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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 12 juin 2008

1ère séance
Séance de neuf heures trente
193ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

DIVERSES CONVENTIONS INTERNATIONALES (PROCÉDURE D’EXAMEN SIMPLIFIÉ)

L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, de quatre projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux.

M. le Président – Conformément à l’article 107 du Règlement, je vais mettre aux voix l’article unique de chacun des quatre projets de loi.

Le projet de loi, adopté, par le Sénat, autorisant la ratification de la convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté de Monaco, mis aux voix, est adopté.

Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, mis aux voix, est adopté.

Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, mis aux voix, est adopté.

Le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc, mis aux voix, est adopté.

RESSOURCES PROPRES DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres des Communautés européennes.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – Comme le rappelle l’excellent rapport de M. Blum, la décision du Conseil de l’Union européenne du 7 juin 2007, qui vous est soumise alors que se joue une partie délicate en Irlande, définit les conditions de financement du budget de l’Union pour la période 2007-2013. Sa portée politique n’est pas négligeable : elle a permis à notre pays d’obtenir, aux termes d’une négociation difficile, des concessions importantes de ses partenaires, en particulier du Royaume-Uni. Je rappellerai les étapes de cette négociation, puis les principales dispositions de l’accord, avant d’évoquer les prochaines échéances européennes en matière budgétaire.

La présente décision constitue la dernière étape du compromis politique relatif au cadre financier pluriannuel auquel sont parvenus les chefs d’État et de gouvernement en décembre 2005. Ce dernier accord portait sur trois aspects : les dépenses pour la période 2007-2013, fixées à 864,3 milliards ; les recettes, qui font l’objet de la présente décision ; enfin, le Conseil invitait l’Union à un réexamen « complet et global des dépenses de l’Union, y compris la politique agricole commune, et de ses ressources, y compris la compensation en faveur du Royaume-Uni », réexamen qui devait faire l’objet d’un rapport en 2008-2009 – j’y reviendrai.

La nouvelle décision se substitue à celle du 29 septembre 2000, dont vous avez autorisé la ratification en décembre 2001. Elle en confirme les principes essentiels. Ainsi, le plafond des ressources propres reste fixé à 1,24 % des revenus nationaux bruts des États membres en crédits de paiement et à 1,31% en crédits d’engagement. En outre, les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles demeurent fixés à 25 %.

D’autre part, la décision ne crée aucune nouvelle ressource propre, mais reconduit les trois ressources principales sur lesquelles repose le système actuel : les ressources propres traditionnelles – c’est-à-dire les droits agricoles et cotisations « sucre », d’une part, et les droits de douane, d’autre part –, essentiellement constituées de prélèvements sur les importations et qui représentaient 13,9 % du total des recettes en 2006 ; la ressource fondée sur la TVA, soit environ 16 % du total ; enfin, la ressource fondée sur le RNB des États membres, instaurée en 1988 et devenue la première ressource du budget communautaire, atteignant 64,7 % des recettes en 2006. Cette dernière évolution est satisfaisante, car la capacité contributive des États est désormais mieux évaluée que ne le permettait le mode de calcul de la ressource TVA, dont les difficultés de la fin des années 1970 et du début des années 1980, corrigées à la fin des années 1990, avaient révélé les insuffisances.

Par ailleurs, la décision inclut plusieurs aménagements résultant de l’accord politique conclu par les chefs d’État et de gouvernement : le taux d’appel sur l’assiette de la TVA est ramené à 0,30 %, ce qui devrait réduire la part de la ressource TVA dans les ressources propres ; en outre, il est ramené à 0,15 % pour l’Allemagne, 0,10 % pour les Pays-Bas et la Suède et 0,225 % pour l’Autriche. Enfin, les Pays-Bas et la Suède voient leurs contributions fondées sur le RNB respectivement réduites, à titre forfaitaire, de 605 et 150 millions par an. Ces concessions financières, obtenues en 1999 par les États membres dont la contribution nette au budget européen était la plus élevée, ne s’appliquent toutefois qu’à la période 2007-2013.

Enfin, la disposition essentielle concerne la correction accordée au Royaume-Uni par le Conseil européen de Fontainebleau en 1984, qui lui permettait jusqu’à présent de déduire des ressources propres versées chaque année à la Communauté une somme correspondant aux deux tiers de la différence entre la contribution acquittée l’année précédente et les dépenses de l’Union dont il bénéficiait. La décision réforme le mode de calcul de cette réduction, qui n’avait plus lieu d’être, et en réduit sensiblement le montant : les dépenses liées à l’élargissement, à l’exception des dépenses agricoles dites de marché et de la part des dépenses de développement rural financée par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, seront progressivement exclues du calcul et la réduction est soumise à un plafond de 10,5 milliards qui continuera de s’appliquer après 2013.

Comme plusieurs de ses partenaires européens, la France a défendu ces mesures et se félicite de leur adoption. De fait, notre pays finance aujourd’hui 27 % du « chèque » britannique – soit 1,42 des 5,22 milliards qu’il atteignait en 2006 –, du fait des réductions accordées en 1999 à l’Allemagne, à l’Autriche, aux Pays-Bas et à la Suède.

Sous réserve des procédures nationales de ratification, la nouvelle décision entrera en vigueur le 1er janvier 2009 et s’appliquera rétroactivement à compter du 1er janvier 2007, point de départ du cadre financier pluriannuel actuel. En pratique, les contributions nationales dues en 2009 seront, selon les cas, majorées ou minorées des effets de la nouvelle décision au titre de 2007 et 2008. De même, la décision de septembre 2000, entrée en vigueur en mars 2002, s’était appliquée rétroactivement à compter du 1er janvier 2000.

Si le présent accord représente une avancée importante par rapport à celui de 1999, il demeure très complexe et maintient des mécanismes de correction des contributions nationales contraires à l’esprit de solidarité européenne. Mais le débat européen sur la révision des perspectives financières et des politiques communes pourrait permettre de réfléchir à une adaptation du système actuel.

Vous le savez, la Commission a commencé à procéder à son réexamen en adoptant le 12 septembre dernier une communication intitulée « Réformer le budget, changer l’Europe », qui fait l’objet, jusqu’au 15 juin prochain, d’une consultation publique à laquelle nous avons apporté notre contribution le 22 mai dernier. À nos yeux, la clause de réexamen du cadre financier pluriannuel doit permettre d’analyser les défis que l’Union européenne est appelée à relever et les moyens d’y parvenir, et de définir des principes généraux régissant l’évolution des politiques de l’Union et leur financement après 2013. De ce point de vue, le traitement des dépenses et des recettes devra respecter un juste équilibre.

Une fois la consultation achevée, la Commission présentera un Livre blanc dont la date d’adoption est encore inconnue – mais qui doit, aux termes de l’accord de 2005, être remis en 2008 ou 2009. Sans formuler des propositions exhaustives sur la révision des perspectives financières, il esquissera les orientations de la Commission quant à l’avenir des politiques communes et à leur financement.

Les propositions pour le prochain paquet financier post-2013 seront soumises ultérieurement par la nouvelle Commission investie en 2009, l’accord interinstitutionnel l’invitant à présenter ses propositions avant le 1er juillet 2011.

Dans ce contexte, qui sera marqué par le renouvellement, en juin 2009, du Parlement européen et de la Commission, une conférence politique de conclusion de la consultation publique devrait se tenir à l’automne. Il conviendra que la représentation nationale s’y associe pleinement. La présidence française ne sera probablement pas en mesure d’aller au-delà de cet exercice, la Commission n’ayant, pas plus que le Parlement européen, la volonté d’ouvrir une telle discussion à quelques mois des élections de juin 2009.

Nous prendrons néanmoins des initiatives sur le dossier agricole. Conformément au souhait du Président de la République, la présidence française proposera à nos partenaires d’ouvrir une discussion sur l’avenir de la PAC. Il s’agira de forger un nouveau consensus européen sur les grands objectifs et les instruments d’une politique agricole commune renouvelée.

Le débat qui s’ouvrira en 2009-2010 sur la base du Livre blanc de la Commission sera également une échéance importante, à laquelle nous devons nous préparer. Notre contribution à la consultation de la Commission esquisse certaines pistes et fixe certains principes. Votre contribution sur le sujet sera essentielle.

S’agissant des ressources de l’Union, il s’agit dans un premier temps de mener à son terme la remise en cause des corrections financières. Ces rabais, et en particulier le « chèque britannique », ne sont plus justifiés par les réalités économiques. Au-delà, il s’agira d’un rendez-vous très important pour notre pays, compte tenu des enjeux pour nos finances publiques – en 2013, la France sera, à égalité avec l’Allemagne, le principal contributeur net de l’Union européenne – et de la nécessaire adaptation des politiques européennes aux défis de l’avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Blum, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Dix-huit mois avaient été nécessaires aux dirigeants européens pour parvenir, en décembre 2005, à un compromis sur les perspectives financières pour la période 2007-2013. La décision du Conseil de l’Union européenne du 7 juin 2007, communément appelée décision « ressources propres », et dont le présent projet de loi tend à autoriser l’approbation, représente la traduction juridique du volet « recettes » d’un accord ouvrant la voie à une remise en cause très progressive du « chèque » britannique. Cette décision est la sixième du genre depuis l’instauration, en 1970, d’un mécanisme de ressources propres.

Cette nouvelle décision s’inscrit dans le prolongement de la précédente décision « ressources propres », en 2000. Le financement du budget communautaire repose sur quatre ressources : deux ressources propres dites « traditionnelles » – prélèvements agricoles et droits de douane perçus dans le cadre des politiques communautaires – ; la ressource TVA, créée en 1970 ; la ressource RNB, créée en 1988. Par ailleurs, le système a fait l’objet d’ajustements avec la création de mécanismes de correction destinés à le rendre plus équitable. C’est ainsi que le Royaume-Uni a obtenu, lors du Conseil européen de Fontainebleau, en 1984, le droit de bénéficier d’un rabais sur sa contribution au budget communautaire.

La France est le premier contributeur à la correction britannique. Notre pays paie 1,5 milliard sur les 5,8 milliards qu’il représente en 2008. Plus globalement, la décision du 7 juin 2007 se traduit par une contribution française totale de 135,5 milliards sur la période 2007-2013.

La décision soumise à notre examen introduit deux nouveautés. La première touche à la remise en cause progressive du rabais britannique. Le Royaume-Uni est devenu l’un des États les plus riches de l’Union, ce qui n’était pas le cas en 1984. Devant la pression de leurs partenaires, les Britanniques ont dû se résigner à accepter la remise en cause partielle de leur rabais. La décision « ressources propres » met ainsi fin au paradoxe d’un État qui, tout en étant un fervent promoteur de l’élargissement, faisait partie de ceux qui contribuent le moins à son financement.

Si le mécanisme de correction en faveur du Royaume-Uni est maintenu dans son principe, ses modalités d’application sont sensiblement revues. Il est ainsi prévu qu’à compter de 2009, le Royaume-Uni assumera sa part des coûts liés à l’élargissement, à l’exception toutefois des dépenses agricoles de marché. La contribution supplémentaire qui en résulte ne devra toutefois pas dépasser 10,5 milliards au cours de la période 2007-2013.

Il convient de souligner que le Royaume-Uni n’est pas le seul pays de l’Union à bénéficier d’un rabais : au titre de l’équité, la décision du Conseil prévoit un abattement annuel de 605 millions sur la contribution des Pays-Bas et de 150 millions sur celle de la Suède.

La seconde modification est relative à la diminution du taux d’appel de TVA, qui passe de 0,5 à 0,3 %. Un taux d’appel minoré est prévu pour quatre États membres très forts contributeurs nets : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche. Le financement du manque à gagner au titre de la ressource propre TVA s’opère par le biais de la ressource RNB.

Au-delà de cette décision du Conseil, le système même des ressources propres fait l’objet de critiques récurrentes, bien qu’aucun accord ne se dessine sur un modèle alternatif. Le calcul des soldes nets conduit à opposer pays contributeurs et pays bénéficiaires, exacerbant les égoïsmes nationaux et encourageant les États à privilégier le financement des seules politiques dont ils profitent directement. Enfin, les mécanismes de correction créent une complexité telle qu’elle rend le budget européen illisible pour les citoyens.

Dans une résolution du 29 mars 2007, le Parlement européen a stigmatisé les faiblesses du système et proposé des pistes de réforme. Ces propositions nourriront la réflexion qui s’ouvrira dans le cadre de la clause de réexamen des perspectives financières, qui doit intervenir en 2008-2009.

La Commission a engagé une vaste consultation publique, dont la clôture est prévue le 15 juin. Dans son document de consultation, la Commission pose la question de la mobilisation de ressources supplémentaires pour le budget européen. La question est également posée de savoir si la correction britannique et les autres mécanismes compensatoires demeurent justifiés. Dans leur contribution à cette consultation, les autorités françaises plaident pour des ressources propres « justes, équitables et lisibles », et appellent à une réflexion sur de nouveaux mécanismes de financement.

Quel rôle jouera la présidence française de l’Union dans le réexamen du cadre financier pluriannuel ? Tout dépendra de la date à laquelle la Commission publiera son rapport sur le résultat de la consultation, envisagé pour « fin 2008/début 2009 ». Ce flou sur la date ne doit rien au hasard, la Commission ayant indiqué qu’il était impossible de déterminer précisément quand serait publié le rapport, étant donné que ce dernier dépendait de l’issue de la consultation, mais aussi de l’état d’avancement du processus de ratification du traité de Lisbonne. Attendons donc les résultats du référendum irlandais.

L’entrée en vigueur de la décision du 7 juin 2007 est conditionnée à son approbation par tous les États membres. Elle s’appliquera alors avec un effet rétroactif au 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur des perspectives financières 2007-2013. Considérant que cette décision oriente le financement de l’Union sur la voie d’une plus grande équité, je vous invite, conformément au vote émis par la commission des affaires étrangères, à voter ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Marc Laffineur – Permettez-moi tout d’abord de témoigner, au nom du groupe UMP, notre amitié et notre confiance au peuple irlandais, qui doit aujourd’hui se prononcer sur le traité de Lisbonne. L’Europe a besoin de l’adhésion de tous les peuples européens à ce traité ; la Finlande l’a fait hier, nous espérons que l’Irlande le fera aujourd’hui.

M. Marc Dolez – Nous verrons ce soir !

M. Marc Laffineur – En 2005, la France et les Pays-Bas ont refusé le traité constitutionnel européen, mettant ainsi en berne les espoirs de relancer l’Union. Comment faire jouer une équipe de 27 dans une partie où les règles du jeu sont prévues pour douze joueurs ? L’Europe s’est trouvée enlisée dans une crise institutionnelle. Le nouveau traité signé à Lisbonne, le 13 décembre dernier, n’est pas un accord de plus ; c’est l’affirmation de la force et de l’engagement de chacun des États membres dans l’aventure européenne. On peut dorénavant espérer sortir de cette crise et penser concrètement le projet politique européen.

En 1984, au Conseil de Fontainebleau, Mme Thatcher avait tapé du point sur la table pour réclamer son argent. Le rabais britannique, qui pouvait se justifier à l’époque, a engendré un système de financement d’une grande complexité, reposant sur des cotisations nationales et la multiplication des « chèques ».

Nous sommes donc face à une sérieuse crise budgétaire, et c’est d’une étape cruciale du développement de l’Union que nous débattons ce matin. Tous les Parlements européens reconnaissent que le système actuel ne procure pas suffisamment de crédits à l’Union et dénoncent la tendance de certains pays à n’accepter de financer que les politiques auxquelles ils trouvent leur intérêt.

Tout le paradoxe de l’Europe est là. D’un côté, les 27 États membres concluent, par le traité de Lisbonne, un accord historique, démontrant ainsi les concessions qu’ils sont prêts à faire pour construire une Union qui ne soit pas seulement un grand espace de libre échange, mais aussi un projet politique ambitieux. De l’autre, ils agitent ostensiblement leurs égoïsmes dès qu’il est question de budget. Cette attitude anti-communautaire contraste avec la nouvelle ambition politique européenne. Le temps est venu pour l’Europe d’être aussi ambitieuse que les États qui la composent.

À l’origine, le budget communautaire était financé par de véritables ressources propres – droits de douane, cotisations « sucre » et prélèvements agricoles – qui répondaient aux exigences du traité de Rome mais se sont rapidement révélées insuffisantes. Aussi ont-elles été complétées dès les années 1980 par des cotisations nationales votées par les Parlements nationaux, calculées pour partie à partir du PIB de chaque État. Le système est devenu de plus en plus opaque, inéquitable et déséquilibré.

Comme je le rappelle dans mon rapport d’information sur le budget de l’Union pour 2008, le Parlement européen s’est prononcé le 29 mars 2007 en faveur d’une réforme en deux étapes du volet recettes du budget, permettant de créer à partir de 2014 une véritable ressource propre pour l’Union.

Dans sa résolution, le Parlement critique le système actuel, dans lequel 70 % des recettes de l’Union sont puisées directement dans les budgets nationaux, 15 % provenant d’une ressource liée à la TVA. La première ressource, peu visible pour les citoyens, a l’avantage d’être plus équitable puisqu’elle lie les contributions nationales à la prospérité relative des États. Mais ce sont ces « cotisations » nationales qui alimentent le débat récurrent sur les « soldes nets » et le concept de « juste retour ». Comme l’indique le rapport, le système est « injuste à l’égard des citoyens, antidémocratique, et ne contribue pas à la visibilité de l’engagement en faveur de l’intégration européenne ». « Excessivement complexe », il « manque de transparence et est totalement incompréhensible pour les citoyens européens ».

La première réforme doit donc consister à réaménager le système des ressources propres du budget de l’Union, en commençant par réformer le calcul de la « correction » britannique. Chacun doit contribuer de manière plus équitable, et c’est ce que propose ce projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil.

En 1984 a été institué un mécanisme de correction pour « tout État membre supportant une charge budgétaire excessive au regard de sa prospérité ». Le Royaume-Uni bénéficie toujours de ce dispositif, puisqu’il était alors le contributeur net le moins riche de l’Union et bénéficiait de très peu de retours au titre de la PAC, principal poste budgétaire communautaire à l’époque. Ce sont donc les autres États membres qui se répartissent au prorata de leur part dans le RNB de l’Union la charge du « chèque britannique ». En 2008, la France a été le premier contributeur de ce « rabais », avec 1,5 milliard d’euros – soit 26 % de son montant total – alors même que le Royaume-Uni figure parmi les États les plus prospères de l’Union et que la part des dépenses de la PAC a considérablement diminué.

Le « chèque britannique » n’est donc plus légitime aujourd’hui. La décision du Conseil prévoit que cette correction sera ajustée à compter de 2009 par l’exclusion progressive des dépenses d’élargissement effectuées dans les États membres qui ont adhéré après le 30 avril 2004, sauf dépenses agricoles de marché. Cet ajustement ne pourra cependant pas conduire à une augmentation de la contribution britannique de plus de 10,5 milliards d’euros sur la période 2007-2013.

Certes, la contribution de notre pays connaîtra une baisse relative sur les exercices 2010 et 2011. Mais ce qui nous importe avant tout dans cette réforme, c’est la restauration d’un projet commun ambitieux. Il est indispensable de dissiper les égoïsmes nationaux pour mener à bien la réforme du budget communautaire, dont cet aménagement ne constitue que la première pierre, avec l’uniformisation à 0,30 % du taux d’appel de la TVA et l’octroi de compensations en recettes aux plus gros contributeurs.

La seconde étape devrait avoir lieu à partir de 2014, avec l’introduction de nouvelles ressources propres remplaçant progressivement les contributions nationales.

Il me semble essentiel de pousser la réflexion jusqu’à la possibilité de créer un impôt européen, comme je l’ai fait en 2004 dans mon rapport sur les perspectives financières européennes 2007-2013. Il ne s’agit pas de créer un nouvel impôt, mais d’affecter une partie de l’impôt existant au budget communautaire. Plusieurs solutions ont été évoquées, mais les voies techniquement, politiquement et financièrement acceptables ne sont pas nombreuses. Les plus couramment proposées sont la TVA et l’impôt sur les sociétés. La seconde me paraît préférable pour trois raisons. Tout d’abord, les entreprises ont été les principales bénéficiaires du marché unique, des économies d’échelle, de la liberté des échanges et des capitaux. Ensuite, les difficultés de communication seraient moindres. Enfin, la concurrence fiscale est devenue une sérieuse entrave à la construction européenne.

Cet impôt ne devrait pas voir le jour avant 2014. Sachant qu’il a fallu sept ans pour harmoniser les assiettes de la TVA, il serait souhaitable de mettre à profit le temps qui nous reste pour engager un travail d’harmonisation des assiettes de l’impôt sur les sociétés.

Chers collègues, je vous invite à approuver unanimement cette décision du Conseil du 7 juin 2007 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Bataille – Si l’on considère que l’Union européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins, cela vaut tout particulièrement pour son budget. Le système des «ressources propres» présente en effet, en l’état actuel, un certain nombre d’imperfections qui font qu’il n’est plus tenable.

Peu lisibles, les mécanismes correcteurs et ceux destinés à les compenser sont loin de contribuer à la transparence. De plus, le système des « ressources propres » n’instaure aucun lien entre les institutions européennes et les citoyens. Le fait que les « ressources propres » n’en soient pas vraiment – dans la mesure où le budget communautaire est alimenté à près de 70 % par les contributions des États membres – contribue en effet à accréditer l’idée que l’Union dispose d’un « droit de tirage » sur la richesse nationale, comme le souligne le sénateur Denis Badré.

La présente décision ne procède cependant pas à une refonte, mais à un simple ajustement. Les modalités d’application du « rabais » britannique sont modifiées, mais le principe du mécanisme correcteur est maintenu. Par ailleurs, la baisse du taux d’appel de TVA a pour effet d’accroître mécaniquement le volume du chèque britannique. Cette décision n’est donc pas suffisante.

L’examen de ce projet de loi est l’occasion de s’interroger sur les enjeux de la réforme du financement de l’Union.

Réformer le budget est aujourd’hui une « ardente obligation ». En décembre 2005, les États membres se sont accordés sur les perspectives financières 2007-2013. Ils n’ont cependant pu aboutir à un compromis qu’au prix de l’inclusion dans l’accord d’une clause de révision budgétaire à l’horizon 2008-2009. On peut s’interroger sur ces « clauses de rendez-vous », qui conduisent toujours à reporter les décisions à une période ultérieure et à créer de nouveaux « reliquats » des décisions précédentes. Cela entrave durablement la progression de l’intégration communautaire. Il semble que ce soit le prix à payer pour pouvoir réformer.

Les négociations ont montré que la structure des dépenses et des recettes devait être profondément modifiée. La Commission a donc ouvert une consultation en vue de lancer un processus de révision budgétaire, qui doit selon nous innover.

Sur la méthode, il convient d’abord de redéfinir le lien entre moyens et objectifs. On exige trop souvent une restriction des dépenses de l’Union en même temps qu’un accroissement de son engagement politique. Les dépenses devront désormais correspondre aux objectifs politiques, que l’Union aura à définir en priorité.

Il faut ensuite procéder simultanément à la révision du budget et à celle des principaux postes budgétaires de l’Union. C’est ce qui a été fait avec la décision de dresser un bilan de santé de la PAC et celle visant à réformer le budget de l’Union. De même, une consultation a eu lieu sur les fonds structurels.

Enfin, il convient de découpler révision du budget 2008-2009 et négociations sur les perspectives financières.

Quant à la structure du processus de révision budgétaire, la Commission a commencé au printemps 2008 à préparer un projet de réforme du budget qu’elle présentera au plus tard en 2009. La prolongation de la période de consultation ne doit pas retarder ses travaux, ni entraver la capacité d’impulsion de la Présidence de l’Union.

L’objectif principal du processus de révision budgétaire est de se départir de la logique comptable qui a conduit à pérenniser le calcul des « soldes budgétaires nets nationaux ». Le principe du « juste retour », qui veut qu’un État membre ne participe au budget communautaire qu’à condition de voir financer de manière proportionnée les politiques communes mises en œuvre sur son territoire, plombe véritablement les négociations financières. Plus grave encore, il conditionne les orientations politiques de l’Union. Les choix de politiques communes sont ainsi déterminés par des considérations financières. En outre, le principe du juste retour ne tient pas compte des bénéfices potentiels et non matériels générés par les politiques communes de l’Union.

Pour dépasser la logique du juste retour, plusieurs voies peuvent être explorées, qu’il s’agisse de la réforme de la procédure budgétaire, de la création d’une nouvelle ressource propre sous la forme d’un impôt européen ou de l’affectation au budget communautaire de fonctions traditionnellement dévolues aux budgets nationaux. En résumé : quelle procédure de décision budgétaire, quel impôt européen et quel type de budget européen ?

La refonte de la procédure de décision budgétaire permettra de dépasser le principe du juste retour. Afin que le budget communautaire corresponde aux objectifs politiques, il doit être procédé à une profonde réforme des mécanismes de décision. Cela n’a pas seulement trait à la procédure institutionnelle mais aussi aux accords informels, aux logiques de négociation et aux usages.

Le processus décisionnel est dominé par les États membres, souvent contraints par des procédures internes qui limitent leur mandat de négociation. La mesure du succès se limite souvent à l’arrivée au meilleur compromis possible en terme de contribution nette. Cette logique comptable a été privilégiée pour plusieurs raisons. D’abord, le fait de négocier simultanément des recettes et des dépenses conduit à se focaliser sur les contributions nettes. Il conviendrait plutôt de négocier préalablement les principes définissant les dépenses, avant de procéder à leur ventilation. Ensuite, négocier pour une période de sept ans conduit les États membres à vouloir maximiser leurs gains car il leur est impossible de faire autrement pour une période aussi longue. Au reste, le faible lien qui peut être fait entre les cycles budgétaires et les cycles politiques à l’échelle européenne a conduit à l’absence de responsabilité politique clairement établie pour ce qui concerne le budget de l’Union. Enfin, négocier à l’unanimité tend à radicaliser la position de chacun. L’unanimité relève désormais de la gageure ! Les 27, associés à une Commission et un Parlement dont les pouvoirs budgétaires vont croître sensiblement, parviendront-ils à s’entendre sur un accord ?

La création d’une nouvelle ressource propre, sous la forme d’un impôt européen, permettrait aussi de dépasser la logique du juste retour.

Instrument de lisibilité, ce prélèvement permettrait de simplifier la structure actuelle d’un budget divisé entre les ressources propres traditionnelles – droits de douane et prélèvements agricoles –, la ressource de TVA et le prélèvement fondé sur le revenu national brut des États membres. Instrument de citoyenneté, il permettrait de tisser un lien plus direct entre les citoyens et l’Union. Effectuer un prélèvement au titre du financement des politiques communes européennes permettrait une meilleure identification et une appropriation du budget communautaire par les citoyens. Instrument d’efficacité, ce prélèvement apparaîtrait comme une incitation à remplir les objectifs des diverses politiques communes. Le financement communautaire s’en trouverait donc grandement amélioré.

Plusieurs propositions tendent à créer une ressource propre, perçue auprès des citoyens et des entreprises. Ce système ne conférerait pas à l’UE la souveraineté fiscale mais le droit de bénéficier d’une certaine part des prélèvements fiscaux. Neutre fiscalement, il ne constituerait pas une charge supplémentaire pour les citoyens.

Il faut désormais passer à l’acte et il n’y a là rien d’extraordinaire si l’on se souvient des origines de l’Union et en particulier de la première Communauté, celle du charbon et de l’acier, exclusivement financée sur ressources propres. Rappelons-nous aussi que le Traité de Rome ne prévoyait le financement par des contributions nationales que de manière provisoire.

Les travaux relatifs à un impôt sur les bénéfices des entreprises, une TVA européenne ou encore une écotaxe sur les émissions de carbone doivent se poursuivre et les parlements nationaux doivent y être étroitement associés. De même, la collaboration avec le Parlement européen doit être approfondie.

Une fois créé, au service de quel budget européen cet impôt européen doit-il être prélevé ?

La logique du juste retour doit être surmontée par l’affectation au budget européen de fonctions traditionnellement dévolues aux budgets nationaux. Afin de développer une véritable politique de relance, le budget européen doit assurer des fonctions de stabilisation, d’affectation et de redistribution, le seul moyen de mettre fin aux mécanismes compensatoires entre États membres étant d’appliquer des mécanismes de redistribution.

L’Union européenne pourrait notamment disposer d’une capacité d’emprunt sur les marchés internationaux, en vue de financer des grands travaux d’intérêt général européen. Pour nous, il y a un lien entre la capacité d’emprunt et l’aide à la croissance économique ou à la lutte contre le chômage. Le financement de la stratégie de Lisbonne implique notamment des investissements en matière de recherche, de formation, et d’infrastructures, soit autant de chantiers d’intérêt général susceptibles de redonner une impulsion à l’Union. Avec un budget réduit à la portion congrue, nous ne bâtirons qu’un grand marché à solidarité limitée !

Tout cela suppose une augmentation significative du budget européen. La France ne peut plus plaider pour le plafonnement du budget à 1 % tout en demandant à être bénéficiaire net. La proposition des socialistes d’un budget européen responsable et tourné vers l’avenir s’inscrit donc dans le cadre d’une véritable politique de relance.

Ensuite, l’Union doit, grâce à son budget, se doter d’un véritable dispositif de protection contre les risques nouveaux liés à la mondialisation. Alors que les États isolés ne peuvent rien face à la nouvelle donne de l’économie mondiale, l’Union européenne, elle, possède la taille critique pour assurer une certaine régulation.

Des initiatives existent déjà en ce sens. En 2006, a été créé un fonds européen d’ajustement à la mondialisation, destiné à faciliter la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant perdu leur emploi du fait de modifications majeures dans la structure du commerce mondial. En vigueur de janvier 2007 à décembre 2013, le Fonds ne pourra bénéficier de plus de 500 millions par an, ce qui est manifestement insuffisant.

Tous ces instruments visent à amorcer – ou à maintenir – un cycle de croissance durable et d’investissement élevé. Las, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en matière d’investissement européen, la France ne s’est pas montrée très volontariste. La logique comptable du plafonnement des dépenses l’a conduite, dans la loi de finances pour 2008, à réduire sa contribution à l’Union européenne afin de ne pas dépasser le seuil de déficit public autorisé par la Commission.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Christian Bataille – Dans ce contexte, on peut légitimement se demander quelles actions la France entreprendra au cours de sa présidence, durant les six prochains mois, notamment pour ce qui concerne la révision à mi-parcours du budget européen. Compte tenu de l’importance du sujet, l’on peut d’ores et déjà regretter que la présidence française n’en ait pas fait l’une de ses priorités.

Il ne faudrait pas que la ratification du traité de Lisbonne conduise – comme le craint notre rapporteur – à éluder les vraies questions, telles que le niveau des ressources affectées ou la création d’un impôt européen. La France doit apporter sa contribution et mettre toute sa capacité d’impulsion en jeu pour que la discussion budgétaire ne préempte pas, une fois de plus, la définition des politiques et de leurs moyens.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives la Présidence française de l’Union Européenne prendra-t-elle pour susciter le réexamen des perspectives financières ? A nos yeux, les parlements nationaux doivent être associés le plus étroitement possible à la préparation de la discussion à venir et un groupe de travail sur ce thème devrait être créé à l’Assemblée nationale. Comme nous l’avons déjà souligné, la présente décision ne procède pas à la refonte complète qui s’impose mais à un simple ajustement. C’est un pas positif mais insuffisant, puisque la réforme du système de ressources propres est reportée à plus tard.

Il ne nous est pas possible d’approuver une décision qui ne vise qu’à prolonger un système dont chacun connaît les limites et les imperfections. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

L’article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

PROTECTION DES PERSONNES CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – Je vous prie de bien vouloir excuser ma collègue Rama Yade, retenue par l’ouverture de la conférence sur la reconstruction de l’Afghanistan qui débute ce matin à Paris.

M. François Loncle – Quel dommage !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – C’est ce qui vous vaut, au grand désespoir de M. Loncle (Sourires), de voir ma présence parmi vous se prolonger un peu !

J’ai l’honneur de présenter à votre ratification la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ce texte représente une avancée majeure dans la défense des droits de l’Homme, plus de quinze ans après le dernier grand texte onusien en cette matière, la convention sur les droits de l’enfant. Elle s’inscrit dans la suite des autres grands instruments normatifs élaborés par les Nations unies, à l’instar du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la convention sur les droits économiques, sociaux et culturels, des conventions contre la torture, la discrimination raciale ou celle à l’encontre des femmes et, je l’ai dit, de la convention sur les droits de l’enfant.

Il s’agit de lutter contre le crime et l’oubli, atroce, des victimes laissées sans mémoire et des familles privées de deuil.

La France a joué un rôle décisif dans le lancement et la poursuite d’un effort diplomatique jamais relâché durant trois décennies. À l’origine, il y avait les pratiques des dictatures latino-américaines, notamment en Argentine. Trente ans plus tard, ce thème est toujours d’une odieuse actualité. L’adoption de la convention par consensus en décembre 2006 à l’Assemblée générale de l’ONU a couronné trente années d’efforts de notre pays. Dès 1978, en effet nous avons été à l’origine de l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour des Nations unies, en présentant une résolution à l’Assemblée générale. C’est un expert français, Louis Joinet, qui a élaboré la première version du texte, et la France a présidé du début à la fin le groupe d’experts qui l’a rédigé. Aussi est-ce à Paris qu’a eu lieu en février 2007, de manière dérogatoire pour une convention des Nations unies, la cérémonie d’ouverture à la signature de cet instrument juridique, en présence de représentants de 57 pays. Enfin, devant l’hostilité ou la réticence de certains États, nous nous sommes mobilisés avec les familles, des ONG et certains partenaires latino-américains pour obtenir le consensus sur ce texte.

Rappelons ce que recouvrent les termes de « disparition forcée ». Des hommes, le plus souvent en civil et armés, se présentent chez une personne, en général un défenseur des droits de l’homme ou un opposant politique, et l’emmènent de force sans explication vers un endroit inconnu. Lorsque ses proches s’enquièrent de son sort auprès des autorités, celles-ci ne répondent pas, ou bien ouvrent formellement une enquête qui n’aboutit jamais ou se conclut par un non-lieu. La torture, et bien souvent la mort, attendent ces disparus, dont les familles demeurent parfois durant des décennies sans nouvelles d’eux, dans la douleur de l’attente et l’incertitude d’un retour improbable, sans jamais pouvoir faire leur deuil. C’est à ces crimes odieux que nous souhaitons mettre un terme définitif, et ce en toutes circonstances, en temps de guerre comme de paix.

Ces disparitions forcées sont encore monnaie courante. Selon les Nations unies, 535 personnes en ont été victimes en 2005, tandis que 41 000 cas n’ont toujours pas été élucidés depuis 1980. Elles se produisent désormais sur tous les continents et dans toutes les zones de conflit.

Le projet de convention permettra de remédier à ces dénis de la dignité humaine. Ne s’agit-il pas là, dira-t-on, d’un texte incantatoire, certes empreint des meilleurs sentiments mais dépourvu de toute portée pratique ? Je ne le pense pas, car l’élaboration de cette convention a été guidée par deux exigences majeures : la prévention et la justice.

En amont, ce texte instaure des mécanismes de prévention efficaces. Les États parties s’engagent à interdire les détentions secrètes et les lieux de détention non officiels, ainsi qu’à renforcer les garanties procédurales entourant la mise en détention. Par là, le texte joue un rôle fondamental en matière de prévention de la torture et prohibe des pratiques trop souvent constatées dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Il oblige également les États parties à incriminer les disparitions forcées et à poursuivre leurs auteurs ainsi que leurs commanditaires. Enfin, il prévoit un mécanisme de suivi innovant : le comité des disparitions forcées pourra, outre ses fonctions classiques d’examen des rapports des États relatifs à la mise en œuvre de la convention ainsi que des plaintes individuelles, lancer des appels urgents et effectuer des visites sur le terrain en cas de violation grave, voire saisir l’Assemblée générale des Nations unies de situations où les disparitions forcées sont pratiquées de manière généralisée ou systématique.

En aval, la convention garantira la satisfaction de l’impératif de justice. En premier lieu, les proches auront l’assurance de pouvoir connaître la vérité sur le sort du disparu et les circonstances ayant entouré sa disparition. Ensuite, les victimes auront un droit à réparation des préjudices subis, quelle que soit leur forme, avec un régime de prescription particulièrement favorable aux victimes, le délai étant fonction de la gravité du crime. Enfin, toute adoption qui trouverait son origine dans une disparition forcée pourra être annulée.

Notre pays, qui a joué un rôle moteur dans la genèse de ce texte, se doit de contribuer à son entrée en vigueur rapide. Quatre pays seulement ont à ce jour ratifié la convention, alors que vingt ratifications sont nécessaires. La France se doit de devenir le cinquième État partie, puis de continuer à se mobiliser afin que ce texte acquière très rapidement une force juridique contraignante. Dès 2007 nous avons pris l’initiative de mettre sur pied un groupe des amis de la convention, chargé de promouvoir sa ratification par le plus grand nombre d’États. En mars dernier, la France a aussi fait adopter par consensus par le conseil des droits de l’homme une résolution appelant l’ensemble des États à adhérer le plus rapidement possible à cet instrument. Nous redoublerons d’efforts afin d’atteindre cet objectif, si possible durant notre présidence de l’Union européenne.

Il y a soixante ans, la Déclaration universelle des droits de l’homme était proclamée à Paris. Il importe plus que jamais d’en réaffirmer les valeurs face à la tentation de l’oubli qui guette les nouvelles générations, à la montée du relativisme culturel, mais aussi à certaines dérives qui ont pu être observées dans le cadre de la nécessaire lutte anti-terroriste menée par les démocraties. Cette convention est un outil essentiel du combat pour le respect des droits des hommes et des femmes.

En autorisant aujourd’hui sa ratification, vous affirmerez que la « patrie des droits de l’homme » agit et vous adresserez un message d’espoir aux victimes, à leurs familles, et à tous ceux qui croient en l’universalité des droits de l’homme et comptent sur notre pays pour les faire prévaloir.

Et je rassure M. Loncle : Rama Yade est maintenant parmi nous et, si besoin est, interviendra avec la force des ses convictions (Applaudissements).

Mme Geneviève Colot, rapporteure de la commission des affaires étrangères – Cette convention internationale traite d’une réalité douloureuse, trop longtemps passée sous silence, celle des disparitions forcées. Les victimes peuvent être des civils enlevés ou arrêtés ; des prisonniers qui meurent en prison ou qui sont détenus dans des lieux secrets ; des victimes d’exécutions massives, enterrées en toute hâte dans des tombes anonymes ; des personnes fuyant un conflit dans de grands déplacements de population, et qui sont séparées de leurs proches ; des soldats tués, dont les restes ne sont pas traités avec dignité ou dont les dépouilles sont abandonnées sur le champ de bataille sans être identifiées. Dans tous les cas, ces personnes portées disparues plongent dans l’anonymat tandis que leurs familles sont maintenues dans l’ignorance et l’incertitude. Cette pratique odieuse, caractéristique des dictatures latino-américaines des années 1970 et 1980, est aujourd’hui largement répandue : En 2005, on recensait 535 nouveaux cas, dans 22 pays, et 41 000 cas restent non élucidés, sans mentionner tous ceux qui n’ont jamais été signalés.

Des familles de victimes, des ONG et certains États, dont la France, se sont mobilisés pour lutter contre les disparitions forcées. C’est le résultat des efforts qu’ils ont déployés pendant vingt-cinq ans qui vous est aujourd’hui soumis.

Cette convention comble un vide juridique en définissant le crime de disparition forcée, dont les éléments constitutifs sont une privation de liberté ; son imputabilité à des agents de l’État ou à des personnes agissant à son instigation ; enfin, le refus de reconnaître cette privation de liberté et la dissimulation du sort réservé à la personne disparue. Par ailleurs, elle prohibe expressément les disparitions forcées en temps de paix, et non plus seulement en cas de conflit armé.

En premier lieu, cette convention vise à combattre l’impunité en définissant les mesures que doivent prendre les Etats parties pour enquêter sur les disparitions forcées et les constituer en infraction au regard du droit pénal, voire en crime contre l’humanité lorsque la pratique est systématique. Les États parties s’engagent à traduire en justice les auteurs, les commanditaires et les complices de ces actes, qu’ils aient été commis sur le territoire d’un État partie ou ailleurs. Ce régime de compétence universelle, de responsabilité individuelle et de sanction est essentiel à l’efficacité de la justice. D’autre part, la Convention comporte des mesures de prévention qui interdisent les lieux de détention secrets et obligent les États à maintenir les personnes privées de liberté dans des lieux reconnus et contrôlés où les détenus peuvent voir leurs familles et leurs avocats.

Ensuite, la convention reconnaît aux victimes un droit à réparation du préjudice physique et moral et à leurs proches un droit de vérité. Pour la première fois, ces derniers sont considérés comme des victimes à part entière car, outre un impossible deuil, ils s’exposent à des représailles en cas de plainte et subissent souvent des difficultés matérielles liées à l’enlèvement. Les États parties s’engagent aussi à reconnaître un droit de prescription plus favorable aux victimes et à prévenir ou réprimer l’adoption d’enfants nés en captivité ou dont les parents ont été enlevés.

Troisièmement, un comité des disparitions forcées, composé de dix experts indépendants et impartiaux, veillera à la bonne application de la convention en examinant les mesures prises par les États parties ainsi que certaines communications émanant d’individus ou d’États. Doté de pouvoirs d’investigation et d’une capacité d’interpellation, il jouera aussi un rôle préventif et pourra être saisi en urgence par les proches d’une personne disparue. Enfin, il pourra effectuer des visites de terrain en cas d’atteinte grave à la convention et saisir l’Assemblée générale des Nations unies s’il constate une pratique systématique de l’enlèvement dans l’un des États parties.

La France a joué un rôle capital dans l’élaboration de ce texte. Elle fut, en 1979, à l’origine de la première résolution soumise aux Nations unies en matière de disparitions forcées et a présidé le groupe de travail qui a élaboré le texte. Le 6 février dernier, elle a eu l’honneur d’accueillir la cérémonie de signature de la Convention. À ce jour, 73 pays l’ont signée, dont quatre l’ont déjà ratifiée. La France doit en faire autant, et dans les meilleurs délais, comme elle doit se mobiliser pour ratifier la vingtaine de textes nécessaires à l’entrée en vigueur de ce texte historique.

À l’approche de la présidence française de l’Union, le Gouvernement, fidèle à l’engagement sans faille de notre pays en la matière, encouragera-t-il nos partenaires à accélérer le processus de ratification de cette Convention ? En attendant, j’invite l’Assemblée à adopter ce texte, qui permettra à la France de montrer l’exemple ! (Applaudissements)

M. François Loncle – Il va de soi que notre groupe est favorable comme l’ensemble de l’Assemblée, à la ratification de la Convention sur les disparitions forcées. La commission aurait d’ailleurs pu profiter de ce consensus pour proposer une procédure d’adoption simplifiée, mais elle a eu raison de ne pas le faire : l’Assemblée peut ainsi condamner solennellement le crime de disparition forcée. Tous ses membres ont en mémoire les manifestations, chaque jeudi, sur la place de Mai à Buenos Aires, de mères et de grand-mères exigeant la vérité sur le sort de leurs enfants enlevés par la dictature. L’Argentine tout entière fut traumatisée par cet inacceptable déni de justice.

Mme la rapporteure a rappelé le rôle de la France, dès 1979, dans l’élaboration de cette Convention. À ce titre, je tiens à rendre hommage au remarquable travail de M. Louis Joinet. J’aurais souhaité que la France fût la première à ratifier ce texte, mais l’Albanie, l’Argentine, le Honduras et le Mexique l’ont déjà fait. J’espère que le Quai d’Orsay se mobilisera pour mener sans délai la procédure à son terme.

En l’état, il existe un vide juridique très préjudiciable aux victimes, comme l’illustre l’exemple du Tchad. Lors des affrontements de février dernier, plusieurs opposants ont disparu dont certains, comme Lol Mahamat Choua et Ngarlejy Yorongar ont été relâchés après avoir été détenus et molestés par la force publique en toute illégalité. À ce jour, nous sommes toujours sans nouvelles d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, ancien ministre et porte-parole de l’opposition démocratique. Toutes ces disparitions relèvent de la présente convention, que le Tchad a signée mais non ratifiée. Le Président de la République a-t-il, lors de sa visite à N’Djamena en février, rappelé à son homologue tchadien ses obligations de signataire ? Lui a-t-il demandé de tout faire pour retrouver Ibni Oumar Mahamat Saleh ? Signer un tel texte, c’est bien. Le ratifier, c’est mieux encore. Mais hélas, c’est inutile s’il n’est pas appliqué. La France doit exiger que soit éclairci le sort de M. Saleh, enlevé un an – presque jour pour jour – après que son pays a signé la Convention sur les disparitions forcées.

Outre les États, certains groupes terroristes usent de l’enlèvement comme arme politique. En Afghanistan, en Colombie, en Espagne, en Irak ou au Liban, des hommes et des femmes, dont plusieurs Français, ont ainsi été retenus, parfois pendant plusieurs années. Ces actes barbares doivent être condamnés, car ils ne sont pas différents des enlèvements perpétrés par certains États. Je pense évidemment au cas emblématique d’Ingrid Betancourt. À cet égard, je m’étonne que les deux messages adressés par le Président de la République à « Monsieur » Marulanda, chef des FARC et commanditaire de l’enlèvement de notre compatriote en 2002, ne condamne pas ce crime. Certes, le Président de la République a l’obligation de veiller à la sécurité de tous les Français. Mais est-il dans son rôle lorsqu’il lance des appels au chef des ravisseurs, invitant ce « monsieur » à partager un « rêve de Noël » en libérant Ingrid Betancourt, avant de lui proposer un « rendez-vous avec l’histoire » ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Plus grave encore, le fait que les autorités françaises se soient déclarées prêtes à recevoir en France des guérilleros retenus en Colombie et leur accorder le statut de réfugiés. Cette offre est scandaleuse ; tenter d’abréger le calvaire d’Ingrid Betancourt – l’un des 800 otages aux mains des rebelles – ne la justifie pas. Elle est contraire au droit d’asile édicté par la Convention de Genève et ouvre la voie à tous les excès pour les autres organisations terroristes.

L’association France terre d’asile a d’ailleurs dénoncé cet extravagant projet, notant qu’un tel statut ne pouvait être accordé aux auteurs de grave crime de droit commun, de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. Même Ingrid Betancourt refusait cette option dans sa vidéo du 30 août 2003, exprimant courageusement son désaccord avec un échange humanitaire entre civils et guérilleros.

Sous réserve de ces remarques et dans l’attente de certains éclaircissements, Madame la ministre, le groupe SRC approuvera l’adoption de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Martine Billard – Je me félicite que la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées fasse l’objet d’un débat et non d’une procédure d’examen simplifiée. Elle est avant tout la victoire d’un combat mené depuis une trentaine d’années par la société civile, les organisations non gouvernementales et les défenseurs des droits de l’homme et des libertés.

Elle marque le refus de l’oubli, rendant enfin justice au « peuple de l’ombre », selon l’expression du poète et écrivain Julio Cortázar qui avait lancé en 1981 depuis notre sol, terre d’asile pour bien des combattants de la liberté, un cri d’alarme pour dénoncer les disparitions massives pratiquées par des dictatures, en Amérique latine et ailleurs.

Ce texte est le fruit d’efforts, de sacrifices, du courage d’hommes et femmes que je veux ici saluer. Sans l’acharnement de la fédération de familles de disparus d’Amérique latine, il n’existerait pas. Je veux aussi saluer les mères et les grand-mères de la place de Mai et les associations des familles de disparus qui n’ont eu de cesse de dénoncer les disparitions forcées sous la junte, de réclamer justice et de refuser l’oubli en bravant la terreur militaire, parfois au péril de leur vie.

La décennie des années 1960 est une période sombre sur le continent latino-américain, qui vit sous la botte des régimes militaires ; ceux-ci excellent dans le domaine au point de mettre en place le Plan Condor, politique de coopération entre dictateurs dans la chasse et l’exécution des opposants sur l’ensemble du continent. Mais ce sont les atrocités de la dictature argentine – 30 000 disparitions, tortures, enlèvements d’enfants nés en captivité de mères ensuite « disparues », puis adoptés par des familles de militaires qui les élevaient dans le secret de leurs origines – qui ont été à l’origine de la prise de conscience de la communauté internationale de l’urgence d’établir un mécanisme international.

C’est en 1978 que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la première résolution, où elle demandait aux États membres de coopérer avec les Nations unies dans la recherche et la localisation des personnes portées disparues, chargeant sa commission des droits de l’homme d’examiner la question des disparitions forcées.

L’histoire comporte parfois de tristes clins d’œil : 1978, c’est aussi la date de la coupe de monde de football, organisée par la junte militaire argentine. À l’approche des Jeux olympiques, organisés par la Chine, je me dis que la fête du sport permet parfois d’étouffer les cris de la liberté.

En 1980, la commission des droits de l’homme de l’ONU a décidé de constituer un groupe de travail, composé de cinq membres agissant en tant qu’experts nommés à titre personnel, pour examiner les questions concernant les disparitions forcées ou involontaires de personnes. Le mandat était d’abord humanitaire, puisqu’il s’agissait de « faciliter la communication entre les familles des personnes disparues et les gouvernements intéressés afin de faire en sorte que les cas suffisamment circonstanciés et clairement identifiés fassent l’objet d’enquêtes et que la lumière soit faite sur le sort des personnes disparues ».

Cependant, la pratique des missions in situ a conduit le groupe à étendre le champ de ses missions en examinant le phénomène des disparitions forcées dans une perspective plus globale. Il s’est alors mis à étudier les pratiques, les législations et les institutions qui favorisaient les disparitions forcées. Il a aussi entrepris d’identifier les mesures préventives et répressives que les États devaient mettre en place pour éradiquer la pratique des disparitions forcées.

Il a ensuite été chargé de veiller à la mise en œuvre, par les États, des obligations découlant de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées adoptée en 1992 par l’Assemblée générale des Nations unies. Ainsi, progressivement, le mandat initial du groupe s’est trouvé amplifié de manière considérable.

Ce travail, entrepris il y a trente ans, trouve dans cette convention son aboutissement. Nous pouvons nous réjouir que notre pays ait accompagné avec constance et détermination le travail diplomatique nécessaire à l’élaboration et à la signature d’un tel texte.

La convention exprime la volonté des États d’en finir avec une pratique odieuse, fondée sur la terreur, le mensonge et l’oubli. Elle marque une étape historique dans le combat pour la dignité de l’homme et la sauvegarde de son intégrité physique et morale. Désormais criminalisée et, dans certaines circonstances, caractérisée comme crime contre l’humanité, la disparition forcée sera passible des peines les plus lourdes prévues par la loi. Aucune dérogation, aucune exception, même en temps de guerre, ne pourront exonérer ses auteurs de leur responsabilité.

La convention interdit à juste titre les lieux de détention secrets. En ces temps terribles où la lutte contre le terrorisme se traduit souvent par des atteintes intolérables aux droits fondamentaux, on ne peut que se féliciter d’une telle disposition.

En effet, il serait naïf de croire que les disparitions forcées soient un phénomène appartenant au passé. C’est un fléau qui sévit sur tous les continents. Dans plusieurs pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, elles sont monnaie courante. En Tchétchénie, la pratique est devenue systématique. En Algérie, le nombre des disparitions forcées enregistré ces dernières années est alarmant.

C’est pourquoi la convention doit être ratifiée au plus vite pour affronter ce tragique regain d’actualité. À l’instar des organisations de défense des droits de l’homme, nous pouvons nous féliciter que ce texte contraigne enfin les États parties à prendre les mesures nécessaires pour faire traduire en justice un responsable présumé de disparition forcée s’il se trouve sur leur territoire, ou bien de l’extrader, ou de le remettre à une juridiction internationale.

La qualification de la disparition forcée de crime continu est également une avancée remarquable, qui permettra aux familles de victimes de bénéficier de longs délais pour se porter devant la justice.

Ce texte est le premier à reconnaître que les victimes ne sont pas seulement les disparus, mais aussi leurs proches, laissés dans l’impossibilité de faire leur deuil. Des dispositions spécifiques concernent les enfants de disparus, et la possibilité d’annuler une adoption trouvant son origine dans une disparition forcée. Je pense à Juan Gelman, poète argentin, qui vient de retrouver sa petite-fille, qu’il recherchait obstinément depuis toutes ces années.

La convention consacre en outre la responsabilité du supérieur hiérarchique, ce qui empêche que le donneur d’ordre soit soustrait à la justice sous prétexte que ce n’est pas lui qui a commis directement le crime.

Elle prévoit, enfin, la création, pour une période de quatre ans, d’un comité des disparitions forcées, composé de dix experts indépendants, qui pourrait porter une situation à l’attention du secrétaire général des Nations unies, lancer des appels urgents ou effectuer des visites sur place.

Madame la ministre, alors que notre pays s’apprête à présider l’Union européenne, il est primordial que le Gouvernement s’assigne comme mission prioritaire de faire signer, puis de faire ratifier cette convention par les pays de l’Union afin qu’elle puisse s’appliquer rapidement et que l’on puisse faire reculer cette pratique horrible et sinistre (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Philippe Folliot – Très bien !

Mme Martine Aurillac – La coopération judiciaire connaît des avancées notables, même si elles ne sont pas toujours aussi rapides qu’on pourrait le souhaiter ; la convention que nous examinons ce matin en est l’illustration. Si le nombre des enlèvements et des disparitions s’est considérablement accru depuis les années 1970 en Amérique latine, ces exactions ont désormais lieu dans le monde entier.

Cette convention répare un vide juridique patent. Elle n’est pas incompatible avec les efforts personnels du Président de la République, soucieux de venir en aide à certains disparus et à leurs proches (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. François Loncle – Pas à n’importe quel prix !

Mme Martine Aurillac – Après avoir énuméré les éléments constitutifs de l’infraction, la convention pose pour la première fois le principe de l’interdiction des disparitions forcées et de la détention secrète. Elle oblige les États parties à introduire dans leur droit pénal le crime de disparition forcée et à poursuivre les auteurs, les complices et les commanditaires. L’article 25 vise à prévenir et à réprimer les soustractions d’enfants, et à coordonner les recherches et les identifications d’enfants disparus.

Le volet préventif de la convention comporte une série de garanties procédurales et des actions de formation.

La convention prévoit le renforcement de la protection des victimes, mais aussi de leurs proches, avec un régime de prescription très favorable – bien que difficile à appliquer – ainsi que le droit à la vérité et à la réparation.

Enfin, une structure de suivi originale est créée : le comité des disparitions forcées est chargé de la mise en oeuvre de ces mesures : c’est de sa vigilance et de son action que dépendra l’efficacité de la convention.

La France s’est mobilisée depuis plusieurs années pour la mise en place d’un instrument juridique permettant de poursuivre ces crimes d’État, en temps de paix comme en tant de guerre.

Cinquante-sept États ont signé la convention lors de la cérémonie qui a eu lieu à Paris le 6 février 2007 ; quatre l’ont déjà ratifiée ; notre honneur exige que nous ne tardions pas davantage à les imiter. Le groupe UMP votera donc la ratification de ce texte, qui contribue à défendre les droits de l’homme et à renforcer la coopération internationale (Applaudissements).

M. Philippe Folliot – Je souhaite tout d’abord rendre hommage au fils de l’un de mes amis, Aloïs, qui nous a quittés cette nuit à l’aube de sa vingt-troisième année ; comme beaucoup de jeunes Français, il croyait aux valeurs d’humanité et de générosité, était sensible à la misère d’autrui et souhaitait voir les droits de l’homme universellement respectés.

Il est essentiel que l’Assemblée de la première nation à avoir adopté, en 1789, une déclaration valant pour tous les peuples du monde ratifie la présente convention, que nous avons contribué à rédiger et tenu à signer sans tarder, et dont tous ici reconnaissent l’importance. Comme l’a rappelé la rapporteure, l’actualité l’exige : les disparitions forcées, autrefois limitées au continent sud-américain, se sont hélas peu à peu propagées, telle la gangrène. En vertu d’un principe d’universalité, nous devons proclamer que ces atteintes aux droits fondamentaux de l’homme et du citoyen ne resteront pas impunies : quand les justices nationales n’ont de justice que le nom, la communauté internationale doit pouvoir enquêter sur ces actes odieux et les frapper de la condamnation qu’ils méritent.

Les disparitions forcées sont particulièrement injustes : au mépris des règles élémentaires de l’État de droit, les victimes sont enlevées par l’État ou par des officines clandestines qu’il contrôle ou instrumentalise, le plus souvent parce qu’elles défendaient la liberté, la démocratie et la dignité humaine – je songe aux courageuses mères de la place de Mai, à Buenos Aires, dont le combat a tant contribué à faire prendre conscience de ce mal.

Si les disparitions forcées sont insupportables, c’est également en raison du doute qui s’empare des proches des victimes : il est terrible de ne pas savoir où elles sont, ce qui leur arrive ni même ce qu’elles ont fait pour être enlevées.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Philippe Folliot – Enfin, ces disparitions s’apparentent à une double peine, car elles pénalisent non seulement les victimes, mais leur entourage.

Nous nous félicitons que cette convention, qui a le mérite de proposer une approche globale du problème, fasse l’objet d’une discussion en séance publique ; le groupe Nouveau centre, qui s’associe aux propos du Gouvernement, de la commission et des différents orateurs, en votera bien entendu la ratification…

M. le Président – Merci.

M. Philippe Folliot – …car la France ne peut que s’enorgueillir et se réjouir de l’avancée qu’elle constitue (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme Je souhaite répondre aux quelques parlementaires qui m’ont interpellée – peu nombreux au demeurant, car la ratification de la convention est unanimement souhaitée, ce dont je me félicite. Comme l’a rappelé Mme Billard, ce texte est le fruit du combat livré pendant de nombreuses années par les militants des droits de l’homme, par les familles de disparus, par les ONG – auxquels je tiens à rendre hommage – et par la France, qui s’est fait leur avocate auprès des institutions internationales.

M. Folliot l’a dit, la disparition forcée est plus cruelle que la mort, car les familles, ignorant si leurs proches sont vivants ou non, ne peuvent faire leur deuil et leur vie est en suspens ; ces pratiques sont donc contraires non seulement aux règles de l’État de droit, mais à la vie elle-même.

Mme la rapporteure, Mme Billard et M. Loncle m’ont interrogée sur la manière dont la France compte tirer profit de la présidence de l’UE pour faire appliquer la convention le plus rapidement possible. Vingt ratifications étant nécessaires, nous nous sommes déjà mobilisés en créant à Genève le groupe des amis de la convention, qui regroupe une vingtaine de pays et vise à inciter le plus grand nombre possible d’États à ratifier le texte ; nous avons également organisé avec les ONG, en marge des réunions du Conseil des droits de l’homme, des événements visant à promouvoir cet instrument ; enfin, nous avons adopté et fait adopter par consensus, lors de la dernière réunion du Conseil, en mars dernier, une résolution appelant les États qui ne l’ont pas encore fait à adhérer sans tarder à la convention. Nous poursuivrons dans cette voie au cours de la présidence française de l’UE, et nous nous efforcerons de convaincre les pays extra-communautaires.

Monsieur Loncle, vous m’avez interrogée sur les personnalités politiques disparues au Tchad à la faveur de la guerre. Lors de sa visite sur place, le Président de la République a souhaité que soit constituée une commission d’enquête réunissant, afin d’en garantir l’indépendance et l’impartialité, des experts et des membres de l’opposition, de l’Organisation internationale de la francophonie et de l’UE. Après accord du président tchadien, la commission a été créée et a pu procéder à des auditions ; nous sommes très attentifs à ses travaux et nous attendons ses conclusions. Dans l’intervalle, deux des trois disparus ont été retrouvés ; reste M. Saleh, dont j’ai tenu à recevoir le fils pour lui exprimer notre détermination à obtenir des autorités tchadiennes des éclaircissements sur cette affaire et à retrouver son père dans les meilleurs délais.

Je tiens à remercier M. le président, M. le président de la commission et Mme la rapporteure ; je remercie également les députés d’approuver unanimement la ratification d’un texte essentiel pour la France et pour tous les disparus (Applaudissements sur tous les bancs).

L’article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

MODERNISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL (CMP)

L’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail.

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – Alors que plusieurs amendements, notamment sénatoriaux, avaient quelque peu éloigné le projet des termes de l’accord national interprofessionnel, le texte de la CMP l’en rapproche. Ainsi, deux amendements du Sénat ont été supprimés : l’un, qui a fait l’objet d’un long débat, tendait à permettre aux conseils de prud’hommes de juger en premier et en dernier ressort les contentieux liés à la rupture conventionnelle ; l’autre autorisait les entreprises de travail temporaire à pratiquer le portage salarial, – sur ce point, la CMP a considéré qu’il ne fallait pas préjuger des discussions qui vont s’engager.

La CMP a souhaité sur plusieurs points ajouter aux garanties de sécurité procurées par l’accord national interprofessionnel : ainsi avons-nous étendu le délai de prévenance aux CDD, prévu quinze jours ouvrables, et non plus calendaires, pour l’homologation par les directions départementales du travail des ruptures conventionnelles et accordé un délai d’un an pour engager les recours en matière de rupture conventionnelle.

Le présent texte représente la première application de la loi de janvier 2007 donnant priorité au dialogue social, avec la première transposition d’un accord national interprofessionnel. Le bilan est positif…

M. Roland Muzeau – Non !

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – …puisque le texte de loi est proche de l’accord, même un peu plus précis. Nous avons donc bien tenu la feuille de route. C’est peut-être aussi le premier texte social adopté sans trop de heurts à l’Assemblée, malgré un climat social assez tendu. Aurions-nous pu entériner de manière aussi consensuelle, sans la signature préalable de l’accord, la rupture d’un commun accord ?

M. Marc Dolez – Ce n’est pas consensuel !

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – La majorité aurait-elle sans heurt entériné la fin du CNE ?

M. Jean-Frédéric Poisson – Très juste observation !

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – Aurions-nous, enfin, adopté le contrat de travail à objet défini, s’il n’avait été précédé de l’accord ? Inversement, avec la loi de janvier 2007, les lois sur les 35 heures n’auraient sans doute jamais été adoptées, et le CNE n’aurait jamais vu le jour. Nous sommes donc à une étape nouvelle de notre législation sociale. La route est dégagée pour d’autres accords et pour un droit social moins heurté, moins dogmatique, moins soumis aux aléas des alternances, plus sécurisé. Nous prenons peut-être, avec ce texte, un virage décisif pour notre démocratie, tournant le dos à la lutte des classes…

M. Roland Muzeau – C’est un rêve !

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – …pour nous appuyer davantage sur le contrat, le compromis ou l’accord. C’est peut-être un rêve, mais en ces temps un peu gris, nous avons besoin de rêver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Frédéric Poisson – J’adresse mes félicitations à M. Dord, qui, sur ce premier accord national interprofessionnel, s’est, en commission comme dans cet hémicycle, acquitté de sa tâche de défricheur avec une grande efficacité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les discussions en CMP ont porté principalement sur l’article 5, relatif à la rupture conventionnelle, et sur l’article 8, relatif au portage salarial.

Nous sommes parvenus, sur le premier point, à un bon équilibre en rétablissant la possibilité d’un appel après la décision des prud’hommes. Le pourvoi en cassation, qui était la seule possibilité laissée au salarié, est peu commode, onéreux et plus long. Rétablir un appel contribue à rendre la procédure de rupture conventionnelle plus attrayante, en tout cas moins effrayante pour le salarié.

M. Benoist Apparu – Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson – En même temps, nous avons souhaité limiter le délai de recours à douze mois ; cela nous paraît raisonnable, s’agissant d’un accord signé entre le salarié et l’employeur. Nous sommes conscients que les juridictions ne seront probablement saisies que sur la forme, c’est-à-dire sur la portée réelle du consentement du salarié. Pour cette raison également, il est souhaitable de maintenir l’équilibre.

En ce qui concerne l’article 8, nous n’avons pas retenu la rédaction du Sénat autorisant les entreprises d’intérim à pratiquer le portage salarial, pour ne pas « préempter » les négociations à venir. Nous avons en revanche confirmé le souhait de la seconde chambre de voir les représentants des entreprises de portage salarial concernés par les négociations. Nous avions eu un long débat, en première lecture, à propos de l’engagement pris par les entreprises de travail temporaire, dans une lettre à M. Bertrand, envers les entreprises de portage salarial. Elles ont, depuis lors, confirmé au président de la CMP, M. le sénateur About, qu’elles respecteraient leur engagement de consulter des dernières. Mon souci d’un meilleur équilibre, dans ce que j’ai appelé la guerre du pot de terre contre le pot de fer, me paraît donc avoir été pris en considération.

M. Roland Muzeau – Vous aviez bien raison de vous inquiéter !

M. Jean-Frédéric Poisson – En conclusion, je suis heureux que nous ayons pu mener ce travail législatif sur des bases renouvelées, et le groupe UMP votera le texte issu de la CMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Patrick Gille – Je suis déçu que M. Bertrand ne soit pas présent (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – Il ne peut pas être là : il est en train de torpiller le dialogue social !

M. Jean-Patrick Gille – Sans doute n’est-il pas prêt à s’expliquer sur sa récente volte-face en matière de dialogue social ! (Même mouvement)

M. Roland Muzeau – Sur sa trahison !

M. Jean-Patrick Gille – Au début de l’examen de ce projet, tout le monde se félicitait, après les expériences désastreuses du CPE et du CNE, de l’application du principe issu de la loi de janvier 2007 obligeant à la concertation avec les partenaires sociaux avant toute modification du code du travail. M. Bertrand était le premier à s’enthousiasmer de cette relance du dialogue social, dont témoignait la signature de l’accord national interprofessionnel auquel ce texte doit donner force de loi. La transcription, fût-elle partielle, devait marquer l’émergence d’une démocratie sociale à la française.

Aujourd’hui, on peut se demander si la majorité n’a pas cassé ce nouvel élan de la démocratie sociale – cette expression forte n’est pas de moi, mais de Mme Parisot, présidente du MEDEF. M. Chérèque a déclaré, quant à lui : « Nous avons le sentiment d’avoir été trahis par le ministre du travail. »

Le leitmotiv du Gouvernement était pourtant : « l’accord, rien que l’accord ». Aujourd’hui, pour flatter votre majorité, s’agissant d’un accord que l’on pourrait qualifier d’historique sur la représentativité, le ministre profite d’un codicille sur le temps de travail pour dénaturer la position commune et organiser le démantèlement des 35 heures.

M. Jean-Frédéric Poisson – Pourrait-on parler du texte ?

M. Jean-Patrick Gille – Le sujet, c’est aussi le dialogue social !

Cette trahison des négociateurs est une remise en cause du rôle des partenaires sociaux. L’idylle récente se révèle n’être qu’une ruse ou un marché de dupes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Marc Dolez – Tout le monde n’est pas surpris !

M. Jean-Patrick Gille – Vous écoutez les partenaires sociaux, mais ne les entendez que lorsque cela vous arrange ! Dans les autres cas, vous passez en force. Cependant, cela risque bien, cette fois-ci, d’être « une victoire à la Pyrrhus » – comme le dit Mme Parisot –, qui désorganisera les entreprises en leur faisant refaire le chemin à l’envers pour ce qui est des 35 heures.

M. Benoist Apparu – MEDEF et PS, même combat !

M. Jean-Patrick Gille – Ce qui se révélera de surcroît fort onéreux, puisqu’après avoir accordé des exonérations pour réduire le temps de travail et embaucher, l’État en accordera pour développer les heures supplémentaires. À moins que le but soit de ne plus majorer les heures supplémentaires, ce qui – je le dis solennellement – déboucherait sur un conflit social majeur et destructeur pour notre économie.

L’attitude ambivalente du Gouvernement à l’égard des partenaires sociaux se manifeste également dans le dossier de l’assurance chômage. La sécurisation des parcours dépend pour beaucoup de cette négociation à venir, plus que du présent texte, qui fait la part belle à la flexibilité.

Or, nous assistons à une reprise en main de l’UNEDIC par l’État et à une remise en cause du paritarisme,…

M. Benoist Apparu – Rien que ça ?

M. Jean-Patrick Gille – …remise en cause aujourd’hui attestée par le fait qu’avant même le début des négociations, vous annoncez la baisse des cotisations au profit des retraites et que vous renforcez les sanctions contre les demandeurs d’emplois. À quoi s’ajoute le fait que M. Bertrand a autorisé, dans le cadre européen, la possibilité de dérogations individuelles sur le temps de travail allant jusqu’à 60, voire 65 heures hebdomadaires. Le changement de cap est total ! Mais nous aurons l’occasion d’en reparler…

Il y a quelques semaines, vous célébriez la naissance de la flexicurité à la française dans le cadre d’un dialogue social renforcé. Aujourd’hui, nous assistons à l’enterrement de la démocratie sociale comme prix à payer pour calmer l’impatience de votre majorité d’en finir avec les 35 heures. Vous envisagez maintenant de capter les excédents de l’UNEDIC – et demain les crédits de la formation professionnelle – pour combler les déficits sociaux.

À moins que tout cela n’ait été qu’un leurre depuis le début, le rôle du ministre consistant à endormir les syndicats dans des cycles successifs de négociations pour permettre l’alignement sur le modèle anglo-saxon, avec ses job centers et la pression exercée sur les chômeurs pour qu’ils acceptent les « mauvais boulots ».

Bref, vous préférez régler le problème du chômage par une précarisation croissante plutôt que de vous attaquer à la précarisation du marché de l’emploi.

Pour notre part, nous restons attachés à l’épanouissement d’une démocratie sociale que la loi vient valider sans automaticité, pour peu qu’elle contribue au renforcement du contrat social et qu’elle conjugue progrès social et efficacité économique. Cette ligne de conduite explique notre attitude constructive durant l’examen de ce texte et notre choix de nous abstenir malgré la trahison de la majorité. Nous, nous voulons réellement donner une chance au dialogue social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Roland Muzeau – Après son adoption par notre Assemblée en première lecture, le projet de loi portant modernisation du marché du travail a tranquillement mais sûrement poursuivi son parcours.

Le rapporteur vient de vanter l’équilibre supposé de ce texte, transcription fidèle – selon lui – de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, vitrine de la « modernité » du Gouvernement – qui appliquerait une méthode nouvelle, celle du dialogue social au quotidien – et de la flexicurité.

La consigne a été respectée. Après les députés, les sénateurs de la majorité ont veillé au respect de la lettre et de l’esprit de l’accord, s’accordant tout de même quelques précisions complémentaires sur la période d’essai et le CDD à objet défini. Lorsqu’ils se sont autorisé une vision différente de celle des partenaires sociaux, les modifications adoptées ont été autant de trouvailles au service de la précarisation de la relation salariale et de la négation des droits des salariés. Il a ainsi été question d’autoriser les entreprises d’intérim à exercer une activité de portage salarial. La tentation a également été grande de réduire encore le droit de regard du juge sur la rupture négociée du contrat de travail, que vous présentez comme une avancée.

L’amendement sénatorial donnant compétence aux prud’hommes pour statuer en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs à la rupture conventionnelle, privant de facto le salarié de toute possibilité de faire appel, a été âprement défendu jusqu’en CMP. Mais la résistance des parlementaires de gauche a payé – il est vrai qu’a pu jouer aussi la crainte que cette disposition dérogatoire au droit commun ne soit contraire à nos engagements internationaux et ne constitue un motif d’inconstitutionnalité ! – et la possibilité de faire appel a été rétablie.

L’article 5, qui repose sur la fiction de l’égalité des parties au moment de la rupture du contrat de travail, reste cependant un outil au service du plus fort, l’employeur. Reste qu’il s’agit là, pour reprendre les propos du ministre, « d’une modernisation sans précédent des relations individuelles de travail et d’un changement considérable dans le droit du travail».

Cet article est une victoire pour le Medef, qui exige depuis longtemps la fluidification du marché du travail et la sécurisation juridique de la relation de travail.

En ligne de mire, le droit du licenciement, jugé trop protecteur non parce qu’il empêche véritablement les licenciements – même si l’ANPE en recensait tout de même plus de 930 000 en 2006 – mais parce qu’il oblige l’employeur à justifier sa décision par un motif réel et sérieux et qu’il ouvre aux salariés une voie juridique de résistance. Peu importe que seuls 20 % des licenciements soient contestés devant les prud’hommes et que les condamnations restent rares : ce sont des verrous qu’il fallait faire sauter, comme les 35 heures, ne serait-ce pour des raisons idéologiques.

Exit, donc, l’exigence de cause réelle et sérieuse. Pour rompre le contrat de travail, il suffira désormais d’obtenir le consentement du salarié. La rupture conventionnelle est bien, comme l’a souligné le professeur Dockès « un puissant moyen d’écarter le droit du licenciement ». Elle présente en outre l’avantage de prémunir l’employeur contre tout véritable contrôle du juge, de même qu’elle assoit l’immunité de son pouvoir de direction et l’arbitraire de son pouvoir de décision.

M. Jean-Frédéric Poisson – C’est un peu exagéré…

M. Roland Muzeau – D’autres dispositions augurent de bouleversements inquiétants de notre droit du travail au préjudice des salariés.

Je ne reviens pas sur l’alternative à la fin du CNE, l’allongement déraisonnable de la durée des périodes d’essai, qui retarde d’autant l’application du droit du licenciement.

Je ne m’attarderai pas davantage sur le nouveau CDD à objet défini, inspiré du contrat de chantier, qui a tous les inconvénients des CDD avec une particularité supplémentaire : sa stabilité n’est plus garantie. Le texte déroge en effet aux règles de droit commun applicables aux CDD, qui ne peuvent être rompus unilatéralement par l’employeur qu’en cas de faute grave ou de force majeure. Pour ajouter de la précarité à la précarité, ce super CDD pourra être rompu pour un motif réel et sérieux !

Si le texte rappelle que tout licenciement pour motif personnel ou économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, il y a toujours discussion sur le point de savoir si l’exigence de motif précis n’est pas amoindrie. Peut-être s’agit-il – là encore – d’une remise en cause des exigences de la jurisprudence Rogie, qui assimile l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement à une absence de cause réelle et sérieuse.

L’accord national interprofessionnel, l’ANI, a donc donné naissance à un texte inspiré des propositions du MEDEF, favorable à une flexibilité maximale pour les grandes entreprises et à une sécurité minimale pour les salariés.

La requalification des CNE en CDI est la seule vraie mesure positive du texte. Encore n’est-elle pas à porter à votre crédit, puisque c’est la pression populaire et la décision de l’OIT qui vous ont obligés à réagir. Qu’il s’agisse de la réduction de l’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnisation complémentaire maladie, du doublement de l’indemnité légale de licenciement ou de la transférabilité de certains droits, le moins que l’on puisse dire est que les quelques avancées de l’accord ne suffisent pas à équilibrer la balance.

L’équilibre relatif entre flexibilité et sécurité prête à commentaire dans vos propres rangs. « Ce n’est pas le grand soir », selon les sénateurs centristes. Miroir aux alouettes, la flexicurité ?

Je ne résiste pas à l’envie de reprendre les propos de Thomas Coutrot, qui résument assez bien notre sentiment : « La version “made in Medef” de la flexicurité est une caricature, c’est la flexibilité pour les salariés et la sécurité pour les entreprises... Pile je gagne, face tu perds ».

Les salariés et le monde du travail y perdront.

Quant à la démocratie sociale, en sortira-t-elle renforcée ?

M. Benoist Apparu – Oui !

M. Roland Muzeau – Ses acteurs auront-ils gagné en autonomie, en indépendance ?

M. Benoist Apparu – Oui !

M. Roland Muzeau – J’en ai douté dès la première lecture. Je m’interrogeais légitimement sur le rôle de l’accord et de la loi dans notre démocratie et sur la réalité du contrat compte tenu des règles de représentativité et de validité des accords.

M. Jean-Frédéric Poisson – C’est une vraie question.

M. Roland Muzeau – Je vous ai interpellés sur la qualité du dialogue social, les partenaires sociaux ne devant pas être considérés comme les simples accompagnateurs d’une majorité politique ; sur le danger qu’il y avait à mettre en concurrence démocratie sociale et démocratie politique et à dénier aux parlementaires tout droit de regard sur les questions sociales. Le rapporteur a estimé que je ne faisais que traduire la méfiance des élus communistes vis-à-vis des acteurs sociaux.

Le climat social d’aujourd’hui me donne raison. La crédibilité du Gouvernement est entamée : l’appétit idéologique de la droite sur les 35 heures a eu raison de la position commune sur la représentativité. Contrairement à vos engagements, vous allez bien au-delà de la transcription législative de l’accord sur la représentativité syndicale, en ajoutant un volet temps de travail à ce texte qui modifie plus de 60 articles du code du travail.

Les partenaires sociaux ont des raisons d’être inquiets. La CFDT a le sentiment d’avoir été trompée ; la CGT dénonce une « méthode malhonnête ». Mais les propos les plus durs sont venus de Laurence Parisot, qui vous accuse « de prendre des décisions politiques qui cassent ce nouvel élan très sain pour la pacification et la construction sociale en France. »

M. Jean Mallot – C’est un comble !

M. Roland Muzeau – Pour ma part, je ne suis pas surpris. Ce reniement de vos engagements est symptomatique de votre conception biaisée du dialogue social, que vous instrumentalisez pour enfermer le Parlement et les partenaires sociaux dans l’exécution du programme présidentiel.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe GDR s’opposeront à nouveau à ce texte.

M. Marc Dolez – Très bien.

M. Philippe Folliot – Nous voici arrivés au terme de l’examen de ce texte, auquel mon collègue Francis Vercamer a apporté toute sa contribution en première lecture.

Le groupe Nouveau centre a accueilli ce texte avec satisfaction. D’abord, il est le fruit d’un dialogue social qui a permis aux uns et aux autres de prendre leurs responsabilités pour adapter les règles de fonctionnement de notre marché du travail aux réalités du monde économique. Directeur général pendant une dizaine d’années d’un organisme paritaire spécialisé dans le financement et la construction de logements sociaux, je sais combien cette démarche peut être positive.

Ensuite, ce projet instaure une flexicurité à la française, qui confère à la fois souplesse aux entreprises et sécurité aux salariés. Il introduit en effet dans notre législation du travail, dans la logique de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, un certain nombre d’avancées. Je pense à la réaffirmation de la place centrale du CDI, à la clarification des règles applicables aux périodes d’essai, à l’accès plus facile à certains droits, à la reconnaissance d’un mode de cessation amiable du contrat de travail – avec une rupture conventionnelle clairement encadrée pour plus de sécurité juridique, tant pour l’employeur que pour le salarié –, ainsi qu’à la création du contrat à objet défini.

L’examen du texte par le Sénat est venu préciser les travaux de l’Assemblée, notamment pour ce qui concerne l’information des élus du personnel sur le recours aux contrats conclus avec les sociétés de portage salarial, l’introduction d’un délai de prévenance en cas de rupture d’un CDD pendant la période d’essai, le délai accordé à l’administration du travail pour instruire la demande d’homologation dans le cadre de la rupture conventionnelle, calculé en jours ouvrables et non plus calendaires.

Les possibilités de rupture du contrat à objet défini ont également été précisées. Le Sénat a ainsi établi que la rupture pouvait intervenir au bout de 18 mois, puis au deuxième anniversaire du contrat.

La commission mixte paritaire a eu à débattre de plusieurs de ces points, sans toutefois les remettre en cause. D’autres dispositions ont suscité des échanges nourris. La CMP s’est ainsi saisie de la mesure introduite par le Sénat pour donner compétence aux prud’hommes de statuer en premier et dernier ressort sur les litiges susceptibles d’intervenir dans le cadre de la rupture conventionnelle.

Pour certains, le fait que la rupture conventionnelle résulte d’un accord entre les parties, qu’il y ait un délai de rétractation et que la convention de rupture fasse l’objet d’une homologation par l’administration suffisait pour assurer, en l’absence d’appel, l’équilibre de la transaction. Pour d’autres, la possibilité d’appeler d’une décision de justice est un principe de droit qui ne peut souffrir aucune exception et, en son absence, le risque était grand que les salariés ne se détournent de cette procédure, en considérant qu’elle ne présentait pas assez de garanties.

M. Roland Muzeau – Ce qui reste vrai !

M. Philippe Folliot – La CMP s’est légitimement rendue à cet avis, en relevant en outre que cette disposition était étrangère à l’esprit de l’ANI et suscitait, à ce titre, l’inquiétude des partenaires sociaux signataires. À plusieurs reprises, nous avions du reste souligné la nécessité de respecter l’accord conclu entre les partenaires sociaux, conformément à la loi de janvier 2007 dont notre rapporteur a rappelé tout l’intérêt

Le Gouvernement et les parlementaires ont veillé à ce que le texte reste équilibré, sans restreindre la liberté d’amendement. La représentation nationale a ainsi pu travailler sans remettre en cause l’esprit de l’ANI. C’est de ce même respect des dispositions issues du dialogue social qu’il nous faudra faire preuve à l’occasion de l’examen des prochains textes (Rires sur les bancs du groupe GDR).

En matière de règles du travail, chacun sait qu’il reste d’importantes réformes à accomplir et qu’elles seront difficiles. Veillons donc à ce que la responsabilité dont font preuve les partenaires sociaux aille de pair avec la sincérité de la négociation collective et le respect des décisions qui résultent du dialogue social.

Vous le savez, ce texte n’est pour nous qu’une étape vers un nouveau modèle d’organisation des relations du travail, que nous voulons tous à la fois souple et protecteur. Sur bien des aspects, le contenu du projet de loi que nous nous apprêtons à adopter reste en effet en deçà des dispositions de l’accord national interprofessionnel (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). La sécurisation des parcours professionnels ne peut se résumer à la seule réforme du contrat de travail. Elle passe également par des réformes dans des domaines variés, dont un certain nombre sont abordés par l’ANI, mais ne sont pas traités dans le présent texte – je citerai la formation professionnelle, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la sécurisation des périodes de transition et de chômage en cas de restructurations industrielles et l’avenir des contrats de transition professionnelle.

M. Roland Muzeau – C’est pour cela qu’il ne faut pas voter ce projet !

M. Philippe Folliot – Le groupe Nouveau centre a déjà eu l’occasion de dire qu’il aurait préféré une loi-cadre reprenant l’intégralité des avancées de l’accord, quitte à n’énoncer que les grands principes par les parties qui relèvent encore de la négociation collective.

M. Roland Muzeau – Mais non ! Il faut faire confiance aux décrets !

M. Philippe Folliot – La réalité, c’est qu’employeurs et salariés ont besoin de disposer rapidement d’une vision d’ensemble sur la nouvelle organisation de notre marché du travail, ainsi que de précisions sur les modalités de sécurisation des parcours professionnels. De la même façon, ils aspirent à une stabilisation du code du travail. Le droit du travail ne doit pas devenir un enjeu idéologique…

M. Jean Mallot – N’est-ce pas pourtant déjà le cas ?

M. Philippe Folliot – …mais être le cadre de relations librement négociées entre partenaires sociaux. Il convient par conséquent de mener à bien l’ensemble des chantiers engagés, dans un partenariat efficace avec les partenaires sociaux, conformément à la loi de modernisation du dialogue social.

Le présent texte représente un premier pas vers la modernisation des règles du marché du travail. Tout en sachant que beaucoup reste à accomplir, le groupe Nouveau centre fait ce premier pas avec confiance.

M. Roland Muzeau – Quelle erreur !

M. Philippe Folliot – Le Gouvernement devra réussir les étapes suivantes, et c’est pour l’y aider que notre groupe votera ce texte (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Mallot – Il a beaucoup été question, au cours de nos travaux, de « flexisécurité » ; pourtant, nombre d’entre nous ont observé – et M. Folliot lui-même, à l’instant – que ce texte transpose avec bien plus d’empressement les dispositions de l’ANI qui créent de la flexibilité que celles censées procurer plus de sécurité.

M. Roland Muzeau – Eh oui !

M. Jean Mallot – À l’évidence, le Gouvernement voulait aller dans le sens du patronat et il a fallu apporter bien des corrections au cours du débat parlementaire.

Le texte instaure la rupture conventionnelle du contrat de travail et le CDD à objet défini. Pour ce qui concerne la portabilité des droits prévue à l’article 14 de l’ANI, on renvoie par contre à des négociations ultérieures. Quant à la sécurisation des parcours professionnels, on en est encore loin et l’abrogation du CNE ne compense pas notre déception.

Fort opportunément, quelques amendements sont venus rapprocher le texte des dispositions de l’accord. Si tel n’avait pas été le cas, nous aurions considéré que l’ANI avait été trahi, dans la lettre comme dans l’esprit. Je salue notamment le retour à l’ANI pour la définition du CDI comme forme normale et générale du contrat de travail et la reprise dans la loi de la définition de la période d’essai. Mais j’insiste surtout sur l’amendement destiné à reprendre l’article 12 de l’ANI, pour faire en sorte que les salariés dont la rupture du contrat de travail est conventionnelle au sens de l’article 5 du présent texte bénéficient du versement des allocations d’assurance chômage dans les conditions de droit commun. J’observe que cet amendement avait été adopté à l’unanimité de notre Assemblée, après que le Gouvernement, par la voix de M. Bertrand, eut déclaré s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée « tout simplement parce qu’il y va du respect des partenaires sociaux » ! N’oublions pas cette formule ! (Murmures sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

En première lecture, le Sénat a cédé à la tentation d’user de son pouvoir législatif pour, précisément, ne pas respecter les partenaires sociaux et l’accord qu’ils avaient conclu…

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – C’est vrai mais, heureusement, nous étions là pour le ramener à la sagesse !

M. Jean Mallot – Je veux parler de l’amendement sénatorial qui supprimait la possibilité de faire appel de la décision des prud’hommes en cas de litige portant sur la rupture conventionnelle d’un contrat de travail, amendement manifestement contraire au principe du procès équitable tel que le pose l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Une telle disposition était de nature à rendre les salariés pour le moins « réticents » – pour le dire en langage diplomatique – à choisir ce mode de rupture.

En CMP, il a fallu tout le sens politique du président Méhaignerie pour que l’UMP ne se laisse pas emporter par son élan et mesure le danger qu’il y avait là, par cet amendement sénatorial, de donner un coup de canif à l’ANI. C’est en s’abstenant – courageusement ! – de prendre part au vote sur notre amendement demandant sa suppression que nos collègues de l’UMP ont laissé disparaître cette verrue législative. Cela a rouvert le débat qui se poursuivra certainement au cours des prochaines semaines sur les rapports entre la loi et le contrat, le pouvoir législatif et la négociation collective, la démocratie sociale et la démocratie politique.

Nous le savons bien, la relation entre employeur et salarié n’est pas équilibrée et c’est pourquoi la loi est nécessaire pour préserver le salarié et enrayer l’effet domino du dumping social. Face à une majorité aussi réactionnaire que celle qui le soutient, le Gouvernement a été tenté de modifier par la loi les équilibres obtenus par la négociation collective pour faire bouger le curseur dans le sens souhaité par le patronat, au détriment des salariés. À l’avenir, il serait bien inspiré de se souvenir de la formule de M. Xavier Bertrand : « Sagesse, tout simplement parce qu’il y va du respect des partenaires sociaux » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Qu’il me soit tout d’abord permis de vous assurer de l’esprit constructif qui a guidé les parlementaires socialistes tout au long de l’examen de ce projet de loi, à l’Assemblée nationale, au Sénat ou en commission mixte paritaire.

Le texte de l’accord national interprofessionnel signé par quatre organisations syndicales et par les organisations patronales constituait, tant sur le fond que sur la forme, une avancée importante dans la construction d’une véritable démocratie sociale. Il procure plusieurs gains notables aux salariés, comme la réaffirmation que le CDI est la forme normale et générale de la relation de travail, la suppression du CNE ou l’abaissement de deux ans à un an de l’ancienneté nécessaire pour bénéficier des indemnités de licenciement.

Il convient cependant de rester vigilant car, en dépit de la sagesse de la représentation nationale, il peut arriver que l’examen d’un accord professionnel dans l’hémicycle aboutisse à une trahison de son esprit. Dans le cas présent, c’est ce qui est arrivé avec la disposition introduite par le Sénat pour donner compétence aux conseils de prud’hommes de statuer en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs à la rupture conventionnelle. Cette mesure, qui ne figurait pas dans l’accord ne visait qu’à prémunir les employeurs contre tout risque de sanction. Elle paraissait d’ailleurs incompatible avec le droit au procès équitable garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Le souci légitime d’accélérer les procédures ne saurait justifier de telles atteintes aux droits des justiciables. La CMP, en supprimant cette disposition, a évité une remise en cause trop importante de l’accord.

Mais nous resterons très vigilants en raison de l’écart entre vos protestations en faveur du dialogue social que vous avancez et la réalité des mesures que vous comptez inscrire dans la loi. Les organisations syndicales et parfois – c’est un comble – les organisations patronales ont découvert avec stupeur quelques surprises que vous leur aviez concoctées : la définition de l’offre « raisonnable » d’emploi, le refus de la négociation sur les retraites ou, plus récemment, l’insidieuse introduction de dispositions pour achever de remettre en cause les 35 heures dans le projet sur la représentativité syndicale.

M. Jean-Frédéric Poisson – Mais non !

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Et tout cela en modifiant de façon un peu trop autoritaire plus de 60 articles du code du travail.

Vous avez même réussi l’exploit de vous mettre à dos la présidente du MEDEF…

M. Jean Mallot – Rien ne les arrête !

M. Jacques Myard – Vous devriez être contents !

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – C’est dire que nous sommes dans le juste milieu.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – …visiblement peu satisfaite de ces coups de canif quand les partenaires sociaux vont discuter d’un nouveau contrat.

M. Dominique Dord, rapporteur de la CMP – Parisot-Muzeau même combat ! (Sourires sur divers bancs)

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Triste coup du sort, lors d’une journée que vous aviez, peut-être avec un peu trop de précipitation, qualifiée d’« historique ». L’histoire attendra !

Pour toutes ces raisons, tout en saluant le travail des partenaires sociaux et en se félicitant des avancées obtenues en CMP, le groupe SRC va s’abstenir. Nous resterons vigilants sur l’application de la loi et de l’accord et lors des négociations sur l’assurance chômage et la formation professionnelle, car il faut sécuriser les parcours professionnels et non se contenter d’assouplir les règles de rupture des contrats de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. le Président – La parole est à Mme la secrétaire d’État à la famille.

M. Jean Mallot – La famille Sarko !

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la famille – Je vous prie d’abord d’excuser M. Xavier Bertrand, retenu par d’autres engagements. Mais je n’ai pas à vous rassurer, Monsieur Gille : il n’est pas homme à reculer.

M. Jean Mallot – Là, il esquive.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État – Il assume pleinement des réformes difficiles et répond clairement à l’opposition lors des questions au Gouvernement.

Sur ce projet, je remercie l’Assemblée et en particulier le rapporteur Dominique Dord, dont on connaît les remarquables compétences (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP), pour la qualité du travail accompli.

Ce projet de loi marque un moment qu’on peut qualifier d’historique.

M. Jean-Frédéric Poisson – En effet.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État – Sur le plan de la méthode d’abord, il donne force de loi à des dispositions de l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, premier accord conclu dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007. Et c’est en étroite concertation avec les signataires qu’il a été élaboré, ce qui a permis d’identifier les points qui nécessitaient une loi.

Certains sujets feront l’objet de négociations ultérieures, comme la formation professionnelle, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou l’assurance chômage.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Nous serons vigilants.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État – D’autres sujets seront précisés dans les décrets et arrêtés d’application de ce projet. Nous y avons travaillé à la fois avec les signataires et les parlementaires pour qu’ils puissent paraître aussitôt que la loi aura été promulguée. La commission nationale de la négociation collective a examiné le 13 mai dernier les projets de décret, que je vous ai fait parvenir, ainsi que l’arrêté définissant le formulaire type pour la rupture conventionnelle.

Enfin, nous avons installé le groupe de réflexion tripartite demandé par les signataires de l’accord sur le contexte juridique nécessaire pour fixer les montants minimum et maximum des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il s’est réuni le 31 mars et le 2 juin, et poursuivra ses travaux.

Sur le fond, ce projet, en façonnant un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité, marque une première étape vers une flexisécurité à la française.

M. Jean Mallot – Une timide étape.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État Elle est dans l’intérêt naturel des entreprises et des salariés. Ce projet lui donne une première traduction, en assurant l’équilibre entre nouvelles garanties et nouveaux assouplissements.

Pour les salariés, il pose un principe essentiel : la forme normale de la relation de travail est le contrat de travail à durée indéterminée. Les représentants du personnel seront désormais informés sur le recours prévisionnel aux contrats de travail à durée déterminée et temporaires. En cas de maladie, l’ancienneté requise pour bénéficier d’une indemnisation complémentaire sera ramenée de trois à un an. La durée des stages de fin d’études sera comprise dans la période d’essai, jusqu’à réduire celle-ci de moitié. Le montant de l’indemnité de licenciement sera unifié sur la base du double de celui prévu en cas de licenciement pour motif personnel, et on pourra le percevoir au bout d’un an d’ancienneté seulement.

Enfin, le projet pose le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé, et entérine une situation de fait en abrogeant le contrat nouvelle embauche. Comme il était demandé dans l’accord, l’exigence de motivation et de cause réelle et sérieuse en cas de licenciement s’applique à tous les contrats. Xavier Bertrand l’avait dit dès qu’ont été connus la décision de l’OIT, en novembre 2007, et les arrêts des cours d’appel qui ont rendu inopérant le CNE.

M. Roland Muzeau – Nous, on vous l’avait dit dès le début !

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État – Mettre en cohérence le droit et la réalité évitera aux entreprises et aux salariés de courir des risques inutiles.

Ensuite, ce projet modernise les relations individuelles de travail. Les partenaires sociaux ont voulu instituer de nouvelles périodes d’essai interprofessionnelles par catégories ; elles seront donc applicables dans toutes les professions et dans tous les secteurs d’activité. Dans les contrats de travail ou accords collectifs qui seront conclus après l’entrée en vigueur de la loi, on pourra fixer des périodes d’essai plus courtes. Le projet rend également possible la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Il s’agit donc d’une modernisation des relations individuelles de travail.

M. Marc Dolez – Drôle de modernisation !

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État L’employeur et le salarié pourront convenir ensemble de rompre leurs relations de travail dans un cadre légal entouré de garanties : assistance des parties, délai de rétractation de 15 jours et homologation par le directeur départemental du travail. Le projet en précise la mise en oeuvre.

Cette innovation essentielle devrait réduire la judiciarisation…

M. Marc Dolez – Mais pas la précarité.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État –…alors qu’un quart des licenciements pour motif personnel donne lieu à un recours en justice.

Ce projet offrira aux entreprises des outils pour accompagner et sécuriser leur activité. Un CDD à objet défini sera expérimenté pendant cinq ans. Une entreprise aura plus de souplesse pour embaucher un ingénieur ou cadre compétent afin de réaliser une mission ponctuelle pour une durée de 18 à 36 mois. Un accord collectif devra être préalablement conclu pour garantir les conditions d’utilisation de ce contrat.

M. Roland Muzeau – Après, on pourra compter les CDI !

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État Enfin, le portage salarial pourra être encadré par un accord conclu dans les deux ans dans la branche du travail temporaire, comme l’ont souhaité les partenaires sociaux.

L’Assemblée et le Sénat ont amélioré le texte sur plusieurs points, et je salue leur travail. D’abord, c’est important, vous avez précisé que les personnes qui signeront une rupture conventionnelle s’ouvriront des droits à l’assurance chômage.

M. Roland Muzeau – Il a fallu batailler.

M. Jean-Frédéric Poisson – N’exagérez pas.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État La future convention d’assurance chômage devrait confirmer ce principe.

L’Assemblée a fait inscrire que chaque partie devra indiquer à l’autre si elle entend se faire assister lors de l’entretien prévu en cas de rupture conventionnelle ; que l’indemnité de rupture de 10% prévue pour le CDD à objet défini est due par l’employeur au salarié, et non l’inverse, en cas de rupture à l’initiative du salarié. Les sénateurs ont clarifié la notion de date anniversaire dans la rupture du contrat pour un motif réel et sérieux, cette rupture pouvant intervenir au bout de 18 ou 24 mois.

Vous avez prévu l’application des périodes d’essai conventionnelles pour les CNE requalifiés en CDI. Enfin, les sénateurs ont introduit des précisions sur la consultation des acteurs du portage salarial dans l’intérim.

Ces compléments enrichissent le texte sans le déséquilibrer. Il s’agit d’une première étape décisive pour les relations du travail. La modernisation de notre économie et de notre marché du travail appelle d’autres accords, en particulier sur la formation professionnelle et l’assurance chômage. C’est ce que veulent les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Je suis saisi d’une demande d’explication de vote du groupe SRC.

M. Jean-Patrick Gille – Nous sommes très attachés à la négociation sociale – préalable indispensable à toute modification du code du travail, comme nous le rappellent les funestes exemples du CNE et du CPE. Mais, même loyale, elle n’est pas suffisante au point que notre rôle doive se réduire à en valider les résultats. Nous nous sommes donc efforcés de clarifier l’accord de telle sorte qu’il renforce le contrat social. Nous nous sommes mobilisés pour que le CDI soit décrit dans la loi comme la forme normale et générale du contrat de travail, pour définir la période d’essai et pour préciser que la rupture conventionnelle ouvre droit à l’assurance chômage de droit commun. En commission mixte paritaire, nous avons lutté pour revenir sur un amendement de la majorité sénatoriale menaçant le principe d’appel. M. Vidalies a brillamment démontré que cet amendement était non seulement dangereux, mais aussi inconstitutionnel. Son maintien nous aurait contraints à revoir notre vote sur l’ensemble du texte, comme nous y incitait par ailleurs le changement d’attitude de M. Bertrand envers les partenaires sociaux, qu’il s’agisse de l’offre raisonnable d’emploi, du travail du dimanche ou du démantèlement des 35 heures. Le président Méhaignerie a eu la sagesse de calmer l’ardeur de ses troupes : bien lui en a pris.

Nous déplorons par ailleurs que la transcription de l’accord soit partielle. La loi ne comporte pas autant que l’ANI les conditions d’une véritable flexicurité et, de ce fait, elle fait la part belle aux attentes du patronat, renvoyant les avancées obtenues par les syndicats en matière d’assurance chômage et de formation professionnelle au domaine règlementaire ou à la concertation. L’équilibre de l’accord reposera donc sur la négociation à venir, d’où nos craintes, car celle-ci est mal engagée.

Nous nous apprêtions à célébrer la naissance de la flexicurité à la française, issue d’un dialogue social renforcé. Hélas, les partenaires sociaux ont été trahis, s’agissant de l’accord sur la représentativité qui fournira sans doute le véhicule législatif pour le démantèlement des 35 heures. Vous sonnez ainsi le glas de cette démocratie sociale dont vous vous vantez tant, alors que vous l’assassinez !

Enfin, votre loi ne résout pas les difficultés persistantes que connaît le marché du travail, de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée à la précarisation croissante. L’amélioration relative des statistiques du chômage ne saurait masquer l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres, que la loi néglige.

À l’image de la réduction en mineur des partitions en mode majeur, cette prétendue modernisation du travail n’est qu’un accompagnement fataliste de la mondialisation, plus proche d’une dérégulation à l’anglo-saxonne du marché du travail que d’une réelle volonté de sécuriser les parcours professionnels. Pour toutes ces raisons, le groupe SRC s’abstiendra et restera très vigilant quant à l’application de la loi, et de l’accord et à la tenue des négociations (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

L’ensemble du projet de loi, mis au voix compte tenu du texte de la CMP, est adopté.

LOI DE MODERNISATION ÉCONOMIQUE (SUITE)

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de modernisation de l’économie.

AVANT L’ART. 21 (AMENDEMENTS PRÉCÉDEMMENT RÉSERVÉS) - (SUITE)

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 1295 étend les dispositions relatives au délai de rétractation aux achats effectués dans les foires et les salons.

M. Jean Gaubert – L’amendement 1014 a le même objet. Les délais de rétractation ont été instaurés pour mettre fin à la pratique de la vente agressive, en particulier à domicile. On prétend que certains démarcheurs auraient pu vendre un réfrigérateur à un Inuit ou une bouteille à un abstinent. Or, cette technique s’observe également dans les foires et les salons – occasions par ailleurs utiles au consommateur et au dynamisme de nos villes. En effet, il n’est pas rare que les consommateurs s’y fassent gruger, en partie parce qu’ils sont pris dans l’ambiance du lieu. Il n’y a aucune raison que les délais de rétractation, qui fonctionnent bien pour la vente à domicile ou dans les secteurs bancaire et automobile, ne soit pas étendus aux foires et salons. J’ajoute qu’une telle extension n’entraînera de conséquences que pour les vendeurs peu scrupuleux, qui nuisent à la bonne réputation de ces temps forts dans la vie de nos villes.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur de la commission des affaires économiques – Avis défavorable. Cet amendement nous est régulièrement présenté. La commission a adopté à l’unanimité un rapport que je lui avais présenté sous la rayonnante autorité du président Ollier (Sourires), soulignant que les foires et salons génèrent plus de sept milliards d’euros de retombées économiques. Un incident isolé, dû à un exposant fautif ayant commis un abus scandaleux, ne doit pas entraîner la remise en cause de l’ensemble du système. Les foires et salons sont une excellente occasion pour les consommateurs de comparer les prix et de choisir l’offre qui leur convient le mieux. J’ajoute qu’ils s’y rendent de leur plein gré, ce qui tranche avec la vente à domicile. Il va de soi qu’il faut punir les pratiques illicites, mais l’adoption de cet amendement nuirait aux consommateurs au lieu de les servir, car il compromettrait la tenue des foires et salons.

M. Jean Mallot – Pas du tout !

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services – Je vous prie d’excuser l’absence de M. Chatel, retenu à Luxembourg où il défend la position de la France en matière de télécommunications.

Le Gouvernement se rallie à l’avis de la commission : les foires et les salons sont des lieux de commerce au même titre que les boulangeries par exemple. Les mêmes règles doivent donc leur être appliquées.

M. Jean Gaubert – Je ne m’étonne pas de votre rejet, mais je ne laisserai pas dire que nous voulions tuer les foires et salons. Hier soir, vous nous reprochiez déjà, à propos de l’action de groupe, de vouloir tuer les PME. Au contraire ! Dans un cas comme dans l’autre, notre proposition ne concerne que ceux qui enfreignent les règles. Si la grande majorité des exposants dans les foires et salons ne commet aucun abus, il y a cependant bien davantage qu’un cas isolé de vente agressive ! Quant à l’opposition que vous faites entre foires et salons d’une part et vente à domicile de l’autre, elle ne tient pas : les délais de rétractation s’appliquent aussi aux secteurs de la banque et des ventes de voitures. Certes, nous avons tous reçu de nombreux courriers de la Fédération des foires et salons, hostile à cette mesure, mais nous ne sommes pas ici pour nous soumettre aux desiderata des uns ou des autres. Pour que la concurrence soit libre et non faussée, il faut que les tricheurs soient punis !

M. Jean Dionis du Séjour – Les foires ont perdu leur caractère folklorique : on y achète des voitures, des appareils électroménagers, des canapés ou bien encore des caravanes. En tant que président de la communauté d’agglomération qui organise la foire d’Agen, je peux vous dire que l’on y retrouve les mêmes commerçants qu’en ville.

Je ne vois pas pourquoi il y a un clivage politique sur cette question. Monsieur Novelli, vous avez une certaine expérience d’élu de terrain et l’oreille des libéraux. Pourquoi ne pourrions-nous pas étendre des règles de commerce honnête aux foires et salons ? Cet amendement est modéré, il faut le voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) 

L’amendement 1295, mis aux voix, n’est pas adopté, non plus que l’amendement 1014.

M. François Brottes – En attendant la possibilité d’engager des actions de groupe, nous proposons une série d’amendements visant à protéger les consommateurs.

La durée minimale d’engagement ou les frais de résiliation sont des contreparties à l’offre d’abonnement dont le client n’a pas toujours conscience. Nous demandons, par l’amendement 1086, que ces clauses soient motivées et justifiées et qu’il existe une clause de sortie.

M. Jean-Paul Charié, rapporteurVous avez compris que je pensais que, par votre amendement, vous remettiez en cause les foires, salons et congrès, je voulais simplement dire que votre amendement remettrait en cause les foires, salons et congrès. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.

Le présent amendement contribuerait à allonger une liste de clauses déjà longue et n’améliorerait pas, loin s’en faut, la lisibilité du contrat. Par ailleurs, la loi Chatel dispose que le fournisseur de services ne peut facturer au consommateur que les frais correspondant au coût, et que ceux-ci ne sont exigibles que s’ils ont été explicitement prévus dans le contrat. Votre amendement est satisfait. Avis défavorable.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Même avis.

L’amendement 1086, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. François Brottes – L’amendement 1087 a été défendu.

L’amendement 1087, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Jean Gaubert – Le consommateur est censé ne pas ignorer les clauses du contrat, mais rien n’est fait pour les lui expliciter. Ainsi, nombre de personnes découvrent que leur contrat est prolongé ou qu’une option supplémentaire a été ajoutée à leur abonnement sans qu’ils y aient consenti explicitement. L’amendement 1008 dispose donc qu’il ne peut y avoir de consentement tacite lorsque les conditions contractuelles sont modifiées.

M. Jean-Paul Charié, rapporteurDéfavorable.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Même avis.

L’amendement 1008, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. François Brottes – Je souhaite appeler l’attention de M. le rapporteur et de M. le ministre sur le sort des abonnés de TPS, basculés sur CanalSat récemment. Nombre d’entre eux ont cessé de recevoir les images pendant une ou deux semaines. L’installateur et l’opérateur s’en sont mutuellement renvoyé la responsabilité, tandis que les clients continuaient d’acquitter leurs frais d’abonnement.

Que doit-on répondre à ces personnes ? Aller au contentieux n’est pas évident, et une action de groupe est impossible. L’amendement 1059 propose une solution simple et de bon sens.

M. Jean-Paul Charié, rapporteurVous avez raison, Monsieur Brottes, ce sont les situations telles que celle-ci qui justifient l’action de groupe.

Sur la forme, votre amendement est satisfait par l’arrêté du 16 mars 2006, relatif aux contrats de service de communication électronique, dont je vous donne copie. Le contrat devra faire apparaître le niveau de qualité minimum et les compensations et formules de remboursement applicables lorsque le service n’a pas été fourni ou qu’il l’a été sans respecter le niveau de qualité contractuel. Rejet.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Cet arrêté est entré en vigueur en 2007. Il faut lui donner le temps de produire ses effets. Rejet.

M. François Brottes – Que dois-je donc répondre aux personnes qui me saisissent de ce problème ? Dois-je leur conseiller d’adresser une lettre recommandée, visant l’arrêté ? Ou de prendre un avocat ? Il s’agit d’un cas d’école, soyons concrets, comme nous l’avons été pour l’application du droit au compte.

M. Jean-Paul Charié, rapporteurMonsieur le ministre, il ne suffit pas d’édicter, il faut faire connaître. Il est évident que dans une société surinformée, les consommateurs ne sont pas forcément au fait de leurs droits. Puisque M. le directeur de la DGCCRF est présent, j’en profite pour dire que cet organisme peut être consulté.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – À question concrète, réponse concrète. La DGCCRF est en effet là pour mettre en œuvre cet arrêté, qui a déjà fait l’objet d’une publicité sous la forme d’un communiqué de presse officiel du ministère de l’économie et des finances.

Lorsque le service n’est pas rendu, il faut, pour commencer, appeler l’opérateur. La DGCCRF peut être ensuite saisie par simple courrier. Nous avons les armes juridiques, le Gouvernement s’efforce de les faire connaître.

M. François Brottes – Compte tenu de la réponse du ministre, je retire cet amendement mais je crains que nous n’allions au devant de bien des difficultés : il faudra que le consommateur prouve sa bonne foi, qu’il fasse constater par huissier la rupture du service pour ensuite ouvrir un contentieux. C’est alors une lutte entre le pot de terre et le pot de fer qui s’engage.

L’amendement 1059 est retiré.

M. Jean Gaubert – Si nos amendements de bon sens à d’autres projets de loi avaient été adoptés, nous n’aurions pas besoin d’y revenir… Ainsi du problème des produits et services dont l’usage est prohibé, mais la vente autorisée, tels les accessoires ajoutés aux automobiles – détecteurs de radars, klaxons, pots d’échappement… Cette situation fait penser à cet autre commerce non autorisé, mais soumis à l’impôt… Notre amendement 1013 propose donc d’interdire également la vente de ces produits. Ne nous objectez pas qu’en entravant ainsi le commerce, nous mettrions l’économie en péril – à moins que celle-ci ne doive pour vous vivre de la vente de produits interdits ?

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Avis défavorable. Cette question a déjà été longuement débattue et les termes de votre amendement posent problème ; en outre, l’adoption de la proposition de loi sur les mini-motos devrait vous satisfaire.

M. Jean Gaubert – Elle ne porte pas sur tous les produits concernés !

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Même avis. La proposition de loi élaborée par le groupe de travail parlementaire sur les mini-motos – que M. Chatel s’était engagé à réunir lors de la discussion du projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs – a été adoptée et publiée au Journal officiel le 27 mai dernier. Vous devriez donc être satisfait – pas sur tous les points, objectez-vous…

M. Jean Gaubert – Pas sur les voitures, par exemple !

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État …mais les professionnels peuvent être poursuivis pour tromperie sur l’objet de la vente ; en outre, l’exigence de libre circulation des produits dans l’UE nous interdit d’enfreindre les directives européennes en la matière.

M. Jean Gaubert – Si nous avons progressé sur la question des mini-motos, il n’en va pas de même des autres produits que j’ai cités. Aujourd’hui, on peut vendre des produits que l’on n’a pas le droit d’utiliser ! Est-ce cela, la liberté du commerce ? L’invoquera-t-on demain pour légaliser la vente de drogue, mais punir ceux qui en consomment ? En outre, en ne cessant de vous réfugier derrière Bruxelles, vous nourrissez les sentiments anti-européens de nos concitoyens.

L’amendement 1013, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Jean Dionis du Séjour – La loi dispose que la vente liée est interdite « sauf motif légitime ». Notre amendement 1299 tendait à supprimer cette exception dans l’intérêt du consommateur ; mais les mêmes motifs nous conduisent à le retirer, la vente liée permettant au consommateur d’acquérir un assemblage complexe à un prix avantageux.

L’amendement 1299 est retiré.

L’amendement 1002 est retiré.

Mme Catherine Coutelle – Notre amendement 1084 tend à imputer au fournisseur la responsabilité de la vente liée, en particulier lorsqu’il s’agit de vendre un micro-ordinateur avec son système d’exploitation. Le ministre nous a répondu hier que la vente liée était interdite, mais elle n’est pas rare dans ce domaine, le détaillant n’étant pas toujours en mesure de séparer l’ordinateur du système d’exploitation.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Avis défavorable. Si rien n’interdit de pratiquer la vente séparée - puisqu’il est possible de vendre des pièces détachées –, obliger les commerçants qui proposent des prix globaux à y recourir entraînerait un déséquilibre économique préjudiciable au consommateur.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Même avis. La vente liée est traitée dans l’article L. 122-1 du code de la consommation ; le retrait des précédents amendements portant sur le même sujet était une preuve de sagesse, car c’est en modifiant la jurisprudence, et non la loi, que l’on résoudra le problème.

Quant aux fournisseurs d’ordinateurs sur lesquels des logiciels ont été pré-installés, l’application territoriale de la loi interdit de les poursuivre lorsque leurs produits sont fabriqués – comme c’est généralement le cas – à l’étranger. En outre, le juge n’a jusqu’à présent pas considéré comme une infraction aux dispositions sur la vente liée la pratique consistant à vendre un ordinateur doté d’un logiciel pré-installé sans proposer ces deux produits séparément.

M. Jean Gaubert – Monsieur le ministre, permettez-moi de regretter l’absence de M. Chatel, partisan de l’interdiction de ces pratiques lorsqu’il était député, mais qui le reste depuis son entrée en fonction. En outre, c’est bien souvent parce que la jurisprudence n’est pas conforme aux souhaits du législateur que celui-ci modifie la loi ! Ces amendements n’ont donc rien d’illégitime.

L’amendement 1084, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 1297 est défendu.

L’amendement 1297, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Lionel Tardy – Ma défense de l’amendement 1195, deuxième rectification, vaudra défense de l’amendement 1192 rectifié. M. Chatel – dont je regrette moi aussi l’absence – a évoqué à plusieurs reprises le problème des clauses abusives, qui nous préoccupe tous ; il est d’autant plus surprenant que le texte n’en dise rien. Le débat que nos amendements ne font qu’esquisser mériterait mieux que quelques articles additionnels, ou que l’absence de décision que nous déplorons s’agissant de l’action de groupe… Monsieur le ministre, quel est aujourd’hui votre point de vue sur ce problème ? Selon quel échéancier envisagez-vous de le traiter ?

Alors que la liste des clauses « noires », dont le consommateur n’a pas à prouver le caractère illicite, est publiée par décret, les clauses « grises » – dont le caractère abusif doit être prouvé – sont renvoyées à une annexe à valeur législative. De deux choses l’une : soit l’on confère une valeur législative aux premières, comme le propose l’amendement 1192 rectifié ; soit l’on renvoie les secondes au domaine réglementaire – d’où l’amendement 1195, deuxième rectification.

En outre, l’amendement 1192 rectifié étend le dispositif des clauses abusives aux relations entre professionnels – même si celles-ci souffrent surtout des pratiques abusives.

Conscient des problèmes techniques que poseraient ces amendements, je souhaite néanmoins connaître la position du ministre.

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 1293 rectifié est identique à l’amendement 1195, deuxième rectification.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Avis favorable aux amendements 1293 rectifié et 1195, deuxième rectification. En revanche, j’émettrai un avis défavorable à l’amendement 1192 rectifié.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Même avis sur les amendements 1293 rectifié et 1195, deuxième rectification. Monsieur Tardy, bien que l’engagement de M. Chatel, qui avait promis de traiter ce problème dans le cadre du présent projet, n’ait pu être tenu, cela ne nous empêche pas de recourir la coproduction législative (Sourires). Nous sommes très favorables au renvoi au domaine réglementaire du double régime des clauses abusives – noires et grises –, que vous avez fort bien exposé. J’espère avoir suppléé, même imparfaitement, M. Chatel (Même mouvement).

M. Lionel Tardy – Très bien !

M. François Brottes – Tout cela est très gentiment dit. Cependant, il y a une clause blanche sur laquelle j’aimerais que la lumière soit faite. Le « professionnel » désigne-t-il le co-contractant, ou bien le fabriquant, le grossiste, le vendeur, le distributeur… ? Il faut le préciser, car le terme est trop général.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État – Monsieur Brottes, il s’agit bien du co-contractant.

L’amendement 1192 rectifié est retiré.

L’amendement 1195, deuxième rectification, mis aux voix, est adopté, ainsi que l’amendement 1293 rectifié.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 15.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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