix des loyers sur l’inflation, cela représente également 130 euros à la fin de l’année pour un ménage qui consacre 1 000 euros par mois à son logement. Voilà une mesure concrète et pragmatique en faveur des moins favorisés. Enfin, quand le Gouvernement défiscalise les intérêts d’emprunt pour les ménages qui achètent leur logement, cela représente près de 4 000 euros sur la durée du prêt.

On peut parler éternellement des inégalités, mais il y a ceux qui en débattent et vivent éternellement dans le passé, et ceux qui agissent au service des Français.

CRISE DE L’HÔPITAL

M. Olivier Jardé – Le Nouveau centre s’associe à l’hommage rendu au Président Forni, qui a toujours fait preuve de respect pour tous.

Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé, et elle intéresse aussi mes collègues Préel, Leteurtre, Vigier et Lang. L'hôpital est aujourd’hui en crise, comme le démontre la grève des urgentistes et des anesthésistes. Les 35 heures sont dans une large mesure responsables de cette situation, car on n’avait pas prévu assez de médecins et d’infirmiers, ni un financement adapté, alors que les heures supplémentaires et les RTT non prises s’accumulent. Or, on observe un afflux de malades aux urgences, dû à la confiance des Français dans leur hôpital, mais aussi aux problèmes de démographie médicale et de permanence des soins.

Au déficit actuel des hôpitaux, évalué à un milliard d’euros, s’ajoutent 23 millions d'heures supplémentaires impayées et 4 millions de journées de RTT, ce qui représente un montant de 900 millions d'euros. Vous avez proposé que les hôpitaux prennent à leur charge la moitié de cette somme, mais ils ne le pourront pas ! Je le regrette d’autant plus que le pouvoir d’achat en dépend.

Ma question est très simple et complexe à la fois : comment comptez-vous résoudre les problèmes de permanence de soins, de démographie médicale, et le déficit chronique des hôpitaux ?

M. Maxime Gremetz – En augmentant les franchises !

M. Olivier Jardé – N’oublions pas que la santé de nos concitoyens est notre bien le plus précieux (Applaudissements sur les bancs du groupe NC).

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports Vous avez excellemment posé le problème (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Les urgentistes et les médecins anesthésistes sont en grève, mais ils font preuve d’un grand sens de la responsabilité en assumant leur service auprès des patients qui arrivent aux urgences : la permanence des soins est assurée, et je veux rendre hommage à ces praticiens.

Vous avez également évoqué les causes, que nous connaissons tous bien : les 35 heures, qui ont été malencontreusement appliquées à l’hôpital alors qu’il demeure ouvert 365 jours par an et 24 heures sur 24. Cette crise demande des solutions de fond. Il est exact que la mauvaise qualité de la permanence des soins en ville rejaillit sur l’hôpital.

Avec les états généraux de l’organisation de la santé, la mission confiée à Gérard Larcher sur le rôle de l’hôpital, la transformation des agences régionales de l’hospitalisation en agences régionales de santé, la réflexion sur les nouveaux métiers de l’hôpital et les perspectives de carrière, puis la loi sur l’organisation des soins que nous allons examiner dans quelques de mois, nous allons traiter ces questions de fond.

En attendant, nous devons ces 23 millions d’heures aux personnels qui les ont effectuées ; nous devons veiller aussi à dédommager les personnels des heures qui ont été stockées sur les comptes épargne temps. La concertation a commencé hier avec les quatre intersyndicales de praticiens, elle continuera cet après-midi avec les huit organisations représentatives de la fonction publique hospitalière.

Nous disposons de sommes importantes : 348 millions au titre du fonds pour l’emploi hospitalier et 234 millions provisionnées par les établissements sur les comptes épargne santé.

M. Maxime Gremetz – Ce n’est pas vrai !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé – Nous allons sécuriser cet argent pour payer les heures supplémentaires et monétariser les comptes épargne temps. La négociation est engagée, et je compte qu’elle aboutisse rapidement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

RÉTENTION DE SÛRETÉ

M. Georges Fenech – L’examen du projet de loi sur la rétention de sûreté, destinée à éviter le passage à l’acte des récidivistes dangereux, commence ce mardi dans notre hémicycle. Chacun se souvient que les Français ont été profondément choqués d’apprendre, au mois d’août, qu’un délinquant sexuel récidiviste avait enlevé un enfant dès sa sortie de prison, et lui avait fait subir les pires violences sexuelles. Ce drame nous a montré que nous devons écarter de notre société les délinquants les plus dangereux tant qu’ils resteront dangereux.

Je vous ai accompagnée, hier, Madame la ministre, en compagnie de mes collègues Geoffroy et Mignon, au centre de détention de Melun, où nous avons pris la mesure des moyens nécessaires pour l’application des dispositions inscrites dans ce projet de loi. Pouvez-vous nous faire part, Madame la ministre, des grandes lignes du texte ? (« Allo ! Allo ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Nous allons débattre de la prise de la prise en charge des délinquants les plus dangereux, ceux qui commettent des actes barbares. Il est indispensable que ces délinquants, reconnus comme dangereux, soient pris en charge à l’issue de leur peine dans le cadre d’une mesure de sûreté.

Sans sûreté, il ne peut y avoir de liberté. Je pense au petit Enis, enlevé et violé à l’âge de cinq ans alors qu’il jouait devant chez lui. Sans sûreté, il ne peut y avoir de vie. Je pense à la jeune Anne-Lorraine Schmitt, violée et tuée alors qu’elle se rendait dans sa famille en RER.

M. Roland Muzeau – C’est indigne ! Vous faites de la politique sur le malheur d’autrui !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Nous ne voulons plus assister à de tels drames. De nombreuses personnalités, mais aussi de nombreux rapports, auxquels ont contribué les parlementaires, demandent que ces délinquants reconnus comme dangereux à l’issue de leur peine soient placés dans des centres fermés (Interruptions sur les bancs du groupe SRC). Nous allons prendre nos responsabilités en créant ces centres, dont le premier ouvrira à Fresnes en septembre 2008 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

COMPTE ÉPARGNE TEMPS À L’HÔPITAL

Mme Isabelle Vasseur – Vous avez hérité, Madame la Ministre, des conséquences de l’instauration des 35 heures à l’hôpital (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Or, celles-ci ne seront jamais adaptées au fonctionnement de nos services hospitaliers : l’accueil, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, de toutes celles et ceux qui en ont besoin exige une qualité de service incompatible avec l’application des 35 heures.

Notre objectif est de maintenir une qualité des soins exemplaire. Depuis l’instauration des 35 heures, les personnels ont accumulé de très nombreuses heures supplémentaires non payées ainsi que des RTT sur leurs comptes épargne temps, dont la durée de vie est limitée à 10 ans. Les praticiens et les personnels de la fonction publique hospitalière demandent à juste titre que la question soit rapidement réglée. Que comptez-vous faire pour traiter ce dossier qui mérite un traitement de fond dans l’intérêt des professionnels hospitaliers comme dans celui de la prise en charge de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports Votre question me permet de compléter la réponse que j’ai faite à M. Jardé. L’instauration des 35 heures a eu pour conséquence que, dans les hôpitaux, 23 millions d’heures supplémentaires ont été travaillées qui n’ont pas été payées, et que 4,2 millions de jours sont stockés dans des comptes épargne temps, à raison de 42 jours en moyenne pour les personnels médicaux et de 3,5 jours pour les personnels non médicaux.

Le paiement des 23 millions d’heures supplémentaires est dû, et elles seront réglées. Mais à ce jour, la loi ne permet pas de monétiser les jours stockés dans les comptes épargne temps. Nous avons donc engagé des négociations à ce sujet, qui portent sur le taux de monétisation, le nombre de jours monétisables et le calendrier des versements. Certains souhaiteront conserver les jours stockés dans leur compte épargne temps, soit pour prendre des congés épisodiques, soit pour accumuler ces journées jusqu’au moment de partir en retraite. Aussi M. Woerth et moi-même avons-nous entrepris de fixer les modalités de transformation de ces jours en droits à pension. Par ailleurs, un décret en cours d’élaboration définira comment rendre possible la transmission de la totalité des comptes épargne temps aux ayants droit. Il sera présenté le 31 janvier au Conseil supérieur de la fonction publique. Vous le voyez, nous avançons, et nous avançons vite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DURÉE LÉGALE DU TRAVAIL

Mme Geneviève Fioraso – Ma question fait suite à la seule véritable information ressortie de la conférence de presse tenue ce matin par le Président de la République. À la question : « Souhaitez-vous que 2008 soit l’année de la suppression des 35 heures ? », il a répondu par un « oui » abrupt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Est-ce la fin de la durée légale du travail qui nous est ainsi annoncée ? Dans ce cas, quel sera l’avenir du fameux slogan « travailler plus pour gagner plus » ? Comment mesurer et rétribuer les heures supplémentaires, s'il n'y a plus de seuil de déclenchement des heures supplémentaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) C’en sera fini de la majoration de ces heures et ce sera alors un manquement majeur aux promesses de campagne.

Le Président de la République et le Gouvernement entendent-ils supprimer purement et simplement toute durée légale du travail ? (« Oui ! » sur quelques bancs du groupe UMP) On aboutirait alors à aggraver les inégalités entre les salariés et à enlever tout repère aux salariés et aux entreprises. Cette surenchère libérale risque d'accentuer les difficultés des entreprises les plus fragiles et les plus délocalisables. L'emploi, la croissance, et donc le pouvoir d'achat des Français, feront les frais de votre politique. Dans un tel contexte, vous ne permettrez aucunement aux Français d'augmenter librement leur temps de travail, contrairement à ce que vous avez si souvent martelé, puisque c’est l'employeur qui décidera, sans protection sociale pour les salariés. Monsieur le Premier ministre, est-ce réellement le seul voeu que vous formulez pour améliorer le pouvoir d'achat des salariés et la compétitivité des entreprises françaises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; « Oui ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Les choses sont claires : nous voulons tourner la page des 35 heures imposées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et nous ne sommes pas les seuls : M. Strauss-Kahn (Protestations sur les bancs du groupe SRC) a dit considérer qu’elles étaient derrière nous, et M. Gorce aussi qui, en sa qualité de rapporteur de la loi Aubry 2, sait de quoi il parle ! Vous n’êtes donc pas obligés de vous figer dans l’archaïsme (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) ni de laisser croire que nous ferions n’importe quoi n’importe comment (Mêmes mouvements) alors que nous privilégions le dialogue social – car, contrairement à vous, nous ne sommes pas sourds à ce que nous disent les Français (Mêmes mouvements). Les salariés veulent de la souplesse, non que le temps de travail leur soit imposé (« Et la réponse ? » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Il existe un cadre juridique et il en existera un – c’est d’ailleurs pourquoi nous nous sommes opposés au projet de directive – mais le statu quo n’est plus possible, et vous n’êtes pas obligés de continuer à regarder dans le rétroviseur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS EN COMMUN

M. Charles de la Verpillière – Nous avons adopté en août dernier la loi relative au dialogue social et à la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, ce texte prévoit l’entrée en vigueur, à partir du 1er janvier 2008, d’un service minimum garanti dans les entreprises de transport de passagers, par la voie du dialogue social. Pouvez-vous nous dire, Monsieur le ministre du travail, quel a été le résultat des négociations, et si l’État devra intervenir ?

D’autre part, la loi a confié aux collectivités locales le soin de fixer les priorités de desserte en ce qui les concerne, l’État se substituant à elles en cas de carence. De nombreuses collectivités territoriales, de droite et de gauche, ont déjà pris les mesures nécessaires – c’est le cas, par exemple, dans l’Ain, l’Isère et le Rhône – mais d’autres tardent à le faire. Qu’en est-il, notamment, des transports ferroviaires régionaux ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Les négociations ont abouti à la RATP, à la SNCF et dans les transports urbains – c'est-à-dire partout où l’on disait que rien de ce genre ne serait jamais possible. Le seul secteur pour lequel un accord national n’a pas encore été trouvé est celui des transports interurbains, notamment scolaires. Les acteurs en sont réunis en ce moment même au ministère des transports, où leur est présenté le projet de décret dont j’avais fait état devant vous en décembre.

La question est donc réglée pour 90 % des déplacements quotidiens. Pour ce qui est des transports ferroviaires régionaux, la moitié des régions ont joué le jeu et indiqué clairement quelles étaient les dessertes prioritaires de sorte qu’en cas de grève, on puisse affecter utilement les personnels non grévistes et garantir le droit d’aller à son travail. Dans les autres régions, l’État prendra ses responsabilités : les arrêtés préfectoraux seront publiés en janvier. Ainsi, début 2008, le service minimum qu’on disait impossible va devenir réalité. Le droit de grève est constitutionnel, mais le droit d’aller travailler est reconnu, celui d’envoyer ses enfants à l’école est garanti, comme l’est le droit à l’information des usagers. De plus, après sept jours de grève, c’est par un vote à bulletin secret que les employés se prononceront. Surtout, autre point important, quand on ne travaille pas, on n’est pas payé.

M. Roland Muzeau – C’est déjà le cas ! Démagogue !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail  – Tout cela figure dans la loi que vous avez votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TRAVAIL DES ÉTUDIANTS

M. Lionel Tardy – Beaucoup d’étudiants travaillent pour financer leurs études, surtout en fin de cursus. Il est bénéfique pour l’étudiant de sortir de sa salle de cours et de faire connaissance avec le monde du travail, au-delà du caractère un peu théorique de l’enseignement universitaire. Pour autant, l’emploi ne doit pas prendre le pas sur leurs études.

Dans la loi sur les universités, un dispositif permet aux établissements de proposer des contrats de travail aux étudiants. Cette mesure va dans le bon sens – c’est sans doute pour cela que la gauche s’est bien gardée d’en parler, dans sa volonté de diaboliser le texte. Moins de cinq mois plus tard, le décret vient de paraître, ce qui est une preuve d’efficacité. Madame la Ministre, pouvez-vous détailler le dispositif mis en place et donner les grandes lignes de votre politique de l’emploi étudiant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Les trois quarts des étudiants travaillent pendant l’année universitaire, soit par nécessité, soit pour disposer d’argent supplémentaire, soit pour acquérir une première expérience. Je veux tout faire pour que le travail étudiant soit choisi et non subi, que cette expérience soit bénéfique et n’entrave pas la réussite dans les études.

C’est pourquoi nous avons lancé une grande réforme des bourses, afin de donner davantage à ceux qui en ont le plus besoin : l’an prochain, il y aura 50 000 boursiers supplémentaires, et dès cette semaine, les bourses des 100 000 étudiants les plus défavorisés augmenteront de 7,2 %.

J’ai aussi voulu créer un contrat de travail spécialement conçu pour les étudiants, et au service de leurs camarades : ils effectueront du tutorat pour les étudiants en difficulté, accompagneront des camarades handicapés, participeront aux bureaux d’aide aux stages et à l’insertion professionnelle, ainsi qu’à toutes les missions propres à développer cette vie fondée sur la solidarité dans ces campus que veut créer le Président de la République. Il s’agira d’un véritable contrat de travail de droit public, payé au moins au SMIC. Les horaires seront aménagés en fonction des cours et examens et ils ne pourront pas dépasser un mi-temps. Ils seront offerts aux plus défavorisés et aux plus méritants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

DURÉE DU TRAVAIL

M. Pierre-Alain Muet – J’envisageais d’interroger la ministre de l’économie. Mais M. Bertrand ayant expliqué longuement que les 35 heures ont conduit le pays dans de grandes difficultés (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP), je vais revenir sur ce sujet.

M. le Président – Posez votre question (Protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre-Alain Muet – Permettez-moi de dire quelques mots.

Monsieur Bertrand, vous faites une erreur économique. La seule période où la croissance du pouvoir d’achat des ménages a été supérieure à 3 % par an, c’est de 1997 à 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). La France connaissait alors une croissance identique à la croissance mondiale, et supérieure d’un point à la croissance européenne. Depuis 2002, cette croissance est inférieure d’un point ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe GDR) Et contrairement à ce qu’a dit M. Chatel, les inégalités se sont profondément accrues depuis 2002.

Vous faites aussi une erreur historique. Toute notre histoire prouve que progressent ensemble la réduction du temps de travail – par rapport au siècle dernier, dans tous les pays du monde, on travaille à mi-temps – et l’augmentation continue du pouvoir d’achat et de la productivité du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et de nombreux bancs du groupe GDR). Je vous pose donc de nouveau la question : avez-vous l’intention de supprimer la durée légale du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Je croyais que vous aviez la nostalgie des lois Aubry, mais non, c’est celle du 19ème siècle ! Si c’est ainsi que vous engagez l’année 2008, je ne vous félicite pas. En parlant des 35 heures, vous oubliez de dire qu’à l’époque dont vous parlez, la croissance était mondiale et européenne, et pas spécifiquement française. Mais on peut estimer que son ralentissement a été dû au choix des 35 heures et à votre absence de courage pour réformer entre 1997 et 2002. Et dites aussi que les 35 heures imposées ont signifié le gel des salaires (« La question ! » sur les bancs du groupe SRC). Dites encore que pendant la campagne présidentielle, vous-même ne saviez plus où vous en étiez sur les 35 heures. Fallait-il les généraliser ? La candidate, les autres prétendants ne le savaient pas. Vous prenez les 35 heures comme prétexte pour parler du travail, mais la valeur du travail, c’est nous qui l’avons remise à l’honneur et nous continuerons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

ANNULATION DU PARIS-DAKAR

M. Michel Havard – Pour la première fois depuis sa création en 1978, le « Dakar », qui devait prendre son départ le 5 janvier, a été annulé pour des raisons de sécurité. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les risques qui pesaient sur l'épreuve ?

Comme beaucoup de Français, je suis attaché à cet événement qui, depuis trente ans, associe de nombreux passionnés de sport automobile qui poursuivent le rêve d'aventure initié par Thierry Sabine. Dans ce rallye sont engagés des coureurs de 50 nationalités. Retransmis sur les cinq continents, il mobilise dans tous les territoires de France – je le vois à Lyon et dans sa région – les énergies d'hommes et de femmes, d'entreprises, de collectivités et d'amoureux du sport automobile.

Nous sommes donc nombreux à redouter que cette annulation 2008 sonne la disparition du Dakar (Mme Billard et M. Yves Cochet applaudissent). J’aimerais connaître les initiatives que vous comptez prendre pour assurer sa survie en 2009 et au-delà (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Bernard Laporte, secrétaire d’État chargé des sports – La société ASO, organisatrice du Dakar, a en effet décidé d’annuler le Dakar 2008. Cette décision est motivée par les recommandations fermes du Gouvernement après les dramatiques événements survenus en Mauritanie, où quatre ressortissants français ont été assassinés, un grièvement blessé et, trois jours après, trois militaires mauritaniens tués (« Les casinos ! » sur les bancs du groupe SRC).

M. le Président – Poursuivez, Monsieur le secrétaire d’État (Interruptions sur les bancs du groupe SRC).

M. Bernard Laporte, secrétaire d’État chargé des sports – Les menaces directes proférées par Al Qaida contre le rallye ont conduit le Quai d’Orsay et le Gouvernement à recommander de ne pas se rendre dans cette région, malgré les mesures exceptionnelles prises par les autorités mauritaniennes, qui avaient déployé 4 000 personnes pour assurer la sécurité du rallye. Nous savons tous en effet qu’il est difficile de protéger des centaines de personnes sur des centaines de kilomètres de course, et que la bonne décision a été prise (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Le Dakar fait cependant partie du patrimoine africain, avec des retombées économiques directes pour le Maroc, le Sénégal et la Mauritanie (Protestations sur les bancs du groupe SRC). La véritable question est celle de la pérennité de la compétition. Les dirigeants d’ASO et mon cabinet se réuniront donc vendredi afin d’envisager les solutions lui permettant de perdurer (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC ; M. Laporte fait un geste d’impatience en direction du groupe socialiste).

DURÉE LÉGALE DU TRAVAIL

M. Philippe Martin – Permettez-moi de dire amicalement à Bernard Laporte que nous ne sommes pas sur un terrain de rugby, et que nous ne pouvons régler ces problèmes comme on règle ceux entre le Stade français et Montpellier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Je reviens sur une question à laquelle, décidément, vous ne voulez pas répondre – car elle vous gêne. Il faudra bien que M. Bertrand cesse de l’esquiver ! Allez-vous, oui ou non, abolir la durée légale du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) Allez-vous revenir sur les 35 heures – pour les remplacer par quoi ? Allez-vous revenir sur les 37, les 38 heures, les 40 heures de Blum, que votre candidat invoquait durant la campagne électorale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Est-ce cela ? Nous avons besoin – et les Français aussi – de savoir ! Vous voulez, à ce qu’il paraît, politiser les élections municipales et cantonales. Chiche ! Nous irons expliquer aux Français que votre politique, c’est toujours plus de cadeaux pour les riches, et toujours plus de casse sociale pour ceux qui souffrent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Répondez : oui ou non, allez-vous abolir la durée légale du travail ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean Glavany – Oui ou non ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Je sais que certains d’entre vous rêvent depuis longtemps d’être au Gouvernement, mais il faudra pour cela que les Français vous fassent confiance – or, je ne suis pas certain qu’ils en aient envie lorsqu’ils vous regardent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC) Il y a aujourd’hui un cadre juridique pour la durée du travail, comme il y en aura un demain – et vous le savez très bien. La vérité, c’est que vous cherchez encore une fois à masquer une absence de propositions dont les Français se rendent compte année après année ! Vous connaissez pertinemment la position du Gouvernement sur la durée du travail au plan européen. Et ce que nous faisons au niveau européen, nous le faisons aussi dans le cadre national, parce que nous avons à l’esprit…

M. Jean Glavany – Bla bla bla ! Bla bla bla !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – …la question de la pénibilité, celle des conditions de travail et bien d’autres. Nous savons qu’il est possible de ne plus imposer d’en haut, comme vous l’avez fait avec les 35 heures, tout en apportant des garanties aux employeurs comme aux salariés. C’est la vérité, et les Français le savent, comme ils savent que vous tenez un double discours ! Alors que vous reconnaissez parfois dans vos circonscriptions – je l’ai moi-même constaté – qu’il faut de la flexibilité, vous semblez dire ici qu’il n’en faut pas ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean Glavany – Oui ou non ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Reconnaissez donc qu’il faut cesser ce double discours en 2008 et que les 35 heures ont été un boulet insupportable pour l’économie française ! En ce qui nous concerne, nous ne ferons pas cette erreur ! Nous voulons de la souplesse, mais avec des garanties pour les salariés – car nous, nous sommes de leur côté ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

HOMMAGE À LA MÉMOIRE DE RAYMOND FORNI, ANCIEN PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. le Président – Samedi matin, un mal foudroyant emportait notre ancien collègue, celui qui, il y a peu de temps encore, occupait ce perchoir : Raymond Forni.

(Mmes et MM. Les députés et membres du Gouvernement se lèvent).

Cette disparition nous a profondément attristés. Raymond Forni était respecté, et bien au-delà de sa famille politique. L'hommage unanime qui lui est rendu depuis samedi matin est éloquent : il avait, ici à l'Assemblée nationale, l'estime de tous.

Modèle de promotion républicaine, il était un grand parlementaire, un homme de convictions. Né le 20 mai 1941 à Belfort dans une famille d'immigrés italiens, Raymond Forni, orphelin de père dès l'âge de onze ans, fut tôt confronté aux douleurs de l'existence. Issu d'un milieu modeste, longtemps étranger dans son propre pays – puisqu'il dut attendre ses dix-sept ans pour obtenir la nationalité française –, c'est par sa volonté, par son travail, que Raymond Forni a su construire son destin. Un autre destin que celui que lui réservait sa naissance, un destin remarquable ! Il aimait rappeler qu'il le devait à la France. Tous ici, nous nous souvenons comment, et avec quels mots émouvants, pleins de gratitude, il avait, de cette tribune, rendu hommage à la République.

Celui qui occupa ce perchoir commença sa vie professionnelle à dix-huit ans, comme ouvrier chez Peugeot. Sa ténacité eut raison des circonstances : jeune homme courageux, il passa avec succès son baccalauréat à vingt-deux ans. Tout en travaillant à l’usine, il fit ensuite des études de droit qui le conduisirent à devenir avocat à vingt-sept ans.

De l'usine au barreau, déjà, quel parcours ! Très vite, il s'intéressa à la politique et, dès 1973, il fut élu député du Territoire de Belfort. Il avait 32 ans. Il fut réélu à cinq reprises, jusqu'en 2002. À l'Assemblée, en ces lieux, son talent de juriste et sa force de travail firent vite sa réputation. En 1981, à quarante ans, il devint président de la prestigieuse commission des lois, où il laissa l'empreinte d'un législateur éminent. En 1985, il fut nommé à la Haute Autorité de l'Audiovisuel, avant de revenir en 1988 à l’Assemblée dont il fut élu président le 29 mars 2000. De l'usine au barreau, du barreau au Palais-Bourbon et du Palais-Bourbon à la Présidence de l'Assemblée nationale : il est peu d'exemples d'une aussi remarquable ascension républicaine.

Son premier discours de Président de l’Assemblée nationale est encore dans la mémoire de beaucoup d'entre nous, et il est de ceux que l’on n’oubliera jamais. Son hommage vibrant, poignant, à la République qui, pour reprendre ses propres mots, « accueille, éduque, rassemble sans distinction de race, d'origine, de couleur, de religion » restera l’un des moments les plus émouvants de l’histoire de notre hémicycle, ce cœur de la démocratie.

Huitième président de l'Assemblée nationale de la Ve République, Raymond Forni remplit jusqu’en 2002 ses fonctions dans un esprit républicain qui lui vaut le respect de tous. Il fut parmi nous un député assidu, engagé, convaincu, exigeant. Il fut, et il restera pour nous tous un grand parlementaire.

Raymond Forni, enfin, était un homme de convictions. Il avait des idées claires, un engagement ancien. Il ne transigeait pas. Cette fidélité exemplaire à ses idées l'honore. Ses convictions étaient aussi celles d'un humaniste. En 1981, il fut rapporteur de l’un des plus grands textes débattus dans cet hémicycle : l'abolition de la peine de mort. L'homme, l'avocat et le député qu'il était, confessait volontiers que c'était son plus grand souvenir de parlementaire.

Ses convictions, c'était aussi cet attachement aux libertés publiques dont il fit preuve avec constance à la Haute Autorité de l'Audiovisuel, puis à la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, qu'il avait lui-même contribué à créer et dont il fut vice-président plus de dix années durant.

L'« enfant de la République », le fils d'immigrés italiens naturalisé français à 17 ans, l'homme passionnément attaché à la France qu'était Raymond Forni, avait les meilleures raisons d'être farouchement européen. Dans son discours du 29 mars 2000, il résumait son engagement européen par ces mots : « La France m'a tout donné, et c'est peut-être pour cela que, mon sang et mon cœur se mêlant, je crois à l'Europe par dessus tout. »

La solidité de ses convictions, enfin, c'était sa volonté de servir la République, de servir les Français, pour lesquels il s'engagea sans relâche au niveau national comme au niveau local dans cette région de Franche-Comté où il avait grandi : maire de Délie, conseiller général du Territoire de Belfort et, enfin, président du conseil régional de Franche-Comté. Cette fidélité force l'admiration.

C'est un homme de très grande qualité dont nous saluons aujourd’hui la mémoire. À vous, Madame, à ses enfants, à ses anciens collègues et à ses amis politiques, j'adresse, au nom de tous les députés de l'Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances particulièrement attristées.

M. François Fillon, Premier ministre  Humbles devant la mort, nous le sommes plus encore quand celui qui nous quitte a donné, par sa présence, par ses contributions à notre vie politique, par son parcours personnel, l'image d'un destin exemplaire. Parmi nous, il y a ceux qui luttent contre la pauvreté, la solitude, et ceux qui les ont subies. Il y a ceux qui débattent du travail en usine, et ceux qui l'ont vécu. Il y a ceux qui encouragent l'effort d'intégration, la réussite personnelle, la promotion sociale, et ceux qui ont su tout donner, tout surmonter pour les mener eux-mêmes à bien, jusqu'à obtenir du pays la reconnaissance la plus haute. Raymond Forni était de ceux-là.

Je veux redire le message à la fois clair, positif et exigeant que son parcours adresse à tous ceux dont l'intégration dans la société française semble difficile. Je pense aux jeunes issus de l'immigration, mais aussi à ceux que leur histoire scolaire ou familiale semble écarter des voies balisées de la réussite.

Raymond Forni était devenu citoyen français à 17 ans. À 32 ans, il était député du Territoire de Belfort, grand juriste, grand constitutionnaliste. Quinze ans pour passer d'une demeure modeste de Montreux-Château à la représentation nationale et, par-delà, au Conseil de l'Europe, à la CNIL, à la présidence de la région Franche-Comté.

Quand l'intégration est courageuse, volontaire, loyale, aucune porte ne lui reste fermée. Les combats de Raymond Forni ont toujours été guidés par ce souci proprement humaniste de respect de l'homme et de ses dons, le souci de la tolérance, de l'ouverture intellectuelle, de la justice.

Raymond Forni s'était fait connaître comme avocat en défendant, dans l'affaire Mercier, cette enseignante poursuivie pour avoir abordé en classe de lycée une réflexion sur la sexualité, une lecture large et compréhensive de la liberté d'enseigner. Il disait avoir connu son grand moment de député comme rapporteur de l’une des lois qui ont honoré l'Assemblée nationale, la loi abolissant la peine de mort.

À cet esprit de tolérance et de générosité, je veux exprimer aujourd'hui l'hommage sans réserve du Gouvernement et de la nation. Raymond Forni avait mis au service de l'État les talents que la France lui avait permis d'épanouir. Son travail – considérable, en particulier à la tête de la commission des lois – avait pour horizon la collectivité nationale. Son éloquence était à la disposition de la République. Il en vivait chaque progrès avec probité et avec une passion presque farouche.

Ceux d'entre vous qui ont eu le privilège de travailler ici même sous sa présidence s'en souviennent : au perchoir, Raymond Forni avait le ton rigoureux, parfois tranchant. Le ton, sans doute, de ceux qui s'étaient battus pour tous, qui n'avaient jamais fait un pas pour eux seuls.

La République avait donné à Raymond Forni le rang de quatrième personnage de l'État. Lui-même s'était attribué en retour un titre modeste et beau, celui d'« enfant de la République ». La République que j'aime, c'est celle qui donne leur chance à des hommes de la qualité et de la trempe de Raymond Forni. Permettez-moi, au non du Gouvernement tout entier, d'adresser à sa famille, à ses proches, à ses collègues et amis, mes plus sincères condoléances (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

M. le Président – En hommage à notre ancien président, Raymond Forni, l'Assemblée nationale ne siègera pas demain après-midi.

La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 35.

M. le Président – Je vous informe que la séance sera levée à 18 heures 45, en raison de la présentation à l’hôtel de Lassay, à 19 heures, du film « La onzième heure, le dernier virage ».

RÉTENTION DE SÛRETÉ

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice La justice doit se tenir à l’écart des tumultes et des émotions passagères ; elle doit s’exercer dans la sérénité et l’impartialité. C’est ainsi qu’elle préserve son indépendance et sa légitimité. Pour autant, la justice n’est pas une abstraction, mais une réalité au cœur de la cité. Elle doit répondre aux inquiétudes de ceux qu’elle protège. Le président de la commission des lois, M. Warsmann, auteur de la proposition de loi sur la simplification du droit, sait que la justice doit être proche des justiciables. Votre rapporteur, M. Fenech, ancien magistrat, réfléchit quant à lui depuis longtemps au sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, les Français s’émeuvent de crimes odieux commis par des personnes déjà condamnées. À chaque nouveau drame, ils nous posent la question : pourquoi un individu condamné pour des faits graves et dont la dangerosité était manifeste a-t-il été laissé en liberté ? Les criminels exempts de pathologies mentales ne relevant pas d’une prise en charge psychiatrique, il n’existe aucune structure pour les resocialiser de façon adaptée, et il faut attendre un nouveau passage à l’acte pour les enfermer ! La peine ne sert alors plus seulement à sanctionner un crime ou délit, et devient une mesure de sûreté pour la société ; elle est donc détournée de son objectif initial. C’est là que se trouve la véritable atteinte à la liberté et à la finalité de la peine.

Les Français s’émeuvent également de la situation des irresponsables pénaux, que leurs troubles mentaux ne permettent pas de juger. Les affaires s’achèvent par un non-lieu, sans audience, sans débat.

Ces deux questions sont fondamentalement différentes. Dans le premier cas, le criminel est responsable de ses actes ; il peut être jugé et condamné. Dans le second cas, le discernement de l’auteur des faits est aboli ; celui-ci est reconnu pénalement irresponsable et peut alors relever de l’hospitalisation d’office. Ces deux questions ont pourtant des traits communs : elles reflètent des préoccupations majeures des Français et montrent que le droit actuel est inadapté.

Depuis 2005, trois rapports ont été rendus sur le traitement des criminels dangereux : celui de la commission santé-justice présidée par M. Burgelin, celui de M. le député Garraud et celui de MM. les sénateurs Goujon et Gautier. Mais ces deux questions sont restées sans suite. Alors que les victimes et leurs familles attendaient des réponses, elles n’ont obtenu que de la compassion.

Les Français ne le comprennent pas ; ils ont le sentiment que la justice refuse de regarder les choses en face, que ceux qui gouvernent sont indifférents. Ils pensent que chaque drame aurait pu être évité, que chaque vie humaine aurait pu être sauvée. Devons-nous attendre de nouveaux crimes pour agir ? Peut-on laisser un homme comme Francis Évrard frapper de nouveau ? Devons-nous attendre que d’autres femmes soient violées et assassinées, comme Anne-Lorraine Schmitt ? Il est de notre devoir de répondre aux attentes des Français. Il nous incombe de trouver un équilibre satisfaisant entre la sécurité et la liberté de chacun. « Qui n’empêche le mal, le favorise », écrivait Cicéron. La justice ne peut se désintéresser de l’« après-condamnation » ; la philosophie de l’individualisation de la peine repose sur cette évidence.

Le projet de loi n’a pas la prétention de faire disparaître le risque de récidive, ce qui serait une illusion, mais de le réduire. Il repose sur trois volets : des mesures de sûreté pour les auteurs de crimes contre mineurs ; de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement ; des mesures propres à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.

Depuis 1998, les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la lutte contre les délinquants sexuels dangereux, en réduisant autant que possible leur dangerosité ainsi que le risque d'un nouveau passage à l'acte. Ainsi, le suivi socio-judiciaire et le fichier national des empreintes génétiques ont été instaurés en 1998 par Mme Guigou ; ce dernier a été étendu en 2003, avec la loi sur la sécurité intérieure ; en 2004, a été créé le fichier national des agresseurs sexuels et, en 2005, le bracelet électronique mobile, qui peut être généralisé, depuis le 1er août 2007 ; des traitements antihormonaux peuvent être prescrits sur la base du consentement depuis 2005 ; enfin, avec la loi du 10 août 2007, j’ai souhaité renforcer l'injonction de soins.

Les rapports concluent à la nécessité d’un dispositif permettant d'écarter de la société les délinquants les plus dangereux. Ils préconisent, soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour aménagées. Le projet de loi propose la création de centres socio-médico-judiciaires.

Sur la base du même constat, d'autres grandes démocraties sont parvenues à des solutions analogues. Je me suis rendu avec MM. les députés Goujon et Garraud aux Pays-Bas, où nous avons visité un hôpital fermé pour délinquants dangereux. Tout y est fait pour faciliter la réinsertion. Après une année de soins, le taux de récidive est ramené de 43 % à 13 %. Ces chiffres montrent l'efficacité du dispositif néerlandais. En Allemagne, l'idée de créer des structures fermées date du XIXe siècle, dans une logique de réinsertion sociale des individus dangereux ; un gouvernement de coalition a durci cette législation en 2004. Au Canada, le parti libéral a créé le statut de délinquant dangereux en 1947, assorti d’une durée d'enfermement indéterminée. En Belgique, un gouvernement de coalition chrétienne et socialiste a instauré une procédure d'internement des condamnés toujours dangereux en fin de peine. Nous sommes au-delà des clivages politiques et idéologiques. Le gouvernement souhaite s'appuyer sur l'expérience de nos partenaires européens.

La rétention de sûreté constitue une innovation sans équivalent dans notre droit. Elle concerne les personnes condamnées à au moins 15 ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs. Deux ans avant la fin de la peine, le juge de l'application des peines effectue un bilan personnalisé du suivi médical du détenu ; c'est une mesure nouvelle qui va au-delà du simple suivi des mesures de soins actuellement en vigueur. En outre, un an avant la fin de la peine, la situation du condamné est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui dispose de tous les éléments utiles pour se prononcer sur la dangerosité et le risque de récidive, ainsi que sur la nécessité d'un placement en rétention de sûreté.

La commission pluridisciplinaire a été créée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005. Elle est composée d'un magistrat, d'un préfet, de deux experts – un psychiatre et un psychologue –, d'un directeur des services pénitentiaires, d'un avocat et d'un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes.

Dans le système que nous proposons, Francis Évrard aurait été placé sous bracelet électronique mobile dès sa sortie de prison. Il aurait été suivi attentivement et n'aurait pu changer de région. En cas de non-respect de ses obligations, il aurait été placé en rétention de sûreté.

Un autre criminel, Martial Leconte, a été placé sous bracelet électronique mobile à sa sortie de prison, le 24 septembre 2007. Très rapidement, il n'a pas respecté les obligations qui lui étaient imposées ; il est retourné en détention. C'est le type même d'individu présentant encore une grande dangerosité.

Si le risque de récidive est particulièrement élevé, la commission pluridisciplinaire propose au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d'appel.

Celle-ci rend, après un débat contradictoire, une décision motivée, valable un an et renouvelable.

La rétention est une mesure de sûreté de denier recours, exceptionnelle et subsidiaire à toute autre mesure de contrôle, de suivi ou d’encadrement. Il convient donc d’étendre les possibilités de surveillance judicaire et de suivi socio-judiciaire, afin que ces dispositifs représentent bien des alternatives.

La rétention de sûreté consiste en un placement dans un centre socio-médico-judiciaire, sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé, et surveillé par l’administration pénitentiaire. La personne y bénéficiera d’une prise en charge médicale et sociale et sa situation sera réexaminée chaque année. Elle ne sera pas enfermée durant la journée et pourra obtenir des permissions de sortie sous escorte.

Le premier centre expérimental, créé au sein de l’hôpital de Fresnes – hôpital et non pas prison – fonctionnera dès le 1er septembre. Sa capacité d'accueil, de trente personnes dans un premier temps, pourra être augmentée.

À la fin de sa rétention, la personne pourra être placée sous surveillance électronique mobile ou se voir ordonner une injonction de soins. En cas de manquement à ces obligations, elle pourra faire l'objet d'une nouvelle mesure de rétention, sur décision de la commission régionale.

Les futurs condamnés seront avertis par le juge le jour de leur condamnation. Ils pourront être placés dans une structure fermée à la fin de leur peine s'ils présentent encore une grande dangerosité.

Pour ce qui est des criminels actuellement incarcérés, le Conseil d'État a proposé un dispositif d'application immédiate, conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit dune surveillance judiciaire étendue. À sa sortie de prison, le condamné sera placé sous surveillance judiciaire par le juge d'application des peines dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui et pour le temps des réductions de peine. Au-delà de cette durée, la décision de prolongation relèvera de la commission régionale.

Le condamné soumis à une injonction de soins ou au port d'un bracelet électronique et qui viole ces obligations pourra, si ces manquements traduisent un risque particulièrement élevé de récidive, être placé en rétention de sûreté sur décision de la commission régionale.

Votre rapporteur a suggéré d'étendre la rétention de sûreté aux tueurs et violeurs en série déjà condamnés. Le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens, estimant qu’il s’agit là d’une question de bon sens et de cohérence. La rétention étant une mesure préventive, elle doit s'appliquer aux criminels les plus dangereux. L’opinion publique, d’ailleurs, y est favorable.

Je pense à cet homme condamné à vingt ans de réclusion en 2000 pour neuf viols et deux tentatives, commis avec usage d’une arme, au domicile des victimes. L’individu, libérable en 2010, a fait savoir qu’il comptait recommencer. Ne rien faire serait impardonnable.

M. Guy Geoffroy – Tout à fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Treize des personnes actuellement placées sous surveillance judiciaire ont été condamnées pour des infractions répondant aux critères de la rétention de sûreté. Quinze, voire vingt des 106 personnes actuellement détenues et libérables en 2008, dont la nature et le quantum de la peine sont visés par ce dispositif, pourraient relever d’une rétention de sûreté.

Ce dispositif permettra de sauver des vies et de mieux prendre en charge les criminels sexuels.

La deuxième partie du projet de loi porte sur le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement. Actuellement, lorsque l'auteur d'une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une « ordonnance de non-lieu », qui, tout en donnant aux familles des victimes l’impression que les faits ne se sont pas produits, clôture l'instruction et éteint les poursuites judiciaires.

Depuis 1995, l'irresponsabilité pénale de l'auteur d'un crime ou d'un délit peut faire l'objet d'un débat public devant la chambre de l'instruction, comme cela a été le cas dans l'affaire du double meurtre des infirmières de Pau. Mais ce débat n’intervient qu’en phase d’appel.

La nouvelle procédure prévoit qu’une audience – publique ou non, en fonction du souhait des victimes – se tiendra devant la chambre de l'instruction. L’audience s’achèvera, le cas échéant, par une décision d'irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Il ne s'agit pas de juger les fous – ce qui serait contraire aux principes de notre droit – mais d’assurer un examen approfondi et contradictoire du dossier en présence des parties, témoins et experts. Les droits de la défense sont garantis : la personne sera assistée ou représentée par un avocat.

La déclaration d'irresponsabilité pénale sera inscrite au casier judiciaire. L'auteur des faits sera hospitalisé d'office en hôpital psychiatrique sur décision préfectorale.

Nouveauté importante : des mesures de sûreté pourront être imposées par la chambre de l'instruction. Applicables dès l'hospitalisation, elles pourront consister, lors de la sortie ou des permissions de sorties, à interdire à la personne de se rendre dans certains lieux, de rencontrer ses victimes, ou de détenir une arme. La violation de ces mesures de sûreté constitue une infraction passible de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. La chambre de l'instruction renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel pour statuer sur les dommages et intérêts.

Le dernier volet de ce projet de loi vise à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.

Les réductions de peine accordées aux personnes condamnées à de la prison ferme doivent être justifiées par la bonne conduite et les efforts de réinsertion. Mais elles sont devenues trop automatiques. La loi du 10 août 2007 subordonne l'obtention des réductions de peines supplémentaires au respect de l'obligation de soins. Nous allons aujourd'hui plus loin : le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine.

Avec Roselyne Bachelot, nous souhaitons améliorer l'échange d'informations entre le médecin intervenant en milieu carcéral et celui qui suivra le détenu à sa sortie de prison dans le cadre de l'injonction de soins.

De même, les soignants devront signaler au chef d'établissement les risques sérieux pour la sécurité dont ils auraient connaissance. L'administration pénitentiaire pourra ainsi prendre en compte le profil des détenus lors de leur affectation en cellule : cela lui permettra de lutter contre le suicide en détention et d’éviter des actes de cannibalisme, comme celui qui s’est produit l’an dernier à Rouen.

Ce texte, attendu des Français, n’est pas de circonstance. Les drames récents nous invitent à passer de nos réflexions, anciennes et approfondies, à l'action. Le choix qui s'offre à vous transcende les clivages politiques. Il s’agit d’un projet de loi humain, équilibré, qui incarne la proximité que le Gouvernement veut avoir avec les Français et qui répond à la douleur des familles des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Georges Fenech, rapporteur de la commission des loisCe projet de loi tente de résoudre un problème majeur : protéger la société des criminels les plus dangereux qui présentent une probabilité élevée de récidive.

Plusieurs lois ont permis de mieux lutter contre la récidive. La loi du 12 décembre 2005 sur la récidive, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, et la loi du 10 août 2007 qui a instauré des peines plancher pour les récidivistes et généralisé l'injonction de soins. Par ailleurs deux affaires récentes, l’affaire Evrard et l’affaire Dupuy, ont ému l’opinion.

Outre des dispositions renforçant l'efficacité du dispositif de l'injonction de soins, ce texte comporte deux volets principaux : l’instauration d’une procédure de rétention de sûreté et la déclaration d’irresponsabilité pénale. La commission des Lois a adopté 66 amendements, dont de nombreux rédactionnels.

Je voudrais rendre hommage à mon tour à trois rapports rendus par le regretté Jean-François Burgelin, par les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier et par notre collègue Jean-Paul Garraud.

Nous disposons de trois outils juridiques pour protéger la société des criminels les plus dangereux : le suivi socio-judiciaire, l'inscription au fichier et le placement sous surveillance judiciaire. À ce sujet, il convient de rendre hommage à la gauche qui a institué, quand Elisabeth Guigou était Garde des sceaux, le bracelet électronique fixe, avant que notre majorité, sous la chancellerie de Pascal Clément n’instaure le bracelet électronique mobile.

Malheureusement, ces mesures en milieu ouvert se heurtent à certaines limites : la durée du suivi ou de la surveillance est limitée à celle des réductions de peines dont le condamné a pu bénéficier ; la durée du suivi socio-judiciaire est fixée par la juridiction de jugement ab initio ; quant au placement sous surveillance électronique mobile, il suppose le consentement du placé et la faisabilité technique d'un tel placement. En outre, il n'empêche pas la commission d'un nouveau crime, même si la certitude d'être retrouvé et réincarcéré exerce un fort effet dissuasif.

Au total, les différentes mesures en vigueur sont insuffisantes quand le risque de récidive est particulièrement élevé : la prise en charge en milieu ouvert ne suffit pas. Il était donc nécessaire d’instituer une procédure destinée à placer ces condamnés en rétention à l'issue de leur détention.

L'article 1er du projet de loi instaure une mesure de rétention de sûreté réservée aux auteurs de certains crimes – meurtre, assassinat, torture ou acte de barbarie et viol – commis sur mineurs de moins de 15 ans et qui ont été condamnés à une peine de réclusion supérieure ou égale à 15 ans.

La commission des lois a adopté un amendement qui étend le champ d’application du texte aux victimes de 15 à 18 ans, et j’ai présenté ce matin un nouvel amendement, lui aussi adopté par la commission, qui inclut également les victimes majeures lorsque le crime a été commis avec une circonstance aggravante.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous allez plus encore plus vite en besogne qu’on ne le craignait…

M. Georges Fenech, rapporteur – Il nous semble en effet que la dangerosité d'un criminel ne se mesure pas à l'âge de sa victime.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !

M. Georges Fenech, rapporteur – La mesure de sûreté doit pouvoir s'appliquer aux criminels les plus dangereux, quel que soit l'âge de leur victime. Les vieilles dames assassinées par le tueur en série Paulin ne méritent-elles pas autant notre considération que les enfants victimes de pédophilie ?

J’ajoute que ce dispositif très novateur fait de la rétention de sûreté une mesure résiduelle, qui ne sera prononcée que dans les cas où elle est l’unique moyen de protéger la société.

M. Serge Blisko – C’est sans doute pour cela que vous étendez son application ?

M. Georges Fenech, rapporteur – Par ailleurs, la rétention de sûreté ne pourra être prononcée que si les autres mesures existantes sont jugées insuffisantes. Permettez-moi également de répondre aux critiques émises par voie de presse par l’ancien Garde des Sceaux, et aujourd’hui sénateur, qu’est Robert Badinter, pour qui nous avons par ailleurs la plus grande estime.

Ce dernier dénonce l’idée que l’on maintiendrait en détention une personne en considération de ce qu’elle est et non de ce qu’elle a fait ; priver quelqu’un de sa liberté au nom de sa dangerosité supposée, sans qu’aucune infraction soit commise, remettrait en cause les fondements de notre justice, et nous rapprocherait des régimes totalitaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Élisabeth Guigou – Il a raison !

M. Georges Fenech, rapporteur – Une critique aussi grave nécessite une réponse des plus claires. Le placement en rétention de sûreté sera entouré de toute une série de garanties : l’intervention de juges tout d’abord, car la commission régionale de la rétention de sûreté sera composée de trois magistrats de la cour d’appel ; la présence d’un avocat sera également obligatoire et la décision sera prise à l'issue d'un débat contradictoire ; des recours seront possibles à tous les stades de la procédure – en appel devant une commission nationale, mais aussi en cassation ; la situation sera enfin réexaminée chaque année.

À la question de savoir si l’on peut retenir quelqu’un pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait, je répondrai sans détour : une société démocratique fondée sur la liberté et la sécurité des personnes doit prendre en considération la dangerosité d’un individu et, en dernière éventualité et avec toutes les garanties du droit, le retenir afin de le soigner et de l’aider à se réinsérer.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Mais qu’est-ce donc que la dangerosité ?

M. Georges Fenech, rapporteur – N’est-ce pas sur ce fondement qu’a été adoptée la loi de 1990 sur l’hospitalisation psychiatrique d’office lorsqu’une personne présente un état dangereux pour elle-même et pour autrui ? Pour mémoire, rappelons également la loi du 15 avril 1954 sur les alcooliques dangereux.

Ce texte protégera simultanément trois intérêts : celui des victimes potentielles, hors d’état de se protéger elles-mêmes ; celui de la société, qui est blessée et meurtrie lorsqu’un crime est commis alors qu’il aurait pu, et aurait dû, être évité ; celui de l’intéressé, qui bénéficie de soins renforcés pour empêcher la récidive. Nous avons constaté hier, au centre de Melun, la souffrance psychique de ces condamnés…

Le projet de loi crée en outre une réelle alternative à la rétention de sûreté : la prolongation des obligations de la surveillance judiciaire – j’y reviendrai plus tard.

Je rappelle enfin que la commission des lois a adopté ce matin un amendement du Gouvernement disposant que la rétention de sûreté s’appliquera aux personnes déjà condamnées avant l’application de la loi et exécutant une peine privative de liberté à la date du 1er septembre 2008 à la condition qu’elles aient été condamnées pour plusieurs crimes aggravés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Oh la la !

M. Georges Fenech, rapporteur – L’application immédiate de cette loi semble possible d’un point de vue constitutionnel, car la mesure de sûreté n’a pas la nature d’une peine : elle peut s’appliquer sans rétroactivité à une personne condamnée à raison de faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC). Ce n’est pas une peine après la peine. Vous pouvez vous égosiller tant que vous voudrez : cela reste un principe général du droit consacré par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous serez l’auteur de cette infâmie !

M. Guy Geoffroy – L’infâmie, c’est de laisser mourir des gens !

M. Georges Fenech, rapporteur – …J’en viens au deuxième volet du texte : le traitement de l’irresponsabilité pénale, qui semble soulever moins de difficultés au sein de l’opposition… Sans entrer plus dans le détail pour le moment, je précise que la commission des lois a ajouté aux quatre interdictions initialement prévues deux autres dispositions, qui sont relatives au permis de conduire ; la commission a également souhaité préciser que ces mesures ne peuvent être notifiées que si la personne recouvre son discernement.

Le projet de loi modifie également la procédure applicable si l’irresponsabilité pour cause de trouble mental est utilisée comme moyen de défense par le prévenu ou l’accusé.

Il faut adopter ce projet de loi, mes chers collègues, car il s’agit, non d’un recul comme on voudrait le faire croire, mais d’un progrès : nous sommes au point d’équilibre entre le respect des libertés individuelles et la nécessaire protection de la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Serge Blisko – C’est dramatique !

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Dominique Raimbourg – Ce que j’ai à dire n’est agréable ni à entendre ni à prononcer : ce texte porte une atteinte grave à certains principes, parce que vous ne vous intéressez pas à la question des causes et à la lutte contre la délinquance.

Vous ne vous intéressez pas à la délinquance : ce projet de loi vise avant tout à faire un coup d’éclat, et le coup porté aux principes en fait malheureusement partie intégrante. Vous visiez initialement les actes commis à l’encontre des mineurs de moins de 15 ans : pourquoi ces actes seraient-ils plus graves que les autres ? Cette distinction selon l’âge n’a pas résisté, les amendements adoptés en commission ayant élargi l’application du texte à toutes les victimes. C’est dire la faiblesse de votre réflexion initiale…

Plus extraordinaire encore, vous prétendiez qu’il s’agissait d’un texte absolument urgent et nécessaire à la rénovation de la justice et pourtant vous comptiez l’appliquer seulement dans quinze ans, à l’issue des condamnations à venir… Nous avons appris ce matin que vous vouliez rendre la loi rétroactive, mais j’y reviendrai.

Vous ne vous intéressez pas à la délinquance, Madame la Garde des Sceaux : vous ne prenez pas en considération le public visé : il existe des assassins qui ne sont pas pédophiles et des pédophiles qui ne sont pas assassins. La loi a par la suite été étendue jusqu’à inclure les actes de séquestration d’une durée supérieure à cinq jours, mais le nombre des personnes concernées n’est absolument pas connu : nous sommes passés de 15 à 20 personnes sur 100 à 150 condamnés à un nombre que nous ignorons totalement.

Ce qui vous intéresse, ce n’est donc pas la réalité du phénomène que vous prétendez combattre, mais avant tout des stéréotypes : tout cela est né d’une émotion télévisuelle et y retourne. Il est pourtant dangereux de faire des lois dictées par les gros titres de TF1 et de France 2 (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP).

Je le dis sans arrière-pensée : cela se retournera contre vous, car vous aurez demain d’autres crimes plus émouvants encore – on ne parle pas assez de la terreur des caissiers de banque… Et nous n’en finirons plus !

Mme Marie-Louise Fort – Vous n’avez pas le monopole du cœur !

M. Dominique Raimbourg – Vous non plus !

M. Dominique Raimbourg – Restons-en à la raison !

Mme Arlette Franco – Venez donc voir les pauvres victimes !

M. Dominique Raimbourg – Vous ne vous intéressez pas à la délinquance : vous ne vous êtes pas donné les moyens nécessaires pour lutter, car vous vous fondez sur un concept éminemment flou, celui de la dangerosité. Personne ne sait de quoi il s’agit.

Mme Arlette Franco – Pardi ! On le sait !

M. Dominique Raimbourg – Vous semblez limiter cette notion à 10 ou 12 personnes en France. Ce serait merveilleux si le compte y était… Et vous ne tirez pas les conclusions des rapports rédigés sous la conduite de MM. Burgelin, Goujon, Gautier et Garraud : nous ne disposons pas de suffisamment d’experts capables de déceler la dangerosité. Il n’y a en France que 800 experts compétents en la matière, soit 4 par tribunal de grande instance.

Outre que, selon les indications données par M. Garraud, les expertises sont mal payées – 250 euros 80 ! – les psychiatres qui les pratiquent se fondent sur des entretiens semi-directifs qui sont très peu prédictifs.

Une autre marque de votre désintérêt pour la lutte contre la délinquance est que vous ne vous êtes pas donné les moyens du contrôle socio-judiciaire après la sortie de prison. Les agents de probation sont moins de 3 500, ce qui est dérisoire ; les médecins coordonnateurs ne sont toujours que 150 – on est loin des 500 annoncés pour mars, et dont nul ne sait où et comment vous les trouverez ; la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par la loi du 12 décembre 2005 sur la surveillance judiciaire n’a été installée qu’en août 2007… Tous ce moyens de contrôle sont pourtant nécessaires car, quoi que vous en disiez, les personnes dangereuses sortiront un jour de prison, mais ils n’existent pas.

Vous arguez, pour défendre votre texte, d’exemples étrangers. Ce faisant, vous omettez de préciser qu’en Allemagne les expertises sont payées près de 4 000 euros ; qu’aux Pays-Bas elles durent six semaines et qu’au Pieter Bann Center d’Utrecht travaillent 200 personnes ! Autrement dit, vous usez de comparaisons qui ne valent pas, puisque vous ne disposez pas, tant s’en faut, de moyens similaires. De plus, vous oubliez de dire que le Canada, qui pratique la rétention de sûreté, libère automatiquement les condamnés qui ont accompli les deux tiers de leur peine.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Eh oui ! Automatiquement !

M. Dominique Raimbourg – En résumé, avec ce projet, vous vous servez d’un concept imprécis pour maintenir enfermés des condamnés sans avoir les moyens nécessaires pour mesurer qui est réellement dangereux ni pouvoir procéder aux nécessaires contrôles à la sortie de prison. Alors que notre législation est déjà l’une des plus répressives du monde occidental, vous pratiquez un mélange des genres qui crée un monstre juridique, de surcroît inefficace. J’ajoute que la visite à la centrale de Melun, aussi utile qu’elle ait été, n’a aucunement suffi à permettre d’appréhender la réalité du phénomène contre lequel vous prétendez lutter, dans l’urgence – et, partant de phantasmes, vous ne parviendrez pas à grand-chose (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Au-delà, ce texte apparaît gravement anticonstitutionnel. Si sa partie relative à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental réunit un relatif consensus, il n’est pas exempt de défauts. Une fois encore, on délaisse le réel pour l’apparence en feignant de croire que l’essentiel des déclarations d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental serait le fait des juges d’instruction, alors qu’ils ne traitent plus que de 5 à 10 % des dossiers, tous les autres l’étant directement par les procureurs de la République ; si l’on s’en tient aux chiffres donnés dans le rapport Burgelin, on constate que le texte concerne en réalité quelque 230 ordonnances de non-lieu, alors que 9 000 ordonnances de classement sans suite sont rendues par les procureurs…

En cette matière, le texte n’est pas sans poser d’autres problèmes. Ainsi, la nature de l’audience d’imputabilité étant imprécise, on ne sait s’il s’agit d’une déclaration de culpabilité ; dans ce cas, la présomption d'innocence du malade mental ne serait pas préservée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Bien sûr !

M. Dominique Raimbourg – Pourtant, faut-il rappeler que Francis Heaulme a, plusieurs fois, bénéficié d’un non-lieu, non pas en raison de son état mental mais parce qu’il a été reconnu non coupable des crimes dont il était accusé ?

D’autre part, le texte ne prévoit pas de double degré de juridiction…

M. Philippe Houillon – Mais si !

M. Dominique Raimbourg – L’inscription au casier pose aussi problème, tout comme le principe d’application de mesures de sûreté à un irresponsable pénal par une juridiction pénale. Enfin, l’audience prévue par le texte étant, en quelque sorte, un jugement avant le jugement, il restera aussi à trancher la question, marginale certes, du statut des co-auteurs éventuels.

Mais les critiques les plus vives portent sur la partie du texte relative à la rétention de sûreté, qui viole l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme en ce que la rétention de sûreté ne figure pas au nombre des six cas de détention possibles. Le rapporteur a beau tenter d’expliquer, en déployant un trésor de talents, que la Convention ne s’applique pas au motif qu’il s’agit d’une mesure de sûreté, il a du mal à convaincre, car la rétention de sûreté n’est pas liée à un aménagement de peine et parce qu’elle est prononcée par une commission composé de trois magistrats. À coup sûr, cette disposition est inconstitutionnelle.

D’autre part, la mesure viole l’article 7 de la Déclaration des droits de l'homme en créant une peine sans crime, et l’amendement déposé par le Gouvernement viole son article 8 qui pose le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. On observe que la rétroactivité proposée est très forte parce que double : elle s'appliquerait non seulement aux faits commis avant la promulgation de la loi mais aussi aux condamnations prononcées avant l’adoption de la loi. Comment une telle disposition pourrait-elle échapper à la censure du Conseil constitutionnel ?

Une bonne politique pénale, Madame la garde des sceaux, allie humanité et fermeté ; votre texte manque de toute humanité et n'offre qu'une fermeté de façade (Protestations sur les bancs du groupe UMP). J’appelle donc l’Assemblée à voter l’exception d’irrecevabilité et, si elle n’était pas adoptée, à rejeter le texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le projet qui vous est soumis offre un nouveau moyen de protéger la société. La rétention de sûreté est une mesure nécessaire, proportionnée et rigoureusement encadrée. Elle est décidée à l'issue d'une procédure en plusieurs étapes qui garantit parfaitement les droits de la personne concernée. Elle procède certes d'un arbitrage entre les deux valeurs fondamentales que sont la liberté individuelle et les droits de tous les citoyens à être protégés par l'État.

Mais c'est de la responsabilité du législateur précisément de concilier au mieux ces deux exigences contradictoires. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans ses décisions sur ces questions des 5 août 1993, 18 janvier 1995, 8 décembre 2005 et 19 janvier 2006.

La représentation nationale doit concilier la protection de la société contre des criminels dont la récidive ne peut être empêchée autrement que par une mise à l'écart et la liberté de ces criminels à la fin de leur peine.

Dans un État de droit, assurer la sécurité de ses concitoyens est un devoir. La dangerosité de certains criminels ne peut être canalisée autrement que par un placement dans une structure fermée permettant d'assurer leur surveillance constante et leur réinsertion.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Cela s’appelle privation de liberté.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Mais cette mesure est d'une rigueur strictement nécessaire et proportionnée. Elle concerne certains criminels, lourdement condamnés et qui sont d'une dangerosité intrinsèque rare. Elle intervient comme une solution ultime, subsidiairement à toute autre mesure de contrôle de la personne laissée libre. Elle est décidée à l'issue d'une procédure qui garantit au maximum les droits de la personne concernée et les solutions alternatives à la privation de liberté. Elle est prononcée par l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle aux termes de l'article 66 de la Constitution. Elle est susceptible de recours devant une commission nationale et par le pourvoi en cassation. Elle cesse dès que l'état de la personne permet d'envisager une autre mesure de surveillance à l'extérieur. Enfin, elle est révisée tous les ans.

Les conditions d'application de la rétention de sûreté respectent les principes fondamentaux. S'agissant d'une mesure de sûreté, votre rapporteur a parfaitement rappelé que la question de la rétroactivité ne se pose pas…

M. Serge Blisko – Il est assez faible, là-dessus.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …et cite la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation sur ce point.

Son rapport soulignait également une faille dans le dispositif pour les criminels dangereux actuellement écroués. Dans le projet, un éventuel placement en rétention de sûreté en fin de peine doit être prévu dans la condamnation elle-même. Ainsi, deux condamnés aussi dangereux feraient l'objet d'un traitement distinct, au motif que l'un a été condamné avant l'entrée en vigueur de la loi et l'autre après. Ce n'est évidemment pas compréhensible. Le Gouvernement a donc déposé un amendement qui rend la rétention de sûreté applicable à tous les criminels condamnés pour plusieurs crimes qui répondent aux critères de dangerosité du texte.

On ne peut pas nier le caractère potentiellement dangereux de la personne déjà condamnée pour meurtre ou viol qui récidive ou pour des meurtres ou des viol en série.

Depuis 2004, les Allemands n'exigent plus que le jugement prévoie la possibilité d'une détention-sûreté en fin de peine. Pour eux, ce dispositif ne méconnaît pas les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que la dangerosité de la personne ressort de la condamnation.

Or, il y a un lien de causalité évident entre la condamnation d'une personne reconnue coupable de meurtres ou de viols en série et la mesure de sûreté décidée en raison de la dangerosité ainsi démontrée et persistante.

Enfin, j'observe avec surprise que vous contestez des mesures favorables aux condamnés qui permettent d'assurer leur libération.

Le projet dispose que la surveillance judicaire pourra être étendue au-delà des réductions de peine, pour une durée d'un an renouvelable, sur décision de la commission régionale et dans les mêmes conditions et avec les mêmes garanties que pour placer en rétention de sûreté. La violation des obligations de la surveillance judicaire pourra être sanctionnée par une rétention de sûreté si elle traduit une résurgence de la dangerosité de la personne. Ce dispositif a été suggéré par le Conseil d'État qui a considéré qu'il satisfaisait parfaitement aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Votre commission des lois a, par l’amendement 32, prévu le même dispositif pour la prolongation du suivi socio-judiciaire.

Ces mesures nouvelles garantissent une surveillance satisfaisante de criminels pour lesquels la rétention de sûreté serait une mesure disproportionnée au regard de leur degré de dangerosité.

Le Gouvernement a pris toutes les dispositions pour veiller au respect le plus strict des exigences constitutionnelles et aux engagements conventionnels qui lient la France. En conséquence, je vous demande de repousser l'exception d'irrecevabilité.

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Paul Garraud – On nous parle de monstruosité juridique. En réalité, où sont les monstres ? Ce sont ces grands prédateurs. Et le problème, c’est que nous n’avons pas les outils juridiques pour traiter ces individus particulièrement dangereux qui ressortent en fin de peine parfois même plus dangereux qu’à l’entrée.

M. Serge Blisko – C’est cela le problème.

M. Jean-Paul Garraud – D’abord, je rappelle que ce projet est une sérieuse avancée pour le droit des victimes. La déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental entraîne une série de conséquences. Vous nous faites la leçon sur les droits de l’homme, mais ce sont aussi les droits des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ce qui vous gêne, c’est le centre de sûreté fermé. Mais que proposez-vous ? (« Rien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) Vous nous avez dit qu’il était urgent de ne rien faire (Protestations sur les bancs du groupe SRC), qu’il fallait attendre. Mais la prochaine fois qu’après un crime affreux, on vous tendra un micro, vous direz bien sûr que vous soutenez les victimes.

M. Jean-Marie Le Guen – Et qu’avez-vous fait en cinq ans ? C’est de la démagogie !

M. Jean-Paul Garraud – Vous vous réfugierez dans l’angélisme béat, mais rien n’aura été fait. Dans ma carrière, j’ai connu un individu condamné trois fois à perpétuité. N’est-ce pas deux fois de trop ? Il a manifesté une dangerosité exceptionnelle.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Non, la dangerosité n’est pas le passage à l’acte.

M. Jean-Paul Garraud – D’où cette mesure de sûreté. Il y en a en milieu ouvert et d’autres en milieu fermé. Vous invoquez à ce propos la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Mais des pays comme les Pays-bas et la Belgique ont mis en place des systèmes similaires, sans qu’on dise jamais que c’était contraire à cette convention. Pourquoi cela le serait-il pour la France seulement ?

On nous dit aussi que nous légiférons sous le coup de l’émotion. Mais l’émotion, c’est celle des victimes, qui ont beaucoup de dignité et font confiance à la justice et à la loi.

M. Jean-Marie Le Guen – Vous n’avez pas le monopole des victimes !

M. Jean-Paul Garraud – Nous n’agissons nullement sous le coup de l’émotion. D’excellents rapports ont été réalisés, et nous voulons en tirer les conséquences.

Bien entendu, le groupe UMP votera contre l’exception d’irrecevabilité. Il y a des règles de droit, il y a aussi le bon sens. Nous savons bien que des gens très dangereux vont être relâchés. Nous instituons un dispositif qui sera très encadré. C’est à nous, élus, de prendre cette responsabilité, et nous le ferons (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Hunault – Le groupe du Nouveau centre votera contre cette exception d’irrecevabilité. En écoutant Monsieur Raimbourg, j’entendais l’avocat laisser place au procureur. Il a été très critique. Il faut revenir à plus de sérénité. Nous ne sommes pas là pour reprendre les faits divers de TF1, a-t-il dit. Mais mesurons bien toute la portée du sujet, d’autant qu‘il y a dans le public des parents d’enfants victimes de ces criminels.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Que veut dire cette remarque ?

M. Michel Hunault – Nous n’avons pas à légiférer sous le coup de l’émotion, mais il faut donner toute sa dimension au problème, et faire preuve aussi de modestie. Si la loi était parfaite, nous n’aurions pas à l’améliorer. M. Garraud a utilisé un terme qui ne figurait pas dans votre discours, celui de victime. Ce texte veut les protéger d’individus dangereux, en évitant que ceux-ci ressortent de prison sans qu’on ait évalué leur degré de dangerosité.

Ce texte est inconstitutionnel, dites-vous. Mais vous le disiez déjà cet été de la loi sur la récidive, et le Conseil constitutionnel l’a validée. Il faut s’occuper des prisons ? C’est bien ce que font cette majorité et ce Gouvernement. Mme le garde des sceaux a fait voter le contrôle général des prisons et lancé le chantier de la loi pénitentiaire pour vider nos prisons de gens qui n’ont rien à y faire car ils relèvent de la psychiatrie.

Ce texte mérite mieux que des procès d’intention. Il protège les victimes, et obligera le législateur à voter des crédits pour assurer le suivi socio-judiciaire des délinquants. Aucun détenu n’a vocation à rester enfermé.

Il faut faire en sorte que les détenus sortent de prison moins dangereux que lorsqu’ils y sont entrés. Ce sujet difficile mérite mieux que ce que vous en avez dit. C’est pourquoi je vous appelle à rejeter cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Michel Vaxès – Notre collègue Garraud nous reproche d’attendre. Qu’il me permette de lui retourner son reproche : c’est vous qui attendez pour prendre en charge dès le début de l’incarcération les condamnés dangereux ! Vous invoquez les exemples de pays étrangers, mais vous omettez de dire que la plupart d’entre eux interviennent dès le début de l’incarcération. En effet, la dangerosité n’est pas inscrite dans le patrimoine génétique des individus – ou alors, cela nous renvoie à un autre débat, que nous avons d’ailleurs eu il y a quelques années, Monsieur Garraud. Souvenez-vous : nous avions eu à l’époque un conflit sur cette question !

M. Jean-Paul Garraud – Vous devez confondre !

M. Michel Vaxès – Je partage pleinement l'appréciation de notre collègue quant à I'inconstitutionnalité de ce texte. Mme la Garde des Sceaux a elle-même admis, lors de son audition devant la commission, la fragile constitutionnalité de son dispositif sur la rétention de sûreté. Elle a en effet expliqué à nos collègues de la majorité qui lui demandaient d'élargir le champ de l'article premier que si le texte limitait la rétention de sûreté aux auteurs de crimes graves commis sur des mineurs de 15 ans, c'est parce qu'un champ plus large ferait courir un risque d'inconstitutionnalité, en raison de la difficulté à définir la notion de dangerosité. Cela vise directement les amendements déposés par le rapporteur qui élargissent le recours à la rétention de sûreté. Nous comptons donc sur vous, Madame la ministre, pour vous opposer à tous ces amendements.

Quel que soit leur sort, le texte ne saurait de toute façon résister à un examen objectif de sa constitutionnalité. Peut-être en convaincrez-vous certains que la mesure de rétention créée n'est pas une peine, mais il s'agira bel et bien d’une privation de liberté s'apparentant à une peine. Peu importe que vous ayez décidé de lui donner le nom de « mesure de sûreté », la peine est loin d’être anodine puisque la durée de privation de liberté est illimitée. Une peine perpétuelle pour une probabilité de récidive n'est-elle pas disproportionnée ? J'attends que nous soit démontré que la décision de privation de liberté prise par la commission régionale de la rétention – composée de magistrats – n'est pas une peine ! L’exemple du Canada – où la peine prononcée avec sursis est assortie d’un suivi des condamnés – montre bien qu’il s’agit d’une vraie peine, purgée dans des conditions particulières liées aux pathologies des délinquants.

Je voterai donc cette exception d’irrecevabilité, car ce texte est contraire aux principes fondamentaux de notre droit pénal (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Jean Jacques Urvoas – Ce texte inquiète profondément notre groupe.

M. Lionnel Luca – C’est plutôt rassurant !

M. Jean Jacques Urvoas – D’abord sur la forme. Si une loi est un acte de portée générale ou impersonnelle, comment qualifier un texte qui, selon le rapport lui-même, concernera entre dix et vingt cas chaque année ? Nous sommes en outre surpris qu’il traite à la fois des irresponsables mentaux et de ceux qui, jugés responsables, ont été condamnés à une peine de quinze ans de réclusion criminelle.

Sur le fond, nous contestons la philosophie de votre démarche. Vous nous proposez une nouvelle fois un dispositif qui fait de l’enfermement le remède à tous les maux. Vous n’hésitez d’ailleurs pas à forcer le trait dans votre exposé des motifs : « dans un État de droit, écrivez-vous, garantir la sécurité des personnes est nécessaire à la sauvegarde des droits de valeur constitutionnelle. » Faut-il comprendre que sans l’instauration de la rétention de sûreté, nos libertés fondamentales seraient gravement menacées ? Nous refusons ce postulat ! Pour modérer votre propos, vous insistez – en dépit des amendements qui ont été déposés ce matin – sur le caractère subsidiaire et exceptionnel de la rétention de sûreté. Ce n’est pas pour nous rassurer. La détention provisoire, encadrée par des critères restrictifs et une procédure rigoureuse, est loin de revêtir le caractère exceptionnel qui devrait être le sien. D’autre part, ce texte présente toutes les caractéristiques d’un texte extensible. Nous assistons d’ailleurs depuis quelques heures à une avalanche d’amendements visant à élargir son champ d’application. Enfin, la décision d’enfermement est fondée sur une appréciation hasardeuse de la dangerosité. Vous nous demandez de quitter la réalité des faits pour la plasticité des hypothèses.

M. Jean-Paul Garraud – Redescendez sur terre !

M. Jean Jacques Urvoas – L’évaluation de la dangerosité ne relève plus du diagnostic, mais du pronostic, comme le souligne un appel cosigné notamment par le GENEPI, la Ligue des droits de l’homme, l’Observatoire international des prisons, le Syndicat de la magistrature et le SNEPAP-FSU. Votre texte n’envisage pas simplement de durcir les sanctions, mais de procéder à des enfermements préventifs sur la base d’une présomption d’infraction future.

Vous orchestrez d’autre part un changement profond de la fonction de juge. Celui-ci se trouvera en effet en présence d’un condamné ayant entièrement purgé sa peine, qui aura donc payé sa dette vis-à-vis de la société. Il pourra néanmoins, au vu d’un rapport d’expertise psychiatrique – et chacun sait que la psychiatrie n’est pas une science exacte – ordonner une détention sans infraction ni condamnation. Nous demanderons d’ailleurs au Conseil constitutionnel de préciser ce qu’est une mesure de sûreté.

M. Jean-Paul Garraud – Il l’a déjà fait !

M. Jean Jacques Urvoas – Nous sommes en effet convaincus qu’elle est davantage qu’une simple mesure comparable au bracelet électronique.

Votre vision de la société n’est pas la nôtre, et c’est pour cela que le groupe SRC votera cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Marie Le Guen – Je souhaite faire un rappel au Règlement fondé sur l’article 58 alinéa premier. La ministre de la santé nous rejoindra-t-elle ? Nous ne comprendrions pas son absence dans ce débat qui doit aussi être abordé sous l’angle des politiques de santé, de la prévention et de la santé mentale, et à la lumière de la déontologie médicale, qui fait partie du bien commun humaniste, cette « politique de civilisation » à laquelle on nous appelle désormais.

La situation actuelle n’est à l’évidence pas satisfaisante. La loi de juillet 1998 n’a pas été vraiment appliquée. Les politiques de prévention qui existent ne sont pas mises en œuvre. Vous vous attribuiez tout à l’heure le monopole de la défense des victimes. Mais ce qu’elles nous demandent avant tout, c’est d’éviter le premier passage à l’acte !

Mme Élisabeth Guigou – Bien sûr !

M. Jean-Marie Le Guen – Existe-t-il dans notre pays des institutions, des politiques permettant d’éviter le passage à l’acte ? Non ! Ce texte opère-t-il des avancées en matière de prévention ? Non ! L’idée de la sanction suffit-elle à empêcher ces crimes ? Non ! Empêcher un nouveau passage à l’acte empêchera-t-il les criminels de sévir dans notre pays ? Non ! Votre texte ne répond pas à l’exigence des victimes. Il faudrait pour qu’il le fasse une vraie politique de santé mentale (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Garraud – Ce n’est pas un rappel au Règlement !

M. le Président – Veuillez conclure, Monsieur Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen – Il serait donc normal que la ministre de la santé soit présente (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux  Mme Bachelot sera présente pour débattre du titre II relatif aux questions de santé, car les centres de rétention seront sous double tutelle (« Voilà : inutile de s’énerver, Monsieur Le Guen ! » sur les bancs du groupe UMP). S’agissant de la prévention, je vous rappelle que nous avons mis en place des plans de dépistage précoce auxquels vous étiez opposés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Serge Blisko – Ce projet doit, nous a-t-on d’abord annoncé, empêcher les auteurs de crimes graves – notamment sexuels – de récidiver. Ce n’est déjà plus sa priorité, semble-t-il. Autre objectif : réformer le mode de constat de l’irresponsabilité pénale pour trouble mental, dont on nous dit désormais qu’elle doit concerner deux cents personnes par an environ.

Le groupe SRC est opposé à ce texte mauvais, inutile et dangereux, inspiré par deux affaires dramatiques mais très différentes : l’enlèvement et le viol d’un enfant par un pédophile récidiviste, et le non-lieu accordé à l’auteur du meurtre de deux soignantes de l’hôpital de Pau. De façon malhonnête, vous assimilez ces deux crimes en invoquant le principe flou, voire discutable, de la dangerosité. À Roubaix, Évrard a récidivé après avoir passé trente-deux années inutiles en détention. À Pau, Dupuy a tué parce qu’il n’avait pas été soigné à temps, malgré les demandes pressantes de sa famille.

Votre projet ne répond ni à ces drames, ni à la misère de nos prisons et de nos hôpitaux psychiatriques. Il n’est d’aucune utilité à cette population malade qui, en mal de traitement, erre entre les centres d’hébergement d’urgence et la rue et s’anéantit dans l’alcool ou la drogue. Ce n’est pas en exploitant la légitime émotion de l’opinion publique, entretenue par des médias proches du pouvoir et qui nourrissent la peur, que vous résoudrez le problème.

Mme Arlette Franco – Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Serge Blisko – Pire : c’est un projet dangereux qui contrevient à nos principes constitutionnels, à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à nos engagements européens. Il s’ajoute à une longue liste de dispositifs mal appliqués, compte tenu d’un manque de moyens que M. le rapporteur décrit très objectivement – quoiqu’il soit plus spécieux dès qu’il s’agit de défendre ce texte. Toutes les enquêtes, du rapport Burgelin à celui de notre collègue Garraud ou encore celui des sénateurs Goujon et Gautier, constatent l’augmentation considérable du nombre des détenus souffrant de troubles psychiatriques graves. Le nombre d’hospitalisations d’office de détenus est passé d’une centaine en 1990 à 1 800 en 2005. L’administration pénitentiaire s’en est alarmée au point que le Gouvernement a diligenté en 2002 la première étude sur la santé mentale des détenus, sous la supervision des docteurs Falissard et Rouillon. Ses terribles conclusions, qui se sont hélas heurtées à l’inertie du ministère de la santé, corroborent celles de M. le rapporteur : 21 % des détenus français souffrent de troubles psychotiques tels que la schizophrénie ou la paranoïa, 40% sont atteints de dépression, un tiers d’anxiété généralisée et 20 % de névrose traumatique. La part des détenus ayant vécu une enfance catastrophiques est colossale. Tous ces troubles sont dix fois plus prévalents en prison qu’à l’extérieur !

Mme Arlette Franco – C’est le problème des prisons, pas celui du juge !

M. Serge Blisko – Pourquoi ne pas utiliser les unités pour malades difficiles, qui ont fait leurs preuves, au lieu des centres que vous prévoyez ? Certes, il n’existe que 400 places dans ces dispositifs sécurisés, alors qu’il en faudrait au moins 1 800, et qu’il en existe déjà 7 000 en Allemagne. Pour compliquer encore la situation, la loi Perben a, en 2002, créé les unités spécialisées pour les traitements psychiatriques des personnes détenues – UHSA – dans lesquelles 700 places sont prévues d’ici 2012. Qu’en est-il ?

L’avis des psychiatres en la matière est partagé. Certains rejettent l’idée de services installés au sein même des établissements pénitentiaires, car les traitements y sont difficilement applicables, tandis que d’autres s’interrogent sur la pertinence des UHSA, qui risquent en effet de vider de son sens l’article 122-1 du code pénal. Dans la mesure où des auteurs de crimes ne sont pas en situation médicale de supporter la détention, sont-ils accessibles à la peine ? Les juges seront plutôt tentés d’exiger que la peine soit purgée dans un hôpital-prison. Les UHSA seront donc gérés par l’administration pénitentiaire : que fera-t-on si le personnel médical refuse d’y exercer ?

En tout état de cause, la création de centres de sûreté est redondante. C’est la loi du 17 juin 1998 qui a institué le suivi socio-judiciaire des condamnés pour infractions à caractère sexuel, afin de prévenir la récidive par des mesures de surveillance, dont l’interdiction de paraître en certains lieux, de rencontrer certaines personnes et d’exercer une activité au contact de mineurs. La loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales en a élargi le champ, mais pas les moyens. Le nombre de suivis demeure donc limité – on en comptait 1 063 en 2004. Les injonctions de soins sont rares, compte tenu de la pénurie de personnels soignants. Où en sont, à ce propos, les trois cents postes dont vous avez annoncé en août dernier la création pour mars 2008 ? J’ajoute que le traitement de la délinquance sexuelle se heurte trop souvent à l’insuffisante formation des professionnels dans ce domaine. Enfin, ni le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, ni la surveillance judiciaire ni la surveillance électronique n’ont à ce jour été évalués.

Chacun sait bien que la surveillance post-carcérale est nécessaire – même si, d’une quinzaine de personnes dans sa première version, votre projet, tout à fait irréaliste, en concerne désormais plusieurs centaines. N’oublions pas pour autant que le suivi médico-social des détenus doit commencer dès le premier jour de leur peine. Il faut pour cela augmenter le nombre de conseillers d’insertion et de probation, de personnels de santé et de surveillants pénitentiaires qui, aujourd’hui, travaillent parfois dans le plus grand dénuement. Il y a plus de 63 000 personnes incarcérées en France, pour seulement 18 000 surveillants et 3 000 agents d’insertion et de probation : c’est un record ! Le surpeuplement des maisons d’arrêt allonge les délais de consultation. Rappelez-vous le cri d’alarme du docteur Christiane de Beaurepaire, qui dénonçait cette pénurie en 2006. Cette misère de la psychiatrie réduit le plus souvent le rôle des personnels soignants à la distribution de médicaments, alors que les soins ergothérapiques et psychothérapiques devraient être prépondérants, s’agissant de délinquants sexuels notamment.

La détention restera un temps mort aussi longtemps que l’on ne se préoccupera des détenus qu’à leur libération. Les années d’enfermement doivent au contraire être mises à profit pour construire un projet de réinsertion – seul rempart contre la récidive. À cette fin, le groupe socialiste préconise le placement des détenus en observation auprès d’un panel pluridisciplinaire composé de psychiatres, de médecins, de conseillers d’insertion et de magistrats, à l’image du dispositif qui existe aujourd’hui à Fresnes. Ce panel élaborerait un programme de soins et d’encadrement social personnalisé permettant d’orienter le sujet vers l’établissement ou le dispositif le plus approprié, avec des clauses de revoyure. Cela permettrait d’intervenir en amont et tout au long de la peine, et non seulement à la fin de celle-ci.

Mais votre projet est dangereux à d’autres égards. Il va à l’encontre des fondements de notre justice. Comme M. Badinter l’a souligné, la notion de dangerosité substitue un crime virtuel au crime effectivement commis. Le fantasme remplace les faits. Le placement en centre fermé d’un individu réputé dangereux revient à le présumer coupable de faits à venir. Ceci contredit les dispositions du code pénal relatives à la présomption d’innocence, dont vous consacrez la violation, au profit de la présomption de culpabilité. C’est extrêmement grave !

Le projet confie en outre la décision de mise en rétention à une commission régionale qui présente toute les caractéristiques d'une juridiction : formation de jugement, décision exécutoire motivée, débat contradictoire, défense assurée par un avocat, possibilité de recours et de pourvoi en cassation. Madame la Ministre, vous ne voulez pas l'avouer, mais la rétention de sûreté est bien une peine !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Absolument !

M. Serge Blisko – Avec cette mascarade judiciaire, vous sacrifiez la liberté individuelle sur l'autel du principe de précaution. La rétention de sûreté n'étant censée concerner que des infractions particulières, nous avons affaire en quelque sorte à une juridiction d'exception. Mais, comme vous l’avez déjà fait ce matin, vous ne pourrez qu’élargir sans arrêt le champ d’application de la loi, au gré des faits divers et des mouvements d'indignation publique. Vous mettez le doigt dans un engrenage que vous ne pourrez contrôler.

Nos collègues de la majorité nous préparent un monde effrayant comme celui que décrit le film de Spielberg, « Minority Report », qui met en scène une unité spéciale de la police dont la mission est d'arrêter les criminels avant qu'ils aient commis leurs forfaits. De la réalité à la fiction, il n'y a souvent qu'un pas, et le vote de cette loi pourrait nous le faire franchir ! Dans le film, les investigations de la police dite « précriminelle » reposent sur la consultation de voyants, les « PreCops », cerveaux surdoués censés prédire l'avenir. Votre projet confie le rôle de « PreCop » aux psychologues et psychiatres. Je doute qu’ils souhaitent être les acteurs de ce mauvais film !

Car ce concept de dangerosité est, de l’avis de tous, extrêmement flou. La dangerosité criminologique, comme vous le dites vous-même, Monsieur Garraud, n’a rien à voir avec la dangerosité psychiatrique. Les critères d'évaluation se sont affinés ces dernières années ; les facteurs dits exposants, favorisant le passage à l'acte, sont mieux connus. Il faut davantage travailler ces questions et nous inspirer du travail bien fait, comme au Québec, plutôt que de proposer cette construction monstrueuse ; car jamais il n’a été dit que les facteurs exposants permettent de prédire l’avenir ! À moins que la solution soit de dire : « Tout le monde au trou ! », pour être sûr que plus personne ne passe à l’acte.

M. Georges Fenech, rapporteur – Pas de caricature !

M. Serge Blisko – Ce n’est plus là de la justice, mais de l’élimination sociale.

M. Burgelin lui-même, qu’on ne peut soupçonner d’angélisme ou de gauchisme, rappelait que les risques de passage à l'acte violent étaient décuplés lorsque la personne est désocialisée et précarisée. Comme la prison actuellement, le centre socio-médico-judiciaire – on parle bien de « médico-judiciaire », mais la ministre de la santé n’est pas là ! – s'apparentera à un nouveau moyen de traitement de la misère sociale.

En outre, évaluer la dangerosité des délinquants au terme d'une longue période de détention relève de la provocation, quand on sait à quel point la prison est criminogène et pathogène ! La privation de liberté aggrave les états dépressifs et les troubles psychiatriques ; l’absence de soins, les violences entre co-détenus, les humiliations subies fabriquent quotidiennement du ressenti et de la haine chez les personnes incarcérées.

Les professionnels sont hostiles à cette psychiatrisation de la justice. Les juges, incompétents en la matière, ne feront que confirmer les conclusions de l'expertise médicale, dont on sait qu’elle est en général confuse, et évite de répondre précisément aux questions. La rétention de sécurité sera une peine prononcée par les psychiatres ! La juridiction se transformera en chambre d'enregistrement des recommandations de ces experts. Les représentants de l'Association nationale des juges d'application des peines ont réaffirmé que la mission des juges prenait fin une fois la peine purgée. En somme, les psychiatres ne veulent pas devenir juges, et les juges ne veulent pas enfermer sur avis médical.

Vous tentez de psychiatriser la justice en médicalisant la délinquance, donc en considérant celle-ci comme une pathologie. Les choses ne sont pas si simples ! La France a accumulé un retard considérable dans le recours à la psycho-criminologie clinique en tant que mode de prise en charge des condamnés. Nous devons former dans l’administration pénitentiaire du personnel capable de répondre à ces questions angoissantes. Il ne sert à rien, Monsieur Hunault, de jouer de l’émotion.

Mais le pire coup porté aux principes de notre justice, c’est l'ombre de l’enfermement à vie. À la réclusion criminelle de plus de quinze ans viendra s'ajouter, pour les criminels jugés dangereux, un placement en rétention, renouvelé tous les ans. Or, les experts psychiatres ne désavoueront pas, d’une année à l’autre, leurs pronostics de dangerosité, pour ne pas assumer la responsabilité d'une éventuelle récidive, surtout si vous tenez compte des médias. C'est le spectre de la peine de mort sociale qui se profile à l'horizon !

Même pour les cas les plus difficiles, même au bout de 30 ou 35 ans, la peine doit déboucher à terme sur une remise en liberté. Dès lors que celle-ci devient inaccessible, l'objectif de réinsertion – fondement de notre justice depuis deux cents ans – est perdu de vue, et la notion de paiement de la dette à la collectivité perd tout son sens. Après une peine à durée déterminée, la société doit savoir tourner la page ; vous proposez, quant à vous, une sanction perpétuelle ! Au mieux, la sortie des centres de rétention n'interviendra que lorsque le pronostic vital sera engagé ou lorsque l'état physique des détenus se sera suffisamment dégradé pour que soit exclu tout risque de récidive.

La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour traitements inhumains et dégradants. Notre pays se distingue tristement par ses lieux de détention ; n’ajoutons pas de nouveaux centres de relégation qui alourdiront ce constat déjà si honteux. On peut craindre, en effet, l’augmentation des tendances suicidaires chez les détenus ; je rappelle qu’en 2005, 122 personnes se sont donné la mort dans nos prisons.

Des soins qui seront prodigués dans les centres médico-sociaux de sûreté, on ne sait rien ! La seule possibilité évoquée est l'atténuation de la libido, que le Président de la République nomme « castration chimique ». Celle-ci est présentée par la Garde des sceaux comme un remède miracle ; or, si elle réduit les manifestations physiques de la libido, elle ne peut contenir sa dimension fantasmatique. En outre, cette possibilité de castration ouvre la porte à des mesures plus radicales. À quand la psycho-chirurgie ? Quand rétablirez-vous la lobotomie ?

Quels traitements prévoyez-vous pour les criminels dangereux qui n'ont pas commis d'infraction à caractère sexuel ? Le champ d’application même de ce texte est paradoxal : quelle différence y a-t-il entre le fait de violer une jeune fille de 17 ans ou une autre de 19 ans ? Depuis ce matin, sont aussi concernés les criminels aux motifs crapuleux, mais ceux qui assassinent des vieilles dames pour leur voler leurs bijoux ne sont pas des malades ; quel sens cela a-t-il de leur imposer une castration chimique ?

M. Jean-Paul Garraud – Vous n’avez pas compris !

M. Serge Blisko – Je ne reviendrai pas sur les mesures concernant l’irresponsabilité pénale, sur lesquelles s’est exprimé notre collègue M. Raimbourg, en montrant que le texte est à retravailler.

Ce projet bâclé est marqué par la surenchère médiatique ; c’est la première fois que je vois des amendements dont l’exposé des motifs nomme les victimes. Cette personnalisation est tout le contraire de ce qu’on attend du législateur ; nous ne sommes pas au journal télévisé ou dans une revue à grand tirage ! Ceci est extrêmement préoccupant par rapport à notre conception du travail parlementaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Très juste observation !

M. Serge Blisko – L’extension du dispositif à des criminels non sexuels trahit le travail de ceux qui voudraient sortir la folie des prisons pour mieux la comprendre, la traiter et empêcher la récidive. Par cette création de la prison après la prison, vous bafouez deux siècles d’humanisme et d’avancées judiciaires. Vous réduisez à néant toute possibilité de réhabilitation.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Il est attristant d’entendre de telles choses !

M. Serge Blisko – Madame la ministre, je suis triste de le dire : votre nom restera associé à la restauration monstrueuse des culs-de-basse-fosse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC), dont le seul objectif était de soustraire à la société ensemble fous et criminels.

Vous supprimez ainsi la séparation entre fous et criminels à laquelle l’humanisme médical et judiciaire était parvenu en deux siècles.

Mme Isabelle Vasseur – Pitoyable !

M. Jean-Marc Roubaud – Et les victimes ?

M. Serge Blisko – Pour notre part, nous sommes fiers de répéter les mots magnifiques de Monseigneur Myriel à Jean Valjean : « Mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Paul Garraud – Calamiteux !

M. Salles remplace M. Accoyer au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES
vice-président

M. Georges Fenech, rapporteur M. Blisko, vous êtes psychiatre de formation et vous faites mine de ne pas comprendre ce qu’est la dangerosité. Vous confondez intentionnellement la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique : je vous renvoie donc à la page 15 de mon rapport, qui précise que « dans son acception criminologique, la dangerosité peut se définir comme un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens ».

Vous ne pouvez pas soutenir que les experts ou les magistrats sont incapables de définir ce qu’est la dangerosité. N’est-ce pas ce à quoi s’emploie un juge d’application des peines quand il place un individu en liberté conditionnelle ? Dans ce cas précis, cela ne vous pose pas de problème !

Ce projet de loi n’est pas un texte de science-fiction. Il ne s’agit pas non plus de psychiatriser la justice, puisque les individus souffrant de problèmes psychiatriques échappent précisément à la justice, pour entrer dans un champ qui est l’objet du deuxième volet de ce projet de loi

Certes, la misère psychiatrique existe et des efforts doivent être accomplis dans ce domaine. Mais dois-je vous rappeler que c’est notre majorité qui construit des prisons – dans le cadre du plan 13 000 – que depuis 2002, il n’y a jamais eu autant d’agents de probation et qu’une grande loi pénitentiaire est en chantier ? Cette question préalable n’a pas lieu d’être.

M. le Président – Nous en arrivons aux explications de vote sur la question préalable.

M. Michel Vaxès – Les arguments développés par notre collègue devraient suffire à convaincre la majorité d’entre nous. Notre groupe votera cette question préalable car nous estimons qu’il est prématuré de discuter des dispositions de ce texte avant même que nous ayons pu examiner votre fameuse réforme pénitentiaire.

De fait, avec la création de la rétention de sûreté, vous renoncez définitivement à vous atteler, dans le cadre d’une réforme ambitieuse, à une amélioration de la prise en charge des détenus qui mériteraient un traitement médico-social. Vous prenez acte de l'échec de notre système pénitentiaire et vous proposez de poursuivre dans cette voie.

D'ailleurs, le refus du Gouvernement de renouveler les subventions de l'observatoire international des prisons – qui milite pour l'amélioration des conditions carcérales françaises et le respect de la dignité des détenus – est bien la preuve du désengagement des pouvoirs publics dans la réflexion sur le monde pénitentiaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – J’ai écouté avec grand intérêt la défense de ces deux motions de procédure et j’espère que la hauteur de réflexion dont ont fait preuve nos collègues sera celle de nos débats à venir, lesquels seront placés sous tous les regards, y compris ceux venant des tribunes. C’est là notre dignité et notre mission.

Madame la Garde des sceaux, si vous répondiez à la quarantaine de questions soulevées avec pertinence et compétence par Serge Blisko, vous nous engageriez à voter ce texte. Mais ce projet de loi ne répond aucunement aux problèmes posés, et parfois même, constitue un recul. Il ne répond pas aux attentes légitimes des familles des victimes et ne fait pas davantage progresser notre corps social.

L’État n’apporte pas les moyens suffisants à la prise en charge des maladies mentales, que ce soit dans la société ou dans le monde carcéral. Serge Blisko m’a fait part il y a quelques instants de chiffres incroyables : en 1981, la France comptait 30 000 détenus et 120 000 personnes hospitalisées pour troubles psychiatriques ; en 2002, il y avait 63 000 détenus pour 40 000 personnes hospitalisées. C’est sur de telles réalités que le débat doit avoir lieu !

La définition de la dangerosité, rappelée par notre collègue Georges Fenech, est théorique et doctrinale. L’individu qui sera déclaré dangereux, ne nous y trompons pas, ne devra pas l’être en fonction d’un crime commis dans le passé et pour lequel une peine, prononcée au nom des citoyens, aura été purgée. En sanctionnant de nouveau, la société commet une infamie de droit.

Si nous cherchons à protéger la société, commençons à nous demander comment les détenus sont accompagnés pendant leurs vingt-cinq ou trente années de réclusion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Michel Hunault – Le groupe du Nouveau Centre rejettera cette question préalable. Notre collègue a posé de bonnes questions concernant les moyens alloués à la prise en charge psychiatrique des détenus, mais il ne votera pas ce texte qui prévoit de renforcer l’accompagnement des détenus les plus dangereux. Serge Blisko a parlé avec justesse de la situation carcérale, mais pourquoi l’opposition n’a-t-elle pas voté la loi de 1994 sur l’accès aux soins en prison, ni le budget de la justice pour 2008, qui prévoit une augmentation de 8 % des crédits de l’administration pénitentiaire ? Enfin, il a évoqué la surpopulation carcérale, mais la gauche refuse d’aider le Gouvernement dans l’élaboration de la loi pénitentiaire, dont l’une des vocations sera d’instaurer des peines alternatives à l’emprisonnement.

Pour notre part, nous assumons l’établissement d’un état de « dangerosité », afin d’éviter les sorties « sèches » pour des individus en risque de récidive. Nous prendrons toutes nos responsabilités en votant pour ce texte utile, protégeant la société (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Thierry Mariani – Le groupe UMP rejettera la question préalable. La défense des victimes est une des priorités du Président de la République. Le père du petit Enis avait déclaré à la presse que s’il était venu à l’Élysée, c’était pour que les lois soient plus sévères à l’encontre de tels monstres ; il espérait que le Président de la République tiendrait cet engagement. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Premier objectif de ce texte, il sera désormais possible de retenir dans des centres fermés les auteurs de crimes pédophiles condamnés à plus de quinze ans de prison s’ils continuent à présenter un risque élevé de récidive. Compte tenu des drames que nous continuons à vivre, les mesures actuelles demeurent en effet bien insuffisantes.

Ultime moyen disponible, la rétention de sûreté sera prononcée pour un an renouvelable et prendra fin dès que l’état de dangerosité de l’individu concerné autorisera un autre mode de suivi. Ce projet de loi correspond à une très forte exigence de la population française. Il est impensable que de tels drames humains continuent à se produire. Il est grand temps d’agir.

Je rappelle que des dispositifs équivalents existent déjà dans d’autres pays, tels que l’Allemagne, la Belgique et le Canada (« C’est faux !» sur les bancs du groupe SRC). Je crois même comprendre que Mme Royal s’était laissée séduire par le modèle québécois de prévention et de suivi des délinquants sexuels…

Plusieurs députés du groupe SRC – Cela n’a rien à voir !

M. Thierry Mariani – Son plan contre les violences sexuelles prévoyait la construction de prisons spécialisées dans lesquelles les condamnés seraient suivis. Elle demandait également que soit refusée toute libération si un comité d’experts ne garantissait pas l’absence de dangerosité des individus concernés.

M. Jean-Paul Garraud – Excellent !

M. Thierry Mariani – Or, voilà que vous vous opposez à un texte qui aurait pu être rédigé par votre candidate ! Drôle de réaction d’un parti qui n’a visiblement plus de programme (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Deuxième objectif de ce texte : modifier la procédure de jugement des irresponsables pénaux pour cause de trouble mental afin de mieux répondre aux attentes des victimes et de leur famille. Les juges ne se limiteront plus au non-lieu, mais pourront prononcer une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. L’affaire pourra ainsi être renvoyée devant le tribunal correctionnel compétent afin qu’il se prononce sur la responsabilité civile de la personne et statue sur les demandes de dommages et intérêts. La chambre d’instruction pourra aussi prononcer des mesures de sûreté. Tout cela permettra de clarifier et de rendre plus cohérent, plus humain et plus compréhensible le traitement des personnes déclarées pénalement irresponsables. C’est notre devoir à l’égard des victimes et de leur famille.

J’ajoute que grâce à ce projet de loi, l’efficacité du dispositif d’injonction de soins sera également renforcée.

Au total, ce texte protégera nos concitoyens sans s’opposer aux droits des condamnés et des détenus, dans le respect des exigences constitutionnelles de nécessité et de proportionnalité et avec les garanties nécessaires pour les libertés individuelles. C’est un texte équilibré que le Gouvernement nous propose.

En la mémoire des victimes, au nom de tous ceux dont l’enfance a été volée, je vous demande en toute conscience de rejeter cette question préalable. Le droit des victimes sort renforcé de ce projet de loi sans que la situation des condamnés soit dégradée ; elle sera mieux encadrée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Serge Blisko et M. Michel Vaxès – Ces propos sont indignes !

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 22 heures.

La séance est levée à 18 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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