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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 10 avril 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
140ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

ACCORDS ET CONVENTIONS (PROCÉDURE D’EXAMEN SIMPLIFIÉE)

L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d’examen simplifiée, sur six projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux.

M. le Président – Conformément à l’article 107 du Règlement, je vais mettre aux voix l’article unique de chacun de ces textes.

L'article unique du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République arabe syrienne en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Australie tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et à prévenir l’évasion fiscale, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Madagascar, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du projet de loi autorisant l’adhésion à la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du projet de loi autorisant la ratification de l’accord multilatéral entre la Communauté européenne et ses États membres, la République d’Albanie, l’ancienne République yougoslave de Macédoine, la Bosnie-et-Herzégovine, la République de Bulgarie, la République de Croatie, la République d’Islande, la République du Monténégro, le Royaume de Norvège, la Roumanie, la République de Serbie et la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo sur la création d’un espace aérien commun européen, mis aux voix, est adopté.

L'article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco relatif à la mise à disposition de personnels de la police nationale française au profit de la Principauté de Monaco à l’occasion d’événements particuliers, mis aux voix, est adopté.

ACCORD FRANCE-GABON RELATIF AUX FLUX MIGRATOIRES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République gabonaise relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme – S'inscrivant dans l'approche globale sur les migrations approuvée par le Conseil européen de décembre 2005 et réaffirmée en décembre 2006, l’accord signé par la France et le Gabon à Libreville, le 5 juillet 2007, illustre également la volonté, affirmée lors de la conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui s'est tenue à Rabat en juillet 2006, de lancer un partenariat global entre les pays d'origine, de transit et de destination.

Les négociations engagées, dès le mois de mai 2007, par M. le ministre Hortefeux ont rapidement abouti à cet accord, qui intègre des préoccupations relatives à la sécurité, au contrôle des frontières et à la maîtrise des flux migratoires, et vise à faciliter la circulation des personnes ainsi qu’à encourager une migration temporaire fondée sur la mobilité et l'incitation au retour des compétences dans le pays d'origine. Il introduit des dispositifs propres à favoriser l'enrichissement du pays d'origine grâce à la migration.

Par cet accord, la France et le Gabon s'engagent à délivrer des visas de court séjour à entrées multiples, d'une validité d'au moins deux ans. L'accord répond au souhait de la France d'orienter les flux migratoires selon les besoins de notre économie en facilitant notamment le séjour temporaire d'étudiants. Il prend également en compte les intérêts du pays d'origine en faisant en sorte que la migration contribue à son enrichissement, non seulement à travers les transferts de fonds des migrants, mais également grâce à la formation et à l'expérience acquises par ceux-ci au cours de leur séjour.

Certaines dispositions sont dérogatoires du droit commun. Pour les étudiants souhaitant compléter leur formation par une première expérience professionnelle, des dispositions particulières ont été retenues, telles que la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour de neuf mois renouvelable une fois, dérogeant à l'autorisation de six mois prévue par le code de l'entrée et du séjour des étrangers. Par ailleurs, l'accord prévoit l'ouverture aux ressortissants gabonais de certains métiers sur l'ensemble du territoire français, alors que le code ne le prévoit que dans certaines zones géographiques. Les ressortissants gabonais sont également éligibles à la carte de séjour « compétences et talents » lorsqu'ils sont susceptibles de contribuer au développement économique ou au rayonnement de la France. Par dérogation au droit commun, cette carte d'une durée de validité de trois ans peut être renouvelée sans limite.

La partie gabonaise s'engage à assurer la délivrance d'une carte de séjour d'une durée de cinq ans renouvelable aux ressortissants français ayant séjourné plus de trois ans au Gabon ou mariés depuis plus de trois ans à un ressortissant gabonais.

La coopération est renforcée dans la lutte contre l'immigration clandestine, pour laquelle la France apportera une expertise policière. La France et le Gabon s'engagent à réadmettre sur leur territoire les personnes en situation irrégulière sur le territoire de l'autre partie ; cette disposition vise également les ressortissants d'États tiers ayant séjourné sur l’un ou l’autre territoire. En outre, la France est prête à apporter son expertise au gouvernement gabonais afin d'améliorer la fiabilité du fichier d'état civil et la sécurité des titres d'identité et de voyage.

Enfin, l'accord jette les bases d'une politique de codéveloppement visant à mobiliser les ressources et compétences des Gabonais résidant en France au profit du développement de leur pays d'origine, et à les soutenir dans cette démarche.

La signature d'un tel accord constitue un signal fort à destination des pays source d'émigration. Elle traduit la volonté de la France de parvenir à une gestion concertée des flux migratoires, mutuellement bénéfique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Jacques Remiller – Très bien !

M. Patrick Balkany, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Cet accord est le premier conclu dans le cadre de la nouvelle politique de gestion concertée de l'immigration promue par le Président de la République. Cette problématique sera au cœur de la présidence française de l'Union européenne.

La question migratoire est liée aux questions de développement. En 2005, la Banque mondiale a évalué le volume des transferts de fonds des migrants vers leur pays d'origine à 232 milliards de dollars, soit plus de deux fois le montant de l'aide publique au développement. Ces volumes financiers, ainsi que les compétences acquises dans les pays d'accueil, conduisent à prendre davantage en considération le rôle des diasporas en tant qu’acteurs du développement.

Tel a été l’esprit de la conférence de Rabat, en juillet 2006, où a été institué un partenariat novateur entre l'Union européenne et l'Afrique ; non seulement il s'agit de la première démarche associant les pays d'origine, de transit et de destination autour des routes migratoires reliant l'Afrique et l'Europe, mais de surcroît les politiques de codéveloppement, l'organisation des migrations légales et la lutte contre l'immigration irrégulière ont été pour la première fois prises en considération simultanément.

Dans le prolongement de cette conférence, la France s’est engagée dans une démarche innovante, envisageant la politique migratoire sous les deux angles de l'apport des migrants à l'économie de leur pays d'origine et des mécanismes d'aide au retour.

Les accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement, dont nous examinons aujourd'hui le premier, constituent l'un des instruments de cette nouvelle politique. Ces accords définissent une stratégie de soutien aux actions conduites par les migrants dans les domaines de la santé, de la formation et du développement. Il s'agit de faciliter la circulation des personnes, d'encourager une migration temporaire et d'inciter à un retour des compétences bénéfique pour les pays d'origine, non seulement par le biais des transferts de fonds, mais aussi et surtout grâce à l'expérience acquise. En 2007, quatre accords de ce type ont été négociés.

L'accord entre la France et le Gabon poursuit trois objectifs : favoriser la mobilité des compétences ; renforcer la coopération en matière de lutte contre l'immigration irrégulière ; soutenir les actions de codéveloppement.

Il prévoit la délivrance d'autorisations temporaires permettant de travailler dans un certain nombre de professions, énumérées en annexe, pour lesquelles la situation de l'emploi sur le territoire ne sera pas prise en considération. Ces autorisations temporaires peuvent également être délivrées pour un complément de formation en entreprise, sur la base d'un contrat de travail d'une durée inférieure à douze mois. L'accord ouvre en outre la possibilité de délivrer la carte « compétences et talents » aux ressortissants gabonais ayant un profil et un projet utiles à notre pays ainsi qu'au Gabon. Pour éviter tout phénomène de pillage des cerveaux, cette carte, instituée par la loi du 24 juillet 2006, ne peut être renouvelée qu'une fois ; après six ans, son titulaire doit retourner dans son pays d'origine, pour faire bénéficier celui-ci de l'expérience acquise en France.

Cet accord permet enfin aux étudiants gabonais qui auront achevé avec succès un cycle d’études de compléter leur formation par une première expérience professionnelle en France, grâce à une autorisation provisoire de séjour de neuf mois, renouvelable une fois. Au terme de cette période, l'étudiant pourvu d'un emploi ou d'une promesse d'embauche pourra séjourner dans notre pays sans que l’on puisse lui opposer la situation de l'emploi, à condition que son activité professionnelle ne soit pas dépourvue de lien avec sa formation et que sa rémunération soit au moins égale à une fois et demie le SMIC.

J'en viens aux dispositions destinées à améliorer l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. Le présent accord organise la réadmission, dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux, des ressortissants français ou gabonais en situation irrégulière sur le territoire de l'autre partie, ainsi que la réadmission des ressortissants d'États tiers ayant préalablement séjourné sur le territoire d'un des signataires.

Afin de compléter ces mécanismes, la France offre également de mettre à disposition son expertise policière, notamment pour la formation des personnels chargés du démantèlement des filières d'immigration clandestine. L'accord tend en outre à renforcer la coopération entre les deux pays en matière d'état civil et de lutte contre la fraude documentaire. La France offre notamment d’apporter son expertise dans le domaine de la sécurité des titres en vue d’améliorer la fiabilité de l'état civil gabonais.

En dernier lieu, cet accord comporte un volet relatif au co-développement, désormais indissociable de la régulation des flux migratoires. Il s’agit de soutenir les initiatives des Gabonais résidant en France au profit du développement de leur pays d’origine, notamment sous la forme d’un cofinancement de projets de développement local lancés par les associations, d’un accompagnement des initiatives économiques des migrants, ou encore d'appui aux diasporas qualifiées.

Je ne saurais trop insister sur le caractère innovant de cet accord, qui repose sur une approche globale des migrations et du développement, et qui illustre notre volonté d'établir un partenariat nouveau et équilibré avec des pays unis à la France par des relations privilégiées. C'est pourquoi je vous recommande l'adoption du présent projet de loi, conformément au vote unanime de la commission des affaires étrangères (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Jean-Pierre Brard – Signé le 5 juillet 2007 à Libreville, cet accord prétend répondre aux préoccupations qui seraient communes à la France et au Gabon face à « l’ampleur des flux de migrants clandestins entre l'Afrique et l'Europe ».

Or, quel est le contexte ? C’est le débat sur l’immigration choisie. Comme vous aviez besoin d’un faire-valoir, vous avez choisi le Gabon, pays qui présente la caractéristique d’avoir très peu de ressortissants en France (Sourires). Vous avez porté votre choix sur un partenaire qui ne vous refuse rien, et auquel vous ne refusez rien : le Président de la République du Gabon.

Dès l’exposé des motifs, vous occultez ce que devrait être une vraie et belle politique de co-développement et vous retombez dans une interprétation idéologique de la complexité du monde et des relations internationales. Votre politique de l'immigration, que nous subissons depuis 2002, repose sur une approche utilitariste, sécuritaire et discriminatoire, sous couvert d’arrêter l'immigration « subie » et de promouvoir une immigration « choisie ».

Chacun sait qu’il s’agit d’un leurre. Songez aux émeutes de la faim qui se produisent partout dans le monde du fait du renchérissement des denrées ! Rien n’arrêtera ceux qui sont poussés par la faim. Je vous invite à vous rendre à Nouakchott et à y rencontrer ceux qui s’embarquent en mer tout en sachant qu’ils n’ont que peu de chances d’arriver vivants au terme de leur voyage.

Vous ne voyez dans l'immigré que la force de travail qui doit alimenter notre machine économique, ce qui nous rapproche d’une certaine façon de la sinistre période de la traite… Donnerons-nous l’image d'une France qui choisit ses immigrés, comme on choisissait autrefois les esclaves sur l'île de Gorée, pas si lointaine des côtes du Gabon dont il est aujourd’hui question ?

D’autres politiques migratoires sont envisageables. Elles sont fondées sur un dialogue entre partenaires égaux et sur une coopération renforcée avec les pays qui, depuis des décennies, sont liés à la France par leur histoire. Le véritable courage politique consisterait à choisir une voie plus audacieuse : une politique de l'immigration respectueuse des étrangers, et une vraie politique de coopération fondée sur le respect, avec un poids égal pour chaque État.

Nous nous sommes efforcés de mener une telle politique à Montreuil, notamment grâce à des actions de codéveloppement. Les migrants concernés, Maliens ou Mauritaniens par exemple, participent eux-mêmes à l’élaboration des objectifs, à leur financement, puis à leur réalisation, et cela souvent au prix d’efforts et sacrifices importants. Si je cite le Mali, c'est parce que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait indiqué en 2002 que ce pays serait l'un des premiers partenaires de sa « nouvelle » politique de l'immigration…

Quels sont aujourd’hui les témoignages apportés par les organisations qui aident, conseillent et accompagnent les étrangers et leur famille dans leurs démarches administratives ? Elles constatent que votre politique a rendu la vie impossible à des dizaines de milliers de personnes et qu’elle a rempli les centres de rétention qui fonctionnent aujourd’hui dans des conditions inhumaines. Je vous mets au défi, Madame la ministre, de vous rendre en ma compagnie au centre de Vincennes. Je rappelle que les migrants passent toute la nuit, et souvent davantage, à la préfecture de Bobigny pour y obtenir, non des papiers, mais un simple numéro en vue d’un hypothétique rendez-vous ultérieur.

Le codéveloppement ne se décrète pas ; il se construit dans le respect de l’identité et des réalités quotidiennes de chaque partenaire en vue de trouver des solutions de long terme pour maîtriser les flux migratoires : moins de tensions internationales, moins de populations déracinées, qui errent d'Eldorados illusoires en paradis introuvables, mais aussi davantage d'échanges économiques entre partenaires de dignité égale ; c'est la coopération plutôt que la domination. Or, nous en sommes loin…

Aujourd'hui comme hier, la plupart des immigrés sont des réfugiés économiques. Ils ne quittent pas leur terre natale et leur famille par goût du voyage, mais pour tenter d'échapper à la misère, et pour chercher ailleurs le moyen de venir en aide à ceux qui sont restés au pays. Il en résulte un flux de ressources indispensables à leur pays d'origine, mais aussi une perte irréparable des forces vives. Votre politique migratoire vise à les piller d'une façon sélective !

Nous devons faire en sorte que les travailleurs immigrés bénéficient des mêmes droits, y compris politiques, que les Français. Il est également essentiel de promouvoir le droit au développement des pays d'origine. Las, vous avez pris un chemin opposé et la signature de quelques traités ne suffira pas à cacher la réalité de votre politique de l'immigration. Cela ne suffira pas à faire oublier les propos outrageants que le Président de la République a tenus à Dakar, le 26 juillet 2007, soit une vingtaine de jours seulement après la signature du présent traité.

Dans un entretien diffusé par Radio France Internationale, M. Alpha Oumar Konaré, ancien président du Mali et président en exercice de la Commission de l'Union africaine, a estimé que ce discours n’était pas le genre de « rupture » que l’on pouvait espérer. Il a également regretté que les propos du Président de la République reposent sur une vision du monde paysan datant d’une autre époque.

Inspiré par M. Guaino, Nicolas Sarkozy était allé jusqu’à dire que « le paysan africain ne connaît que l'éternel recommencement du temps, rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles » et que « dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. » Honte à ceux qui ont pu écrire et prononcer de tels propos !

Par ses protestations, le président Konaré s’est inscrit dans la lignée des meilleurs « fils » de l’Afrique, Patrice Lumumba, Modibo Keita ou encore Nelson Mandela – des hommes qui n’ont rien à voir avec certains obligés de la France, comme le Président de la République gabonaise. J’observe d’ailleurs que l’on parle peu des violations des libertés qui se passent dans ce pays, de même qu’au Togo et au Tchad. J’aimerais que vous fassiez preuve de la même indignation qu’au sujet du Tibet.

M. Jacques Remiller - N’oubliez pas le Zimbabwe !

M. Jean-Pierre Brard – Vous avez raison. L’indignation n’a pas à être sélective.

M. Jacques Remiller – Très bien !

M. Jean-Pierre Brard – Nous nous abstiendrons sur ce texte, car son ancrage idéologique nous dérange. Permettez-moi de citer encore M. Alpha Oumar Konaré : « Je suis certain que le président Sarkozy souhaite la rupture et je pense que pour avancer dans cette voie, il a besoin de mieux connaître l’Afrique. » J’ajouterai pour ma part, de l’écouter, de l’aimer et de la respecter, car sur ces différents points, notre président a encore beaucoup de progrès à faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

M. Serge Blisko – Très bien !

M. Jean-Marc Nesme – Le texte que nous examinons aujourd'hui est le premier d'une série d'accords visant à instaurer une nouvelle politique de gestion des flux migratoires. Cette nouvelle politique, annoncée par M. Sarkozy dès la campagne présidentielle, est fondée sur une approche globale tendant à lier les politiques de développement, la gestion des migrations légales et la lutte contre l'immigration irrégulière. Elle résulte d'une longue réflexion et s'appuie sur une constatation simple : l'immigration zéro n'est ni possible, ni souhaitable.

M. Serge Blisko – Un bon point pour vous !

M. Jean-Marc Nesme – Pour autant, l'Europe en général et la France en particulier ne peuvent accueillir tous ceux qui voient en elles un nouvel Eldorado.

Cette nouvelle approche s'est traduite dès le mois de mai 2007 par la création du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement – devenu développement solidaire à la suite du dernier remaniement. La conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, qui s’est tenue à Rabat en juillet 2006, avait déjà jeté les bases de cette politique de partenariat avec les pays d'origine.

L'Afrique est le principal continent source des migrations : 65 % des flux migratoires réguliers vers la France proviennent d'Afrique du nord ou subsaharienne. C'est au nom de ces principes et de l'expérience des accords conclus avec nos partenaires africains que la France proposera, dès juillet 2008, un pacte européen sur l'immigration. Le Président de la République en a fait une priorité de la présidence française de l'Union européenne, pour relever les défis d’une intégration toujours approfondie et tenir compte du pouvoir d’attraction grandissant de notre continent développé et pacifié.

Le 7 juillet 2007, la France et le Gabon ont signé l’accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement que nous examinons aujourd'hui. Qu’il me soit permis de citer ici M. Brice Hortefeux, signataire de la convention : « L'intention de la France est de maîtriser les flux migratoires tout en participant à l'indispensable effort de développement des pays d'origine des migrants. Ce n'est pas l'un ou l'autre, ni l'un sans l'autre, c'est l'un avec l'autre ».

Notre rapporteur a fort bien décrit le caractère novateur de cet accord, de même que les relations étroites que la France entretient depuis longtemps avec notre partenaire gabonais. Je rappelle simplement que 75 % des investissements étrangers au Gabon sont français, que nous sommes son premier fournisseur et son deuxième client…

Mme George Pau-Langevin et M. Serge Blisko – Tout s’explique !

M. Jean-Pierre Brard – C’est la diplomatie des coffres-forts !

M. Jean-Marc Nesme – Outre les articles techniques organisant les flux migratoires entre nos deux pays – visas, étudiants, regroupement familiaux, lutte contre l'immigration irrégulière –, l'article 6 trace le cadre de ce que pourrait être une politique de codéveloppement concertée.

M. Serge Blisko – Avec un pays riche !

M. Jean-Marc Nesme – Les initiatives qui en découlent – appui aux diasporas, cofinancement de projets, soutien aux initiatives de jeunes Gabonais vivant en France – démontrent notre volonté d'aider le pays d'origine ; elles seront financées par le fonds de solidarité prioritaire.

Nous refusons la polémique qui consiste à nous accuser de vouloir piller les cerveaux africains…

M. Jean-Pierre Brard – Et pas que les cerveaux !

M. Serge Blisko – C’est en effet un peu plus compliqué !

M. Jean-Marc Nesme – Dans le respect de notre tradition d'accueil et de formation des élites, nous souhaitons recevoir des étudiants, afin qu'ils puissent mettre leurs compétences au service de leur pays d'origine.

Parce que cet accord introduit une nouvelle manière d'aborder les flux migratoires, noue un véritable partenariat avec les pays d'origine et aborde les questions migratoires de manière respectueuse et concertée, le groupe UMP votera en faveur de sa ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Remiller - Très bien.

M. Serge Blisko – Nous sommes aujourd’hui saisis de la convention signée entre la France et le Gabon pour la gestion concertée des flux migratoires et le codéveloppement et la lecture de ce texte suscite plutôt une heureuse surprise : le Gouvernement serait-il enfin décidé à assouplir sa politique migratoire ?

Qui ne s’en réjouirait, après des mois de chasse aux clandestins, aux résultats parfois dramatiques, à l'exemple du destin du jeune Malien mort le 4 avril à Joinville-le-Pont en voulant échapper à un contrôle de police ? Je rappelle au passage qu'il était venu en France pour donner un rein à sa soeur malade, et, qu’à lui seul, ce fait eût justifié une épitaphe moins sèche que celle prononcée par le porte-parole du Gouvernement. Ne peut-on attendre plus d’humanité de la part d’un ministre ?

Au demeurant, cette tragédie n'est pas la première et la liste de faits analogues est déjà trop longue. En effet, la majorité actuelle – et celle qui l’a précédée – a criminalisé les sans-papiers, fermé les frontières et relancé les expulsions. Or voilà que nous est soudainement présenté un texte pouvant faciliter l'accès au territoire français de certains – je dis bien « certains » – ressortissants gabonais.

Pour expliquer cet élan d’humanisme plutôt surprenant, il n’est pas inutile de préciser certains éléments. D’abord, quels sont les enjeux migratoires entre le Gabon et la France ?

M. Jean-Pierre Brard – La circulation de pétrodollars !

M. Serge Blisko – La situation qui prévaut entre nos deux pays est en effet unique, puisque la France compte plus de ressortissants au Gabon qu'il n'y a de Gabonais sur son sol. Alors qu’il y en a eu plus de 30 000 il y a vingt ans, 8 000 à 10 000 Français résident encore au Gabon, pays qui se caractérise par la faiblesse de sa densité démographique et de son taux de natalité, bien qu’il possède des ressources naturelles exceptionnelles, liées au pétrole, à l’exploitation minière ou au négoce de bois précieux. Mieux, sur les 10 000 Français présents sur place, 1 000 à 2 000 seraient en situation irrégulière. Voilà tout le paradoxe ! Il y a plus de Français en situation irrégulière au Gabon que de Gabonais clandestins en France !

La France accueille pour sa part 5 000 à 6 000 Gabonais, dont seulement 200 en situation irrégulière. Les flux migratoires entre nos deux pays sont par conséquent sans commune mesure avec ceux qui concernent les autres pays africains, en particulier d’Afrique du nord et subsaharienne. Quelle nécessité peut par conséquent inciter à maîtriser des flux migratoires qui n’existent pratiquement pas ?

Au mois de mars dernier, deux jeunes étudiants Gabonais ont pourtant été expulsés du territoire français, sans doute pour se rapprocher du quota d’expulsions fixé à 26 000 unités. En réaction, le président gabonais – que personne n’a osé nommer jusqu’ici –, M. Omar Bongo, a décidé d’expulser un cadre français de Libreville et d’autres Français ont été refoulés à leur arrivée à l'aéroport, leur visa ayant été jugé irrégulier. La situation est telle que notre consulat général de Libreville a dû rédiger en urgence une fiche explicative à l'intention des Français en partance pour le Gabon ! Et je ne m’attarderai pas sur la mise au placard de M. Bockel, M. Bongo ayant, semble-t-il, obtenu sa tête… Il est vrai que le président gabonais avait été très énervé que la presse française souligne sa contribution particulièrement remarquable à la spéculation immobilière dans les beaux quartiers de l’ouest parisien !

Telle serait donc votre politique exemplaire en matière de codéveloppement ! Soyons sérieux ! Nous connaissons tous le profil des « immigrés » gabonais. Il s'agit pour l'essentiel d’enfants de dignitaires locaux, seuls à même de venir en France compte tenu du prix du billet d'avion ! Alors que le Gabon avait bien décollé dans les années 1970, la prédation de l’équipe et de la famille présidentielle a mis le pays sur la voie du sous-développement : les gens ne mangent pas à leur faim, les fonctionnaires ne sont pas payés et on demande à la France d’assurer la paie des agents publics à la fin du mois !

M. Jean-Pierre Brard – Il faut dire toute la vérité !

M. Serge Blisko – Voilà ce qui a conduit le Gabon à signer cet accord, au reste pas mauvais pour lui – au moins pour ses rares ressortissants qui pourront entrer sur notre sol.

Après s’être attaqué aux migrants les plus fragiles, le seul objectif du Gouvernement est de remplir l’objectif comptable de 26 000 expulsions à la fin de l'année. Cette politique est déplorable car dénuée de toute humanité.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur la ratification de ce texte, car il est malvenu et à côté de la plaque (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme George Pau-Langevin – Lorsque nous l’avons découvert, cet accord nous a fait sourire…

M. Jacques Remiller - Dans ce cas, pourquoi l’avoir approuvé en commission ?

Mme George Pau-Langevin – On nous dit qu’il s’inscrit dans le cadre de l’approche du Conseil européen de décembre 2005 et dans le prolongement de la conférence ministérielle euro-africaine de Rabat sur les migrations et le développement. On nous dit aussi qu’il vise à faciliter la circulation des personnes et à encourager une migration temporaire fondée sur la mobilité avec un retour des compétences dans le pays d'origine grâce à la formation et à l'expérience acquises au court du séjour dans le pays d'accueil.

Il contient des dispositions intéressantes. Il consacre ainsi la dispense d’un visa de court séjour pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service. Il prévoit des visas à entrées multiples de deux ans ou plus pour les personnes appelées à voyager fréquemment pour des motifs économiques, médicaux ou familiaux. Il faut toutefois relever que le taux d'acceptation des demandes de visas gabonais par la France est déjà de 87 %, particulièrement élevé par rapport aux autres pays.

Il est également positif que les étudiants gabonais en France puissent accéder aux offres de l’ANPE et à des stages ou qu’une autorisation provisoire de séjour d'une validité de neuf mois, renouvelable une fois, soit accordée à ceux d’entre eux qui ont obtenu une licence professionnelle et souhaitent compléter leur formation par une première expérience professionnelle. Les Gabonais sont donc mieux traités que les autres étrangers puisque l’article 6 de la loi de 2006 relative à l'immigration et à l'intégration n’autorise la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour de six mois, non renouvelable, qu’à ceux qui ont obtenu un diplôme au moins égal au mastère.

La mobilité professionnelle pour dix-huit mois maximum de jeunes Gabonais en France pour y exercer une activité salariée est de même envisagée sans considération de la situation de l'emploi. Pendant ce temps, les intéressés pourront exercer un emploi rémunéré 1,5 fois le SMIC – il est vrai que rares sont les étudiants qui peuvent à la sortie de la faculté être embauchés à ce niveau de salaire. Une carte de séjour « compétences et talents » pourra de même leur être accordée pour trois ans renouvelables.

Ce sont là des dispositions favorables pour les Gabonais. Cet accord, souple au vu de la législation en vigueur, manifeste incontestablement une volonté d'ouverture de la France vers le Gabon.

Mais permettez-nous d’en être surpris car il est en totale contradiction avec la politique actuelle du Gouvernement en matière d'immigration. Depuis l’arrivée au ministère de M. Hortefeux, une loi de septembre 2007 a rendu beaucoup plus strictes les conditions du regroupement familial. Il est de même depuis lors de plus en plus difficile pour les étrangers, même munis d'un contrat de travail, d'obtenir leur régularisation. Et, comme l’ont rappelé mes collègues avant moi, on assiste à une multiplication des cas dramatiques d’étrangers qui, pourchassés par la police, en sont réduits, à la perspective du sort qui leur serait réservé, à se défenestrer ou, comme récemment, à se jeter dans un fleuve. Les centres de rétention sont si saturés que des révoltes s’y font jour, comme à Vincennes, où la situation était déjà catastrophique en février dernier lorsque nous avons visité le centre avec mes collègues serge Blisko et François Hollande. Nous avions d’ailleurs demandé la création d’une mission d’information parlementaire sur la situation dans ces centres, et n’avons toujours pas obtenu de réponse.

Le Gabon est donc beaucoup mieux traité que les autres pays africains. Au Sénégal, où nous nous sommes rendus récemment avec M. Mariani, un accord a été signé en septembre 2006 par le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy – accord qui n’a toujours pas été soumis à notre approbation. Cet accord est vague, consistant essentiellement en un catalogue de bonnes intentions, à l’exception du partenariat technique à mettre en œuvre pour le contrôle aux frontières et la surveillance maritime des côtés – une vedette fonctionne déjà.

Comment se fait-il donc que le Gabon soit si bien traité ?

M. Jean-Pierre Brard – Parce qu’il a des sous !

Mme George Pau-Langevin – Le rapporteur invoque une politique novatrice de partenariat allant dans le sens du codéveloppement. Dans le même temps, l’aide allouée aux pays en développement par les pays de l’OCDE ne cesse de diminuer, les pays riches ne respectant pas leurs engagements. Ainsi la France n’a-t-elle consacré que 0,42 % de son PIB à l’aide au développement contre 0,7 % promis – ce qui n’était déjà pas beaucoup… Dans de nombreux pays pauvres, on assiste actuellement à des émeutes de la faim, comme récemment en Haïti.

Nous soumettre dans ce contexte ce type d’accord, au motif de lier harmonieusement migrations et développement, c’est se moquer de nous, car les pays qui en auraient le plus besoin, eux, n’en bénéficient pas. Pour le Gabon, on ne dit pas comme à Dakar que l’homme africain n’a rien compris au monde moderne. C’est un pays riche, producteur de pétrole, dont, de surcroît, très peu de ressortissants vivent en France alors qu’en revanche, beaucoup de ressortissants français vivent au Gabon, et qui contribue largement à l’investissement immobilier dans notre pays grâce au parc personnel de son Président. Le premier voyage officiel du nouveau secrétaire d’État à la coopération sera d’ailleurs réservé au Gabon.

Cet accord pourrait prêter à sourire si pour les pays pauvres, la situation n’était pas aussi triste. On ne peut se moquer ainsi de la coopération. Cet accord est positif pour les Gabonais : tant mieux pour eux ! Mais je ne puis m’empêcher de penser à la phrase de La Fontaine : « Selon que vous serez puissants ou misérables… »

Nous n’avons pas de raison de voter contre cet accord, qui nous laisse néanmoins un goût amer. Nous pouvons tout au plus nous abstenir (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

La discussion générale est close.

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Pierre Brard – J’aurais aimé que la ministre ou le rapporteur nous répondent. Cet accord France-Gabon est un alibi quand, dans le même temps, le Gouvernement serre la vis pour le Mali, le Sénégal, la Mauritanie et autres pays dont les travailleurs maintiennent la propreté de nos rues et y ramassent les poubelles. Mais pour ceux-là, vous n’avez aucune considération. Il n’en va pas de même pour le Président gabonais qui investit dans notre pays, non pour améliorer le confort des foyers de travailleurs migrants mais pour placer l’argent que lui procure le pillage des ressources de son propre pays, avec la complicité de la France (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Mme Rama Yade, secrétaire d’État – Vous n’avez pas posé de question. Ce n’est que de la polémique.

M. Jacques Remiller – Nous avons eu un long débat en commission où le rapport sur cet accord a été approuvé à l’unanimité, avec la voix du représentant du groupe SRC, M. Loncle. Je ne comprends donc pas votre double langage. Nul doute que si vous aviez formulé en commission les remarques que vous avez faites aujourd’hui, le rapporteur aurait vraisemblablement amendé son rapport.

Mme George Pau-Langevin – Je suis étonnée des propos de notre collègue. À la lecture du compte rendu de la commission, on ne trouve aucun propos d’approbation de la part de notre représentant. Vous ne pouvez donc pas dire que le groupe SRC avait décidé d’approuver ce rapport. Nous ne votons d’ailleurs pas contre. Nous nous abstenons mais nous ne sommes pas dupes.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

TRAITÉS DE L’ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d’auteur et du projet de loi autorisant la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes.

M. le Président – La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme – Les traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ont été élaborés afin d'adapter les droits de propriété intellectuelle aux récentes évolutions techniques, notamment à l'entrée dans l'ère numérique. Le traité sur le droit d'auteur, ainsi que le traité sur les interprétations et exécutions, et les phonogrammes complètent les dispositions de la convention de Berne et actualisent la convention de Rome, datant respectivement de 1886 et 1961.

Ces deux textes donnent des moyens nouveaux pour renforcer l'efficacité de la protection des droits des auteurs, des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes. En effet, grâce à leurs dispositions, les auteurs, les artistes interprètes et exécutants, mais aussi les producteurs, pourront bénéficier d'une protection juridique adaptée au nouveau contexte de la société de l'information. Ils disposeront, en particulier, de droits exclusifs de reproduction sous forme numérique, de distribution, de location commerciale, ainsi que de mise à la disposition du public, à la demande, des oeuvres, interprétations/exécutions, et fixations sur réseaux. Ils bénéficieront également de moyens efficaces pour lutter contre les utilisations non autorisées des œuvres et prestations protégées.

Le traité sur le droit d'auteur confirme que les programmes d'ordinateurs et les bases de données entrent dans le champ de la protection. Il allonge par ailleurs la durée de protection des œuvres photographiques en l'alignant sur celle prévue par la convention de Berne, soit cinquante ans après la mort de l'auteur. Il rappelle également l'importance exceptionnelle que revêt la protection du droit d'auteur pour l'encouragement à la création artistique.

Le traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes permet, quant à lui, la reconnaissance au plan international d'un droit moral au profit des artistes interprètes ou exécutants. Il reprend les droits patrimoniaux prévus dans la convention de Rome, en particulier le droit de reproduction, et confirme son application à l'environnement numérique. La durée minimale de protection est là encore fixée à cinquante ans. Les deux traités obligent également les États à prendre des dispositions permettant de protéger et de gérer les droits des auteurs de manière efficace.

La ratification par la France de ces deux traités contribuera sans nul doute au rayonnement de la culture française : les auteurs, artistes interprètes et producteurs de phonogrammes bénéficiant d’une protection accrue au niveau international, la diffusion des œuvres en sera facilitée. Ces deux textes, adoptés à Genève le 20 décembre 1996 et entrés en vigueur respectivement le 6 mars et le 20 mai 2002, comptent aujourd'hui plus de soixante parties contractantes. Il s’agit d’accords mixtes et le Conseil a précisé, en 2000, que le dépôt des instruments de ratification de la Communauté européenne devrait intervenir autant que possible simultanément à celui des États membres.

Telles sont les principales dispositions des deux traités qui sont soumis à votre examen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Remiller, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Nous sommes donc saisis de deux projets de loi visant à autoriser la ratification de deux traités conclus le 20 décembre 1996 dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, portant l’un sur le droit d'auteur et l’autre sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes. Ces traités avaient pour but d’adapter le droit d'auteur à la révolution numérique. Car le progrès technique, d’une part, facilite la diffusion des œuvres, mais trop souvent en permettant de contourner le droit d’auteur, et, d’autre part, offre de nouvelles possibilités de cryptage et de marquage qui permettent de limiter le nombre de copies ou d'en suivre le cheminement sur Internet. Grâce aux nouvelles technologies, il devient possible de partager gratuitement des fichiers numériques entre un nombre quasiment illimité d'utilisateurs anonymes. La culture de la gratuité s'est donc propagée parmi les utilisateurs de l'Internet, qui perçoivent le droit d'auteur comme un frein à la diffusion des œuvres.

Les deux traités représentent une étape importante dans la modernisation du système international du droit d'auteur. Le traité sur le droit d'auteur protège les œuvres littéraires et artistiques telles que les livres, programmes d'ordinateur, œuvres musicales, œuvres d’art ou films. Il actualise la convention de Berne de 1886, dont la dernière révision datait de 1971. Le second traité protège les droits des producteurs de phonogrammes ou d'enregistrements sonores et des artistes interprètes ou exécutants. Il actualise la convention de Rome de 1961. Ces deux traités garantissent que les titulaires de droits continueront à être protégées lors de la diffusion de leurs œuvres sur Internet. Ils accordent une protection juridique « appropriée » et imposent des sanctions efficaces en cas de neutralisation des mesures techniques qui permettent aux titulaires de droits de contrôler les copies, en recourant à un mot de passe par exemple. Outre des mesures techniques, les traités interdisent également la modification ou la suppression des informations qui permettent d'identifier l'œuvre, son créateur ou l'interprète et de déterminer ses conditions d’utilisation.

Toutes ces mesures ne sauraient être efficaces sans sanctions. Les traités imposent ainsi aux États de prévoir des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques prises par les titulaires de droits. Ils autorisent toutefois les États à apporter des limitations et exceptions au droit d'auteur pour protéger d’autres intérêts que ceux des titulaires de droits, tels que ceux du grand public ou de personnes justifiant de besoins particuliers. Chaque exception doit répondre aux conditions du « test en trois étapes » : elle doit se limiter à un cas spécial, ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre et ne pas causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'ayant droit, ces conditions étant cumulatives.

Le droit français est d'ores et déjà en conformité avec les deux traités, puisque ceux-ci ont été mis en œuvre par la directive européenne du 22 mai 2001, elle-même transposée en droit interne par la loi « droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information » du 1er août 2006. La protection du droit d'auteur étant une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres, la Commission européenne a participé à la négociation des deux traités, qui relèvent ainsi de la catégorie des accords mixtes – signés et ratifiés à la fois par l’Union et par chaque État membre. Grâce à la loi DADVSI, notre code de la propriété intellectuelle comporte des dispositions sur la protection juridique des mesures techniques et l'information sur le régime des droits. La loi française prévoit une amende de 300 000 euros et trois ans de prison pour l’édition d’un logiciel destiné à la mise à disposition d'œuvres protégées, et 30 000 euros d'amende et six mois de prison pour la diffusion d'un logiciel permettant de casser les mesures techniques de protection. Elle comporte des limitations et exceptions au droit d'auteur conformes au test en trois étapes, telles que les reproductions spécifiques effectuées par des bibliothèques, des musées ou des services d'archives.

La France satisfaisant déjà aux obligations résultant de ces deux traités, la commission des affaires étrangères vous recommande à l’unanimité l’adoption des deux présents projets de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Birraux – Ces deux traités étaient indispensables pour adapter le régime juridique du droit d'auteur aux évolutions technologiques, alors que les nouvelles technologies permettent une diffusion toujours plus large des œuvres, mais offrent aussi des moyens toujours plus sophistiqués pour contourner le droit d'auteur. C’est l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, créée en 1967 au sein des Nations unies dans le but d'élaborer un système international équilibré et accessible de la propriété intellectuelle, qui a permis la conclusion en 1996 de ces textes souvent connus sous le nom de « traités Internet », qui sont entrés en vigueur en 2002 dès la trentième ratification.

Le traité sur les droits d'auteur vise à protéger les droits des créateurs dans le nouvel environnement numérique. Il concerne les livres mais aussi les programmes informatiques, les œuvres d’art, la musique ou les films. Le second traité protège quant à lui les droits des producteurs de phonogrammes ou d'enregistrements sonores et leurs artistes interprètes. Les évolutions des différentes technologies menacent en effet la protection du droit d'auteur, droit essentiel qui permet à nos artistes et créateurs de vivre et de promouvoir leurs productions. Je rappelle que la ratification de ces deux traités n'aura pas de conséquences sur notre droit national puisqu’ils sont contenus dans la directive européenne de 2001 que nous avons transposée, tardivement il est vrai, par la loi DADVSI du 1er août 2006. Ce sont des accords mixtes, signés et ratifiés à la fois par la Communauté européenne et par chacun des États membres.

Au nom du principe de subsidiarité, nous avons pris en transposant la directive les mesures qui nous paraissaient essentielles, car le piratage, quel que soit son niveau de gravité, est une atteinte au droit d'auteur. Notre arsenal répressif s'est notamment étoffé, en prévoyant jusqu'à 300 000 euros d’amende et trois ans d'emprisonnement pour l'édition de logiciels destinés à la diffusion d'œuvres protégées et jusqu'à 30 000 euros d’amende pour la diffusion d’un logiciel permettant de contourner les mesures techniques de protection.

Parce que l'adoption de ces deux traités conforte notre volonté de lutter contre les atteintes au droit d'auteur, le groupe UMP en autorisera la ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Mathus – Nous sommes très curieusement réunis pour ratifier deux traités signés en 1996. Il y a douze ans, aucune plateforme d’échanges d’utilisateur à utilisateur n’existait, et pour cause : les échanges numériques étaient balbutiants. Ces traités anciens ont pourtant servi à justifier et la directive et la loi dite DADVSI et, plus précisément, le verrouillage numérique des œuvres destiné à empêcher leur reproduction, donc leur libre accès.

Le plus piquant est que le jour même où le Gouvernement nous invite à ratifier ces traités manifestement obsolètes, le Parlement européen adopte une résolution qui condamne la politique française en soulignant que criminaliser les consommateurs qui ne cherchent pas le profit « n’est pas la bonne solution » et en blâmant l’atteinte au principe de proportionnalité de la peine que constitue l’interruption de l’accès à l’Internet pour les contrevenants. Autant dire que les orientations du rapport Olivennes, dont nous aurons à débattre, sont directement visées. C’est une véritable claque qui vient d’être ainsi infligée au Gouvernement français, et cette résolution signe l’échec d’une stratégie uniquement répressive et aveugle aux évolutions sociales.

L’action de son gouvernement isole notre pays dans une défense archaïque des droits d’auteur qui est en réalité la défense des grandes multinationales que sont Windows ou Apple, pour ne citer que celles-là. Le paradoxe, c’est aussi que la criminalisation du libre accès aux œuvres est dépassée, puisque les industriels eux-mêmes ont adopté le principe du forfait et proposent le libre accès à un certain nombre de fichiers numériques en contrepartie d’un abonnement. Le seul effet des verrous numériques est de consolider les grands groupes et de fragiliser les logiciels libres.

Je le redis, ratifier aujourd’hui des textes élaborés à une autre époque, c’est aller à contresens de l’histoire. Notre rapporteur le sait bien : n’était-il pas de ces « conjurés » du groupe UMP qui, avec d’autres députés d’autres bancs, ont défendu le principe de la licence globale ? Alors que l’on prenait prétexte de la défense du droit d’auteur pour légitimer l’appropriation des droits par les grands groupes industriels, il a été de ceux qui, avec Mme Billard, moi-même et d’autres encore, ont mis le Gouvernement en minorité à ce sujet. Il s’en est suivi un débat de trois mois sur les échanges culturels, d’un grand intérêt, mais la loi DADVSI a finalement entériné le principe du « tout répressif ». Outre que le texte a été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel, il s’est révélé inapplicable. L’impasse était manifeste, puisque la Commission européenne préconisait l’adoption d’un mécanisme qui s’apparente de très près à la licence globale. Le plus curieux, c’est que nous cherchions à rémunérer les auteurs mais que, de par le détournement du principe de la licence forfaitaire, la rémunération va aux grands groupes industriels, les créateurs étant les dindons de la farce !

L’inapplicabilité de la loi DADVSI étant avérée, le Gouvernement a commandé un rapport à une personnalité qui était à l’époque premier marchand de disques de France. Le rapport de M. Olivennes, touché par la grâce du sarkozysme, n’a pas déçu : au gros bâton, il propose de substituer un bâton moyen, mais les citoyens qui téléchargent des œuvres en libre accès continuent d’être considérés comme des criminels qui spolient ces bienfaiteurs de l’humanité que sont les grands groupes producteurs de musique. La répression est mieux dosée, mais demeure la répression et rien que la répression – la seule proposition avancée étant le « flicage » généralisé des internautes.

Le téléchargement est devenu le mode universel d’échanges culturels. La vague est irrépressible mais, au lieu d’imaginer un nouveau mécanisme destiné à rémunérer la création – car il faut la rémunérer, nous en sommes tous d’accord – autrement qu’à l’acte, les industriels rêvent d’un Big Brother de l’Internet veillant à protéger leur rente. Cette approche est vouée à l’échec et la résolution adoptée par le Parlement européen a valeur d’avertissement pour le Gouvernement. Le débat parlementaire sur le rapport Olivennes ne manquera pas d’intérêt…

Ratifier ces traités, à contretemps et dans la seule optique de légitimer la répression, et la répression seulement, n’aurait aucun sens. C’est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas une transposition qui servira de prétexte à défendre une vision marchande des échanges culturels. La remise en cause de la transmission verticale des informations et des œuvres par l’essor des nouvelles technologies de la communication a suscité un conflit entre producteurs et internautes. La question est de savoir pourquoi le Gouvernement français a éprouvé le besoin de prêter main forte à l’industrie au lieu de protéger l’intérêt des consommateurs.

Les grands groupes industriels de ce secteur, comme Monsanto en agriculture, sont saisis d’une frénésie d’appropriation. Leur voracité de profits les pousse à vouloir imposer que tout ce qui circule sur l’Internet soit leur propriété. La bataille qui s’annonce est donc une bataille citoyenne. Elle impose la définition d’un nouveau mécanisme de rémunération des œuvres. Les dinosaures que sont les majors essayent de grappiller quelques années…

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est perdu d’avance !

M. Didier Mathus – …mais il est désolant que, par un mouvement d’arrière-garde, le Gouvernement fasse ratifier des traités de 1996 en refusant de voir que le monde a changé. Le groupe socialiste votera contre ces textes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Martine Billard – Il a fallu beaucoup insister pour que ce débat ait lieu, comme si le Gouvernement voulait faire passer ces ratifications en catimini. Il faut dire qu’elles constituent une remarquable et absurde obstination dans l’erreur, puisque lors du débat sur la loi DADVSI déjà, l’accent, sur tous les bancs, avait été mis sur l’écart entre le texte proposé et la réalité. En 1996, il s'agissait pour l'administration du Président Clinton de forcer l'adoption de mesures de clientélisme électoral favorables aux majors de productions audiovisuelles et aux majors de l’informatique face à une opinion publique très remontée.

Dès juillet 1994, en effet, un groupe de travail sur le droit de la propriété intellectuelle avait publié un « Livre vert » proposant, pour tenir compte de l'émergence des technologies de l'information et de la communication, d’étendre les droits des « ayants-droit » au détriment du droit du public d'accéder à l'information.

Cent six professeurs de droit avaient alors adressé au vice-président Al Gore une lettre ouverte, dénonçant le fait que le texte amenait à considérer la simple consultation d'un document dans un navigateur web comme une violation de copyright, qu’il obligeait les fournisseurs d'accès à surveiller les activités de leurs abonnés, donc à porter atteinte à leur vie privée et qu’il érigeait en crime fédéral tout contournement d'un DRM, y compris dans un but normal et licite – écho au débat que nous avons eu sur la loi DADVSI.

Les traités furent malgré tout conclus et ratifiés par les États-Unis en 1999. Ils reprennent, à peu de choses près, les dispositions promues par le lobby des distributeurs de contenus mais rejetées, comme pour la loi DADVSI, par la société civile, en particulier les utilisateurs d’Internet, les bibliothécaires, les enseignants.

La transposition de la directive européenne de 2001 avec l’introduction en droit français de la notion de pénalisation du contournement des DRM a donné lieu à une forte activité des lobbies, ceux-ci allant jusqu'à pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée, traditionnellement neutre. Rappelons aussi qu’à cette occasion le Gouvernement nous a fait voter et revoter un amendement jusqu’à ce qu’il obtienne un vote conforme à ses souhaits !

Pour autant, nous avions réussi à faire adopter le principe de l’interopérabilité – possibilité de contourner une mesure de protection d'un système propriétaire qui empêche de copier un fichier d'une certaine marque sur un appareil d'une autre marque – pendant de la pénalisation du déverrouillage des DRM. Mais le Conseil constitutionnel a censuré cette notion – au motif qu’elle était trop floue – ce qui a eu pour effet paradoxal de maintenir la sanction dans le cadre de la législation sur les contrefaçons, sanction lourde et difficile à utiliser contre des jeunes qui téléchargent de la musique. Le Gouvernement, devant trouver une autre façon de tenir ses engagements auprès des acteurs culturels, a confié une mission à Denis Olivennes.

Aujourd'hui, un producteur de CD ou de DVD peut insérer sur les plages numériques de ses supports un programme rendant impossible la copie non autorisée, et par voie de conséquence, la lecture de l’œuvre sur certains matériels de lecture. Certes, il existe des logiciels libres de contournement mais ils tombent sous la qualification de contravention de quatrième classe, contrairement aux accords conclus lors de l’examen de la loi DADVSI.

Celle-ci nous permet de juger de l'échec des traités OMPI. Ceux-ci étaient censés protéger le droit d'auteur et les droits voisins des artistes, en protégeant juridiquement les DRM. Or il est désormais avéré que ces DRM ne sont d'aucune protection pour les droits des créateurs et que les mesures de contournement, comme nous l’avions souligné sur l’ensemble de ces bancs, se diffusent à grande vitesse sur Internet. Aujourd'hui, les majors de la musique elles-mêmes abandonnent ces dispositifs de contrôle anti-copie, rejetés par les consommateurs. Par ailleurs, n’étant pas parvenues à imposer leur DRM aux autres, elles ont dû trouver un accord : quatre majors ont ainsi lancé « Myspace » sans DRM. Mais si les DRM sont abandonnées, les plateformes multimédias demeurent inaccessibles aux logiciels libres, et on ne voit toujours rien venir pour la rémunération des artistes

Pendant le débat sur la loi DADVSI, j'avais proposé au nom des députés Verts d'instaurer un prélèvement sur les fournisseurs d'accès Internet et les sociétés de téléphonie mobile afin de créer un fonds de rémunération des auteurs et interprètes – idée « inacceptable » reprise par le Gouvernement pour compenser la suppression de la publicité à la télévision. Si elle avait été retenue, cette proposition aurait très nettement amélioré la situation des auteurs et interprètes.

Le principe même de protection juridique des DRM a créé une insécurité juridique contre le logiciel libre et même une distorsion de concurrence : des sociétés françaises du logiciel libre risquent des poursuites si elles proposent un simple lecteur DVD avec leur système d'exploitation en logiciel non propriétaire. Quant aux députés français, leurs postes de travail sont équipés en logiciels libres mais la loi DADVSI les oblige à utiliser un logiciel propriétaire pour la lecture d’un DVD !

Il est inquiétant que le Gouvernement envisage d'aller plus loin encore, en préparant un projet de loi inspiré de la mission Olivennes sur les téléchargements. Il s'agit de mettre en place la fameuse « riposte graduée », avec menace de suspension d'abonnement Internet. Toutefois, ce matin, le Parlement européen a considéré dans une résolution que la suspension d’une connexion Internet est disproportionnée.

D’une part, les traités OMPI sur la protection des DRM sont obsolètes techniquement et commercialement. D’autre part, leur idéologie répressive, liberticide et anti-concurrentielle – au seul bénéfice de quelques multinationales – est toujours à l'oeuvre. Pour cette double raison, le groupe GDR ne votera pas la ratification de ces deux traités.

M. Nicolas Dupont-Aignan – N’en déplaise au grand nombre de députés absents, le vote d’aujourd’hui est d’une importance capitale. Il s’agit de déterminer si la France choisit de se lier les mains avec des dispositions d’un autre âge, témoignant d’une incompréhension totale, tant de la réalité de notre temps que des enjeux économiques, sociaux et politiques qu’engendre la démocratisation des moyens de copie et de diffusion numérique.

Je m’oppose à la ratification de ces traités pour trois raisons : ils sont obsolètes ; leur objectif – le contrôle de la circulation des œuvres – n’a pas été atteint ; les DRM ont toutes été contournées, malgré les sanctions. L’idée était absurde dès le départ : Internet étant un réseau conçu pour répliquer l’information à grande vitesse, les informations techniques pour déverrouiller un DRM font le tour de la planète en quelques heures !

Il faut bien se faire une raison : contrôler l’information sur Internet revient à éponger la mer avec une serpillière. Il est incroyable que la France soit le pays le plus obscurantiste face à cette révolution et que, sous la pression d’intérêts, le Gouvernement réédite les mesures électoralistes sans queue ni tête de Bill Clinton. Faut-il que le show business hollywoodien soit assez puissant pour traverser l’océan et aller à l’encontre du bon sens élémentaire !

Les majors, ceux-là mêmes qui avaient poussé le Gouvernement à nous faire voter il y a deux ans une loi absurde, s’en sont affranchies avec l’accord Myspace. Mais si vous vous acharnez, Madame la ministre, sur la ratification de ces traités, c’est que des intérêts américains sont à l’œuvre contre la notion d’interopérabilité, notion arrachée de haute lutte puis censurée par le Conseil constitutionnel. Les consommateurs auront fait le travail en ce qui concerne la première raison.

La deuxième raison, c’est que la protection juridique des DRM a conduit à l’exclusion des acteurs commerciaux du logiciel libre du marché du grand public, en leur interdisant d’intégrer dans leurs offres des lecteurs multimédias capables de lire un DVD. De manière plus générale, elle a facilité les abus de position dominante, la vente liée et les ententes illicites entre monopoles, au détriment de nos PME et des consommateurs. L'Assemblée nationale elle-même, lorsqu’elle a voulu s’équiper de logiciels libres, n’a pu installer le lecteur DVD le plus populaire, le logiciel libre VLC, à cause de la loi DADVSI ! Ce logiciel libre, dont les concepteurs sont des étudiants de l’École Centrale de Paris, peut pourtant lire des DVD « DRMisés ». Des millions de particuliers l’utilisent dans le monde, mais aucune entreprise ne se risque à le commercialiser, à cause de la loi découlant de ces traités. Face à l’insécurité juridique, les services de l’Assemblée nationale ont préféré renoncer.

Selon certains, ne pouvoir lire un DVD avec un logiciel libre ne serait pas un grave problème. Sauf que cela empêche des sociétés françaises, comme Mandriva, de concurrencer Microsoft sur le marché du grand public ou de l’éducation ! A-t-on jamais vu un éditeur imposer une marque de lunettes pour lire les livres qu’il fait imprimer ? Or, c’est la même chose ! En luttant contre l’interopérabilité, vous cloisonnez le marché et confortez le duopole américain Apple-Microsoft, à l’encontre des intérêts de notre pays. D’ailleurs, si la gendarmerie nationale a migré vers les logiciels libres, ce n’est pas seulement pour une question de coût, mais aussi pour les raisons de sécurité nationale mises en évidence lors de nos précédents débats.

C’est le président Clinton qui, le premier, a travaillé sur ce dossier, sous la pression de Hollywood, mais le texte a suscité un tel tollé aux États-Unis qu’il a rapidement été abandonné par le Congrès, capable de plus de résistance que notre assemblée. Des centaines de professeurs, d’entreprises, d’associations, de chercheurs en avaient dénoncé les conséquences économiques et sociales, les menaces qu’il représentait pour les droits du public et la vie privée, et le coup porté au développement d’une économie ouverte et moderne. Face à cette résistance, l’administration américaine est passée par l’OMPI, dont le fonctionnement n’a rien de démocratique, et avec la complicité des délégations française et européenne, elle a pu imposer au monde entier une vision unilatérale et aussi dépassée que celle des moines copistes qui, en leur temps, voulaient faire interdire l’invention de Gutenberg. L’Union européenne a donc adopté une directive, qui nous tombe aujourd’hui dessus grâce à l’acharnement du Gouvernement.

L’intégralité de nos institutions dysfonctionne, les lobbies gouvernent, l’histoire est prise à contresens et vous allez dans une impasse. J’espère que le Gouvernement renoncera, écoutera certains députés de la majorité, comme certains ministres, sur les dangers du rapport Olivennes. Veut-on se fâcher avec la jeunesse, ajouter un désordre à d’autres désordres ? Le projet de loi que vous préparez est absurde. Le texte que vous ratifiez aujourd’hui est totalement obsolète et disparaîtra dans les poubelles de l’histoire ; il ne fait pas honneur au Gouvernement, ni à la majorité.

M. Didier Mathus – Bien.

La discussion générale est close.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État Le délai entre la signature des traités et la présente ratification s’explique par la nécessité d’adapter le droit communautaire. Il n’y a aucune malice là dedans. Par ailleurs, ne simplifions pas à l’extrême : il y a toujours eu un décalage entre le développement technologique et les garanties juridiques protégeant la création.

Selon vous, Monsieur Mathus, le rapport Olivennes tendrait à criminaliser la lutte contre la piraterie sur Internet. Ce n’est pas l’objet du texte que prépare le Gouvernement, qui tend à la prévention et à la recherche d’un équilibre entre le principe de la rémunération des auteurs et l’accès aux œuvres sans limite. Il ne s’agit pas d’instituer des sanctions pénales, et nous aurons l’occasion de vous le démontrer, dans quelques mois.

M. Jacques Remiller, rapporteur – Je n’étais pas « conjuré », à l’époque, mais il est vrai que j’ai participé au grand soir. Mme Billard, M. Mathus et M. Dupont-Aignan ont dit que les traités étaient dépassés. Ce n’est pas le cas, ces textes constituent le cadre juridique international de base, qui ne présage pour autant nullement des évolutions tant au niveau européen que dans les États parties.

M. Olivennes, dont le rapport a été critiqué par l’opposition, est pourtant aujourd’hui directeur d’un hebdomadaire de sensibilité de gauche. Dans le projet de loi qui sera présenté en mai ou en juin, nous aurons un débat sur les modalités techniques de protection du droit d’auteur ainsi que sur l’approche préventive évoquée à l’instant par Mme la secrétaire d’État.

ARTICLE UNIQUE

L'article unique du projet de loi autorisant la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur le droit d’auteur, mis aux voix, est adopté.

ARTICLE UNIQUE

L'article unique du projet de loi autorisant la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance mardi 15 avril, à 9 heures 30.

La séance est levée à 16 heures 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale