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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 15 mai 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
158ème séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

PROTECTION DU SECRET DES SOURCES DES JOURNALISTES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Dans la vie d’une démocratie, la protection des sources est la garantie de l’indépendance et de la vitalité de la presse, ainsi que d’une information de qualité. Au cours de la campagne présidentielle, M. Sarkozy s’était engagé à faire adopter un texte qui lui donne véritablement corps ; le présent projet de loi est la réalisation de cette promesse.

La question a déjà fait l’objet de nombreuses réflexions : je pense aux travaux conduits par MM. les sénateurs Girod, en 1989, Jolibois, en 1995, et de Broissia, en 2007, au rapport relatif à la déontologie des journalistes commandé en 1999 par Mme Trautmann au sociologue Jean-Marie Charon, à l’avis rendu la même année par le Conseil économique et social sur la liberté de communication. Cette question a également été évoquée par le Parlement à l’occasion des débats sur les lois relatives à la sécurité quotidienne, en 2001, et à la présomption d’innocence, en 2002.

Notre droit reste toutefois insuffisant. Le présent texte était attendu depuis longtemps par les journalistes, ainsi que par tous ceux qui sont attachés à la démocratie et à la liberté de l’information, dont la protection des sources est la pierre angulaire. La liberté de la presse est la voix de la démocratie, dont elle exprime les valeurs et la diversité des opinions en son sein. Elle est également le cœur de la démocratie, la presse éclairant l’opinion publique. Elle est enfin le bras de la démocratie, car elle dénonce les dérives et l’arbitraire, et participe à l’équilibre des pouvoirs.

Sans protection des sources, la liberté d’expression resterait purement théorique. Qui accepterait de communiquer une information à un journaliste si sa vie ou sa liberté devait être menacée ? Quel journaliste accepterait de faire courir ce risque à un informateur ? Je ne pense pas qu'il y ait de clivages politiques sur ce point : durant la campagne présidentielle, Mme Royal s'était elle aussi engagée à garantir la protection des sources.

Cette protection n'est pas actuellement garantie par la loi. Un procureur de la République, un officier de police judiciaire ou un tribunal peuvent exiger d'un journaliste la divulgation de ses sources. Celui-ci ne peut refuser sans s’exposer à une amende de 3 750 euros. Il existe une seule exception, que nous devons à l’ancien garde des sceaux, Michel Vauzelle, depuis la loi du 4 janvier 1993, qui permet à un journaliste entendu comme témoin par un juge d'instruction de refuser de livrer une information qui permettrait de connaître sa source.

Si cette loi a constitué une amélioration importante, le dispositif reste très incomplet : le principe n'est pas clairement énoncé dans notre législation, et le droit pour un journaliste de taire ses sources n'est prévu que dans une seule hypothèse. C'est pourquoi le projet de loi pose le principe de la protection des sources et encadre davantage l'intervention de l'autorité judiciaire.

Ce principe sera désormais inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C'est l’objet de l'article premier du projet – « Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l’information du public sur des questions d'intérêt général » – qui s’inspire de la recommandation du Conseil de l'Europe du 8 mars 2000.

Le principe vaudra en toutes matières et concerne la profession de journaliste entendue dans un sens très large, plus large que la définition qu’en donne le code du travail. La définition retenue, résultant de l'avis du Conseil d'État, englobe tout professionnel qui recueille et diffuse de l'information au public – quel que soit le médium utilisé – et qui exerce régulièrement cette activité contre rémunération. Il n'est plus exigé que l'activité journalistique procure au professionnel le principal de ses ressources. Sont ainsi concernés – outre les journalistes au sens du code du travail – les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers. Le projet donne une véritable assise juridique au secret des sources. Je ne vois pas de meilleure garantie.

Le projet encadre en outre l'intervention de l'autorité judiciaire. La justice a besoin d'accéder à certaines informations. Lorsqu’un attentat terroriste a été commis et qu’un nouvel attentat est à craindre, il se peut qu’un journaliste possède des informations qui permettraient de localiser et d’interpeller les auteurs. Ma conviction est que le secret des sources doit pouvoir être levé dans certaines conditions, très encadrées. Il ne peut être absolu. Il doit exister un équilibre entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l'homme appelle « un impératif prépondérant d'intérêt public ».

L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose en effet que le secret des sources peut être levé pour des motifs relatifs à la sécurité nationale, à l'intégrité du territoire ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire. Le projet s'inscrit dans cette philosophie et précise qu' « il ne peut être porté atteinte au secret des sources que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ». La justice ne pourra remonter à la source du journaliste qu'à titre exceptionnel, si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient, et si cela est absolument nécessaire à l'enquête. C'est un projet de loi équilibré, qui préserve la liberté d'information en même temps que les impératifs d'ordre public et de justice.

Ainsi, il ne pourra être porté atteinte au secret des sources lors d'une enquête portant sur des vols, de petites fraudes ou escroqueries, des cercles de jeux clandestins ou des infractions au code de la route – la gravité des faits n'est pas suffisante. Mais il faut se garder d'établir une liste exhaustive de faits graves car il est impératif de laisser les juges apprécier, cas par cas, s'il est justifié de lever ce secret.

Je prends un exemple précis. L'enlèvement suivi de moins de sept jours de séquestration est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement. La peine encourue ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un délit « grave », tel que certains amendements l'entendent, car certains délits sont punis de sept ou de dix ans d’incarcération. Imaginons pourtant qu’un enfant soit enlevé et qu’un journal reçoive une lettre du ravisseur qui menace de tuer cet enfant dans les quarante-huit heures si la rançon n'est pas payée. Les enquêteurs ne disposent d’aucun élément, et il est urgent d'agir pour sauver la vie de l'enfant. La communication de la lettre aux enquêteurs pourrait permettre d'identifier l'auteur grâce à des traces d’ADN, à des indices matériels, à des similitudes avec une autre affaire. Le journaliste oppose alors le secret des sources. Même si le délit n'est puni que de cinq ans d'emprisonnement, faut-il s'interdire de lever le secret ? Faut-il prendre le risque de laisser tuer cet enfant, sachant que les enquêteurs n'ont aucune chance d'arrêter l'auteur par leurs propres moyens ? Dans un tel contexte, il faut permettre la levée du secret ; c'est une atteinte exceptionnelle et proportionnée au principe du secret des sources.

Le projet est conforme à la lettre et à l'esprit de la Convention européenne des droits de l'homme, et il rapproche notre droit des autres législations européennes. Ainsi, aux Pays-Bas, la jurisprudence considère que le droit de protéger ses sources cesse lorsque la sécurité de l'État est en péril. Au Luxembourg, la protection des sources ne s'applique pas aux crimes contre les personnes, au trafic de stupéfiants, au blanchiment, au terrorisme ou aux atteintes à la sûreté de l'État. En Allemagne, les tribunaux considèrent que le secret des sources peut être levé lorsqu'il s'agit de lutter contre la criminalité.

Le projet n’est pas une demi-mesure. Il prend en considération tous les impératifs et fixe un cadre rigoureux à l'intervention du juge, garant des libertés individuelles.

Le principe général posé dans la loi de 1881 a des effets sur toute la procédure pénale. Tous les actes d'enquête et d'instruction seront soumis aux conditions restrictives qui permettent, à titre exceptionnel seulement, d'identifier la source d'un journaliste. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, enquêteurs et magistrats devront chercher à résoudre l'affaire sans passer en aucune façon par le journaliste. À défaut, leurs actes seront annulés.

Les journalistes se voient par ailleurs reconnaître un droit au silence absolu, un droit de taire leurs sources en toutes circonstances. Entendus comme témoins, ils pourront invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale ; ils n'encourront plus d'amende s'ils se taisent et s'ils refusent de fournir un document pour protéger leurs sources.

Enfin, le projet les protège davantage en cas de perquisition. Actuellement, le code de procédure pénale dispose, conformément à une disposition de la loi Vauzelle, que les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle sont effectuées par un magistrat. Le projet va plus loin en étendant cette garantie aux agences de presse et au domicile des journalistes. C'est une nécessité, et cette mesure répond à une attente très forte des journalistes.

Le magistrat effectuant la perquisition devra s'assurer qu’elle ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au secret des sources, au regard de la gravité et de la nature de l'infraction. Le journaliste pourra s'opposer, durant la perquisition, à la saisie d'un document qui permettrait d'identifier une de ses sources. Il appartiendra alors au juge de la liberté et de la détention de se prononcer sur la nécessité de saisir ce document et de le verser au dossier pénal.

Le texte, plus protecteur pour les journalistes, permet néanmoins une intervention encadrée de l'autorité judiciaire. Il est donc équilibré. Je connais votre attachement à la liberté de la presse, et aux intérêts supérieurs du pays. Je ne doute pas que vous aurez à cœur de les concilier en adoptant ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Étienne Blanc, rapporteur de la commission des lois Selon l’adage, « qui cite ses sources les tarit ». De fait, la possibilité qu’a le journaliste de taire l'origine de ses informations, parce qu’elle permet d'en éviter le tarissement, constitue une condition de la liberté d'informer et du droit des citoyens d'être informés. La protection du secret des sources des journalistes apparaît dès lors comme le corollaire direct du droit à l'information. Or notre droit ne protège que partiellement le secret des sources des journalistes. Certes, la loi du 4 janvier 1993 a reconnu aux journalistes le droit de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins, mais il s'agit d'un droit de non-divulgation, qui laisse au journaliste la liberté de les révéler ou de ne pas les révéler. De plus, ce droit au silence est aujourd'hui limité à la phase d'instruction – il ne s'applique pas à la phase de jugement.

La loi de 1993 a en outre introduit dans le code de procédure pénale un article 56-2 relatif aux perquisitions dans les entreprises de presse. Il dispose que de telles perquisitions ne peuvent être réalisées que par un magistrat, chargé de veiller à ce que les investigations ne « portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ». Ces garanties apparaissent insuffisantes.

D’autre part, notre législation en la matière n’est pas conforme à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et à l'interprétation très extensive qu'en a faite la Cour de Strasbourg au fil des ans, notamment par les arrêts « Goodwin contre Royaume-Uni » de mars 1996, « Roemen et Schmit contre Luxembourg » de février 2003, « Ernst et autres contre Belgique » de juillet 2003. Par sa jurisprudence, la Cour a établi que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et qu’elle doit être garantie car, si ce principe n’était pas respecté, la presse pourrait être « moins à même de jouer son rôle indispensable de chien de garde de la démocratie ». La Cour ajoute que les journalistes doivent pouvoir ne pas révéler leurs sources à l'autorité judiciaire, sauf si l’atteinte au secret est justifiée par « un impératif prépondérant d'intérêt public ».

Le projet tente de remédier aux insuffisances de notre droit au regard de cette jurisprudence. Mme la garde des sceaux vient de nous exposer les dispositions qu'il contient ; je n'y reviendrai donc pas, mais je souhaite détailler les travaux de la commission, qui a adopté, lors de sa réunion du 2 avril, 17 amendements, dont 5 à l'unanimité. Ces amendements renforcent encore les garanties apportées par le texte. Ils répondent à des interrogations, voire à des objections formulées lors des quarante auditions menées.

La première question abordée a été celle des limites à apporter au principe de la protection du secret de sources et des critères pouvant autoriser une atteinte à ce principe. Très majoritairement, les personnes entendues se sont accordées sur la nécessité de dérogations exceptionnelles, mais la notion d'« intérêt impérieux », jugée trop floue, a été très décriée. Reprenant la terminologie retenue par la CEDH, la commission lui a substitué celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public ».

La commission s’est aussi interrogée sur l’adéquation de notre droit à la pratique journalistique et aux évolutions technologiques. Ont ainsi été évoqués le sort des collaborateurs des journalistes qui, parce qu’ils peuvent avoir accès aux sources, doivent bénéficier de la même protection ; la question des véhicules professionnels et notamment des cars-régies, où des perquisitions peuvent être organisées ; les divers matériels de communication utilisés par les journalistes – ordinateurs portables, téléphones mobiles… – qui peuvent être saisis lors des perquisitions ; la question des remontées d'appels sur les téléphones portables qui peuvent, sur réquisition adressée à un opérateur de téléphonie, révéler l'identité d'une source.

La commission a adopté des amendements conçus pour répondre aux interrogations exprimées. Ainsi, l’un dispose que les critères de dérogation s'appliquent aussi aux atteintes indirectes. Cette formulation permet d'inclure les collaborateurs des journalistes dans le champ du texte : ce ne sont pas les journalistes qui sont protégés en tant que tels, mais bien le secret des sources lui-même, quelle que soit la personne qui le détient.

Un autre amendement ajoute les véhicules professionnels à la liste des lieux dans lesquels les perquisitions doivent respecter les prescriptions de l'article 56-2 du code de procédure pénale. Un troisième amendement fait entrer les différents matériels utilisés par les journalistes au nombre des objets dont la saisie peut être contestée devant le juge des libertés. Enfin, deux amendements portant articles additionnels exigent que les procédures de réquisition et d'écoute judiciaire respectent le principe du secret des sources posé par le nouvel article 2 de la loi de 1881.

À ce sujet, la commission s’est interrogée sur l'articulation entre les articles du texte. Ce nouvel article 2 pose un principe général qui devra être appliqué en toute matière, notamment en matière pénale mais qui ne doit pas remettre en cause le droit absolu des journalistes de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins. Pour apaiser toute inquiétude sur ce dernier point, la commission a adopté un amendement posant explicitement qu'en aucun cas une atteinte au secret ne peut emporter obligation pour le journaliste de révéler la source de ses informations.

Une dernière question se pose, qui n'est pas abordée par le texte mais qui est étroitement liée à la question du secret des sources : celle du recel de la violation du secret de l'instruction. Faut-il aller jusqu'à exclure les journalistes de toute poursuite sur ce chef d'accusation ? Je ne le pense pas, car cela induirait une inégalité devant la loi et emporterait la fin du secret de l'instruction. Il fallait cependant réfléchir au cas des journalistes poursuivis pour diffamation, car ils sont dans une situation incohérente. Ils doivent en effet prouver leur bonne foi ou faire la preuve de la vérité des faits considérés comme diffamatoires, mais s'ils apportent à l'appui de leur défense des documents couverts par le secret de l'instruction, ils peuvent ensuite être poursuivis pour recel de violation de ce secret. La commission a donc adopté, à mon initiative, un amendement visant à exclure toute poursuite pour recel d'un journaliste poursuivi pour diffamation.

En conclusion, ce projet de loi, enrichi des amendements adoptés par la commission, renforce la liberté d'exercice du métier de journaliste, notamment pour le journalisme d'investigation ; il accroît la crédibilité dont les journalistes peuvent se prévaloir auprès de leurs informateurs et, au total, garantit mieux la liberté de la presse, dans le respect des principes posés par la Cour de Strasbourg.

On a pu lire ou entendre çà et là que ce projet n'allait pas suffisamment loin et demeurait imprécis sur les exceptions à la règle de protection des sources. En inscrivant cette mesure dans la loi du 29 juillet 1881, nous ne procédons pourtant pas à une petite réforme ni à une simple adaptation de nos règles de droit, mais posons bien un nouveau principe au service de la liberté d'informer et de notre démocratie. C'était un engagement du Président de la République. Il sera tenu et représentera une avancée très importante au service de la liberté de l'information en France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Aurélie Filippetti – Nous avons l’honneur d’examiner un texte visant à modifier la grande loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, laquelle n’a été, depuis un siècle et demi, retouchée qu’une quinzaine de fois, essentiellement pour des raisons techniques – changement de nom d'institution, arrivée de nouvelles techniques ou pratiques journalistiques, évolution des peines... Par sa force et son aspect éminemment émancipateur, cette loi a survécu à un siècle qui fut souvent cruel pour les libertés. Elle s’est imposée comme l’un des piliers de notre République et comme un modèle pour les sociétés démocratiques. C’est pourquoi tout projet tendant à la modifier substantiellement doit être examiné « avec une scrupuleuse attention », selon l’expression même utilisée par la Cour européenne des droits de l’homme quand il s’agit d’apprécier l’opportunité d’autoriser des exceptions au principe de la protection des sources des journalistes et de faire la balance entre les intérêts en présence.

L’objectif de ce projet de loi est de nous mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme après plusieurs condamnations pour des poursuites à l’encontre de journalistes, comme, en 2007, dans l’affaire Dupuy. Une lecture superficielle de son exposé des motifs pourrait susciter l’adhésion, mais celle-ci ne résiste pas à une lecture plus attentive qui révèle une rédaction imprécise – sans doute imputable au fait que la Chancellerie a pris le pas sur le ministère de la culture et de la communication pour la rédaction du texte –, ou bien des intentions cachées. C’est cette imprécision qui est à l’origine de notre exception d’irrecevabilité. Involontaire ou préméditée, dans les deux cas, elle rend le texte inapplicable et régressif.

Les journalistes se sont tout d'abord réjouis de l'inscription dans la loi de 1881 du principe de la protection de leurs sources. C'était une promesse du candidat à la présidence de la République qui avait déclaré qu'il accéderait à la revendication de longue date d’une profession confrontée à une pression croissante de la police et de la justice, comme en témoignent différentes affaires – Clearstream avec la mise en examen du journaliste Denis Robert et les perquisitions au Canard enchaîné, Cofidis avec la mise en cause de L’Équipe et du Point, la garde à vue du journaliste-écrivain Guillaume Dasquié...

S’il est aisé de promettre en campagne de renforcer la liberté de la presse, il arrive qu'à trop proclamer qu'on la protège, on l'étouffe. Chaque détail du texte qui nous est soumis peut se révéler être une chausse-trappe. Chaque exception au grand principe proclamé peut pervertir, voire anéantir, l'ensemble du travail. D’autant qu’on ne peut passer sous silence le contexte délicat dans lequel intervient l'examen de ce texte. Sans vouloir nourrir la polémique, l'opposition s'inquiète des attaques répétées portées à l'indépendance de la presse, principe fondamental de notre République et de toute société démocratique. Je pense notamment aux critiques iniques adressées à l'AFP par des collègues de la majorité, par le Président de la République lui-même, et que Mme Albanel s’est sentie tenue de relayer. Au moment où la télévision publique, et donc ses rédactions, sont fragilisées par le projet de supprimer les recettes publicitaires, au moment où l'AFP négocie le renouvellement de son contrat d'objectif et de moyens avec le souci de préserver son statut de deuxième agence de presse au monde, il est essentiel de rappeler que ce n'est pas au Prince de tenir – ou de retenir – la plume des journalistes.

M. Christian Vanneste – Il ne s’agit pas de retenir la plume de quiconque, mais de critiquer ceux qui portent atteinte à la liberté d’expression !

Mme Aurélie Filippetti – La coïncidence dans le temps entre l'examen de ce texte et ces attaques contre la presse française ne laisse pas d'interroger. Sont-ce de simples dérapages « épidermiques » ou une stratégie concertée ? Sont-ce les prémices d'une remise en cause plus fondamentale, notamment du financement de l'AFP, laquelle jouit d'un statut juridique exceptionnel, datant de la Libération – car, faut-il le rappeler, la première dépêche de l’AFP date du jour de la libération de Paris. Tout cela en se dissimulant derrière l’adoption de ce texte.

Quelque alléchant que soit le titre du projet, vous comprendrez notre extrême vigilance. Ces questions liminaires ne sont pas anecdotiques dans un monde qui croule sous les rumeurs présentées comme de l'information, par le biais notamment de l'offre en ligne. Sans journalistes indépendants, nulle garantie que l’information soit découverte, vérifiée, recoupée, « sourcée », établie et hiérarchisée, ce qui exige un travail professionnel. Sans protection de leurs sources, nulle possibilité pour les journalistes d'exercer sereinement leur mission de recherche et de transmission d'une vérité qui ne soit pas seulement de l’histoire officielle.

Pourquoi indiquer les sources d’une information ? Pour permettre de valider le processus démocratique par lequel elle est parvenue jusqu'au public. Mais parfois l'exercice même de l'activité de journaliste rend impossible, voire dangereux, de citer explicitement ses sources. Sans une relation de confiance entre le journaliste et celui qui lui livre une information, aucune investigation n'est possible. Le caractère licite ou non de ces sources ne doit pas entrer en ligne de compte. Comme l'a constamment rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, l'exercice même de la liberté de la presse est « d'intérêt public ». L'étanchéité absolue entre celui qui écrit et ses sources, mais aussi avec tout ce qui permet de remonter à ces sources, doit primer sur les intérêts éventuellement menacés par ses investigations. En 1976, dans l'arrêt Handyside, la CEDH a donné une définition extensive de la liberté d'expression, précisant que celle-ci devait valoir « non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent », ajoutant : « Ainsi le veut le pluralisme, la tolérance et l’esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique ».

Personne ne réclame ici un statut de citoyen d'exception pour les journalistes mais, dans l'exercice de leur activité, ils doivent bénéficier de garanties particulières, y compris et peut-être même surtout contre la raison d'État. Rien dans nos amendements ne supprimera la possibilité d'intenter une action pour atteinte à l'intimité de la vie privée ou pour diffamation, comme cela existe aujourd'hui, mais nous refusons le caractère imprécis et arbitraire des exceptions qu'établit ce projet de loi, même amélioré par les amendements du rapporteur et de la commission.

Nous sommes ici pour faire progresser la démocratie en affirmant des principes et « en élargissant l'espace » des libertés publiques. Il est si simple après tout de se dire que, si un journaliste détient des informations susceptibles d'intéresser la police, la justice ou la force publique, il suffit de lui demander de les livrer au nom de la sécurité de l'État. Mais comme le relevait Rousseau, « on vit en sécurité dans une prison ». Le journaliste n'a pas à être un auxiliaire de police ou de justice. Il est un contre-pouvoir, un garde-fou contre les dérives toujours possibles, un « chien de garde » de la démocratie, comme le dit la CEDH. Un journaliste qui aurait interviewé un indépendantiste algérien pendant la guerre d'Algérie, aurait pu, avec ce projet de loi, être contraint de livrer ses sources et d’indiquer comment il était entré en contact avec elles. Celles-ci étaient en effet alors qualifiées de « terroristes » par l'État français. Or, il apparaît aujourd'hui combien il pouvait être important de leur donner la parole publiquement, dans la presse. C'était évidemment d'intérêt public.

Outre qu’il n'est pas à la hauteur des enjeux, ce texte est finalement beaucoup moins protecteur que le droit applicable actuellement, qu’il s’agisse du droit interne ou du droit européen.

En droit interne tout d'abord, la liberté d'expression et la liberté d'information font aujourd'hui partie des libertés fondamentales garanties par la Constitution. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 dispose que : « La libre communication des pensées et des opinions est l'un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Le Conseil constitutionnel a, à de nombreuses reprises, qualifié cette liberté de « liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles des autres lois et libertés ». Il place la liberté de la presse parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Certes, la liberté d'expression n'est pas un droit infini et indéfini. L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, après en avoir énoncé le principe, précise dans son deuxième alinéa dans quelles conditions l’État peut être amené à la restreindre. Ces restrictions doivent toutefois être encadrées sévèrement. La 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, le 14 novembre 2006, dans une décision relaxant le magistrat Albert Lévy, accusé d'avoir transmis à un journaliste des documents confidentiels, affirme que « la condamnation d'un journaliste pour recel de violation de secret de l’instruction n'est pas nécessaire dans une société démocratique ». Or, c'est aujourd'hui sur le chef de recel que sont poursuivis la plupart des journalistes, et ce texte ne dit mot pour y mettre un frein.

L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 octobre 2006 reconnaît que les perquisitions contre des journalistes sont des actes « d'une extrême gravité » constitutifs d'une ingérence dans la liberté de la presse, et qu'elles ne sauraient être justifiées « autrement que par les principes de subsidiarité et de proportionnalité ». La Cour de cassation a aussi rappelé que, toutes choses égales par ailleurs, la défense de la liberté de la presse devait prévaloir sur les autres intérêts dans une société démocratique. Pour autant, en l'état du droit, elle a considéré les perquisitions effectuées au Point et à L'Equipe, dans le cadre de l'affaire Cofidis, conformes à l'article 10 de la convention européenne. Votre texte ne changera rien à cette situation, alors même que cette décision contredit les prescriptions de la Cour de Strasbourg qui, dans son arrêt « Ernst contre Belgique », jugeait que « les perquisitions ayant pour objet de découvrir la source d'information des journalistes, même si elles restent sans résultat, constituent un acte encore plus grave qu'une sommation de divulguer l'identité de la source ».

La législation française est par ailleurs insuffisamment protectrice du secret des sources au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de l'interprétation, assez extensive, qu'en a faite la Cour de Strasbourg.

Dans l'arrêt « Goodwin contre Royaume-Uni » de mars 1996, la Cour se prononce pour la première fois sur la protection des sources d'information des journalistes en l'intégrant dans le champ de l'article 10 de la Convention. L'arrêt « Roemen et Schmit contre Luxembourg » de février 2003 établit que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Enfin, dans l'arrêt « Ernst et autres contre Belgique », la Cour met en cause le principe même des perquisitions.

La Cour européenne des droits de l'homme est donc de plus en plus protectrice. Ainsi lors de la condamnation de la France, le 7 juin 2007, dans l’affaire Dupuis, elle invite à la « plus grande prudence » concernant le recel, et cite l'annexe de la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe qui réaffirme le droit du public à recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police via les médias.

Par ailleurs, ce texte ne précise nullement ce qu'est une source ni qui sont les personnes protégées. Il ne dit mot des écoutes téléphoniques ou électroniques, des interceptions de correspondances, notamment électroniques, ni du recel de violation de secret professionnel ou de secret de l'instruction, pourtant principale menace pesant aujourd'hui sur la presse. Le premier article du projet est une véritable jungle d'exceptions. La liberté demande plutôt la simplicité.

L'article 2 justifie ces perquisitions à l'encontre des journalistes sous couvert de les réglementer à la manière de celles visant les avocats. Mais les journalistes n'ont pas les garanties que donne la présence du bâtonnier. La Chancellerie s’en remet aux magistrats pour apprécier l'opportunité de protéger ou non leurs sources. Nous faisons confiance aux juges, mais nous refusons que cette confiance ne dissimule une défiance vis-à-vis de la liberté de la presse.

Conservons l’esprit émancipateur d’une des lois fondatrices de la République, celle de 1881. Son article premier précise : « L'imprimerie et la librairie sont libres ». Pourquoi ne pas affirmer avec la même force que le droit au secret des sources est protégé par la loi ?

La Cour européenne des droits de l'homme dans sa jurisprudence, comme le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe dans ses recommandations, considèrent la protection des sources des journalistes comme « la pierre angulaire de la liberté de la presse », elle-même fondement « indispensable à toute société démocratique ».

C'est la Belgique qui s'est le plus approchée de ce modèle par sa loi du 27 avril 2005, qui reconnaît le droit à la protection des sources non seulement aux journalistes, mais aussi à leurs collaborateurs et aux directeurs de publication. Elle définit les sources comme tout ce qui peut permettre de remonter à l'origine d'une information, et refuse la possibilité de l’incrimination de recel à l’encontre des journalistes. Elle limite strictement la possibilité pour un magistrat d'invoquer une exception au grand principe de protection des sources aux seuls cas permettant d'empêcher la commission d'un crime portant atteinte à l'intégrité physique des personnes, s'il n'existe aucun autre moyen d'avoir accès à cette information. Elle interdit écoutes téléphoniques et interceptions de correspondances, ainsi que tout autre moyen coercitif pour faire plier un journaliste dans l'exercice de ses fonctions.

Une loi de ce type établit une relation de confiance entre la presse et la société. Dans le projet français au contraire, le journaliste n’est pas considéré comme une sentinelle de la démocratie, mais comme un suspect potentiel, complice de tous les crimes et délits dont il rend compte. En l'état, ce projet est même en recul sur notre droit actuel, qui garantit la protection des sources par l'article 109 du code de procédure pénale, toujours appliqué dans un sens extensif.

Encore une fois, il ne s'agit pas de donner au journaliste un statut d'exception. Il ne s'agit pas non plus de lui conférer le secret professionnel comme en Suède, car nous souhaitons que l’exceptio veritatis soit maintenue dans les cas de plaintes en diffamation contre des journalistes. Mais c'est bien l'exercice même de la liberté de la presse qui est d'intérêt général, indépendamment du caractère licite ou non de l'objet de ses investigations.

Votre projet dispose que l'on pourra déroger au principe de la protection des sources en cas « d'intérêt impérieux » et, en matière pénale, « pour les nécessités particulières des investigations ». Tant d’imprécision juridique laisse place à l'arbitraire des juridictions, dont toutes n'ont pas de chambre spécialisée en droit de la presse.

Depuis quelques années, de nombreuses affaires ont mis en lumière les pressions de plus en plus fortes que subissent les journalistes d'investigation. Ainsi, des journalistes de France 3 qui avaient récupéré le film de l'accident de Villiers-le-Bel avant les émeutes, ont été sommés d'en révéler l'auteur. Le Canard enchaîné, dans l'affaire Clearstream, a été protégé par une collaboratrice qui a opportunément perdu les clefs des bureaux lors de la tentative de perquisition. Guillaume Dasquié a été placé en garde à vue pour recel de violation de secret défense. L'incrimination de recel de violation de secret de l'instruction se multiplie, alors même que, lors de la discussion législative en 1957, le garde des sceaux avait expressément précisé que cela ne concernait « évidemment pas » les journalistes.

En juillet 1998, Gilles Millet, spécialiste des affaires corses, a été mis en examen parce qu’il détenait un procès-verbal émanant de l'Office central de répression de la grande délinquance financière visant un militant nationaliste corse. La police l’avait trouvé en perquisitionnant son domicile. Toujours pour un dossier corse, ce fut également le cas pour Jean-Pierre Rey, journaliste à Gamma, en 2001. C'est aussi ce qui s'est passé dans l'affaire Cofidis. Sans cesse s’opposent secret des sources et secret de l'instruction. Mais dans l'affaire Outreau, peut-on regretter que Florence Aubenas ait eu accès aux procès-verbaux d'instruction et ait pu ainsi alerter l'opinion sur le scandale en cours ?

Et est-il normal que Guillaume Dasquié ait été placé en garde à vue pendant 27 heures parce qu'il était soupçonné d'avoir divulgué des rapports confidentiels, dans Le Monde du 17 avril 2007, sur ce que la DGSE connaissait d'Al Quaïda avant les attentats du 11 septembre 2001 ? Les journalistes de France 3 Orléans ont été harcelés pour livrer les « rushes » de leur reportage sur les faucheurs d'OGM. Le 6 mai dernier, les policiers ont tenté de prélever les empreintes génétiques de la rédaction de la radio corse Frequenza Mora. Ils avaient été saisis par la section anti-terroriste du parquet de Paris, après la réception d'un communiqué d'un groupe clandestin. Le texte avait été retrouvé par un journaliste après un coup de téléphone anonyme au standard de Frequenza Mora. Les policiers ont procédé à quatre auditions, dont celles du directeur de la station de radio, et entendu la standardiste pendant une heure et demie... !

La loi Sarkozy du 18 mars 2003, renforçant les possibilités de perquisition des forces de police, et la loi Perben du 9 mars 2004, obligeant les « détenteurs d'information » à les communiquer « sans que puisse être opposée l'obligation au secret professionnel », peuvent être interprétées comme un encouragement adressé aux juges pour étouffer la liberté d'informer.

Il ne s'agit pas pour nous de condamner par principe ce texte. Le droit au secret des sources des journalistes n'est pas un droit absolu. Mais les dérogations doivent être précises et compatibles avec la jurisprudence de la CEDH.

Ce texte aurait des répercussions extrêmement néfastes s'il était adopté en l'état, tout d'abord en raison de ses ambiguïtés rédactionnelles, sur la notion d’« intérêt impérieux » par exemple. Or le 25 juin 1997, le tribunal de grande instance de Paris affirmait qu'il ne peut être dérogé à la protection des sources journalistiques que « dans des circonstances exceptionnelles, si des intérêts publics ou privés vitaux sont menacés ». Et même la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie décidait, le 11 décembre 2002, qu'un correspondant de guerre ne pouvait être cité à comparaître que si la partie requérante démontrait tout d'abord que le témoignage demandé présentait un intérêt direct et d'une particulière importance pour une question fondamentale de l'affaire concernée, et si elle prouvait que ce témoignage ne pouvait être raisonnablement obtenu d'une autre source.

Ce texte est néfaste du fait aussi de son manque d'ambition. Alors qu’il faudrait une vraie loi sur la presse, on repousse à plus tard le traitement des questions relatives au statut de journaliste et à l'indépendance des rédactions.

Il l’est enfin en raison du décalage entre votre discours et ses dispositions. En Conseil des ministres, vous déclariez que « le droit des journalistes à la protection des sources d'information sera inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il ne pourra y être porté atteinte qu'à titre exceptionnel et lorsque la nature de l'infraction et sa particulière gravité le justifient ». Si les syndicats de journalistes se sont réjouis de cette annonce, ils ont vite déchanté après examen plus approfondi des mesures proposées. Comme le rappelle Basile Ader, avocat au barreau de Paris spécialisé dans le droit de la presse, l’introduction du régime de protection des sources dans la loi de 1881 tient essentiellement du symbole. Concrètement, tout dépend de la manière dont est rédigée la loi, et de son interprétation. Il fallait un véritable saut qualitatif. Nous ne l’avons pas.

C'est pourquoi le groupe SRC a présenté une exception d'irrecevabilité. Elle se fonde sur le non-respect du principe de légalité. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Dans sa décision du 20 janvier 1981 au sujet de la loi « sécurité-liberté », le Conseil constitutionnel a déduit du principe de légalité posé par cet article la « nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ». Dans des décisions de 1985, 1986 et 1987, il a insisté sur la « qualité de la rédaction de la loi ».

Nous faisons des propositions pour délimiter plus précisément les exceptions.

D’abord, le principe du droit à la protection des sources mérite d'être rappelé solennellement en tête de la grande loi de 1881 sur la presse, en s’appuyant sur l'affirmation de la CEDH selon laquelle c'est l'exercice même du métier de journaliste qui est d'intérêt général. Ensuite, la protection des sources ne doit pas se limiter à l'information qualifiée « d'intérêt général », notion qui prête à interprétation. Il convient également de définir de façon complète les personnes qui bénéficient du droit au secret des sources d'information : il doit concerner non seulement le journaliste, mais les directeurs de publication, rédacteurs, traducteurs, réviseurs, dessinateurs de presse, photographes, correspondants locaux et leurs collaborateurs.

Si ce droit au secret n'est pas absolu, ses limites doivent être compatibles avec la jurisprudence de la CEDH. Ce n’est pas le cas dans le projet puisqu’on n’y définit pas clairement « l'intérêt impérieux » ou « la particulière gravité ». Il est proposé de ne retenir que des conditions cumulatives précises : la levée du secret serait absolument nécessaire pour éviter une infraction constitutive d'une atteinte grave aux personnes, caractérisée par la peine encourue et qui ne peut être prouvée par un autre moyen.

On ne peut que s'étonner de voir la procédure de perquisition inscrite dans la loi de 1881, concernant les journalistes. La décision de perquisition, qui doit être au moins motivée, est suffisamment grave pour impliquer un droit au recours.

Les journalistes doivent bénéficier d'une protection en matière d'interceptions téléphoniques, comme les parlementaires, avocats et magistrats. Ce n’est pas réellement le cas.

Sur l'incrimination de recel, nous proposons de distinguer le cas des personnes qui disposent d'informations protégées selon qu'elles les ont acquises frauduleusement ou de bonne foi. Seraient ainsi présumées de bonne foi celles qui disposent d'un document n’ayant été ni volé ni extorqué, le responsable de la « fuite » étant le professionnel qui n'a pas respecté ses propres obligations.

Un bon texte devrait allier protection du secret des sources et délimitation précise des exceptions. Or, ce texte manque de précision. Il n'offre qu'une protection de façade. C'est pourquoi je vous invite, au nom du groupe socialiste, à voter la motion d'irrecevabilité.

À l’instar de la loi sur les archives, qui vient de consacrer la notion d'archives incommunicables, ce texte fleure la raison d'État. Derrière la notion d’intérêt « impérieux », juxtaposition de deux concepts qui n’avaient jamais été liés en droit français, c'est en effet l’« imperium » romain qui ressurgit, c'est-à-dire le pouvoir en tant que tel, l'État comme puissance d'injonction. Comme c’était déjà le cas avec la loi sur les archives, la suspicion règne à l’égard de tous ceux qui font profession de remettre en cause les vérités de l'histoire officielle.

Après avoir créé des archives incommunicables, vous allez maintenant rendre des informations incommunicables sous peine de poursuites. Historiens, journalistes, chercheurs, intellectuels et critiques sont les cibles d'un pouvoir qui se veut fort et centralisé, qui prétend écrire seul sa propre histoire, mais qui démontre surtout ses propres faiblesses et ses peurs (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Étienne Blanc, rapporteur – La motion d’irrecevabilité s’appuie sur deux arguments principaux. Le premier est tiré de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : on nous accuse d’instaurer de nouvelles incriminations sans les assortir de précisions suffisantes, ce qui déstabiliserait notre droit. Or, ce projet ne crée aucune incrimination : il se borne à modifier les procédures en vigueur.

Mme Filippetti craint également que le texte ne soit en recul sur la loi de 1881. Mais c’est à croire que nous n’avons pas lu le même texte…

M. Noël Mamère – Nous ne l’avons pas lu de la même manière…

M. Étienne Blanc, rapporteur Celui-ci va inscrire dans la loi de 1881, si symbolique, ce que les journalistes réclament depuis des années : la protection de leurs sources. S’agissant des perquisitions, le dispositif retenu garantit également que les pièces saisies correspondront aux critères établis à l’article 2.

Grâce à ce texte, les journalistes pourront bénéficier d’un droit au silence, non seulement lors de l’instruction comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi devant les juridictions de jugement. En cas de poursuites pour recel, les journalistes doivent pour le moment choisir entre une condamnation pour diffamation ou bien pour recel s’ils produisent les pièces dont ils disposent. Par voie d’amendement, il vous est proposé de mettre fin aux poursuites déclenchées contre les journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction.

Comme les représentants du monde de la presse l’ont presque tous reconnu, le principe de protection des sources doit nécessairement s’accompagner d’exceptions. Cette question opposait déjà, en août 1789, Robespierre et Rabaut de Saint-Étienne à Mirabeau et au duc de la Rochefoucauld. Il fut admis que le principe de liberté devait être assorti d’exceptions.

C’est pourquoi l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». C’est précisément l’objet de ce texte.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Frédéric Lefebvre – Mme Filippetti vient de nous donner une nouvelle démonstration de la méthode socialiste : beaucoup parler, mais sans jamais rien faire. La loi votée en 2000, dite loi Guigou, ne disait pas un mot des journalistes. Notre collègue vient pourtant de rappeler que cette question obsède les esprits depuis une jurisprudence datant de 1996... Vous avez organisé des réunions, vous avez fait de nombreuses promesses, mais vous n’avez rien fait.

M. Noël Mamère et M. Patrick Bloche – Et la loi Vauzelle ?

M. Frédéric Lefebvre – Il faut agir, car les journalistes ont besoin d’un système efficace de protection. Comme le rapporteur vient de le rappeler, le Gouvernement a choisi d’introduire ce dispositif dans le texte le plus symbolique qui soit en matière de presse.

Mme Filippetti craint un recul par rapport à la jurisprudence à cause du critère d’impérieuse nécessité. Or, le rapporteur a proposé d’y substituer la notion jurisprudentielle d’« impératif prépondérant d’intérêt public ». Si vous ne suivez pas la commission sur ce point, c’est que vous trouvez la protection jurisprudentielle insuffisante et que vous ne faites pas confiance aux juges. Que proposez-vous donc à la place ? Nous aimerions vous entendre. Vous savez critiquer, mais il faudrait également formuler des propositions…

M. Patrick Bloche – Cessez de nous donner des leçons !

M. Frédéric Lefebvre – Avec ce texte, les journalistes vont bénéficier d’une protection nouvelle. J’ajoute que s’il y a un doute sur la procédure, il sera toujours possible de saisir la Cour de cassation. Les journalistes demandent peut-être encore plus de garanties, mais il faut savoir adopter des textes équilibrés.

Quelques mots enfin sur l’objectivité de l’AFP. Ce n’est pas le sujet, mais si je puis faire un peu d’humour, il me semble que l’UMP a été victime, en tant que source d’information, d’une non-utilisation de ses communiqués (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). M. Schneidermann, qui n’est pourtant pas tendre avec la majorité, a indiqué au cours d’un chat

M. Jacques Myard – Un quoi ? (Sourires)

M. Frédéric Lefebvre – …que l’AFP avait tort. Certains parlementaires socialistes l’ont également reconnu.

M. Patrick Bloche – Citez vos sources ! (Sourires).

M. Frédéric Lefebvre – Cela étant, je reconnais que l’AFP a su faire évoluer ses méthodes face aux modifications du paysage audiovisuel, mais nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur ce sujet.

M. le Président – Il faut conclure…

M. Frédéric Lefebvre – Le groupe UMP ne considère que l’intérêt de la presse et tente de trouver un juste équilibre, afin que, dans les affaires de terrorisme ou en cas de délit grave, la justice puisse faire son travail. En conséquence, il repoussera cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – En fin de séance, vous pourrez expliquer à M. Myard ce qu’est un chat.

M. Jacques Myard – Quelle décadence ! (Sourires)

M. Serge Blisko – Pour « porter la plume dans la plaie », comme l’écrivait Albert Londres, le journaliste doit jouir de la pleine confiance de ses informateurs. La protection des sources est consubstantielle à la liberté et à la démocratie. Lorsque celle-ci est en question, ce sont les journalistes qu’on arrête, ce sont leurs lieux de travail que l’on perquisitionne.

Aurélie Filippetti l’a rappelé, les dérives graves se sont multipliées ces dernières années, rendant nécessaire un tel texte. Mais l’objectif n’est pas atteint, et l’ambiguïté rédactionnelle pose question, au point de se demander si c’est l’équilibre entre la liberté et la lutte contre le terrorisme qui importe, ou l’équilibre entre les différentes factions de l’UMP.

Mme Marie-Christine Dalloz – Vous êtes bien placés pour parler de liberté !

M. Serge Blisko – Lorsque nous parlons de régression, nous ne faisons pas allusion à la loi princeps de 1881, mais à la Convention européenne des droits de l’homme. Nous restons sur notre faim, constatant que ce projet ne permettra pas de hisser la France au niveau européen.

Il comporte des notions subjectives, comme celle d’« intérêt général ». Or là où règne le subjectif, l’arbitraire pointe son nez. Les humeurs du moment et l’émotion publique ne doivent pas dessiner les contours du droit.

Même si les amendements du rapporteur sont de nature à préciser un certain nombre de points, l’équilibre n’est pas encore atteint et ce texte demeure une pâle copie, qui plus est ambiguë, de la loi belge du 7 avril 2005.

La discussion parlementaire, sur laquelle nous fondions nos espérances, semble mal engagée après que M. Lefebvre a tiré le débat vers le bas en se livrant à des attaques renouvelées contre l’AFP. J’invite le groupe SRC à adopter cette exception d’irrecevabilité.

M. Noël Mamère – Le travail sérieux mené par le rapporteur, M. Blanc, méritait sans doute mieux que l’explication verbeuse à laquelle s’est livré le représentant du groupe UMP, attaquant, comme avant lui le porte-parole du Gouvernement et le Président de la République lui-même, l’AFP. Une telle entreprise n’est pas anodine, au moment où doit être renégocié le contrat d’objectifs et de moyens de cette agence dont l’État est le premier client et qui a toujours réussi, vaille que vaille, à préserver son indépendance.

C’est un signe, s’il en fallait, de l’ambiance qui règne au sommet de l’État et lorsque Nicolas Sarkozy déclare que « tout est en ordre », il faut entendre « tout doit être aux ordres ».

Ce projet de loi tombe à un mauvais moment. L’exception d’irrecevabilité, très argumentée, était fondée sur la comparaison de notre droit avec la CEDH et celui en vigueur dans d’autres pays, comme la Belgique. Pour y répondre, le rapporteur a usé des mêmes arguments que pour un autre projet de loi – celui-là même dont vous avez conjuré le mauvais souvenir en siégeant nombreux dans l’hémicycle…

M. Christian Vanneste – Oui, vous nous avez rendu ce service ! (Sourires)

M. Noël Mamère – Vous nous promettez la meilleure protection au monde ; vous accusez la gauche de refuser le débat. Mais au moment où ce texte vient en discussion, on s’aperçoit qu’il n’est qu’un leurre, une opération de communication visant à satisfaire les lobbies.

Ce projet de loi était pourtant attendu depuis longtemps. Consultez vos fiches, Monsieur Lefebvre, nous n’en sommes pas restés à la loi Fillioux : nous avons voté, depuis, la loi Vauzelle, et c’est votre majorité qui a adopté les lois Perben, autant de restrictions aux droits des journalistes.

Vous pouvez faire croire au bon peuple que désormais, grâce à vous, les journalistes seront libres et protégés. Vous n’aurez fait que les desservir et maintenir leur vulnérabilité. C’est la raison pour laquelle j’appelle le groupe GDR à voter cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Philippe Folliot – Nous siégeons sous le regard des statues symbolisant la liberté et l’ordre public et encadrant la devise de la République. La liberté de la presse est consubstantielle à notre démocratie, nos illustres prédécesseurs, depuis 1789, ont été nombreux à le rappeler.

Le Président de la République s’était engagé à faire évoluer le droit en vigueur et à mieux assurer la liberté des journalistes. Il est toujours possible d’exprimer des réserves, de vouloir laver plus blanc que blanc, et de voir le verre à moitié vide. Mais à vouloir trop prouver, on ne prouve rien. La démonstration de Mme Filippetti, pour être brillante, n’est pas pour autant convaincante.

Le groupe Nouveau Centre souhaite poursuivre cette discussion, ce qui permettra à l’opposition d’infléchir le texte grâce à ses amendements, comme nous-mêmes tenterons de le faire. Mais, même amendable, ce projet constitue – quoi qu’on en dise – une réelle avancée. Les attentes de la presse sont fortes. Ne nous cantonnons pas à celles du microcosme parisien : il y a une grande presse nationale, mais il y a aussi une presse locale et de petites stations de radio qui réclament une meilleure protection de leurs sources.

Le rapporteur a tenu tout à l’heure des propos équilibrés, et la commission est à l’initiative d’amendements très importants – je pense notamment à celui sur la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public, qui permettra de limiter les risques.

Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre appelle au rejet de cette exception d’irrecevabilité.

M. Michel Hunault – Très bien !

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Noël Mamère – Enfin une loi pour protéger le secret des sources des journalistes ! C’est du moins ce que nous étions en droit de nous dire à l’annonce de ce projet. Depuis les promesses de Pascal Clément il y a deux ans, que de journalistes ont payé de leur personne, victimes de perquisitions hors mesure, de gardes à vue traînant en longueur et de condamnations injustes au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ! Il ne fait pas bon être journaliste en France ces derniers temps (Protestations sur les bancs du groupe UMP), et les attaques auxquelles le Président de la République et quelques-uns de ses porteurs d’eau viennent de se livrer contre la presse ne nous rassurent pas plus que ce texte, qui reste en deçà des normes européennes et institue une sorte d'exception française.

En fragilisant le droit au secret des sources des journalistes, il affaiblit un principe démocratique essentiel : la protection du droit des citoyens à recevoir l'information. Quand le droit au secret n'est pas pleinement protégé, les sources se taisent. L'affaire du sang contaminé aurait-elle pu être portée à la connaissance des Français et avoir des suites judiciaires si des sources se sachant protégées n'avaient pas informé l'Express et le Canard Enchaîné de la cause réelle des contaminations ? Nixon aurait-il été contraint à la démission si les sources qui ont informé Woodward et Bernstein n’avaient pas eu la garantie du secret ? La protection du secret des sources des journalistes est bien la clef du droit à l'information des citoyens qui est l’un des piliers de notre démocratie.

Les mises en cause de ce principe essentiel par le pouvoir actuel nous conduisent à douter de la sincérité du Gouvernement. Ces atteintes répétées à la liberté de la presse expliquent peut-être la « peopolisation » de la plupart de nos médias : il est moins dangereux de consacrer une première page au week-end du Président à Disneyland qu'aux dessous de la venue de Kadhafi... Tant pis pour le droit à l'information ! Quant à ceux qui se risquent à l'exercer quand même, ils voient des policiers débarquer à six heures du matin pour une perquisition et emporter leur ordinateur, leur téléphone et leur bloc-notes. Après cela, difficile de retrouver un informateur : quand les sources voient les journalistes comme des auxiliaires de police, les informations se font plus rares…

Malgré quelques avancées dues à notre rapporteur, des améliorations restent nécessaires : ce texte ne constitue pour l’instant qu’une protection partielle et – j'ose le dire – partiale, tant l'imprécision qui demeure sur certains points est une porte ouverte à l'arbitraire.

Le tout n'est pas d'avoir de bonnes intentions. Qui regarde ce texte d'un peu plus près constate immanquablement une certaine naïveté – s’il est complaisant – ou une vraie négligence – s’il est lucide. Suivant une méthode éprouvée du sarkozysme, dont vous êtes, Madame la ministre, l'une des épigones, on sonde l’opinion, on en tire une idée porteuse et on bâcle une loi. Le parallèle avec la loi OGM – même si vous avez connu un revers mardi – est facile : on sort un projet de loi, on l’égratigne, on l’écorche, on interroge les puissants, ils achèvent le sacrifice, et on se retrouve devant un texte qui ressemble plus à une imposture politique qu’à un projet de loi !

Contrairement à ce que vous affirmez, ce texte n'est pas une renaissance du droit à l'information. Tant que nous n'y apporterons pas certains aménagements, il restera un bricolage démocratique.

Les tâtonnements rédactionnels de la première phrase de l'alinéa 5 de l'article premier témoignent déjà de la logique « un pas en avant, deux pas en arrière ». La version initiale discutée le 5 février en réunion interministérielle était la suivante : « L'autorité judiciaire ne peut porter atteinte à ce secret qu'à titre exceptionnel, selon les modalités prévues par la loi, et lorsque la nature de l'infraction et sa particulière gravité le justifient. » Après son passage en « garde à vue » ministérielle, quasi-dépouillée de toutes ses avancées, elle devient : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose. » Enfin, à l’issue du bricolage de la commission, il est ainsi rédigé : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret directement ou indirectement, qu'à titre exceptionnel, et lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. »

Ces subtilités de vocabulaire ne sont pas innocentes. Premier tour de passe-passe rhétorique : l'autorité judiciaire, seule concernée par le droit à l'exception de porter atteinte, perd son exclusivité. Après le passage en commission, ce n'est plus l'autorité judiciaire, mais un « il », qui ne saurait constituer une précision.

Certes, le rapporteur a proposé un amendement supprimant les termes « en particulier », mais l'ambiguïté demeure : qui peut porter atteinte au secret ? Le champ de ceux qui peuvent le malmener, bien trop large, laisse la porte ouverte à l'autorité administrative ou militaire, à la DST, à la DGSE... Ce changement passera peut-être inaperçu aux yeux des députés, mais pas des journalistes et de leurs sources, d’autant que le texte reste muet sur l'autorité qui dira a posteriori si l'on était en présence d'un impératif prépondérant d'intérêt public...

Ensuite, la mention « selon les modalités prévues par la loi » a été supprimée en réunion interministérielle. Il semblait pourtant pertinent de faire référence aux modalités définies par la loi. Pourquoi donc avez-vous préféré des notions plus vagues pour définir le cadre des exceptions à la règle ? La commission a prévu elle, qu'il ne devait pas être porté atteinte à ce secret ni directement ni indirectement, c’est-à-dire en ne faisant pression ni sur le journaliste, ni sur ses proches. En effet, le projet initial ne pointait pas suffisamment le problème du « contournement » du journaliste pour remonter à la source recherchée, qui consiste à interroger ses proches ou ceux qui sont mêlés de près ou de loin à son travail. D'où l'importance de cette nuance, qui devrait freiner les velléités des enquêteurs de contourner la loi.

Je regrette cependant que la commission n'ait pas été plus loin et n’ait pas modifié la définition des journalistes de l'alinéa 6 de l’article premier. Elle a déjà corrigé une erreur importante en incluant la communication audiovisuelle et les agences de presse, mais on aurait pu espérer qu’elle cite l'ensemble des bénéficiaires de la loi – directeurs de la publication, collaborateurs de la rédaction, cameramen, monteurs, preneurs de son, interprètes... Le rapporteur a jugé cette proposition dangereuse, au motif qu'il serait difficile d'être exhaustif. Admettons, mais le terme « indirectement » est bien trop vague pour signifier que cette protection s'étend à l'entourage du journaliste… Au lieu de définir les journalistes, ce qui est problématique au regard de la mutation constante de la profession, nous aurions dû définir l'ensemble des bénéficiaires de la loi, c'est-à-dire tous ceux qui ont un rapport avec les sources et qui appartiennent à la « chaîne » d'une source, pour tendre à une protection maximale du secret de ces sources. Ce sont en tout cas les revendications légitimes du Syndicat national des journalistes : il ne demande pas un privilège, mais un cadre légal protecteur pour tous ceux qui participent, de près ou de loin, à l’information.

Permettez-moi enfin de revenir sur cette fameuse notion d'« intérêt impérieux ». Elle nous vient en effet, Monsieur Vanneste, du latin imperiosus, qui signifie : « qui commande d'une façon absolue, qui n'admet ni résistance, ni réplique ; son synonyme est : tyrannique. » (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Vanneste – À ceci près que je n’ai pas évoqué ce vocable !

M. Noël Mamère – Il n’y a « rien de plus impérieux que la faiblesse qui se sent étayée de la force » disait Napoléon. Formulation bien dangereuse, donc… Y avait-il « intérêt impérieux » quand le Président de la République a porté plainte contre un journaliste pour une histoire de SMS ? Le plus haut personnage de l'État a tenté de faire pression sur un journaliste pour qu'il livre ses sources, alors qu'un mois auparavant, il déclarait qu’il préférait « les excès de la presse à l'absence de la presse » ! M. Wauquiez, alors porte-parole du Gouvernement, avait justifié le terme d’« intérêt impérieux » par le fait que les seuls cas reconnus étaient les affaires de terrorisme ou de crime organisés. Pourquoi donc ne pas les citer expressément ?

Même si la commission a voulu contourner le problème en choisissant la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public, qui devrait exclure les cas d'intérêt impérieux liés à des affaires sentimentales étatiques, on est loin de la loi belge, qui dit qu'on ne peut porter atteinte au secret des sources des journalistes que « si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes » et qu’il faut, pour lever le secret, que « les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions et ne puissent être obtenues d'aucune autre manière. » Deux conditions cumulatives qui s'ajoutent à un principe déjà fort !

Le rapporteur a certes cherché à introduire ce dernier point dans l'alinéa 5, en insistant sur le fait que l'atteinte doit être rendue « strictement nécessaire » par les circonstances, mais on reste bien en deçà de la loi belge. La différence est claire : d'un côté, on cherche à protéger les sources des journalistes ; de l'autre, on donne le change à la Cour européenne des droits de l'homme !

Dans un pays où les grands organes de presse sont dirigés par des groupes industriels – Bouygues, Lagardère, Dassault, Bolloré, tous grands amis du Président –, la protection du secret des sources doit être maximale. Comment assurer un minimum d'indépendance pour la presse s'il y a un « flicage » des sources, si les photos sont retouchées, si les « fuites » sont factices ? Ce texte n’apporte pas de réponse satisfaisante.

Je me rappelle les propos de Guillaume Dasquié, journaliste au Monde, concernant sa garde à vue dans les locaux de la DST, en 2007, suite à la divulgation d'un document non déclassifié de la DGSE : « Le problème de fond est que la fuite de ce document n'était pas organisée par les cabinets ministériels, qui orientent les révélations, offrant des scoops prédigérés aux médias. Ce document n'était pas destiné à être rendu public. Mais c'est justement notre travail de journalistes d'investigation de nous affranchir de ces petits réseaux ministériels qui tentent de nous instrumentaliser. »

Le travail des journalistes ne peut être bien fait que si leurs sources sont couvertes. Soit nous voulons des journalistes serviteurs, soit nous donnons aux journalistes les moyens d'être réellement les « chiens de garde de la démocratie », selon l’expression de la Cour européenne des droits de l’homme.

L'article 2 entend mieux protéger les sources des journalistes lors des perquisitions. Si l’intention est louable, les carences du texte ouvrent là aussi la porte aux détournements. L'alinéa premier, étendant cette protection au domicile du journaliste, ainsi que l’ajout par la commission des véhicules professionnels, représentent de réelles avancées. Les perquisitions seront faites en présence d'un magistrat, sur décision écrite et motivée. Cependant, Marion Jacquemin considère, dans son ouvrage sur le secret des sources, que « la substitution d'un magistrat à la police judiciaire n'apportera qu'une différence de degré, non une différence de nature ». Nous verrons si les intéressés s'en satisfont.

Toujours est-il que, dans bien des circonstances, on pourra se passer de la présence d'un magistrat. Qu'en est-il, par exemple, des perquisitions sur la voie publique ou lors d'une garde à vue ? Quid du carnet d’adresses, du bloc-notes, de la carte de visite qu'on saisira sur un journaliste après un rendez-vous dans un lieu public ? Pas de magistrat, pas de scellés : l'affaire est dans le sac ! Dès lors, quoi de plus simple pour les inspecteurs que d'attendre que le journaliste sorte de son agence de presse ou de son véhicule ? Il aura peut-être sur lui son ordinateur ou son téléphone portable, et quelques informations juteuses, si la pêche est bonne. Les journalistes deviennent les appâts des enquêteurs en mal de renseignements.

De même, il n’y a rien de plus mouvant que la notion de « gravité », liée à la sensibilité de l'opinion à un moment donné. Lors des émeutes dans les banlieues, les violences contre la police revêtaient-elles une particulière gravité ? Après une agression contre un enseignant, les violences en milieu scolaire doivent-elles être considérées comme particulièrement graves ? C'est précisément lors des événements d'une particulière gravité qu'il est particulièrement légitime d’informer le public !

En outre, je déplore qu’une possibilité de recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui statue sur les pièces sous scellés, ne soit pas prévue, alors que cela semble plus « proportionné » – pour parler comme le Gouvernement – qu'un recours en nullité de l'ensemble de la procédure. On nous répond qu'il faut respecter un certain « équilibre » – c’est le nouveau sésame de la majorité : tous vos projets de loi sont « équilibrés » ! Vous seriez donc ici parvenus à l’équilibre entre la liberté de la presse et l'efficacité des investigations judiciaires. Nous ne demandons pas autre chose, mais nous ne voyons pas le déficit au même endroit ! Et nous savons aussi que le rôle confié au juge des libertés et de la détention est aujourd'hui très critiqué par les magistrats eux-mêmes.

Enfin, deux amendements du rapporteur visent à encadrer davantage la protection du secret des sources, en inscrivant dans le code de procédure pénale la règle selon laquelle une atteinte disproportionnée conduirait à la nullité des objets saisis, en matière de réquisitions judiciaires et d'interceptions des communications. Je doute, comme de nombreux journalistes, que cela suffise, surtout depuis l'affaire du journaliste Hervé Chambonnière, qui a vu ses sources défiler à la police judiciaire. Il est facile aux enquêteurs de demander aux opérateurs téléphoniques une facture détaillée. Si M. Chambonnière a usé de son droit au silence, la procureure de la République a su, quant à elle, jouer de son droit d'« ingérence nécessaire et proportionnée à but légitime », consacré par la Cour de cassation, pour obtenir la liste des appels du journaliste. Même si la loi exige l'accord du client pour délivrer la facture détaillée, l’opérateur n’a pas vérifié si la police disposait de cette autorisation…

Certes, au terme de ce projet, le droit de se taire est renforcé, l'atteinte proportionnée à la protection des sources entre dans la loi, et la police devra prouver la légitimité des voies par lesquelles elle a obtenu les informations. Mais croyez-vous sérieusement à l’efficacité de ces dispositions ? M. Chambonnière n'aurait jamais su que la police connaissait ses sources si l’avocat convoqué par la police ne lui avait dévoilé le pot aux roses. Et la police aurait pu affirmer qu'elle avait eu les noms des personnes convoquées par un autre moyen ! Au fond, les enquêteurs seront simplement incités à faire preuve d’un peu plus de prudence. La belle affaire !

Au-delà du problème des sources, il convient de s’attaquer à la menace qui pèse sur notre droit à l'information. Dans tous les domaines – scientifique, militaire, agricole, sanitaire, syndical –, ceux qui veulent informer les citoyens sont punis : journalistes privés de sources, voire licenciés abusivement, chercheurs privés de budget…

Ce sont tous les lanceurs d'alerte qui doivent en fait être protégés, qu'ils soient journalistes, chercheurs, responsables d’associations ou simples citoyens. Ceux qui essaient courageusement de remplir leur mission d'information citoyenne ne sauraient être punis, dans une démocratie. Pourtant, encore récemment, Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire », a été placé dix heures en garde à vue par la DST, suite à la publication sur le site de l'association d'un document classé « confidentiel défense » révélant la vulnérabilité du réacteur EPR en cas de crash suicide d'un avion. Pour la seule détention de ce document, il encourt cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. On cherche à faire pression sur lui pour qu'il révèle l’identité de celui qui lui a fourni ce document, et on lui fait payer son silence. Ce genre de pratiques odieuses doit cesser.

Pensez-vous sérieusement, Madame la garde des sceaux, que votre nom deviendra éponyme de la loi qui a permis la renaissance du journalisme d'investigation ? Non, vraiment, le compte n'y est pas, et nous regrettons cette occasion manquée. « Sans la liberté de blâmer, il n'y a pas d'éloge flatteur », disait Beaumarchais. À voir la violence des attaques du Président et de ses proches contre la presse, tenue pour simple boîte aux lettres du pouvoir et de son bon plaisir, on est en droit de s'inquiéter, face à un tel recul démocratique, qui révèle le vrai visage de ceux qui ne supportent plus « les chiens de garde de la démocratie », parce qu'ils les préfèrent à la niche (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Étienne Blanc, rapporteur – J’invite l’Assemblée à rejeter la question préalable. Aucune des législations que nous avons étudiées ne sanctuarise le principe de la protection des sources au point de ne prévoir d’exceptions légitimes.

Dans le droit belge, dont il a beaucoup été question, le secret des sources ne peut être levé que si les informations sont susceptibles de prévenir des infractions qui représentent une « atteinte sérieuse à l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes ». Si nous siégions au Parlement belge, nous poserions la question : qu’est-ce qu’une « atteinte sérieuse » ? Tout texte est susceptible d’être interprété, et c’est pour cela qu’il y a des juges, à qui cette responsabilité incombe.

En outre, dans toute une série d’amendements que nous présenterons, nous avons repris mot pour mot les termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tels que l’« impératif prépondérant d’intérêt public », et leur adoption devrait donc satisfaire M. Mamère.

Enfin, ce texte renforce la protection des sources, sans introduire, au contraire, la moindre régression. L’inscription de la protection des sources au sein de l’article 2 de la loi de 1881 n’est pas anodine : la loi de 1881 est le texte fondateur de la liberté de la presse. De même, les perquisitions seront bien mieux encadrées, le droit au silence sera reconnu lors de la phase d’audience et non plus seulement lors de la phase de l’instruction, et l’infraction de recel, anachronique, est supprimée. Autant d’avancées majeures (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Lefebvre – Je note, Monsieur Mamère, qu’il vous a fallu remonter à Georges Fillioud, ministre de 1981 à 1986, et qu’avant vous, Mme Filippetti avait fait référence à une jurisprudence de 1996. Vous ne m’avez pas écouté, ce que je déplore, car vous m’auriez alors entendu citer Michel Vauzelle, et votre honnêteté intellectuelle (Mme Greff s’esclaffe) vous l’aurait fait reconnaître. Seulement, son texte date de 1993. En d’autres termes, vous n’avez rien fait depuis des lustres, alors que la loi Guigou vous en donnait pourtant une excellente occasion. Citons donc des dates et des textes précis. Et puisque vous m’avez, paraît-il, traité de « porteur d’eau », laissez-moi vous dire que je vous considère, selon les jours, comme un boutefeu ou comme un producteur de vent… (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère – Il n’y aucun mal à cela, pour qui aime les éoliennes…

M. Frédéric Lefebvre – …tant votre capacité à inventer des histoires est démesurée, comme en témoigne cette invention selon laquelle notre police et notre justice utiliseraient les journalistes comme des « appâts » ! Allons ! Finissez-en ! Reconnaissez que vous n’avez rien fait, et qu’un texte est maintenant soumis à notre examen qui devrait faire l’objet d’un consensus. Le problème, c’est que cette réforme nécessaire est à porter au crédit de Mme Dati et du Gouvernement. Ce qui est difficile à admettre pour le brillant journaliste que vous avez été…

Mme Claude Greff – Brillant … C’est à voir !

M. Frédéric Lefebvre – …c’est que la protection des sources des journalistes soit garantie par la volonté du Président de la République et de notre majorité et que, pendant ce temps, l’opposition regarde passer les trains, comme d’habitude (Exclamations et protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Bien entendu, le groupe UMP ne votera pas la question préalable.

M. Roland Muzeau – Depuis des mois, les syndicats de journalistes en appellent au Gouvernement pour que le principe de la protection des sources soit consacré par la loi de manière exemplaire. Ils sont très inquiets de l'absence de prise en compte de leurs recommandations dans le projet. Pourquoi, alors que d’autres pays européens ont su adopter une législation véritablement protectrice, et que la Cour européenne des droits de l’homme a défini une jurisprudence très claire en cette matière ? Il est vrai que le contexte politique est particulier, puisque l’on assiste en France à des attaques systématiques contre certains médias, à des procès d’intention permanents (Protestations sur les bancs du groupe UMP) à des campagnes orchestrées contre les journalistes et, dernièrement, contre l’AFP (Mêmes mouvements).

Notre collègue Noël Mamère a parfaitement décrit les problèmes et les réponses que le législateur devrait leur apporter. S’agissant de la méthode, il est extraordinaire que ce gouvernement qui ne cesse de vanter les mérites du dialogue social ait omis de faire référence dans son texte à la position commune des syndicats de journalistes. Si tel avait été la voie prise, un consensus salvateur se serait fait telle qu’elle s’est exprimée devant la commission. Le groupe GDR votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

Mme Pascale Got – En dépit de la bonne volonté et du travail du rapporteur, les faiblesses persistantes du projet en font un texte qui demeure contestable, et nous sommes loin du compte. Les journalistes ne sont pas au-dessus des lois (« Non, seulement à côté ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP), mais un texte était nécessaire pour protéger le secret de leurs sources et renforcer ainsi la liberté de la presse, facteur essentiel de la démocratie, tout en rapprochant notre droit de la jurisprudence de la CEDH. Or le projet qui nous est soumis est en trompe-l’œil. Élaboré sans grande concertation, il est trop approximatif pour être crédible, efficace et recevable et les garanties qu’il apporte sont insuffisantes. Il en résulte que le travail des journalistes continuera d’être bridé. Nous nous interrogeons donc sur vos intentions réelles.

Sans reprendre les propos de M. Mamère – qui étaient d’une grande justesse, Monsieur Lefebvre, ne vous en déplaise – j’observe que les garanties apportées ne sont que relatives, ce qui autorise toutes les dérives potentielles. Des dérogations au principe formulées de manière aussi vagues ne sont pas acceptables, car elles peuvent faire voler la règle en éclats. Les syndicats de journalistes ne s’y sont pas trompés, qui s’inquiètent du flou de la formule retenue, flou tel que, disent-ils, « toutes les interprétations risquent de pouvoir lui être données. » Ce texte mal préparé peut avoir l’effet inverse de l’objectif recherché. Ainsi, tous les lieux de travail des journalistes ne sont pas protégés des perquisitions. De plus, quand elles auront lieu, les perquisitions seront menées sous l’autorité d’un magistrat, ce qui est bien, mais celui-ci sera à la fois juge et partie de l’opportunité de préserver le secret des sources, ce qui est mal. La manière dont est tranchée la question des collaborateurs n’est pas plus satisfaisante.

En bref, la rédaction de ce texte, imparfaite, ouvre de bien trop grandes possibilités de contourner le principe que l’on prétend poser. Plus que tout autre chose, il s’agit d’un exercice contraint, opportuniste et d’affichage, dans un contexte de relations tendues entre le pouvoir et les journalistes. La formulation retenue peut conduire à l’arbitraire, et les améliorations apportées en commission ne suffisent pas à préciser ce qui aurait dû l’être. Voilà pourquoi le groupe SRC votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Michel Hunault – Le groupe Nouveau Centre appellera à repousser la question préalable. Monsieur Mamère, je vous ai écouté avec attention, et j’ai jugé vos propos au pire insultants, au mieux provocants (Protestations sur les bancs du groupe GDR).

Mme Claude Greff – Comme d’habitude !

M. Michel Hunault – Je ne me reconnais aucunement dans la description que vous avez faite de l’état de la presse en France, alors que nous somme dépositaires d’un idéal – la liberté de la presse – qui a valeur universelle. Pour être membre suppléant de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et y avoir entendu évoquer les 150 journalistes qui, dans le monde, meurent chaque année dans l’exercice de leur mission, je pense que vous auriez dû, Monsieur Mamère, vous garder de ces propos excessifs (Protestations sur les bancs du groupe GDR).

Conformément aux engagements pris par M. Sarkozy lorsqu’il était candidat à la présidence de la République, nous inscrivons dans la loi la garantie du respect du secret des sources des journalistes. Nous avons déjà amélioré le texte en commission et je ne doute pas que nous le préciserons encore dans cette enceinte. Comme l’a dit excellemment Frédéric Lefebvre (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), le sujet devrait faire l’objet d’un consensus : l’indépendance de la presse, les moyens qui lui sont donnés, voilà qui devrait rassembler et non diviser. J’ai de la considération pour les combats que vous menez, Monsieur Mamère, mais vos propos excessifs sont choquants pour ceux qui soutiennent ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Claude Greff – Bravo !

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Michel Hunault – La « liberté de communication » instituée dans la Déclaration des droits de l’homme est, en démocratie, l’un des droits les plus précieux, mais le législateur a été amené à l’encadrer pour éviter qu’elle ne porte atteinte à d’autres droits. La liberté de la presse ne se conçoit pas sans garanties apportées aux journalistes dans l’exercice de leur profession, ni sans protection du secret de leurs sources. C’est ce principe que nous posons aujourd’hui, après que la loi Vauzelle a posé celui de la non-divulgation des sources. Alors même que les démocraties sont confrontées à de nouvelles menaces terroristes, les libertés, et en particulier la liberté de la presse, ne sauraient s’effacer.

La liberté de la presse ne saurait véritablement s’exercer sans sérieuses garanties données aux journalistes, notamment celle de la protection de leurs sources – hors de laquelle aucun informateur ne saurait parler en confiance. Or, notre droit actuel n’assure qu’une protection partielle du secret des sources des journalistes, ne leur reconnaissant pas le droit au secret professionnel. La loi du 4 janvier 1993 a constitué une avancée sur ce point, en leur reconnaissant le droit de taire leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins et en encadrant le régime des perquisitions dans les entreprises de presse, lesquelles ne peuvent être effectuées que par un magistrat. Les députés du Nouveau Centre considèrent pourtant que des garanties procédurales supplémentaires doivent être apportées. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Il faut saluer l’engagement du Président de la République qui avait promis dans sa campagne de réformer le droit en vigueur pour renforcer la liberté d’information et, partant, consolider la démocratie. Et c’est avec satisfaction que nous examinons ce texte attendu.

Le principe de la protection des sources ne saurait toutefois s’exercer pleinement sans une définition précise de la notion de « source ». Le Conseil de l’Europe la définit comme la source proprement dit, c’est-à-dire toute personne qui fournit des informations à un journaliste, mais aussi comme les informations permettant d’identifier une source. La législation de certains pays européens, notamment le Luxembourg, est plus restrictive limitant la source à « toute personne qui définit des informations à un journaliste ». Pour notre part, nous aurions aimé qu’on l’élargisse pour aller dans le sens de la définition donnée par le Conseil de l’Europe. Nous avons de même souhaité préciser le type d’informations concernées par la protection offerte aux journalistes entendus comme témoins : il peut s’agir des informations recueillies par les journalistes par témoignage, conversation téléphonique, échanges de mails – dans l’exercice de leur activité. De même, il nous paraît essentiel que les journalistes demeurent libres de ne pas communiquer leurs fichiers personnels ou leurs contacts téléphoniques. Un principe ne saurait en effet souffrir trop d’exceptions.

S’agissant de la nécessité d’« investigations », c’est un concept trop vague, susceptible à lui seul de réduire à néant le principe de protection des sources. C’est pourquoi nous avons proposé par voie d’amendement une rédaction différente du texte sur ce point. Il est heureux que le texte définisse précisément la profession de journaliste, en englobant les directeurs de publication. Cette définition est souple, n’exigeant pas que le journaliste professionnel retire l’essentiel de ses ressources de son activité journalistique. Nous aurions souhaité pouvoir étendre le régime de protection des sources offert aux journalistes aux éditeurs, lesquels participent également à l’information : nous avons d’ailleurs déposé un autre amendement à ce sujet.

L’article 2 du texte met en place un régime spécifique de perquisitions au domicile des journalistes ainsi que dans leurs locaux de travail, y compris les agences de presse. Cela constitue une avancée notable mais nous aurions, là encore, souhaité que ces perquisitions soient placées sous le même régime que celles pouvant avoir lieu dans les cabinets d’avocats, où est requise la présence du bâtonnier.

Il faudrait enfin engager une réflexion sur le secret professionnel. En effet, il n’existe pas de code de déontologie pour la profession de journaliste.

Voilà les remarques que je souhaitais faire sur ce projet de loi dans un esprit constructif. J’ai salué tout à l’heure l’avancée qu’il constituait puisque, pour la première fois, le secret des sources des journalistes se trouve réellement protégé. Dans le discours de M. Mamère, j’ai surtout entendu une mise en cause de la personnalité même du Président de la République, mais aussi une injure faite à la liberté et à la qualité de la presse dans notre pays. Le sujet est pourtant si important qu’il devrait conduire à rechercher le consensus.

Bien que nous ayons déposé des amendements visant à améliorer le texte et que défendra notre collègue Philippe Folliot, en tout état de cause, nous le voterons (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Patrice Debray – Le Président de la République avait souhaité que le Gouvernement travaille à un projet de loi visant à assurer la protection du secret des sources des journalistes. Lors du Conseil des ministres du 12 mars 2008, vous avez, Madame la garde des sceaux, présenté ce texte, déposé le jour même à l'Assemblée nationale.

Dans toute société démocratique, les journalistes jouent un rôle capital dans l'information de nos concitoyens. Il convient donc de protéger leurs sources. La possibilité pour eux de taire l'origine de leurs informations est indispensable pour ne pas tarir ces sources et garantir ainsi la liberté d'information reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Goodwin du 27 mars 1996 et confirmée par la Charte des droits fondamentaux, dont l’article 11 consacre la liberté d'expression et d'information.

Toute personne doit voir sa liberté d'expression respectée. Ce droit comprend la liberté d'opinion ainsi que celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence d'autorités publiques ni considération de frontières.

La liberté des médias et leur pluralisme doivent également être respectés. Toutefois, le droit français actuel ne consacre le secret des sources qu'à travers des dispositions éparses et indirectes, insuffisantes pour assurer une véritable protection. Face à cette situation, ce texte garantit véritablement la protection du secret des sources et complète les garanties existantes en matière de procédure pénale à ce sujet. Il prévoit les conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire peut, à titre exceptionnel, obtenir des informations nécessaires à la conduite des enquêtes.

L'article premier du texte complète le premier alinéa de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 par le texte suivant : « Le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». Le deuxième alinéa de cet article précise qu’il n’est permis de porter atteinte au secret des sources, qu’« à titre exceptionnel et lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie ». Il précise enfin qu'au cours d'une procédure pénale, l'origine d'une information journalistique ne peut être recherchée qu'à titre exceptionnel et si cela est justifié par la nature et la particulière gravité du crime ou du délit. Ainsi en cas de poursuite pénale pour diffamation, pour établir la vérité ou la bonne foi, la production de pièces d'une procédure pénale couverte par le secret de l'enquête ou de l'instruction ne peut donner lieu à poursuites pour recel. Dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire, les éléments obtenus par réquisition judiciaire ne doivent pas, à peine de nullité, porter atteinte au secret des sources. De même, dans le cadre de l'instruction, les transcriptions des correspondances avec un journaliste ne doivent pas, à peine de nullité, porter atteinte à ce même secret. La consécration du secret des sources est donc encadrée, un équilibre devant être trouvé entre la protection des sources et les nécessités impérieuses, telles que définies par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le troisième alinéa de l'article premier du texte, qui modifie l'article 2 de la loi de 1881, précise la mise en œuvre du principe de protection des sources, en donnant notamment une définition claire du métier de journaliste. Est tenu pour journaliste « toute personne qui exerce sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, ou de communication au public par voie électronique, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil et la diffusion d'information au public. » Cette définition permet d'englober les directeurs de publication et n'exige pas que le journaliste professionnel tire le principal de ses ressources de son activité.

L'article 2 du texte précise les conditions dans lesquelles une perquisition peut être autorisée, en exigeant notamment la présence d'un magistrat. Le magistrat effectuant la perquisition devra veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte de façon disproportionnée au secret des sources au regard de la gravité et de la nature de l'infraction en question. En réalité, le texte étend les garanties en vigueur pour les cabinets d'avocats aux entreprises de presse et aux domiciles des journalistes. Ceux-ci pourront ainsi saisir le juge des libertés et de la détention s’ils contestent la régularité de la saisie effectuée et s’ils estiment violé le principe de proportionnalité au regard de la protection due au secret des sources. Les locaux susceptibles d'être perquisitionnés ne sont plus limités à ceux des entreprises de presse, mais étendus au domicile des journalistes, ainsi qu'aux véhicules professionnels. Les journalistes pourront s'opposer à la saisie de documents qui pourraient permettre d'identifier ceux qui les renseignent et faire trancher la question par le juge des libertés et de la détention.

Ces modifications auront également pour conséquence de renforcer la protection des journalistes en matière de réquisition. Ils pourront, comme c'est le cas actuellement pour les entreprises de presse, invoquer les articles 60-1 et 77-1-1 du code de procédure pénale qui permettent à certaines personnes de refuser de remettre des documents à un officier de police judiciaire qui le leur demande.

Enfin, la protection du secret des sources devra, même en l'absence de disposition particulière, être respectée dans la conduite de l'ensemble des actes d'enquête menés par l'autorité judiciaire, notamment en ce qui concerne les interceptions des correspondances émises par voie téléphonique ou électronique. De ce fait, toute écoute téléphonique visant à découvrir la source d'un journaliste dans le cadre d’une instruction ouverte, sera illégale.

Actuellement, l'article 109 du code de procédure pénale prévoit qu’un journaliste entendu comme témoin par un juge d'instruction ne peut être poursuivi s'il refuse de divulguer l'origine d'informations recueillies dans le cadre de son activité. Cette disposition est toutefois limitée puisqu'elle ne s'étend pas aux journalistes entendus comme témoins dans un cadre autre que celui de l'instruction. Afin de combler cette lacune, le projet de loi étend cette protection en précisant qu'un journaliste entendu comme témoin devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises pourra également refuser de déposer en cas d'atteinte au secret de ses sources. C’est le cas aujourd’hui pour les médecins. Ce le sera désormais pour les journalistes.

Ce texte comporte des avancées considérables, en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, avec la Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice, et dans la droite ligne enfin du traité constitutionnel. Le groupe UMP le soutiendra énergiquement et le votera (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert – Quand la liberté de la presse n’est pas assurée, toutes les autres libertés sont menacées. Sans liberté d’informer, pas de démocratie. Mais pour donner des informations, il faut pouvoir les chercher librement. Si les sources sont menacées, elles se tariront, et la démocratie en souffrira.

Ce texte – que nous examinons dans de mauvaises conditions, comme trop souvent – touche donc un sujet sensible, et complexe. Autour de la question des sources, s’opposent deux exigences, celle des journalistes de les recueillir librement et celle de la justice de protéger la société et chaque individu.

La presse n’est pas au-dessus des lois, mais la protection de ses sources est un enjeu démocratique. Depuis longtemps, les journalistes souhaitent que l’on protège mieux le caractère confidentiel de leurs sources, sans exception et sans possibilité de contrainte. Lors de sa première conférence de presse, le président Sarkozy avait d’ailleurs déclaré : « Un journaliste digne de ce nom ne cite pas ses sources. Chacun doit le comprendre et l’accepter ».

Ce texte en tire-t-il les conséquences ? Non. Il affirme bien le principe du secret des sources des journalistes. Mais dès l’article 2, il en limite singulièrement la portée. En effet, dire que cette protection ne doit permettre que l’information du public sur des questions d’intérêt général laisse une ample possibilité d’appréciation à la puissance publique sur les intérêts qu’elle entend protéger. De plus, l’atteinte à la protection du secret devient possible dans le cadre d’une procédure pénale.

Dès lors, cette protection ne jouera pas dans des affaires dites privées, comme celle du SMS qui aurait été adressé à Cécilia Sarkozy, ou dans les affaires commerciales. À l’inverse, dans une affaire d’État comme celle des fichiers Clearstream, on pourra gêner le travail des investigateurs, tout comme on évoque le secret défense dans l’affaire de Guillaume Dasquié qui sera examinée en juin prochain. On peut également craindre que les atteintes au secret des sources ne soient pas exceptionnelles en dehors des procédures pénales, par exemple dans les enquêtes administratives.

Enfin, la définition du journaliste protégé est équivoque. Écrire qu’il doit être un professionnel exclut les journalistes sans carte, stagiaires, rédacteurs occasionnels, éditorialistes exerçant une autre profession, pigistes même. Et les opérateurs de télécommunications, non journalistes évidemment, pourront-ils refuser de communiquer un état des communications du journaliste concerné ?

S’agissant des garanties en cas de perquisition, on note quelques progrès sensibles. Mais le journaliste qui conteste le bien-fondé d’une saisie devant le juge des libertés n’aura pas, semble-t-il, possibilité de faire appel. De toute façon, si le magistrat va dans son sens, il sera trop tard, le secret des sources aura été révélé aux enquêteurs.

Enfin, la justice pourra incriminer un journaliste pour faux et usage de faux ou pour recel de violation du secret de l’instruction : les enquêteurs pourront chercher ce qu’ils veulent sur les sources, même si ultérieurement il s’avère que le délit n’est pas constitué. Vous avez d’ailleurs déclaré sur Europe 1, le 10 février, qu’il s’agit de protéger les sources d’une information, pas celles d’une calomnie, d’une contre-vérité ou d’un mensonge. En clair, tout ce qui ne portera pas le label officiel d’information pourra être considéré comme calomnie, contre-vérité ou mensonge.

Ce texte est donc loin de nous satisfaire, et de satisfaire les intéressés, en raison de ces ambiguïtés et de la part trop belle laissée à l’appréciation des pouvoirs publics. Cela justifie notre opposition.

Il est dommage d’avoir manqué l’occasion de rénover complètement le droit en ce domaine, comme la Belgique a su le faire. Toutes les pratiques utilisées par le pouvoir en place pour museler la presse…

Mme Claude Greff – Ne dites pas des choses pareilles !

M. Jérôme Lambert – …aboutissent au texte qui nous est soumis. Il ne peut y avoir de consensus tant que de tels comportements perdurent. Nous espérons en des jours meilleurs pour protéger vraiment la liberté de la presse, fondement de la démocratie.

M. Roland Muzeau – C’est souvent quand le micro est éteint, le crayon posé, que les journalistes disent leurs inquiétudes, voire leur désillusion. Bien entendu, liberté de la presse et liberté d’expression font partie de notre patrimoine politique. Mais les problèmes restent nombreux.

Tous les conflits de ces dernières années, aux Échos, à Libération, au Monde, révèlent la crainte d’une presse contrôlée non par l’État mais par les Dassault, Lagardère, Bouygues, Bolloré, souvent liés à l’industrie d’armement et obligés du pouvoir d’État, la crainte d’un contrôle éditorial par les actionnaires et les annonceurs, qui serait le prélude à une nouvelle censure, celle d’une atteinte au pluralisme en raison de la concentration de la presse et des nouvelles règles de distribution.

Face à ces craintes, s’élèvent des exigences, de faire que les journalistes soient les ambassadeurs de la liberté, de l’esprit critique, de l’intelligence. Le chantier est énorme.

Je me félicite qu’on l’ait ouvert sur la protection du secret des sources, point mineur peut-être, mais essentiel. Malheureusement, le projet est bien trop imprécis. Si nous ne l’amendons pas largement, ce peut même n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. J’espère, et le travail de la commission est encourageant, que nous saurons lui donner la portée qu’il mérite et répondre aux attentes des syndicats de journalistes.

Pour la liberté d’informer, on meurt encore sur tous les continents. On ne saurait donc l’affirmer qu’avec respect et solennité. Mais c’est ce qui manque au premier alinéa de l’article que vous voulez ajouter à la loi, si symbolique, du 29 juillet 1991. Nous souhaitons que l’Assemblée lui donne la solennité qu’il mérite.

Bien entendu, et nul ne le demande, la protection du secret des sources ne peut s’opposer à une enquête anti-terroriste. Mais quel journaliste cacherait ses informations sur un attentat prochain ? La notion d’intérêt impérieux ne se confond pas avec la lutte contre le terrorisme. Il faudrait donc limiter strictement les dérogations. Quand la justice a voulu enfreindre le secret des sources, en perquisitionnant au Canard enchaîné dans l’affaire Clearstream, ou dans l’affaire Cofidis, des intérêts personnels ou financiers étaient menacés. Qui nous dit qu’on ne pourrait les considérer comme « impérieux ». Les amendements du rapporteur adoptés en commission ont cependant permis des avancées sensibles sur ce point.

D’autre part, en modifiant le code de procédure pénale, on se contente d’inviter le juge à rester mesuré dans ses atteintes aux droits des journalistes, sans lui poser de limite claire. Là encore, la commission des lois a adopté des amendements qui nous conviennent. J'espère que notre assemblée les retiendra.

Malgré toutes les améliorations apportées en commission, les imprécisions du texte risquent d'altérer les principes que nous allons adopter, en laissant à la seule appréciation des juges l'arbitrage entre la protection du secret des sources et les investigations. La notion de source n’est pas définie, ce qui nous expose à une interprétation particulièrement restrictive. Le Conseil de l'Europe avait pourtant adopté une définition claire et complète en 2000. Je n'ose imaginer que l'État français ait oublié son engagement ou renié sa parole.

Ce texte oublie par ailleurs certaines sources, car il ne vise que le journalisme d'investigation. Ces autres sources, qui sont l’outil de travail quotidien des journalistes, méritent elles aussi une protection. Je pense notamment à l’AFP, dont le maillage territorial se réduit à mesure que s’accroît la part des préoccupations financières dans la gestion du groupe. N’oublions pas non plus la tendance à l’uniformisation de l’information et à sa soumission croissante à l’air du temps. Songeons également aux projets d’« évolution » du statut de l’AFP, c’est-à-dire sa privatisation et sa dépendance croissante à l’égard d’intérêts étrangers à son impératif légal de délivrer une information « complète et objective ».

Au-delà des déclarations d'intention, beaucoup de journalistes attendent des actes, notamment un engagement de préserver le statut de l'AFP et de lui donner les moyens d'assurer pleinement sa mission. C’est à cette condition que vous garantirez la liberté d'information et le pluralisme, c’est-à-dire la richesse de notre démocratie.

Vous aurez compris, Madame la garde des sceaux, la détermination de mon groupe à garantir le droit et la liberté d'information dans notre pays, mais aussi notre inquiétude à l’égard de ce projet de loi. Je me félicite que cette attitude soit partagée sur d’autres bancs. Souhaitons que notre discussion permette de résoudre ces difficultés (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Christian Vanneste – Ce texte ne tend pas à protéger une profession, parfois sacralisée, mais à garantir un principe fondamental de la démocratie : la liberté de communication, c'est-à-dire la liberté d'opinion pour l'émetteur et la liberté d'information pour le récepteur. C'est cette liberté que l'on garantit en protégeant les sources des journalistes.

La démocratie exige que l'opinion ne soit pas modelée par des idéologies dominantes et que l'information du citoyen ne soit pas déformée par des pouvoirs soucieux de protéger une opacité qui les sert. La transparence, définie par Guizot comme la « nécessité de publicité des affaires publiques », est une condition de la démocratie. La protection des sources de celui qui informe est, au risque d’être paradoxal, la condition de la transparence.

Un Président de la République, qui était pourtant toujours désireux d’être informé par tous les moyens, avait un jour qualifié les journalistes de « chiens » – ce sont plutôt en l’occurrence, des chiens de garde de la démocratie, comme l’a écrit la Cour européenne des droits de l’homme… C’est bien le rôle des journalistes d'investigation lorsqu’ils révèlent des dysfonctionnements ou des errements. Il s’agit d’une activité d’intérêt général, qui permet d'améliorer le fonctionnement même de la société, voire de protéger le pouvoir contre lui-même. Il est donc nécessaire de mettre la source des informations à l'abri des pressions ou des représailles.

Mais le chien de garde n'est pas un archange. J'ai été frappé, au cours des auditions, par la méfiance générale qui entoure la notion d'intérêt général, jugée trop vague. La contestation de ce principe, qui est au cœur de la jurisprudence de la Cour européenne, ne me semble pas valable : la loi doit être assez souple pour que la légalité du Parlement puisse faire place à l'équité des tribunaux ; en outre, les journalistes sont souvent liés à des intérêts particuliers, notamment leur carrière, leurs préférences idéologiques, ou encore le tirage et l'audimat.

C’est si vrai qu’une directive européenne, adoptée le 24 décembre 2003, oblige les journalistes financiers à faire preuve de la plus grande transparence lorsque leurs informations sont susceptibles d’entraîner des mouvements boursiers. Cette exigence ne me semble nullement en contradiction avec ce texte : dans une démocratie, la transparence des différents pouvoirs, notamment celui de la presse, est une nécessité. Il est bon, par exemple, qu'un journaliste d'investigation, auteur de l’ouvrage Génération Battisti : ils ne voulaient pas savoir, ait pu souligner l'aveuglement de certains de ses confrères.

La jurisprudence de la CEDH, qui fait référence à un impératif prépondérant d'intérêt public me paraît judicieuse. La protection des sources trouve sa limite lorsqu’un intérêt public incontournable l'emporte sur elle, notamment l'intégrité physique, la dignité d’une personne, la sécurité nationale ou tout autre impératif mentionné par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La protection doit être effective sans être pour autant absolue dans son application. N’instaurons pas un secret professionnel, comme l’ont fait les pays scandinaves. Nous n’avons pas besoin d'une obligation de se taire, mais plutôt d'un droit à le faire, dans les limites inhérentes à l’intérêt public. Si d'autres moyens que la divulgation des sources permettent d'obtenir les même résultats à l'intérêt public, il faut les privilégier. C’est ce que prévoit la loi belge, bien qu’elle soit trop restrictive, notamment en cas d’enlèvement.

La protection doit en revanche être générale dans son application. Il faut inclure tous ceux qui concourent à l'information du public, même s'ils ne sont pas professionnellement des journalistes, et protéger tous les locaux et les moyens matériels utilisés.

Le texte qui nous est proposé tend à instaurer un équilibre entre les principes et les valeurs en jeu, mais aussi entre la presse et l’autorité judiciaire. C'est au pouvoir législatif, héritier de la fonction tribunicienne – la plus ancienne et la plus fondamentale des libertés d'expression –, et mode d’expression de la volonté générale, qu’il revient de fixer les limites entre l'investigation journalistique et l'enquête judiciaire.

J’ajoute que les objectifs de la loi seront d'autant mieux atteints qu'ils seront également intégrés à l'éthique des professions concernées. La recherche de la vérité et du bien commun doivent être les fondements d’une véritable « info-éthique », tout aussi nécessaire que la bioéthique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Pascale Got – Ce texte est la conséquence d’une succession d'affaires que l’on aurait préféré ne pas connaître. Rappelons-nous les perquisitions aux sièges du Parisien, de L'Équipe, du Point, du Canard enchaîné et d’autres journaux encore…

Derrière la protection du secret des sources des journalistes, c'est la liberté d'information qu’il faut respecter. La France a d'ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour des poursuites engagées contre des journalistes. Ce fut encore le cas en juillet 2007. Il est grand temps de nous mettre en règle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il est grand temps de consacrer le droit du journaliste à protéger le secret de ses sources. Au contraire de nos voisins belges, nous sommes de très mauvais élèves en la matière…

Un projet de loi nous est aujourd’hui soumis. On peut s’en féliciter, car il faut effectivement légiférer. Mais ce texte ne contient que des avancées bien insuffisantes. Je crains qu’il s’agisse d’un texte opportuniste, seulement destiné à redorer hâtivement le blason de la majorité. Ce qui nous est proposé reste en effet très flou, très approximatif, et surtout très facilement contournable.

Puisque vous vous êtes saisie du dossier, Madame la garde des sceaux, ce qui est tout à votre honneur, je regrette que vous n’ayez pas fait preuve d’un plus grand volontarisme et que vous n’ayez pas présenté un texte plus conforme à la demande légitime des journalistes. Vous vous contentez du strict nécessaire, et une telle accumulation d’ambiguïtés fait planer un doute sur la réalité de vos intentions. Ce texte comporte trop d'imprécisions et de restrictions.

Tout d’abord, la protection accordée par ce texte ne concerne que les journalistes professionnels au sens du code du travail. De quelle protection bénéficieront les collaborateurs réguliers ou occasionnels du journaliste, ou encore les opérateurs de télécommunications, qui détiennent eux aussi détenteurs des informations sur les sources des journalistes ?

J’observe par ailleurs l’absence de toute garantie concernant les incriminations de faux et usage de faux et de recel de violation du secret de l'instruction. Il suffira d'une commission rogatoire pour déclencher les saisies. Des poursuites pour recel de violation du secret de l'instruction pourront toujours être menées contre les journalistes dans le cadre des enquêtes judiciaires. S’agissant des lieux protégés, la seule mention des bureaux et du domicile ne suffit pas, car elle ne vise pas l’ensemble des lieux où peuvent être stockées des informations.

J’ajoute que le magistrat chargé de la protection des sources est également celui qui réclame pour son enquête les documents du journaliste. Le magistrat est donc juge et partie, et il n’est nulle question de recours. Comment l’accepter ? Je regrette également que le texte n’aborde pas assez clairement la protection des sources du journaliste sur Internet, dont la fiabilité est inégale et mérite une attention particulière.

Pour ces raisons, ce texte est loin de garantir une protection efficace du secret des sources des journalistes. Je crains au contraire qu’il permette de contourner ce principe. Vous gardez la possibilité de faire machine arrière quand vous le souhaiterez. Ce texte ne répond pas pleinement à l’impératif de confidentialité des informations, qui doit être sans exception et libre de contrainte. S’il faut des exceptions, définissez-les clairement et encadrez-les. C'est la seule façon d’éviter l’arbitraire !

Vous donnez aux syndicats de journalistes toutes les raisons de penser que ce texte, tout en demi-teintes, ne sera pas une avancée suffisante pour leur profession. Je le répète : vous vous donnez les moyens de contourner le principe de protection des sources quand bon vous semblera. Vous avez renoncé, volontairement ou non, à faire de ce projet de loi un texte ambitieux au service des enjeux démocratiques du journalisme (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Françoise Vallet – Si ce projet a le mérite d'exister, il est largement imparfait et comporte de trop nombreuses imprécisions. Les mots, la matière même du journalisme, ont un sens ; je tenterai donc une analyse sémantique du texte qui a suscité chez moi de nombreuses interrogations.

Qu'est-ce que l'« intérêt général » ? C’est ce qui détermine la finalité et fonde la légitimité de l'action publique. Cette conception volontariste de la démocratie a placé l’intérêt général au centre de la construction du droit public, ce qui a permis de conférer à la puissance publique des prérogatives exorbitantes.

Ainsi, le journaliste se trouverait au service de l'intérêt général et de la collectivité. On peut supposer que dès lors qu'il n'exerce plus au service de la collectivité, il n'a pas lieu d'être protégé dans l'exercice de ses fonctions.

L’expression « lorsqu’un intérêt impérieux l'impose » renvoie à l'idée de danger, de faits graves, mais elle n’a pas de fondement juridique. Dès lors, le magistrat chargé de mettre en œuvre la loi utilisera son libre-arbitre et sa propre conception des choses, rendant la protection incertaine, voire hypothétique.

Qu’est-ce qu’une « particulière gravité » ? Là encore, tout est question d'interprétation. Des termes vagues et flous permettront une interprétation personnelle et subjective en fonction du moment : des sources pourront être divulguées quand il n’y avait pas lieu qu'elles le soient. Faute de défense de l’intérêt général, comme dans les affaires privées ou commerciales, les sources ne seront pas protégées.

Les amendements du rapporteur permettent de corriger en partie ces imperfections, il nous faudra les examiner avec une attention toute particulière.

Que devons-nous protéger ? Est-ce le journaliste, en tant que personne, ou ses sources ? L'arrêt Goodwin rendu par la Cour européenne en 1996 consacre le principe de la protection des sources journalistiques, rappelant que la liberté d'expression est l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et que les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière.

La protection des sources des journalistes peut seule rendre effective cette liberté de la presse : sans elle, les informateurs seraient dissuadés d’aider le journalisme d’investigation et de contribuer ainsi à faire éclater les scandales. La société a le droit d'être convenablement informée. Attention toutefois à ne pas confondre avec la divulgation, en toute impunité, d'informations liées à la vie privée.

Ce texte demeure très en deçà de la réglementation européenne. La définition du journaliste prévue à l’article premier, qui renvoie à celle donnée par l’article L. 761-2 du code du travail, laisse de côté nombre de personnes qui pratiquent une activité journalistique sans être dotées de la carte de presse : correspondants de presse régionale, écrivains-journalistes occasionnels, pigistes. Pourquoi ces personnes, du moment qu’elles participent à l’information du public, n'auraient-elles pas droit à la protection de leurs sources ?

Il convient plutôt d’envisager l'activité journalistique en se référant à un réseau de professionnels. Il faudra alors protéger également les collaborateurs des journalistes, qui ont accès aux sources et qui participent au travail d'investigation, les opérateurs de télécommunications, qui détiennent eux aussi des informations. Sans protection juridique, ceux-ci ne risquent-ils pas d’être un moyen de lever le secret des sources ?

L'enjeu n'est pas la protection des personnes, mais bien celle des sources. Pour le groupe SRC, toutes les personnes ayant accès aux sources doivent être protégées. La « source » doit être pensée comme un objet indépendant, juridiquement protégé, et non comme la propriété d'une personne qui serait dotée d'une protection.

Le projet de loi, en son état actuel, risque d’ouvrir la porte à des dérives importantes. Le groupe SRC propose un garde-fou, qui consiste à donner une définition large mais précise des personnes bénéficiant de la protection des sources, incluant les directeurs de publication et les collaborateurs contribuant à la collecte, à la rédaction, à la production, au stockage et à la diffusion d'informations par le biais d'un média. Sans ces garanties, le groupe SRC ne pourra pas voter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Je tiens d’abord à remercier le président de la commission des lois et son rapporteur pour le travail de grande qualité qu’ils ont produit, et qui traduit bien l’exigence d’équilibre qui doit guider une loi, surtout lorsqu’elle traite d’un sujet comme la liberté de la presse.

J’avoue être surprise par la vivacité des critiques formulées par l’opposition, laquelle refuse de reconnaître les avancées sans équivalent contenues dans ce texte. En comparaison, la loi Vauzelle était extrêmement timide puisqu’elle ne reconnaissait aux journalistes le droit de se taire que devant le juge d’instruction, en qualité de témoins. De fait, la gauche, entre 1997 et 2002, n’a pas saisi l’occasion, fournie par l’arrêt Goodwin en 1996, de compléter notre droit !

M. Patrick Bloche – Cessez de ressasser ! La droite n’a rien fait non plus entre 2002 et 2007 !

M. Christian Vanneste – Il faut répéter les vérités, même si elles blessent.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Loin de moi l’idée de vous provoquer. Je constate seulement que vous n’avez pas tenu vos engagements.

M. Patrick Balkany – Vous étiez trop occupés avec les 35 heures !

M. Roland Muzeau – Cela faisait longtemps…

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Première avancée, dont vous ne voulez pas : la protection des sources devient un principe général du droit.

Deuxième avancée : à tous les stades de la procédure, le journaliste aura le droit de se taire, et ce, sans craindre d’être sanctionné.

Troisième avancée : sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, le magistrat ne pourra pas saisir une pièce si le journaliste invoque la protection des sources.

M. Jérôme Lambert – Ce sera a posteriori. Le magistrat aura donc le temps de prendre connaissance de la pièce.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Non, car la pièce sera placée sous scellés. Son utilisation entraînerait la nullité de la procédure.

Quatrième avancée : en matière d’écoutes téléphoniques – et vous vous y connaissez (Rires sur les bancs du groupe UMP) –, l’atteinte disproportionnée à la protection des sources aura pour conséquence la nullité de la procédure s’il s’agit d’écoutes judiciaires, ou des poursuites, s’il s’agit d’écoutes administratives.

Cinquième avancée, et non des moindres : toute atteinte à la protection des sources entraînera désormais la nullité de la procédure. Contrairement à vous, nous avons confiance en la justice et en la liberté de la presse. Le Président de la République a peut-être pris beaucoup d’engagements durant sa campagne, comme l’a rappelé M. Mamère, mais il les tient ! Il est vrai que quand on ne prend pas d’engagements, on ne peut être comptable de grand-chose… Les Français ne s’y sont pas trompés : ils ne vous ont pas élus.

M. Patrick Bloche – Surtout aux élections municipales !

M. Christian Vanneste – On ne voit pas le rapport ! (Brouhaha sur plusieurs bancs)

M. le Président – Seule Mme la garde des sceaux a la parole.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Bien qu’il soit parti, je remercie Michel Hunault de son soutien. Je partage son souci d’encadrer clairement les limites posées au secret des sources. La commission s’y est d’ailleurs employée, et je serai attentive à toutes les propositions d’amélioration qui pourraient être faites au cours du débat.

Monsieur Debray, vous avez parfaitement rappelé les enjeux de ce texte et l’avancée considérable qu’il constitue pour notre démocratie.

Monsieur Vanneste, vous avez opportunément rappelé ce que recouvrent les impératifs publics avec lesquels la liberté de communication doit se concilier dans un État de droit. Cela nous sera fort utile pour l’examen des amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Patrick Balkany – Trois motions de procédure, c’est constructif ! Allons-nous-en : nous reviendrons pour voter !

M. Jérôme Lambert – N’oubliez pas ! Ne faites pas comme mardi !

M. le Président – Ne vous faites pas d’illusions, cher collègue (Sourires).

M. Patrick Bloche – Qu'une initiative soit aujourd’hui prise pour assurer la protection des sources des journalistes est une bonne chose, dont nous devrions nous réjouir. Mais à y regarder de près, ce texte ne permet pas d'atteindre les objectifs qu'il se donne. Son examen exige donc une réflexion plus approfondie permettant de prendre en compte les attentes des journalistes, auxquelles le Président de la République s’est engagé à répondre pleinement. C’est parce que cette promesse n’est pas tenue que je défends cette motion de renvoi en commission qui nous permettra de passer enfin des discours aux actes.

Il faudrait déjà définir la teneur que l'on entend donner au droit à la protection du secret des sources, et envisager de la façon la plus précise – et la plus prudente – les limites qu'il convient d'y apporter. Il ne s’agit pas d’organiser la protection d'une profession parmi toutes les autres, mais de prévoir les modalités de garantie d’une de nos libertés fondamentales. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse fait en effet partie de ces grandes lois votées par la Troisième République naissante qui constituent, avec celles sur les libertés syndicales ou le droit d'association, les points d'ancrage de notre identité démocratique et ont inspiré bien d'autres pays.

Cette considération donne une certaine gravité à mon propos : si autrefois la France inspirait, elle est aujourd'hui en retard du fait de l’insuffisance de la protection accordée aux sources journalistiques. Les sources constituent pourtant pour les journalistes une ressource rare à préserver.

Le rapporteur, dont nous saluons le travail, a résumé le problème reprenant une formule opportune : « qui cite ses sources les tarit ». Se saisir des sources d'un journaliste, c'est mettre en péril sa démarche d'investigation et d'information ; c'est mettre en cause un ressort essentiel de notre vie démocratique : la liberté d'informer.

La Belgique est allée bien au-delà de ce que la France prévoit. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme consacre quant à elle le principe de protection des sources d'information journalistiques, conçu comme « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Elle est donc allée plus vite et plus loin que la France. Notre pays a d'ailleurs été condamné le 7 juin 2007, la Cour estimant que la condamnation en septembre 1998 des deux journalistes auteurs d'un livre sur les écoutes de l'Élysée qui avaient refusé de révéler leurs sources constituait – et les mots sont lourds – une violation de la liberté d'expression.

Nous assistons à une recrudescence des mises en examen de journalistes et des perquisitions visant rédactions et journalistes : ne laissons pas la Cour faire la démonstration de l'incapacité de notre droit à les protéger !

Il est incontestable qu’une pression de plus en plus lourde pèse sur les journalistes. Elle crée un climat de défiance détestable entre les journalistes, la police et la justice. La tentative de perquisition conduite le 11 mai 2007 au siège du Canard Enchaîné en marge de l'enquête sur l'affaire Clearstream en est un exemple significatif : c'est en invoquant la Convention européenne des droits de l'homme, qui proscrit toute perquisition dans une entreprise de presse, que la rédaction s'est opposée pendant près de 2 heures 30 à la perquisition, avant que le juge ne renonce.

Autre affaire, celle de Guillaume Dasquié, ce journaliste indépendant placé en garde à vue puis mis en examen le 7 décembre 2007 pour « détention et diffusion de documents ayant le caractère d'un secret de la défense nationale », suite à une plainte déposée par le Ministère de la défense. Guillaume Dasquié passera dans les locaux de la DST trente-six heures éprouvantes qu'il a racontées par la suite : « On m'enferme dans la cellule n° 2. Quatre mètres sur trois. Porte en verre blindé recouverte de plaques d'acier. Murs blancs, plancher gris en résine. Sur le côté, un banc en dur avec un matelas en plastique bleu... »

Mme Claude Greff – C’est Zola !

M. Patrick Bloche – Des conditions qui ne sont pas seulement difficiles, mais choquantes. Car le but des enquêteurs et du juge était bien d'obtenir du journaliste le nom de la source de la DGSE qui lui avait transmis la note de synthèse sur Al Quaïda parue dans Le Monde. Il a fini par céder. Je le cite : « J'accepte, je m'exécute, je signe ; vingt minutes plus tard, allongé dans ma cellule, je pose la couverture sur mes yeux, pour me cacher de la caméra de surveillance. J’ai donné un nom. » Est-ce vraiment ainsi qu’il faut envisager les relations entre les journalistes et l'autorité judiciaire ?

Ces deux exemples démontrent combien la protection des sources est devenue une nécessité. Il en va de la liberté d'exercice de la profession de journaliste.

Mme Claude Greff – Il ne faut pas non plus dire n’importe quoi ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. le Président – Laissez M. Bloche parler, Madame Greff.

M. Patrick Bloche – La démarche entreprise aujourd'hui ne doit donc pas s'arrêter. Pour autant, ce projet ne permet pas de réformer de manière décisive les textes actuels. Faut-il y voir une volonté de mal réformer pour ne pas réformer ? Nous espérons qu’il ne s’agit que d’une maladresse.

L'objet de cette motion de renvoi est donc d'inviter à une réforme plus ambitieuse permettant de garantir de manière pérenne une véritable protection des sources. Le pire qui pourrait arriver serait qu'un texte mal ficelé donne l'impression trompeuse d'avoir avancé alors même qu’il ne résout rien.

M. Jérôme Lambert – Ce sera le cas.

M. Patrick Bloche – La loi du 4 janvier 1993 a introduit à l'article 109 du code de procédure pénale un alinéa 2 qui dispose que « tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine » et constituait une avancée significative, due au garde des sceaux Michel Vauzelle. Mais notre droit ne garantit pas pour autant le secret absolu des sources des journalistes : ceux-ci sont placés en garde à vue, mis en examen et finalement contraints de révéler leurs sources. C'est ce qui s'est passé pour Guillaume Dasquié.

De même, des dispositions prises pour lutter contre le terrorisme permettent parfois de contourner la protection des sources : la loi du 18 mars 2003 autorise dans ce cadre la fouille des véhicules des journalistes.

L'article 56-2 du code de procédure pénale autorise quant à lui les perquisitions dans les locaux des rédactions, à condition qu'elles ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié dans la diffusion de l'information. Des perquisitions menées tôt le matin entrent parfaitement dans ce cadre. De plus, la présence d'un magistrat n'est obligatoire que lors des perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, ce qui exclut le cas de celles conduites au domicile d'un journaliste.

L'article 77-1-1 du même code autorise enfin la saisie de documents intéressant l'enquête, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives. L'accord du journaliste doit certes être obtenu, mais il y a toujours moyen de faire pression pour l’obtenir.

Il est donc urgent d'aller au-delà de cette protection embryonnaire pour garantir enfin une protection totale des sources des journalistes.

L'article 2 du texte pourrait aller dans ce sens. Il dispose en effet que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général », mais c’est pour y poser aussitôt des limites : il peut être porté atteinte à ce secret « lorsqu'un intérêt impérieux l'impose ».

Arrêtons-nous ici, et posons un principe simple : dès lors qu'un secret ne peut être total, il n'est déjà plus. Limiter systématiquement le secret des sources, n'est-ce pas refuser de le reconnaître ? Et ce d’autant plus que les limites posées sont des plus floues. Que recouvre la notion d’« intérêt impérieux » ? Le juge seul sera détenteur de la réponse. On entend laisser à des critères subjectifs la détermination de ces limites, et par conséquent, ce qui sera jugé secret par l’un ne le sera pas par l’autre. L’amendement qui substitue à cette notion celle d’« impératif prépondérant d’intérêt public », reprenant les termes mêmes de la Cour européenne des droits de l’homme, répond mieux à l’exigence de précision. Mais il faudrait mener un travail plus approfondi encore afin de parvenir à des critères véritablement objectifs.

Le texte présente une seconde faiblesse en raison de sa conception ambiguë de la finalité de la protection. L’article 2 – « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général » – laisse entendre que l’intérêt général serait la condition du secret. Il reviendrait ainsi à la puissance publique d’apprécier l’intérêt général de l’information ; c’est de nouveau laisser trop de champ à l’interprétation. Cette place trop grande laissée au vague, alors même que l’on voudrait poser un principe fort, témoigne de la faiblesse de ce texte, voire d’une certaine hypocrisie, ses auteurs entendant reprendre d’une main ce qu’ils ont accordé de l’autre.

De même, la définition du journaliste, qui s’en tient à celle du code du travail, pourtant décalée par rapport à l’évolution des pratiques journalistiques, introduit de fait une imprécision quant aux bénéficiaires de la protection. S’il s’agit des journalistes détenteurs d’une carte de presse, quelle protection entend-on accorder aux journalistes sans carte, aux stagiaires et autres rédacteurs occasionnels ? Le fait de devoir pratiquer son métier « à titre régulier » exclut en outre les personnes qui publient dans les journaux à titre exceptionnel et ne tirent pas le principal de leurs revenus de cette activité ; les pigistes, de plus en plus nombreux, et payés à la page, pourraient être exclus. Enfin, la nécessité d’être rétribué par une entreprise de presse ou de communication pose la question des journalistes indépendants.

D’autre part, un journaliste travaille rarement seul, et ses collaborateurs peuvent avoir accès à ses sources. Un amendement adopté en commission précise qu’il ne peut être porté « indirectement » atteinte aux sources. Il conviendrait toutefois de définir plus précisément les bénéficiaires d’une extension de la protection.

En ce qui concerne les perquisitions, il faut reconnaître une avancée dans la présence du magistrat aux perquisitions des locaux d’une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, ou encore du domicile d’un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle. Un amendement propose également à bon escient d’étendre cette procédure aux véhicules professionnels. Mais ce renforcement apparent s’assortit aussitôt d’un recul, puisqu’est confiée au magistrat la responsabilité de « veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte de façon disproportionnée au secret des sources au regard de la gravité et de la nature de l’infraction recherchée ». Une place exorbitante est de nouveau laissée au subjectif. Le journaliste aura la faculté de s’opposer à la saisie, le juge des libertés et de la détention devant alors intervenir, avec toutes les possibilités d’appréciation qui, de nouveau, en découleront.

On établit parfois un parallèle entre les professions d’avocat et de journaliste. Alphonse Karr, avec une pointe d’ironie, définissait les journalistes comme « des avocats qui écrivent ». Ce projet entend offrir aux journalistes la même protection en cas de perquisition que celle dont bénéficient les avocats. Or, si l’avocat est toujours assisté de l’autorité morale que représente le bâtonnier, le journaliste, quant à lui, est seul face au magistrat. Cette loi ne remédie pas au contrôle croissant de l’activité journalistique par l’autorité judiciaire.

Je voudrais, en conclusion, vous inviter à un ultime détour par la Belgique, qui s’est dotée, le 7 mai 2005, d’une loi consacrant le secret des sources journalistiques comme un principe fondamental. Cette loi reconnaît aux journalistes le droit de se taire lorsqu’ils sont convoqués au titre de témoins, et les protège explicitement contre les perquisitions et saisies. Toujours aux termes de cette législation, le secret des sources ne peut être levé que lorsqu’elles sont de nature à prévenir « la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes » et si, en outre, les informations revêtent une importance cruciale pour prévenir ces infractions et ne peuvent être obtenues autrement. Cette loi a amélioré de manière notable les relations entre la justice et la presse.

Que la France puisse à son tour, et de nouveau, servir d’exemple en matière de liberté de la presse, qui, selon Chateaubriand, « les vaut toutes », ce serait un beau projet ! La question exige bien plus que de légères retouches : un travail impérieux de réforme. En imaginant des solutions nouvelles pour garantir la protection des sources des journalistes, nous consoliderons, en même temps, la liberté de la presse, fondement de notre démocratie. Le texte ne remplissant pas, en l’état, cette haute mission, je vous invite à voter son renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Étienne Blanc, rapporteur – M. Bloche nous invite à « un travail impérieux de réforme » ; que veut dire « travail impérieux » ? Nos collègues de l’opposition ne cessent de dire que la notion d’« impératif impérieux » n’est pas assez précise, qu’elle est fumeuse et peut tout vouloir dire…

Ce texte traduit une véritable volonté de réforme de fond. Je remercie M. Bloche d’avoir relevé que les amendements de votre rapporteur améliorent le texte initial. Nous pouvons passer à présent à la discussion de ces amendements.

M. Jérôme Lambert – Si la question préalable adoptée la semaine dernière, semant le trouble au sein de la majorité, a obligé le Gouvernement à de certaines pirouettes, il s’agit ici de revenir en commission afin de retravailler un texte encore trop imprécis.

M. Patrick Balkany – Vous pouvez l’amender ici !

M. Jérôme Lambert – Un renvoi en commission nous permettrait de discuter de façon plus sereine.

M. Patrice Debray – Au nom de l’UMP, je tiens à rendre hommage au travail exceptionnel mené en commission sous l’égide de M. le rapporteur Blanc. Les quarante personnes auditionnées se sont montrées à 80 % satisfaites du contenu du texte. Ce projet de loi comble un vide juridique en apportant une définition générale et claire du métier de journaliste. Il s’agit d’un projet équilibré, conciliant les nécessités de l’enquête judiciaire et la protection de la presse. Enfin, nous mettons ainsi notre législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme et la recommandation du Conseil de l’Europe du 18 mars 2000. Le groupe UMP votera contre cette motion.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – J’appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

Mme Aurélie Filippetti – Il est amusant d’entendre nos collègues de l’UMP défendre les magistrats le jour même où le journal Le Monde annonce un projet de loi qui doit réduire les prérogatives des juges d’instruction ; dans le cas d’une nouvelle affaire Clearstream, par exemple, ceux-ci ne pourraient plus faire des perquisitions dans les ministères.

M. le Président – Venez-en à l’objet de l’article premier.

M. Patrick Balkany – Vous ne voulez pas de perquisition dans les journaux, mais les perquisitions dans les ministères ne vous dérangent pas !

Mme Aurélie Filippetti – Si l’article premier vise à poser le principe de la protection des sources, ce principe est étouffé dans l’œuf en raison de l’imprécision du texte.

Aussi avons-nous déposé des amendements qui disent les choses clairement. Mme la garde des sceaux a certes indiqué qu’en cas de dérogation injustifiée à la protection du secret des sources, la nullité de la procédure serait certaine mais il va sans dire que c’est insuffisant. Le rapporteur partage d’ailleurs notre inquiétude à ce sujet, puisqu’il a lui-même rédigé un amendement à ce sujet. Ses autres amendements témoignent, s’il en était besoin, de l’impréparation du texte initial, d’évidence insatisfaisant. Nous avons voté, en commission, l’amendement du rapporteur qui concerne l’étendue du champ de la protection, mais il laisse entière la question de savoir qui sont les personnes protégées. Nous proposerons donc de contourner la difficulté en définissant plutôt les activités à protéger.

M. Roland Muzeau – La rédaction actuelle du texte est sans portée réelle parce que très imprécise, et le métier de journaliste y est décrit de manière très restrictive. Aussi proposons-nous, par l’amendement 18, de lui substituer une formulation par laquelle nous affirmons solennellement le principe de la protection du secret des sources journalistiques.

Mme Aurélie Filippetti – Nous proposons, par l’amendement 40 rectifié, de rédiger de la manière la plus simple qui soit l’alinéa 4, en substituant à sa formulation actuelle la phrase : « Le droit au secret des sources d’information est protégé par la loi. » Il n’y a pas lieu de mentionner les « questions d’intérêt général », car la formule est entendue dans ce projet dans un sens si restrictif que le sens de l’arrêt « Goodwin contre Royaume-Uni » rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en est dénaturé.

M. Étienne Blanc, rapporteur  L’amendement 18 sera satisfait par l’amendement 5 de la commission que nous examinerons dans un instant. S’agissant de l’amendement 40 rectifié, je rappelle que le texte protège le secret des sources des journalistes, et non pas le « droit au secret » : la formule proposée apparaît donc malheureuse. Enfin, la notion d’« intérêt général », systématiquement utilisée dans les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, doit évidemment demeurer. Avis défavorable, pour ces raisons, aux deux amendements.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le texte permet un progrès incontestable en posant le principe du secret des sources du journaliste à tous les stades de la procédure. On ne peut cependant consacrer le caractère absolu du secret dans la loi, pour les raisons que j’ai exposées tout à l’heure : en cas d’acte terroriste ou d’enlèvement d’enfant par exemple, l’intérêt des victimes et de la justice exige que les enquêteurs puissent disposer des informations qui leur sont nécessaires. Je le répète, nous avons toute confiance dans le pouvoir d’appréciation des juges. Pour ces raisons, avis défavorable à l’amendement 18.

Je suis aussi défavorable à l’amendement 40 rectifié, car il est important de préciser que la protection des sources concerne l’information destinée au public.

M. Jérôme Lambert – Il y a bien de l’hypocrisie dans ces formulations écrites et orales… Si une autorité estime nécessaire d’interroger un journaliste, ne justifie-t-elle pas systématiquement son questionnement par des nécessités d’intérêt général ? Sinon, pourquoi le ferait-elle ? D’évidence, les amendements proposés clarifieraient utilement le texte, à supposer que l’on veuille vraiment protéger le secret des sources des journalistes.

M. Patrick Bloche – C’est exact, nous voulons créer un droit au secret des sources d’information, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La rédaction qui a été retenue dans le projet est la plus imprécise qui soit. Est-ce ainsi que doit s’écrire la loi ? Tel qu’il est rédigé, l’article sera interprété de la manière la plus tendancieuse. Mieux aurait valu s’inspirer de l’article premier de la loi du 30 septembre 1986 : il établit, de manière on ne peut plus limpide que « la communication audiovisuelle est libre ». Nous aimerions trouver la même clarté dans le présent projet !

L’amendement 18, mis aux voix, n’est pas adopté, non plus que l’amendement 40 rectifié.

Mme Aurélie Filippetti – La définition des personnes bénéficiant du droit au secret des sources d’information pose problème. Notre amendement 41 rectifié permettrait de contourner la difficulté de définir aujourd’hui précisément la profession de journaliste. Avec la précarité croissante dans ce métier et l’apparition des nouveaux supports numériques, on ne peut en effet pas s’en tenir à la définition donnée par le code du travail ni à la possession de la carte de presse. À l’instar de ce qui a été fait en Belgique en 2005, nous proposons non pas de définir ce qu’est un journaliste, mais de viser les personnes qui disposent d’informations protégées, recueillies directement ou indirectement en raison de leur fonction à l’intérieur de l’entreprise de presse ou parce qu’elles leur ont été confiées à titre professionnel. Le secret des sources s’imposera ainsi non seulement au journaliste mais au rédacteur, au traducteur, au réviseur, au dessinateur de presse, au photographe, au correspondant local de presse régionale, au directeur de publication, à l’informaticien de maintenance, aux opérateurs de communication électronique, aux fournisseurs d’accès à Internet... Cela irait d’ailleurs dans le sens des recommandations du comité des ministres du Conseil de l’Europe qui envisageait également la protection des « personnes qui, à travers leurs relations professionnelles avec les journalistes, prennent connaissance d’informations identifiant une source à travers la collecte, le traitement éditorial ou la publication d’informations. »

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. Vous proposez une liste extrêmement précise de professions qui bénéficieront de la protection des sources.

Mme Aurélie Filippetti – C’est tout le contraire.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Si nous avons choisi de ne pas faire référence à la définition du code du travail, c’est qu’elle ne permettait pas de couvrir toute la profession. Ainsi, lors de son audition, M. Dasquié nous a expliqué que tirant l’essentiel de ses revenus d’une autre activité que celle exercée dans un organe de presse, il ne peut, dans l’état du droit actuel, bénéficier de la protection de ses sources. La commission pense avoir résolu le problème avec son amendement 1 – au profit duquel je souhaiterais que vous retiriez le 41 rectifié – en visant toutes les personnes qui ont été en contact « directement ou indirectement » avec la source. Mieux vaut en effet poser un principe général que se lancer dans un inventaire à la Prévert, qui ne sera de toute façon jamais exhaustif.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – En effet. Jamais nous ne pourrions citer tous les secteurs d’activité potentiellement concernés. L’essentiel est de garantir au journaliste que l’on ne puisse pas remonter à sa source.

M. Patrick Bloche – Je reconnais que l’amendement 1 du rapporteur améliore le texte. Mais il est contradictoire avec le maintien du sixième alinéa de l’article qui donne une définition restrictive du journaliste.

M. Jérôme Lambert – Le Gouvernement et la commission souhaitent protéger les personnes qui gravitent autour du journaliste, ce qui est légitime. Soit, mais quid de ceux qui n’exercent pas de façon habituelle la profession de journaliste comme les pigistes ou les rédacteurs occasionnels ? Pour nous, dans l’état actuel du texte, ils ne sont pas protégés. Notre amendement étendrait de manière tout à fait pertinente le champ des personnes protégées.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Il y a, je crois, un malentendu. Si nous supprimions le sixième alinéa de l’article, nous en reviendrions à la définition du code du travail qui n’est pas, nous l’avons vu, satisfaisante. En effet, les personnes qui, comme M. Dasquié, tirent l’essentiel de leurs revenus d’une autre activité que celle exercée dans un organe de presse, ne sont pas protégées.

Pour ce qui est des pigistes, oui, ils sont protégés car le texte dispose qu’est « considérée comme journaliste (…) toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse ou de communication au public (…) », ce qui est bien le cas des pigistes.

Mme Aurélie Filippetti – L’amendement du rapporteur concerne l’alinéa 5 où il n’est pas question du champ des personnes concernées. Le nôtre étend le champ des personnes devant bénéficier de la protection. En réalité, il va dans le même sens mais pour la cohérence l’un ne peut aller sans l’autre.

L'amendement 41 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 1 énonce clairement que c’est le secret des sources des journalistes qui est protégé et non les journalistes eux-mêmes. Dès lors, les conditions de dérogation au principe devront s’appliquer à toute mesure d’investigation visant à obtenir la communication des sources d’un journaliste de manière indirecte auprès d’un de ses collaborateurs – secrétaire de rédaction, cameraman, monteur, preneur de son… – ou même d’un membre de sa famille. Il répond à une préoccupation des organisations professionnelles qui est d’éviter que le principe de la protection du secret des sources journalistiques ne soit contourné par les enquêteurs. Toute personne qui a connaissance d’une source ou des moyens pour remonter à celle-ci est donc bien visée par le texte. Je précise que cet amendement a été adopté à l’unanimité par la commission.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Avis favorable.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – À l’unanimité.

M. Roland Muzeau – L’amendement 19 précise de façon limitative les conditions juridiques pouvant justifier la levée du principe de la protection des sources. Le concept « d’intérêt impérieux » n’a en effet pas grand sens. La perquisition effectuée au Canard enchaîné dans l’affaire Clearstream était-elle d’un « intérêt impérieux » ? Pour qui ? Pour le Président de la République ? Notre amendement ne fait que reprendre les dispositions de la loi belge.

Mme Aurélie Filippetti – La Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas de critères aussi imprécis que « la particulière gravité des faits commis » ou « les nécessités des investigations ». Si elle ne considère pas les journalistes comme au-dessus des lois ni leur domicile comme un sanctuaire, elle exige de façon constante que l’objet de la recherche ne concerne pas la source d’une information mais seulement la preuve d’une infraction commise par le journaliste ou l’une des personnes qui lui sont assimilées et ne ressortant pas de son activité professionnelle. D’où les précisions apportées par notre amendement 42 rectifié.

Notre amendement 43 rectifié précise pour sa part les conditions dans lesquelles on peut faire exception au principe de protection des sources. Il faut que les informations ne puissent être obtenues par un autre moyen – ce qu’on appellera le principe de subsidiarité – et que leur révélation soit de nature à prévenir la commission d’un crime ou d’un délit constituant une menace grave pour l’intégrité physique des personnes. Les journalistes ne sauraient être les auxiliaires de la justice pour résoudre des affaires passées, mais seulement, comme le prévoit la loi belge, pour empêcher des crimes à venir.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 2 de la commission répond à certaines interrogations des journalistes. La notion d’intérêt impérieux semblant insuffisante, nous lui substituons celle d’impératif prépondérant d’intérêt public, reprenant ainsi la terminologie utilisée par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence depuis l’arrêt Goodwin. J’émets donc un avis défavorable sur les amendements 19, 42 rectifié et 43 rectifié.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Les journalistes sont protégés par la loi mais ne sont pas au-dessus des lois. On ne saurait limiter de façon aussi restrictive que vous le demandez, avec cette notion d’intégrité physique, la possibilité de révéler une source afin de prévenir ou d’élucider un crime. Pensons aux cas de trafic de stupéfiants, de blanchiment d’argent, éventuellement pour financer le terrorisme. Ni la Convention européenne des droits de l’homme ni la Cour dans l’application qu’elle en fait ne vont aussi loin. Je suis donc défavorable aux amendements 19, 42 rectifié et 43 rectifié, et favorable à l’amendement 2.

M. Patrick Bloche – La garde des sceaux accroît à chacune de ses interventions la liste des cas – enlèvement d’enfant, terrorisme, et maintenant le blanchiment d’argent. Nous voudrions savoir de façon précise où s’arrête la protection du secret des sources.

Les amendements 19 et 42 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que l’amendement 43 rectifié.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 3 est rédactionnel.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Le projet prévoit que la dérogation doit être « justifiée » par deux conditions cumulatives, la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels porte l’investigation et les nécessités des investigations.

Pour mieux encadrer encore le cadre dans lequel elles peuvent s’appliquer, l’amendement 4 remplace le terme « justifient » par « rendent cette atteinte strictement nécessaire ». Ce n’est que dans le cas où l’infraction sur laquelle porte l’enquête est particulièrement grave et où les actes de procédures, tels une perquisition dans les locaux d’un journal ou la réquisition d’un opérateur de téléphonie mobile pour obtenir la liste des appels d’un journaliste, constituent l’unique moyen d’obtenir des informations nécessaires à l’enquête qu’il pourra être porté atteinte au principe.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis favorable.

M. Patrick Bloche – On écarterait donc les délits pour se limiter aux crimes…

M. Étienne Blanc, rapporteur – Non, absolument pas. Il s’agit de laisser au juge l’appréciation du caractère strictement nécessaire de l’exception. Vous voudriez qu’on établisse une liste précise. Nous préférons l’encadrement par la loi.

M. Patrick Balkany – On mentionne « la particulière gravité » du crime ou du délit, quand même !

Mme Aurélie Filippetti – Le vrai problème est qu’on instaure des garde-fous supplémentaires dans le domaine pénal, où existe déjà une protection efficace, alors que pour le reste, le flou subsiste.

M. Patrick Bloche – Effectivement, c’est l’excellent amendement 26 de M. Strauman qui écartait les délits.

Mais, monsieur le rapporteur, n’avez-vous pas le sentiment, après avoir entendu la liste non exhaustive de Mme la garde des sceaux, qu’il faudrait définir de façon plus précise ce qu’est la particulière gravité d’un crime ?

M. Étienne Blanc, rapporteur – Il y aura élaboration progressive d’une jurisprudence. Cet amendement affirme que l’atteinte à la protection des sources doit être strictement nécessaire. Mais pour une même qualification criminelle, le juge pourra décider que cette nécessité existe dans certains cas et pas dans d’autres.

M. Jérôme Lambert – Donc il n’y a aucune sécurité juridique.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Il y aura progressivement formation d’une jurisprudence. La protection des sources n’est absolue dans aucun pays. Il y a en effet les cas de terrorisme, de séquestration.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux En effet, il n’y a de protection absolue dans aucune démocratie. Vous demandez une liste de cas. En réalité, comme les éducateurs, médecins, infirmières soumis au secret professionnel décident eux-mêmes si un cas grave les en délivre, ce sera ici le magistrat qui décidera si le degré de gravité de l’affaire conduit à une dérogation. Ce que nous faisons, c’est d’affirmer dans la loi le principe de la protection des sources, et c’est une avancée très importante. D’ailleurs, les journalistes ne souhaitent pas qu’on établisse une liste mais qu’on se détermine selon la nature des faits. Ainsi, pour reprendre le cas d’une séquestration d’enfant, à moins de sept jours c’est un délit, à plus de sept jours seulement il s’agit d’un crime.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 5, adopté par la commission, précise clairement que les atteintes au secret ne peuvent en aucun cas porter sur le droit au silence du journaliste entendu comme témoin, même à titre exceptionnel et sur le fondement d’un intérêt impérieux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Avis favorable.

M. Patrick Bloche – Nous ne saurions nous opposer à cet amendement de précision. Toutefois, je m’étonne, Madame la garde des sceaux, que vous fassiez référence à un droit absolu au secret que nous n’avons jamais invoqué. Vous rappelez également que les journalistes ne veulent pas d’une liste, mais c’est vous qui l’établissez, d’intervention en intervention. Il ne faudrait pas que la jurisprudence ne retienne que ces exemples.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 6 rectifié est de cohérence.

L'amendement 6 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. Marc-Philippe Daubresse remplace M. Rudy Salles au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE
vice-président

Mme Pascale Got – L’amendement 44 rectifié tend à supprimer l’exigence d’une activité régulière et rétribuée. Ne laissons pas de côté les journalistes précaires et non salariés.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. La définition des journalistes doit être précise, faute de quoi tout le monde sera tenté d’invoquer la qualité de journaliste pour bénéficier de cette protection.

Je rappelle que les pigistes seront couverts, car ils collaborent de façon régulière avec des entreprises de presse.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Avis défavorable.

M. Patrick Bloche – Si les pigistes sont concernés, pourquoi faire mention d’une activité exercée à titre régulier ? Par définition, les pigistes sont employés à titre irrégulier.

L'amendement 44 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 59 apporte une correction grammaticale.

L'amendement 59, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Roland Muzeau – L’amendement 20 a pour objet d’élargir aux collaborateurs des journalistes la protection des sources.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Cet amendement est satisfait par l’amendement 1, qui a précisé quelles atteintes directes ou indirectes peuvent être apportées au principe de protection. Je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, avis défavorable.

L'amendement 20, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche – L’amendement 45 rectifié, de repli, tend lui aussi à protéger tous les professionnels concernés.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Je vous suggère de retirer cet amendement qui sera bientôt satisfait par l’amendement 16, relatif aux réquisitions adressées aux opérateurs de communications électroniques ou mobiles.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Même position.

L'amendement 45 rectifié est retiré.

M. Roland Muzeau – Afin de protéger effectivement le secret des sources, nous souhaitons préciser, par l’amendement 21, la notion même de sources en nous appuyant sur une recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui a été signée par la France.

La protection doit s’étendre à l'identité des informateurs, à leur nom, à leurs données personnelles ainsi que leur voix et leur image, aux circonstances concrètes d’obtention des informations, à la partie non publiée des informations, et enfin aux données personnelles concernant les journalistes et leurs employeurs qui seraient liées à leur activité professionnelle.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Nous sommes tous d’accord sur le fond, mais il n’est pas souhaitable d’établir une liste à la Prévert, car il y aura nécessairement des lacunes. Avis défavorable.

L'amendement 21, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Nous avons constaté, au cours des auditions, que les journalistes se trouvaient parfois dans une situation délicate en cas de poursuites en diffamation : ils peuvent être incapables d’apporter la preuve de la véracité de leurs informations à moins de s’exposer à une sanction pour recel de violation du secret de l’instruction.

Au terme d’un large débat, la commission a adopté l’amendement 7 qui fait primer le droit à la protection des sources d’information en écartant l’incrimination de recel dans le cadre de l’exceptio veritatis.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Avis favorable.

Mme Aurélie Filippetti – Cet amendement n’apporte rien au droit en vigueur, car un journaliste peut déjà exciper des pièces en sa possession pour prouver la véracité de ses dires.

Dans un jugement rendu le 14 novembre 2006, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a précisé que la production de pièces couvertes par le secret était admise et que l’incrimination de recel de violation du secret de l’instruction n’était pas nécessaire dans une société démocratique. C’est précisément pour cette raison que nous défendrons, dans la suite du texte, un amendement tendant à supprimer totalement cette disposition pénale.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Cette argumentation me surprend : nous vous proposons d’inscrire ce principe dans la loi, afin de le soustraire aux fluctuations de la jurisprudence. Ce sera une protection supplémentaire pour les journalistes.

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

L'article premier, modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 8 est rédactionnel.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Aurélie Filippetti – L’article 2 tend à accroître les garanties procédurales entourant les perquisitions dont les journalistes peuvent faire l’objet, mais cela reste insuffisant. Cette loi ne ferme pas la porte à la curiosité inévitable des juges, sauf lorsque le juge des libertés estime la procédure de perquisition irrégulière. J’observe d’ailleurs que la nature de cette irrégularité n’est pas précisée dans le texte. Or la Cour européenne a rappelé que si c’est la source d’information qui est visée, et non la preuve de la commission d’une infraction par le journaliste, dans un cadre qui ne ressortirait pas de son activité professionnelle, la mesure de perquisition tombe. Il est donc nécessaire d’éviter tout contournement de la protection des sources par la perquisition.

L’amendement 47 rectifié vise à étendre la protection accordée aux entreprises éditrices pour les perquisitions dans les locaux des prestataires techniques – hébergeurs de contenus, fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de télécommunications – lesquels détiennent, eux aussi, des informations protégées par le secret des sources, comme les listes d’appels téléphoniques ou les courriels.

Il est délicat de déterminer la légitimité d’une perquisition dans des locaux d’une entreprise de presse ou au domicile des journalistes, dans le cadre d’une opération qui, par nature, sera toujours exceptionnelle pour le magistrat qui la mène. La loi belge du 7 avril 2005 prohibe pour sa part entièrement les perquisitions, les saisies et les écoutes.

M. Étienne Blanc, rapporteurAvis défavorable à cet amendement qui vise à interdire purement et simplement les perquisitions dans un certain nombre d’entreprises. En revanche, les perquisitions doivent être encadrées, avoir lieu à titre exceptionnel et lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt général le justifie.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Madame Filippetti, les magistrats ne sont pas atteints d’une « curiosité inévitable ». Ils représentent l’État de droit et la justice, et à ce titre, sont responsables lorsqu’ils procèdent à des enquêtes. Je souhaite ici rendre hommage à leur travail, réalisé dans des conditions difficiles. Les magistrats doivent être respectés.

M. Patrick Bloche – Comme vous le faites avec la carte judiciaire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – La disposition que vous proposez est totalement irréaliste. Elle confèrerait aux journalistes une immunité inconnue ailleurs, même en Belgique, supérieure à celle dont jouissent les avocats, et introduirait une rupture d’égalité des citoyens devant la loi pénale, ce qui est inconstitutionnel.

L'amendement 47 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Françoise Vallet – L’amendement 48 rectifié ne vise pas à sanctuariser certains locaux professionnels mais à étendre la protection accordée aux entreprises éditrices pour les perquisitions dans les locaux des prestataires techniques.

M. Étienne Blanc, rapporteurJe vous propose de retirer cet amendement, satisfait par l’amendement 16, qui prévoit une disposition en matière de réquisition auprès des opérateurs de télécommunications, des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs.

M. Patrick Bloche – L’amendement 48 rectifié, qui est un amendement de repli, va dans votre sens, Monsieur le rapporteur, en apportant à cet endroit du texte une précision opportune. Avec notre combat contre votre carte judiciaire, il constitue une nouvelle preuve de notre amour pour les magistrats, Madame la garde des sceaux.

L'amendement 48 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteurL’amendement 9 vise à étendre le champ d’application de la procédure spécifique de perquisition applicable aux journalistes aux véhicules professionnels, qui constituent le prolongement de l’entreprise de presse ou de communication audiovisuelle.

Mme Pascale Got – J’espère vivement que nous trouverons un accord sur le sous-amendement 46 rectifié, qui vise à étendre ce champ aux véhicules privés des journalistes.

M. Étienne Blanc, rapporteurVous ne pouvez pas protéger de manière systématique les véhicules privés d’une catégorie de Français. Les avocats, dont nous transposons le droit aux journalistes, ne bénéficient pas d’une telle protection.

Mme Pascale Got – Les pigistes, que vous avez évoqués tout à l’heure, ne disposent pas tous d’un véhicule professionnel.

Le sous-amendement 46 rectifié, rejeté par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Marie-George Buffet – L’amendement 22 rectifié vise à étendre la protection du secret des sources à tous les lieux de vie et de travail des journalistes.

M. Étienne Blanc, rapporteurLa jurisprudence a apporté des précisions sur la notion de domicile : il ne doit pas être entendu seulement comme le lieu où une personne a son principal établissement, mais aussi comme le lieu où elle peut se dire chez elle. Ce peut être le cas d’une chambre d’hôtel, comme le rappellent plusieurs arrêts de la Cour de cassation criminelle. Cet amendement est donc en partie satisfait. Avis défavorable.

L'amendement 22 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteurL’amendement 10 vise à renforcer les garanties apportées aux perquisitions concernant les journalistes, en s’inspirant des dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale relatif aux perquisitions dans les cabinets d’avocats.

Il précise que la perquisition doit être précédée d’une décision écrite et motivée du magistrat indiquant la nature des infractions et l’objet de la perquisition. La personne qui pourra s’opposer à la saisie des documents sera alors à même de vérifier que les saisies entrent bien dans le champ fixé par cette décision préalable.

En outre, l’amendement précise que la méconnaissance de ces prescriptions est une cause de nullité, non seulement de la perquisition mais aussi des actes subséquents et de tous les actes qui directement ou indirectement feraient référence à cette perquisition.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  L’obligation d’une décision motivée du juge interdira de procéder à une incidente, c’est-à-dire de saisir des pièces sans rapport avec la procédure, avec une garantie supplémentaire : le journaliste pourra s’opposer à la saisie d’une pièce – qui pourra être placée sous scellés dans l’attente de la décision du juge des libertés. Il y a là une garantie fondamentale pour les journalistes.

L'amendement 10, mis aux voix, est adopté.

Mme Aurélie Filippetti – L’amendement 49 rectifié précise que seul le magistrat présent a le droit de prendre connaissance des documents découverts lors de la perquisition préalablement à leur éventuelle saisie. En effet, ils ne doivent pas être livrés aux regards des officiers de police, mais aussi des personnes réquisitionnées – selon le droit commun – pour assister à la perquisition si le journaliste n’est pas présent. Cette disposition figure déjà dans l’article 56-1 du code de procédure pénale, qui organise les perquisitions dans les cabinets d’avocats et dont s’inspire cet article, excepté pour ce qui est de la présence de délégués de la profession.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Par le sous-amendement 62, nous proposons que la personne chez qui a lieu la perquisition puisse également consulter les documents que le magistrat envisage de saisir.

Pour des raisons de cohérence, je propose de modifier la rédaction de l’amendement 49 rectifié sur un autre point, en remplaçant « ce magistrat » par « le magistrat ».

Mme Aurélie Filippetti – Je suis d’accord pour rectifier l’amendement en ce sens.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Avis favorable à l’amendement rectifié et au sous-amendement.

Le sous-amendement 62, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 49 2ème rectification ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 11 est rédactionnel.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Marie-George Buffet – L’amendement 23 vise à garantir que les dispositions du code de procédure pénale soient en tous points conformes aux principes affirmés par la loi sur la liberté de la presse.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 13 de la commission que je défendrai dans quelques instants reprend intégralement les termes de cet amendement. Je vous propose donc de le retirer.

L'amendement 23 est retiré.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 12 est rédactionnel ; le 13 est un amendement de précision.

Les amendements 12 et 13, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 14 vise à inclure dans les objets dont la saisie peut donner lieu à une contestation devant le JLD, outre les « documents » visés par le texte, certains matériels utilisés par les journalistes : disques durs d’ordinateurs fixes ou ordinateurs portables, téléphones mobiles…

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Favorable.

Mme Aurélie Filippetti – Le sous-amendement 50 rectifié ajoute à ces matériels ceux que le journaliste a confiés à une autre personne à titre professionnel. Je pense aux opérateurs de téléphone, aux fournisseurs d’accès Internet, mais aussi aux serveurs informatiques – notamment ceux sur lesquels sont stockés les rushes de certains reportages télévisés.

M. Étienne Blanc, rapporteur – La commission a donné un avis défavorable à ce sous-amendement qui élargit par trop le champ de la protection.

Le sous-amendement 50 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 14, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 60 est un amendement de précision.

L'amendement 60, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Bloche – L’amendement 51 rectifié vise à revenir sur le fait que la décision ne soit pas susceptible de recours.

M. Étienne Blanc, rapporteur – La commission a donné un avis défavorable à cet amendement. Le recours implique en effet un délai supplémentaire. Par ailleurs, il existe déjà des voies de recours devant le JLD, puis, sur le fond, la juridiction compétente ou devant la chambre d’instruction.

L'amendement 51 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 61 prévoit que si le journaliste chez qui la perquisition a été conduite était absent lors de celle-ci, il peut se présenter devant le JLD pour être entendu par ce magistrat et s’assurer que les pièces qui ont été saisies entrent bien dans le cadre prévu.

L'amendement 61, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L’ARTICLE 2

Mme Aurélie Filippetti – La procédure de droit commun prévoit que deux personnes peuvent être réquisitionnées pour assister à la perquisition. L’amendement 52 rectifié vise à adapter cette procédure aux spécificités du métier de journaliste, en prévoyant que ces deux personnes doivent avoir la qualité de journalistes au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.

L'amendement 52 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE 3

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 15 est rédactionnel.

L'amendement 15, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Bloche – L’amendement 53 rectifié vise à étendre la garantie offerte aux journalistes entendus comme témoins aux directeurs de publication et aux collaborateurs de la rédaction tels que les définit la loi du 29 juillet 1881 modifiée par l’article premier. De même, la définition du champ d’application de l’article 109 du code de procédure pénale doit être précisée et harmonisée avec celle des précédents articles du code, que nous venons de modifier.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Défavorable : nous avons là un amendement de coordination avec un amendement que nous avons repoussé à l’article premier.

L'amendement 53 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Aurélie Filippetti – Ce n’est pas seulement comme témoin que le journaliste doit être protégé, mais à quelque titre que ce soit, c’est-à-dire à toutes les phases de la procédure. L’amendement 54 rectifié vise ainsi à rééquilibrer un dispositif qui incite par trop à la mise en examen des témoins, en contradiction avec la loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. Cet amendement est satisfait par le droit existant et par le projet de loi. Si le journaliste est mis en cause, il est libre – comme tout citoyen – de ne rien dire. S’il est entendu ou cité comme témoin, il dispose d’un droit inconditionnel à garder le secret de ses sources.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis. Le droit de se taire fait partie des droits de la défense.

L'amendement 54 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 3 modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L’ARTICLE 3

M. Étienne Blanc, rapporteur – L’amendement 16 concerne les réquisitions judiciaires. L’article premier fonde un principe général de protection du secret des sources, qui doit être appliqué dans la conduite de tout acte d’enquête, même en l’absence de mention expresse dans le code de procédure pénale.

La commission a jugé utile de procéder en matière de réquisitions judiciaires comme à l’article 2 pour les perquisitions. L’amendement 16 complète donc les dispositions du code de procédure pénale relatives aux réquisitions judiciaires, afin de préciser que celles-ci ne peuvent porter atteinte de façon disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l’infraction, à la protection due au secret des sources d’un journaliste, comme dans l’hypothèse de réquisitions adressées à un opérateur de télécommunications pour obtenir la liste des numéros appelés ou reçus par un journaliste ou la liste de ses correspondants par courriels.

Mme Aurélie Filippetti – Le sous-amendement 55 rectifié tend à supprimer les mots : « de façon disproportionnée au regard de la gravité et de la nature de l’infraction », qui nous paraissent, encore une fois, trop imprécis et de nature à rendre aléatoire la protection des sources.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. L’amendement reprend les termes de la Cour européenne des droits de l’homme. Il reviendra au magistrat d’arbitrer.

Le sous-amendement 55 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 16, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme Aurélie Filippetti – L’amendement 35 rectifié tend à introduire une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, les personnes visées à l’article 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont autorisées à taire leurs sources dans les conditions prévues par ledit article ; leur placement en garde à vue est réputé irrégulier. » Les gardes à vue peuvent servir à exercer des pressions sur les journalistes afin qu’ils révèlent leurs sources, comme nous l’avons vu dans le cas du journaliste Guillaume Dasquié. Ces pratiques ne sont pas acceptables.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. Si l’amendement était adopté, il introduirait un privilège pour les journalistes, et donc une rupture de l’égalité des citoyens devant la loi pénale. Le journaliste en garde à vue n’est pas tenu de divulguer ses sources. Imaginer que la garde à vue sert à obtenir des informations me paraît une conception dépassée.

L'amendement 35 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche – Les réponses du rapporteur ne nous satisfont pas. Les gardes à vue peuvent être utilisées pour exercer des pressions, des intimidations sur les journalistes. M. Dasquié, placé en garde à vue pendant trente-six heures, a craqué sous la pression et révélé le nom que les enquêteurs voulaient connaître. Nous avons le souci, non pas de dire que les journalistes ne peuvent être mis en garde à vue, mais d’empêcher que des pressions puissent être exercées sur eux par ce moyen. L’amendement 36 rectifié complète les articles 63 et 77 du code de procédure pénale en vue d’encadrer et de limiter les gardes à vue pour les journalistes.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Même avis défavorable que sur le précédent amendement.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Les gardes à vue ne sont pas un moyen de pression (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Elles se déroulent sous le contrôle du procureur de la République et ne sont possibles que dans des conditions très strictes et encadrées. Je demande le retrait de l’amendement.

Mme Aurélie Filippetti – Madame la garde des sceaux, vous nous accusez souvent d’angélisme, mais c’est vous qui en faites preuve si vous croyez que les gardes à vue ne peuvent servir à faire pression ! Le meilleur exemple en est l’affaire Dasquié, qui a fini par dévoiler sa source, avant de se couvrir le visage de honte parce qu’il venait de violer la déontologie de sa profession.

L'amendement 36 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Les écoutes judiciaires pouvant également porter atteinte au secret, l’amendement 17 dispose qu’« à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste portant atteinte de façon disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l’infraction », à la protection du secret des sources. Le juge d’instruction devra écarter les écoutes téléphoniques constitutives d’une telle atteinte, en dehors des cas où celle-ci serait justifiée conformément au principe général posé par l’article 2 de la loi de 1881.

L'amendement 17, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Bloche – L’amendement 37 rectifié a le même objet. Les journalistes doivent bénéficier d’une protection en matière d’interception des communications, à l’instar de celle dont bénéficient déjà les parlementaires, de même que les magistrats et avocats. C’est une forte demande de la profession. Notre rédaction laisse moins de place à l’interprétation que celle du rapporteur. Il convient de préciser les choses le plus possible, afin de réduire le risque de l’aléatoire.

L'amendement 37 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Aurélie Filippetti – L’amendement 38 rectifié a également le même objet. Puisque vous avez refusé d’interdire les écoutes téléphoniques et interceptions informatiques, comme nous le demandions et comme c’est le cas, d’ailleurs, en Belgique…

M. Patrick Balkany – Allez-y donc !

Mme Aurélie Filippetti – …nous demandons, à tout le moins, que le juge des libertés et de la détention soit informé.

M. Étienne Blanc, rapporteur – Avis défavorable. Le juge des libertés et de la détention n’est pas le juge des écoutes. Cette compétence relève exclusivement du juge de l’instruction.

L'amendement 38 rectifié, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Aurélie Filippetti – L’amendement 39 est extrêmement important. Aujourd’hui, lorsque l’on veut faire pression sur un journaliste, on l’accuse souvent de recel de violation du secret professionnel ou du secret de l’instruction. Le fait de détenir des sources d’informations protégées ne doit pas être incriminé. La dix-septième chambre correctionnelle de Paris a jugé que, dans une société démocratique, il n’était pas nécessaire de poursuivre les journalistes pour recel. De même, en 1957, lorsque ces infractions ont été créées, le garde des sceaux indiquait qu’elles ne concerneraient en aucun cas les journalistes, tant il était évident à l’époque que cela porterait atteinte à la liberté de la presse. Or, dans neuf cas sur dix, cette législation est aujourd’hui utilisée pour poursuivre des journalistes ; c’est une très grave dérive de la jurisprudence. Le Canard enchaîné, qui avait publié la feuille d’impôt de Jacques Calvet, président de PSA, a été poursuivi pour recel de violation du secret fiscal.

L’évolution de notre jurisprudence marque donc un recul par rapport à l’esprit de la loi de 1957, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des recommandations du comité des ministres du Conseil de l’Europe ; elle est gravement attentatoire à la liberté de la presse en France. Plus généralement, la notion même de secret de l’instruction demande à être repensée – le Conseil de l’Europe n’a-t-il pas estimé d’intérêt public, en 2000, le fait que les journalistes puissent rendre compte des activités des services de police et de justice ?

M. le Rapporteur – Avis évidemment défavorable à un amendement qui aurait pour effet, s’il était adopté, que nous créerions une nouvelle catégorie de Français, ceux qui ne peuvent pas être poursuivis pour violation du secret de l’instruction. En adoptant l’amendement 7 qui prévoit, je le rappelle, qu’un journaliste prévenu « peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, les pièces d’une procédure pénale couvertes par le secret de l’enquête ou de l’instruction si elles sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires », nous avons franchi un grand pas. Faut-il faire davantage ?

M. Patrick Balkany – Sûrement pas !

M. le Rapporteur – Je ne le pense pas non plus. Avis pour cela défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis.

M. Patrick Bloche – Tout au long de cette discussion, vous nous avez reproché de vouloir faire bénéficier les journalistes d’une protection exceptionnelle. Mais, si nous débattons aujourd’hui de la protection du secret de leurs sources, n’est-ce pas précisément qu’il s’agit d’une profession particulière ? Il est paradoxal de nous renvoyer sans cesse au droit commun, quand nous débattons de mesures qui ne s’appliquent, faut-il le rappeler, que dans l’exercice d’une activité professionnelle poursuivie au bénéfice de la liberté d’expression garantie par la Constitution.

L'amendement 39, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 4 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Marie-George Buffet – Ce texte était très attendu par les journalistes. Ils espéraient qu’une de leurs anciennes revendications serait satisfaite, non pour les protéger à titre d’individus, comme l’a souligné M. Bloche, mais en leur qualité de journalistes, représentant une profession qui est l’un des éléments de notre démocratie…

M. Patrick Balkany – Dans la vieille tradition communiste…

Mme Marie-George Buffet – Toutefois, ils se sont vite inquiétés de constater que ce que prévoyait le Gouvernement était une protection a minima. Les groupes communiste et socialiste ont proposé plusieurs amendements constructifs qui tendaient tous à renforcer cette protection. Ils ont presque tous été refusés. Je le déplore, car j’aurais préféré qu’un consensus s’instaure. Malheureusement, le Gouvernement, par la position qu’il a ainsi adopté, ne nous met pas en situation de voter ce projet. J’espère qu’une meilleure occasion se présentera.

M. Patrick Balkany – C’était la brave dame des Izvestia…

Mme Françoise Vallet – C’est vrai, quelques progrès ont été faits, mais plutôt à reculons, et la démarche n’a pas été menée à son terme, si bien que le secret des sources des journalistes n’est pas correctement protégé. En réalité, il ne s’agit que de demi-mesures, puisque tous les dépositaires d’informations n’entrent pas dans le champ du texte et que la notion de recel demeure. Le groupe socialiste, plus exigeant, attendra que le Sénat renforce une protection encore illusoire et, dans l’intervalle, ne votera pas le projet.

M. Patrice Debray – Des amendements utiles ont amélioré le projet sans le dénaturer. La protection du secret des sources des journalistes sera désormais inscrite dans un cadre légal clair, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. C’est un progrès considérable, inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Charte des droits fondamentaux et du Traité constitutionnel. Le groupe UMP votera le texte.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux J’adresse mes vifs remerciements à votre assemblée, qui a contribué à faire progresser la liberté de la presse et avec elle la démocratie. Je salue l’excellent travail de votre rapporteur et sa qualité d’écoute, qui a permis que plusieurs amendements soient adoptés à l’unanimité en commission. La protection des sources est désormais assurée quelle que soit la personne qui détient l’information. Les dérogations possibles au principe posé sont exceptionnelles et plus strictement encadrées, sans que la justice se trouve totalement empêchée. Pour autant, la sanction est lourde en cas d’atteinte disproportionnée à la protection du secret des sources : c’est la nullité de la procédure. Les habitudes d’investigation seront modifiées en profondeur par ce texte équilibré qui reflète la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous avons donc tenus tous nos engagements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance mardi 20 mai 2008, à 9 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 40.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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