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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 27 mai 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
170ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

SOUHAITS DE BIENVENUE À UN DÉPUTÉ

M. le Président – Je souhaite la bienvenue à M. Christian Estrosi, élu dimanche député de la cinquième circonscription des Alpes-Maritimes (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent).

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

POUVOIR D’ACHAT EN EUROPE

M. Alain Bocquet – Alors que le monde du travail continue de se mobiliser contre l’aggravation des conditions de vie, l’insuffisance du pouvoir d’achat et pour la revalorisation des salaires, le Président de la République a déclaré ce matin vouloir s’adresser à la France qui travaille et non à celle qui manifeste. Mais il s’agit d’une seule et même France, qui revendique le partage de la richesse créée et le respect de sa dignité.

Le chef de l’État esquive la question des salaires, qui se trouve pourtant au cœur des enjeux. Il ressort la vieille lune de la participation et nous fait le coup de la baisse des prix, un miroir aux alouettes. Il ferait mieux de prendre des mesures contre le scandale de la rémunération des dix premiers PDG du Cac 40, qui, à eux seuls, ont engrangé 33 millions en 2007. Quant à la revalorisation du SMIC, elle est reportée à 2010.

M. Patrick Roy – Eh oui !

M. Alain Bocquet – C’est maintenant, alors que les groupes français explosent la barre des 100 milliards de profits, qu’il faut augmenter les salaires. Mais Nicolas Sarkozy n’en fait rien, et pour cause : au-delà des faux-semblants, il demeure le président des actionnaires et des riches (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelque bancs du groupe SRC).

Au moment où la France s’apprête à assurer la présidence de l’Union européenne, et quarante ans après le Grenelle des salaires – 35 % d’augmentation et une économie relancée – notre pays s’honorerait de prendre l’initiative d’un « Bruxelles des salaires », car la redistribution des richesses est une urgence chez tous nos partenaires. Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin répondre à l’exigence d’une hausse généralisée des salaires en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi – En matière de pouvoir d’achat, le Premier ministre a fixé des caps. L’action du Gouvernement est pragmatique et s’appuie sur trois leviers afin d’obtenir rapidement des résultats.

D’abord l’emploi. Il ne faut jamais l’oublier : le pouvoir d’achat ne se détermine pas au niveau du Gouvernement mais se crée par le travail de nos concitoyens. La loi TEPA commence à produire ses fruits. Avec un groupe de députés menés par Gilles Carrez, nous étions la semaine dernière sur le terrain afin d’évaluer les effets des heures supplémentaires : 59 % des entreprises et plus de six millions de salariés sont concernés. Quatre heures supplémentaires par semaine représentent l’équivalent d’un treizième et d’un quatorzième mois dans l’année : si ce n’est pas un gain de pouvoir d’achat…

Ensuite, nous agissons sur les prix grâce au projet de loi de modernisation de l’économie, nous essaierons d’introduire davantage de transparence et de concurrence dans la distribution, afin de supprimer les rentes de situation. Il n’y a pas de raison que les Français paient certains produits plus cher que leurs voisins européens.

Enfin, l’intéressement. Nous vous laissons à vos vieilles lunes idéologiques. L’intéressement des salariés, c’est du concret, puisqu’il permettra, dans les quatre prochaines années, de libérer l’équivalent de six milliards. Le Gouvernement actionne ces différents leviers, en gardant toujours à l’esprit ceux qui, pour tout capital, n’ont que leur travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, Hypocrite ! sur les bancs du groupe GDR).

PRIX DES CARBURANTS

M. François Sauvadet – Le pouvoir d’achat est devenu la première des préoccupations des Français. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment de ne plus y arriver, il ne se passe pas de jour sans que nos compatriotes nous interpellent sur le prix du fioul ou de l'essence. Les professionnels – marins pêcheurs, transporteurs, artisans, agriculteurs – sont particulièrement touchés.

Le chef de l'État a expliqué ce matin que la hausse des matières premières était une tendance lourde et durable. Monsieur le Premier ministre, vous avez pris des mesures, notamment pour promouvoir les énergies alternatives. Il convient désormais de limiter les effets de l'augmentation du prix des carburants pour tous les Français en agissant sur la TVA.

La hausse du cours du baril a permis à l’État d’engranger entre 150 et 170 millions supplémentaires au premier trimestre : l’idée d’affecter cette manne aux plus fragiles est généreuse mais ce prélèvement concerne l’ensemble de la population, y compris les actifs. Quelles initiatives comptez-vous prendre pour plafonner la TVA au plan européen, afin que cette taxe n’amplifie pas l’évolution des prix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre)

M. François Fillon, Premier ministre  Il ne s’agit pas d’une crise, mais d’une augmentation durable du prix du pétrole. Elle est due à l’explosion de la demande, que l’offre ne peut satisfaire. Parallèlement, les pays producteurs cherchent à prolonger le plus possible la durée de vie de leurs réserves.

Nous devons donc faire face à nos responsabilités et mettre en place des mesures structurelles afin de nous préparer à la disparition progressive de cette matière première. Nous avons déjà pris des initiatives lors du Grenelle de l’environnement, et dans quelques semaines, le Parlement sera saisi de projets qui les traduisent.

Il s’agit d’abord de faire un effort sans précédent en faveur des économies d’énergie, dans les bâtiments, et par la promotion des transports en commun et des nouvelles sources d’énergie pour les transports individuels.

Il s’agit ensuite d’augmenter la part des énergies renouvelables, en consentant le même effort dans ce domaine que celui que nous avions fait pour le nucléaire dans les années 1970.

Enfin, il faut continuer à développer le programme nucléaire français : c’était la bonne réponse dans les années 1970, et c’est toujours la bonne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Gremetz – Taxez les pétroliers !

M. le Premier ministre – Mais nous avons aussi le devoir d’apporter des réponses à court terme à ceux qui soufrent le plus de l’augmentation du prix du pétrole. Le Président de la République a proposé ce matin que les excédents de TVA, soit environ 160 millions au premier trimestre – tandis que le produit de la TIPP diminuait de 80 millions – soient affectés à un fonds qui permettra d’augmenter la prime à la cuve et de venir en aide aux professions totalement dépendantes du pétrole et ne pouvant répercuter cette charge à leurs clients.

M. Maxime Gremetz – L’État touche 80 % du prix !

M. le Premier ministre – Enfin, nous allons examiner avec nos partenaires européens comment harmoniser nos réponses à un problème qui nous touche tous. L’une des réponses que vous avez évoquée est le plafonnement de la TVA. Une autre est le dialogue avec les pays producteurs, qu’il ne faut pas négliger (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

AFFECTATION DES RECETTES DE TVA SUR LE PÉTROLE

M. Michel Terrot – Ma question s'adresse au ministre du Budget. Comme vient de le rappeler le Premier ministre, améliorer le pouvoir d’achat a toujours été une priorité pour le chef de l’Etat et pour la majorité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Michel Sapin – Alors, c’est raté !

M. Michel Terrot – Hier et ce matin encore, le Président de la République a réitéré sa volonté d’apporter des réponses concrètes. Il souhaite consacrer les recettes supplémentaires de TVA sur les produits pétroliers, soit 150 à 170 millions d'euros par trimestre, à un fonds pour venir en aide aux Français les plus touchés par la hausse du pétrole. De la sorte, la prime à la cuve de fioul domestique, qu’on a déjà doublée et qui profite à 700 000 ménages non imposables, serait portée de 150 à 200 euros. D’autre part, le tarif social du gaz, fixé par décret le 1er juillet, sera ouvert aux ménages pouvant prétendre à la CMU, soit 750 000 foyers. J’espère que tous ici se réjouissent de telles mesures.

Pouvez-vous nous indiquer quand elles seront mises en application ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique – En 2007, les recettes de TVA pétrolière et de TIPP ont été inférieures de 359 millions aux prévisions ; c’était déjà le cas en 2006. En revanche, au premier trimestre 2008, le produit de la TVA dépasse de 169 millions les prévisions, tandis que la TIPP diminue d’environ 100 millions. Le Président de la République l’a dit avec force et clarté, l’État ne doit pas gagner de l’argent sur l’augmentation du prix du pétrole, qui touche de près la vie quotidienne (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). C’est un principe de base sur lequel nous devrions être d’accord.

Nous rendrons donc aux Français le surplus de TVA s’il se maintient tout au long de l’année. Je m’engage d’ailleurs à rendre public le produit de la TVA et de la TIPP. Les surplus seront affectés à un fonds qui permettra de porter l’aide à la cuve de fioul à 200 euros et à financer les tarifs sociaux.

Rendre ces surplus de recettes n’est pas contraire à notre volonté sans faille d’équilibrer les finances publiques : mais on ne le fera pas en prenant du pouvoir d’achat aux Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

GRENELLE DE L’INSERTION

M. Christophe Sirugue – Monsieur le Premier Ministre, J'ai eu le sentiment que votre discours de ce matin, au Grenelle de l'insertion, s'apparentait plus à un exercice obligé qu'à une véritable conviction.

À preuve les mesures soumises au Parlement pendant les mois où nous avons débattu de ce Grenelle de l’insertion sous la houlette du haut commissaire. Pendant que nous parlions de la sécurisation des parcours d'insertion, vous engagiez la loi sur la modernisation du marché du travail où la flexisécurité est de mise – surtout la flexibilité.

Pendant que nous débattions de la difficulté d'accès à l'emploi des plus démunis, vous annonciez la mise en œuvre de « l'offre raisonnable d'emploi » qui pénalisera fortement les plus éloignés de l'emploi.

Pendant que nous dégagions des consensus sur les efforts indispensables que doit faire l'ANPE, vous engagiez le regroupement de l'ANPE et des Assedic.

Pendant que nous évoquions l'avenir des minima sociaux, vous annonciez une forme de RSA, sans en donner le détail.

Ces travaux des acteurs de l'insertion ont donné lieu à une feuille de route dont plusieurs ont dit qu'il ne la signeraient pas. Elle fixe les engagements demandés aux conseils régionaux, aux conseils généraux, aux communes, aux intercommunalités. Je pensais donc que ce matin vous donneriez des détails sur ce qu'allait être l'engagement de l'État. J'attends encore !

Pour les moyens, vous avez renvoyé à des arbitrages budgétaires ultérieurs, sans même mentionner le milliard et demi du RSA, que vous allez financer notamment en supprimant la prime pour l'emploi des classes moyennes, pourtant déjà durement touchées par la baisse du pouvoir d'achat.

M. Patrick Roy – Scandaleux !

M. le Président – Posez votre question !

M. Christophe Sirugue – Pas un mot non plus sur les contours du débat que vous nous avez annoncé pour l'automne sur les minima sociaux. Pourquoi ne pas dire clairement que vous vous apprêtez à supprimer le RMI et à le remplacer par le RSA, et que de ce fait, vous laisserez au bord de la route, ou plutôt à la charge des communes ou des conseils généraux, les personnes les plus éloignées de l'emploi ?

Monsieur le Premier ministre, si votre intervention de ce matin avait pour but de nous faire percevoir le grand écart entre les effets d'annonce et la réalité des mesures, c'est gagné ! Mais pour répondre aux attentes légitimes des gens qui ont besoin d'une politique d'insertion ambitieuse, c'est bien mal engagé ! Vous devez aussi 2,3 milliards aux départements (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)…

M. le Président – La parole est à M. le Haut commissaire.

M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté – En effet, j’étais comme vous dans la salle des accords de Grenelle ce matin, mais manifestement, nous n’y avons pas entendu la même chose ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe SRC) L’engagement du Gouvernement, le voici : se conformer scrupuleusement à la feuille de route, sur laquelle s’accordent l’assemblée des départements de France, l’assemblée des régions de France, l’assemblée des maires de France, la CGT, la CFDT, FO, le Medef, la CGPME, l’UPA, Emmaüs, ATD-Quart Monde, la FNARS, bref tous les acteurs de l’insertion ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe SRC) Vous étiez là, Monsieur Sirugue, mais, lorsque j’ai demandé si quelqu’un n’était pas d’accord, personne n’a levé la main ! (Huées suivies de vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe SRC)

On a coutume de dire que le problème de l’insertion n’est jamais traité au niveau interministériel ; pourtant, le Premier ministre l’a annoncé tout à l’heure, un texte vous sera soumis avant la fin de l’année qui, outre la création du RSA, constituera la traduction législative des décisions que les partenaires viennent d’arrêter : création du contrat unique d’insertion et des contrats territoriaux, ouverture du service public de l’emploi à ceux qui n’y avaient pas accès. Voilà ce que nous avons fait ce matin : permettre à la question des minima sociaux et de l’exclusion de quitter la petite table de la cuisine pour la grande table des négociations ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP)

DOUBLEMENT DE L’INTÉRESSEMENT

M. Lucien Degauchy – Ma question s’adresse à M. le ministre du Travail. Tandis que le PS s’enlise dans des conflits de personnes (Protestations sur les bancs du groupe SRC, applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP), le Président de la République n’a qu’une ambition : améliorer le quotidien des Français. L’intéressement et la participation dans les entreprises font partie des solutions auxquelles il souhaite recourir sans tarder, comme il l’a précisé à M. Patria, à mes collègues de l’Oise et à moi-même hier, lors de sa visite dans une entreprise particulièrement performante du département où nous avons eu le plaisir de l’accueillir (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Il est normal que les salariés motivés bénéficient des fruits de la croissance. Je rappelle que plus de 7 milliards ont été distribués au titre de la participation, soit plus de 1400 euros par salarié. Une fois de plus, Nicolas Sarkozy montre sa volonté d’améliorer le pouvoir d’achat des Français ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ces mesures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Quand une entreprise gagne de l’argent, les salariés doivent gagner davantage : telle sera la logique du texte sur l’intéressement et la participation (Exclamations sur les bancs du groupe GDR). Aujourd'hui, dans les PME de plus de cinquante salariés, seul un salarié sur dix est concerné par l’intéressement ; voilà pourquoi le Président de la République et le Gouvernement souhaitent que l’intéressement versé à tous les salariés français soit multiplié par deux d’ici 2012.

Comment ? Par l’incitation : les sommes nouvellement versées au titre de l’intéressement – soit du fait d’un accord existant, soit grâce à la conclusion d’un nouvel accord – bénéficieront d’un crédit d’impôt de 20 %. Ainsi, dès 2009, le pouvoir d’achat des Français en sera amélioré : désormais, les salariés eux-mêmes, outre les actionnaires et les investisseurs, bénéficieront de la rémunération du capital. Quant à la participation, le salarié pourra, au moment de son attribution, choisir librement de bloquer la somme ou de l’utiliser pour améliorer son pouvoir d’achat. Fin 2010, nous jugerons si les résultats de ces dispositions simples, fondées sur le libre choix, sont conformes à nos attentes, c’est-à-dire à celles des salariés.

En outre, Mme Lagarde et moi-même déposerons avant la fin du mois de juin en conseil des ministres un projet de loi qui vous sera soumis à l’automne et devrait permettre d’augmenter les salaires dès 2009, notamment par la conditionnalité des allègements de charges.

Valoriser le travail et les travailleurs, tel est l’esprit du texte sur la participation et l’intéressement, car tel est le défi auquel la société française est confrontée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SERVICE MINIMUM D’ACCUEIL

M. Frédéric Lefebvre – Le service minimum, cela fonctionne ! (Interruptions sur les bancs du groupe SRC) Ainsi, dans les transports, sans empêcher les grévistes de faire grève, le service minimum a permis aux travailleurs de travailler ; de même, dans les écoles des trois mille communes dont les maires s’étaient portés volontaires, il a permis aux familles, de faire garder leurs enfants sans coût supplémentaire.

Monsieur le ministre de l’éducation nationale, puisque le bon sens ne l’a pas emporté chez les élus socialistes (Protestations sur les bancs du groupe SRC, exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui ont refusé d’aider les familles par idéologie et par peur de froisser les enseignants – quel courage ! –, le Président de la république a annoncé un texte de loi sur ce sujet.

Libéral et socialiste ou socialiste et libéral, les Français n’en ont cure ! À l'UMP, nous avons choisi de travailler (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), en consultant les maires ; 92 % des maires UMP (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) sont favorables à une loi instaurant le SMA et 48% jugent le blocage « idéologique ». Monsieur Hollande, il ne s’agit pas d’être libéral, ultralibéral ou antilibéral, mais de savoir si le service minimal plaît et de garantir ce nouveau droit aux familles ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

Monsieur le ministre, sur le financement, le Gouvernement a rassuré les maires UMP ; reste la question de la responsabilité, sur laquelle ils continuent de s’interroger (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). J’espère que vous nous éclairerez, afin de permettre aux maires de la majorité et, je l’espère, à tous les maires de France de garantir aux familles un service qu’elles attendent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Vous avez raison (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) : la politique, ce n’est pas la théorie abstraite, mais la recherche de solutions aux problèmes des Français ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe SRC)

Certains « social-libéralistes » voudraient laisser faire la main invisible des libertés obscures ; d’autres, à la suite de débats participatifs, se prononcent à la fois pour et contre le service minimum d’accueil. De notre côté, nous voulons simplement concilier la liberté de faire grève et celle de ceux qui veulent travailler et ont besoin d’un service d’accueil pour leurs enfants. C’est ce que nous allons faire, indépendamment de toute idéologie ou protestation. J’ai d’ailleurs commencé à rencontrer les organisations syndicales pour régler les délicates questions du préavis et du signalement, préalable indispensable à l’organisation du service minimum d’accueil. Nous donnons ainsi aux familles une liberté nouvelle, celle de faire garder leurs enfants aux frais de l’État, sous la responsabilité des communes. Vous m’interrogez justement sur la responsabilité des élus. Je tiens à vous dire que je travaillerai avec vous pour que le Gouvernement puisse défendre le moment venu un amendement tendant à ce que la responsabilité administrative de l’État se substitue à celle de la commune organisant l’accueil des enfants. Ainsi, les familles seront libres, et les maires délivrés de toute crainte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TVA SUR LE PÉTROLE ET CHÈQUE TRANSPORT

M. Christian Eckert – La hausse des prix des carburants touche bien sûr certaines professions en particulier, mais aussi des millions de Français qui n’ont pas d’autre moyen que leur véhicule pour se déplacer. Vous vous défaussez sur le marché, Monsieur le Premier ministre, mais je ferai trois constats pour préciser vos marges de manœuvre.

Entre 2000 et 2008, le prix du baril de pétrole, exprimé en euros, a augmenté de 15,5 % – la hausse de l’euro ayant limité celle du baril. Sur la même période, le prix du litre de gasoil – qui intègre les taxes – a augmenté de 70 %.

Les bénéfices de la seule entreprise Total ont dépassé les 12 milliards d’euros en 2007. Au rythme du premier trimestre 2008, ils atteindraient 15 milliards, montant qui égale celui des cadeaux fiscaux de l’été 2007 et dépasse les déficits des régimes sociaux que vous stigmatisez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Vous aviez toujours nié jusqu’à aujourd’hui que les hausses des prix des carburants généraient des recettes de TVA supplémentaires. Or, ce matin, le Président de la République annonçait 150 à 170 millions d’euros de surplus par trimestre – autant que vos taxes sur les malades !

Face à ce triple constat, le groupe socialiste vous réclame depuis des mois d’agir dans trois directions : restaurer la TIPP flottante, qui peut immédiatement lisser les spéculations ; instaurer une taxe, même modeste, sur les bénéfices vertigineux des grands groupes pétroliers, qui n’ont plus rien d’exceptionnel ; utiliser le produit de cette taxe et le surplus de TVA enfin avoué par le Président de la République pour financer le chèque transport et le rendre obligatoire, voire développer les transports collectifs.

Agirez-vous ainsi en faveur des salariés, oubliés du discours du Président de la République de ce matin ? Les Français, qui souffrent de votre politique économique et sociale, n’en peuvent plus d’attendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie – La hausse du prix du pétrole est continue et très certainement durable. Et à un problème durable, il faut une réponse durable. Le chèque transport, qui a été créé par notre majorité il y a deux ans, n’est une bonne réponse ni en termes de développement durable, ni en termes de pouvoir d’achat (« Pourquoi ? » sur les bancs du groupe SRC). Ce n’est pas de mesures ponctuelles comme la TIPP flottante dont nous avons besoin, mais de nous libérer du pétrole, c’est-à-dire d’organiser la transition. Tel est le sens du Grenelle de l’environnement, qui devrait prochainement déboucher sur un texte de loi (Interruptions sur les bancs du groupe SRC). Le Grenelle de l’environnement, ce sont des bâtiments moins consommateurs d’énergie ; ce sont plus d’énergies renouvelables, plus de transports collectifs, 2 000 kilomètres de lignes de TGV en plus ; c’est plus de report modal, avec l’écotaxe sur les camions. Un Français dépense en moyenne 1 140 euros par an pour sa consommation énergétique, y compris les carburants. Nous libérer du pétrole, c’est lutter à la fois pour l’environnement et pour le pouvoir d’achat.

M. François Hollande – Et le chèque transport ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’ÉtatIl faut bien sûr organiser la transition et accompagner les professions les plus exposées. Le Président de la République a annoncé ce matin que les surplus de TVA viendraient alimenter un fonds qui aidera les Français qui en ont le plus besoin. Il permettra par exemple de faire passer la prime à la cuve de 150 à 200 euros. Nous libérer du pétrole pour être plus forts demain, c’est le sens du projet du Gouvernement ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz – Il faut taxer les pétroliers.

GRENELLE DE L’INSERTION

M. Pierre Cardo – J’ai entendu tout à l’heure la question de mon collègue Sirugue, et j’ai été un peu surpris du ton qu’il a employé. J’ai moi-même participé, depuis six mois, au Grenelle de l’insertion. J’ai participé aux travaux de nombreux groupes de travail avec M. Sirugue, et je dois dire que je ne partage pas ses impressions. Certes, beaucoup de questions et d’inquiétudes se sont fait jour sur ce sujet complexe. Mais les nombreux partenaires en présence se sont écoutés dans le respect mutuel. La présentation de notre collègue est donc réductrice. Pour la première fois, l’insertion est reconnue au plus haut niveau de l’État comme un secteur essentiel, auquel nous essayons d’apporter un peu de cohérence et de justice.

Monsieur le Haut commissaire aux solidarités actives, vous avez présenté ce matin devant le Premier ministre et devant le ministre de l’emploi les conclusions issues de la synthèse des travaux, ainsi qu’une feuille de route sur laquelle un certain nombre d’accords ont été obtenus. Les partenaires ne l’ont certes pas signée – tel n’était pas l’objectif. Mais pour une fois, nous n’avons pas mis la charrue avant les bœufs : ce sont les différents partenaires qui ont apporté les éléments qui permettront de construire un projet de loi, et non – comme dans le cas du RMI – l’inverse ! (Interruptions sur les bancs du groupe SRC)

Pouvez-vous nous préciser le contenu et le calendrier de votre feuille de route ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté – Tous les organismes que j’ai cités tout à l’heure ont donné leur accord formel à la feuille de route. C’est important, car nous voulons du concret ! Le concret, c’est la personne de 58 ans en fin de contrat aidé, à qui l’on dit qu’elle ne pourra pas continuer : nous nous sommes engagés à aller plus loin ! Le concret, c’est la personne à qui on a refusé un accompagnement professionnel en raison de son statut : nous nous sommes engagés à ce qu’aucun dispositif ne soit plus fermé à quiconque pour des raisons de statut.

Le concret, c’est aussi la possibilité donnée à tous les acteurs de l’insertion de se mettre d’accord sur un formulaire unique. Le concret, c’est encore de faire que les négociations sur l’indemnisation du chômage prennent en considération les besoins des plus démunis. Tout cela commence aujourd’hui même, et un comité de suivi se réunira régulièrement. En cette période qui voit les dépenses sociales augmenter continûment, les meilleurs gardiens d’un dispositif conçu pour que les exclus parviennent à retrouver une place dans notre société grâce à un accompagnement global en seront les usagers eux-mêmes, qui nous ont donné une belle leçon d’espoir. Nous la ferons vivre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

RECHERCHE

M. Jean-Marie Demange – Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, vous avez commencé d’exposer votre vision d’une nouvelle organisation tendant à mieux fédérer la recherche publique sur tout le territoire en évitant une concurrence stérile entre chercheurs. Cette stratégie globale appelle quelques précisions sur les relations futures entre le CNRS et l’INSERM d’une part, le CNRS et l’INRA d’autre part. Comment ces organismes travailleront-ils ensemble au service de la recherche française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Le Président de la République a fait de la recherche une de ses priorités absolues, et notre action en témoigne. Priorité financière d’abord : depuis 2005, les moyens des laboratoires ont augmenté de 25 % en moyenne, et l’engagement pris en 2006 d’accroître le budget de la recherche de 40 % sera tenu d’ici cinq ans. Dans le même temps, le budget des universités a augmenté de moitié, et l’opération Campus de rénovation des bâtiments universitaires, dont l’enveloppe est fixée à cinq milliards, a été lancée. Cette priorité se traduit aussi par 6 000 recrutements au ministère, dont la moitié d’enseignants-chercheurs et de chercheurs – qui sont désormais plus nombreux en France qu’en Allemagne. Parce que la recherche est pour nous une priorité absolus, le ministère a été exempté, en 2008, de l’obligation de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

Mais les efforts considérables ainsi consentis demeureraient vains si nous ne définissions pas une stratégie tendant à créer une chaîne solidaire privilégiant la coopération. Cela suppose des universités puissantes et autonomes et des organismes de recherche rayonnants et ouverts – tel est l’objet de la réforme du CNRS, de L’INSERM et de l’INRA. Cela suppose aussi une recherche privée ambitieuse, objectif qui nous a conduit à tripler le montant du crédit d’impôt recherche. Étant donné la compétition mondiale, il n’y aurait aucun sens à opposer recherche publique et recherche privée. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) La réforme du CNRS, actuellement soumise à concertation, est cruciale. Qu’il s’agisse des sciences du vivant ou des nouvelles technologies, nous ne pouvons nous satisfaire d’une compétition interne stérile. La coopération doit primer entre tous nos chercheurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ÉDUCATION NATIONALE

M. Michel Ménard – Ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale mais, avant de la lui poser, j’insiste pour que le Gouvernement nous réponde à propos du chèque transport au lieu d’éluder (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

La Palme d'or décernée, à Cannes au film de Laurent Cantet, Entre les murs, a donné un formidable coup de projecteur sur la vie dans un collège. Cette distinction conférée à un réalisateur de talent montre aussi la complexité du métier d'enseignant. Dans les établissements, les équipes enseignantes font preuve d'imagination pour que chaque enfant aille au maximum de ses possibilités, parfois par des chemins différents. Monsieur le ministre, ne les découragez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR, protestations sur les bancs du groupe UMP)

Depuis des mois, des lycéens, des enseignants, et des parents se mobilisent contre votre projet de réforme des programmes scolaires et la suppression massive de postes dans l'éducation nationale. À leur légitime inquiétude (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), vous répondez par le mépris, et par la diversion, en voulant imposer un service minimum assuré par les communes (« Ah, ça vous gêne, ça ! » sur les bancs du groupe UMP). Cette seule réponse donnée par l’UMP au malaise qui s’exprime ne trompe personne, et surtout pas les parents, qui ont bien compris que la qualité de l'enseignement est en cause (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Hier, en Loire-Atlantique, plus de soixante écoles étaient occupées par les parents qui ont exprimé devant moi leur inquiétude pour l'avenir de l'école et celui de leurs enfants. Et pour cause ! Ils assistent à la diminution massive du nombre de postes d’enseignants, à la remise en cause des réseaux d'aide pour les enfants en difficulté, à une frénésie de réformes sans évaluation des mesures précédentes… (Le tumulte couvre la voix de l’orateur) D’évidence, la rentrée de septembre se prépare dans de mauvaises conditions (« Démagogue ! » sur les bancs du groupe UMP). Ainsi, les collectivités, chargées du transport des élèves, ne sont pas en mesure d'adapter les circuits de ramassage scolaire faute d'informations sur les horaires des cours (Huées sur les mêmes bancs).

M. le Président – Posez votre question !

M. Michel Ménard – Monsieur le ministre, accepterez-vous une vraie concertation avec tous les partenaires avant de mettre en place une énième réforme ? Reviendrez-vous enfin sur la réduction du nombre d'enseignants et de personnel prévue pour la rentrée 2008 ? Un collectif budgétaire garantira-t-il que la rentrée scolaire se fera dans de bonnes conditions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – La parole est à M. Xavier Darcos… (Intense brouhaha sur les mêmes bancs). Je vous en prie ! Si vous voulez une réponse, laissez le ministre s’exprimer !

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Si je comprends bien, deux palmes ont été décernées à Cannes : la Palme d’or à Entre les murs et celle de la récupération politique au parti socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, vives, vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Puis-je vous rappeler que le film de Laurent Cantet a été pour partie financé par les services de Mme Amara ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Au demeurant, la fiction apocalyptique que vous nous décrivez n’a aucune réalité. (Même mouvement). À la rentrée, il y aura le même encadrement dans les écoles, les collèges et les lycées (Huées sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). En Loire-Atlantique, il y a 23 élèves par classe dans les écoles élémentaires et 26 dans les maternelles. Or bien que la démographie n’augmente pas sensiblement, nous avons prévu d’affecter 23 postes supplémentaires à ce département.

Contre quoi êtes-vous ? Contre l’accompagnement éducatif que nous organisons gratuitement pour tout le monde ? Contre les stages offerts aux élèves de cours moyen pour les préparer à l’entrée en sixième ? Contre la distribution gratuite à tous les parents des programmes scolaires, soit 4,5 millions d’exemplaires diffusés ? Contre le fait que l’école se réforme à livre ouvert, en s’adressant à l’opinion, qui, du reste l’approuve ? Vous et vos amis politiques ne dites pas du tout la même chose que les Français ! Les Français, eux, nous approuvent ! (Huées sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR, où plusieurs députés scandent « Périgueux ! » et couvrent la voix de l’orateur) Vous ne m’empêcherez pas de dire la vérité et de continuer à agir. Malgré vos cris, vos dénégations et vos attaques personnelles, l’école continuera à se réformer (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement ; applaudissements sur les bancs du groupe NC).

FESTIVAL DE CANNES

M. Bernard Brochand – Madame la ministre de la culture, au lendemain du succès extraordinaire de la 61édition du Festival de Cannes – 4 000 journalistes du monde entier, 35 000 professionnels accrédités, premier marché du film mondial, 130 000 visiteurs, 180 millions de retombées directes et 16 000 emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), je veux féliciter et remercier tous ceux qui en ont été les artisans et me réjouir du dynamisme du cinéma français.

Depuis quelques semaines, le film Bienvenue chez les Chtis ! a enregistré plus de 20 millions d'entrées en salles et battu le record de La grande vadrouille. Aujourd’hui, il est même en passe de faire tomber le record absolu, détenu depuis 1997 par Titanic !

M. Christian Paul – Pour le Titanic de l’éducation nationale, demandez à Xavier Darcos ! (Sourires)

M. Bernard Brochand – En outre, le cinéma français a été honoré par trois Oscars à Hollywood, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. Enfin, dimanche dernier, le jury international du festival de Cannes a décerné, à l'unanimité, la palme d'or à Entre les murs (Applaudissements), film français consacré à l'école. C’est une première depuis le film de Maurice Pialat, voici 21 ans.

M. Maxime Gremetz – Bravo !

M. Bernard Brochand – Au moment où le cinéma français est au meilleur de sa forme, il doit cependant affronter de nouveaux défis, notamment l’entrée dans l'univers du numérique et de l'Internet, ainsi que la défense des droits de ses auteurs et créateurs.

Madame la ministre qu'envisagez-vous pour consolider ces succès, confirmer cette prospérité, encourager la créativité du cinéma français et continuer d'assurer le rayonnement du Festival de Cannes, qui demeure à ce jour la première manifestation culturelle mondiale et le meilleur ambassadeur de la culture française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – Monsieur le Député-Maire de Cannes, merci d’avoir rappelé les excellents résultats de notre cinéma et la moisson de récompenses qu’il a recueillie : les Oscars, les Chtis, la palme d’or…

M. Julien Dray – Sans oublier Carla et Nicolas ! (Sourires)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Nous sommes aujourd’hui le troisième pays producteur au monde et le premier en terme de fréquentation. Tout cela n’est pas le fruit du hasard : le système fonctionne très bien, l’État s’engage massivement et, cas unique en Europe, la part du cinéma national dépasse celle du cinéma américain.

La Commission européenne ne fera aucun obstacle à ce que l’État continue de soutenir notre industrie cinématographique. Il convient par conséquent de réorienter nos aides, vers l’exportation et le « cinéma du milieu » – dont Entre les murs est un bon exemple puisqu’il a coûté entre 2,5 et 3 millions. Nous devons aussi veiller à ce que les grands films étrangers qui portent notre image viennent en France et permettre que cinéma et concurrence fassent bon ménage, sans nuire aux intérêts des distributeurs. Enfin, il faut prendre le tournant du numérique, en numérisant les salles et en protégeant nos droits sur Internet. C’est du reste l’enjeu du projet de loi « Création et internet » que je vous soumettrai prochainement, en vue d’augmenter l’offre légale et de dissuader les pirates ordinaires. C’est comme cela que notre cinéma se portera encore mieux, pour le plus grand bonheur de Cannes, qui en est la capitale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

RÉFORME DU LIVRET A

M. Jean-Pierre Balligand – Aujourd'hui, l’intégralité des sommes que les Français déposent sur le livret A sont centralisées à la Caisse des dépôts, qui les utilise pour faire des prêts à long terme aux organismes de logement social. Ce système a permis de construire quatre millions de logements sociaux dans notre pays. Les Français peuvent être fiers de ce dispositif, qui leur permet de sécuriser – et de rémunérer – leur épargne tout en la mettant au service de l'intérêt général. Pourtant, le projet de réforme du Gouvernement prévoit que les banques pourront désormais conserver près d'un tiers des sommes déposées sur les livrets A.

L’exemple du Codevi – devenu livret de développement durable – montre qu'il n'est pas possible de contrôler l'emploi des sommes conservées par les banques. Or, les besoins d'investissement public sont considérables : Mme Boutin dit qu'elle veut construire 120 000 logements sociaux par an ; Mme Pécresse veut rénover les universités. Le Grenelle de l'environnement a montré l'ampleur des besoins en matière de développement durable : il faudrait, par exemple, 18 milliards pour atteindre l'objectif fixé pour les transports collectifs en site propre et 24 milliards pour la rénovation thermique des seuls bâtiments de l'Etat. Tout le monde se rend bien compte que les besoins d'investissement en faveur de l'intérêt général sont immenses.

Face à cela, vous nous dites que les caisses sont vides. C'est pourquoi nous, députés socialistes, vous faisons une proposition concrète, permettant de mobiliser 60 milliards pour financer ces besoins. Cette proposition n’alourdira pas la fiscalité, n'augmentera pas les déficits et ne grignotera pas le patrimoine public : nous prônons la centralisation à la Caisse des dépôts de l'intégralité des sommes déposées sur le livret A et sur le livret de développement durable (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Nous savons que d'autres députés, sur d'autres bancs, sont sensibles à ce problème. Alors ma question est simple : préférerez-vous laisser 60 milliards aux banques en espérant qu'elles en feront bon usage, ou aurez-vous la volonté politique, face à l'ampleur des défis que la France doit relever, d'accepter que l’intégralité des 200 milliards d'épargne réglementée des Français soient utilisée au bénéfice de tous ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR, applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NC)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi – Le point de départ de la réforme du livret A, c’est la décision de la Commission européenne du 10 mai 2007. Cependant, il serait abusif de prétendre que nous ne devons faire cette réforme que parce que Bruxelles l’exige (Exclamations sur les bancs du groupe GDR). Ce qui compte, c’est d’améliorer l’accès des Français au livret A (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). La situation actuelle a en effet de quoi surprendre : alors que le livret A est le produit d’épargne préféré et des Français, sa diffusion était limitée à trois établissements. L’objectif du Gouvernement est de mettre à profit cette réforme pour améliorer l’efficacité du livret A, en prenant soin de préserver le financement du logement social. À ce titre, il faut faciliter l’accès de tous aux services bancaires (« Répondez à la question ! » sur les bancs du groupe SRC). Le fait d’étendre aux banques la possibilité de diffuser le livret A constituera donc un indéniable progrès. En outre, cette réforme complète la politique du Gouvernement en faveur des consommateurs, puisqu’elle permettra, au bénéfice des clients des banques, de renforcer la concurrence entre établissements.

J’en viens au logement social. Le but est d’améliorer son financement, gêné aujourd’hui par les ristournes excessives accordées au niveau des établissements bancaires collectant le Livret A (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. François Hollande – Répondez à la question !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État – En améliorant la concurrence entre les établissements, en réduisant la part affectée à chacun d’entre eux, nous accroîtrons le financement global destiné au logement social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC, exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance est suspendue à 16 heures.

La séance est reprise à 16 heures 20.

MODERNISATION DES INSTITUTIONS DE LA Ve RÉPUBLIQUE

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

APRÈS L’ARTICLE 9

M. Jean-Claude Sandrier – La santé d’une démocratie se mesure à la place qu’elle offre à l’opposition. Sous l’empire du fait majoritaire, seule l’opposition a intérêt à exercer un contrôle approfondi de l’action gouvernementale. Or les avancées bien timides dont vous vous contentez ne portent pas sur ce point essentiel.

L’ouverture d’un droit d’initiative pour l’opposition serait la seule mesure à même de dynamiser le travail parlementaire et ainsi, de répondre à l’objectif affiché de cette réforme. L’amendement 411 rectifié vise à permettre à tous les groupes parlementaires de demander des commissions d’enquête, l’audition de ministres et de responsables de la conduite des politiques publiques ainsi que de saisir la Cour des comptes. Ces procédures, sans mettre en danger le Gouvernement, l’obligeraient à rendre des comptes.

M. René Dosière – L’amendement 201 rectifié, inspiré d’une préconisation du comité Balladur, prévoit qu’un groupe parlementaire ne participant pas de la majorité peut obtenir la création d’une commission d’enquête par session. Cette disposition, dont on m’objectera qu’elle relève plutôt du Règlement intérieur, mérite pourtant d’être inscrite dans la Constitution afin de rappeler que les droits du Parlement ne sauraient être renforcés sans que l’opposition voie son rôle revalorisé. Rappelons que l’opposition a vocation à devenir la majorité, et inversement.

M. Arnaud Montebourg – Commentant la décision prise à l’unanimité – moins une abstention – du groupe SRC de ne pas apporter son soutien à la réforme telle qu’elle paraît aujourd’hui engagée, le président du groupe UMP a parlé d’une consigne provenant du « politburo ». M. Copé aurait dû se renseigner avant de parler.

Le bureau national du PS a refusé de se réunir tant que les tenants et les aboutissants de la réforme demeuraient inconnus. Le débat que nous avons eu ce matin a été riche et tonique, reflétant les différentes sensibilités. Tous, nous avons pris la mesure des refus, des fins de non-recevoir et des provocations que nous ont adressés le Gouvernement et la majorité, notamment sur les questions de l’élection des sénateurs et de la compensation du temps de parole du Président de la République. Au fur et à mesure de la dernière séance – qui a même vu le rejet d’amendements défendus par le rapporteur – l’addition s’est alourdie.

Le « non » que nous avons signifié ce matin, chacun de nous l’a décidé en conscience. Pour autant, il s’agit d’un « non » d’attente – oserai-je dire, d’espoir ? Que la majorité prenne à son tour le temps de se réunir et d’en discuter.

M. Bernard Debré – Chantage !

M. Arnaud Montebourg – Depuis longtemps, nous considérons le droit pour l’opposition de créer une commission d’enquête comme un point clé de cette réforme. Combien de commissions d’enquête auraient pu voir le jour, n’était-ce le verrou qu’oppose le Gouvernement à leur création ? Contrairement aux parlementaires des autres pays européens, nous sommes obligés de prier Matignon ; quel théâtre !

Croyez-le, nous en souffrions tout autant lorsque nous étions dans la majorité. Nous vous demandons donc de prendre vos responsabilités : acceptez de partager ce droit avec nous en votant l’amendement 499. C’est la clé d’une évolution sensible de la République et l’une des conditions que nous posons au vote de cette réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Noël Mamère – Nous n’avons pas eu à réunir un Politburo, comme le dit M. Copé avec mépris – même si nous sommes le groupe que l’on pourrait le plus facilement soupçonner d’en avoir conservé un – pour dire non à ce projet. Et il ne s’agit pas d’un non d’ouverture ou d’espérance comme pour nos amis socialistes, mais de doute. Depuis le début du débat, ce ne sont pas des signes d’ouverture que nous avons obtenus du rapporteur et du Gouvernement, mais de fermeture et de crispation : sur le droit de vote des étrangers, auquel nous sommes très attachés, sur le cumul des mandats, la proportionnelle, le pluralisme dans les médias. Hier, la majorité a atteint le sommet de l’hypocrisie en permettant au Président de la République de venir s’exprimer à l’Assemblée. L’hyperprésidentialisation en est encore renforcée. Ce président est à la fois président de comice agricole, maire, président de département, de région, premier ministre, ministre, et voilà qu’il veut se substituer au président de l’Assemblée et aux députés. C’est beaucoup pour un seul homme.

Notre amendement 340 rectifié reconnaît le droit pour les minorités de demander une commission d’enquête, comme dans toute démocratie parlementaire. Je ne dirai pas que, pour reprendre le terme d’un ancien Président de la République, cette situation est abracadabrantesque…

M. le Président – Veuillez respecter l’article 73 du règlement, qui ne vous autorise pas à vous en prendre à des élus ni, bien entendu, au Président de la République.

M. Noël Mamère – Je ne m’en prends pas au Président de la République. Je viens de citer une phrase devenue célèbre de l’ancien Président, pour lequel, je crois, l’actuel Président a beaucoup de respect et d’admiration.

Lorsque nous demandons une commission d’enquête, le Garde des sceaux peut s’y opposer s’il y a une enquête judiciaire en cours. C’est une limitation que vous renforcez en interdisant aux minorités de demander une commission ou une mission d’enquête parlementaire.

C’est un élément clé sur lequel il convenait d’insister, mais je vous prie de m’excuser, Monsieur le président, si je suis sorti des limites qui me sont imparties.

M. le Président – Vous reconnaissez vos excès, je vous en donne acte. Nous devons être très vigilants. En 1984, des propos de cette nature avaient conduit à un incident de la plus haute gravité. Restons bien dans le cadre de notre débat.

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois – Ce que je viens d’entendre est très injuste. C’est en effet la première fois sous la Ve République qu’un gouvernement, en l’occurrence avec l’article 24, va donner des droits à l’opposition, et rendra possible pour le Conseil constitutionnel de revenir sur une jurisprudence dont j’ai moi-même été victime. À la demande de l’opposition, j’ai déposé un amendement à cet article 24 qui introduit des droits « spécifiques » pour les groupes qui n’appartiennent pas à la majorité. Ne faites donc pas procès au Gouvernement et à la majorité de ne pas respecter les droits de l’opposition (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

En réalité, nous sommes parfaitement réalistes. Nous le sommes car nous savons que l’avenir du Parlement est dans le développement de ses fonctions de contrôle et d’évaluation. Nous déposerons d’ailleurs un amendement, que je qualifierais volontiers d’historique, permettant de réserver une semaine sur quatre à ce contrôle. Réalistes, nous le sommes encore, car un jour – que je souhaite tardif – nous serons dans l’opposition… (Sourires)

Sur les amendements, la commission a émis un avis défavorable, car on ne peut introduire dans la Constitution toutes les dispositions qui figurent dans le règlement de l’assemblée. L’une d’elle prévoit que lorsqu’un groupe demande la constitution d’une commission d’enquête, il obtiendra le poste de président ou de rapporteur. Cela relève du règlement, pas de la Constitution. En commission, j’ai bien dit que, à titre personnel, j’étais favorable à ce que, après le vote du projet constitutionnel, le futur règlement de l’assemblée donne un droit de tirage limité aux groupes de l’opposition pour obtenir une mission d’information ou une commission d’enquête dans des conditions à définir, qui ne sont pas très éloignées de celles proposées par M. Dosière.

Je prends de nouveau cet engagement, et, avec son autorisation, je le prends aussi au nom du président de l’Assemblée, qui s’est engagé à constituer un groupe pluraliste pour réviser le règlement, et qui est favorable à un quota limité et déterminé, par législature, de missions d’information et de commissions d’enquête, selon le sujet. C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’une commission, une majorité, un président de l’Assemblée prennent une position aussi claire pour donner des droits à l’opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement  Chaque groupe se détermine librement, certes. Même si je n’appartiens pas au groupe socialiste, je me permets de dire que j’aurais préféré et jugé plus logique qu’il se détermine au terme d’un débat qui se poursuit – et nous venons d’entendre le rapporteur annoncer une nouvelle avancée sur les commissions d’enquête. Le groupe a préféré prendre une position de principe. Je le regrette, car cela ne correspond pas à la nécessité que je croyais reconnue de part et d’autre de dialoguer pour avancer.

Vous demandez d’inscrire dans la Constitution le droit à obtenir une commission d’enquête. Ce n’est pas de niveau constitutionnel. Mais l’article 24 ouvre des droits aux groupes. Ils seront définis dans le cadre du règlement intérieur. Le Gouvernement a déjà annoncé son accord sur l’amendement que présentera M. Warsmann pour reconnaître aux groupes de l’opposition des droits spécifiques et a bien compris que, dans ce cadre, le Président de l’assemblée nationale a l’intention de réformer le règlement pour ouvrir ces droits spécifiques à demander des commissions d’enquête.

En attendant, j’irais bien jusqu’à demander le retrait de ces amendements. N’y croyant guère, je demande leur rejet. Mais en réalité, vous aurez déjà satisfaction.

M. le Président – Sur l’amendement 499, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Arnaud Montebourg – Je salue les avancées annoncées par le rapporteur et le président de l’Assemblée et les déclarations de M. Karoutchi sur les commissions d’enquête. Elles sont apaisantes, mais soulèvent néanmoins certaines objections.

Ces éléments ne sont pas de nature constitutionnelle, dites-vous. Les constituants de 1958 y ont mis bien d’autres détails. Surtout, ce n’est certainement pas dans le seul règlement intérieur que l’on pourra éliminer l’interdiction d’enquêter lorsque la justice est saisie. C’est bien pour cela que c’est par des ordonnances organiques qu’on a institué les commissions d’enquête en 1958.

Nous avons besoin d’être rassurés au moment où nous contribuons à l’élaboration de la loi constitutionnelle, c’est-à-dire de la loi commune. Le Sénat ne risque-t-il pas d’écarter toute possibilité d’enquête sur des faits donnant lieu simultanément à des poursuites judiciaires, chose possible en Allemagne ? Pour connaître des commissions d’enquête parlementaires, c’est au moins la loi organique qui est compétente ! Nous prenons donc acte de vos engagements, mais nous aimerions que vous nous répondiez sur l’inscription dans notre Règlement de la possibilité d’enquêter sur des faits examinés par une autorité judiciaire. Nous maintenons donc notre amendement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État Monsieur Montebourg, vous n’avez rien à craindre du Sénat : la création des commissions d’enquête parlementaires résultant de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 et du règlement des assemblées, une loi organique n’est nullement nécessaire.

M. Arnaud Montebourg – Mais qu’en est-il des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires ?

M. Jean-Christophe Lagarde – Notre amendement 417 rectifié poursuivait le même objectif que l’amendement 499 : nous sommes nombreux à souhaiter, par-delà notre appartenance politique, que les groupes parlementaires puissent enfin obtenir la création d’une commission d’enquête. Notre Parlement est le seul, en Occident, où cette décision soit soumise à l’appréciation de la majorité, ce qui revient à confier à la majorité le soin d’enquêter sur elle-même. Cette situation est absurde…

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – C’est exact !

M. Jean-Christophe Lagarde – … et fait naître des doutes déplaisants.

En outre, il nous semble légitime d’inscrire cette disposition dans la Constitution, car, comme l’a souligné le rapporteur, le Règlement de notre Assemblée est soumis au bon vouloir de la majorité, laquelle est appelée à changer. Si une nouvelle majorité décidait de restreindre les droits de l’opposition, celle-ci pourrait perdre le droit de créer une commission d’enquête. Ainsi, en 1981, la nouvelle majorité a-t-elle remis en cause l’égalité des temps de parole.

M. Arnaud Montebourg – C’était une erreur regrettable !

M. Jean-Christophe Lagarde – À cet égard, l’amendement 201 rectifié, moins restrictif que sa version initiale, nous satisfait. Il est en revanche excessif de soumettre la création d’une commission d’enquête aux mêmes conditions que la saisine du Conseil constitutionnel, comme le propose l’amendement 499. La solution que le président de notre Assemblée a approuvée par l’intermédiaire du rapporteur n’est pas juridiquement absurde, surtout lorsque l’on envisage d’inscrire dans la Constitution la limitation du nombre de ministres ou de députés !

M. le Président – Sur l’amendement 417 rectifié, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

Mes chers collègues, nous examinons ce texte depuis plus de douze heures et il reste 400 amendements à discuter. Sur les amendements en discussion, je ne donnerai donc la parole qu’à un seul orateur par groupe, puis, éventuellement, à un orateur supplémentaire, pour préserver la densité et la clarté de nos travaux.

M. Jean-Claude Sandrier – Il est regrettable que pour quinze articles sur trente-cinq, l’on nous renvoie au Règlement ou à une loi ultérieure. Afin d’éviter toute confusion, il eût été préférable de préciser les modifications qui seront apportées au Règlement – même si nous voulons bien croire le ministre sur parole !

Nous maintenons donc notre amendement ; à défaut, nous voterons l’amendement 499, mais nous aurions préféré – comme le groupe du Nouveau centre – que la possibilité d’ouvrir une commission d’enquête, d’auditionner des responsables administratifs ou de saisir la Cour des comptes soit offerte aux groupes parlementaires de droit, et non à la demande de soixante députés ou soixante sénateurs, ce qui alimente le bipartisme, alors que la démocratie exige que toutes les sensibilités aient voix au chapitre. À nos yeux, l’amendement 499 est donc pour le moins un amendement de repli.

M. Jacques Myard – Je suis surpris des propos de M. Montebourg, qui semblait jusqu’à présent considérer la justice comme un véritable pouvoir sur lequel il n’était pas question d’empiéter. Si l’on donne au Parlement le droit de se saisir d’une affaire sur laquelle les tribunaux n’ont pas encore statué, je crains le pire ! Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit d’enquête du Parlement, mais nous devons veiller à la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire sous peine de céder aux sirènes de la démagogie.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La commission des lois a soulevé ce problème, comme la commission Balladur, qui a conclu à la nécessité de permettre aux commissions d’enquête parlementaire de connaître de faits donnant lieu à une procédure judiciaire. Pour empêcher le Parlement d’enquêter, il suffit qu’une plainte avec constitution de partie civile soit déposée…

M. Jacques Myard – Allons donc !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – … et que le parquet ouvre une poursuite. L’enquête parlementaire n’a pas pour objet de s’assurer de la réalité d’une infraction pénale ou d’en sanctionner l’auteur, mais bien de permettre au Parlement de se saisir de faits impliquant un dysfonctionnement administratif ou un manquement de l’action publique, voire des conséquences politiques.

M. Arnaud Montebourg – Cela existe en Allemagne !

M. Jacques Myard – On s’en fout !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Contrairement à ce qu’affirme le ministre, cette disposition relève bien de la Constitution, et non de la loi ou du Règlement, car c’est au nom du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs que l’ordonnance de 1958 a circonscrit le domaine d’intervention des commissions d’enquête parlementaires. Nous devons donc l’inscrire dans la Constitution afin de préserver la liberté d’action dont dispose le Parlement lorsqu’il exerce son droit d’enquête.

L'amendement 411 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – L’amendement 417 rectifié n’a pas été défendu.

M. Arnaud Montebourg – Nous avons demandé un scrutin public !

M. le Président – Néanmoins, l’amendement tombe faute d’avoir été défendu.

M. Jean-Christophe Lagarde – M. de Courson était là pour le défendre, mais vous ne l’avez pas appelé !

M. Arnaud Montebourg – Je suis prêt à le reprendre.

M. le Président – Non, l’amendement tombe puisque nul ne s’est manifesté pour le défendre. Laissez la présidence présider !

L'amendement 201 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

À la majorité de 125 voix contre 73 sur 199 votants et 198 suffrages exprimés, l’amendement 499 n’est pas adopté.

L'amendement 340 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

ART. 10

M. Bernard Debré – Cet article vise à permettre à un ministre démissionnaire de retrouver son siège de député. Cela ne serait pas sain et nuirait à la cohésion gouvernementale, que les constituants de 1958 ont voulu préserver en écartant cette possibilité.

En outre, l’amendement adopté par la commission, qui vise à restreindre cette possibilité au cas où tout le Gouvernement démissionne, ne présente aucun intérêt. C’est en connaissance de cause qu’un ministre accepte de l’être ; s’il démissionne, il peut retrouver son siège grâce à une élection partielle ou laisser la place à son suppléant en attendant de nouvelles élections législatives.

M. René Dosière – Le deuxième paragraphe de l’article fait référence à une commission chargée du découpage des circonscriptions. Or le ministre a annoncé hier qu’il envisageait de soumettre l’élection des représentants des Français de l’étranger au scrutin uninominal à deux tours, ce qui suppose de redéfinir des circonscriptions. Cette formule est inadaptée à la situation des Français de l’étranger.

D’abord, les Français de l’étranger ont le choix de s’inscrire sur les listes électorales de la métropole ou du consulat. Il y a aujourd’hui 821 000 inscrits sur les listes électorales des consulats : nous sommes donc loin des 1,3 ou des 2 millions dont on a parlé, ce qui devrait limiter le nombre des circonscriptions.

Ensuite, il existe des écarts considérables entre les 150 pays où résident ces Français de l’étranger. On compte 50 000 inscrits en Suisse, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou en Belgique, mais moins de 250 dans 42 pays. La participation est également très variable. Aux dernières élections présidentielles, elle a été de 42 % en moyenne, allant de 20 % en Israël à 96 % au Bruneï. Enfin, les votes sont très contrastés. Si Nicolas Sarkozy a remporté 91 % des suffrages en Israël, Ségolène Royal a obtenu 81 % en Algérie et 69 % en Afghanistan. On voit à quelles difficultés – voire à quelles manipulations – pourra donner lieu le découpage des circonscriptions. Recourir au scrutin uninominal n’est donc pas une bonne idée, Monsieur le ministre – le comité Balladur l’avait d’ailleurs bien vu. Mieux vaudrait donc recourir à une circonscription unique et au scrutin proportionnel.

M. Jacques Myard – Il ne s’agit pas de l’article 10 !

M. René Dosière – Il serait en outre préférable que les députés élus par les Français de l’étranger s’ajoutent aux 577 élus par la métropole : cela rendrait l’exercice bien moins périlleux sur le plan politique.

M. Marc Dolez – Je déplore que l’article 10 ne traite pas du cumul des mandats par les parlementaires. Comment une révision constitutionnelle destinée à revaloriser le rôle du Parlement peut-elle passer cette question sous silence ?

M. le Président – Cela a été le débat d’une grande partie de la journée d’hier.

M. Marc Dolez – Certes, mais c’est sur cet article que nous pourrons défendre des amendements traitant de cette question. Le Gouvernement doit prendre des initiatives pour limiter le cumul des mandats, comme l’y a invité le comité Balladur. Le cumul des mandats, que la décentralisation a paradoxalement encouragé, pèse lourdement sur l’organisation de nos travaux.

M. Jacques Myard – N’est-ce pas, Monsieur Montebourg ?

M. Marc Dolez – Si nous ne travaillons que trois jours par semaine, c’est pour permettre à nos collègues d’exercer leurs autres mandats. Lors de la dernière campagne pour les élections municipales et cantonales, le Parlement a suspendu ses travaux pendant sept semaines. Si ce n’est pas encourager le cumul des mandats…

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est pour la sérénité des débats !

M. Marc Dolez – Permettez-moi de vous citer un de nos anciens collègues, qui a présidé la commission des lois, puis le Conseil constitutionnel, et qui fait autorité, Pierre Mazeaud : « J’ai toujours été opposé à cette exception française, et je n’envisage pas d’interdiction limitée. Tout cumul est contraire à l’esprit de la Constitution actuelle. Dans cette pratique du cumul des mandats, il y a une extrême confusion des genres. Je suis contre tout cumul, y compris avec un simple mandat d’adjoint ou même de conseiller municipal. Cette exception française est ridicule. » Faites-nous donc des propositions pour sortir du ridicule, Madame la ministre ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Pierre Grand – L’article 10 prévoit d’abord que les ministres quittant le Gouvernement pourront retrouver automatiquement leur siège de député. Il y a là tous les ingrédients de l’instabilité gouvernementale…

M. Arnaud Montebourg – Très juste !

M. Jean-Pierre Grand – …puisque les ministres n’hésiteront plus à démissionner à la moindre contrariété. C’est aussi une façon de promettre à chacun qu’il pourra devenir ministre ou secrétaire d’État…

Deuxième disposition importante de cet article, la création d’une commission indépendante chargée d’examiner les « découpages électoraux ».

M. Manuel Valls – Il est vrai que M. Grand a du souci à se faire…

M. Jean-Pierre Grand – Ce n’est pas mon instinct de survie qui me guide (Sourires), mais la simple prudence. Même si la commission l’a corrigé, je regrette que le texte n’ait pas prévu la composition de cette commission indépendante. Je suggère d’y faire siéger les présidents des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, ainsi que des conseillers d’État et des membres du Conseil constitutionnel. Ce serait un signe fort adressé au Parlement.

Enfin – puisqu’il semble que nous en prenions le chemin – que se passera-t-il si la révision constitutionnelle n’est pas votée ?

M. Hervé de Charette – Il y a ici un certain nombre de parlementaires qui ne verseraient pas une larme si tel était le cas, Monsieur Grand… (Rires sur plusieurs bancs)

Puisque nous en arrivons aux articles qui traitent de l’exercice de la fonction parlementaire, j’aimerais vous dire ce que je ressens à ce stade de notre débat. Autant je suis réservé sur les modifications proposées qui touchent à la fonction présidentielle, autant je comprends que l’on veuille revaloriser le Parlement. Je doute cependant de l’efficacité du dispositif, qui finira certainement par être adopté.

M. Jean-Pierre Brard – Avec tous ces béni-oui-oui…

M. Hervé de Charette – Je fais en effet le pari qu’il ne changera pas grand-chose à l’exercice de la fonction parlementaire. Pour que le Parlement français joue enfin tout son rôle, il faut résoudre deux questions qui sont – j’en conviens – désagréables.

Tout d’abord, il y a trop de parlementaires. Quand on pèse 1/577e d’une Assemblée, on n’a pas le sentiment d’avoir un très grand rôle. Les États-Unis élisent moitié moins de parlementaires pour cinq fois plus d’habitants. Cela n’empêche pas la démocratie américaine de faire figure de modèle ! Il faut avoir le courage de traiter ce problème, ne serait-ce qu’en revenant au nombre qui était celui des députés avant que le président Mitterrand en ajoute 100 dans une manipulation avortée destinée à sauvegarder sa majorité parlementaire.

Il faut ensuite s’attaquer au cumul des mandats. Cette question embarrasse évidemment chacun de nous, et le cumul fait partie de notre tradition républicaine. Mais si nous n’avons pas le courage de nous y attaquer, la fonction parlementaire restera affaiblie (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Marc Dolez – Très bien !

M. Jacques Myard – L’amendement 160 vise à supprimer l’article 10, qui suffit à lui seul à justifier le rejet de cette réforme constitutionnelle. La possibilité de retrouver son siège de parlementaire lorsqu’on quitte le Gouvernement est précisément l’un des facteurs qui ruinèrent la Quatrième République. C’est en effet un moyen pour le Gouvernement d’avoir un certain nombre de parlementaires dans sa main, assurés qu’ils seront de pouvoir en toute quiétude retrouver leur banc si les choses tournent mal au Gouvernement. En fait de revaloriser le Parlement, on va aboutir à l’inverse !

Dans un autre domaine, j’observe que le rapporteur a souvent justifié son refus des propositions de l’opposition par le fait qu’elles ne relèveraient pas de la Constitution mais de lois organiques. Dans ce contexte, il est manifeste qu’un alinéa consacré à une commission appelée à donner un avis sur le découpage électoral ne doit pas y figurer non plus.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Président – La parole est à Mme la garde des sceaux, qui souhaite répondre aux orateurs.

M. Jacques Myard – Ah ! J’ai droit à une réponse !

M. Bernard Derosier – Pour une fois, Mme la garde des sceaux parle… (Exclamations et protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Vous êtes déplaisant, et ce n’est pas la première fois…

M. le Président – Pardonnez-moi de vous interrompre, Madame la ministre. Je rappelle à tous mes collègues que nous sommes réunis en qualité de constituants. Voilà qui devrait nous inciter, plus encore qu’à l’habitude peut-être, à la dignité et au respect de l’autre – singulièrement de la garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Qu’une commission indépendante rende un avis public sur un projet de découpage électoral, qu’un parlementaire puisse retrouver son siège au terme de son passage au Gouvernement : je vois là deux avancées démocratiques. Être appelé à faire partie d’un Gouvernement est un honneur pour un parlementaire et, indirectement, pour ceux qui l’ont élu. Il en résulte la suspension temporaire du mandat de parlementaire, et les Français, qui l’ont élu pour cinq ans, ne comprennent pas pourquoi il leur faut voter à nouveau quand ce passage au Gouvernement prend fin – le fort taux d’abstention lors des élections partielles le montre (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP). Voilà qui explique la mesure qui vous est proposée.

Votre proposition, Monsieur Grand, me semble très délicate à mettre en œuvre, car les parlementaires seraient à la fois juges et parties, et la situation ne serait guère plus simple s’agissant des membres du Conseil constitutionnel.

M. Jacques Myard – Il suffit de constitutionnaliser cette disposition !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Enfin, Monsieur Debré, la disposition que nous proposons s’inscrit dans la tradition républicaine.

M. Arnaud Montebourg – L’amendement de notre collègue Myard traduit un problème sérieux. Que penser d’un Gouvernement dont tous les membres, à commencer par le premier ministre, pourraient retrouver leur siège au Parlement sans être retournés devant les électeurs après avoir été congédiés ou avoir démissionné ? On voit bien que s’exercerait une force centrifuge au détriment de la cohésion gouvernementale. S’il est un acquis de la Constitution de la Ve République que la gauche a approuvé dès l’origine, Monsieur Debré, c’est celle que le Gouvernement voudrait supprimer par cet article. Cette régression est surprenante et nous sommes favorables à l’amendement.

M. Patrick Braouezec – La proposition de suppression de l’article est fondée. Puis-je rappeler que sont élus en même temps un parlementaire et son suppléant ? Si un député choisit de devenir ministre, il prend un risque. Comme mon collègue Montebourg, je considère que l’article constitue une régression en ce qu’il porte en germe un risque de déstabilisation. Il faut, sur ce point, en rester à la rédaction actuelle de la Constitution.

M. Jérôme Chartier – Je suis contre l’amendement. Le débat semble opposer les tenants du régime parlementaire et ceux qui sont favorables au régime présidentiel – pourtant l’article conjugue les deux – ce qui est le propre de la Ve République. Dans de très nombreuses démocraties, les ministres sont aussi des parlementaires ; ils cumulent les deux responsabilités et regagnent les bancs de leur assemblée quand ils quittent le gouvernement, sans que s’ensuive pour autant une crise ou une quelconque déstabilisation.

M. Jean-Pierre Grand – À la différence qu’ici, un tel mouvement se produira tous les quarts d’heure !

M. Jérôme Chartier – S’agissant du découpage électoral, soyons honnête : quel sera l’avenir de la carte électorale exigée par le Conseil constitutionnel ? L’honnêteté commande de dire que si nous nous permettons de la définir nous-mêmes, des majorités de circonstances se formeront. Laissons donc une commission ad hoc rendre des avis publics ; c’est de bonne politique, et de bonne Constitution.

L'amendement 160, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. René Dosière – Avec votre autorisation, Monsieur le président, et pour plus de cohérence, je défendrai plus tard l’amendement 200, avec les 287, 433 et 286.

M. Bernard Derosier – Par l’amendement 288, nous proposons donc de supprimer la disposition permettant aux parlementaires nommés au Gouvernement de retrouver leur siège au Parlement lorsque cessent leurs missions gouvernementales. Amendement après amendement, la majorité et le Gouvernement refusent toutes les propositions de l’opposition, et du groupe socialiste en particulier. Alors que le Gouvernement dit sans cesse vouloir renforcer les droits du Parlement, les dispositions avancées vont dans un tout autre sens. M. Estrosi en est l’exemple le plus récent : quand un parlementaire quitte un gouvernement, il repasse devant les électeurs. Pour certains, c’est sans risque, pour d’autres les choses sont plus malaisées. Autant dire que, par cet article, le Gouvernement entend priver les citoyens de la possibilité de porter un jugement sur la politique menée par la personnalité considérée et, plus largement, par ceux qui exercent le pouvoir. C’est un déni de démocratie. Par ailleurs, introduire la notion selon laquelle des parlementaires seraient remplacés « temporairement » pendant qu’ils exercent des responsabilités gouvernementales, c’est contredire l’article 23 de la Constitution, selon lequel « les fonctions de membres du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire ». Il paraît d’autre part pour le moins curieux qu’un parlementaire nommé ministre puisse retrouver son siège automatiquement, aussi long ait été l’exercice de ses responsabilités gouvernementales, alors qu’un parlementaire en mission ne l’est plus s’il n’a pas rendu son rapport six mois après avoir été missionné. Cette politique du « deux poids, deux mesures » est incongrue. Enfin, cette disposition participe incontestablement du souhait de renforcer les pouvoirs du président de la République, qui pourra « faire valser » les ministres à sa guise, puisqu’ils seront recasés d’office. Il y a donc, derrière ces dispositions, une manière détournée de renforcer les pouvoirs du Président de la République qui est parfaitement contradictoire avec l’objectif affiché de revaloriser le Parlement.

M. Bernard Debré – Mon amendement 442 rectifié est identique. Mme la ministre parle d’avancée : c’est un recul ! Quoi de plus normal qu’un ancien ministre aspirant à retrouver son siège de député repasse devant les électeurs ? Et qu’en est-il, dans cette logique, des suppléants, dont les électeurs savent parfaitement qu’ils ont vocation à remplacer le titulaire en cas de besoin ? En 1995, lorsque j’ai cessé d’être ministre, j’ai voulu redevenir député et je me suis fait battre, ce qui n’est pas honteux !

M. Jean-Pierre Brard – À qui le dites-vous ! (Rires)

M. Bernard Debré – La possibilité de redevenir automatiquement député risque de créer de l’instabilité ministérielle…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Mais non !

M. Bernard Debré – On va dire à telle ou telle personnalité : « Viens deux ou trois mois au Gouvernement, et, de toute façon, quoi qu’il arrive, tu retrouveras ton siège au Palais Bourbon ! » (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Quant aux ministres qui seraient tentés de dire quelque chose pouvant déplaire – je ne citerai pas de nom ! –, ils risqueraient fort d’être congédiés sans discussion, sous le bénéfice de l’assurance de redevenir député.

M. Jacques Myard – Très juste !

M. Bernard Debré – Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas cet article.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Eh bien tant pis !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis.

M. Jean Jacques Urvoas – Je crois que c’est Tocqueville qui a dit que l’histoire était une galerie de tableaux où il y avait plus de copies que d’originaux… De fait, la présente disposition a déjà été proposée en juillet 1974 et elle n’a pas abouti. Madame la ministre, vous aimez à répéter que la révision constitutionnelle va enrichir les droits du Parlement : pouvez-vous nous expliquer en quoi le fait qu’un ministre remercié redevienne automatiquement député peut y contribuer ? L’introduction de cette forme bien particulière de golden parachute est-elle vraiment opportune ? Bien entendu, nous voterons ces amendements car nous sommes opposés à cette disposition.

Les amendements 288 et 442 rectifié, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jacques Myard – La IVe n’est pas morte !

M. Patrick Braouezec – Notre amendement 432 vise à préciser le caractère et la composition de la commission indépendante chargée de se prononcer sur les propositions de délimitation des circonscriptions électorales. En effet, la notion de « commission indépendante » nous semble insuffisante. Certes, pour quelqu’un qui n’a pas vécu sans douleur le charcutage de 1986, après que ma ville a été coupée en deux, l’idée de créer une telle instance peut apparaître comme un progrès. Mais l’on met bien des choses sous le terme d’« indépendant » : comme chacun le sait, les médias sont indépendants, et nous avons même eu des Républicains indépendants… (Rires) C’est pourquoi nous souhaitons préciser que la commission indépendante sera aussi pluraliste et comprendra, au minimum, un représentant de chaque groupe parlementaire.

S’agissant du redécoupage, Mme la ministre peut-elle préciser le rôle que joue M. Alain Marleix ? Ses travaux ne risquent-ils pas d’anticiper ceux de la commission que vous proposez de créer ? Enfin, ne faut-il pas craindre que l’actuelle majorité ne soit tentée d’opérer un redécoupage peu susceptible de lui porter préjudice lors des prochains scrutins ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Vuilque – Bonne question !

M. Jean-Christophe Lagarde – Notre amendement 358 est quasiment identique à celui de M. Braouezec. Il vise à ce qu’au sein de la commission indépendante, des membres des groupes politiques régulièrement constitués au Parlement soient représentés proportionnellement à leurs assemblées respectives, en métropole et outre-mer.

La question se pose de savoir si une telle commission mérite d’être constitutionnalisée, eu égard notamment à la conception habituelle de la hiérarchie des normes. Toutefois, s’il est garanti qu’elle sera bien pluraliste, la création d’une telle instance nous semble aller dans le bon sens. C’est pourquoi nous voterons soit l’amendement de M. Braouezec, soit le nôtre, en fonction de la rédaction qui sera considérée comme la meilleure.

M. Patrick Braouezec – Il est tout de même naturel que les parlementaires puissent suivre le travail de la commission !

M. Jean-Christophe Lagarde – Absolument ! Est-il concevable que nous soyons les derniers informés ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La commission est défavorable à ces amendements car il serait tout de même paradoxal de placer une commission dont on veut souligner l’indépendance sous la houlette des groupes parlementaires. Nous défendrons, dans la suite du débat, l’amendement 55, qui précise que la composition de la commission sera fixée dans la loi.

M. Patrick Braouezec – Ce n’est pas une garantie !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Certains se croient autorisés à nous donner des leçons mais je rappelle que c’est le Conseil constitutionnel qui demande qu’il soit procédé à un redécoupage des circonscriptions et que jamais une majorité et un Gouvernement n’avaient proposé, comme nous le faisons, que la démarche soit placée sous le contrôle d’une commission indépendante.

Mme Rachida Dati, garde des sceauxMême avis défavorable. Je rappelle que la commission indépendante sera composée d’experts… (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Patrick Braouezec – Vous nous rassurez ! (Rires)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Quant à l’articulation des responsabilités, elle est extrêmement simple : M. Marleix fera des propositions, sur lesquelles la commission indépendante rendra un avis public, en toute transparence. Bien entendu, les parlementaires auront tout loisir d’amender le dispositif qui leur sera proposé.

M. Jean-Pierre Grand – Allons, ce sera trop tard !

M. Jean Jacques Urvoas – C’est peu dire que les explications de Mme Dati ne nous rassurent pas !

Un député du groupe UMP – Nous non plus !

M. Jean Jacques Urvoas – En 1986, l’existence d’une commission n’a pas empêché M. Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, de procéder à un redécoupage en forme de dentelle de Bigouden… (Sourires) Et je repose la question que nous avons soulevée en commission des lois : de qui ou de quoi sera indépendante cette fameuse commission ?

M. Arnaud Montebourg – De l’opposition, ça, c’est sûr ! (Rires)

M. Jean Jacques Urvoas – Nous ne pouvons nous satisfaire de la seule existence d’une commission ; encore faut-il donner des gages sur son pluralisme et sa représentativité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC).

M. Jérôme Chartier – Ces amendements posent problème car comment les parlementaires membres d’une telle commission échapperaient-ils au soupçon de se favoriser eux-mêmes, via un découpage orienté de leurs propres circonscriptions ? D’accord pour reconnaître qu’il est indispensable de consulter l’ensemble des groupes politiques, mais faut-il aller au-delà ?

M. Jean-Pierre Brard – M. Chartier a tendance à voir nos collègues à sa propre image, ce qui n’est guère flatteur pour nous (Rires sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Jérôme Chartier – Merci, Monsieur Brard ; je vous le revaudrai !

M. Jean-Pierre Brard – « Indépendant », mais de quoi ? De la République, à coup sûr ; de la justice, assurément ; de la morale, certainement ; « indépendant » car arbitraire, mais un arbitraire légalisé ! Nous avons déjà de nombreuses personnalités indépendantes au sein de nos institutions, que l’on appelle même parfois des « sages ». Combien de « sages », au Conseil constitutionnel, sont de gauche, combien de droite ? Et vous voudriez nous faire croire qu’ils sont indépendants ?

« Experts », dites-vous également. Qu’entendez-vous par là ? Je connais de nombreux experts auto-proclamés qui ont décidé tout seuls qu’ils étaient experts dans des disciplines inventées par eux-mêmes.

M. Patrick Roy – Le seul expert, c’est le peuple !

M. Jean-Pierre Brard – Ce terme d’« indépendance » est un détournement sémantique qui cache des intentions perverses ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Je regrette que vous ayez toujours des mots excessifs, Monsieur Brard.

M. Daniel Garrigue – Rappel au Règlement. M. Ollier n’est pas là pour défendre son amendement 15, adopté en commission des lois. Or, un certain nombre d’entre nous n’ont pas voté les amendements de suppression parce qu’ils pensaient que cet amendement viendrait en discussion. Qu’il soit tombé modifie sensiblement notre position face à cet article.

L’article 23 de la Constitution a été adopté en 1958 en vue de renforcer la solidarité gouvernementale, trop souvent mise à mal sous la précédente République, à une époque où les ministres, qui étaient en même temps parlementaires, pouvaient ouvrir une crise au sein du Gouvernement tout en étant sûrs de retrouver leurs sièges. Avec le temps, cette disposition est cependant apparue par certains côtés excessive. Ainsi, ceux qui entrèrent au gouvernement de M. Couve de Murville en 1968 et démissionnèrent avec le général de Gaulle en 1969 durent, pour peu que leurs suppléants refusassent de leur restituer leurs sièges, attendre les élections de 1973 pour pouvoir redevenir députés. De la même manière, après la mort de M. Pompidou, en 1974, les ministres démissionnaires durent attendre 1978 pour se présenter de nouveau.

La proposition du Gouvernement nous paraissait, telle qu’amendée par M. Ollier, parvenir à un bon équilibre entre la nécessaire solidarité gouvernementale et une tout aussi nécessaire souplesse, en posant le principe que les ministres peuvent retrouver leurs sièges dans le cas de démissions collectives, non par suite de décisions individuelles. Je regrette que cet amendement ait été escamoté. Si nous l’avions su, notre vote sur les amendements de suppression aurait été différent.

M. Jean-Pierre Grand – Merci pour cet aveu !

M. le Président – Monsieur Garrigue, lorsque l’auteur d’un amendement dont il est le seul signataire n’est pas présent dans l’hémicycle au moment où son amendement est appelé, la discussion ne peut avoir lieu.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Juste un mot, Monsieur le Président, car je ne souhaite pas être mis en cause. Hier, nous avons discuté d’un amendement sur la limitation du cumul pour les ministres, qui avait été proposé par les membres socialistes de la commission des lois. Ayant reçu un avis favorable de celle-ci, il a été présenté ici-même par « M. Warsmann, rapporteur, au nom de la commission des lois », et l’ensemble des membres du groupe socialiste de la commission. En revanche, l’amendement de M. Ollier n’a pas été déposé en commission des lois – dont M. Ollier n’est pas membre – mais en séance. S’il a effectivement reçu un avis favorable de la commission, il reste un amendement personnel de M. Ollier. À partir du moment où M. Ollier n’est pas là pour le défendre – et je sais que c’est à dessein qu’il n’est pas là (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) –, je n’ai pas le pouvoir de le faire à sa place.

M. Jean-Pierre Grand – C’est du tripatouillage !

Les amendements 432 et 358, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’amendement 55 a été défendu.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis favorable.

M. Jean-Christophe Lagarde – Notre rapporteur nous a indiqué que cet amendement nous rassurerait quant à l’indépendance de ladite commission. Or, le fait de prévoir que la loi fixe, outre les règles d’organisation et le fonctionnement, « la composition » de cette commission ne paraît pas être une garantie, car la loi n’en désignera pas les membres ad hominem, déterminant plutôt les personnalités qui, selon les fonctions qu’elles exercent au sein de la République, sont susceptibles de rejoindre cet organe. Je ne vois pas sur quelle base le Conseil constitutionnel pourrait porter une appréciation sur la constitutionnalité de telles nominations.

L'amendement 55, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’amendement 56 est rédactionnel.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis favorable.

M. Arnaud Montebourg – L’amendement n’est pas strictement rédactionnel, l’exposé des motifs expliquant que le redécoupage pourrait avoir lieu par voie d’ordonnance. Nous avons compris : le redécoupage se fera par délégation au Gouvernement, et le législateur ne pourra en connaître, contrairement à ce qu’affirme M. Chartier. Nous n’avons donc pas plus de garanties sur le redécoupage que sur la commission. Comme le disait hier M. le député Grand, dans une dépêche à l’AFP, le Gouvernement utilise le redécoupage pour faire pression sur les députés de l’UMP à l’occasion de ce texte ! (Protestations sur la plupart des bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur  Je ne peux pas laisser dire cela. Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises qu’il était indispensable de procéder à un redécoupage. Les circonscriptions législatives actuelles reposent sur un recensement de 1982. Tenir compte des évolutions démographiques est un devoir élémentaire de justice électorale vis-à-vis de nos concitoyens.

Ensuite, il est indéniable que le Gouvernement nous propose des avancées : il y aura une commission, extérieure au Gouvernement, qui rendra un avis public. Et l’amendement est bien rédactionnel : dans le texte initial, qui dispose que la commission se prononce sur les « projets et propositions », l’amendement substitue : « projets de texte et propositions de loi », dans un souci de précision, car les projets gouvernementaux peuvent être des projets d’ordonnance.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Il vaudrait mieux écarter la possibilité de recourir par ordonnance !

L'amendement 56, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Les amendements 57 et 58 sont également rédactionnels.

L'amendement 57, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Par conséquent, l’amendement 289 tombe.

L'amendement 58, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 359 est retiré.

M. Arnaud Montebourg – Nous cherchons à savoir ce que recouvre le terme « indépendant », jusque-là absent de la Constitution. Comment le Conseil constitutionnel appréciera-t-il la nature, la fonction et la composition de cette commission ?

Par ailleurs, comment le Gouvernement procèdera-t-il au redécoupage électoral par voie d’ordonnance, quand nous serons invités à déléguer nos compétences sur la base d’un avis donné par une commission prétendument indépendante ? Que le Gouvernement précise ses intentions sur ce point et le mystère s’éclaircira quelque peu.

L’amendement 290 vise à expliciter, dans le corps même de la Constitution, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de cette commission.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Le Gouvernement a simplement repris les termes de 1986, quand l’ordonnance prévoyait une commission indépendante composée de trois juges de la Cour de cassation, trois juges du Conseil d’État et trois juges de la Cour des comptes. La composition de cette commission sera fixée par la loi, le Parlement en sera alors saisi.

Avis défavorable à l’amendement 290. Le Gouvernement est attaqué à mauvais escient, alors qu’il a voulu bien faire en précisant « indépendante ».

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – L’indépendance se mesurera à la technicité des personnes qui composeront cette commission. Votre amendement vise à instaurer une commission qui reflète la composition politique des assemblées, or nous ne souhaitons pas que cette instance soit politique.

M. Jean-Pierre Grand – Cette commission composée de juristes pourra émettre un avis favorable au découpage, dans la mesure où il sera conforme aux jurisprudences du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, mais elle ne pourra émettre d’avis sur l’éventuelle perversité politique. Il serait souhaitable que les présidents de groupes de l'Assemblée nationale y siègent, afin d’apporter un éclairage à 360 degrés.

M. Charles de Courson – Difficile dans un hémicycle !

M. Hervé de Charette – Même si j’approuve cette disposition, je trouve légitime de s’interroger sur l’introduction du terme « indépendant » dans la Constitution. Qui sera le juge de l’indépendance ? Le Conseil constitutionnel. Je souhaite bien du courage aux sages pour déterminer le degré d’indépendance de M. Truc ou de Mme Machin !

L'amendement 290, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Jacques Urvoas – Il nous faut revenir sur la question du cumul des mandats, qui fait les délices et les poisons de la vie politique française. Nous en avons beaucoup parlé hier soir, aussi vous épargnerai-je la longue litanie des sondages. La dernière enquête a montré que 74 % des électeurs étaient hostiles à cette pratique.

Contrairement à une idée reçue, le cumul des mandats n’est pas une tradition française mais une singularité de la Ve République.

M. Jacques Myard – Et Herriot ?

M. Jean Jacques Urvoas – Sous la IIIe République, seuls 35 % des députés étaient concernés, un peu plus sous la IVe. Sous cette législature, seuls 54 parlementaires ne détiennent que leur mandat de député. Ce qui me fait m’interroger : pourquoi le Sénat est-il qualifié de représentant des collectivités territoriales, alors notre Assemblée compte beaucoup plus d’élus locaux (Sourires) ?

Mme Aurélie Filippetti – Très bien !

M. Jean Jacques Urvoas – La France est l’un des rares pays à autoriser le cumul des mandats. En Allemagne, en Grèce, en Italie, le cumul est interdit par la loi.

Un député du groupe UMP – C’est pour cela que les choses s’y passent aussi mal !

M. Jean Jacques Urvoas – Dans les autres pays européens, les interdits, qui tiennent à la culture politique, sont tacites. La suppression du cumul des mandats est l’un des moteurs de la revalorisation du Parlement. C’est pourquoi l’amendement 287 vise à l’inscrire dans la Constitution.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre de la justice – Même avis.

M. Noël Mamère – En 1982, les lois de décentralisation ont accru les pouvoirs des responsables des collectivités locales. Désormais, dans les structures intercommunales, les élus exercent des prérogatives plus importantes que les maires, sans pour autant être soumis à un contrôle démocratique.

Faire appel aux sondages – et l’on sait que la tentation du « tous pourris » est grande pour le sondé – ne suffit pas à légitimer la limitation du cumul des mandats. En finir avec cette pratique permettra simplement d’ouvrir davantage aux Français cette assemblée, qui, pas plus que les autres assemblées délibérantes du pays, ne reflète la diversité sociale et politique. Nous tous ici, exercions des professions privilégiées, véritables niches de la république (Quelques protestations sur les bancs du groupe UMP). En outre, sans l’introduction de la proportionnelle, la limitation du cumul ne saurait procéder que du populisme et de la démagogie (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Chartier – En 1978, Valéry Giscard d’Estaing déclarait que la France ne pourrait supporter quatre niveaux d’administration. Trente ans après, nous en comptons deux de plus. Monsieur Urvoas, il n’y avait, sous la IIIe, pas de régions, encore moins d’intercommunalités et d’Europe. Nous ne parviendrons à limiter le cumul des mandats, question cruciale, que si nous réussissons à supprimer un ou deux niveaux et que nous concentrons la volonté politique (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – La restauration des pouvoirs du Parlement suppose de créer un véritable statut de l’élu et de limiter ou de supprimer le cumul des mandats. L’amendement 433 pose le principe de l’interdiction du cumul du mandat de député avec celui de maire d’une commune de plus de 20 000 habitants ou d’autres fonctions exécutives locales (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

M. Richard Mallié – Auriez-vous dit cela il y a trois mois, Monsieur Brard ? (Sourires)

M. le Président – Je rappelle que M. Brard est un élu de la nation et qu’il s’exprime à ce titre.

M. Jean-Pierre Brard – 85 % des députés cumulent.

M. Jean Leonetti – Sauf lorsqu’ils sont battus (Rires) !

M. Jean-Pierre Brard – Nous ne sommes que 64 à ne pas exercer de mandat local. L’absentéisme en est la première conséquence, même s’il faut remarquer que ce n’est pas nécessairement ceux qui ont le plus de responsabilités qui sont le plus absents !

M. Jean-Christophe Lagarde – Très bien !

M. Jean-Pierre Brard – Cette désertion participe du recul du rôle du Parlement, au même titre que les mécanismes du parlementarisme rationalisé. Autre conséquence, les parlementaires n’ont pas le temps de se consacrer entièrement à leur tâche. Or le Parlement ne pourra exercer des pouvoirs renforcés qu’avec des parlementaires plus disponibles !

Mes collègues me taquinent depuis quelques jours, Monsieur le Président. Aussi ferai-je une dernière mise au point (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Selon le nouveau Larousse encyclopédique, un mandat est une mission que les citoyens chargent certains d’entre eux d’exercer en leur nom. M. Montebourg, M. Copé, M. Mamère, M. de Charette exercent bien leur mandat. Cessez donc d’être injustes avec Mme Voynet qui, depuis l’été dernier, est intervenue six fois au Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et qui donc, ne cumule pas les mandats, puisqu’elle ne les exerce pas : elle cumule les indemnités (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC).

M. le Président – L’article 73 du règlement vous interdit de parler en ces termes.

Sur l’amendement 287, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. René Dosière – Notre amendement 200 limite le cumul des mandats. Celui-ci a en effet des conséquences néfastes. Il encourage les féodalités : le cumulard organise des réseaux et des clientèles. Cela fragilise les partis politiques et notamment le parti socialiste. On l’a vu avec la SFIO, on le voit encore lorsqu’un élu qui se prononce pour un candidat au poste de secrétaire lui apporte plusieurs milliers de voix de sa fédération. Cela empêche le renouvellement du personnel politique.

En second lieu, le cumul suscite l’antiparlementarisme, car il signifie aussi le cumul des indemnités. Nous avons fixé un plafond à une fois et demie l’indemnité parlementaire de base, soit 8 200 euros. Ce plafond est beaucoup trop élevé. À défaut de pouvoir supprimer le cumul des mandats, je proposerai ultérieurement de ne plus cumuler les indemnités, mais de percevoir l’indemnité parlementaire de base. Delenda est cumulatio !

Mme Aurélie Filippetti – Je défends l’amendement 286. Il est regrettable que nous ne puissions avoir un débat approfondi sur cette question, qui intéresse tant nos concitoyens. Il n’est pas besoin de réviser la Constitution pour interdire le cumul des mandats, a dit le président de la commission des lois. Mais le cumul est tellement ancré, enkysté dans les pratiques de la Ve République, qu’il serait bon de saisir l’occasion de la révision constitutionnelle pour y mettre fin. Une réforme des institutions qui n’aborderait pas cette question serait, à mes yeux, nulle. Mais visiblement, malgré la hargne que suscite le souvenir de Mai 68, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour certains il est interdit d’interdire…le cumul des mandats.

Outre les arguments concernant la disponibilité, la confusion entre intérêts locaux et intérêt général, je voudrais insister sur le fait que cette pratique interdit le renouvellement du personnel politique. Or il y a urgence. Le film qui vient de recevoir la palme d’or à Cannes donne une image de la diversité française ; nous ne la retrouvons pas sur ces bancs ou ceux du Sénat. Limiter strictement le cumul des mandats des parlementaires irait dans cette direction. Mais je vous rassure, ces dispositions ne s’appliqueraient qu’à partir de la XIVe législature (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis défavorable.

M. Hervé de Charette – Nous avons eu des débats passionnants depuis le début de cette discussion. Mais force est de reconnaître que lorsque l’on aborde la question du cumul des mandats, le niveau des débats baisse d’un cran. Les propos de M. Brard nous ont distraits, mais ils nous ont éloignés du sujet. Au fond, le sourire est un moyen de masquer les vrais problèmes.

Certes, il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution pour régler ce problème. Mais alors que nous la révisons pour rendre nos institutions plus démocratiques, plus modernes, notre devoir est de considérer qu’il est grave et actuel. Monsieur le Président, nous sommes tous en charge de cette question. Et cela, je le dis aussi au président du groupe UMP dont je voudrais bien connaître le point de vue (Rires sur divers bancs) comme je demande au Gouvernement de reconnaître que la question est d’actualité et de nous dire qu’il nous saisira dans un avenir prochain de propositions concrètes sur le cumul des mandats. Si je n’ai pas de réponse sur cette question, cela modifiera certainement mon attitude à l’égard de la réforme des institutions (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Ce sera la révolution !

M. Jean-Christophe Lagarde – Hier soir, l’Assemblée a estimé que les ministres pouvaient exercer des mandats locaux. Et voici que les parlementaires ne le pourraient pas – ou plus exactement, les députés seulement, si l’on suivait le groupe socialiste. Les sénateurs auraient droit au cumul parce qu’ils représenteraient les collectivités. Mais au Sénat, ils légifèrent. La cohérence serait au moins d’interdire le cumul à tous les législateurs. C’est le débat des fausses barbes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et les bancs du groupe UMP)

L’amendement socialiste interdit ce cumul avec toute fonction élective locale. Il y a sûrement une ardente demande dans la population pour interdire à un député d’être conseiller municipal, charge si lourde à supporter. On sombre dans le ridicule quand on veut aussi couvrir les syndicats intercommunaux. Or il y en a de très nombreux, à vocation parfois très limitée, comme la gestion d’un bâtiment. Mais y consacrer une ou deux heures de travail par semaine interdirait d’exercer son mandat parlementaire !

Enfin, ceux qui présentent l’amendement sont évidement ceux qui ne cumulent pas, même si certains étaient candidats aux cantonales il y a quelques semaines. Leur élection n’aurait pas manqué de provoquer des législatives partielles puisque, je n’en doute pas, Madame Filipetti, ils auraient mis leurs actes en accord avec leurs convictions.

Hypocrisie suprême, ces dispositions ne s’appliqueraient qu’à partir de la XIVe législature. Mais pourquoi donc ? Il va y avoir des élections régionales et cantonales. C’est dès ces élections qu’il faudrait les appliquer. Je crains donc bien qu’il n’y ait là qu’un amendement de façade (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

À la majorité de 151 voix contre 64 sur 217 votants et 215 suffrages exprimés, l’amendement 287 n’est pas adopté.

Les amendements 433, 200 et 286, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 10, modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 10

M. François de Rugy – Cette réforme viserait à revaloriser le rôle du Parlement. Nous ne sommes pas convaincus que, dans la version actuelle, ce soit un bien grand progrès. Mais pour aller dans ce sens, il faudrait évoquer la question sensible de l’absentéisme des élus. C’est l’objet de notre amendement 342.

M. Michel Bouvard – Ce n’est pas de niveau constitutionnel.

M. François de Rugy – Cela nourrit l’antiparlementarisme. Plusieurs membres de la commission Balladur avaient évoqué la possibilité de sanctionner les parlementaires très régulièrement absents et qui, pour reprendre le terme de M. Brard, n’exerceraient pas leur mandat. Au passage, s’il espère que Mme Voynet n’exerce pas son mandat de maire de Montreuil, il apprendra sans doute à ses dépens qu’elle l’exercera pleinement.

Nous proposons donc de recourir à des sanctions dissuasives, en appréciant l’assiduité des députés selon deux critères incontestables : la participation aux scrutins publics et aux réunions des commissions. Il est légitime d’inscrire ces dispositions dans la Constitution…

M. Michel Bouvard – Non !

M. François de Rugy – Peut-être auraient-elles été davantage appliquées si on ne les avait pas cantonnées au Règlement !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable. Il n’est pas utile d’inscrire dans la Constitution ces dispositions qui pourront être débattues une fois la réforme constitutionnelle adoptée. J’invite donc M. de Rugy à voter la réforme, pour ouvrir ce débat !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Même avis. Le président de l’Assemblée a annoncé son intention de modifier l’article 162, alinéa 3, du Règlement de l'Assemblée, relatif aux sanctions encourues par les députés absentéistes, après la révision constitutionnelle. En tout état de cause, cela ne relève pas de la Constitution.

L'amendement 342, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Claude Sandrier – L’amendement 431 vise à permettre au seul Parlement de décider de la convocation d’une session extraordinaire, après avis favorable de la majorité qualifiée des membres de l'Assemblée nationale.

Aux termes de l’article 29 de notre Constitution – « le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l'Assemblée nationale » –, cette initiative est en théorie partagée entre le Premier ministre et la majorité absolue des députés.

Mais la pratique des institutions est tout autre : depuis 1958, une seule session extraordinaire a été réunie du fait des députés, en mars 1979. En outre, le pouvoir de réunir une session extraordinaire a été retiré au Gouvernement au profit du Président de la République : en 1987, le président Mitterrand, afin d’empêcher la convocation d’une session extraordinaire consacrée à un projet de loi modifiant le statut de la régie Renault, a indiqué que « le Gouvernement ne peut décider de convoquer une session extraordinaire ni en fixer l’ordre du jour ». Depuis lors, nul n’a contesté cette interprétation. Ainsi le pouvoir présidentiel empiète-t-il désormais sur les compétences conjointes du Gouvernement et du Parlement.

En outre, les sessions extraordinaires ne servent souvent qu’à débattre de mesures impopulaires ou à préparer des « mauvais coups » à la faveur de la période estivale. Nous proposons au contraire que la majorité qualifiée des députés approuve l’ordre du jour de la session extraordinaire que le Parlement décidera – sur proposition du Premier ministre le cas échéant – de convoquer.

L'amendement 431, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’amendement 59, déposé par M. Mamère, a été adopté par la commission. Il vise à inscrire dans la Constitution l’ouverture au public des auditions des commissions, sauf si celles-ci en décident autrement.

M. Noël Mamère – Merci, Monsieur le rapporteur, d’avoir repris cet amendement. Afin de rendre nos travaux plus transparents et d’en faciliter l’accès à nos concitoyens et à la presse, l’amendement 339 identique pose le principe de la publicité des auditions en commission, sauf exception laissée à l’appréciation de celle-ci.

M. Charles de Courson – Le sous-amendement 580 propose d’étendre cette publicité à l’examen des projets et propositions de loi en commission, sauf décision contraire, car il est regrettable que l’opinion publique n’y ait pas accès ; en outre, l’expérience – ponctuelle – a montré que la qualité des travaux en était grandement améliorée. Du reste, cette transparence a cours dans de nombreux Parlements.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Avis favorable aux amendements 59 et 339, car la publicité des débats en commission est une bonne chose, mais défavorable au sous-amendement 580, car elle ne saurait être systématique.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Même avis.

M. Jérôme Chartier – Le groupe UMP votera l’amendement de la commission, car il est bienvenu d’inscrire cette pratique, de plus en plus répandue, dans la Constitution ; en revanche, le sous-amendement risque d’exposer les parlementaires à la pression du public.

M. Christophe Caresche – Mais nos débats en séance sont bien publics !

M. Jérôme Chartier – La discussion du texte en séance diffère de l’examen en commission, qui ne saurait donc être public, sauf si la commission en décide autrement.

Le sous-amendement 580, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les amendements 59 et 339, mis aux voix, sont adoptés.

M. Bertrand Pancher – L’amendement 261 rejoint le sous-amendement de M. de Courson : parce que l’opinion publique doit être mieux informée des mécanismes auxquels obéissent nos décisions, et dès lors que le texte débattu en séance sera désormais celui de la commission, il faut rendre public l’examen des projets et propositions de loi par la commission qui en est saisie en application de l’article 43 de notre Règlement.

La transparence l’exige. Du reste, il n’est pas rare que des fuites révèlent le contenu de ces travaux.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Je souhaite que l’amendement soit retiré, sans quoi j’émettrai un avis défavorable. Je l’ai dit, l’ouverture des travaux des commissions au public ne saurait être systématique : dans certains cas, il faut pouvoir débattre à huis clos.

M. Bertrand Pancher – Je maintiens mon amendement, à regret, Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Christophe Caresche – J’avoue ne pas comprendre le point de vue du Gouvernement et de la majorité. Dès lors que l’on revalorise le travail des commissions en décidant de débattre en séance du texte de la commission et en simplifiant les procédures d’examen, il est logique d’étendre aux travaux des commissions le caractère public de la séance. Ce principe admettant des exceptions, la commission pourra se réunir à huis clos lorsque la nature du débat le justifiera.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Monsieur Caresche, le fait que nous examinions en séance publique le texte des commissions obligera naturellement à réformer leurs règles de fonctionnement, et un groupe pluraliste de députés chargé de modifier notre Règlement y travaillera après la révision constitutionnelle. Mais cette modification n’a pas sa place dans la Constitution.

M. Noël Mamère – Pourquoi n’y aurait-elle pas sa place au même titre que les dispositions de l’amendement 59, que nous venons d’adopter ? En outre, puisque cette réforme vise à adapter nos institutions à un monde nouveau, pourquoi ne pas tenir compte du fait que la chaîne parlementaire retransmet de plus en plus les travaux des commissions ?

Comme le sous-amendement de M. Lagarde, l’amendement de M. Pancher va donc dans le bon sens, celui de l’ouverture de notre Assemblée.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Nous sommes là dans les modalités d’organisation interne de l’Assemblée. Je vous mets en garde : le Conseil constitutionnel ne manquera pas d’interpréter ces dispositions pour annuler un certain nombre de textes. La sagesse est donc d’en rester là (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

L'amendement 261, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE 11

M. Paul Giacobbi – Cet article nous propose une de ces révolutions législatives qui font date dans l’histoire. Il s’agit de remplacer la phrase « des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État » par cette fascinante innovation : « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État. » L’exégèse de la différence entre programme et programmation dépasse mes capacités analytiques. Les lois normatives – les vraies lois, celles qui créent des droits ou des obligations – encombrent déjà notre ordre du jour et les colonnes du Journal officiel. Depuis quelques années, nous chargeons en outre la barque de tout un fatras de lois déclaratives ou incantatoires, sans parler de ces lois malencontreuses qui prétendent refaire l’histoire…

Les lois de programme existent depuis 1958. Mais alors même qu’elles sont destinées à encadrer l’action de l’État à moyen terme, elles sont généralement oubliées dès leur promulgation, dans une amnésie fulgurante qui frappe conjointement le législateur et l’exécutif…

M. François Goulard – Ce n’est pas faux.

M. Paul Giacobbi – Je sais bien qu’un principe fondamental de notre droit – qui pourrait ainsi s’exprimer « cela ne mange pas de pain, inutile d’en faire un fromage » – devrait nous rendre plus complaisants envers ce droit à l’état gazeux. Je vois cependant plusieurs inconvénients – pour ne pas dire perversions – à ce genre de lois. L’idée d’exprimer par une loi, acte voté par le législateur, les intentions de l’exécutif me semble relever d’une certaine confusion… S’il s’agit pour l’exécutif de prendre un engagement politique, il peut le faire par une déclaration solennelle, un Livre blanc ou un discours programme. S’il s’agit de souscrire des engagements juridiques, il doit donner à ces lois une force obligatoire qui lui soit opposable.

Les mots « programme » ou « programmation » ne sont pas dénués d’ambiguïté : notre vocabulaire financier les emploie avec une signification contraignante, notamment lorsqu’il est question d’autorisations de programme. Une loi de programme ou de programmation évoque ainsi un véritable engagement pluriannuel à caractère financier. Nous savons tous ce qu’il en advient – je pense aux lois de programmation pour la défense ou au fameux programme exceptionnel d’investissement pour la Corse, qui ne permettra qu’une modeste augmentation de nos investissements publics, tandis que son exécution devrait prendre un bon siècle…

De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les lois incantatoires ou déclaratives dévalorisent la loi. Nous peinons déjà à appliquer la loi – une bonne partie des lois que nous votons modifient des dispositions promulguées depuis moins de deux ans ! Si nous multiplions ces lois sans portée juridique, c’est le concept même de loi qui se délitera.

L’idée même de programmation date terriblement. Elle évoque irrésistiblement les fameux PPBS – Planning programming budgeting systems – par lesquels le talentueux Robert Mc Namara avait chiffré à quelques dollars près l’inéluctable victoire que les États-Unis devaient remporter au Vietnam…

Il ne serait pourtant pas inutile que la loi fixe pour plusieurs années des normes d’évolution de caractéristiques financières – prélèvements obligatoires, dépense publique – ou d’objectifs quantifiés. Il convient cependant d’être prudent. Quoi qu’il en soit, si nous voulons encadrer l’action de l’État par des normes législatives, qu’elles soient au moins obligatoires ! Je me demande d’ailleurs s’il est vraiment réaliste de fixer de telles normes à un pays incapable de respecter celles qui lui sont imposées par Bruxelles et qu’un avertissement sans frais vient de nous rappeler…

M. le Président – Je vous rappelle qu’une intervention dense est toujours plus percutante qu’une intervention plus longue…

M. Charles de Courson – Pourquoi faut-il instaurer la règle d'or qui consiste à interdire de s'endetter pour financer, dans un cadre pluriannuel, des dépenses de fonctionnement ?

La première raison est économique et sociale : s'endetter pour financer des dépenses de fonctionnement, c'est ponctionner l'épargne nationale pour financer des dépenses non créatrices de richesse. C’est donc accepter un ralentissement de notre croissance, autrement dit un niveau de vie plus bas et un niveau de chômage plus élevé pour les générations futures. Or ce sont les couches sociales les plus fragiles qui connaissent les taux de chômage les plus élevés. Accepter des déficits de fonctionnement récurrents, c'est donc encourager l’aggravation des inégalités sociales.

La deuxième raison, c'est que nous devons respecter les engagements politiques pris par notre peuple lors de la ratification du Traité de Maastricht. Le respect du Pacte de stabilité révisé implique le retour à l'équilibre de nos finances publiques. C'est d'ailleurs ce que la Commission européenne va nous rappeler dès demain.

La troisième raison, c’est que la majorité présidentielle s'est engagée à introduire cette disposition dans un texte de nature constitutionnelle. Cet engagement a d'ailleurs été pris dans le cadre des négociations entre le groupe Nouveau Centre et le futur Président de la République. Suite à la proposition de loi constitutionnelle que nous avons défendue en janvier, le Gouvernement a accepté qu’un groupe de travail pluraliste travaille sur l’idée de la règle d’or – d’où les trois amendements que nous examinerons tout à l’heure.

Le Président de la République s'est engagé auprès de l’Union européenne à parvenir au plus tard en 2012 à l'équilibre total de nos finances publiques, position plus dure que celle de notre groupe.

L’instauration de la règle d’or obéit enfin à un impératif éthique. Voulez-vous que nos enfants et petits-enfants nous disent, paraphrasant le titre d'un roman célèbre « j'irai cracher sur vos tombes » ou encore « je ne paierai pas vos dettes » ? À la différence du droit des successions, qui permet à un héritier de refuser la succession de ses parents, nos enfants et nos petits-enfants seront condamnés à payer nos dettes, à moins de s'expatrier.

Face à cela, les arguments contre l’instauration de la règle d’or ne pèsent pas lourd. L'argument selon lequel elle empêcherait le jeu des stabilisateurs automatiques est erroné. D'une part, l'équilibre doit s'apprécier dans un cadre pluriannuel, et d'autre part, l'objectif est de parvenir à l'équilibre de fonctionnement sur un cycle économique. On peut ainsi imaginer un fonds conjoncturel qui capitalise les excédents en haut de cycle et les restitue en bas de cycle.

L’argument selon lequel la règle d'or s’appliquerait au détriment des dépenses d'investissement ne tient pas davantage, car il s'agit de l'équilibre de fonctionnement. De plus, dans les collectivités locales, où elle s’applique dans un cadre annuel, la règle d’or n'a pas défavorisé les dépenses d'investissement. Alors que l'État réduisait ses dépenses d'investissement, qui ne représentent plus que 5 à 6 % de ses dépenses brutes – 20 milliards sur 370 de dépenses brutes – les dépenses d'investissement des collectivités locales dépassent 22 % de leurs dépenses – 44 milliards sur un total de 200. D'autres prétendent que la notion d'investissement peut prêter à manipulation comptable. C'est exact, mais dans cette hypothèse, la Cour des comptes veillera au respect de la norme comptable d'investissement.

Un dernier argument contre la règle d'or réside dans le coût politique de son respect. Oui, l'assainissement des finances sociales et de celles de l’État exige un effort considérable. Mais ceux qui croient que l'on peut le différer trompent les Français : nos finances publiques sont au fond du gouffre ! La dette sociale atteint 109 milliards. Elle est telle que dès 2011, le produit de la CRDS ne suffira plus à couvrir ses intérêts.

Faut-il constitutionnaliser la règle d’or ? Je répondrai que nous l’avons bien fait pour le développement durable, or la règle d’or assure le développement durable de nos services publics et de notre système de protection sociale !

M. le Président – La règle d’or, c’est le respect du temps de parole !

M. Charles de Courson – Se donner des règles de bonne gouvernance dans la Constitution réhabilitera le débat politique en lui redonnant une crédibilité qu’il a perdue. Voilà pourquoi il faut voter les amendements instaurant la règle d’or ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Gilles Carrez – Jusqu’à présent, notre Constitution ne prévoyait que des lois de programme sectorielles. Paradoxalement, on peut prévoir sur cinq ans les dépenses à l’euro près dans le domaine militaire, mais pas l’évolution de nos dépenses et de nos recettes sur une base pluriannuelle !

À la suite du travail que nous avons conduit avec le groupe Nouveau centre et le ministre du budget, nous vous proposons d’autoriser des lois de programmation pluriannuelles de nos finances publiques, et ce faisant d’inscrire l’objectif du retour à l’équilibre dans ce cadre pluriannuel.

Pourquoi l’inscrire dans la Constitution ? Tout simplement parce que nous sommes au cœur de la notion de développement durable. Une génération ne doit pas léguer un fardeau de dette insupportable à celles qui la suivront (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP). Or la génération qui a eu vingt ans en 1968 va léguer à ses enfants une dette publique trois fois supérieure à celle qu’elle avait héritée de ses parents ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Certains diront que l’amendement que nous proposons n’est guère contraignant. Mais les règles de bonne gouvernance permettent de modifier petit à petit nos comportements. Ainsi, la LOLF a induit des règles des comportements vertueux ; avec la règle d’affectation des surplus, le Gouvernement est obligé de dire dans la loi de finances ce qu’il fera d’un éventuel surplus.

Une telle règle eût-elle existé en 1999 que jamais le débat sur « la cagnotte » n’aurait eu lieu : les rentrées fiscales auraient été affectées à la résorption de la dette sans barguigner. C’est donc un facteur de bonne gouvernance.

La troisième critique qui nous est faite est que la disposition ne s’appliquerait pas à nous mais à nos successeurs. Il n’en est rien. Si l’amendement est adopté, nous devrons, dès l’automne, examiner une loi de programmation pluriannuelle avant le projet de loi de finances pour 2009, puis baliser, année après année, la trajectoire de nos comptes pour parvenir à l’équilibre en 2012.

Un mot, pour finir, sur les comptes sociaux, dont la dette cumulée est déjà de trente-cinq milliards. Nous n’avons pas le droit de continuer à nous accommoder de déficits. Je rappelle que, de 1946 à 1993, les comptes sociaux étaient équilibrés et que nous n’avons pris la détestable habitude d’un déficit structurel que depuis quinze ans. Cela doit cesser, car nous ne pouvons laisser à nos enfants et petits-enfants la charge de payer nos frais de santé en plus des leurs.

M. Didier Migaud – M. le rapporteur général serait-il membre de l’opposition ? Il parle d’or, si bien qu’à l’entendre une seule question se pose : pourquoi, alors, la majorité accepte-t-elle de voter des dispositions qui conduisent immanquablement à dégrader l’équilibre de nos comptes ? Il y a loin de la théorie à la pratique ! Contrairement à M. Giaccobbi, je pense utiles la pluriannualité des comptes et les lois de programmation, particulièrement pour les finances publiques. Pour autant, je ne serais pas favorable à constitutionnaliser la « règle d’or » car je considère que ces choses ne doivent pas se régler ainsi ; du reste, bien que la constitution allemande contienne une disposition de ce type, l’Allemagne a connu des déficits publics. Ces choses doivent se traiter par des choix politiques ; le déficit n’est d’ailleurs pas une fatalité, le Gouvernement Jospin l’a montré (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. François Goulard et M. Pierre Lellouche – Il faut oser !

M. Didier Migaud – Si la « règle d’or » n’est pas constitutionnalisée, nous parviendrons à un bon compromis. D’ailleurs, même si elle ne le respecte pas, l’objectif visé s’impose déjà à la France, membre de l’espace économique européen, en des termes si stricts que la rédaction qui nous est proposée est encore en deçà…

Il est bien que le Parlement examine les propositions pluriannuelles présentées par le Gouvernement à la Commission européenne et les vote – ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous voterons donc les amendements qui contribuent à la transparence et à la pédagogie (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Bur – Notre pays s’est accoutumé au déficit de ses comptes sociaux. J’ai pu le constater pour avoir suivi l’examen du PLFSS tous les ans depuis 1996, année de sa création : jamais l’équilibre, pourtant inscrit dans l’article 34 de la Constitution, n’a été atteint. Avec un déficit cumulé de 35 milliards, cette situation n’est tenable ni sur le plan financier car elle met en péril la survie de notre système de solidarité, ni sur le plan moral tant sera fort l’impact de cette dette sur les générations futures – on l’estime couramment à 3,2 % du PIB en 2050. Voilà qui devrait nous inciter à la vertu, et c’est pourquoi je souhaite voir inscrire dans notre Constitution l’ardente obligation de l’équilibre des comptes publics. L’idéal serait évidemment de pouvoir inscrire une obligation annuelle, mais le réalisme conduit à proposer d’inscrire l’obligation d’équilibre dans une perspective pluriannuelle. Seule l’exigence constitutionnelle permettra d’en finir avec la facilité – on l’a vu pour la Cades après qu’a été acquis le principe selon lequel tout nouveau transfert de dette vers cette caisse doit être compensé par des ressources permettant de ne pas allonger la durée d'amortissement de la dette. Tendre à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, c’est préserver la solidarité nationale (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. François de Rugy – La première rédaction de l’article est anodine, mais le débat donne à penser que l’on s’apprête, par le biais de l’amendement de Courson, à entériner un cavalier législatif d’importance (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). N’avons-nous pas appris par la presse qu’à l’occasion du congrès constitutif du Nouveau Centre – qui souhaite, nous dit-on, changer de nom, à juste titre selon nous, car nous n’avons jamais compris ce que ce « Centre » avait de « nouveau » (Mêmes mouvements) ses instances dirigeantes ont demandé à l’UMP de soutenir leurs amendements relatifs à la « règle d’or » ?

Nous considérons quant à nous qu’introduire dans la Constitution l’obligation d’équilibre budgétaire pose des problèmes de fond et de forme. Sur le fond, il s’agit de savoir le rôle que l’on assigne à la Constitution : veut-on organiser les pouvoirs en France, ou veut-on en faire le vecteur d’une orientation politique ? Que l’on se souvienne donc du fiasco du projet de traité constitutionnel, qui tendait à confondre les deux… Je le dis d’autant plus librement que j’avais voté « oui » !

Sur la forme, sans mettre en doute la sincérité, que je crois réelle, du rapporteur général et de M. de Courson dans leur combat pour l’équilibre des comptes, je m’étonne de leur manque de cohérence. Comment peut-on dire ce que l’on a entendu et proposer ce que l’on s’apprête à proposer après avoir voté un budget déficitaire à un niveau inédit ? Qu’explique M. de Courson, dans Le Monde, aujourd’hui même ? Que « Ie retour à l'équilibre des finances publiques n'est pas très compliqué à assurer, à condition de s'en tenir à quelques grands principes. Le premier, c'est de ne pas toucher aux recettes, donc de maintenir la pression fiscale et de renoncer à toute réduction importante des impôts ou des cotisations sociales ». Comment concilier de telles affirmations et le vote de cadeaux fiscaux qui aggravent le déficit ?

Sur un autre plan, le Conseil constitutionnel va-t-il devenir le juge ultime de l’équilibre budgétaire ? Je ne reviendrai pas sur le mode de nomination des membres du Conseil, sinon pour dire qu’il me semble très dangereux d’envisager laisser à ces conseillers qui ne sont pas élus décider qu’une loi de finances qui leur serait déférée ne serait pas constitutionnelle au motif que l’équilibre budgétaire n’est pas atteint. Je suis fondamentalement opposé à une telle mesure. Enfin, invoquer le développement durable pour justifier tout cela est de la dernière hypocrisie (Protestations sur les bancs du groupe NC).

M. Jean-Pierre Grand – Nous sommes 577 députés qui s’émeuvent du déséquilibre budgétaire et qui pensent que des lois de programmations pluriannuelles seraient une bonne chose. Mais à supposer que l’amendement de la commission soit adopté et que le Conseil constitutionnel constate qu’une loi de finances présente un déséquilibre, que fera-t-il ? Rien, et nous serons Gros-Jean comme devant. Tout au plus, les lois de règlement pourront être « éventuellement » sanctionnées ! En bref, cet article a été ajouté pour complaire à quelques collègues… (Exclamations sur bancs du groupe NC)

M. François Sauvadet – Quel manque de considération !

M. Jean-Pierre Grand – …et s’assurer leur vote mais cela ne va pas plus loin.

M. le Président – La parole est à M. Mariton.

M. Manuel Valls – Ah, voilà le libéral libéral ! (Sourires)

M. Hervé Mariton – Je souhaiterais que M. Grand ait tort mais je n’en suis pas tout à fait sûr ! Dans le débat sur la règle d’or, je suis en quête de contenu. L’amendement initial, défendu notamment par M. de Courson, retenait une approche stricte de la notion, destinée à déboucher sur une définition contraignante mais solide de ce qu’est un budget de fonctionnement en équilibre. Sans doute appelait-il cependant des critiques, au regard notamment des expériences étrangères. Le Royaume-Uni applique la règle d’or, mais cela ne va pas sans poser problème, notamment lorsqu’il s’agit de distinguer le fonctionnement de l’investissement. Grâce à leur pragmatisme foncier, nos amis britanniques parviennent cependant à surmonter l’obstacle. Mais il y a aussi le problème de la définition de la période à partir du cycle économique ; attention à la tentation de dire : « Je serai vertueux… mais après-demain ! », car, ici et maintenant, le cycle économique ne permet pas que je le sois.

Avec la règle d’or, nous avons un dispositif clair, cohérent et intelligent, qui peut reposer sur une doctrine fixe, enrichie des expériences étrangères. Je ne suis pas hostile à l’amendement à partir duquel un accord semble possible, mais je considère que l’amendement initial était meilleur.

Dans les lois de programmation, l’impératif d’être à l’équilibre peut être contraignant ou simplement déclamatoire. Comme M. de Rugy, je veux croire que nous ne serons pas simplement dans le déclamatoire. Jusqu’à présent, les lois de programme se bornaient à décliner une prévision. Désormais, les lois de programmation – en particulier celles relatives à l’équilibre des finances publiques – auront une réelle valeur juridique. J’en déduis donc que, demain, le Conseil constitutionnel pourra censurer une loi de finances qui s’écarterait par trop de l’équilibre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe NC)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique – Ce débat est d’autant plus intéressant que nous avons déjà travaillé de manière très approfondie sur ces questions. À la suite du dépôt d’une proposition de loi sur la règle d’or par le Nouveau Centre, en janvier dernier, nous avons réuni un groupe de travail pluridisciplinaire, auquel ont notamment participé votre rapporteur général et le président de votre commission des finances. Il en ressort que la règle d’or, dans toute sa rigueur, serait un merveilleuse intention… absolument impraticable ! Les expériences étrangères sont à cet égard édifiantes. Selon le cycle économique, les Gouvernements doivent pouvoir conserver la liberté d’agir sur les différents leviers de la politique économique et budgétaire. À quoi serviraient des responsables politiques privés de toute marge de manœuvre ? Et puis, quelle serait la sanction ? L’inscription dans la norme suprême d’une règle absolue et inusitée n’est pas la bonne solution.

Pour autant, la recherche de l’équilibre des finances publiques est pour nous un impératif, que nous poursuivons avec beaucoup de constance. À ce titre, nous souhaitons que l’équilibre des finances publiques devienne un principe constitutionnel et que l’intégralité des dépenses publiques soit visée dans l’approche pluriannuelle. Cela nous permettra de débattre de façon plus organisée que dans les simples débats d’orientation budgétaire tels qu’ils existent aujourd’hui, avec une vision à trois ou cinq ans et un seul objectif : l’équilibre des comptes.

Bien entendu, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale entreront dans le champ des lois de programmation et il est donc inutile de les distinguer. Je souhaite vous convaincre que nous disposerons désormais d’un cadre prévisionnel clair et utilisable, à même de nous procurer une meilleure maîtrise de l’ensemble du système (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Lellouche – Bravo !

M. Claude Goasguen – J’avais cru comprendre que l’intention initiale de la réforme était de renforcer les pouvoirs du Parlement. À cet égard, la lecture de l’article 11 du projet de loi constitutionnelle est loin d’être convaincante ! Je reviendrai ultérieurement sur la question de la non-rétroactivité des lois.

À bien observer les expériences étrangères, l’on constate que la règle d’or n’est applicable aux finances publiques que dans les régimes parlementaires où la Cour suprême joue le rôle de couperet.

Aucun des trois amendements qui nous sont proposés ne me satisfait. Sans doute y a-t-il eu des discussions…

M. Jean-Pierre Brard – Quelle perspicacité !

M. Claude Goasguen – Mais il ne faut pas dessaisir le Parlement de certaines de ses prérogatives essentielles. À qui, par exemple, va-t-on confier le soin d’apprécier l’équilibre d’une situation ? Les parlementaires vont-ils laisser une telle responsabilité au Conseil constitutionnel ?

Plusieurs députés des groupes SRC et GDR – Il a raison !

M. Claude Goasguen – Si votre intention n’est pas d’affaiblir le Parlement, vous tapez juste là où il ne fallait pas !

M. Marc Dolez – Absolument !

M. Claude Goasguen – Le Parlement ne doit pas se priver de son pouvoir financier et, bien entendu, je ne voterai aucune disposition allant dans ce sens.

M. Jean-Pierre Brard – La révolte gronde ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Claude Goasguen – S’agissant de la non-rétroactivité des lois, aucun avocat ne saurait accepter l’atteinte insupportable qui est envisagée. Songez que ce principe fonde notre droit depuis 1789 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) En résumé, n’ouvrons pas la voie qui peut conduire le Parlement à se priver de certaines de ses principales prérogatives.

M. Marcel Rogemont – Très bien !

M. Daniel Garrigue – L’idée d’inscrire l’équilibre des finances publiques dans la Constitution m’inspire certaines réserves. Je rappelle qu’au sens strict, la Constitution fixe l’organisation des pouvoirs publics. Le Parlement disposera-t-il encore de réels pouvoirs si son action est encadrée par de nouveaux principes de valeur constitutionnelle qui ont directement à voir avec le fond des politiques menées ? À cet égard, je souscris à l’analyse du président Migaud : en adhérant au Pacte de stabilité, la France s’est déjà créée une contrainte, sans doute justifiée. Faut-il la doubler par un nouveau principe constitutionnel ?

J’y vois deux dangers. D’abord, il est toujours dangereux de prévoir des règles identiques pour des dispositifs différents. Nous risquons de limiter, dans l’avenir, notre capacité de négociation vis-à-vis de nos partenaires européens. Ensuite, il y a le risque cyclique dont a parlé le Gouvernement. Nous ne sommes pas à l’abri de situations extraordinaires, guerres ou catastrophes naturelles, qui nous obligeraient à nous affranchir des règles d’équilibre budgétaire.

Enfin, le Conseil constitutionnel a multiplié, dans sa jurisprudence, les réserves d’interprétation. Nous risquons de le voir invoquer de telles réserves sur les lois de finances qui lui seront soumises, et cela représente un danger pour la liberté d’initiative du Parlement.

M. Michel Bouvard – C’est bien à tort que nos collègues dressent ce sombre tableau d’un gouvernement des juges attaquant les prérogatives budgétaires du Parlement, car graver dans le marbre de la Constitution la règle d’or, inscrire de cette manière, au sommet de notre pacte républicain, notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, me paraît tout ce qu’il y a de plus naturel.

La démarche pluriannuelle en matière de finances publiques régit déjà le pacte de stabilité et, en 1999, nous discutions de savoir s’il convenait de l’inscrire dans la loi organique relative aux lois de finances. Il s’agit de porter aujourd’hui la pluriannualité dans notre Constitution. Nous savons que nous vivons selon des cycles économiques, et que la méthode consistant à tout dépenser durant les années de vaches grasses est mauvaise.

M. Maurice Leroy – Il a raison !

M. Michel Bouvard – Quant au Conseil constitutionnel, il rappellera la règle, et ceci ne peut être qu’une force pour le Parlement. Cette démarche me paraît non seulement souhaitable, mais nécessaire, car, outre le fait que nous avons souscrit des obligations au plan européen, nous avons également des obligations morales vis-à-vis des générations futures (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Jean-Claude Sandrier – Comme cela a déjà été dit, nous sommes déjà assujettis à des règles extrêmement contraignantes – trop contraignantes –, qui pèsent sur notre développement économique, les investissements et le progrès social. Inutile d’en rajouter ! On cherche pourtant à imposer aujourd’hui une règle intangible. Lorsque le pays aurait besoin d’initiatives gouvernementales, en cas de fort ralentissement économique, le Gouvernement se retrouverait ainsi pieds et poings liés. On étudierait Keynes dans les écoles, en montrant quel brillant économiste il était, tout en ajoutant que ses préconisations sont inconstitutionnelles en France.

À l’instar de la Cour des comptes, qui l’écrit dans son dernier rapport, je pense que la dette n’est pas une maladie…

M. Michel Bouvard – La Cour considère que la dette est une maladie si elle finance des dépenses de fonctionnement !

M. Jean-Claude Sandrier – … « Il faut se poser la question de ce que l’on fait de l’argent. Est-ce que c’est de l’argent qui sert à de l’investissement, à de la recherche, aux capacités humaines ? Est-ce que c’est de l’argent qui crée de la richesse ou qui en détruit ? »

M. Michel Bouvard – Elle a bien dit cela, mais vous imputez un sens contraire à ses propos !

M. Jean-Claude Sandrier – Le problème de la dette est un problème de choix politiques, et je l’illustrerai par deux chiffres : 450 milliards, tout d’abord ; c’est près de la moitié de la dette de la France et ce sont les cadeaux fiscaux et exonérations de charges que vous avez consenties, en dix ans, aux entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). L’exonération des cotisations sociales remboursées par l’État à la sécurité sociale, ensuite, c’est 70 % du déficit budgétaire. C’est vous qui avez fait ces choix !

M. Claude Goasguen – Vous oubliez les 15 milliards pour les 35 heures !

M. Arnaud Montebourg – Je crois qu’il faut être clair pour ceux qui liront les comptes rendus de nos débats. Il y a eu tout d’abord un amendement de M. de Courson, qui a été retiré au profit d’un second, adopté par la commission et disposant que « les lois de programmation définissent des orientations, lesquelles s’inscrivent dans un objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Il ne s’agit donc pas de l’inscription de la règle d’or dans la Constitution, ce qui serait un corset insupportable enserrant la souveraineté du Parlement et conférerait le pouvoir d’arbitrer à un juge constitutionnel, dont la composition reste d’ailleurs en débat. M. Woerth a dit clairement qu’il ne s’agissait pas à ses yeux d’une règle contraignante. Je voudrais donc que les choses soient bien claires : il n’est pas question de conférer une force contraignante à ces orientations, ni de permettre au juge constitutionnel d’intervenir sur des lois de programmation qui ne seraient pas adoptées à l’équilibre. Il faut qu’il soit bien clair en outre que les auteurs de ces propositions n’ont eux-mêmes pas entendu autre chose.

M. Manuel Valls – Très bien !

M. Jean-Pierre Brard – En lisant cet article – « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État » –, on se dit que cela ne mange pas de pain. Puis, M. Woerth est arrivé : « Que vient-il donc faire là ? », se demande-t-on. M. Goasguen, dont il reste quelque chose de son passage à l’Éducation nationale, a décrypté pour nous le spectacle, en montrant le stratagème par lequel on cherche à donner au Nouveau centre, qui a mangé son chapeau en renonçant à la proportionnelle, un hochet de compensation (Rires sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. le Président – Vous avez la parole pour vous exprimer sur l’article, Monsieur Brard, non pour commenter les prises de parole des autres.

M. Jean-Pierre Brard – Les rôles étant parfaitement répartis, c’est alors que M. Carrez s’est lancé dans une tirade passionnée, comme si la passion pouvait remplacer le sérieux du propos !

On voit très bien à présent ce que vous voulez mettre dans la boîte de Pandore. Vous aviez voulu inscrire la règle d’or dans le traité institutionnel, et vous cherchez à l’inscrire dans la Constitution.

Vous voulez constitutionnaliser votre fameuse règle d’or, qui n’est autre qu’une loi d’airain pour les pauvres (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le groupe de travail qu’a évoqué M. Woerth n’est en réalité qu’un groupe interne à l’UMP, pour mettre en musique cet article.

Inscrire votre idéologie libérale dans la Constitution corsètera les gouvernements de demain. D’ores et déjà, vous refusez de prendre en considération les constats de la Cour des comptes sur votre politique d’exonération des cotisations sociales. À écouter MM. Debré, Cuq, Myard, de Charette, Garrigue, Goasguen et Grand, ils ont une lecture objective de la Constitution. Tout cela n’est qu’une mise en scène : l'Assemblée nationale parle, mais ne décide de rien !

M. le Président – Nous en venons aux amendements.

M. Paul Giacobbi – Les dispositions de cet article n’ont pas vraiment de portée normative. Le débat que nous avons sur la règle d’or, pour être intéressant, n’en est pas moins surréaliste. Vous avez reçu un avertissement de la Commission européenne concernant la dérive de nos finances publiques et rappelant la nécessité de respecter dès 2010 l’équilibre des comptes publics. Dans ces conditions, votre règle constitutionnelle ne fonctionnera que deux ans, la norme internationale, supérieure, s’appliquant par la suite.

Nous ne sommes qu’aux prémisses d’une crise économique extrêmement grave, et vous nous parlez des vertus de l’orthodoxie ? Savez-vous ce qui se passe en Grande-Bretagne ? La banque centrale donne des dizaines de milliards de livres aux banques pour éviter qu’elles s’effondrent. Ce débat manque de réalisme par rapport à la situation.

L’amendement 197 vise à supprimer cet article : une règle sans portée n’a pas sa place dans la Constitution, une loi qui ne crée pas de droits n’est qu’une déclaration (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’avant-dernier alinéa de l’article 34 est ainsi rédigé : « des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État. » Le Conseil constitutionnel interprète cet alinéa comme nous interdisant de voter des lois de programmation en matière de défense ou de sécurité intérieure. L’article 11 ne vise qu’à faire sauter ce verrou. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – On a pu juger de l’utilité des deux lois de programmation en matière de sécurité intérieure et de justice, qui ont donné une cohérence dans la durée aux politiques menées dans ce domaine. L’article 34 de la Constitution limite les lois de programme à l’action économique et sociale de l’État. Nous souhaitons que le Parlement puisse légiférer en matière de programmation dans d’autres domaines. Avis défavorable.

L'amendement 197, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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