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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 17 janvier 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
103ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUIVIE D’UN DÉBAT
SUR LE GRENELLE DE L’INSERTION

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le Grenelle de l’insertion et un débat sur cette déclaration.

M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté – J’ignore si l’usage le permet, mais je voudrais vous remercier de présider en personne cette séance, Monsieur Accoyer. Vous témoignez ainsi l’intérêt que vous portez à cette question, de même que Mmes et MM. les députés ici présents.

Les politiques de l’insertion ont besoin de nouvelles perspectives : le Grenelle de l’insertion, qui réunit l’ensemble des acteurs, est l’occasion de jeter des bases nouvelles. Il nous a semblé utile d’en débattre en amont avec vous, au lieu de vous demander seulement de ratifier par la suite ce qui aura été élaboré ailleurs. Trop souvent, les questions d’insertion font l’objet de considérations techniques, accessibles aux seuls spécialistes ; nous en aborderons aujourd'hui les grandes lignes, les principes et les enjeux.

Nous nous trouvons à la fin d'un cycle d'une vingtaine d'années au cours duquel a été forgée, par touches successives, une politique d'insertion qui a donné certains résultats positifs, qu’il ne faut ni nier, ni oublier. Avant 1988, on pouvait se retrouver dépourvu de toute ressource et dépendre de la charité ; la création du RMI a été une avancée sociale incontestable, devenue une caractéristique de l'Europe sociale. Avant 2000, ceux qui n’avaient pas d'assurance maladie pouvaient se voir refuser l'accès aux soins pour des raisons financières ; la loi du 27 juillet 1999 a donc instauré la couverture maladie universelle. Des centaines de milliers de personnes ont enfin bénéficié d’emplois aidés, ou sont passées par des entreprises et des structures d'insertion. Elles n’auraient pas travaillé, ou retravaillé sans cela.

M. Jean-Pierre Soisson – Très bien !

M. Martin Hirsch, haut commissaire Certains parcours d’insertion individuelle sont des réussites formidables, qui justifieraient à eux seuls l'invention de l'insertion.

Pourtant, force est de constater un échec collectif. Sans faire porter sur les politiques d’insertion les échecs en matière d’éducation, de formation et d’emploi, les résultats de notre pays ne sont pas à la hauteur de sa richesse économique et de son ambition sociale. On ne devrait pas compter tant de personnes exclues du monde du travail, ne dépassant pas le revenu minimum, disposant de ressources provenant principalement de la solidarité, renvoyées à la case départ après avoir remis un pied à l'étrier, ou confrontées à l'isolement, à des problèmes de santé, de logement, au surendettement...

Ce n'est pas faire injure à un passé récent, et encore moins aux inventeurs et aux soutiens des politiques actuelles, que de reconnaître la nécessité de bâtir autre chose. Rendons plutôt hommage aux acteurs de l’insertion qui se démènent malgré les difficultés et parviennent à trouver des solutions concrètes.

Mais quand tant de personnes perdent de l'argent en reprenant du travail, il faut changer de système ! Quand on reçoit des lettres de salariés proposant de rembourser une partie de leur salaire en vue de bénéficier à nouveau de la couverture maladie universelle, il faut changer de système. Quand vous donnez satisfaction dans une entreprise d'insertion, mais que la loi limite votre contrat applicable à deux ans et que vous vous retrouvez au chômage à 58 ans ; quand vous voulez travailler à plein temps mais que, malgré l’accord de votre employeur, les dispositifs d’insertion ne vous permettent pas de travailler plus de 26 heures et de gagner plus de 750 euros, il faut changer de système !

M. Jérôme Chartier – Très bien !

M. Martin Hirsch, haut commissaire Et quand un pays compte parmi ses adultes pauvres autant de personnes exclues du travail que de salariés, il faut également changer de système !

M. Roland Muzeau – C’est un réquisitoire contre le Gouvernement !

M. Martin Hirsch, haut commissaire – Non : contre des politiques d’insertion qu’il ne faut pas poursuivre ! Bien sûr, chacune des mesures applicables a été adoptée avec de louables intentions. Mises bout à bout, elles forment pourtant un système de relégation. Il faut donc repenser la politique de l’insertion dans son ensemble, afin de la rebâtir. Aucun des acteurs n’est isolément coupable : la responsabilité est collective, ou plutôt il existe aujourd’hui une irresponsabilité collective que nous devons dénoncer.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a de nombreuses raisons, mais je pense que c’est surtout le système de la « centrifugeuse » qui est responsable : le moteur tourne de plus en vite et renvoie à la périphérie ceux dont la performance est inférieure au niveau attendu parce qu’ils sont trop jeunes, trop vieux – et on est vieux de plus en plus tôt dans le monde du travail –, pas assez, mal ou trop qualifiés. À cela s’ajoute ceux qui sont toujours disqualifiés ou discriminés : en France, les annonces d’emploi comportent dans 20 % des cas un critère d’âge, contre 1 % en Grande-Bretagne, un critère de formation dans 73 % des cas, contre 63 % en Espagne et 27 % en Grande-Bretagne, et dans 9 % une demande de photographie, contre 3 % et 0 % dans ces deux autres pays.

Notre société a cru que son moteur gagnait en efficacité parce qu’il donnait l’impression de s’alléger, mais il s’est en réalité privé de carburant en rejetant dans l’assistance une proportion croissante de la population. Pour que l'éviction ne soit pas trop douloureuse, on l'a compensée au lieu de la combattre, mais la douleur n’en est pas moins sensible.

La deuxième cause de nos difficultés, c’est que les réponses ont été trop cloisonnées et trop déconnectées du travail, de la formation, de l'économie et des aspirations des personnes concernées. Ont été mis en place des systèmes de plus en plus complexes et coûteux, mais aussi de moins en moins compréhensibles et efficaces.

Le résultat est connu de tous : nos politiques d'insertion sont à bout de souffle, mais l'énergie n'est pas morte. Nous l'avons vu il y a un mois lors du lancement du Grenelle à Grenoble en présence de l’ensemble des acteurs concernés – des élus, des représentants d’associations et d’entreprises d’insertion, la présidente du Medef, les secrétaires généraux des syndicaux, des pionniers de l’insertion. Tous sont prêts à mettre leur énergie au service de nouvelles politiques d’insertion. Cela, nous le constatons aussi dans les départements qui, depuis que des responsabilités nouvelles leur ont été conférées, cherchent à inventer de nouvelles politiques, mais nous le voyons aussi dans les réseaux associatifs, qui ont imaginé des solutions originales, parfois aux marges de la légalité. N’oublions pas non plus le dynamisme de l'insertion, déjà à la pointe du développement durable quand le concept n'intéressait personne.

D’autres raisons nous rendent optimistes, et doivent nous pousser à agir, à commencer par les attentes et les aspirations des personnes en phase d’insertion : un récent sondage a démontré leur appétit de travail et de formation. C’est ce qu’a également montré leur implication dans les groupes de travail du Grenelle, par l’intermédiaire du collège des usagers, qui comprend notamment des allocataires du RMI et des jeunes en insertion, qui sont tout à fait représentatifs de la majorité d’entre eux.

Deuxième raison d’espérer : les acteurs de l’insertion parviennent souvent à sortir de l’ornière les personnes les plus « cassées », alors qu’ils doivent utiliser des bouts de ficelle. Avec les moyens considérables dont disposent les pouvoirs publics, on devrait parvenir à intégrer une plus large partie de la population, d’autant qu’elle est moins fragile que les publics « prioritaires ».

À cela s’ajoute la prise de conscience récente des entreprises : elles ont besoin de main d’œuvre et ne peuvent attendre que se présentent des personnes déjà formées et pourvues d’expérience professionnelle. Dans les secteurs traditionnellement en tension, mais aussi ailleurs dans notre économie, on nous reproche de ne jamais proposer des allocataires du RMI ou des personnes en insertion, alors qu’il y a des offres d’emploi à pourvoir. Les entreprises, notamment dans les pôles de compétitivité, ont compris que la réussite des politiques d’insertion est indispensable pour leur développement.

Nous devons mettre autour de la table les différents acteurs concernés : il faut débattre avec les partenaires sociaux, les associations, les spécialistes de l’insertion et les collectivités territoriales. C’est pourquoi nous avons déjà proposé une dizaine de questions retenues par les trois groupes de travail lancés à la mi-décembre – gouvernance et objectifs de la politique d’insertion, engagements des employeurs privés et publics, parcours d’insertion. Nous vous proposons maintenant une dizaine de principes.

Le premier d’entre eux, c’est de simplifier drastiquement le dispositif, qu’il s’agisse des minima sociaux, des aides au retour à l’emploi ou des contrats aidés. Pourquoi le système est-il devenu si complexe que personne ne peut s’y retrouver ? Outre la tendance qui consiste à rajouter une couche de mesures sans supprimer la précédente, tout repose sur la défiance : celle de l’État envers les collectivités locales, celle des financeurs à l’égard des travailleurs sociaux, celle de ces derniers à l’égard des populations en difficulté. Et pour éviter la fuite en avant, on a défini des critères d’une précision diabolique : des dispositions spécifiques s’appliquent aux moins de 26 ans, d’autres à ceux qui sont au RMI depuis plus d’un an, etc. Il en résulte un effet d’exclusion et des pertes de temps : bien souvent, le parcours de l’insertion devient un parcours du combattant.

Pour simplifier, il faut accepter plus de souplesse. Le législateur pourrait ainsi définir les principes généraux, les objectifs, la répartition des moyens, ou encore les publics prioritaires, mais en laissant les acteurs de terrain se prononcer autrement qu’en appliquant mécaniquement tel paragraphe de telle circulaire destinée à appliquer tel décret et telle loi.

M. Roland Muzeau – Vous exagérez !

M. Martin Hirsch, haut commissaire – Pas du tout ! La décision devrait être prise en fonction des besoins des personnes intéressées, et éventuellement de leurs engagements. Remplacer plusieurs minima sociaux par le RSA, divers contrats par le contrat unique d’insertion, instituer le bouclier sanitaire, mieux relier le nouveau service public de l’emploi et l’insertion professionnelle, voilà autant de simplifications. On pourra ainsi rétablir la confiance et l’équité, grâce à des prestations plus souples et sans laisser filer les dépenses.

Le deuxième principe est de garantir que les revenus du travail soient supérieurs à ceux de la solidarité. Le RSA permettra ainsi de supprimer les effets de seuil pour ceux qui reprennent un travail, de lutter contre la pauvreté au travail et de rendre lisible un système qui ne l’est plus. Certains départements volontaires l’expérimentent, de façon partielle. À terme, il devrait remplacer de nombreux dispositifs et mieux soutenir le pouvoir d’achat que la prime pour l’emploi. Il doit être équitable. Certains craignent qu’avec la création du RSA quelqu’un qui était à mi-temps ou au SMIC avec des charges familiales ait un revenu moindre qu’un autre qui, jusque-là, percevait des minima sociaux. Cette crainte n’est pas fondée. On dit aussi que le RSA va pousser vers le temps partiel. Non ; de ce point de vue le résultat sera plus satisfaisant qu’avec la loi actuelle sur le retour à l’emploi. Outre le RSA, pour garantir ce principe, il faudra aussi revoir les aides au logement, les effets de seuil liés à la CMU, que l’on pourrait effacer grâce à la création d’un bouclier sanitaire, ainsi que des aides annexes, fournies par l’État ou les collectivités locales.

Le troisième principe est de revoir la notion d’employabilité dans une perspective plus large et plus réaliste. Il est vrai que certains, à un moment donné, ne sont pas en état de reprendre tout de suite un travail. Mais parler à leur propos de handicap social, et, par suite, de « COTOREP sociale », prendre acte de la difficulté plutôt que de s’acharner à une impossible insertion, c’est une position qui ne va pas sans risques. Ce n’est pas parce que certains ont, en premier lieu, besoin d’accompagnement social, qu’il faut les classer comme « inemployables ». Certaine association, qui m’est chère, fait travailler dans la récupération des personnes classées comme inemployables par le reste de la société : elles vivent de leur travail, dignement. Il faut avoir une conception plus large de la capacité au travail, et leur fixer des exigences acceptables. L’expérience montre que, lorsque c’est le cas, ces personnes reprennent confiance et peuvent rentrer dans le système ordinaire. Je préférerais en fait qu’on écarte la notion d’inemployablilité.

Le quatrième principe est de passer d’un système de contrats aidés à une logique de contrats aidants. Depuis vingt-cinq ans, avec des sigles différents, la logique n’a pas changé. Trop souvent, on a sacrifié au nombre plus qu’à la qualité. On a critiqué ces contrats parce qu’il y en avait trop, ou pas assez. Ils n’en restent pas moins indispensables, on le constate dans les périodes de creux comme celle que nous traversons.

Que reproche-t-on à ces contrats ? D’abord de ne pas assurer suffisamment une insertion dans un emploi pérenne. Effectivement, selon une enquête récente, un an après l’entrée en contrat aidé dans le secteur non marchand, 80 % des personnes ne sont pas dans un emploi. La durée de ces contrats, limitée par la loi, ne répond pas aux besoins. On ne peut décréter qu’au terme de 18 mois, tous sont de même capables de se passer d’accompagnement. Pourtant, les textes sont impitoyables et renvoient certains bénéficiaires à la case départ. On était content d’eux, on avait besoin d’eux, et on ne les garde pas. Après une ou deux expériences de ce genre, ils ne veulent plus entendre parler de leurs droits et de leurs devoirs. De même, la durée du travail, avec la limite des 26 heures, est trop faible. La formation donnée dans ce cadre est insuffisante, voire inexistante. Les effets d’aubaine sont mal maîtrisés. Enfin, la complexité est indéniable.

Comment évoluer ? D’abord il faut remplacer plusieurs types de contrats par un contrat unique d’insertion, unique ne signifiant pas uniforme, mais modulable selon les besoins des employés et des employeurs. Il faut ensuite passer d’un contrat aidé à un contrat aidant, c’est-à-dire ne pas se contenter de verser une subvention à l’employeur, mais l’utiliser pour financer ce qui est le plus utile dans le cas précis, par exemple l’accompagnement social, le tutorat ou la formation. Cela supprimerait les effets d’aubaine et donnerait aux entreprises d’insertion par l’économique une sécurité qu’elles demandent. Il convient également de se réorienter vers des contrats qualifiants reposant sur le principe de l’alternance, en développant les contrats de professionnalisation et les contrats d’apprentissage, afin d’aller vers l’emploi pérenne. Il ne doit pas être trop difficile de financer cette réorientation, en s’appuyant sur les organismes collecteurs de la formation professionnelle. Si l’on veut donner une aide aux entreprises, il faut plutôt le faire au moment où le contrat de professionnalisation se transforme en CDI.

M. Frédéric Cuvillier – C’est prévu au budget ?

M. Martin Hirsch, haut commissaire C’est possible avec le budget tel qu’il est.

Le cinquième principe est d’assurer un accès universel au service public de l’emploi, de l’insertion et de la formation. En commission, j’avais dit que 50 % des allocataires du RMI n’étaient pas inscrits à l’ANPE. En fait, ils sont 65 % à ne pas l’être, non pas qu’ils ne veuillent pas travailler, mais parce qu’on considère qu’ils n’en relèvent pas. Alors qu’on réorganise le service public de l’emploi, il faut se soucier de ces centaines de milliers de personnes qui ne peuvent l’utiliser mais auxquelles, dans le même temps, par une injonction paradoxale, on reproche de ne pas se tourner suffisamment vers le travail. Dans cet esprit, il faut aussi rapprocher le service public de l’emploi et l’insertion professionnelle pour mieux adapter l’offre à ces publics.

Il faut aussi faire en sorte que les fonds de la formation professionnelle bénéficient bien davantage à ceux qui en ont le plus besoin : les statistiques actuelles nous font honte. À l’instar de la branche professionnelle de la propreté, qui s’est engagée à consacrer 10 % du budget de la formation aux actions de lutte contre l’illettrisme, ne faudrait-il pas prévoir la proportion des fonds de la formation professionnelle – 10, 15, 20 %, cela peut peut-être se négocier – qui, dans chaque branche, doit être destinée aux publics prioritaires ?

Sixième principe : donner une priorité à la mobilité et à la garde d’enfants. Les problèmes rencontrés dans ces deux domaines apparaissent comme des freins premiers à l’insertion professionnelle, en ville comme en banlieue où à la campagne.

Septième principe : il faut que les pouvoirs publics entrent dans une logique de responsabilité, en laissant une large place à l’initiative locale. Plutôt que de tout réglementer, l’État doit faire confiance aux acteurs locaux. Ceux-ci doivent pouvoir choisir la manière dont ils organisent les contacts que la personne doit prendre avec les divers services dont elle a besoin ; le mieux est sans doute de parvenir à un accord territorial sur la manière la plus appropriée d’atteindre les objectifs. Ainsi, dans un certain département, les allocataires du RMI peuvent, dès la première semaine, rencontrer en un même lieu, le vendredi, des représentants de tous les services – Département, CCAS, CAF, CPAM, ANPE…

M. Frédéric Cuvillier – Les maisons de l’emploi servent à cela.

M. Martin Hirsch, haut commissaire Là, il s’agit de la maison du département. Cela a permis de faire passer le nombre de RMistes titulaires d’un contrat d’insertion de 25 à 95 %, et dans un délai ramené de trois mois à trois jours.

Huitième principe : nous voulons clarifier la notion de droits et devoirs pour les publics d’insertion. C’est une notion centrale, mais encore faut-il que les droits soient effectifs et que les devoirs soient atteignables. La première exigence est donc que le travail demandé fasse l’objet d’un vrai salaire, avec tous les droits qui y sont attachés.

M. Frédéric Cuvillier – Il faut un vrai contrat de travail.

M. Martin Hirsch, haut commissaire Oui, il ne faut pas développer une concurrence entre deux catégories de main-d’œuvre, la première travaillant en échange d’un minimum social et l’autre constituée de travailleurs pauvres.

La deuxième exigence, c’est que les engagements soient pris dans la durée : il ne faut pas, au bout d’un an, renvoyer les personnes à la case départ. On peut demander à un jeune de prendre l’engagement d’accepter les emplois et formations proposées si, dans le même temps, on prend l’engagement de lui garantir un revenu dans la durée.

Cette logique des droits et devoirs doit, de la même façon, s’appliquer aux employeurs. Ceux-ci ont davantage conscience de leurs responsabilités qu’auparavant, mais il est normal de veiller à ce qu’ils tiennent leurs engagements. Faut-il, comme pour les personnes handicapées, imposer aux entreprises de respecter un quota d’embauche de personnes en insertion ? Il me semble que d’autres voies sont possibles. Pour agir en faveur de l’insertion, une entreprise peut bien entendu embaucher des personnes en difficulté, mais elle peut aussi participer à la formation des personnes les plus éloignées de l’emploi, ou encore conclure des partenariats avec des entreprises d’insertion. Le système de la « contribution textile » – dont vous avez voté à l’unanimité le principe l’année dernière –, qui permet de financer des emplois d’insertion dans le recyclage, pourrait être étendu à de nombreux secteurs.

Enfin – dixième et dernier principe –, il faut savoir passer de la petite à la grande échelle, en pratiquant l’évaluation et l’expérimentation. Tous les acteurs y sont prêts, à condition de définir des critères d’évaluation adaptés.

Notre ambition est de mettre la politique d’insertion au service de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de simplifier les dispositifs, de préférer le « sur mesure » à la logique de « cases », d’adapter les personnes aux défis du monde du travail tout en adaptant les exigences du travail aux difficultés des personnes, de nous appuyer davantage sur les acteurs locaux – bref, de mener une politique de solidarité active. Nous attendons beaucoup de ce débat pour alimenter notre réflexion et revenir avec des propositions concrètes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Christophe Sirugue – Je ne doute pas que nous soyons nombreux à nous réjouir de ce débat et nous vous reconnaissons, Monsieur le haut commissaire, la volonté de mettre sur la table un sujet bien complexe.

Notre pays compte 7 millions de pauvres, soit plus de 1 % de la population, qui vivent avec moins de 650 euros par mois. Est-ce à dire que les politiques d'insertion ont échoué, que le RMI n’est plus efficient, que l'ensemble de notre système de solidarité est dépassé ? Je n'en crois rien, même si une analyse un peu rapide des statistiques pourrait le laisser penser.

Si le nombre de bénéficiaires du RMI a fortement progressé au cours des dernières années, c'est en raison, d’une part, de la dégradation du contexte économique, et d’autre part des modifications apportées par le précédent gouvernement au régime de l'ASS ; si à l'inverse, ce nombre a récemment diminué, c'est du fait du nombre conséquent de contrats aidés mis en œuvre l’année dernière.

Du point de vue qualitatif, force est de constater d’importants progrès entre la gestion effectuée par les caisses d'allocations familiales avant 2004 et la situation actuelle. Il faut à cet égard rendre hommage aux départements qui, toutes sensibilités politiques confondues, depuis que la compétence leur a été transférée, ont multiplié les efforts pour soutenir l'insertion professionnelle et sociale, en développant les partenariats avec le monde associatif, l'ANPE, voire des sociétés privées de placement, et en participant à la mise en oeuvre de nombreux contrats d'avenir – et cela malgré le surcoût du RMI : la dette de l'État envers les conseils généraux, qui est d’environ 2 milliards, demeure. Paradoxalement, plus des bénéficiaires du RMI sont sortis du dispositif grâce aux progrès qualitatifs accomplis, plus il en est entré.

Loin de moi néanmoins l'idée de considérer que la bataille de l'insertion est en passe d’être gagnée avec les dispositifs actuels. Mais ce que redoutent le plus les acteurs de l'insertion, ce sont les changements incessants de dispositifs. Sans doute, avant d'imaginer de nouveaux dispositifs, avions-nous surtout besoin de temps, essentiel tant dans les parcours d'insertion que dans l'évaluation des politiques publiques.

Sur le bilan de l'action menée jusqu'à présent, je suis nuancé, tout comme sur l’opportunité d’organiser ce Grenelle de l'insertion dont l'objectif serait de remettre le sujet au cœur des débats, de permettre à tous les acteurs de se rencontrer et de remettre à plat les droits et les devoirs des pouvoirs publics, des entreprises et des bénéficiaires. Cette intention est louable, mais amène inévitablement à se poser la question de la méthode : on nous engage à nous réunir, à sortir des débats de spécialistes, à cesser d'opposer insertion sociale et insertion professionnelle et l’on promet que cela devrait déboucher sur des mesures concrètes. Mais dans les axes que vous avez suggérés, Monsieur le haut commissaire, les autres causes de l’exclusion, telles que les difficultés à se loger ou les problèmes de santé, ne sont pas abordées. Pourquoi la fusion de l'ANPE et des Assedic, pourquoi la question générale du logement, qui ont toutes deux des conséquences indiscutables, n'entrent-elles pas dans le champ de travail ? Comment se fait-il que le dispositif de mise en œuvre du revenu de solidarité active soit déjà défini et que la réforme globale des minima sociaux soit déjà bien avancée, sans qu’on ne nous en dise d’ailleurs grand-chose ? C’est à une politique d'ensemble que nous devrions nous atteler, alors que vous proposez des dispositifs relevant de plusieurs ministres dont on ne sait même pas s'ils partagent la même philosophie.

Outre la méthode, cette idée de Grenelle soulève évidemment la question des moyens. Les premières décisions prises par le Gouvernement ne semblent pas faire de l’insertion une priorité. La loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat a certes lancé le RSA, mais avec une enveloppe de 35 millions tout au plus, alors que 13 milliards étaient consacrés au paquet fiscal pour les plus aisés (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC). Un décret sur le contrôle des allocataires du RMI (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC) doit permettre d’évaluer leurs biens et leur train de vie. La loi de finances réduit de manière drastique le nombre de contrats aidés pour 2008 (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC). Les franchises médicales (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC) vont pénaliser d’abord les ménages les plus fragiles. Les nouvelles conditions d'attribution de la couverture maladie universelle complémentaire excluent 20 000 bénéficiaires, surtout des familles avec enfants (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC). Ce sont vos arbitrages, Monsieur le haut commissaire, qui ont fait baisser de 40 % les crédits destinés à l'économie sociale et solidaire. Il faudra donc plus que des intentions, si bonnes soient-elles, pour conduire la réforme que vous suggérez.

Parmi les outils que vous proposez, la mesure phare est bien sûr le RSA, qui pourrait se substituer à plusieurs minima sociaux, sans qu’on sache précisément lesquels. C'est une réforme d'ampleur, dont on aurait pu souhaiter qu'elle s'appuie sur l'expérimentation de trois ans dans laquelle se sont lancés quarante départements. Mais alors que la plupart n’en sont encore qu’à boucler leur projet et qu’en dehors de l'Eure, on ne peut encore en tirer aucun enseignement, vous annoncez la généralisation du dispositif pour la fin de l'année 2008… Pourtant, cette analyse était nécessaire, car le RSA présente de grands risques. Le premier serait une précarisation de l'emploi : si l’on n’y prend grade, il pourrait inciter en fait à la hausse du nombre de contrats à temps partiels et à durée déterminée, tout en favorisant les bas salaires. Ensuite se pose la question des personnes les plus éloignées de l'emploi : j'entends votre conception selon laquelle ce sont les emplois qui doivent être adaptés, et non les personnes qui doivent s'adapter à l'offre d'emplois, mais elle est difficile à défendre dans une société d'économie de marché mondialisée. L’économie sociale et solidaire est sans doute un axe de développement très intéressant, car moins soumis aux diktats des profits, mais encore faut-il ne pas l'amputer de ses moyens. Plus globalement, si le RSA bénéficie aux personnes les plus aptes à l’emploi et si le RMI disparaît, qu’adviendra-t-il des allocataires qui sont dans l'incapacité psychologique et physique d'assurer un emploi ? Devront-ils retrouver le chemin des bons alimentaires ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC)

La question du financement du RSA doit aussi être posée. Le dispositif est estimé à 2 milliards, sur la base du public actuel. Mais le montant atteindrait les 13 ou 14 milliards si le dispositif devait aussi intégrer l'allocation parent isolé et la prime pour l'emploi, sans même parler de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation adulte handicapé. Sommes-nous sûrs, avant d’aller plus loin, que les finances de l’État le permettront ? Et puisque l’expérimentation du RSA est fondée sur un financement à parité par l’État et par les conseils généraux, je vous rappelle que les départements assument déjà 20 milliards de dépenses au titre de l’aide sociale et que la prise en charge du vieillissement ne va faire que s’alourdir. Le surcoût, estimé à 8 ou 9 milliards, dû à votre réforme sera insupportable pour ces collectivités, sauf à imaginer une grande réforme fiscale – ou tout simplement leur disparition.

Votre mesure phare est donc source de nombreuses interrogations. Je ne sais pas si nous « passerons à la grande échelle », comme vous le souhaitez : j’ai peur pour ma part que l’échelle ne soit trop courte. Quant à savoir ce qu’il faut garder et ce qu’il faut faire évoluer, nous sommes favorables à la simplification et au regroupement de nos minima sociaux : nous en avons neuf, bien plus que nos voisins européens. Ce sont les trois risques que chacun de nos concitoyens peut être amené à rencontrer qui pourraient constituer l'armature de la solidarité publique. Le premier est la perte d’emploi. Les réponses se trouvent dans la sécurisation du parcours professionnel, la formation tout au long de la vie et la place ménagée à l'économie sociale et solidaire. Tout un travail doit être accompli avec le monde de l'entreprise. Le second tourne autour de la cellule familiale : veuvage, familles monoparentales, vieillissement ou même dépendance s’y inscrivent. Enfin, un accompagnement est indispensable pour les personnes empêchées de travailler en raison d'un handicap, d'une maladie ou d'une inadaptation reconnue à l'emploi. Le RMI pourrait pour ces cas retrouver sa vocation initiale et assurer le lien indispensable que notre société doit maintenir avec ces personnes, car si l’emploi n’est pas possible, l’activité peut l’être.

Ainsi que vous l’aviez demandé, Monsieur le haut commissaire, nous faisons preuve de notre volonté constructive. Nous considérons que ces trois niveaux de minima sociaux doivent être maintenus, car les problématiques sont différentes et ne peuvent trouver de réponse dans le seul RSA. Ce que nous ne voudrions pas pour ce grand débat, c’est que la montagne accouche d'une souris – pire, que des espoirs soient imaginés pour être empêchés plus tard par manque de moyens. Ce Grenelle de l’insertion devra, au-delà des bonnes intentions – qui divergent très peu des nôtres, dans les discours – démontrer que vous comptez réellement dégager des moyens (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Le Guen remplace M. Accoyer au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Marie LE GUEN
vice-président

Mme Huguette Bello – Pendant six mois, l'insertion, à son tour, aura droit à son Grenelle. Élue d'un département dont le quart des habitants sont allocataires ou ayants droit du RMI, je suis tout particulièrement intéressée : on voit bien les conséquences structurelles que les décisions issues de ce Grenelle auront sur la société réunionnaise. Mais, de façon plus générale, l'insertion me semble constituer le révélateur du bien-fondé de nos choix de société dans presque tous les domaines : éducation, urbanisme, économie, social… Trop souvent aspect marginal de la décision politique, l'insertion devrait plutôt en être le point de départ.

Vouloir placer l'insertion au centre des débats est donc louable, mais reconnaissez, Monsieur le haut commissaire, que le contexte incite à la perplexité. La question du pouvoir d'achat des titulaires des minima sociaux a été entièrement ignorée. Les contrats aidés ont connu une baisse drastique, que la ministre de l’économie justifie par la diminution du chômage mais qui est vivement contestée par un collectif d'associations où figure Emmaüs. Les dégâts provoqués par cette mesure seront infiniment plus graves à la Réunion, où l’objectif du Gouvernement de parvenir à un taux de chômage de 5 % d'ici à la fin du quinquennat est tout simplement irréalisable. Quant au décret qui, sous prétexte de lutter contre quelques cas de fraude, va subordonner le versement du RMI à une évaluation des biens et du train de vie des bénéficiaires, il fera peser sur eux une détestable suspicion, comme s'ils étaient les principaux profiteurs de l'argent public.

L’insertion est un tout. Elle passe par le logement, par l'accès aux soins, que les franchises que vous avez instaurées rendent plus difficile, ou par l'enseignement, qui va être pénalisé par vos réductions d'effectifs. La vocation de l'insertion est double : elle doit d'une part favoriser l'accès au travail de ceux qui en sont exclus, mais elle est aussi un espace où s’exercent des activités qui répondent à des besoins que le secteur économique classique ne peut satisfaire.Elle est donc aussi le vivier des emplois de demain – ainsi, à condition de faire preuve d’imagination et d’énergie, la protection et la valorisation de l'environnement ou les services à la personne pourraient ouvrir aux jeunes Réunionnais des milliers d'emplois.

L'insertion ne pouvant être que globale, ce Grenelle doit permettre d’unir l’économie solidaire et l’économie marchande au lieu d’en aggraver la disjonction, voire l’opposition. Rien de plus décourageant pour les bénéficiaires, rien de plus néfaste à l'économie solidaire que la trop fréquente dévalorisation des emplois aidés. En la matière, loin des oppositions arbitraires, idéologiques et stériles, il est temps de prendre en compte la réalité du travail. La clause du mieux-disant social ou le tutorat ayant révélé leurs limites, il faut – vous l’avez dit – envisager d’autres manières d’associer les entreprises à l’effort d’insertion, par exemple sur le modèle de la formation permanente.

Du fait de l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail, et malgré de nombreuses créations d'emplois, La Réunion connaît depuis longtemps de multiples dispositifs d’insertion, dont des mesures spécifiques régulièrement ajoutées aux dispositifs de droit commun – l’allocation de retour à l'activité, à laquelle s'apparente le nouveau RSA ; le projet initiatives jeunes ; le revenu de solidarité ; enfin une agence départementale d'insertion. Il en ressort que l’insertion a besoin de stabilité et pâtit de réformes trop fréquentes, surtout lorsqu’elles suppriment des dispositifs efficaces – ainsi des emplois-jeunes, qui avaient connu, à la Réunion, un immense succès, ou du congé-solidarité, auquel le Gouvernement a récemment mis fin alors qu’il ouvrait des milliers d'emplois aux jeunes diplômés. Le succès jamais démenti du plus vieux dispositif d'insertion, le service militaire adapté – SMA –, lequel, créé outre-mer il y a plus de quarante-cinq ans, a survécu à la suppression du service militaire, en témoigne. En la matière, les financements, eux aussi, doivent demeurer stables.

Mais l'insertion suppose également que l'économie solidaire soit structurée de manière à favoriser la cohérence des parcours d’insertion. Un quart de siècle après les premières politiques d'insertion, il est temps de créer un secteur spécifique pour l'insertion, à l’heure où l’évolution souvent déstabilisante du marché du travail ne protège aucun salarié, quels que soient son âge et son niveau de qualification, d’éventuelles ruptures du cours de sa vie professionnelle. Le contrat unique d'insertion – dont la création a été curieusement annoncée avant même le lancement de ce Grenelle – en est-il une première étape ? Il est permis d’en douter : si la superposition des contrats aidés avait certes fini par brouiller le paysage, la fusion préconisée préservera-t-elle la souplesse permettant de s’adapter aux différents publics et territoires ? À cet égard, l’échec manifeste du contrat d'avenir et du revenu minimum d'activité à la Réunion devrait nous servir de leçon. Quant à la fusion des minima sociaux, également annoncée, comment l’aborder dans le cadre de ce Grenelle sans évoquer également leur revalorisation ? Le « choc de confiance » est aussi à ce prix !

Enfin, et puisque le RSA doit être généralisé bien avant la fin de l'expérimentation de trois ans initialement prévue, quel sera le sort de ceux qui ne trouveront pas d'emploi ? De quelle allocation bénéficieront-ils, et qui la financera ? Plutôt que substituer aux minima sociaux un dispositif nouveau qui suscite interrogations et inquiétudes, pourquoi ne pas les faire coexister ? Car, dans ce domaine délicat qui concerne des personnes particulièrement fragiles, l’audace ne doit pas l’emporter sur la sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Francis Vercamer – Ce débat est de ceux qui donnent tout son sens à notre pacte républicain. Il ne s'agit de rien de moins que de déterminer les moyens dont disposera notre société dans les années à venir pour assurer à nos compatriotes les plus fragilisés par la vie les « filets de sécurité » leur évitant d’être victimes d’une exclusion durable. Vous le rappelez régulièrement, Monsieur le haut commissaire : ces filets existent, mais se sont révélés trop peu efficaces.

L’évolution de notre société, la persistance d'un taux de chômage élevé, en particulier dans les quartiers populaires de nos villes, mais aussi la situation des travailleurs pauvres doivent nous inciter à redéfinir les outils de l'insertion : quels dispositifs développer à destination de la personne qui, quelles qu’en soient les raisons, « décroche » ? Comment intervenir de manière appropriée aux différentes étapes du processus d'exclusion ?

Si la formation et l'emploi jouent un rôle essentiel dans le processus d'insertion – et leur absence, a contrario, dans le processus d'exclusion –, ce sont aussi les accidents de la vie – maladie, rupture, contexte familial difficile, absence ou précarité du logement, handicap, addiction – qui peuvent faire basculer un individu fragile dans l’exclusion. Lancé par le Gouvernement et le Haut commissaire fin 2007, le Grenelle de l’insertion exige donc une réflexion transversale qui embrasse la diversité des situations d'exclusion. Plusieurs départements ministériels devront ainsi réfléchir à l’éventail de solutions propre à réduire la pauvreté d'un tiers en cinq ans, car divers domaines sont concernés – le droit du travail, la protection sociale, la formation professionnelle, mais aussi l'environnement familial ou le logement. Du fait de leur contribution à l’aide sociale, les collectivités locales doivent également prendre part à la modernisation des outils de l'insertion, et c’est de l’ensemble des administrations et collectivités concernées en amont – au stade de la réflexion – comme en aval – pour appliquer les mesures décidées – que dépend la réussite de ce Grenelle. Enfin, il faudra étudier parallèlement les causes de l'exclusion – donc sa prévention – dès le plus jeune âge, en matière d’éducation, de santé ou de citoyenneté. Car une politique offensive de l'insertion est indispensable pour mettre fin à la situation sociale particulièrement précaire de nombre de nos concitoyens.

Aux yeux du groupe Nouveau Centre, cette politique repose sur quatre enjeux : débloquer les freins au retour à l'emploi ; engager la réforme des contrats aidés, en particulier dans le secteur non marchand ; associer plus nettement les entreprises à la démarche d'insertion ; enfin, renforcer l'accompagnement des personnes victimes de difficultés sociales.

S’agissant du premier enjeu, nul n’est chômeur – encore moins de longue durée – par choix, et bénéficier d’un minimum social ne représente un projet de vie pour personne.

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. Francis Vercamer – Si les abus doivent être sanctionnés le cas échéant, il ne faut pas stigmatiser les personnes vulnérables, déjà très pénalisées par leur parcours d'insertion – ainsi le RMI, conçu comme un outil de réinsertion, est-il devenu depuis longtemps synonyme d'exclusion : quel paradoxe ! À cet égard, l’action des conseils généraux de toutes tendances, qui s’efforcent de restituer au RMI ses vertus d’insertion, doit être saluée.

Dans son rapport sur les minima sociaux, Valérie Létard avait soulevé à juste titre la difficile question de la réforme des droits connexes, mettant en évidence leur multiplicité, leur diversité et leur opacité – y compris pour leurs bénéficiaires eux-mêmes – et montrant que cette dernière, ainsi que la peur de perdre ces droits en reprenant un travail, pouvaient freiner le retour à l’emploi. Sans une réforme de ces droits – qui constitue du reste l’un des objets de l’expérimentation du RSA –, les dispositifs d'intéressement instaurés depuis lors afin d’inciter au retour à l’emploi, si intéressants soient-ils, ne suffiront pas. Conformément à l’esprit de ce rapport, nous souhaitons donc que les droits connexes dépendent désormais d’un niveau de revenu plutôt que d’un statut, ce qui permettrait aux travailleurs pauvres de bénéficier de droits auxquels ils ne peuvent aujourd’hui prétendre parce qu’ils possèdent un emploi. Cela ne suffirait naturellement pas à réduire le nombre des travailleurs vivant en dessous du seuil de pauvreté, mais permettrait d’apporter quelque amélioration à certaines situations difficiles.

D’autre part, si l'expérimentation du RSA doit permettre de mieux apprécier l’efficacité des mécanismes d'intéressement au retour à l’emploi en contournant les effets de seuil, ceux-ci risquent de perdurer sous d'autres formes – ainsi de la couverture maladie universelle, dont le retour à l’emploi fait perdre le bénéfice, ou de la manière dont le calcul de certaines allocations, notamment l’aide personnalisée au logement, se fonde sur le revenu fiscal de l'année précédente, ce qui pose problème en cas de reprise temporaire d'activité suivie d’un retour au chômage.

Quant au RSA lui-même, il ne s'applique qu’à un nombre limité de minima sociaux : le RMI et l’allocation de parent isolé. Qu'en sera-t-il de l’allocation de solidarité spécifique, de l’allocation aux adultes handicapés, de l’allocation d’insertion ? Pour être véritablement efficace, le RSA devrait être étendu à tous les publics éloignés de l'emploi. En outre, lequel des divers schémas expérimentés présidera à sa généralisation ? Si cette diversité perdure, comment assurer l'équité entre les départements dotés de moyens importants et les autres ? De ce point de vue, le rôle et le montant de l’aide financière de l’État sont essentiels.

Au-delà de ces questions, le groupe Nouveau Centre juge extrêmement intéressant ce dispositif innovant qui sécurise le retour à l'emploi des chômeurs et sera une réussite s’il conduit ces derniers à attribuer à la reprise du travail une amélioration véritable et durable de leur situation.

La réforme des contrats aidés constitue le deuxième enjeu de ce Grenelle. Dans un document de travail rendu public le 13 décembre, le collectif ALERTE et les partenaires sociaux ont identifié les freins à l'accès des personnes en situation de précarité à un emploi permettant de vivre dignement. Ils recommandent le maintien du nombre des contrats aidés, notamment dans le secteur non marchand, parce qu’ils sont nécessaires aux personnes les plus éloignées de l'emploi. Nous en sommes d’accord – j’avais d'ailleurs insisté sur ce point lors du débat budgétaire. Je pense en particulier aux bassins d'emploi industriels fragilisés par les restructurations et les délocalisations, où il est nécessaire d'accompagner les anciens salariés touchés par le chômage. Nous sommes là au carrefour de la politique de l'insertion et de la réflexion sur la sécurisation des parcours professionnels.

Les structures d'insertion appellent également à simplifier les contrats aidés. En effet, ils obéissent avant tout à une logique de statut, alors qu’il faudrait prendre en compte la singularité de chaque situation. Ils doivent donc gagner en souplesse, tant en termes de durée que de temps de travail hebdomadaire.

D'une façon générale, il s'agit d'inscrire la démarche d'insertion professionnelle dans une logique plus qualitative que quantitative.

Faut-il instaurer dans ce cadre un contrat unique d'insertion ? La question devra être tranchée au vu des résultats des expérimentations qui ont été lancées.

Pour le Nouveau Centre, la réforme des contrats aidés doit prendre davantage en compte la nécessité de l’accès à la formation. On ne peut se satisfaire que l'obligation de formation – quand elle existe – ne soit pas respectée. Le paradoxe qui veut que ce soient avant tout les salariés les plus qualifiés qui aient accès à la formation professionnelle se vérifie aussi pour les salariés en contrat aidé. Nous proposons donc de réfléchir à un contrat aidé dans la logique des contrats en alternance. On pourrait imaginer un parcours d'insertion en trois phases, chacune étant effectuée en alternance – d’abord entre association et formation, puis entre association et entreprise, et enfin entre entreprise et formation. La transition vers un emploi pérenne s’opérerait ainsi dans les meilleures conditions. Bref, la formation qualifiante doit prendre davantage de place dans les contrats aidés simplifiés.

Bilan de compétences, acquisition de savoir-faire professionnels, validation des acquis et formation qualifiante doivent être au cœur de la démarche d’insertion professionnelle: le contrat d'insertion devient ainsi un facteur de qualification et de professionnalisation.

L'objectif du retour à l'emploi ne doit cependant pas nous faire oublier les personnes en très grande difficulté d'insertion. Cumulant les handicaps, elles n’en doivent pas moins être accompagnées dans la définition d’un projet personnel comportant une activité sociale qui puisse servir de fondement à une démarche d'insertion professionnelle. Réfléchissons donc à la création d'un contrat d'utilité sociale permettant de prendre en compte ces situations dramatiques.

Le troisième enjeu consiste à impliquer dans la démarche d’insertion les entreprises, qui en sont les partenaires naturels. L’objectif n’est pas de maintenir indéfiniment les personnes en insertion dans le processus : c'est la crédibilité même de la démarche qui est en jeu si elle ne permet pas de trouver un emploi au terme d’un parcours réussi. C'est donc le service public de l'emploi – dont nous débattrons la semaine prochaine - qui doit être capable, au niveau local, de discerner l'offre d'emploi susceptible de constituer un débouché adapté à chaque situation personnelle pour réussir les deuxième et troisième temps du parcours. C'est aussi par un travail en amont avec les entreprises du bassin d'emploi qu’il pourra définir les besoins en main d'œuvre et adapter les parcours aux personnes en insertion.

Dans son rapport rendu public en juin dernier, le conseil national de l'insertion par l'activité économique souhaite d’ailleurs faciliter la transition entre le contrat en insertion et le contrat en entreprise. Le salarié en structure d'insertion doit pouvoir suspendre son contrat de travail pour effectuer une période d'essai en entreprise s'il trouve un emploi – ce que ne permet pas la législation actuelle. Réfléchissons aussi à l'impact du changement de convention collective pour le salarié en insertion qui entre dans une entreprise classique. Les garanties sociales de la convention collective dont dépend cette entreprise peuvent en effet être moindres que celles de la convention collective applicable aux structures d'insertion, ce qui peut constituer un obstacle au retour à l'emploi pérenne. Mieux vaudrait donc qu’il dépende dès le départ de la convention collective du secteur dans lequel il va travailler.

Il faut d’autre part explorer toutes les pistes permettant d’inciter les entreprises à embaucher des salariés en insertion : le rapport du conseil national de l'insertion par l'activité économique propose d'instaurer des avantages fiscaux – exonération de l'impôt sur les sociétés – ou un allégement de charges. En tout état de cause, les entreprises ont envers le territoire où elles sont implantées une responsabilité sociale qui doit les conduire à s'engager. Au Grenelle de l'insertion de trouver les outils adéquats ! Vos propositions me paraissent aller dans le bon sens.

Le dernier enjeu est de renforcer l'accompagnement des personnes en difficulté. La personne en insertion reste une personne fragile. Il faut répondre à ses besoins et détecter les éventuelles difficultés avant qu'elles ne posent problème. C'est tout l'environnement social de la personne – logement, situation familiale, santé – qu’il faut prendre en compte. En effet, si le chômage dérègle tout, l'emploi ne règle pas tout.

Il faut professionnaliser davantage les structures d'accompagnement et associations d'insertion, pour que l’accompagnement soit en prise avec les réalités du monde de l'entreprise. Il nous faut donc définir la nature de cet accompagnement, décider qui – service public de l'emploi ou associations labellisées – en est responsable et le finance et quelle doit être sa durée. Prenons garde que la multiplicité des structures d'insertion ne nuise pas à la qualité du service rendu.

J’attire enfin votre attention sur un point rarement évoqué. Élu de l'agglomération roubaisienne et d'un territoire très concerné par la question des discriminations à l'embauche et dans l'emploi, j'insiste pour qu’elle ne soit pas négligée dans le cadre du Grenelle de l'insertion. Il faut briser ce plafond de verre qui prive un certain nombre de nos concitoyens de l'accès à l'emploi en raison de critères qui n'ont rien à voir avec leurs qualifications et leur expérience. J’ai milité sous la précédente législature en faveur de l’inscription de l'anonymat des CV dans la loi. Ce fut chose faite en 2006. J’ai regretté que le gouvernement d'alors, arguant de la signature en octobre 2006 d'un accord national interprofessionnel sur la diversité dans l'entreprise autorisant l'expérimentation du CV anonyme, renonce à prendre les décrets qui en auraient permis l'application. Les syndicats signataires appelaient encore en novembre à faire vivre cet accord et demandaient son extension à l'ensemble des entreprises. Le président de la HALDE a pour sa part regretté que le CV anonyme soit insuffisamment utilisé en l'absence de décrets d'application.

Je crois sincèrement pouvoir dire qu’il est urgent d’aller plus vite sur la lutte contre les discriminations à l'embauche et la promotion de la diversité dans l'entreprise pour améliorer l’insertion professionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Cardo – En créant un Haut commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté, le Président de la République a manifesté sa volonté de venir en aide à nos concitoyens qui rencontrent de graves problèmes d'exclusion. En confiant cette mission à l'ancien président d'Emmaüs, il a clairement indiqué son intention de trouver des solutions concrètes qui dépassent la simple allocation pour assurer le retour vers l'emploi des exclus du marché du travail. C'est l'objet même des mesures que vous avez déjà prises avec le RSA et le principal enjeu du Grenelle de l'insertion qui réunit depuis plusieurs mois au sein de groupes de travail tous les acteurs concernés par l'accès à l'emploi.

La première mission de l'insertion est de ne laisser personne sur le bord de la route. Il s’agit de détecter les publics concernés, voire de prendre les devants. C'est diagnostiquer et évaluer, ensuite orienter et accompagner. C’est traiter la santé physique et mentale, re-motiver les publics concernés, en intégrant tous les éléments qui favorisent l'autonomie des personnes – garde d'enfants, permis de conduire... C'est aussi les former, et si possible les mettre ou les remettre au travail. Mettre au travail, c'est insérer dans l'utilité économique ou sociale, afin que l'individu retrouve un sens à sa vie et une image positive de lui même.

Il faut donc cibler les publics, puis l'ensemble des parcours et des acteurs, et définir qui finance et qui gouverne.

Reprenons l'historique des politiques d'insertion, qui ont fait l’objet de multiples textes depuis les années 1980. Bertrand Schwartz, père fondateur de l'approche globale de l'insertion des jeunes, a présidé à la création des missions locales. Il y eut ensuite une série de mesures pour l'emploi, dont les emplois aidés, soit dans le secteur marchand, soit dans le secteur socio-économique, voire d'utilité sociale. Nous avons donc connu les travaux d'utilité collective – TUC –, les contrats emploi solidarité – CES –, les contrats emploi consolidé – CEC –, les emplois ville, les emplois jeunes, les adultes relais, les contrats d'accès à l'emploi... Il y a eu aussi les aides à la création d'entreprise comme l'ACRE, et un filet de sécurité, le RMI, dont le I devait signifier « imagination » plus qu’« insertion » et dont le montant est un différentiel par rapport aux autres ressources.

Tout cela s’est accompagné de la création de structures diverses : associations intermédiaires, entreprises d'insertion, de travail temporaire d'insertion ou SCOP ; dispositifs comme les commissions locales d'insertion – CLI –, les plans départementaux d'insertion – PDI –, les maisons de l'emploi – financées aussi bien par l'État que par le département, l'Europe, la région ou les communes.

À cet édifice, il faut ajouter la lutte contre l'illettrisme, la préformation, le soutien psychologique, la remise en forme, l'encadrement, et dans une moindre mesure la formation, car, en ce domaine, l’effort a surtout bénéficié davantage aux personnes insérées et qualifiées.

Pour quels résultats ? Certes, le chômage baisse, mais cela est dû en grande partie à l’évolution de la pyramide des âges et aux nombreuses radiations de l'ANPE – mais nous savons aussi que nombre de jeunes et d’adultes ne s'inscrivent plus.

Que peut apporter le Grenelle de l'insertion ? Affirmer notre volonté de combattre cette exclusion qui détruit l'existence de centaines de milliers de nos concitoyens et ne peut que produire de la violence. Faire comprendre l'enjeu économique que représente la réussite de l'insertion sociale, la productivité ne pouvant qu’être améliorée par l'accès à l'emploi des trois grandes catégories qui en sont massivement exclues : les jeunes sans qualification, les plus de 50 ans et les chômeurs de longue durée. Nous devons définir les outils adaptés, instaurer une gouvernance et imposer la nécessité d'une action massive pour relever ce défi.

La situation est grave. Plus de 600 000 emplois ne sont pas pourvus, tandis que deux millions de personnes sont sans activité. Nous devons faire face à une pénurie de logements, alors que les prix à la construction augmentent, que les loyers et les charges flambent. Une révolution de l’insertion est nécessaire pour enrayer ce processus.

Faut-il dépenser plus ? Pas sûr. Il faut dépenser mieux. Réfléchissons à ce qui a été tenté depuis Bertrand Schwartz jusqu'à Jean-Louis Borloo, des missions locales jusqu'aux maisons de l'emploi.

Le concept de « guichet unique », développé par Bertrand Schwartz, renfermait la volonté de globaliser les financements, d'additionner les moyens ainsi que les compétences en mettant en réseau les acteurs.

Les maisons de l’emploi sont ancrées dans les bassins d’emploi, ce qui permet de prévoir les mutations – et donc les emplois de demain –, d’être des interlocuteurs crédibles face au secteur économique traditionnel et de le relier au secteur socio-économique.

Des mesures ont été « chaînées » pour créer des itinéraires, comme les programmes « Trace » et « Civis », conçus pour éviter les ruptures liées à la multiplicité des intervenants et des financeurs. Mais cela ne concerne que les jeunes.

Enfin, l’Unedic et l’ANPE seront prochainement fusionnées.

Forts de ce constat, que peut-on proposer ? Dans un premier temps, il convient, afin d’éviter l’éparpillement des crédits et la dilution des mesures, d’unifier les dispositifs, de globaliser les fonds et de les territorialiser. Dans un souci de transparence, l'ensemble des crédits affectés à l'insertion devront être rendus fongibles et être augmentés d'une partie des crédits de formation destinés au retour à l'emploi, voire d’une partie des crédits consacrés par les entreprises à la formation.

Ensuite, il est indispensable de déterminer une gouvernance claire, de préciser les objectifs en termes de droits et de devoirs, tant pour les bénéficiaires que pour les organismes et les entreprises qui concourent à l'insertion.

Pour la mise en œuvre, contractualisée, on pourra s’en remettre soit aux maisons de l’emploi, soit aux communautés de communes ou d’agglomération.

L’objectif est celui d’un contrat unique, qui serait conclu auprès du territoire. Ce « contrat territorial d'insertion » sécuriserait le parcours de l'intéressé sous tous aspects et représenterait une plus-value lors de l'accès à l'emploi.

Dans ce cadre, plusieurs mesures paraissent indispensables : prise en compte du profil et de la spécificité des problèmes rencontrés par le bénéficiaire en lieu et place d’une catégorisation selon l’âge ; financement de postes d'encadrement en milieu de travail ; affectation d'une partie des moyens de la formation permanente au bénéfice des publics concernés par l'insertion ; réduction à six mois de la durée de travail exigée des salariés des entreprises d’insertion pour l'obtention d'un contrat individuel de formation ; renforcement des liens entre les organismes d’insertion, ceux de formation, les acteurs sociaux et l’entreprise.

Il conviendra également de formaliser un itinéraire d'insertion transversal permettant, sous un même statut, d’alterner périodes en entreprise, périodes de formation professionnelle continue, périodes de formation de base et périodes d'accompagnement et de suivi. Il faudra développer l’accueil des publics les moins qualifiés en développant dans chaque bassin, via les maisons de l’emploi, la coopération entre les acteurs de l'insertion professionnelle et les acteurs du monde économique. Les entreprises devront être incitées à créer des emplois d'insertion qualifiants et à anticiper les évolutions techniques en assurant la formation théorique des salariés peu qualifiés. La formation, au sein de l’entreprise, de tuteurs de l'insertion, ou la mise à disposition de « compagnons de l’insertion » auprès des petites entreprises devront être encouragées.

Un crédit d'impôt pourrait être dédié aux entreprises – et pourquoi pas aux collectivités territoriales ? – qui jouent le jeu de l’insertion. Dans cette perspective, un « bilan social » permettrait de distinguer les entreprises qui investissent dans l’insertion et de les faire bénéficier d’une fiscalité avantageuse.

Enfin, le rôle des maisons de l’emploi, dans leurs missions d'adaptation de la formation initiale et permanente aux besoins actualisés du secteur marchand et des entreprises, devra être renforcé.

Le Grenelle de 1968 a transformé une révolution sociale en une évolution du dialogue social. Le Grenelle de l’environnement a légitimé l’exigence du « durable ». Gageons que le Grenelle de l’insertion s’inspirera de ces précédents !

Les travaux et le débat que nous avons engagés devront déboucher sur une stratégie de l’insertion, qui visera à simplifier et à faire reconnaître cette insertion comme un facteur essentiel de la paix sociale, garant de l'égalité des chances et de l'efficacité économique de l'action publique en faveur des moins favorisés. Il reste à notre assemblée à montrer sa détermination à réussir dans cette voie. Le groupe UMP y contribuera et vous soutiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Le RMI a vingt ans : une nouvelle étape, un nouvel élan s’imposent.

Cent cinquante mille jeunes sortent sans formation du système éducatif ; lors d’un débat récent organisé à la maison de la Chimie, chacun reconnaissait la complexité, le cloisonnement et le corporatisme du système de formation professionnelle.

Le budget de la protection sociale s’élève à 570 milliards, ce qui place la France au même niveau que la Suède, sans qu’elle puisse s’enorgueillir des mêmes performances sociales. Comme vous l’avez dit, Monsieur le Haut commissaire, nos résultats en matière d’insertion ne sont pas à la hauteur de notre richesse économique et de nos ambitions sociales… et j’ajouterai à mon tour, des moyens financiers que nous consacrons à la politique sociale.

Enfin, 12 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.

Partant de ce constat, quels objectifs pouvons-nous atteindre ? Tout doit être fait pour supprimer les freins au retour à l’emploi. Quatre cent mille offres d'emploi n’étant pas pourvues, il semble possible de parvenir, dans les cinq ans, à un taux de chômage de 5 %. Le mécanisme d'intéressement était un début d'incitation au retour à l'emploi, mais nettement insuffisant. Il existe encore beaucoup de freins, parmi lesquels la sécurité qu’offrent le RMI et ses avantages connexes, la complexité des systèmes de retour au travail, l’organisation des modes de transport et le financement de la garde atypique, dans le cadre d’horaires en deux-huit ou en trois-huit.

Nombre de bénéficiaires des minima sociaux, et en particulier du RMI, ne peuvent trouver un emploi dans le secteur privé ou public. Comme vous le rappelez souvent, Monsieur le Haut commissaire, l'honneur d'une société se mesure à l'attention qu'elle porte aux plus faibles, non pas en les maintenant dans l’assistance mais en les faisant bénéficier de structures d'insertion ou de contrats d'autonomie sociale. On ne rendra jamais assez hommage à l’association Emmaüs, qui a redonné de la dignité par le travail à beaucoup de nos compatriotes.

Il serait utile de connaître le degré de mobilisation des collectivités locales. La publication de leurs résultats pourrait être un facteur d'émulation et de motivation (Protestations sur les bancs du groupe SRC). M. Mercier a eu l’honnêteté de dire que l’État devait aux collectivités départementales et régionales un milliard…

M. Christophe Sirugue – Deux milliards !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – …mais que le même État prenait en charge des dégrèvements de cotisations sociales, qui représentent beaucoup plus ! L’État prend en effet en charge 35 % de la taxe professionnelle, et dans beaucoup de villes, bien des familles ne payent pas de taxe d’habitation ou sont dégrevées. Cessons donc ce débat.

M. Frédéric Cuvillier – Mais il n’a pas commencé !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Je ne suis pas sûr que l’évolution de ces cinq dernières années ait été au détriment des collectivités locales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – L’AMF dit l’inverse !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – L’insertion peut bien sûr avoir un coût élevé pour les collectivités. La suppression trop rapide des deux années de contrat pose problème à certaines. Je suggère donc de réduire ce coût, qui est d’abord celui de l’encadrement, en mettant à profit le futur service civil : beaucoup de jeunes sont prêts à consacrer une année de leur vie à l’accompagnement pour l’insertion.

Le troisième objectif concerne les difficultés d’insertion des jeunes, en particulier dans les banlieues. Il est urgent de redéployer les 26 milliards d’euros consacrés à la formation professionnelle.

N’oublions pas non plus que 12 % de nos compatriotes se situent au-dessous du seuil de pauvreté. Le Président de la République s’est fixé pour objectif de réduire ce nombre d’un tiers dans les cinq années à venir.

M. Roland Muzeau – Personne ne le croit !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Moi, je le crois !

M. Jérôme Chartier – Nous aussi !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Il reste que l'État n'a pas la capacité d'atteindre cet objectif tout seul. La vertu d’un grand peuple n’est pas d’en appeler en permanence à l’État, c’est l’esprit de responsabilité des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Les deux tiers des efforts doivent être réalisés par les associations de terrain et les collectivités locales.

M. Roland Muzeau – Et les 15 milliards d’euros du mois de juillet ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Le cinquième objectif est de simplifier, encore simplifier et toujours simplifier ! Si des élus et des associations sont trop souvent découragés, c’est que les dispositions en vigueur changent sans cesse. Il faudra concentrer les dispositifs, éviter les empilements de structures et mettre un terme à la complexité des procédures.

J’en viens à la réforme des minima sociaux, constitués aujourd’hui de dix prestations. Entre la naissance et la mort, 24 prestations sont versées ! Dans son dernier rapport, Jacques Delors indiquait ainsi que le revenu socialisé a progressé au détriment du revenu issu du travail, au cours des dix dernières années. Or, on ne peut pas accepter que les dépenses augmentent en permanence. Des efforts de redéploiement s’imposent.

Je souhaite bien sûr le rapprochement de certaines prestations, mais il ne faudra pas se cantonner au RMI, à l’API et l’ASS, la PPE ou le bouclier fiscal. Pour concilier la compétitivité des entreprises et la revalorisation des bas salaires dans une économie ouverte, je ne vois pas d’autre solution que l’amélioration de la PPE.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Voilà les objectifs que nous devons atteindre au cours des prochaines années. La compassion est nécessaire, mais il faut aussi savoir faire preuve de lucidité et de courage, tout en suscitant les initiatives au plan local : notre réussite dépendra d’abord des associations et des élus locaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère – À l’occasion du lancement du Grenelle de l’insertion, le Haut-commissaire a déclaré qu’il s’agissait d’organiser la discussion entre l'ensemble des acteurs qui contribuent à l'insertion afin d’améliorer la performance globale des politiques menées.

Or, que signifie la performance globale des politiques d'insertion ? Réduire le nombre des allocataires ou améliorer le niveau de vie des plus faibles ? Améliorer l'accès aux soins ou travailler sans contrainte ? À la politique de clair-obscur menée par le Gouvernement, je préférerais des objectifs simples : augmentation de 50 % des minima sociaux sur cinq ans, en préalable à la fusion des prestations concernées ; instauration d’une allocation d'autonomie pour les jeunes de 18 à 25 ans, puis d’un revenu d'existence pour tous et toutes ; établissement d’une société de pleine activité, dans laquelle le travail salarié ne serait plus qu'une des composantes du revenu correspondant à une activité d'utilité sociale.

Vous partez du présupposé que l'emploi est la seule réponse aux problèmes sociaux – de santé, de logement, de mobilité. Celui qui serait privé d’emploi ne pourrait prétendre à rien. Loin de moi l'idée qu’il faudrait négliger la question de l’emploi : en ma qualité de membre de l'alliance « villes emploi », je ferai des propositions précises sur le sujet. Mais en tant que maire, je me dois de rappeler l’effet cumulatif des inégalités : pas d'argent, c'est peu d'éducation et peu de soins ; c’est aussi le mal logement et la malbouffe !

Comment assurer les droits fondamentaux à tous ceux qui vivent sur un même territoire ? Voilà ce qui devrait être la question de ce Grenelle de l’insertion. Pour reprendre le « copié collé » du Président de la République, il faut effectivement une politique de civilisation. Celle-ci doit façonner une société dans laquelle chacun pourrait combiner, à son gré, temps de travail et temps de vie pour soi, et dans laquelle l’autonomie augmenterait grâce à une garantie des droits et du revenu.

Las, votre politique de flexibilité, de lutte contre les 35 heures et de franchises médicales va à l’encontre de cet objectif. Elle est le contraire de la politique de civilisation, à moins qu’il ne s’agisse d’imiter la civilisation des États-Unis, où la précarité a été institutionnalisée sous la présidence de George Bush.

Le phénomène des travailleurs pauvres touchant déjà plus d'un million de personnes, l’urgence est au contraire de lutter contre le basculement dans la pauvreté. De nombreux salariés restent en effet pauvres et mal logés alors qu’ils ont un travail – très peu payé, à temps partiel, ou avec des alternances répétées de périodes de chômage et d'emploi. Les propositions du Gouvernement sont pour certaines inappropriées, pour d'autres insuffisantes, et toutes reposent sur le principe d’un traitement spécifique des difficultés, qui laissera de nombreuses personnes dans l’exclusion faute de mesures globales. Tout Grenelle de l’insertion devrait commencer par la définition d’un seuil en dessous duquel on ne peut vivre dignement.

En outre, la multiplication des « Grenelle » ne permet pas de discuter des politiques publiques transversales. Ce sont pourtant les plus pauvres qui subissent la précarité sociale et la précarité environnementale. Parce qu’ils vivent dans des logements mal isolés et doivent se contenter de véhicules consommant beaucoup d'énergie, ils subissent une double peine de précarité.

Les mesures fiscales qui sont proposées reposent souvent sur un mécanisme de déduction d'impôts dont les pauvres ne peuvent bénéficier, faute d’être assujettis. Parler de l'insertion en oubliant le développement du tiers secteur de l'économie sociale et solidaire est également un non-sens ; ce secteur concerne potentiellement des centaines de milliers d'emplois d'utilité sociale.

S’agissant du RSA, cette mesure ne doit pas devenir le cache-sexe d'une politique sociale réduite à la peau de chagrin. Il faut mettre en balance les 35 millions d'euros qui y sont consacrés et les 15 milliards de cadeaux fiscaux pour les plus riches. Ne pouvant utiliser cette manne qui a été distribuée aux nantis, vous allez ponctionner encore davantage les collectivités locales. L'Assemblée des départements de France s'inquiète ainsi des charges que ceux-ci devront assumer au détriment des autres politiques sociales.

Un autre risque est d'enfermer les bénéficiaires dans la spirale du travail précaire. Selon un rapport du Sénat, en date de mai 2005, le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait en effet craindre des pressions à la baisse sur les salaires et un recours accru des entreprises à des emplois à temps partiel. Qui était l'auteur de ce rapport ? Valérie Létard, actuelle secrétaire d'État à la solidarité…

Pour limiter les effets pervers du RSA, il était prévu de l'expérimenter pendant trois ans. Déjà appliqué dans 40 départements, ce dispositif sera généralisé à la fin de l’année 2008 sans que l’on ait pu en évaluer les effets. C'est donc l’inverse de l'expérimentation sociale dont vous vous étiez fait un défenseur ardent, Monsieur le Haut-commissaire. Il faut dire que vous êtes passé à la logique du résultat, c'est à dire du court-termisme.

Comme le préconise l’alliance « villes emploi », je souhaiterais plutôt que le Gouvernement s'appuie sur les outils qui marchent en matière de lutte contre les exclusions. Les PLIE, plateformes territoriales de coordination des politiques d'inclusion, ont ainsi atteint leur objectif de retour à l'emploi des publics qui en sont les plus éloignés. Parmi les 303 968 personnes ainsi aidées entre 2000 et 2006, 105 285 ont obtenu un CDI, un CDD de plus de six mois, ou une formation qualifiante. Avec un taux de sortie positive de 46 %, les PLIE ont fait la preuve de leur efficacité au service de l’insertion.

Je propose donc que l'État incite les départements à s'appuyer sur les PLIE et qu’il mette fin à une exception en assurant leur cofinancement sous la forme de contrats d'objectifs – articulation des PLIE et des maisons de l'emploi, indicateurs mesurant le retour à l'emploi, l'ingénierie de projet, la concrétisation de partenariats…

Dans le cadre du plan d'inclusion active, il faudrait également rendre déterminant le rôle de coordination des politiques d'insertion par les PLIE. Je demande également l’introduction de clauses d'insertion dans les marchés publics, comme c’est déjà le cas à Bègles. Afin d'assurer une meilleure cohérence entre les dispositifs, il faudrait en outre confier à un niveau de collectivité territoriale le rôle de chef de file de la gouvernance. La loi de décentralisation du RMI a ainsi confié aux conseils généraux la mise en œuvre du dispositif en 2003, mais il me semblerait préférable que la gouvernance – la coordination des différents dispositifs, des parcours des publics concernés, de la formation, du retour à l’emploi et du maintien dans ce dernier – soit confiée à cet échelon de proximité que sont les intercommunalités, en prenant appui sur les PLIE et sur les maisons de l'emploi.

En cautionnant une politique de rupture libérale qui est en contradiction avec vos valeurs, vous avez choisi un chemin difficile, Monsieur le Haut-commissaire. Vous croyez que vous pourrez bâtir un îlot de bien-être pour les pauvres dans un océan de précarité ; libre à vous de faire ce choix. Je vous dis bonne chance, car vous en aurez bien besoin !

M. Frédéric Cuvillier – Je me félicite que le Parlement ait été saisi en amont, mais je partage les réserves formulées par certains collègues concernant l’ordre de saisine des deux chambres…

Je constate également que vous êtes bien seul sur les bancs du Gouvernement, Monsieur le Haut-commissaire, alors que vous placez de grands espoirs dans ce Grenelle de l’insertion : la moitié des ministres devrait être à vos côtés, voire placée sous votre autorité. Le Président de la République n’a-t-il pas lui-même fixé comme objectif de réduire d’un tiers la pauvreté dans notre pays en cinq ans ? De fait, on compte sept millions de pauvres en France, soit 10 % de la population qui vit avec moins de 650 euros par mois. Mais, compte tenu de cette situation, j’ai quelques doutes sur l’efficacité du dispositif retenu : votre communication est certes bien organisée, mais il y a de grands risques, me semble-t-il, pour que ce Grenelle en reste à l’affirmation de principes.

Avant d’en venir au fond, je me dois d’exprimer nos réserves sur ce grand débat public. Il risque en fait d’être bien étriqué, car il n’aborde que les aspects professionnels alors qu’un parcours d'insertion forme un tout. Comment ne pas parler du logement – sans domicile décent, pas d'emploi –, de l’éducation et de la formation tout au long de la vie – 9 % de la population entre 18 à 65 ans sont illettrés –, de la protection sociale et de la santé ? Et nous comptons aussi sur votre intervention pour mettre un peu de cohérence entre la nouvelle politique de la ville annoncée par Mme Boutin et le plan Banlieues de Mme Amara.

Dans ces domaines, vos collègues engagent des réformes de façon dispersée, sur le service public de l'emploi, le marché du travail, les conditions d'accès aux soins, les minima sociaux... Étant donné la priorité que vous affichez, on pourrait attendre que tout cela soit sous-tendu par une même logique, mais programmer de vendre plus de logements sociaux qu'on n’en construit, instaurer des franchises médicales, annoncer la suppression des maisons de l'emploi avant même d’en avoir fait une évaluation, cela ne favorise guère l'insertion.

Mais vous ne manquez pas de persuasion, Monsieur le Haut commissaire, et nous serions tout prêts à vous croire. Après tout, s’il s’agit d’une priorité du Président de la République, vous aurez les moyens de vos ambitions. Mais de cela, pas un mot. Vous n'aurez donc pas un centime de plus. Au vu de la loi de finances, ce Grenelle de l'insertion apparaît comme une opération de camouflage : les crédits destinés à la prévention de l'exclusion et à l'insertion des personnes vulnérables diminuent de plus de 5 % ; ceux en faveur des jeunes baissent de près de 14 % alors que les collectivités locales participent au financement des points d'accueil et d'écoute jeunes ; les crédits pour les allocations et prestations d'aide sociale aux personnes âgées et aux personnes handicapées n'augmentent pas, pas plus que ceux des services de veille sociale ou d'accueil et d'orientation.

Même sur les sujets qui sont au cœur du Grenelle de l’insertion, on ne vous a pas facilité la tâche en mettant fin aux contrats aidés au cours des derniers mois de 2007. Pour 2008, vous en supprimez 60 000 et diminuez les crédits d’un tiers. Des centaines de collectivités ont voté des motions de protestation. Dans ma ville, 80 personnes sont concernées et plusieurs dizaines ont eu pour cadeau de Noël le non-renouvellement de leur contrat.

Dans ce débat, on a avancé la notion d'employabilité. Elle est dangereuse. À partir de quand, sur quels critères, peut on considérer qu'une personne est ou non employable ? Qui l’appréciera ? Veut-on, comme en Grande-Bretagne, taxer d'incapacity une partie de la société ? C’est la condamner à l'exclusion et se résigner à l’échec. Comment parler d'employabilité pour des personnes touchées par le handicap ou placées sous protection judiciaire ? Dans les ateliers protégés de Boulogne-sur-mer, après un long processus d'insertion, des gens qu’on aurait classés inemployables, fabriquent aujourd'hui des objets médicaux de grande précision.

Par ailleurs, l'insertion suppose que l'on place au centre des dispositifs la personne avec son histoire, ses carences, et non sa capacité à être productive. Il faut donc différencier les parcours de l'insertion et aussi distinguer les activités qui relèvent du secteur marchand et celles qui n'en relèvent pas mais n'en sont pas moins indispensables à la société. Pourquoi vouloir tout unifier – allocation unique, guichet unique, contrat unique – ? Bien sûr, il faut simplifier, mais l’idée de contrat unique ne va-t-elle pas à l’encontre de l’insertion pour des gens qui n’ont pas la même précarité face à l'emploi ? Pour certains elle est exceptionnelle et récente, suite à un problème familial ; pour d’autres elle est plus durable, à cause d’une formation déficiente. Parfois elle tient à des difficultés profondes. Un système unique est-il adapté à ces différences ? Une chose est de bénéficier d’un contrat qui permet de passer une période délicate, une autre d’avoir besoin de contrats renforcés pour se remettre à niveau, ou d’être orienté vers des structures adaptées, dotées de personnel formé pour agir sur l'environnement familial. Par ailleurs, le contrat unique posera d’autres questions de gouvernance et de compétences.

Unique ou pas, le contrat d'insertion doit impérativement être un contrat de travail de droit commun afin d'éviter toute discrimination. Par ailleurs, la façon d’attribuer les contrats non en fonction de parcours individualisés, mais d'éléments conjoncturels ou de contraintes budgétaires sans cohérence, sans vision à long terme, sans évaluation, bref par le fait du prince, ou plutôt de l'État, prive souvent de toute efficacité. Comment travailler à l’insertion dans le cadre de contrats attribués tous les six mois, et qui ne sont pas reconduits ? Il faut un minimum de stabilité pour permettre le suivi individualisé, des formations adaptées et une réadaptation de la personne au monde du travail. La réussite des emplois jeunes tenait à leur durée et à un haut niveau de formation. D’autre part, on ne peut répartir les contrats aidés de façon uniforme. Il faut accorder une priorité aux régions où le chômage est élevé ou aux départements qui mènent des politiques d'insertion efficaces.

Les systèmes d'insertion n'ont de sens que s’ils sont d’une durée suffisante. Les professionnels aussi ont besoin de stabilité : le désengagement de l'État peut mettre en péril des associations intermédiaires. Le Gouvernement entend allonger les périodes d'essai pour les CDD ou les CDI. S’il faut du temps pour intégrer des personnes aux entreprises, c’est aussi vrai pour les associations intermédiaires. Or on les limite à 240 heures par personne salariée.

Monsieur le Haut commissaire, vous posez des questions pertinentes. Il faut explorer toutes les pistes pour sortir de la spirale de la précarisation. Or 60 % des Français craignent de se trouver dans une situation d'exclusion. Il faut tout à la fois rendre plus efficaces et évaluer les stratégies d'insertion et de formation, développer l’insertion et l’apprentissage dans les entreprises, généraliser des clauses d'insertion dans les marchés publics quand c’est possible, faciliter l'accès des associations et des entreprises d'insertion aux appels d'offres, et développer la présence de tuteurs dans les entreprises. Il faut également rationaliser les mécanismes de suivi des bénéficiaires, mieux coordonner les acteurs de terrain, ne pas multiplier les référents, faire comprendre aux entreprises que participer aux parcours d'insertion est une force plus qu'une faiblesse.

« Grenelle » évoque des avancées sociales. Votre démarche suscite donc de grands espoirs. Notre devoir n’en est que plus grand car, derrière les mots, il y a la souffrance de personnes à qui, je l’espère, vous allez donner quelques raisons d’espérer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Pierre Soisson – Vous avez déclaré, Monsieur le Haut commissaire, que nous étions à la fin d’un cycle de vingt ans. Effectivement, il y a vingt ans, le gouvernement de Michel Rocard engageait une politique de lutte contre l’exclusion et de réinsertion des chômeurs dans l’entreprise. La loi du 1er décembre 1988 créant le revenu minimum d’insertion disposait en son article premier que « l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national ». La loi de décembre 1989 favorisant le retour à l’emploi et la lutte contre l’exclusion professionnelle créa les contrats de retour à l’emploi, les contrats emploi solidarité et les missions locales. J’étais à l’époque ministre du travail et de la formation professionnelle, ministre d’ouverture dans un gouvernement de gauche ; vous êtes aujourd’hui ministre d’ouverture dans un gouvernement de droite. La loi de décembre 1989 avait été votée à la quasi-unanimité de l’Assemblée : je souhaiterais que l’opposition d’aujourd’hui adopte la même attitude.

M. Roland Muzeau – C’est un débat sans vote !

M. Jean-Pierre Soisson – Vous avez raison d’entreprendre une mise à plat des mécanismes de la formation professionnelle ; la tâche est difficile, mais indispensable, chaque gouvernement, chaque ministre, ayant introduit de nouvelles mesures sans que les précédentes soient supprimées.

Le problème est évidemment de trouver les moyens de financer les actions que vous nous proposez. Vous l’avez dit, une trop faible partie des fonds de la formation professionnelle va aux publics qui en ont le plus besoin ; nous devons corriger cette situation.

Je ne crois pas qu’il faille revenir sur la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales : les régions se sont vu reconnaître une compétence de droit commun en matière de formation professionnelle, mais il revient à l’État de donner une impulsion nouvelle, de simplifier, de clarifier et de mieux coordonner ; c’est d’ailleurs ce qu’attendent les responsables des collectivités territoriales.

La formation professionnelle étant le « pré carré » des partenaires sociaux, vous aurez à engager une négociation interprofessionnelle difficile, afin d’obtenir l’accord du patronat comme des syndicats ouvriers sur la réorientation des fonds ; il faudra aussi vous assurer de l’accord des régions, qui souvent, au fil des années, se sont laissé entraîner à agir sans vision politique claire.

Je ne crois pas non plus qu’il faille, comme l’orateur qui m’a précédé, rejeter tout ce qui a été fait au cours des dernières années.

M. Frédéric Cuvillier – Vous ne m’avez pas écouté !

M. Jean-Pierre Soisson – Ainsi les entreprises d’insertion, qui travaillent dans le secteur marchand concurrentiel, et dont les salariés bénéficient de contrats de travail, ont fait un travail considérable.

M. Frédéric Cuvillier – Ai-je dit le contraire ?

M. Jean-Pierre Soisson – Elles méritent d’être encouragées, et pèsent d’ailleurs peu sur les finances publiques – quelque 170 millions d’euros.

Nous devrions, Monsieur le Haut commissaire, être très nombreux sur tous ces bancs à vous soutenir pour écrire une nouvelle page de la politique d’insertion et de la formation professionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Roland Muzeau – Ce débat parlementaire est destiné à éclairer les groupes de travail réunis dans le cadre du « Grenelle de l'insertion », mais n’est-ce pas avant tout les exigences de la majorité parlementaire qui vont être entendues ? Comment pourrions-nous, en deux heures à peine d’une succession d’interventions qui ne se termineront pas par un vote, éclairer les enjeux ? Avouez, Monsieur le Haut commissaire, que l'exercice demeure assez formel et contribue au contraire à verrouiller le débat public.

Vous avez vous-même levé toute ambiguïté sur ce point en proposant, dans une lettre adressée aux parlementaires le 7 janvier dernier, « d'orienter la réflexion sur quelques points précis » pour redéfinir la problématique de l'insertion autour des termes d'« employabilité », de « droits et devoirs » des bénéficiaires, de « gouvernance », qui n'ont rien d'innocent sous leur habillage technocratique, faisant directement écho aux réformes libérales engagées. Nous avons tout lieu de craindre que votre « Grenelle » ne vise qu'à poursuivre le passage d'un modèle social fondé sur la solidarité vers un régime d’emploi contraint, où les aides ne seront plus considérées comme un droit mais comme une faveur éphémère.

Monsieur le Haut commissaire, nous ne vous faisons pas un procès d'intention.

M. François Rochebloine – Heureusement !

M. Roland Muzeau – Nous vous faisons simplement part de nos craintes, le contexte politique n'étant pas de nature à crédibiliser votre entreprise.

Il faudrait placer au cœur d’un débat sur l'insertion la dignité de la personne, laquelle suppose l'accès à un emploi qualifié, correctement rémunéré et permettant de vivre correctement, de se loger, de se cultiver. Or ce n'est à l'évidence pas ainsi que le Gouvernement et la majorité envisagent les choses. Vous avez évoqué à plusieurs reprises dans votre discours votre objectif d’employabilité, jamais la formation.

M. Martin Hirsch, haut commissaire Si !

M. Roland Muzeau – L'éthique du travail et de la responsabilité dont se réclame la majorité se résume à la maxime selon laquelle « qui ne travaille pas ne mange pas », maxime où le bon sens le dispute à la barbarie. Les réformes conduites ou annoncées ne sont-elles pas le signe que votre « Grenelle » est bien mal engagé ?

Prenons l'exemple du texte sur le service public de l'emploi que nous examinerons la semaine prochaine : quel est l'objectif poursuivi par la fusion ANPE-Unedic, sinon la confusion entre les activités de placement et d'indemnisation ? Cette confusion des genres permettra notamment de renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi et de contraindre ceux qui sont jugés « employables » à accepter n'importe quel petit boulot.

De même, la recodification du code du travail, texte que nous avons examiné en décembre, a été l'occasion d'un véritable tour de passe-passe, par lequel l'économie générale du code a été modifiée en profondeur. Est-ce un hasard s’il comporte désormais un titre libellé « droits et obligations du demandeur d'emploi », sous lequel on ne trouve que des obligations ? Est-ce un hasard si le contrat d'apprentissage, qui figurait jusqu'alors au début du code, dans la partie consacrée aux « conventions relatives au travail », est désormais classé dans la partie « formation professionnelle » ?

Devons-nous avoir la cruauté de rappeler, Monsieur le Haut commissaire, le sort réservé à votre revenu de solidarité active, porté sur les fonts baptismaux en juillet dernier et doté seulement de 30 millions ? Doit-on en conclure que les plus démunis, dont Mme Lagarde n'hésitait pas alors à fustiger le farniente, n'ont pas droit à des politiques publiques respectueuses de leurs droits et aspirations ? Les politiques conduites par cette majorité ont pour effet, sinon pour objet, de valider et normaliser la situation des travailleurs pauvres, et de faire en sorte que les bénéficiaires de l'aide sociale en rejoignent demain le cortège.

Au mois de décembre, le collectif Alerte, qui réunit 37 fédérations et associations nationales de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, a remis au Premier ministre des propositions pour améliorer l'insertion dans l'emploi des salariés précaires. Travailler à améliorer l'accès à la formation, faire de la lutte contre l'illettrisme une priorité nationale, renforcer la cohérence de l'action territoriale, assurer le financement des missions des divers acteurs de l'insertion, tout cela exige une volonté politique et des moyens nouveaux, dont nous ne voyons pour le moment pas trace.

Dans une surprenante interview commune avec la patronne du Medef publiée récemment dans le Figaro Madame, vous avez dit vouloir lancer le Grenelle de l'insertion pour briser les idées reçues. C'est là une ambition sans rapport ni avec l'exclusion elle-même, ni avec l’ampleur du problème. Mme Parisot, elle, a profité de cet entretien pour affirmer que les difficultés des personnes en situation d'exclusion proviennent d'un manque de confiance en elles… Mais c’est une réponse aux causes structurelles profondes de l’exclusion, une autre répartition des richesses qu'on est en droit d'attendre du Grenelle de l'insertion, ainsi que la levée des blocages juridiques qui entravent l’action des acteurs locaux.

Les régies de quartiers, par exemple, contribuent depuis vingt ans à l’amélioration du cadre de vie des quartiers populaires. À Gennevilliers, la régie de quartier du Luth emploie 25 personnes, dont 17 en parcours d'insertion. La réussite de ce parcours s’appuie sur un suivi individualisé, des formations, un apprentissage de savoir-faire et de savoir-être, des cours d'alphabétisation... bref, un travail en profondeur qui s'étale sur deux ans et qui peut être brutalement remis en cause par des difficultés de logement ou de santé. On est bien loin de la psychologie de comptoir de la patronne du Medef ! Or, depuis trois ans, les régies de quartiers réclament de pouvoir faire partie du dispositif social et fiscal des activités de services à la personne institué par la loi de juillet 2005. Tous les acteurs sociaux insistent en ce sens. À vous de lever cet obstacle à leur action.

Trop nombreux sont sans doute dans la majorité ceux qui versent, comme Mme Parisot, dans le psychologisme et qui veulent basculer d’un État assurantiel, qui protège les gens du chômage, à un État qui les pousse à reprendre n'importe quel emploi, au mépris de leur dignité et au risque de faire prospérer l’emploi sous-qualifié. Trop nombreux sont les partisans d'une approche idéologique et moralisatrice de l'exclusion. Dans ce contexte, Monsieur le Haut commissaire, si nous ne remettons pas en cause votre bonne foi, nous ne nous faisons guère d'illusion sur l'issue de votre entreprise, ni sur votre perméabilité aux thèses de ceux qui veulent enterrer le modèle social français. Nous redoutons que ce Grenelle ne participe en fait du patient travail de démolition des politiques sociales. Nous aurions sans doute accueilli avec plus d'enthousiasme une loi de programmation soutenue par une véritable volonté de lutte contre l'exclusion (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Laurent Hénart – Quand on l’interrogeait, il y a 140 ans, sur le programme de Belleville et ses objectifs en matière d’éducation, de santé ou de droits des vieux travailleurs, Léon Gambetta répondait qu’il était convaincu que « la forme l’emporte et résout le fond ». Parlons donc de la forme, de la façon de piloter la politique d’insertion qui résultera de ce Grenelle.

Vous avez parlé, Monsieur le Haut commissaire, de faire confiance aux acteurs locaux et de laisser de la place aux initiatives locales. C’est ce que vous avez déjà fait dans l’expérimentation du RSA ou du contrat unique d’insertion. Mais il est indispensable que l’État délègue réellement beaucoup de choses aux acteurs de terrain, organisés par des bassins d’emploi. On sait combien il est difficile d’enchaîner les emplois aidés, avec des statuts et des formations différents, sans perdre en cours de route ses droits à la santé ou au logement et en assumant ses charges familiales… Le Parlement peut certainement voter un texte sur la question, mais rien ne marchera jamais sans impulsion locale. Il faut que les acteurs locaux soient dégagés d’un carcan administratif trop sévère. Lorsque nous avons lancé le plan de cohésion sociale par exemple, avec des enveloppes pour les jeunes sans qualification accompagnés par les missions locales, le premier réflexe des administrations d’État a été de sortir un barème incroyablement précis qui ne laissait aucune latitude dans l’appréciation des coûts de transport, d’alimentation ou de garde des enfants, qu’on soit en Île-de-France, à Nancy ou à Brive-la-Gaillarde !

Vous avez aussi évoqué le fait que les contrats aidés ne permettent pas d’intégrer la formation, une phase de découverte, l’enchaînement des qualifications… Le contrat unique d’insertion devra organiser des étapes et la succession des employeurs, prévoir des rappels à l’ordre si les formations ne débouchent pas, intégrer une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences pour orienter les perspectives professionnelles des allocataires. Le seul échelon pertinent pour cela est le bassin d’emploi.

Vous avez enfin rappelé que ce sont des personnes, des situations individuelles qui sont concernées. Il est certes difficile de calculer les droits à formation et le temps de travail, mais il faut aussi prendre en compte les contraintes personnelles : la garde des enfants s’il s’agit d’une mère isolée, le transport s’il s’agit de quelqu’un qui n’a pas le permis, le lieu d’habitation… Il faut considérer les situations de manière globale, et tout faire progresser en même temps. Quelles que soient les bonnes intentions du législateur, la réalisation ne peut se faire que sur le terrain. C’est pourquoi la question de l’organisation de cette politique est si importante. Si elle ne se fait qu’à Paris, la notion d’employabilité ne sera plus une chance qu’on donne, mais un couperet qui tombe. Ce n’est que sur le terrain qu’on peut rapprocher les capacités des besoins existants, et qu’on peut transformer l’employabilité en utilité économique et sociale.

Je sais, Monsieur le Haut commissaire, que vous êtes déjà convaincu de l’importance de faire confiance aux acteurs de terrain. Le soutien des parlementaires vous permettra d’avancer en ce sens. Cette organisation des actions d‘insertion doit nous rassembler tous. En 1988, le RMI a été voté par des parlementaires de toutes sensibilités. En 1998, il en a été de même pour la loi contre les exclusions. Même si le Gouvernement a changé, votre initiative, qui ne néglige aucune des étapes de débat, de concertation et d’imagination, mérite d’être soutenue par tous les républicains de bonne volonté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 17 h 40, est reprise à 17 h 45.

M. Alain Joyandet – À propos d’un sujet qui nous passionne tous – du moins tous ceux qui sont présents… –, et puisque vous avez eu l’excellente idée de nous associer à votre réflexion avant toute chose, permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous faire part de mon expérience de terrain. Mettant à profit les dispositifs existants, j’ai voulu jouer le jeu de l’insertion par le travail dans ma ville, Vesoul – où 40 contrats d’avenir ont été signés, soit 10 % du nombre total de salariés de la collectivité -, notamment dans l’hôpital qui vient d’y être construit grâce à 70 000 heures d’insertion par le travail, dont certains bénéficiaires ont ensuite été embauchés par des entreprises de travaux publics. Cette expérience couronnée de succès montre qu’aucun combat n’est perdu d’avance, même s’agissant de personnes qui semblaient durablement, voire définitivement exclues de l’emploi.

Encore faut-il se donner les moyens du succès, en confiant à un même référent permanent la responsabilité des personnes concernées, ce qui témoigne du respect qui leur est porté et leur inspire confiance, et en préférant un système simple – tels les chantiers d’insertion – autant que souple à une usine à gaz impersonnelle. Car si le conseil général de la Haute-Saône m’a refusé la prorogation de ces contrats d’avenir – au motif qu’ils coûtaient trop cher au département et que leur expiration transférerait aux Assedic la charge de leurs anciens bénéficiaires –, c’est parce que la loi Borloo de 2005, dont j’étais co-rapporteur, est beaucoup trop complexe pour être appliquée – nous l’avions du reste signalé à l’époque.

Il est donc indispensable que chaque fonctionnaire, devenu « tuteur » permanent, ne s’occupe que d’un nombre limité de personnes : aujourd’hui, chaque salarié du service public de l’emploi est responsable de 100 à 150 personnes, contre 30 au Danemark ! De ce point de vue, la création annoncée d’un grand service public de l’emploi est une nécessité.

En outre, notre action doit être globale, car il n’existe qu’une différence de degré entre les chômeurs « normaux » et les plus éloignés de l’emploi. Tous les ministères doivent travailler ensemble en réunissant leurs moyens, car, contrairement à ce que l’on entend parfois, ce n’est pas en engageant des sommes supplémentaires que l’on obtiendra des résultats, mais bien en mutualisant et en utilisant de manière plus judicieuse les crédits disponibles.

Enfin, pour être plus efficace, l’application des dispositifs d’insertion – y compris le RSA – devrait reposer sur une relation directe entre l’État – qui fournit les moyens -, ses services déconcentrés, le futur grand service de l’emploi et les collectivités, sans passer par le conseil général.

Je vous remercie, Monsieur le Haut commissaire, de nous laisser le temps du débat et de la réflexion, qui sera fructueuse si elle nous réunit tous, à droite comme à gauche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise Branget – Permettez-moi, Monsieur le Haut commissaire, un constat brutal, à l’image du vôtre : notre pays est en mal d'insertion. Ce mal frappe les chômeurs de longue durée comme les jeunes sortis du système sans formation. Il est donc temps que notre politique d'insertion fournisse à chacun les moyens de trouver – ou de retrouver – sa place dans la société par l’accès à un emploi stable. Il s’agit là d’un véritable défi.

Tout d'abord, l'insertion des adultes suppose une bonne reconversion professionnelle. Or les personnes réduites au chômage par des mutations économiques – dont l’actualité nous fournit trop d’exemples –, et qui doivent acquérir de nouvelles compétences afin de trouver un nouvel emploi, sont contraintes à un véritable parcours du combattant – vous avez vous-même employé l’expression. Elles doivent d’abord trouver une formation appropriée, qui leur permettra d'accéder à un emploi là où le besoin s’en fait sentir ; mais la profusion des organismes de formation risque de les plonger dans la confusion. Elles sont ensuite contraintes à des délais d’attente beaucoup trop longs –ils atteignent parfois dix-huit mois. Or plus le temps passe, plus leur énergie et leur volonté s’érodent, plus elles sortent du système et moins elles ont de chances de retrouver rapidement un emploi. Il est donc indispensable de repenser notre politique de reconversion professionnelle, ses méthodes, ses objectifs et surtout son financement, et de la simplifier afin d’en assurer la clarté. Vous l’avez dit, Monsieur le Haut commissaire : c’est l’un des objectifs de ce Grenelle.

Quant à l’insertion des jeunes, elle dépend de leur employabilité. Or bien des jeunes quittent l'école sans bagage minimal, sans aucune idée des exigences de ponctualité, de rigueur, de responsabilité propres au monde du travail. Aucun employeur ne leur donnant par conséquent leur chance, certains entrent hélas dans l'engrenage de la marginalisation, des économies parallèles, des trafics ou de la délinquance. Nous devons donc faire en sorte de « récupérer », avant qu’il soit trop tard, ces jeunes sortis du système scolaire.

Or voici une bonne nouvelle : le dispositif dont nous avons besoin existe déjà et a abondamment fait ses preuves. Créé en 1961 par Michel Debré pour faire face à une situation d'urgence sociale dans les départements et territoires d'outre-mer, le SMA – service militaire adapté –, qu’a évoqué tout à l’heure Mme Bello, a été transposé en métropole en 2005 sous la forme du « dispositif deuxième chance » – D2C –, qui propose à la fois une formation comportementale, une remise à niveau scolaire et une formation professionnelle.

Rapporteure des missions d'information sur le SMA puis sur le D2C, j'ai été frappée par l'enthousiasme que ces dispositifs suscitent chez les jeunes, auxquels ils permettent de prendre pleinement part à leur insertion sociale et professionnelle.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – Très juste.

Mme Françoise Branget – Eux qui se plaignent de manquer de repères sont ainsi soutenus de manière exigeante et solide. En outre, selon les premiers résultats disponibles, 70 % d’entre eux parviennent à se réinsérer à l'issue de la formation fournie par le D2C. Le dispositif est malheureusement mis à mal faute de financement, alors que l’on pourrait mettre à profit les contributions versées au titre de la formation professionnelle par les entreprises – qui embaucheront ensuite ces jeunes et accepteraient même d’assurer les formations nécessaires.

Comme le SMA, qui, outre-mer, a offert une deuxième chance à quelque 100 000 jeunes depuis plus de quarante-cinq ans, le D2C est un gage de sérieux ; sans être la solution miracle à toutes les difficultés d’insertion, c’est une solution disponible qui mérite d’être mise à profit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise Hostalier – L’exercice est difficile, tant il y a à dire ! Permettez-moi tout d’abord, Monsieur le Haut commissaire, de vous féliciter de votre démarche et de vous remercier d’avoir voulu entendre les acteurs de terrain, puis la représentation nationale, avant de déterminer les orientations et les mesures permettant de relever le défi de l’intégration sociale des plus démunis.

Nul n’ignore qu’en la matière, la bonne volonté ne suffit pas : malgré des efforts considérables – quoi que l’on en dise –, les associations, les collectivités et l'État ne parviennent pas à assurer l'insertion sociale des personnes en difficulté. Pire, la précarité touche désormais de nouveaux publics : les jeunes, les femmes – souvent avec enfants –, les personnes de plus de cinquante ans, et des personnes qui, sans être dépourvues de capacités, sont en quelque sorte des accidentés – voire des traumatisés – de la vie. Or les différents dispositifs censés leur permettre de trouver ou de retrouver un emploi ou un statut social en tiennent rarement compte. Comment prendre le temps de se remettre d’un accident, comment éviter de remarcher trop rapidement afin de ne pas rechuter, dans une société où tout va vite, où seules comptent la réussite et l'excellence, et qui est de plus en plus complexe ?

Les tracasseries administratives, les critères d'éligibilité aux multiples contrats, ce parcours du combattant, ce cercle vicieux entre le logement qu’il faut avoir pour trouver un emploi et vice-versa, sont une cause supplémentaire d'exclusion. Tout a été dit sur cette succession de contrats précaires censés permettre le retour à l'emploi mais trop souvent détournés de cet objectif. Régulièrement, on en change l'habillage, mais l'issue reste la même à l'épuisement des renouvellements : le chômage ou le RMI – sans le « I » !

Ce qui manque à tous ces dispositifs, c'est l'accompagnement social dans la durée. Il y a deux ans, j'avais rédigé un rapport sur la polygamie en France. Les associations travaillant à l'accompagnement des femmes dans le cadre de la décohabitation m'avaient expliqué qu'il fallait entre trois et cinq ans pour stabiliser une famille. Les politiques de reconstruction humaine prennent du temps.

Il faut aussi faire attention à ne pas tromper les gens. Je me souviens d'un jeune qui avait décroché un emploi jeune dans un collège. Comme beaucoup d'autres, il n'avait pas été accompagné pendant ce contrat dont il était sorti sans qualification ni perspective, ayant perdu toute confiance en lui et dans la société. « Ils m’ont jeté, je ne vaux rien ! » m’avait-il dit alors.

Quel que soit le type de contrat mis en place, il doit être simple pour tous les acteurs – employeurs, associations, bénéficiaires – et durable, voire définitif pour certains. Il faut un accompagnement adapté, de la souplesse, du « sur mesure », et surtout des passerelles avec les dispositifs de formation et de qualification de droit commun pour ne pas « ghettoïser » les personnes qui suivent un parcours d'insertion.

Mais mieux vaut prévenir que guérir. Là aussi, sachons faire preuve d'imagination. Prévenir l'exclusion, c'est par exemple aider une entreprise à adapter son personnel ou son outil de production au lieu de recourir au licenciement. C’est aussi développer des activités réputées « non rentables », mais qui offrent du travail à des personnes non qualifiées. On a supprimé les poinçonneurs dans le métro, les pompistes, les concierges : réinventons des activités de proximité ! C’est enfin tout faire pour empêcher le décrochage scolaire, d'abord en aidant les parents – car si le système éducatif a sa part de responsabilité dans l'échec scolaire, la démission des parents et de la société en sont les premières causes.

Il faut également prévenir le décrochage social. Les gouvernements qui se sont succédé ces quinze dernières années ont tous essayé de conduire des actions d'insertion sociale. Cela aurait sans doute été pire s’ils ne l’avaient pas fait, mais force est de reconnaître que la situation s'aggrave. C’est la cohérence dans les actions qui a fait défaut. Je ne voudrais pas que le Gouvernement persiste dans cette dérive. On entend parler d'un plan Marshall pour les banlieues, de lutte contre l'échec scolaire, du retour à une police garantissant la sécurité dans les zones urbaines sensibles, de mettre la culture à la portée de tous, d'une politique du logement sans précédent… Si ces politiques sont menées séparément, des millions d'euros risquent encore d’être dépensés pour rien. Mais si elles sont menées en complémentarité et focalisées sur l'insertion sociale des personnes dans le respect des valeurs de la République, alors elles se renforceront les unes les autres, et tous seront gagnants, à commencer par ceux de nos concitoyens les plus en difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Valérie Rosso-Debord – Notre politique d’insertion doit se fonder sur la dignité reconnue à chaque personne, car chacun doit trouver sa place dans notre société. Pouvoir vivre des revenus de son travail est – avec la santé, le logement et l’éducation – un des éléments de cette dignité. Notre société a donc adapté le marché du travail pour que le handicap, la maladie ou l’accident n’empêchent pas l’activité, l’État garantissant un égal accès de tous aux dispositifs d’insertion sociale. Nous privilégions d’autre part, depuis trente ans, un traitement social du chômage. La segmentation des prises en charge a conduit à créer des catégories de chômeurs, et les personnes les plus éloignées de l’emploi ont cédé à la résignation. C’est cette résignation que vous refusez en vous attelant à une réflexion pragmatique afin de garantir, au-delà de la compassion, la réussite du parcours d’insertion.

Regardons la réalité en face. On nous dit que certains bénéficiaires de minima sociaux seraient inemployables – mot détestable. Ou bien ils souffrent d’un handicap, et ils doivent être reconnus comme tels, ou ils sont employables et il faut mettre en œuvre un accompagnement individualisé pour leur permettre d’accéder à un emploi ou à une activité. On nous dit encore que l’insertion de ces personnes ne pourra se faire que par des contrats aidés dans des associations ou des services publics. Mais nous ne réussirons pas cette insertion sans l’implication des entreprises. Cette ambition doit être portée par un acteur local. Aux communes, aux intercommunalités, ou à défaut au département, de proposer un maillage territorial performant ! Ils devront ensuite rendre compte de l’efficacité de leur action à l’État. Ce processus a déjà été initié avec les maisons de l’emploi. Pourquoi ne pas l’amplifier pour relever le défi d’une politique de solidarité active ? Cette action volontariste doit déboucher sur une offre d’insertion prenant en compte les réalités de chacun des territoires. Il nous faut pour cela conduire un travail transversal intégrant aussi bien le projet pour la ville que la rénovation des équipements commerciaux, l’accueil en crèche ou le désenclavement de certains territoires.

Tout cela exige des moyens, mais nous ne devons pas reculer pour autant : l’installation durable dans la précarité, gâchis humain, a aussi un coût. Pourquoi ne pas réduire les charges sociales des entreprises sur les heures consacrées à l’encadrement des personnes en voie d’insertion, ou concentrer sur ces personnes l’essentiel des moyens de formation ?

Il faut également fixer des rendez-vous réguliers d’évaluation. Réussir le parcours d’insertion suppose d’aider jusqu’au bout ceux qui ont besoin d’un tremplin pour rejoindre le marché du travail et de les suivre dans la durée.

Je vous remercie pour ce débat, Monsieur le Haut-commissaire, en regrettant que nous n’ayons pas été plus nombreux à y participer. Vous êtes sur la bonne voie, et nous vous suivrons jusqu’au bout (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Martin Hirsch, haut commissaire – Il y a dans chacune de vos interventions des choses qui nous seront utiles pendant ce processus de quelques mois. Ce débat au Parlement m’a cependant réservé quelques surprises. Ce matin, des sénateurs de gauche me disaient que je tenais un discours de gauche ; ici, il devient ultra-libéral ! Cela montre au moins qu’on doit pouvoir arriver à un équilibre entre le social et l’activité (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)…

M. Sirugue nous dit que le RSA est porteur d’un certain nombre de risques. Nous le savons, puisque c’est un compromis. C’est pourquoi ses concepteurs ont bien dit qu’il devait être mis en œuvre dans le cadre d’une négociation sociale qui s’ouvre tout juste. Pour la première fois, les partenaires sociaux – y compris la présidente du MEDEF – se penchent ensemble sur la question de la précarité.

M. Sirugue nous reproche aussi d’aller trop vite. Mais si l’on ne veut pas laisser subsister d’inégalités entre travailleurs pauvres et allocataires de minima sociaux, il faut franchir les étapes suivantes le plus rapidement possible, tout en donnant aux départements la possibilité d’adapter leurs dispositifs propres.

Mme Bello souhaite maintenir à la fois le RMI et le RSA. Ce n’est pas un gage de simplification ! J’espère convaincre dans quinze jours La Réunion – qui organise un Grenelle local de l’insertion – qu’on peut remplacer le premier par le second.

M. Vercamer nous a donné une esquisse précieuse de ce que pourrait être le contrat unique d’insertion. M. Cardo a insisté sur le lien nécessaire entre les entreprises d’insertion – qu’il connaît bien – et les entreprises classiques. Ce sera utile au groupe qui travaille sur les obligations des employeurs.

Le président Méhaignerie a rappelé que les dépenses sociales se chiffrent en milliards d’euros – on est loin des 30 millions de l’expérimentation du RSA – et qu’il était possible de les réorienter vers l’insertion. Il faut avoir pour cela une démarche d’objectifs. C’est ce que nous ferons dans un cadre contractuel avec l’agglomération de Vitré, qui est décidée à tenter de réduire d’un tiers la pauvreté en deux ou trois ans – au lieu des cinq que s’est donnés l’État.

M. Cuvillier s’est interrogé sur la cohérence de notre démarche. Si nous faisons un Grenelle de l’insertion, c’est parce que les acteurs de l’insertion l’ont demandé. Nous avons décidé de traiter d’abord de l’insertion professionnelle et de l’accompagnement social. A nous d’interrompre la démarche ou de l’étendre à d’autres thèmes en fonction du résultat.

M. Mamère cherche le lien entre le Grenelle de l’environnement et celui de l’insertion. Je lui répondrai qu’à eux deux, ils font le Grenelle du développement durable ! Ce n’est pas une figure de style : les emplois d’insertion sont souvent créés dans le secteur de l’environnement.

M. Soisson a rappelé les enjeux de la formation professionnelle – qu’il connaît fort bien. Il nous a redit qu’une partie des 26 ou 27 milliards de la formation professionnelle pouvaient être consacrés aux personnes qui en ont le plus besoin.

M. Muzeau a relayé un certain nombre de critiques que j’entends depuis quelques mois, en opposant les quelques dizaines de millions consacrés au RSA aux milliards investis ailleurs. J’affirme pour ma part que si l’expérimentation fonctionne, nous pourrons obtenir les sommes nécessaires à la généralisation du dispositif, car tout le monde sera convaincu de la nécessité de cet investissement.

M. Hénart a évoqué la gouvernance, question qu’il connaît bien puisqu’il préside, avec M. Sirugue, le groupe de réflexion sur ce sujet tout à fait essentiel. En effet, si nous ne parvenons pas à faire émerger une nouvelle gouvernance, nous retomberons dans le saucissonnage ; les communautés d’agglomérations voudront être l’épicentre du système, les départements le barycentre, les régions le centre, et l’État voudra garder la main sur le tout.

M. Joyandet a eu raison de rappeler que les préoccupations de terrain devaient être à l’origine des dispositifs.

Mme Branget a souligné l’importance de « Deuxième chance ». L’Établissement public qui est en charge de ce dispositif figure dans les groupes de travail du Grenelle.

Mme Hostalier a bien fait d’insister sur l’importance de la prévention.

Quant à Mme Rosso-Debord, elle a justement évoqué la notion d’employabilité, et souligné l’importance de l’évaluation dans la mise en place de politiques efficaces et globales.

Si les politiques d’insertion montrent leurs limites et doivent évoluer, vous avez tous fait part d’une certaine exigence de stabilité. Il ne faut pas changer sans cesse les règles. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons, non pas de substituer un dispositif à l’autre, un sigle à l’autre, mais, à partir des contrats existants, de faire – localement – du sur-mesure. L’ensemble des acteurs de l’insertion nous disent avoir besoin de ce contrat unique.

Vous avez voulu me convaincre que le chemin serait difficile. J’en étais convaincu. Vous avez voulu me convaincre de votre engagement. Je sais plus que jamais pouvoir compter sur votre soutien. J’espère que nous serons à la hauteur de vos attentes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Le débat est clos.

ACCORD FRANCE-SURINAME SUR LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE EN MATIÈRE POLICIÈRE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname, relatif à la coopération transfrontalière en matière policière.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme – La Guyane française possède 1 250 kilomètres de frontières, dont 520 avec le Suriname : les échanges frontaliers sont donc nombreux. Bénéficiant du niveau de vie le plus élevé du continent, la Guyane exerce un pouvoir d'attraction important pour les populations du continent sud-américain. Composé de nombreux fleuves, forêts et côtes, le territoire est particulièrement perméable et propice à une immigration clandestine d'envergure ainsi qu'aux trafics les plus divers. Dans ces conditions, une délinquance importante s'est développée en Guyane mettant en cause notamment, mais non exclusivement, des ressortissants du Suriname.

En 1999, l'inscription du Suriname dans notre Zone de solidarité prioritaire avait déjà permis de développer une coopération dans le domaine de la sécurité intérieure. L'ouverture d'une délégation du Service de coopération technique internationale policière en octobre 2006 a encore renforcé notre dispositif, mais, pour répondre aux besoins exprimés par les autorités du Suriname comme dans notre propre intérêt, il était nécessaire de recentrer nos efforts sur les problématiques transfrontalières. C'est tout le sens de l'accord franco-surinamien relatif à la coopération transfrontalière en matière policière, signé à Saint-Laurent-du-Maroni, le 29 juin 2006, qui organise la coopération policière transfrontalière sous forme de patrouilles conjointes, de détachements d'agents de liaison et de mise en œuvre d'une coopération directe. Dans la mesure où le Suriname ne dispose pas d'une législation suffisamment protectrice des données personnelles, cet accord ne prévoit pas d'échanges d'informations nominatives.

Le domaine d'application du présent accord comprend le fleuve Maroni, ainsi qu'une bande de deux kilomètres sur chaque rive du fleuve. La coopération policière permettra de faciliter la lutte contre la criminalité et la délinquance transfrontalière, notamment en coordonnant la surveillance de la zone frontalière. L’accord vise également la préparation et l'exécution d'opérations de remise d'étrangers en situation irrégulière, prévues par l'accord franco-surinamien de réadmission de personnes en situation irrégulière signé à Paris le 30 novembre 2004. Enfin, la coopération directe des chefs d’unités visera l'échange de données statistiques et de données non personnelles, ainsi que l'élaboration de modes communs d'intervention, complétés par des échanges de savoir-faire.

La mise en œuvre de cet accord conférera une base juridique indispensable au renforcement de la coopération transfrontalière, essentielle à la sécurité intérieure de la Guyane (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Jacques Guillet, suppléant M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur de la commission des affaires étrangères J'ai l'honneur de suppléer M. Roubaud, rapporteur du présent projet de loi, qui vous prie d’excuser son absence.

Le Sénat a adopté le 19 décembre le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre la France et le Suriname relatif à la coopération transfrontalière en matière policière, signé à Saint-Laurent-du-Maroni, le 29 juin 2006.

Le Suriname, indépendant depuis 1975, partage une frontière de 520 kilomètres avec la Guyane, le long du fleuve Maroni. Si la coopération entre la France et le Suriname comporte différents volets, notamment dans le domaine de la santé, la sécurité reste la pierre angulaire de nos relations. Il est en effet indispensable de mieux maîtriser les mouvements migratoires et les flux de marchandises diverses, licites ou non, qui traversent cette frontière. De part et d'autre du Maroni vit une même population, qui s'est toujours refusée à voir dans le fleuve autre chose qu'une voie de circulation, tandis que la faiblesse de l'État surinamais ne lui permet pas d'assurer le plein contrôle de sa frontière.

Un accord de réadmission a été signé le 30 novembre 2004 à Paris et ratifié par la France en décembre 2005, mais les autorités surinamaises se refusent à l’approuver pour des raisons de politique intérieure. Toutefois, cela n'a pas empêché 3 599 éloignements de ressortissants surinamais en situation irrégulière en 2006, et 2 457 de janvier à juin 2007.

Alors que le volet institutionnel de la coopération bilatérale en matière de sécurité contribue à la modernisation de l'administration de la justice, des services chargés de la prévention et de la lutte contre la criminalité et les fraudes – dans le respect des libertés publiques – l'accord de coopération transfrontalière en matière de police vise à renforcer le volet opérationnel de la coopération bilatérale dans ce domaine.

Cet accord a un champ d'application limité : il concerne exclusivement les forces de police – et de gendarmerie, côté français – compétentes dans l'arrondissement de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, et dans les districts de Marowijne et Sipaliwini, situés le long du fleuve, côté surinamais. Il n’est applicable que dans la zone frontalière, composée du fleuve lui-même et d'une bande d’une largeur de 2 kilomètres de part et d'autre du Maroni.

Cette coopération transfrontalière vise à «prévenir les faits punissables et à faciliter la lutte contre la criminalité et la délinquance transfrontalières ». Trois formes de coopération sont distinguées : les patrouilles conjointes, le détachement d'agents et la coopération directe. Dans tous les cas, ne sont autorisés à procéder aux actes de police que les agents de l'État sur le territoire duquel ils se trouvent, tandis que ceux de l'autre État se cantonnent à un rôle d’observateur ou à des fonctions de coordination.

La coopération directe peut consister en des échanges d'informations statistiques, mais pas de données nominatives, le Suriname étant dépourvu d’une législation de protection des données personnelles.

L'accord met aussi l'accent sur la nécessité d’une formation linguistique appropriée. En effet, la barrière majeure à toute coopération directe entre les services de police français et surinamais reste la langue. Si certains agents de la police militaire et de la police judiciaire du Suriname suivent des cours à l'Alliance française de Paramaribo, et si la plupart d'entre eux sont capables de travailler en anglais, ce n'est que rarement le cas des agents français. Il serait dans notre intérêt de renforcer les formations linguistiques bénéficiant aux fonctionnaires de police et des douanes en poste en Guyane.

J’ajoute que la coopération prévue par l’accord se déroulera dans le respect de la souveraineté des États. L’article 2 de l'accord stipule ainsi qu’elle s'exercera sans préjudice des conventions internationales liant les États parties et de leur droit interne, et l’article 9 autorise chacun des États à refuser sa coopération ou à la soumettre à certaines conditions si elle risque de nuire à sa souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public, aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire et à d'autres intérêts essentiels de l'État, ou bien encore de restreindre son droit national.

Étant donné l'ampleur des mouvements migratoires illégaux entre la Guyane et le Suriname, le renforcement de la coopération policière est absolument nécessaire pour l’équilibre même de la Guyane, au même titre que l’application de l’accord de réadmission qui a été signé. La France a ratifié ce dernier texte et pourra approuver l'accord de coopération transfrontalière dès que le présent projet de loi aura été adopté, mais la partie surinamaise ne semble pas prête à faire de même. Je souhaite donc que la prochaine visite du Président de la République en Guyane soit l'occasion de rappeler l'importance de ces deux accords et de surmonter le blocage actuel.

La commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi, et je ne peux que vous recommander d’en faire autant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Thierry Mariani – Pour son travail, je veux féliciter le rapporteur, M. Roubaud, qui est excellemment représenté ici par M. Guillet.

Adopté par le Sénat le 19 décembre dernier, le projet de loi autorisant l'approbation de cet accord entre la France et le Suriname permettra de renforcer les moyens mis au service de la lutte contre la délinquance transfrontalière dans une zone où la France et le Suriname partagent plus de 500 kilomètres de frontières le long du fleuve Maroni.

Au nom du groupe UMP, je me félicite que ce projet de loi vienne en discussion, car il contribuera à limiter l'économie transfrontalière clandestine et le pillage des ressources, tout en favorisant les échanges commerciaux entre la France et le Suriname.

Ce pays a gardé des liens étroits avec les Pays-Bas, son ancienne puissance coloniale, mais les relations bilatérales ont longtemps été limitées avec la France en dépit d’une très longue frontière commune. Après avoir été gelées, notamment en raison de la guerre civile qui s’est déroulée dans l'est du Suriname en 1986, nos relations se sont progressivement intensifiées depuis le début des années 1990. Elles demeurent toutefois insuffisantes en matière frontalière.

Le Suriname s’est engagé dans un processus démocratique, mais la différence de situation économique et sociale entre ce pays et la France explique que la population surinamaise soit tentée par l'immigration clandestine. Il y aurait ainsi 40 000 étrangers en situation irrégulière sur le sol guyanais. La faiblesse de l'Etat au Suriname limite également le contrôle des mouvements transfrontaliers et des activités économiques qui les accompagnent.

La géographie de la Guyane, délimitée par de longues frontières fluviales qui sont difficilement contrôlables, ainsi que la richesse de son sous-sol, exposent en outre ce département français à des formes particulières de criminalité transfrontalières, notamment l'orpaillage sauvage. Près de 15 000 clandestins pratiqueraient ainsi l'orpaillage à l'intérieur du département, et 25 000 d’entre eux opéreraient sur le littoral. Représentant de 100  à 200 millions d'euros par an, cette activité clandestine alimente insécurité, pollution et risques sanitaires.

La Guyane connaissant par ailleurs des difficultés sociales et économiques notables, nous ne pouvons en aucun cas tolérer qu’une activité illégale et clandestine dégrade encore la situation. Les moyens juridiques de la coopération policière aux frontières avaient déjà été renforcés par la signature, le 25 octobre 2000, d'un accord visant à la répression des infractions douanières, mais il restait encore beaucoup à faire.

Lors du conseil des ministres qui s’est tenu le mercredi 31 janvier 2007, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a présenté le bilan de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière outre-mer. Les résultats sont encourageants : près de 24 000 étrangers en situation irrégulière dans l’outremer ont ainsi fait l'objet d'une mesure d'éloignement en 2006

Les efforts ont tout d’abord visé à renforcer les moyens disponibles : augmentation de près de 45 % des effectifs de la police aux frontières en Guyane et de 30 % en Guadeloupe ; implantation de vedettes supplémentaires à Mayotte et installation de radars de surveillance maritime ; renforcement des moyens de la gendarmerie nationale et participation accrue des forces armées, en particulier en Guyane et à Mayotte.

Le droit applicable a en outre fait l’objet de mesures d’adaptation : le titre VI de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a ainsi prévu, dans certaines collectivités d'outre-mer, des mesures spécifiques destinée à renforcer l'efficacité des services de police et de gendarmerie et à dissuader l'immigration irrégulière. Ces dispositions amplifient les résultats obtenus grâce à l'application des lois du 26 novembre 2003 et du 10 décembre 2003 sur l'immigration, mais aussi grâce à la mobilisation des services et au renforcement des moyens opérationnels.

La France s’est enfin engagée dans une action diplomatique visant à obtenir la coopération des principaux pays dont les migrants sont originaires. Un accord de réadmission avec la République dominicaine a notamment été signé.

L'objectif est aujourd’hui de renforcer ces efforts en limitant l'économie transfrontalière clandestine tout en favorisant les échanges commerciaux. Je rappelle que la France est déjà liée à plus de 20 États par des accords de coopération en matière d'affaires intérieures ou de sécurité intérieure. L'accord dont nous débattons a un champ plus limité que d’autres puisqu'il est strictement cantonné à la coopération policière – patrouilles conjointes, détachement d'agents ou coopération directe.

La souveraineté nationale de chaque État sera préservée, l'article 2 stipulant que la coopération s'exerce dans le respect de la souveraineté nationale et du rôle des autorités administratives et judiciaires territorialement compétentes, sans préjudice du droit interne des Etats parties. L'article 9 permet également à chaque État de refuser sa coopération si celle-ci est susceptible de nuire à sa souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public, aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire ainsi qu’à d'autres intérêts essentiels de l'État, ou bien de restreindre son droit national.

J’observe que si l'article 3 autorise un agent étranger à participer sur le sol français à une patrouille conjointe, il n'y participera qu'en tant qu'observateur et ne pourra donc effectuer des actes de police impliquant l'usage de la contrainte et pouvant conduire à une privation de liberté.

Il est enfin prévu que le régime de responsabilité des agents participant à la coopération transfrontalière sera celui du territoire sur lequel l'opération se déroule, sauf si le régime de la partie d'origine offre plus de garanties – exception qui devrait être favorable aux agents français détachés au Suriname.

Cet accord entre le Gouvernement de la République française et celui de la République du Suriname offre un cadre juridique aux besoins quotidiens de coopération entre les forces de sécurité de part et d'autre du fleuve Maroni, et il s'inscrit dans un contexte de renforcement des moyens de lutte contre une criminalité transfrontalière très spécifique. C'est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter le présent projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Chantal Berthelot – L’accord franco-surinamien de coopération transfrontalière en matière policière se donne un objectif limité : lutter contre la criminalité et la délinquance grâce à des patrouilles conjointes dans la zone frontalière comprenant le fleuve Maroni et une bande de deux kilomètres sur chaque rive du fleuve.

Les besoins quotidiens de coopération auront donc un cadre juridique ; j’en prends acte. Compte tenu de l’ampleur du banditisme et des trafics en tous genres, beaucoup dépendra toutefois de la volonté politique et des moyens qui seront réellement déployés. La drogue, les armes et la contrebande circulent en toute impunité le long du fleuve Maroni, que les orpailleurs illégaux utilisent comme voie de passage après s'être ravitaillés dans la ville d'Albina.

J'aurais souhaité que la lutte contre l'orpaillage illégal figure dans les objectifs de cet accord, au même titre que la lutte contre la criminalité et la délinquance. En effet, nous devons impérativement éradiquer ce fléau qui a provoqué une véritable catastrophe humaine et écologique à cause de l’emploi du mercure. C'est une source d'insécurité, de pollution et de problèmes sanitaires graves pour les populations concernées, notamment celles du Haut Maroni. J’espère que le Président de la République profitera de sa visite en Guyane, au mois de février prochain, pour visiter les villages qui sont constamment aux prises avec les orpailleurs clandestins, lesquels n’hésitent pas à utiliser des armes à feu. J’espère qu’il viendra constater lui-même la situation sanitaire déplorable qui y règne.

J’ai personnellement alerté Mme la ministre de l'intérieur sur l'étendue des zones de non-droit qui existent en Guyane, où l'État n'assume pas son rôle de protection des biens et des personnes. Ce n'est pas une fatalité, comme le montre le déploiement des forces qui assurent la sécurité du centre spatial européen de Kourou. Il est grand temps d’éradiquer l’orpaillage en passant enfin des paroles aux actes : la cohésion et la survie de la Guyane en dépendent.

Implantés historiquement de part et d'autre de la frontière, des groupes ethniques traversent le fleuve Maroni en permanence, ce qui pose un problème migratoire d’autant moins aisé à contrôler que l’état civil est défaillant dans la zone du Maroni. La solution n'est pas de traiter ces personnes comme des clandestins et de faire du chiffre en matière de reconduite à la frontière : 60 % des intéressés sont déjà connus des forces de police et il arrive qu'une même personne soit reconduite à la frontière huit fois par an ! Il serait plus pragmatique de réfléchir à l'établissement d'un statut frontalier pour ces populations, à l'instar de ce qui existe en France continentale.

Une réponse sécuritaire adéquate est indispensable, mais elle ne suffira pas si elle ne s’accompagne pas d'une approche globale des données géopolitiques de l'environnement régional. La Guyane française bénéficie d'une certaine prospérité par rapport à ses voisins, même si elle reste sous-développée à bien des égards et souffre de difficultés socio-économiques chroniques. On ne pourra définitivement mettre un terme aux fléaux qui frappent aujourd’hui la Guyane sans mener en amont une action multiforme en direction de nos voisins, le Suriname et les États du Nord du Brésil. Il faudrait ainsi instaurer une véritable politique de coopération dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la formation et de l'économie... Le présent accord n’est qu’un tout petit pas en direction d’une politique de coopération d'envergure.

Un mot enfin sur le litige frontalier entre la France et le Suriname. N’ayant obtenu aucune réponse du ministre des affaires étrangères sur ce sujet, je profite de ce débat pour vous interpeller, Madame la ministre. Concernant une zone située dans le sud-ouest de la Guyane, le long du fleuve Litani, ce litige dure depuis plusieurs décennies, et les pourparlers avec le Suriname ont été interrompus en 1981. Suite à des incidents récents, le président du Suriname a proposé de reprendre les discussions pour régler définitivement ce litige. Qu’attend la France pour donner suite à sa demande ?

Le Surinam n’a pas ratifié l’accord de 2004. Ratifiera-t-il celui de 2006 ? Plutôt que de considérer le Suriname comme un pays sous-développé en marge de la démocratie, il faudrait sans doute mener avec ce pays une coopération globale. Outre les enjeux frontaliers, à travers les liens socio-économiques et culturels entre la Guyane et le Suriname, c’est la crédibilité de la politique française en Amérique du sud qui est en jeu. Je compte sur vous, Madame la ministre, pour transmettre ce message au ministre des affaires étrangères et au Président de la République qui devrait séjourner en Guyane en février 2008.

Mme Christiane Taubira – Cette convention, de nature classique, présente l’intérêt d’établir un cadre pour des interventions de police coordonnées à la place des actions ponctuelles, ce qui permettra un suivi et une évaluation. En remédiant aux risques visés aux articles 2 et 9, elle nous offrira aussi une chance de régler une fois pour toutes le litige fluvial. Enfin, sans le viser nommément, elle contribuera à lutter contre l’orpaillage clandestin car le reste de la criminalité y est souvent lié.

Mais d’abord, il me semble que présenter, dans le rapport, le Suriname comme un petit pays relève d’une condescendance qui peut nuire, même si elle n’est pas intentionnelle. Après tout, ce petit pays est quatre fois plus grand que son ancienne métropole, les Pays-Bas, et même s’il est 86e pour l’indice de développement humain, sa population est aussi alphabétisée que celle de la Guyane. Au passage, je voudrais faire justice du mythe selon lequel la Guyane aurait le niveau de vie le plus élevé du continent – qu’on pense au Brésil, pays industriel de 170 millions d’habitants, au Venezuela ou à l’Argentine.

La convention que nous examinons établit donc un cadre pour l’intervention coordonnée de la police et de la gendarmerie. Ce n’est certes que sur une bande de 2 km de part et d’autre du Maroni, mais bien entendu, il faudra s’intéresser à toute la criminalité qui se diffuse de part et d’autre, et donc, par la force des choses, à la criminalité aurifère, c’est-à-dire aux délits de droit commun liés à une économie interlope – trafic de médicaments, de drogue, d’armes, prostitution – ainsi qu’à la délinquance économique entourant le trafic d’or, l’importation du mercure, d’usage illégal depuis janvier 2006, l’importation de carburants et d’équipements, le convoyage illégal de fonds et l’importation hors douane de biens de consommation. Les deux pays ont intérêt à combiner leurs efforts dans ce domaine. Voilà une dizaine d’années que je demande que la question des flux migratoires ne soit plus confiée au seul ministère de l’Intérieur mais aussi à celui des affaires étrangères, car la chasse à l’homme et au garimpeiro n’est pas acceptable, ni même efficace.

Le présent accord lève l’obstacle que constituait la convention de Vienne de 1961. Il ne règle pas toutes les questions. Certaines paraissent sans conséquences, mais le trafic de carburant par exemple prive la Guyane de ressources fiscales, et il appauvrit aussi le Suriname car ce producteur de pétroles lourds doit réimporter des carburants raffinés au Venezuela et à Trinidad pour alimenter la contrebande. La vente de l’or au comptoir nuit également à l’économie des deux pays, alors même que l’or, qui a atteint 900 dollars l’once la semaine dernière, devient une valeur refuge. Enfin, l’utilisation du mercure a des conséquences sur la santé publique et la chaîne alimentaire pour les populations. Il ne sert à rien de courir après les délinquants et les malades. Il faut s’attaquer aux causes de cette situation et mettre un terme au pillage de la ressource, au saccage de la forêt amazonienne, à la détérioration du réseau hydrographique et aux désordres sociaux, où triomphe la loi du plus fort.

Les articles 7 et 9 prévoient une formation générale et linguistique de forces de l’ordre. Les deux pays étant de cultures juridiques différentes, il faudra aussi prévoir une formation dans ce domaine. Les problèmes ne peuvent être réglés par de simples patrouilles conjointes. Le Gouvernement doit nous dire quels objectifs il se fixe, quels moyens et quels calendrier il se donne pour obtenir des résultats. Faute de cela, nous ne ferons qu’adopter un texte de plus sans mettre fin à l’impuissance qui entretient un sentiment d’impunité lucratif.

La discussion générale est close.

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur – Mme Taubira parle de condescendance à l’égard du Suriname. Le rapport relève seulement que c’est le plus petit État d’Amérique du sud – simple constat de fait.

Mme Christiane Taubira – Lorsque je lis à la fin du premier paragraphe que « la France apporte son aide à ce petit pays », j’y vois de la condescendance.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État – Nous n’avons aucune condescendance, et nous avons même beaucoup de respect pour le Suriname, État avec lequel nous collaborons d’égal à égal.

S’agissant de la lutte contre l’orpaillage clandestin, les opérations Anaconda menées récemment par la gendarmerie prouvent notre détermination. C’est pour améliorer encore le dispositif que nous souhaitons l’adoption de l’accord de 2006 qui prévoit la mise en place de patrouilles conjointes avec le Suriname.

Quant au litige frontalier, qui est à la fois maritime, fluvial et terrestre, la France a fait depuis 1978 des propositions au Suriname – en vain. Ce pays s’étant inquiété des opérations que nous menions pour mettre fin à l’orpaillage clandestin, nous en avons profité pour relancer le dialogue sur le litige frontalier. Notre ambassadeur à Paramaribo a reçu pour instruction de proposer aux autorités du pays une réunion de travail sur le litige maritime, et à cette occasion, le litige terrestre pourra être également évoqué, étant entendu que nous rejetons toute mise en cause de notre souveraineté sur la portion de territoire concernée.

Au-delà des aspects juridiques, nous voulons mieux prendre en compte les liens humains et socio-économiques réels entre la Guyane et le Suriname, et souhaitons faire progresser la coopération.

L'article unique de la convention, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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