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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 26 mai 2008

1ère séance
Séance de 16 heures
167ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à seize heures.

ÉLECTION D’UN DÉPUTÉ

M. le Président – J’ai reçu de Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales une communication m’informant que M. Christian Estrosi avait été élu, hier, député de la 5e circonscription des Alpes-Maritimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MODERNISATION DES INSTITUTIONS DE LA Ve RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

M. Arnaud Montebourg – Rappel au Règlement ! Après plusieurs heures de travail commun, nos échanges ont permis tantôt de rapprocher les points de vue, tantôt de constater des désaccords. Nous avons ainsi voté contre deux des articles dont nous avons déjà débattu, voté contre un autre et suivi le rapporteur dans sa demande de suppression d’un quatrième.

Parallèlement à ce texte, nous avions également déposé deux propositions de loi, portant l’une sur le mode d’élection des sénateurs, l’autre sur le décompte du temps de parole du Président de la République. Le Gouvernement a fait le choix d’écarter sans ménagement nos demandes, bien qu’elles soient hautement légitimes et politiquement indissociables de la révision de nos institutions.

Toutefois, nous avons pris acte de l’intervention du président de notre Assemblée, qui a estimé, au cours du week-end, que le groupe UMP avait répondu « de façon un peu expéditive » à la demande de compensation médiatique du temps de parole du Président de la République. Je veux vous remercier publiquement d’être intervenu en ce sens, Monsieur le président. Avant que nous adoptions une position définitive sur ce texte, nous aimerions maintenant savoir quelle évolution est envisagée sur ce sujet.

Nous espérons qu’une inflexion aura également lieu sur la question du mode d’élection des sénateurs. Je crois savoir que ces derniers ont commencé à réfléchir à cette question, mais il ne faudrait pas trop tarder, si vous voulez que nous aboutissions à temps.

J’en viens aux sujets de désaccord. Nous avons voté contre l’article 4, relatif aux nominations décidées par le Président de la République. Cet article autorisera quelques progrès, mais il ne permettra pas à l’opposition de modifier le cours des nominations, car il faudrait qu’un nombre considérable de députés de la majorité désavouent, eux aussi, les choix du Président de la République.

M. Copé déclarait, sans doute avec un peu d’ironie, qu’il faut aimer les défis. Vous les aimez effectivement : votre façon expéditive d’écarter les difficultés au lieu de chercher à les résoudre, en témoigne. Vous savez pourtant que nos voix compteront lors du vote final sur ce texte… S’il était possible d’obtenir d’autres réponses à nos demandes, comme le laisse entrevoir la prise de position du président de notre Assemblée, la discussion se poursuivrait pourtant dans un meilleur climat.

M. René Dosière – Très bien !

ART. 5

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Le projet de loi constitutionnelle tend à aménager l’application de l’article 16, en autorisant l’intervention du Parlement au-delà d’un délai de 30 jours. Mais cette disposition n’en sera nullement rendue moins dangereuse, qui confie au chef de l’État l’ensemble des pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles, et ôte au Parlement ses compétences législatives normales.

Chacun connaît l’inspiration des constituants de 1958, ainsi que les évènements auxquels la nation a dû faire face jusqu’au paroxysme de 1962. Mais rien ne légitime aujourd’hui que l’on concentre tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme, à savoir le Président de la République, alors qu’il est possible de garantir notre souveraineté nationale et d’assurer la sécurité de nos compatriotes en recourant à d’autres moyens. Nous devons avoir le courage de reconnaître qu’une situation d’exception ne doit pas être gérée par un seul homme, mais par l’ensemble des institutions – le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le Conseil constitutionnel.

C’est pourquoi l’amendement 280 tend à supprimer l’article 16 de notre Constitution. Nous savons que ce n’est pas rien, compte tenu du caractère emblématique de cette disposition. Mais nous sommes entrés dans une ère nouvelle : notre démocratie ne peut plus dépendre d’un seul homme. En cas de crise, nous avons besoin d’un partage très clair des pouvoirs.

M. Noël Mamère – L’amendement 316 est identique, et je fais miens les arguments développés par notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec.

Le comité présidé par M. Édouard Balladur a préconisé de reconnaître à 60 députés ou sénateurs le droit de saisir le Conseil constitutionnel sur l’application de l’article 16. C’est un progrès qui nous paraît bien fragile, car le Président de la République, une fois qu’il bénéficie des pleins pouvoirs, peut modifier les droits fondamentaux sans que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sur le fond. En outre, on peut très bien imaginer que le Conseil constitutionnel soit dans l’impossibilité de se réunir en cas de crise grave.

La suppression de l’article 16 aura une très forte valeur symbolique. Comme Nicolas Sarkozy prétend nous y inviter, nous réduirons ainsi les « hyper »-pouvoirs dévolus au Président de la République, y compris en cas de crise. Je rappelle que notre régime est parlementaire. Je ne vois pas en quoi « le parlementarisme rationalisé » empêcherait le Parlement de se saisir lui-même d’une situation critique.

Pour défendre l’article 16, on invoque souvent l’éventualité d’actes terroristes. Or, les dispositions sur l’état d’urgence permettent déjà de faire face à des situations de crise. Il est vrai que certains évènements ont conduit, en 1961, à utiliser l’article 16 pendant près de six mois, mais rien ne justifie de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul. Il faut faire face aux crises graves sans déléguer pour autant l’ensemble des pouvoirs au Président de la République.

M. Roland Muzeau – Notre amendement 386 est identique. L’article 16 permet au Président de la République d’exercer une dictature temporaire – ou, au mieux, d’instaurer un état d’exception – en cas de crise. C’est l’une des plus graves anomalies de nos institutions. Le projet de loi prétend mieux encadrer son exercice en permettant à des parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel pour faire constater qu’il n’y a plus lieu de maintenir sa mise en œuvre. Mais, outre qu’un avis négatif n’aura pas de valeur contraignante pour le Président de la République, le Conseil peut être dans l’incapacité de se réunir en cas de crise grave. Surtout, les actes pris par le Président de la République en application de l’article 16 dans le domaine de la loi – et donc des droits fondamentaux – ne feront toujours l’objet d’aucun contrôle juridictionnel. Il est donc abusif de voir dans cette modification une réelle limitation des pouvoirs présidentiels. Or l’article 16, heureusement tombé en désuétude, est inutile. L’état d’urgence et l’état de siège, plus respectueux des libertés publiques, permettent de faire face aux crises. Il est aussi dangereux, comme l’a montré son seul usage depuis 1958. L’article 16 renvoyait pour les rédacteurs de la Constitution au souvenir de la débâcle de juin 1940, mais aussi à la situation de guerre en Algérie. Il peut et doit être supprimé.

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois – Avis défavorable. L’histoire a montré que l’article 16 était très peu utilisé, mais il peut conserver son utilité dans des circonstances ne relevant ni de l’état d’urgence, ni de l’état de siège. En outre, le texte renforce le contrôle de son application.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice L’article 16 n’a été mis en œuvre qu’une seule fois, en avril 1961. Son utilisation n’a donc pas été abusive. Il est vrai que la situation a changé, mais nous ne sommes pas à l’abri de circonstances particulières liées au terrorisme. Nous vous proposons cependant d’encadrer l’application de cet article. Avis défavorable.

M. Pierre Lellouche – À titre personnel, je comprends ces amendements : l’article 16 peut sembler désuet et surtout liberticide, dans la mesure où il suspend les pouvoirs du Parlement.

Cela étant, nous sommes entrés, depuis la fin de la guerre froide, dans une ère nouvelle, celle du terrorisme de masse. Désormais, nous devons nous placer moins dans la perspective d’une guerre que dans celle d’une attaque terroriste contre l’une de nos villes au moyen d’armes de destruction massive. Il n’est donc pas absurde de laisser au Président de la République les moyens de garantir la continuité de l’État. Je note que le président Mitterrand, qui avait été l’un des grands opposants à l’article 16, s’est finalement rangé à l’avis du comité Vedel, qui préconisait son maintien.

J’observe enfin que le fait que les pleins pouvoirs doivent faire l’objet d’un vote du Parlement – je pense à juin 1940, ou aux États-Unis au lendemain du 11 septembre – n’empêche pas les dérives, y compris en matière de droits de l’homme.

La solution proposée par le comité Balladur – à savoir un encadrement constitutionnel et parlementaire de l’exercice de ces pouvoirs exceptionnels après une certaine période – est donc la moins mauvaise possible. La possibilité de vérifier, au bout d’un certain temps, si la réalité de la situation exige le maintien de ces pouvoirs est une mesure sage. Et, si le Président de la République n’obtempérait pas, il se trouverait dans une situation intenable.

Le texte a l’avantage de donner au Président de la République les moyens d’agir et à la représentation nationale ceux de contrôler son action, tout en restant dans l’esprit de nos institutions. Je vous demande donc, chers collègues de l’opposition, de voter avec nous la modification de l’article 16. N’en faites pas un casus belli idéologique ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg – Nous n’avons jamais considéré cette question comme centrale, mais elle n’est pas pour autant anecdotique, encore moins après les propos que vient de tenir Mme la garde des Sceaux ! Si on considère vraiment l’article 16 comme une disposition théorique, point n’est besoin de le réformer ! Le seul fait de l’encadrer est une manière de le restaurer. Mme la ministre vient d’ailleurs de nous le dire, elle pourrait être utile. Mais aucune démocratie – pas même les États-Unis – ne prévoit la suppression du Parlement et la concentration « auto-instituée » des pouvoirs ! Car si l’on demandait au Parlement de voter, il ne donnerait pas nécessairement les pleins pouvoirs au Président de la République. Certes, les parlementaires de 1940 ont décidé de se défaire de la IIIe République ; mais au moins, ils ont voté ! Avec l’article 16, c’est un homme seul qui décide seul de se donner les pouvoirs à lui seul : ce n’est pas la même chose !

Nous sommes par ailleurs consternés par les déclarations de Mme la ministre. Nous ne pensions pas que la majorité s’attarderait sur ce sujet. Et voilà qu’on vient nous dire que l’article 16 pourrait peut-être servir à nouveau ! L’affaire est donc sérieuse…

M. Jacques Myard – Embastillez Montebourg ! (Sourires)

M. Arnaud Montebourg – Autrement dit, l’article 16 pourra être utilisé par celui-là même à qui nous pensons, que certains d’entre vous arrivent encore à soutenir ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Cela renforce d’autant plus nos inquiétudes que l’état de siège et l’état d’urgence permettent déjà de faire face à un certain nombre de problèmes en restreignant les libertés des citoyens. Mais supprimer le Parlement par décret n’est possible dans aucune démocratie moderne !

M. Pierre Lellouche – Ce n’est pas ce que dit l’article 16.

M. Arnaud Montebourg – Je n’en fais pas une affaire idéologique, car c’est avant tout une question de bon sens. Vous nous permettrez donc de mesurer nos actes avant de vous donner quitus ce cette réforme !

M. Jean-Christophe Lagarde – Décidément, le ton de nos débats a changé depuis la semaine dernière. Nous nous étions pourtant séparés sur des avancées…

Pas une seule fois, lors des auditions présidées par notre rapporteur, l’opposition n’a soulevé la question de l’article 16. Nous savons tous qu’une telle disposition, entre les mains du seul Président de la République, est unique au monde, la seule contrepartie étant que le Parlement se réunit de plein droit. Je peux comprendre que l’on défende sa suppression au motif que nous n’en aurions plus besoin – encore que nul ne puisse dire que ce qui s’est produit en 1961 ne se reproduira pas dans quelques années. Je doute que le Parlement, si on l’avait réuni, aurait pu prendre une décision à l’époque. Du reste, le chef de l’État a d’autres pouvoirs exceptionnels : il dispose de l’arsenal nucléaire, dont il peut faire usage sans réunir le Parlement. L’article 16 nous gêne sans doute, mais il a été utile et le sera peut-être encore (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Le problème est plutôt que son usage n’était nullement encadré.

Le seul argument de bonne foi des auteurs de ces amendements vise le cas où le Conseil, dans son avis, affirmerait que le Président de la République n’est pas fondé à utiliser l’article 16. Mais la solution figure – depuis la réforme de juillet 1993 en tout cas – dans la Constitution : l’article 68 nous permet, à nous parlementaires, de nous réunir de plein droit en Haute Cour et de destituer le Président de la République.

L’article 5 du projet, tout en laissant à ce dernier la capacité d’agir en cas de crise exceptionnelle, nous confère un pouvoir de contrôle qui peut avoir des conséquences politiques importantes. Il me semble donc équilibré. J’ajoute que, si l’existence de l’article 16 vous est vraiment insupportable, la possibilité donnée au Parlement d’arrêter les abus du Président de la République devrait vous paraître une avancée. Il serait dommage de ne pas l’adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement  Je suis sincèrement chagriné par les propos de M. Montebourg, qui ne correspondent pas à la vérité historique. En 1961, la France était menacée. La République était menacée. Les généraux, avec des amitiés en métropole, se préparaient à un putsch militaire. Sans l’article 16, notre pays aurait peut-être connu un coup d’État. L’article 16 a sauvé la démocratie. C’était il y a 47 ans, c’est vrai, et cet article n’a pas été utilisé depuis, mais il reste un rempart. Si le Parlement peut siéger de plein droit et le Conseil constitutionnel intervenir rapidement, les garanties nécessaires sont là. Le supprimer serait une erreur grave du point de vue de la défense de la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La défense des amendements de suppression n’a pas été polémique, mais une évidence s’impose : le fait même que vous vous intéressiez à l’article 16 le ravive, alors que chacun s’accordait à le penser tombé en désuétude. Par ailleurs, la situation de 1940 était très différente…

M. Pierre Lellouche – Elle était bien pire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – …puisque ce sont les parlementaires qui ont voté les pleins pouvoirs. Enfin, en 1961, l’article 16 a été activé le 23 avril, et le quarteron de généraux était hors d’état de nuire dès le 25. Pourtant, il n’a été mis un terme aux pleins pouvoirs du Président qu’au mois de septembre ! C’est sur ce délai que porte notre critique.

Comme le Conseil constitutionnel l’a déjà rappelé, l’article 16 s’applique lorsque les pouvoirs publics constitutionnels ne fonctionnent plus. En tant que constituants, nous devons bien garder cela à l’esprit. Des attentats ne mettraient pas en cause l’exercice des pouvoirs publics constitutionnels, et c’est en quoi les propos de Mme la garde des Sceaux sont inquiétants : les situations de crise ou de menace terroriste qu’elle évoque peuvent certes menacer l’intégrité du territoire, la sécurité des biens et des personnes ou le respect de nos alliances, pas le fonctionnement des pouvoirs publics. Il est donc à craindre que votre dispositif n’élargisse les cas d’application de l’article 16 aux simples exigences de la sûreté publique. C’est d’ailleurs le grief qu’ont aujourd’hui les parlementaires américains contre leur président.

Plusieurs députés du groupe UMP – Ils ont voté !

Plusieurs députés du groupe SRC – Ils le regrettent !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Mais à l’époque, il y a eu confusion entre la sauvegarde de l’entité américaine, agressée, et la défense des institutions. Aujourd’hui, les constitutionnalistes américains affirment que les pouvoirs qui ont été donnés au président des États-Unis n’étaient pas dans le fondement de sa demande au Congrès. Je le dis sans polémique : nous sommes au cœur d’un débat sur un processus qui peut mener à Guantanamo (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je ne dénonce pas du tout ce risque chez nous ! Mais nous sommes en charge des droits individuels, et ce sont des précautions qu’il nous faut prendre.

M. le Président – Sur le vote des amendements 280, 316 et 386, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Jacques Myard – Je voudrais d’abord faire observer que l’article 16 n’est pas obsolète, non plus, d’ailleurs, qu’aucune disposition de la Constitution. Dès lors qu’il n’est pas abrogé, il peut s’appliquer demain à des situations inimaginables aujourd’hui. Ensuite, une vague de terrorisme peut atteindre une telle ampleur que, dans certains départements, le fonctionnement régulier des institutions soit remis en cause. Dans ce cas, le Président de la République devrait recourir à l’article 16. Nous devrions tous être d’accord là-dessus, en tant que républicains – les exemples dans l’histoire sont d’ailleurs nombreux depuis Cincinnatus.

Une observation concernant le texte qui nous est proposé : le Conseil constitutionnel est une formation de juges, et l’appréciation politique qu’il s’agit aussi, en l’occurrence, de porter ne s’exprimera qu’à travers sa saisine. Mais – et c’est l’essentiel – l’équilibre de la Ve République demeure : des pouvoirs exceptionnels, certes, mais s’ils sont outrepassés, la responsabilité du Président de la République peut être mise en cause par le Parlement devant la Haute Cour. Il faut absolument maintenir l’article 16 ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère – L’argument exposé par M. Le Bouillonnec est extrêmement intéressant : c’est la remise en cause de pouvoirs publics constitutionnels qui motive l’application de l’article 16. La réponse du Gouvernement sur une éventuelle menace terroriste ne tient pas : dans ce cas, l’article 16 ne serait pas un outil au service de la République mais une menace contre elle, puisqu’il confère tous les pouvoirs au seul Président de la République ! Aux États-Unis, deux lois ont été votées qui dessaisissent le Parlement d’une partie de ses pouvoirs. Le War Powers Act, d’abord, qui date de 1973, a été très largement détourné alors qu’il était censé limiter la possibilité d’opérations militaires extérieures. Puis, le 11 septembre a fourni à l’exécutif l’occasion de faire voter le Patriot Act, qui donne les pleins pouvoirs au président des États-Unis sans contrôle du Parlement. On sait le goût amer qu’en conservent aujourd’hui les membres du Congrès, et le peuple américain lui-même. Ne faisons pas la même erreur ! Mieux vaut abroger purement et simplement l’article 16, porteur de graves dangers, plutôt que de laisser le Président de la République décider librement à partir de quel moment il y a mise en cause des pouvoirs publics constitutionnels : le Parlement ne peut pas accepter de donner une autorisation aussi floue.

À la majorité de 65 voix contre 25 sur 90 votants et 90 suffrages exprimés, les amendements 280, 316 et 386 ne sont pas adoptés.

M. Roland Muzeau – L’article 16 de la Constitution, qui autorise le chef de l’État à prendre des mesures appartenant au domaine législatif, nous paraît extrêmement dangereux, et le contrôle par le Conseil constitutionnel de l’exercice de ces pouvoirs exceptionnels est insuffisant : il ne suffit pas que le Conseil dise si les conditions sont réunies ou non pour l’application de l’article 16 ; il faut encore que ses avis soient contraignants.

Le comité Vedel avait proposé, en son temps, que le Conseil, saisi par les présidents des assemblées, puisse constater que les conditions ne sont plus réunies et préciser la date à laquelle les pouvoirs exceptionnels cessent de produire leurs effets. Pourquoi ne pas reconnaître ce droit au Parlement lui-même ? Il a pour cela la légitimité nécessaire : ses membres sont les représentants du peuple, et il s’agit de se prononcer sur l’application de mesures législatives, conformément au principe de séparation des pouvoirs.

L’amendement 387 tend donc à substituer à l’alinéa 2 de l’article 5 les dispositions suivantes : « Le Conseil constitutionnel peut être saisi à tout moment par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, un groupe politique, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa sont réunies. Il se prononce dans un délai d’un jour franc par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen. Une fois l’avis rendu public, le Parlement se prononce sur l’opportunité du recours au présent article, après un débat en séance publique. »

M. Noël Mamère – L’amendement 317 est semblable.

Les amendements 387 et 317, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Christophe Lagarde – Monsieur Le Bouillonnec, l’interruption du fonctionnement des pouvoirs constitutionnels n’est pas la seule condition du recours à l’article 16. La Constitution dispose que cet article s’applique lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire – c’était le cas en 1961, avec la sécession de l’Algérie, alors département français – ou encore l’exécution des engagements internationaux de la France sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. Il s’agit de conditions cumulatives, qui doivent être réunies même dans l’hypothèse d’actes terroristes.

Le projet de loi soumet l’application de l’article 16 au contrôle du Conseil constitutionnel – lequel portera une appréciation juridique, et non politique. Il nous paraît légitime qu’un groupe de l’une ou l’autre des assemblées parlementaires puisse également saisir le Conseil constitutionnel. Un groupe parlementaire à l’Assemblée représente près de deux millions d’électeurs. Une fraction reconnue significative, même si elle ne compte pas 60 membres, doit avoir cette faculté. Tel est l’objet de notre amendement 258.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable. La notion de « groupe » est interne aux assemblées parlementaires. S’il semble donc légitime de considérer cette notion dans le cadre de procédures propres à ces assemblées, il serait contestable de le faire pour des procédures constitutionnelles : les groupes ne sont pas définis de la même manière par les règlements de l’Assemblée et du Sénat, et leur composition peut varier sur simple modification de ces règlements. Dans ces conditions, leur conférer la possibilité de saisir un organe externe ne paraît pas juridiquement solide.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Même avis.

M. Arnaud Montebourg – Nous voterons l’amendement, même si nous aurions préféré voir supprimer l’article 16, d’autant qu’une controverse sur l’interprétation de l’usage que le Président de la République pourrait faire de cet article s’est engagée. Un contrôle est évidemment nécessaire ; selon nous, tout ce qui peut contribuer, dans l’exercice de ce contrôle, à déverrouiller le fait majoritaire est utile à l’intérêt général.

M. Noël Mamère – Nous voterons également l’amendement. Suite au refus de supprimer l’article 16, et face aux menaces qui pèsent sur nos libertés, il est utile de se doter de garde-fous. Chaque fois que le Parlement peut préserver la liberté des Français, il faut qu’il assume cette responsabilité.

M. Jacques Myard – Cet amendement me gêne, car l’Assemblée est composée de députés de la nation, et le pouvoir de requête appartient à chaque député individuellement. Si cette proposition est adoptée, comment fait-on en cas de dissidence au sein d’un groupe ? On commet là un mélange des genres, nocif à la notion de député de la nation (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’UMP).

M. François Sauvadet – Ce que nous proposons n’est pas incompatible avec votre position, Monsieur Myard : des députés de tous horizons peuvent toujours se réunir pour saisir le Conseil constitutionnel. Le problème est celui du statut des groupes politiques : considérer, comme le rapporteur, que, le nombre minimum de parlementaires pour former un groupe pouvant varier par simple modification du règlement des assemblées, les groupes ne doivent pas être reconnus en tant que tels, revient à l’écarter d’un revers de main. Or, les groupes contribuent aussi à la vie démocratique.

M. Hervé de Charette – L’article 16 est un des piliers de la Constitution de 1958, et qu’il ait très peu servi n’ôte rien à son importance. Naturellement, je ne suis pas surpris que nos collègues de gauche en demandent la suppression, car il existe des lignes de clivage fortes sur ce point. Je ne crois pas que le comité Balladur ait été bien inspiré de soulever la question et que le Gouvernement l’ait été de le suivre. L’article 16 tel qu’il est rédigé comporte des garanties qui se suffisent à elles-mêmes. Plus aucun juriste, d’ailleurs, ne conteste son bien-fondé.

L’article 16, s’il avait existé, aurait pu être utilisé en 1940 ; il a d’ailleurs été conçu à cause de ce désastre. Il l’aurait également été en 1914, la façon dont le Gouvernement et le Parlement se sont conduits alors n’étant guère digne de notre admiration. Mais toujours est-il qu’il n’a été utilisé qu’une seule fois : en 1961. Et comme ces temps nous paraissent éloignés, que nous ne voyons pas de menaces à l’horizon, nous demandons à encadrer son application.

Pour ma part, je ne voterai pas l’article 5, ni l’amendement de M. Lagarde, malgré la considération que j’ai pour lui et pour son groupe, étant moi-même un homme du centre.

L'amendement 258, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 5, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

M. Bernard Debré – Le droit de grâce est une prérogative présidentielle. Pourquoi l’encadrer par l’avis d’une commission ? Composée de magistrats, elle ne serait qu’une instance d’appel supplémentaire. Composée de parlementaires, elle créerait une confusion inacceptable entre les pouvoirs exécutif et législatif. Dans les deux cas, elle ne pourrait que nuire à l’exercice d’un droit qui revient au seul Président de la République. Je suis donc pour que l’on laisse les choses en l’état.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – S’agissant du droit de grâce individuel, pourquoi ne pas saisir pour avis le Conseil supérieur de la magistrature, comme c’était le cas pour les condamnés à mort avant l’abolition de la peine capitale ? Il deviendrait ainsi l’instance qui, aux yeux du corps judiciaire et de l’ensemble des citoyens, préserve l’intégrité de la justice. Le risque, évoqué par M. Debré, que cette procédure soit confondue avec un droit d’appel supplémentaire, est faible, de par la composition et la vocation du CSM.

S’agissant du droit de grâce collectif, sa suppression affectera la démographie carcérale. Or, aujourd’hui, 66 720 personnes sont sous écrou, alors que nos établissements pénitentiaires ne disposent que de 50 000 places environ. Certes, Mme la garde des Sceaux a promis un décret sur l’encellulement individuel – censément obligatoire depuis une loi votée il y a huit ans déjà ! Peut-être était-ce la présence du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui lui a inspiré cette déclaration…

La grâce collective permet, dans une certaine mesure, de réguler la population carcérale. En 2004, 9 000 détenus ont ainsi été libérés dans le mois qui a suivi la décision de grâce, et 6 000 autres en 2006. Une telle décompression des effectifs est quasi vitale. Si nous en supprimons la possibilité, la France ne pourra manquer de s’interroger sur les conditions dans lesquelles les peines d’emprisonnement sont effectuées, au risque de se voir condamnée de nouveau dans quelques temps par la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Jean-Christophe Lagarde – Cet article nous pose problème. Tout d’abord, pourquoi le Président de la République disposerait-il d’une prérogative aussi exorbitante en matière judiciaire ? Nous ne sommes plus dans le cadre de l’article 16 : la nation n’est pas menacée ! Au nom de quoi le Président de la République pourrait-il effacer une peine prononcée par un juge au nom du peuple français ? N’ayant pas pris – s’agissant d’un droit individuel, c’est de toute façon impossible – d’engagement à ce sujet au cours de la campagne électorale, il ne serait pas responsable devant le peuple, alors que les juges le sont.

L’amnistie est bien plus appropriée ; car il revient alors aux parlementaires de décider, à titre individuel ou collectif, d’effacer une condamnation. Le droit de grâce individuel, au contraire, n’est qu’un résidu monarchique, qui permet au Président de la République de passer outre la justice.

La création d’une commission consultative ne présenterait que peu de garanties quant à sa composition, qui variera d’une majorité à l’autre. Mieux vaudrait encore que ce soit le Conseil supérieur de la magistrature qui donne son avis, comme il le faisait jadis sur la grâce des condamnés à mort.

M. Hervé de Charette – Tout pouvoir procède du Président de la République, y compris le pouvoir judiciaire, disait le général de Gaulle – qu’il me semble être ici le seul à citer.

M. René Dosière – Ce n’est pas ce qu’il a dit de mieux !

M. Hervé de Charette – La phrase a provoqué un beau tollé à l’époque ! Et pourtant, le Président de la République n’est-il pas responsable du bon fonctionnement de l’ensemble des pouvoirs publics, dont le pouvoir judiciaire ? Dans toute société, si parfaite que puisse être la justice, il est indispensable que quelqu’un puisse, en dernier recours, exercer le droit de grâce, et ce quelqu’un ne peut être que le Président de la République.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Hervé de Charette - Sur la recommandation du comité Balladur – que, décidément, je n’approuve que rarement – Mme la garde des Sceaux a choisi de distinguer entre grâce collective et grâce individuelle, et de créer une commission pour avis. C’est une farce : où trouvera-t-on des gens susceptibles de conseiller le Président de la République dans un domaine aussi sensible, et ce alors que les juges se sont déjà prononcés solennellement ?

Dans ses Mémoires, M. Giscard d’Estaing évoque l’occasion unique qui lui a été donnée de gracier un condamné – ce qu’il s’est finalement refusé à faire, s’exposant à de vives réactions puisqu’il s’agissait d’un condamné à mort – et l’émotion et le trouble qu’il en a conçus. Cette fonction délicate ne saurait se partager : comme toutes les grandes fonctions d’autorité, on ne l’exerce que seul.

Je ne voterai donc pas une disposition qui suppose du Président de la République qu’il demande à une commission Théodule ce qu’il doit faire !

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Hervé de Charette – Quant au droit de grâce collectif, Madame la ministre, l’on s’indigne vertueusement que, tous les cinq ans, le président nouvellement élu gracie un certain nombre de personnes pour remédier à la surpopulation carcérale, oubliant que ce peut être aussi pour de tout autres raisons. En tout état de cause, si vous ne souhaitez plus que l’on réduise ainsi le nombre de personnes incarcérées, il faudra, avant que nous votions ce texte, nous dire ce que vous comptez faire en la matière ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Chantal Brunel – Très bien !

M. Jacques Myard – Loin de constituer un reliquat de la monarchie, le droit de grâce du Président de la République est nécessaire à la justice des hommes. La gauche, qui le conteste (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), a-t-elle oublié que c’est lui qui, avant la révision de son procès, a permis de libérer le capitaine Dreyfus du bagne où il était injustement emprisonné ?

Ce droit, par définition individuel, relève nécessairement du Président de la République, qui domine l’édifice juridique étatique. Je ne voterai donc pas cet article. Si toutefois le Président de la République a besoin d’un avis extérieur, pourquoi le demanderait-il à une commission Théodule plutôt qu’au Conseil supérieur de la magistrature ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Chartier – Ce débat est tout à fait passionnant. Je partage le point de vue de M. de Charette : Monsieur Lagarde, vous partez du principe que la justice serait pure et parfaite…

M. Jacques Myard – Elle ne l’est pas !

M. Roland Muzeau – Et le Président de la République, est-il pur et parfait ?

M. Jacques Myard – Non, mais une imperfection peut en corriger une autre…

M. Jérôme Chartier – …ce qui interdirait de bénéficier de la moindre latitude pour en contester les décisions.

Ce que le texte propose, c’est de consolider cet acquis précieux qu’est le droit de grâce, tout en créant une commission dont la composition, fixée par la loi – et dont nous serons donc appelés à débattre – permettrait au Président de la République de disposer, au-delà des seuls magistrats, d’une grande diversité de points de vue. Mais, en dernière instance, la décision continuera de lui appartenir à lui seul. Pourquoi attendre un procès en révision pour libérer la victime d’une erreur judiciaire avérée ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Ce n’est pas la même chose !

M. Jérôme Chartier – Je voterai cet article, car il permet au Président de la République de conserver son droit de grâce, tout en confiant à une commission – dont nous étudierons la composition – le soin d’éclairer sa décision.

M. Christian Vanneste – Cet article, l’un des moins contestables du projet, est source de progrès : il conserve – pourquoi ne pas le dire ? – l’un des avantages du pouvoir monarchique… (Exclamations sur divers bancs)

M. Jean-Christophe Lagarde – Et voilà !

M. Christian Vanneste – …qui permettait au roi de réparer une injustice commise à l’encontre d’une personne. Permettez-moi d’en citer deux illustrations littéraires : dans Tartuffe, comme dans César Birotteau, c’est l’intervention du roi qui évite à un pauvre homme d’être victime d’une injustice. Loin d’être la réparation d’une erreur judiciaire, le droit de grâce constitue ainsi la pratique la plus élevée de l’équité : il permet de tenir compte de la situation auquel un événement de son histoire personnelle expose un individu.

Je suis donc partisan en la matière, cher Monsieur Mamère, du personnalisme (Sourires) : le pouvoir le plus élevé doit pouvoir prendre en considération les individus, dont la loi ne saurait connaître. Il est donc nécessaire, contrairement à ce qu’affirme M. Le Bouillonnec, de limiter le droit de grâce à des cas individuels, car il serait parfaitement injuste que ce droit ne serve qu’à la « gestion hôtelière des prisons » – pour reprendre l’expression fâcheuse d’un procureur de la République !

M. Guy Teissier, président et rapporteur pour avis de la commission de la défense – Absolument !

M. Christian Vanneste – Chaque jour, la presse nous apprend qu’une personne qui devrait être en prison vient de commettre un acte criminel ! Assumons nos responsabilités : prévoyons un nombre suffisant de lieux d’incarcération pour accueillir nos prisonniers, aujourd’hui moins nombreux qu’en Grande-Bretagne, mais moins bien logés. En la matière, la gauche n’a rien fait… (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis – Rien !

M. Christian Vanneste – …alors que nous avons veillé à accroître le nombre de lieux de détention ou à créer des peines de substitution, comme le sait bien M. le rapporteur. Mais le droit de grâce collectif constituerait une grave injustice.

M. Guy Teissier, rapporteur pour avis – Très bien !

M. Pascal Clément – Le droit de grâce individuel ne constitue pas un droit régalien ou d’origine monarchique, mais un droit ancien, le dernier dont dispose l’innocent. Ainsi, parce qu’en droit français la procédure de révision que justifie la découverte d’une erreur judiciaire, plusieurs années après le jugement, est lourde et incertaine, le chef de l’État dispose depuis mille ans du droit de rapporter une décision de justice lorsque celle-ci est manifestement fausse. Largement théorique, cette disposition – envisagée une seule fois à l’époque du septennat, lorsque Valéry Giscard d’Estaing était Président de la République – préserve toutefois la possibilité de sauver un innocent.

Quant au droit de grâce collectif, si nous avions suffisamment de places pour nos 63 000 détenus, il serait légitime de refuser au Président de la République le droit de libérer un certain nombre d’entre eux ; mais puisque nous n’avons pas encore les prisons que nous souhaitons, attendons l’ouverture des 10 000 places supplémentaires voulues par le gouvernement Raffarin, à partir de 2010, pour remettre en cause le droit de grâce collectif.

M. Christian Vanneste – Vous êtes donc pour la gestion hôtelière !

M. Pascal Clément – Il s’agit d’hommes, ne l’oublions pas !

M. Noël Mamère – Permettez-moi d’emprunter ses références à M. Vanneste pour qualifier de tartufferie la conclusion de M. Clément. Comment un ancien garde des Sceaux peut-il prétendre réduire le nombre de détenus, alors que la majorité dont il fait partie, en votant les lois sur la récidive ou sur les peines plancher, n’a fait que l’accroître ? M. Le Bouillonnec l’a rappelé : nos prisons ne disposent que de 50 000 places, pour 63 000 détenus !

Quant à M. Vanneste, comment peut-il affirmer que seule la droite a mené des politiques pénitentiaires ? C’est sous la gauche qu’a été constituée la commission d’enquête parlementaire sur les prisons (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), dont les conclusions unanimes, rejoignant celles du Conseil de l’Europe, montrent que la France est l’un des pays européens où la condition des détenus est la plus désastreuse. Comme l’écrivait Guy Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, il n’y a plus de citoyenneté dans les prisons : une fois passée la porte d’entrée, on est dans un autre monde, régi par ses propres lois ! Cette barbarie reflète l’état de notre démocratie et notre conception des libertés. Mais, loi après loi, vous criminalisez la société au lieu de rechercher des solutions alternatives ! À cet égard, la loi pénitentiaire en préparation n’est guère de nature à nous rassurer.

Or le droit de grâce – qui, quoi qu’en pense M. Clément, est un héritage du bon plaisir du gouvernant – constitue, selon l’expression du professeur Guy Carcassonne, une sorte de « soupape républicaine limitant l’engorgement des prisons », lequel résulte d’une politique pénale inacceptable, condamnée par l’UE et le Conseil de l’Europe. C’est donc cette dernière qu’il faut commencer par réformer ! Nous devons par conséquent supprimer le droit de grâce – collectif et individuel –, au même titre que l’article 16.

M. François Bayrou – Il m’arrive parfois d’être d’accord avec Noël Mamère, mais pas sur ce sujet. Il doit exister une « issue de secours », qui permette de parer à une situation de crise que le législateur n’aurait pas prévue.

M. Jacques Myard – Exactement !

M. François Bayrou – Je ne pense pas tant à la gestion des prisons qu’à de grands événements risquant de mener à des affrontements internes, et nécessitant que le Président de la République exerce, en l’absence d’une loi d’amnistie, son droit de grâce. Ce pouvoir ne doit pas être trop étroitement encadré, afin de laisser une latitude d’action à celui qui a la nation en charge. Le droit de grâce, Nicolas Sarkozy l’a montré, peut ne pas être automatique, mais il peut être exercé à bon escient (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Mme Sylvia Pinel – Je rejoins M. Bayrou sur la nécessité du droit de grâce individuel, mais la disposition prévue à l’article 6 semble inutile. Le Président de la République bénéficie déjà d’un avis : les recours motivant les demandes de grâce font l’objet d’une instruction par le Bureau des grâces de la Chancellerie, qui transmet au Secrétariat général de la Présidence ceux qu’elle juge fondés.

M. Pascal Clément – Bien sûr !

Mme Sylvia Pinel – C’est ce bureau, par exemple, qui a estimé fondée la demande de grâce de Paul Touvier, à laquelle Georges Pompidou a ensuite fait droit.

L’article 6 prévoit un simple avis d’une commission ad hoc, que le Président de la République ne sera pas tenu de suivre. Quitte à encadrer ce droit, pourquoi ne pas confier ce rôle au CSM ? En définitive, cet article n’apporte rien de nouveau ; c’est pourquoi l’amendement 123 vise à le supprimer.

M. Jacques Myard – L’amendement 440 est identique.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Ce serait une grave erreur que de supprimer le droit de grâce, dont l’exercice peut être la solution à un certain nombre de situations. L’article 6 ne conserve que le droit de grâce à titre individuel. C’est heureux, car l’exercice du droit de grâce collectif s’est dégradé, devenant une drogue que notre système s’administrait pour limiter l’inflation carcérale, le summum ayant été atteint en 2000, lorsque les remises de peine excédaient les durées d’incarcération. Le précédent Président de la République a cherché à en limiter les effets, l’actuel n’a pas souhaité l’exercer.

Mme Pinel a évoqué le filtre exercé par le bureau des grâces ; il faut savoir qu’en 2007, celui-ci a été saisi de 7 018 recours et que seuls 43 ont bénéficié d’un avis favorable, dont 40 portaient sur des peines d’amendes. Faut-il conserver ce système, ou bien recourir à une commission, comme le prévoit le projet de loi ? Une commission ad hoc serait mieux à même de « débroussailler » les dossiers avec un regard plus ouvert, puisqu’elle ne serait pas composée uniquement de membres issus du système judiciaire.

La commission a donc émis un avis défavorable aux amendements de suppression de l’article.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Le droit de grâce ne doit pas être un moyen de régulation de la population carcérale.

M. Christian Vanneste – Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Cela irait en effet à l’encontre de la réinsertion et de la lutte contre la récidive, deux des priorités du Gouvernement. Le Président de la République a anticipé cet engagement, puisqu’il n’y a pas eu de grâce collective l’année dernière.

S’agissant des places de prison, seule la droite, en 1987 et en 2002, en a construites (Protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Les places qu’a inaugurées M. Perben, c’est la gauche qui les a construites ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Aucun programme n’a été lancé sous la gauche. D’ici à 2012 en revanche, 13 200 places seront construites, dont 3 000 cette année.

Outre la construction de prisons, l’aménagement des peines permet de réduire la surpopulation carcérale. Mais cette politique a stagné pendant des années, alors qu’en moins d’un an nous avons obtenu une hausse de 10 % des libérations conditionnelles.

Il est indispensable de maintenir le droit de grâce, afin que le Président de la République puisse l’exercer dans des situations exceptionnelles, voire humanitaires. De même que nous avons souhaité encadrer les pouvoirs du Président de la République dans le cadre des nominations, nous avons prévu que le chef de l’État recueillerait l’avis d’une commission ad hoc, dont la composition – parlementaires, experts, membres d’associations de victimes – sera fixée par la loi. Certes, le bureau des grâces exerce déjà un certain filtrage, mais l’essentiel des avis portent sur des peines d’amendes, et les magistrats qui le composent ont quelques difficultés à instruire les demandes favorablement.

Concernant le rôle que pourrait jouer le CSM, je rejoins l’avis de M. de Charette. Le CSM, jusqu’à la réforme de 1993, donnait son avis pour les demandes de grâce des condamnés à mort. Depuis, il a exclusivement pour objet la nomination, la promotion et la discipline des magistrats ; l’exercice du droit de grâce n’est donc pas son objet. Avis défavorable.

M. Christophe Caresche – Nous sommes d’accord pour maintenir le droit de grâce à titre individuel et pour l’encadrer, certaines décisions récentes ayant pu choquer. Le comité Balladur avait suggéré que le CSM puisse donner un avis préalable, ce qui semblait être une bonne garantie contre des dérives éventuelles. Mais il est vrai que les arguments déployés en commission, selon lesquels le CSM n’était pas le mieux placé pour remettre en cause des décisions de justice, plaidaient plutôt en faveur d’une commission ad hoc.

Les amendements 123 et 440 mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Christophe Lagarde – M. Vanneste l’a reconnu : le droit de grâce est un résidu monarchique…

Non, Monsieur Chartier, nous ne considérons pas que le système judiciaire soit pur et parfait, ni que les décisions judiciaires soient toujours justes. Nous ne sommes pas opposés à l’existence d’une soupape ; nous refusons qu’elle soit actionnée par le Président de la République. Le roi, infaillible et de droit divin, pouvait passer outre les décisions d’une justice rendue en son nom ; mais le Président de la République n’est pas un monarque – et ne cherche d’ailleurs pas à l’être. Il n’est que le premier des citoyens, et le premier des citoyens n’a pas de légitimité pour prononcer, en aval du système judiciaire, un jugement.

D’aucuns estiment que le droit de grâce doit pouvoir être exercé dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, il me semble que ce n’est pas à un seul homme de trouver une « sortie de secours » en usant du droit de grâce ; c’est aux représentants du peuple de le faire, par l’intermédiaire du droit d’amnistie. C’est nous qui représentons la volonté générale, pas le Président de la République…

M. Christian Vanneste – Lui aussi, il représente le peuple !..

M. Jean-Christophe Lagarde – Mais pas la volonté générale. C’est à nous de prononcer, non des mesures de grâce, mais des mesures d’amnistie.

M. Pierre Lellouche – La grâce n’a rien à voir avec l’amnistie !

M. Jean-Christophe Lagarde – Justement ! Toute autre solution ferait du Président de la République une sorte de monarque. Pourquoi lui laisser le droit de grâce alors que ce projet de révision tend à le faire sortir du système judiciaire, notamment en lui enlevant la présidence du CSM ? Le Président de la République ne doit plus décider seul, sans être tenu d’en rendre compte devant qui ce soit.

M. Jacques Myard – Mais si ! Devant le peuple !

M. Jean-Christophe Lagarde – J’aurais pu comprendre que cette compétence soit dévolue au Premier ministre, qui est responsable devant l’Assemblée. En revanche, nous ne devons plus autoriser le Président de la République à passer outre à la justice française. C’est une disposition constitutionnelle anachronique, sans équivalent dans les autres démocraties.

M. Noël Mamère – L’amendement 318 est identique. Comme nous l’avons déjà indiqué, nous demandons la suppression de l’article 17 de la Constitution. À défaut, nous défendrions des amendements de repli tendant à mieux encadrer les pouvoirs, déjà immenses, du Président de la République. L’article 17 de la Constitution nuit à l’équilibre de notre République !

M. Roland Muzeau – Par l’amendement 388 rectifié, identique aux précédents, nous demandons également la suppression de l’article 17 de la Constitution, qui confère des droits régaliens à un président tout-puissant, qui est quasiment un président-« roi ». Une telle disposition n’a pas sa place dans une République de droit, elle témoigne d’une vision anachronique de la démocratie.

Nous pensons qu’il ne suffira pas de corriger les excès du droit de grâce qui, avec les pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16, symbolise les dérives présidentialistes de la Ve République, ce régime faussement moderne. Un droit de grâce discrétionnaire n’a tout simplement pas sa place dans notre démocratie. Ce n’est qu’une réminiscence monarchique et rétrograde. Pour toutes ces raisons, le droit de grâce du Président doit être aboli.

Si nous ne sommes pas suivis par la majorité, nous défendrons, nous aussi, un amendement de repli tendant à encadrer le pouvoir de décision du Président.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Même avis.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La grâce et l’amnistie n’ont rien de commun…

M. Pierre Lellouche – Absolument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Contrairement à l’amnistie, le droit de grâce n’a pas pour effet de supprimer la condamnation, non plus que certains de ses effets, comme l’inscription au casier judiciaire. Ce n’est donc pas la même chose d’amnistier et d’accorder une grâce…

Je rappelle également que tout corps social doit disposer d’un instrument de régulation supérieur au processus ordinaire de réglementation, de sanction et de condamnation…

M. François Bayrou – Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Sinon, cela reviendrait à nier notre devoir d’humanité : comme l’a rappelé M. Bayrou, aucun corps social ne peut établir des règles adaptées à toutes les circonstances.

Mais qui doit disposer d’un tel instrument juridique ? Il serait contraire à sa nature que l’on en fasse un usage collectif. En revanche, il n’est pas absurde de placer cet instrument entre les mains du Président de la République, qui détient directement, et individuellement, sa légitimité du peuple français.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Sans revenir sur la condamnation même, il faut que l’on puisse prendre en compte d’autres considérations – le principe d’humanité ou encore les circonstances – afin de permettre au corps social de mieux se réguler. Ne supprimons donc pas le droit de grâce qui est exercé individuellement par le Président de la République ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Pascal Clément – Très bien !

M. Christian Vanneste – Qu’il y ait une continuité de l’État entre la monarchie et la République en matière de pouvoirs régaliens, cela n’a rien de choquant. On peut parfaitement accepter que le plus haut détenteur du pouvoir exécutif soit en mesure de corriger une situation individuelle issue d’une décision judiciaire. La situation des parlementaires est toute différente : ne confondons pas l’application de la loi et son établissement. Il n’y a de loi que générale, comme l’affirmait déjà Aristote. Nous n’écrivons pas de loi particulière. Lorsque nous nous y risquons, nous ne sommes plus en République. En exerçant nous-mêmes un droit de grâce, nous irions à l’encontre de ce qu’est la loi. Ce serait nous nier nous-mêmes.

M. François Bayrou – Je fais mienne la remarquable démonstration de M. Le Bouillonnec. Rien ne serait pire en effet que de tout soumettre à l’esprit de géométrie en considérant que l’ensemble du droit et des décisions de justice devrait avoir un caractère absolu. La vie exige au contraire que l’on puisse faire appel à l’esprit de finesse. Il faut permettre une intervention fondée sur des considérations d’humanité dans certains cas particuliers ou exceptionnels. C’est ainsi que nous préserverons l’humanité de notre système juridique. Ce serait donc une grave erreur de supprimer le droit de grâce. Nous connaissons tous des situations où ce droit a été nécessaire, où il a fourni une raison de vivre à des personnes soumises à telle ou telle décision de justice.

M. Pierre Lellouche – Nous avons commencé l’après-midi sur un désaccord excessif à mes yeux au sujet de l’article 16 de la Constitution : chacun sait que nous vivons dans un monde dangereux.

En revanche, je partage entièrement ce qu’a dit notre collègue Le Bouillonnec à propos du droit de grâce, sujet tout aussi symbolique. Cette convergence de vues me conforte dans l’idée que nous pouvons exercer notre devoir de constituants en toute liberté. Nous pouvons faire ensemble œuvre utile pour notre pays.

Je regrette toutefois que certains collègues critiquent, pour des raisons totalement idéologiques, le prétendu archaïsme du droit de grâce, et veuillent le supprimer. À pousser trop loin la fausse modernité, ils risquent fort de supprimer la seule soupape d’humanité de notre système. Aucune justice n’est parfaite, et nul ne peut prévoir toutes les situations.

Notre collègue Lagarde confond le droit de grâce et le droit d’amnistie.

M. Jean-Christophe Lagarde – Pas du tout ! Vous n’étiez pas là quand j’ai parlé !

M. Pierre Lellouche – Effaçant une infraction, l’amnistie ne peut être que le résultat d’une loi ; de son côté, la grâce n’efface rien, mais interrompt seulement l’exécution de la peine. Ce droit ne peut être exercé à titre collectif, comme le ferait l'Assemblée nationale. Seule l’amnistie relève de la loi : la grâce relève d’un autre pouvoir, qui doit être lui aussi légitime. Il faut donc la confier soit au pouvoir judiciaire lui-même, soit au pouvoir exécutif comme le veut notre tradition juridique.

Je suis heureux du consensus qui se dégage à cet égard.

Les amendements 259, 318 et 388 rectifié, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Christophe Lagarde – L’amendement 260 propose que ce soit le Conseil supérieur de la magistrature – et non une commission créée par la loi – qui émette un avis avant que le Président de la République exerce son droit de grâce. J’ai entendu tout à l’heure que le CSM, parce qu’issu du monde judiciaire, serait peu qualifié pour revenir sur une décision de justice. Mais lorsque la peine capitale existait encore dans notre pays, il était consulté sur la grâce !

On nous dit que le droit de grâce est exercé une cinquantaine de fois par an, et dans la plupart des cas pour des amendes. C’est en effet extraordinaire, exceptionnel et gravissime…

Bref, le CSM nous semble vraiment le mieux placé pour émettre cet avis, d’autant plus que le texte prévoit qu’il ne sera plus composé en majorité de magistrats.

M. Noël Mamère – L’amendement 319 rectifié est identique. Plutôt que d’attendre une commission dont on ne connaît pas encore la composition, mieux vaut revenir à ce qui prévalait avant 1993, à savoir un droit de grâce qui s’exerce après consultation du CSM. Nous y voyons la garantie que le Président de la République ne pourra pas faire n’importe quoi… Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur ce que devient le CSM dans votre projet en défendant plusieurs amendements.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La commission est défavorable à ces amendements. Les avis que nous avons recueillis sur l’idée d’une consultation du CSM ont été pour le moins mitigés. M. Lamanda, Premier Président de la Cour de cassation – qui fut secrétaire général du CSM – s’est montré critique, à cause de la charge de travail, mais aussi du « positionnement » de cette institution.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Depuis 1993, l’avis du CSM n’est plus requis pour que le Président de la République puisse exercer son droit de grâce. Il faut cependant savoir que le bureau des grâces, qui instruit les demandes de grâce, est composé de magistrats. Mieux vaut donc que ce soit une commission plus diversifiée qui donne un avis sur ces demandes.

M. Jérôme Chartier – Très bien !

M. Daniel Garrigue – On voit ici poindre une tentation qui n’est pas nouvelle, celle de considérer qu’il existe un pouvoir judiciaire, en invoquant Montesquieu. Or il n’y a jamais eu de pouvoir judiciaire dans nos institutions : la justice est une branche de l’exécutif…

M. Jacques Myard – Un service public !

M. Daniel Garrigue – …qui bénéficie d’un certain nombre de garanties pour dire le droit. Ce n’est pas un pouvoir, mais une autorité. Quand le Président de la République exerce le droit de grâce, il agit en tant que chef suprême de l’exécutif. Il exerce une fonction de régulation qui a toute son utilité en cas d’erreur judiciaire, lorsqu’un débat de politique pénale n’est pas tranché – je pense à l’abolition de la peine de mort – ou lorsqu’il y a nécessité d’apaisement.

Consulter le CSM sur le droit de grâce plutôt que la commission qui est proposée serait céder au mélange des genres et admettre qu’il existe un pouvoir judiciaire dans notre pays (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Depuis 1958, il y a en effet une autorité judiciaire – et non plus un pouvoir judiciaire. Permettez-moi tout de même de rappeler que cela représentait un revirement…

La réforme donne au CSM une compétence qui va au-delà de la carrière et du recrutement des magistrats. Le mode de désignation et la composition – avec une majorité de membres non magistrats – qui sont prévus, l’hypothèse qui semble ouverte sur sa présidence, tout cela est de nature à justifier sa saisine en matière de grâce. N’oublions pas que, dans sa configuration antérieure, il donnait cet avis alors que la peine de mort était encore en vigueur !

Ne multiplions pas les références de légitimité. Nous sommes réticents sur l’idée d’une commission dont nous ignorons pour le moment à peu près tout. Avec le CSM, au contraire, le cadre et les garanties sont clairs. Il sera donc en mesure d’appréhender l’intégralité des éléments du dossier et des circonstances afin d’éclairer le Président de la République, qui conserve de toute façon son autonomie de décision. En votant ces amendements, vous valideriez la réforme du CSM tout en donnant une dimension judiciaire à l’exercice du droit de grâce.

Les amendements 260 et 319 rectifié, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jacques Myard – L’amendement 156 a le même objet que les précédents. Puisque nous avons – heureusement – fait grâce au droit de grâce, et que nous conservons cette soupape nécessaire, l’article 17 de la Constitution me paraît fort bien rédigé – à charge pour le Président de la République de consulter qui de droit, sans qu’il soit besoin de l’inscrire dans la Constitution. On nous demande de créer une nouvelle commission, alors que nous disposons du CSM, qui va en outre être réformé. Il me semble qu’il est l’organe idoine, si toutefois il est besoin d’encadrer le droit de grâce du Président de la République, par nature responsable devant le peuple, élu au suffrage universel et donc sage !

M. Roland Muzeau – L’amendement 389 est identique. L’article 7 interdit les grâces présidentielles collectives et subordonne les grâces présidentielles individuelles à l’avis d’une commission. Nous sommes d’accord sur le premier point, mais pas sur le second, d’autant que nous ne savons rien de cette commission. La consultation du CSM – comme avant 1993 – est plus logique, puisque cette prérogative présidentielle influe directement sur l’exécution d’une décision de justice. Il importe d’encadrer davantage le droit de grâce. Il nous semble aussi essentiel que le décret de grâce soit contresigné par le Premier ministre et le garde des Sceaux, pour qu’ils endossent la responsabilité politique de cette décision.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Par cohérence, avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis.

Les amendements 156 et 389, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 6, mis aux voix, est adopté.

ART. 7

M. Bernard Debré – J’avoue ne pas comprendre l’utilité de cet article.

M. Noël Mamère – Nous non plus !

M. Bernard Debré – Que le Président de la République veuille s’adresser à la nation se comprend – aucun ne s’en est jamais privé, à la télévision par exemple. Mais je ne vois pas l’intérêt qu’il vienne devant les assemblées pour tenir un discours qui sera forcément de politique générale, sur lequel nous discuterons quand il sera parti et ne voterons pas. En revanche, cela réduira fortement le poids du Premier ministre…

Ce ne sera pas un discours du Trône, puisque la reine d’Angleterre ne fait que lire un discours du Premier ministre. Ce sera peut-être un discours sur l’état de l’Union, mais je ne crois pas que nous ayons le même genre de République que les Américains… Quant aux présidents étrangers, certes ils viennent s’exprimer devant nous mais, que je sache, ils ne font pas de discours de politique intérieure et n’ont pas le droit de dissolution !

M. Jacques Myard – Très bien.

M. Bernard Debré – Et que ce discours ne puisse se faire, ainsi que le propose le rapporteur, que devant le Congrès réuni à Versailles ne fera que lui donner une solennité supplémentaire sans rien changer au reste. Combien y en aura-t-il par an, avec à chaque fois un affaiblissement du Premier ministre et une confusion des pouvoirs ? Dans cette optique, l’opposition est parfaitement fondée à demander que le temps de parole du président soit comptabilisé dans celui de la majorité, puisqu’il en deviendra le principal responsable ! Je suis donc tout à fait défavorable à cet article.

M. Jacques Myard et M. Pierre-Alain Muet – Très bien !

M. André Vallini – L’interdiction pour le Président de la République de s’exprimer devant les assemblées date certes de 1873, mais elle dérive plus profondément de Montesquieu et de la séparation des pouvoirs, règle commune à toutes les démocraties. Or, les pouvoirs sont aussi séparés symboliquement, par une distance qu’il faut mettre entre eux, et nous voulons conserver ce symbole.

De nombreux députés, de gauche comme de droite, s’interrogent encore sur leur vote sur la révision constitutionnelle. Rien n’est joué. Tous les socialistes, députés et sénateurs, aimeraient pouvoir voter une grande révision – à une seule condition, qu’elle renforce le Parlement. Or, le fait pour le Président de la République de venir s‘adresser à des parlementaires sagement assis, l’écoutant avec tout le respect requis sans même pouvoir débattre en sa présence, revient à infantiliser le Parlement. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Je sais que les Français ne trouvent pas cette question très importante : ils se demandent ce que cela peut bien nous faire, d‘autant que les chefs d’État étrangers s’expriment, eux, devant nous. Mais cela n’a rien à voir ! Ce sont des allocutions diplomatiques, et souvent protocolaires – pas toujours : on se souvient du discours de Tony Blair ici. Mais ces discours ne représentent pas une intrusion dans les débats parlementaires. Si cette disposition était adoptée, la France serait le seul État démocratique au monde où le chef de l’exécutif pourrait s’exprimer devant le Parlement – et donc faire pression sur les parlementaires – en conservant le droit de dissolution, tout en restant, lui, irresponsable.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. André Vallini – Le général de Gaulle et Michel Debré, en 1958, ont tous deux souligné que cette Constitution était aussi un régime parlementaire – et elle l’est restée, même après 1962. Il y a du reste des pays – l’Autriche, la Pologne, la Finlande, le Portugal – où le chef de l’État est élu au suffrage universel et où le Premier ministre joue tout son rôle ! En permettant au Président de s’exprimer devant le Congrès dix fois par an s’il en a envie, on abaisse davantage encore le Premier ministre auquel 66 % des Français restent très attachés, alors qu’ils souhaitent que le Président joue un rôle d’arbitre (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Martine Billard et M. Noël Mamère – Très bien.

M. Hervé de Charette – Nous arrivons à l’un des points essentiels de ce projet de loi. Le Président de la République occupe une place particulière dans nos institutions. Il n’est pas tout à fait le pouvoir exécutif, il est autre chose. C’est pourquoi la démonstration de M. Vallini, qui par ailleurs était séduisante, s’est trouvée faussée lorsqu’il a assimilé les deux. Là est tout le problème en effet : si le Président de la République était complètement le pouvoir exécutif, il n’y aurait rien d’embarrassant à ce qu’il vienne s’exprimer ici ! Mais nous sommes en train, par petites touches, de transformer cet équilibre particulier, qui fait la force de la Ve République, en un simple régime présidentiel.

M. Patrick Braouezec – Bien sûr !

M. Hervé de Charette – Lorsque le Président viendra devant le Parlement, ce sera pour parler des mille et une choses de la vie quotidienne. Il jouera donc le rôle du chef du Gouvernement, ce qui change fondamentalement la nature des choses. Le président actuel et son Premier ministre expliquent d’ailleurs depuis deux ans que c’est cela qu’ils avaient en tête, l’effacement progressif du Premier ministre vers un rôle de coordonnateur, de collaborateur…

Peut-on néanmoins voter cette révision ? Il est vrai, pour commencer, que le Président de la République avait annoncé cette disposition, et que nous l’avons soutenu en connaissance de cause.

M. Patrick Braouezec – Est-ce un Mea culpa ?

M. Hervé de Charette – Mais on peut soutenir quelqu’un sans défendre toutes ses positions. Par ailleurs, la commission des lois a fait un effort pour restreindre l’application de la disposition : le Président ne pourra pas venir s’exprimer devant chaque assemblée, ce qui était de mon point de vue complètement inacceptable. Mais il viendra devant le Congrès réuni à Versailles, où il y aura un débat assez étrange et sans vote – bref un succédané de l’Académie française.

Mme Martine Billard – Ce ne sera pas du même niveau !

M. Hervé de Charette – Vous êtes injuste avec vous-même ! (Rires)

Mme Martine Billard – Je parlais du Président !

M. Hervé de Charette – Écouter quelqu’un sans pouvoir répondre, pour un parlementaire, c’est déjà insupportable. Mais je vous assure que devoir l’écouter, puis écouter les réponses d’un orateur par groupe en n’ayant que le droit de se taire et de rentrer chez soi, c’est le contraire de la démocratie.

M. Patrick Braouezec – Mais cela coûtera très cher au contribuable !

M. Hervé de Charette – Cette réforme a donc belle allure, mais je la ressens profondément comme mauvaise. Voilà pourquoi, à ce stade, je ne me sens pas en état de la voter, même si j’ai très envie de faire plaisir au Président de la République. Je me déciderai le moment venu…

M. Robert Lecou – À ce stade du débat, il est important de faire le point. À diverses reprises, le noble terme de « constituant » a été utilisé. Il a pour mérite de situer l’importance de notre travail, et je mesure l’intérêt d’y participer. Fallait-il ou ne fallait-il pas faire évoluer la Constitution de 1958, qui a fait ses preuves et qui a permis à la France de surmonter des crises importantes et de stabiliser sa vie politique ? Faut-il ou ne faut-il pas permettre au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement ? Pour répondre à cette question, il faut passer par la première.

C’est vrai que je me posais des questions, car la constitution du général de Gaulle reste une référence. Mais nos débats, contradictoires, marqués du sceau de la légitimité de la démocratie représentative, nous permettent d’avancer : le nombre des mandats présidentiels est limité à deux, les pouvoirs du Président – nomination, pouvoirs exceptionnels, droit de grâce – sont mieux encadrés, la démocratie parlementaire est renforcée, de même que la démocratie directe, avec le référendum d’initiative populaire. Je crois donc que nous nous dirigeons vers un meilleur équilibre. Sans revenir à la IV République, nous donnons davantage de pouvoir aux parlementaires, tout en reconnaissant que le Président demeure la clé de voûte de nos institutions. Comment refuser de voter un texte aussi fondamental ?

En ce qui concerne la prise de parole du Président devant le Parlement (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), j’entends exprimer des craintes. Mais pourquoi ne parle-t-on pas du courage du Président ? Pourquoi celui-ci, qui peut s’exprimer devant les caméras, ne pourrait-il s’exprimer devant les parlementaires, alors que, ce faisant, et même sans débat en sa présence, il engagerait d’une certaine façon sa responsabilité ? Courage, responsabilité : ce sont des qualités qu’appelle notre Constitution. Convaincu que nous nous dirigeons vers un texte équilibré, j’attends avec impatience le débat qui va suivre sur l’article.

Mme Chantal Brunel – Mon opinion sera minoritaire, mais il est bon que toutes les opinions puissent s’exprimer. Je suis favorable à la venue du Président de la République devant l'Assemblée nationale. Mais je regrette que l’on renonce à la possibilité qu’il s’exprime devant l’une ou l’autre des chambres, pour ne retenir que la solution du Congrès, qui pèchera par la longueur des délais, comme par son formalisme. Rajouter les parlementaires européens ne ferait qu’alourdir encore la procédure.

M. André Vallini – Sans parler du coût !

Mme Chantal Brunel – Ce discours ressemblera au discours sur l’état de l’Union aux États-Unis.

M. Christian Vanneste – Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel !

Mme Chantal Brunel – Certaines circonstances appellent la venue du Président devant l’Assemblée…

M. Roland Muzeau – Regardez TF1 : vous verrez le Président tous les jours !

Mme Chantal Brunel – Le traité de Lisbonne, par exemple, l’aurait justifiée, de même que le renforcement de nos forces en Afghanistan, le refus de M. Chirac d’engager notre pays dans la seconde guerre d’Irak, ou encore la décision de M. Mitterrand d’engager la France dans le premier conflit irakien. Aurons-nous le temps d’attendre la convocation du Congrès en cas de catastrophe naturelle ou de menace terroriste ?

M. André Vallini – Et le Premier ministre ?

Mme Chantal Brunel – Certes, le Président peut s’exprimer devant les médias, mais une prise de parole devant l’Assemblée a davantage de force. Au moment où nous entendons restaurer le rôle du Parlement, il est bon que le Président de la République puisse, dans des circonstances graves et difficiles, s’exprimer devant lui.

M. Jean-Claude Sandrier – En présence d’une telle proposition, la question que l’on devrait se poser, c’est la suivante : représente-t-elle un « plus » démocratique ? Donnera-t-elle davantage de droits à nos concitoyens, permettra-t-elle de mieux prendre leurs problèmes en considération ? En d’autres termes, s’agit-il d’autre chose que de l’article de l’envie ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

De deux choses l’une. Ou bien cette mesure est, comme j’ai pu le lire dans la presse, symbolique, et alors elle ne sert à rien ; au mieux, ce serait un discours du Trône, dont une République n’a nullement besoin. Ou bien elle a un sens politique, lequel ne peut être, alors, que d’exercer une pression sur le pouvoir législatif. Cette mesure renforcera la prééminence du Président et amoindrira le rôle du Premier ministre et du Gouvernement.

Ce droit nouveau mériterait des contreparties : un débat avec vote, la suppression du pouvoir de dissolution, la responsabilité devant l'Assemblée nationale. Puisque l’on évoque des exemples étrangers, je rappelle que notre chef de l’État cumule les pouvoirs du Président américain et ceux du Premier ministre britannique, sans la responsabilité de ce dernier devant le groupe et le parti majoritaires, ni a fortiori devant le Parlement.

M. Pierre Lellouche – Le Président américain ne peut pas être renversé par le Congrès !

M. Jean-Claude Sandrier – On est plus près de la Monarchie de juillet que d’une République du XXIe siècle ! Avec l’élection au suffrage universel direct, l’assujettissement de l’élection législative à l’élection présidentielle, le droit de dissolution, le Président occupe déjà une place prééminente. Et vous en rajoutez une couche, comme le reconnaît le Premier ministre lui-même, qui parle d’une « avancée inexorable vers la présidentialisation du régime ». Pour nous, il s’agit d’une avancée vers le pouvoir d’un seul homme, non d’une avancée démocratique ! Et ce ne sont pas les quelques articles en trompe-l’œil sur les pouvoirs du Parlement qui pèseront lourd dans la balance. Pour remédier à cette tendance, il faudrait renforcer véritablement le pouvoir législatif, notamment en abrogeant les articles 16, 38, 40, 44 et 49-3 de la Constitution, tout en réservant à la seule Assemblée nationale l’élection au suffrage universel (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR).

M. Roland Muzeau – Très bien !

M. Jean Jacques Urvoas – Ce sujet a été le plus débattu depuis l’annonce de la révision constitutionnelle. Entre le discours du Président à Épinal et le texte de la commission, en passant par les propositions du comité Balladur et le projet initial du Gouvernement, les choses ont d’ailleurs évolué, et il faut s’en féliciter pour la vitalité du débat démocratique.

Ce nouveau droit conféré au Président de la République ne concerne pas au premier chef la nation, car le Président peut très bien s’exprimer devant celle-ci par le truchement d’une émission de télévision – l’impact en serait même beaucoup plus fort. Il s’agit bien plutôt des rapports entre l’exécutif et le législatif.

La raison pour laquelle le Président ne s’exprime plus, en France, devant l’Assemblée, tient à ce que les parlementaires, à l’époque majoritairement monarchistes, ne voulaient pas que le président Thiers puisse faire pression sur eux par la magie de son verbe…

M. Pierre Lellouche – Pour faire la République !

M. Jean Jacques Urvoas – Ils l’ont donc cantonné dans une loge. Que nous propose-t-on aujourd’hui, sinon de permettre cette forme de pression ? Ou alors, il faudrait utiliser un autre terme, parler d’une « adresse » du Président au Parlement.

Outre le fait que le coût d’un Congrès est disproportionné pour un discours de quelques heures, la rédaction du texte – le Président « peut » prendre la parole – introduit le plus grand flou quant à la périodicité de cet événement. Alors que la Constitution américaine prévoyait une allocution « from time to time », de temps en temps, un discours annuel s’est imposé. Et le Président n’a-t-il pas dit à Épinal qu’il souhaitait pouvoir s’exprimer devant le Parlement au moins une fois par an ?

Or, le discours présidentiel, aux États-Unis, est immédiatement suivi d’un contre-discours de l’opposition, à la télévision. Cette année, la gouverneure du Kansas, parfaitement inconnue, a ainsi bénéficié d’un temps de parole considérable – ceci soit dit aux collègues qui refusent de nous suivre sur le temps de parole dans les médias. M. Sarkozy, qui aime tant l’Amérique, ferait bien de s’en inspirer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Noël Mamère – L’article 7 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Que nous soyons si nombreux à intervenir avant d’en examiner le détail prouve le malaise qu’il suscite, y compris au sein de la majorité. Au fond, le Président de la République souhaite constitutionnaliser ce qui n’est autre chose qu’une équivoque institutionnelle et une pratique démocratique déviante (Murmures sur certains bancs du groupe UMP). Dans son discours d’Épinal, le 12 juillet dernier, il a déclaré que le Président de la République gouverne et que, de ce fait, il est responsable, ce qui lui a inspiré cette facilité politicienne : il doit pouvoir s’exprimer devant l’Assemblée sans pour autant être sanctionné. Or, selon la Constitution, le Président de la République ne gouverne pas ; il n’est qu’un arbitre. Il nous est donc proposé de mettre fin à une pratique essentielle de la Ve République, qui consiste à distinguer entre pouvoir d’État et responsabilité gouvernementale. Voilà qui confirme le peu de considération que le Président de la République accorde à son « collaborateur » de Premier ministre.

Le Président de la République est élu par le peuple, auquel il doit rendre des comptes. Le Premier ministre, quant à lui, rend des comptes au Parlement. Dès lors que le Président de la République vient s’exprimer devant l'Assemblée nationale sans avoir à lui rendre des comptes, nos institutions sont perverties puisqu’au fond, c’est lui qui est le véritable chef de l’exécutif. Pourquoi cautionner une telle dérive, amorcée sous le Gouvernement de M. Jospin avec l’inversion du calendrier électoral et l’adoption du quinquennat, et qui rend la dissolution presque impossible ? À moins peut-être d’aller jusqu’au bout de cette logique en adoptant la procédure de révocation populaire, telle qu’elle existe en Californie par exemple, où l’actuel gouverneur Schwarzenegger a été élu après que 12 % des électeurs eurent exigé la révocation de son prédécesseur. Nous avons bien créé un référendum d’initiative populaire, quoiqu’il soit davantage de nature parlementaire…

M. François Bayrou – Tout à fait !

M. Noël Mamère – Hélas, l’expérience de la dissolution, entre autres événements, prouve que le Président de la République est à l’abri, protégé par une irresponsabilité que la loi de 2007 n’a fait que consolider. Qu’il cesse de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages ! Au moment où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les tenants et les aboutissants de cette réforme prétendument historique, il me semble que le Président de la République n’a qu’un seul souci : venir à l’Assemblée nationale. Le reste lui importe peu !

M. Pierre Lellouche – N’est-il pas savoureux qu’il faille des élus de gauche pour venir à la rescousse des parlementaires les plus réactionnaires, qui s’opposèrent autrefois à un homme dont l’adhésion à la République a précipité la chute ?

Certains prétendent que l’article 7 crée un droit nouveau, qui nuit à la séparation des pouvoirs. Relisez donc la Constitution : le droit de message est ancien (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) ! Il n’est d’ailleurs nullement remis en cause. Ce n’est que la forme d’expression qui est modifiée, puisqu’elle devient directe.

M. Noël Mamère – Spécieux !

M. Pierre Lellouche – En quoi le fait que le Président de la République se déplace lui-même en séance solennelle nuit-il aux droits des parlementaires ?

D’autres craignent l’abaissement du rôle du Parlement ; M. Vallini a même parlé d’infantilisation. Au contraire : ne s’agit-il pas plutôt d’une forme de respect, le Président de la République s’adressant directement à la représentation nationale au lieu de le faire via la radio ou la télévision ?

Selon M. de Charette, il est insupportable à un parlementaire d’écouter un discours sans disposer d’un droit de réponse. Chers collègues, nous avons toute l’année pour répondre, et par de multiples canaux (Même mouvement) !

Enfin, j’entends que l’on réduirait le rôle du Premier ministre.

M. Jean Jacques Urvoas – Qui est déjà bien faible…

M. Pierre Lellouche – C’est faux : le discours de politique générale demeure. Chacun sait que le Premier ministre, surtout depuis l’adoption du quinquennat, est l’exécutant du Président de la République (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. André Vallini – Le Président est l’exécuteur du Premier ministre !

M. Pierre Lellouche – Cessez d’inventer une Constitution qui n’existe pas. Au cours de ce débat, nous n’avons cessé de rogner les droits symboliques du Président de la République – nous venons encore de le faire pour le droit de grâce. Cet article est le seul à lui accorder une prérogative nouvelle, et encore ne change-t-il rien au droit de message proprement dit, mais seulement à la forme de son expression. Je vous en prie, cela ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément – C’est article n’est pas, heureusement, le plus important du texte, mais c’est sans doute le plus emblématique. Est-ce une bonne idée, au regard de la fonction d’arbitrage du Président de la République ?

Le discours de politique générale du Premier ministre n’est pas suivi d’un vote, mais peut néanmoins être sanctionné. Imaginons que l’opposition, après le discours du Président de la République, dépose une motion de censure et que celle-ci soit adoptée : ce serait donc au Gouvernement de démissionner à la place du Président ! Nous avons là une difficulté d’ordre constitutionnel.

Certes, il y a quelque hypocrisie à ce que le Président de la République ne s’adresse au Parlement qu’à travers les médias. Rénover le droit de message tel qu’il est pratiqué actuellement – les députés écoutant ledit message debout – n’est pas une mauvaise chose. Pour autant, faut-il exposer le Président de la République aux chahuts et aux quolibets ?

M. Roland Muzeau – Très bon argument !

M. Pascal Clément – S’il est légitime de vouloir renouveler une procédure datée, il faudrait cependant adopter les amendements de coordination pour lever toute contradiction entre les articles 5, 20 et 50 de la Constitution car, en l’état, l’équilibre des pouvoirs entre Président et Gouvernement est modifié. En somme, il s’agit peut-être bien d’une fausse bonne idée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Martine Billard – C’est bien la première fois que j’approuve des propos de M. Clément ! Au fond, le Président de la République ne parvient pas à choisir le type de République qu’il souhaite. Dans la pratique, il affaiblit considérablement le rôle du Premier ministre. Aujourd’hui, il souhaite intervenir devant l’Assemblée. Qu’il aille alors jusqu’au bout en modifiant la Constitution, de sorte que l’on adopte un régime purement présidentiel, plutôt que d’agir par petites touches successives ! On nous avertit qu’il ne faudra pas détourner le droit de résolution en réponse au discours présidentiel et, dans le même temps, on maintient le droit de message devant chaque chambre. Incohérence !

D’une part, si le Président de la République peut intervenir devant les assemblées, le droit de message doit être supprimé. D’autre part, comment imaginer que les parlementaires demeurent sans réaction pendant toute la durée du discours ? Et qu’adviendra-t-il si d’aventure ils ont affaire à un Président un peu sanguin ? À quels échanges assisterons-nous (Murmures sur les bancs du groupe SRC) ? Tout cela n’est pas souhaitable.

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est de la politique-fiction !

Mme Martine Billard – En outre, qu’en sera-t-il en cas de cohabitation – certes peu probable du fait de l’inversion du calendrier électoral et de la réduction du mandat présidentiel ? Lorsque le Premier ministre prononcera sa déclaration de politique générale, le Président de la République convoquera-t-il le Congrès pour lui répondre ?

M. André Vallini – Excellent !

Mme Martine Billard – Enfin, en réunissant plus souvent le Congrès, on contreviendrait à l’objectif de réduction du budget de l’État que devait servir l’inscription dans la Constitution du nombre maximal de ministres (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR).

M. André Vallini – Très bien !

M. François Bayrou – Ce débat me laisse à certains égards perplexe : je suis de ceux – naïfs peut-être – qui ne voient dans ce droit d’intervention ni un bouleversement de notre équilibre institutionnel, ni un progrès historique. Pourquoi une intervention dans le cadre quelque peu désuet du château de Versailles, dans le demi-brouhaha que vient d’évoquer Mme Billard, où les réparties sont ponctuées de rires inaudibles pour les téléspectateurs, devrait-elle émouvoir l’opinion publique ?

Il ne s’agit pas davantage d’une redoutable régression : le droit de message est déjà prévu par l’article 18 ; ainsi que l’a rappelé M. Lellouche, la Constitution dispose que « le Président de la République communique avec les assemblées » – par un moyen quelque peu anachronique, comme le savent bien ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion d’écouter, debout, un message du Président.

M. Vallini a invoqué la séparation des pouvoirs ; mais les pouvoirs, si séparés fussent-ils, communiquent entre eux : ainsi le pouvoir judiciaire s’adresse-t-il au Président de la République lors de la rentrée solennelle ; ainsi le pouvoir législatif peut-il adresser un message à l’exécutif lorsqu’il vote une motion de censure et, d’une manière générale, lors des débats parlementaires.

D’autres, craignant que le Président de la République n’exerce une pression sur les parlementaires, convoquent l’ombre redoutable de Thiers ; mais si un discours du Président de la République suffisait à nous ébranler, cela signifierait que notre conviction chancelait déjà… Je citerais plus volontiers Édouard Herriot : « Un bon discours m’a fait changer d’avis parfois, de vote jamais ! »

Néanmoins, une chose est sûre : après s’être exprimé devant les assemblées réunies en Congrès, le Président ne saurait être dispensé d’entendre leur réponse. Car s’il reconnaît aux parlementaires, qui représentent la nation et incarnent une part de sa souveraineté, assez de légitimité pour souhaiter les réunir en Congrès, en grande pompe, afin de s’adresser à eux, il doit les écouter en retour. Voilà pourquoi j’ai déposé un sous-amendement visant à permettre un débat en présence du Président de la République : il serait illogique et humiliant que celui-ci puisse s’exprimer alors que les représentants du peuple seraient tenus de se taire ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC)

M. André Vallini – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Cet article est curieux…

M. Jean-Pierre Grand – C’est vrai !

M. Jean-Christophe Lagarde – …car cette disposition, emblématique au point d’être la première dont les médias se soient fait l’écho, est largement symbolique : le Président de la République peut déjà s’adresser aux parlementaires, qui – selon une disposition quelque peu déplaisante prévue non par la Constitution, mais par notre Règlement – écoutent ses messages debout afin de témoigner à son autorité arbitrale le respect qui lui est dû.

Selon certains, cet arbitre ne devrait justement pas avoir le droit de s’exprimer devant nous. Mais, en votant le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, nous avons transformé la fonction présidentielle : désormais, le Président de la République n’est plus un arbitre, mais le chef de la majorité. L’actuel président, Monsieur Debré, a du reste la franchise de le reconnaître ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. André Vallini – Hélas !

M. Jean-Christophe Lagarde – En outre, il s’agit de lui conférer non un pouvoir, mais un droit. À cet égard, il est tout à fait extravagant d’imaginer que le Président de la République pourrait ainsi exercer sur les parlementaires une forme de pression. Faudrait-il que nous fussions sensibles et fragiles pour changer aussi facilement d’avis – et de vote, car il serait préférable que l’on vote selon son avis…

Néanmoins, la formulation du texte n’est pas acceptable en l’état : le Président de la République ne saurait s’exprimer « devant l’une ou l’autre des assemblées », ce qui lui permettrait d’en choisir une plutôt que l’autre, laquelle se sentirait dès lors méprisée, voire livrée à la vindicte populaire. En outre, quel déséquilibre s’il prenait la parole à la tribune de notre Assemblée, devant laquelle il n’est pas responsable et qu’il a le droit de dissoudre !

La solution de l’intervention devant le seul Congrès, si elle n’est pas indispensable, n’a rien de dramatique. En cas de cohabitation, elle pourrait même être utile…

M. Jean-Louis Idiart – Vous imaginez cela !

M. Jean-Christophe Lagarde – Enfin, je suis d’accord avec M. Bayrou sur un point : l’éventuelle intervention du président devant le Parlement doit donner lieu à un débat en sa présence. Il est difficile de s’exprimer devant une assemblée sans s’exposer à ses réactions, mais l’impossibilité pour le Parlement de répondre au Président…

M. François Bayrou – Ce serait ingérable !

M. Jean-Christophe Lagarde – …exposerait celui-ci au risque de s’exprimer devant un hémicycle à moitié vide, ce qui dégraderait la fonction présidentielle, qui représente toute la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre).

M. Jérôme Chartier – Cet article ne modifiera pas radicalement la situation actuelle. La télévision, qui n’était guère répandue en 1958, fait désormais partie de notre vie quotidienne ; le Président de la République y prend régulièrement la parole, la majorité et l’opposition aussi.

Mais ce mode d’expression, dépourvu de la solennité des messages qu’il adresse au Parlement, ne permet pas au Président, contrairement à l’esprit de la Ve République, de témoigner son respect à la représentation nationale…

M. Jean-Pierre Grand – Ce n’est pas une question de solennité, mais de confusion !

M. Jérôme Chartier – Ainsi, lorsqu’il réunit les parlementaires de la majorité ou s’adresse à eux par médias interposés, comme il le fera demain matin sur RTL. Il en irait différemment si les médias se contentaient de relayer un message adressé à la représentation nationale elle-même.

À mes yeux, le régime présidentiel est le plus favorable à la reconnaissance des droits du Parlement. Ainsi le Canada, souvent cité en exemple pour sa pratique démocratique, a-t-il dû créer un ministre des réformes démocratiques chargé de restituer au Parlement la place qui lui revient, tant l’absence de fait majoritaire y est source d’instabilité gouvernementale et tant l’actuel « gouvernement minoritaire » y est démuni face à l’opposition (Quelques exclamations sur les bancs du groupe SRC).

La présidentialisation de notre régime n’a pas commencé en 2000, mais bien en 1962, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel Elle n’a fait que se poursuivre en 2000…

M. Jean-Louis Idiart – Supprimez le Premier ministre !

M. Jérôme Chartier – En confiant davantage de responsabilités au Parlement, ce projet de loi, au-delà de nouvelles dispositions relatives à la gouvernance, ne fait que prolonger cette évolution.

Je souhaite que l’adresse du Président de la République se fasse de façon normale et moderne, et que les parlementaires puissent s’exprimer. Pourquoi ne pourraient-ils pas marquer leur approbation ou leur désapprobation ? Personnellement, je n’ai pas envie d’écouter debout le chef de l’État. Je soutiendrai l’amendement de la commission des lois.

M. René Dosière – Préférez-vous l’écouter à genoux ?

M. Patrick Braouezec – Les députés communistes auraient aimé participer à une grande révision de la Constitution, visant à renforcer le rôle du Parlement.

M. M. Benoist Apparu, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturellesC’est le cas de celle-ci !

M. Patrick Braouezec – Il s’agit de mesures homéopathiques. Il fallait s’interroger sur la représentativité du Parlement, l’image qu’en a la population. Une révision à la hauteur des enjeux supposait une réflexion sur le cumul et la durée des mandats, sur l’institution d’une dose de proportionnelle dans toutes les élections, sur le droit de vote des étrangers.

M. Bayrou a raison de dire qu’en définitive, cet article n’apportera pas de changements notables. En revanche, il constitutionnalisera la confusion qui existe entre les fonctions de chef de l’État et de chef du Gouvernement. La Constitution de 1958, qu’on le regrette ou pas, avait placé le Président de la République, président de tous les Français, au-dessus de la mêlée. D’élection présidentielle en élection présidentielle, on a assisté à une dérive, accentuée par l’inversion du calendrier : aujourd’hui, les candidats défendent davantage un programme de gouvernement qu’ils ne se posent en chef d’État potentiel, à même de donner les grandes orientations et du sens à une perspective politique.

M. Benoist Apparu, rapporteur pour avis Vous avez oublié les 110 propositions !

M. Patrick Braouezec – Justement, elles n’entraient pas dans le détail de la mise en œuvre.

Si l’on veut poursuivre dans cette voie, alors supprimons le Premier ministre, qui sera de trop. Permettre au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement, en toute irresponsabilité, accentue encore la confusion entre les deux rôles.

M. le Président – Je considère que les amendements de suppression ont été défendus lors des interventions sur l’article.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable. Nous avons eu de longs débats en commission et procédé à beaucoup d’auditions. Sensibles aux arguments portant sur l’irresponsabilité du Président de la République, la commission propose un amendement respectant la volonté du Gouvernement et les grands équilibres, et qui prévoit une adresse devant le Parlement réuni en Congrès.

Cet amendement ne limite pas le nombre d’interventions, car il y a fort à parier que le Président de la République ne s’exprimera que s’il a des annonces fortes à faire ou dans des circonstances graves. Dans le cas contraire, cela marquerait un affaiblissement politique immédiat, les groupes parlementaires auraient le sentiment d’avoir été dérangés pour rien.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Le droit de message, héritage de l’Histoire, a besoin d’être modernisé. La restriction qui lui est apportée est obsolète, dans la mesure où le Président de la République peut s’adresser à tous les Français par le biais des médias.

Le Président de la République viendra devant les parlementaires pour leur adresser la primeur de sa vision de l’avenir, ou dans des circonstances graves. La nature du régime ne s’en trouve pas modifiée puisque l’allocution n’est pas suivie d’un vote. Nous sommes ouverts aux améliorations qui pourraient être apportées à cet article, mais nous sommes défavorables aux amendements de suppression.

M. Jérôme Chartier – Compte tenu de la richesse de ce débat, je souhaiterais une suspension afin que le groupe UMP puisse se réunir (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous n’êtes pas assez nombreux et craignez d’être battus sur le vote !

La séance, suspendue à 19 heures 25 est reprise à 19 heures 30.

Les amendements de suppression, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – J’ai déjà défendu l’amendement 49 de la commission.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis favorable.

M. Jérôme Chartier – Le sous-amendement 242 tend à élargir le Congrès réuni pour entendre le message du Président de la République aux parlementaires européens de nationalité française…(Exclamations sur divers bancs)

Mme Martine Billard –Et pourquoi pas aux présidents de conseils généraux et régionaux, ou au Conseil économique et social ? (Sourires)

M. Roland Muzeau – Et les chambres de commerce !

M. François Bayrou – Le sous-amendement 594 a pour seul objet de préserver la dignité des parlementaires, dont la mission est de représenter la nation. Nous devons leur éviter l’humiliation de voir le Président de la République quitter l’hémicycle après qu’il leur a adressé la parole, comme s’ils n’étaient pas dignes de lui répondre. Si le Président vient s’exprimer dans le cadre solennel qu’est le Congrès, il faut que les parlementaires puissent à leur tour s’adresser à lui.

Je rappelle également, comme M. Lagarde l’a déjà dit, que l’intervention du Président de la République doit avoir lieu dans un climat de respect…

M. François Sauvadet – Très bien !

M. François Bayrou – Or, si le débat n’a pas lieu en sa présence, on peut craindre que des manifestations de mauvaise humeur viennent troubler le message qu’il adresse.

M. Jean-Christophe Lagarde – L’amendement de la commission tend à rendre l’intervention du Président de la République plus solennelle et plus digne de ses fonctions : il est certes le dirigeant d’une formation politique, mais il représente aussi l’ensemble des Français. Épargnons-lui des scènes que nous vivons parfois dans cet hémicycle quand le Premier ministre s’exprime. Il arrive que ce dernier soit vivement contesté, voire chahuté, au cours de séances bien agitées…

Mon sous-amendement 609 précise que le débat n’aura pas lieu hors la présence du Président de la République, mais au contraire en sa présence. Si le Président vient s’exprimer devant nous, par exemple au sujet d’une intervention militaire à l’étranger, il est normal que les groupes politiques puissent lui répondre.

Je le répète : lorsque les parlementaires n’ont pas la possibilité de s’exprimer de façon argumentée, ils le font souvent de façon plus bruyante et moins respectueuse… Le sous-amendement 609 permettra non seulement de protéger la dignité du Parlement, mais aussi celle du Président de la République lorsqu’il viendra s’exprimer devant le Congrès.

M. François Sauvadet – Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Il semble plus cohérent de s’en tenir aux seuls membres du Parlement français, qui participent à la souveraineté nationale. Prévoir la présence des députés français au Parlement européen risquerait de semer la confusion. Il serait donc préférable que M. Chartier accepte de retirer le sous-amendement 242 ; dans le cas contraire, et à mon grand regret, avis défavorable.

S’agissant des deux autres sous-amendements, certains estiment que le Président de la République ferait courir un risque à la dignité de sa fonction en venant s’exprimer devant le Congrès, puisqu’il serait soumis à des remarques, à des interpellations, voire à des quolibets. Dans le même temps, on demande qu’il assiste aux débats. Mais il serait alors pris à partie sur le fond de son intervention !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Qu’il ne vienne pas, ce serait plus simple !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – S’il assiste aux débats, il faudra qu’il réponde, et nous changerons alors de système politique.

Le bon équilibre, c’est une modernisation du droit de message actuel, qui veut que nous nous levions pour écouter un texte lu par le Président de notre Assemblée. Nous devons permettre au Président de la République d’aller, non devant l'Assemblée nationale, puisqu’il dispose du droit de dissolution à son encontre, mais devant l’ensemble des parlementaires nationaux. Il s’ensuivra un débat hors de sa présence (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

La solution adoptée en commission permettra de moderniser nos institutions sans toucher à leur équilibre général. Avis défavorable, donc, aux sous-amendements 594 et 609.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Je rappelle que les députés français au Parlement européen appartiennent à une autre instance représentative. Il n’y a pas de raison de les associer au Parlement français quand le Président de la République viendra s’exprimer. C’est aux représentants de la nation qu’il s’adressera, sur des sujets concernant notre souveraineté. Je souhaite donc le retrait du sous-amendement 242.

J’ajoute que l’objet de cet article est de moderniser la façon dont le Président de la République peut s’adresser au Parlement, sans modifier pour autant l’équilibre de notre régime constitutionnel. Il nous paraît préférable que le Président de la République n’assiste pas au débat qui pourrait suivre son intervention, car ce serait un facteur de politisation (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jean-Christophe Lagarde – Le Congrès se réunira-t-il pour ne pas entendre parler de politique ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le Président de la République n’est pas responsable devant le Parlement. Avis défavorable sur les sous-amendements 594 et 609.

M. Pierre Lellouche – Nous sommes en pleine confusion ! Faire participer des députés européens à un débat national serait aussi illogique que d’autoriser les députés français à intervenir dans les travaux du Parlement européen, qui concernent les affaires de l’Union européenne. Les députés français au Parlement européen ne participent pas à la souveraineté nationale. Mieux vaudrait donc que le sous-amendement 242 soit retiré.

On a entendu tout à l’heure que la venue du Président de la République devant le Parlement amoindrirait le rôle du Premier ministre, responsable devant lui. Mais nous sommes bien là dans le cadre de la séparation des pouvoirs : il s’agit du droit de message, non d’un débat politique suivi d’un vote. Soit dit en passant, il n’est rien de plus stérile pour un parlementaire que de participer à un débat qui n’est pas suivi d’un vote…

Le message du Président de la République peut éventuellement faire l’objet d’une réponse des groupes après son départ. Mais il ne saurait y avoir de débat politique et de vote : on ne modifie donc pas l’équilibre des pouvoirs. Aller au-delà en demandant un débat en présence du Président de la République – sans vote – serait céder à la confusion des genres.

M. Michel Bouvard et M. Jean-Pierre Soisson – Très bien !

M. Jérôme Chartier – Constatant le peu d’affection que suscitent les parlementaires européens dans cet hémicycle, je retire mon sous-amendement (Sourires).

Le sous-amendement 242 est retiré.

M. Noël Mamère – Nous voilà au-delà de la confusion des pouvoirs : nous sommes dans la confusion politique ! On nous propose tout au plus le bricolage d’une disposition qui est contraire à l’esprit de nos institutions. Notre collègue Lellouche veut nous faire croire qu’il ne s’agit que d’inscrire le droit de message dans la Constitution. Le Président de la République a pourtant dit explicitement, dans son discours d’Épinal du 12 juillet dernier, que puisque le Président gouvernait, il devait être responsable, et donc aller devant le Parlement. Cela n’a rien à voir avec un droit de message : c’est une confusion pure et simple des pouvoirs. Le Président de la République décide de gouverner, ce qui est contraire aux articles 20 et 21 de la Constitution. Il sort de son rôle d’arbitre, et nous ne cautionnerons pas cette dérive politique. Malgré tout le respect que je porte à notre collègue Bayrou, je considère que son amendement est un amendement de rafistolage qui n’empêchera pas le Président de la République d’accomplir la confusion des pouvoirs que nous refusons (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. André Vallini – Je l’ai déjà dit, cette disposition aboutit à un effacement du Premier ministre. Notre collègue Lellouche a dit tout à l’heure que le Premier ministre était un « exécutant » du Président de la République. Depuis quelque temps, le Président, lui, se transforme en exécuteur du Premier ministre. Avec cette réforme, tout serait dit.

La majorité est embarrassée. Elle redoute la tournure que pourrait prendre le débat lors de la venue du Président de la République. Pour notre part, nous estimons qu’il y a dans votre proposition une infantilisation humiliante du Parlement. Quant aux réactions que pourrait susciter le Président de la République pendant qu’il s’exprime, on sait qu’il n’y a pas de risque avec Nicolas Sarkozy : il ne donne jamais dans la polémique, l’agressivité ni la provocation (Rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), il use toujours d’un ton apaisé et consensuel… Mais nous pensons à ses successeurs ! Faisons preuve de sagesse : il ne faut pas renforcer le présidentialisme de nos institutions. Nous ne participerons pas au vote des sous-amendements, puisqu’ils ne font qu’aménager une disposition que nous condamnons.

M. Patrick Braouezec – Nous voterons contre ces sous-amendements qui ajoutent encore à la confusion. À quoi sert-il que nous répondions à quelqu’un qui n’est pas responsable devant nous ? À quoi sert-il que le Président de la République vienne devant le Parlement himself ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Bouvard – ipse ! (Rires)

M. Patrick Braouezec – Soit il ne sera pas là pour nous entendre, soit il sera là mais ne pourra pas nous répondre. Cela n’a aucun sens !

M. François Sauvadet – Votez avec nous !

M. Roland Muzeau – Vous êtes sans arrêt convoqués à l’Élysée !

M. François Bayrou – Rappel au Règlement fondé sur l’article 100. Les deux propositions ne sont pas identiques. Elles ont un point commun : le débat a lieu en présence du Président de la République. Mais ce débat n’est qu’une faculté dans l’amendement de la commission. Je propose pour ma part qu’il soit de droit.

Les sous-amendements 594 et 609, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 49, mis aux voix, est adopté, et l’article 7 est ainsi rédigé.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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