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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 17 juin 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
197ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CONSÉQUENCES DU RÉFÉRENDUM IRLANDAIS

M. Michel Herbillon – La semaine dernière, les Irlandais ont rejeté par référendum le traité européen de Lisbonne.

M. Roland Muzeau – Ils ont eu raison !

M. Michel Herbillon – Même si les considérations de politique intérieure ne sont pas étrangères à ce résultat, ce vote est un fait politique, qui montre que beaucoup d’Européens ne se retrouvent plus dans la construction européenne, qu’ils jugent trop abstraite et éloignée de leurs préoccupations. Ce nouveau « non », après celui des Français et des Néerlandais en 2005 sur le précédent traité, traduit un décalage, qui impose de rendre le projet européen plus lisible et de combler le déficit d’information.

Nous ne pouvons que respecter le choix exprimé par les Irlandais, mais nous devons aussi respecter celui des dix-huit pays qui ont déjà ratifié le Traité, exprimant ainsi leur volonté de sortir l’Europe de l’ornière institutionnelle.

La France, parce qu’elle a beaucoup œuvré pour l’élaboration du traité simplifié et parce qu’elle prendra dans quelques jours la présidence de l’Union, aura une responsabilité particulière. Pendant sa présidence, notre pays veut promouvoir l’Europe des projets, l’Europe concrète. Je pense à la lutte contre le réchauffement climatique, au pacte européen sur l’immigration, à la réforme de la politique agricole, à la mise en œuvre d’une Europe de la défense. Nos concitoyens attendent aussi des résultats sur l’énergie et l’envolée des prix du carburant. Enfin, il faudra jeter les bases de l’Union pour la Méditerranée.

Monsieur le Premier Ministre, considérez-vous que l’Europe soit en panne ? Ce vote remet-il en cause les conditions de la présidence française de l’Union (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ?

M. Jean-Pierre Brard – Vive les Irlandais !

M. François Fillon, Premier ministre  Les Irlandais ont voté « non ». Nous prenons acte de cette décision, et nous la respectons, d’autant plus qu’elle intervient deux ans après que la France et les Pays-Bas ont refusé la ratification du traité constitutionnel. Cela montre que le décalage persiste entre le débat institutionnel, nécessaire au bon fonctionnement de l’Europe élargie et les attentes des citoyens européens, qui veulent une Europe qui décide et agisse afin de les protéger.

C’est pourquoi la France entend apporter une première réponse à la décision irlandaise en proposant d’aller plus loin et plus vite sur les questions de fond : sur l’immigration et l’asile, nous devons obtenir un accord avant l’automne ; l’Europe doit être en pointe sur le réchauffement climatique ; elle doit s’interroger sur la sécurité énergétique et sur la fiscalité du pétrole ; elle doit aussi poser la question de la sécurité alimentaire. Cela n’apporte pas de réponse à la question institutionnelle, mais c’est ainsi que nous dirons aux Irlandais que nous les avons entendus lorsqu’ils ont exprimé un doute sur la capacité de l’Europe à répondre à leurs attentes.

Le processus de ratification va se poursuivre – nous attendons une décision très importante de la Grande-Bretagne demain. Le Conseil européen, qui entendra jeudi le Premier ministre irlandais, décidera de la manière de sortir de cette crise.

Pour autant, cette nouvelle difficulté ne saurait remettre en cause l’une des plus belles réussites politiques et économiques du XXe siècle que le monde entier envie et que nous allons continuer à mettre en œuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DURÉE DU TRAVAIL

M. Jean-Patrick Gille – De nombreux Français ont cru au slogan « travailler plus pour gagner plus » ; un an après, ils constatent que leur salaire stagne et que leur pouvoir d’achat régresse. Ils doivent désormais multiplier les heures supplémentaires, voire les emplois, pour vivre décemment et bientôt, ils devront travailler 41 ans, voire 42 ans pour espérer bénéficier d’une retraite convenable.

Avec votre future loi, un accord minoritaire pourra fixer la durée effective du travail dans chaque entreprise. Grâce à la directive européenne sur le temps de travail, que vous avez approuvée, il pourra même y avoir des dérogations personnelles, étendant la durée hebdomadaire jusqu’à soixante, voire soixante-cinq heures.

La désillusion est grande, surtout parmi les travailleurs précaires. Votre politique, loin de lutter contre la précarisation du marché du travail, s’en sert pour faire baisser les statistiques du chômage. Demain, chacun sera contraint d’accepter une offre d’emploi précaire, sous peine d’être sanctionné.

Monsieur le ministre du travail, vous vous vouliez le chantre du dialogue social ; mais sous des dehors patelins, vous administrez à notre pays une potion amère, celle de la déréglementation et de l’individualisation des rapports sociaux ! (murmures sur les bancs du groupe UMP)

Après avoir réécrit le code du travail et restreint le droit de grève, vous instrumentalisez la question de la représentativité pour diviser les syndicats et déconstruire la législation sur le temps de travail

M. Patrick Roy – Scandaleux !

M. Jean-Patrick Gille – Vous assurez votre avenir en flattant la majorité UMP, mais vous trahissez les partenaires sociaux. Notre pays gronde, le dialogue social est en panne. Monsieur le ministre, renoncez à vos funestes projets et encouragez la réouverture des négociations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Je vous remercie d’avoir rappelé que le slogan « travailler plus pour gagner plus » est toujours d’actualité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Pour les 5, 5 millions de Français qui font des heures supplémentaires, cela signifie 80 euros de plus par mois. Les autres choisissent en majorité de racheter leurs journées de RTT pour augmenter leur pouvoir d’achat (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Nous agissons toujours selon le même principe – il est vrai, différent du choix que vous avez fait à l’époque. Nous ne voulons pas d’une loi qui impose d’en haut, mais qui, au plus près du terrain, apporte des garanties en laissant la liberté de choix, notamment dans les entreprises.

Celles et ceux qui veulent rester à 35 heures pourront le faire. Mais celles et ceux qui se sentent bloqués pourront travailler davantage et gagner davantage. Dans certaines branches, comme la parfumerie, le quota d’heures supplémentaires est fixé à 130 heures par an. S’il y a davantage de commandes, doit-on refuser le travail, doit-on refuser d’augmenter les salariés ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

Nous voulons, avec pragmatisme, permettre de sortir du carcan des 35 heures imposées en apportant la garantie que des accords passés avec les représentants du personnel permettront de valider la possibilité de travailler davantage. Sur ce point, je rappelle que le critère retenu en matière de représentativité correspond à celui qui avait été choisi par les partenaires sociaux…

S’agissant des salariés à temps partiel, le texte consacre également une avancée : il leur sera désormais possible de se faire payer leurs journées de RTT, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Il y a dix ans, vous faisiez le choix de l’idéologie (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) ; nous faisons aujourd’hui celui du pragmatisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

TEMPS DE TRAVAIL

Mme Martine Billard – Il est scandaleux que vous vous empariez de la position commune sur la représentativité, signée par la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME, pour introduire une modification purement idéologique du temps de travail.

M. Patrick Roy – Oui, c’est scandaleux !

Mme Martine Billard – Mais vous ne supprimez pas seulement les lois Aubry : votre projet revanchard autorisera également la semaine de 48 heures sous forme d’accords d’entreprises ! Vous faites voler en éclats le fruit des luttes sociales qui avaient permis d’obtenir la semaine de 40 heures en 1936.

Avec ce texte, nous allons donc en revenir à 1919, date à laquelle une première convention internationale sur la semaine de 48 heures avait été signée. Il en résultera la suppression des repos compensateurs ; la modulation à l’année décidée arbitrairement par les employeurs ; l’extension aux non-cadres des régimes de « forfaits heures » ; et enfin l’instauration de négociations de gré à gré entre employeurs et employés sur le temps de travail et sur le dépassement des « forfaits jours » qui permet d’aller au-delà de 10 heures par jour et de 48 heures par semaine. Des études ont pourtant établi une relation évidente entre l’augmentation du temps de travail et la multiplication des accidents du travail. On constate déjà une augmentation des maladies professionnelles et des suicides…

M. Lucien Degauchy – Vous avez tout faux !

Mme Martine Billard – Avec le passage à 41 ans de la durée de cotisation pour la retraite, la hausse globale du temps de travail que vous exigez aura des conséquences néfastes sur la santé des travailleurs.

Vous dénoncez les 35 heures, mais chacun sait que le temps libéré a permis de développer des activités comme le tourisme, le bricolage ou le jardinage (Quelques exclamations sur les bancs du groupe UMP). Avec les 48 heures, ces secteurs économiques seront fragilisés. Les 35 heures, c’est également du temps pour s’occuper des enfants, ou pour aider les parents âgés dépendants. Les 48 heures seront donc un coup porté contre la famille ! Les 35 heures ont enfin permis à des milliers de bénévoles de s’engager dans des associations sportives, culturelles, sociales ou humanitaires... Les 48 heures, c’est la fin des solidarités sociales (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Richard Mallié – La question !

Mme Martine Billard – La négociation du temps de travail entreprise par entreprise, c’est la casse des accords collectifs, c’est la porte ouverte au dumping social.

M. le Président – Merci de poser votre question.

Mme Martine Billard – Le Gouvernement ne laissera aux salariés que le choix entre détruire leur santé en travaillant plus, ou se serrer la ceinture. Ce projet de loi sera-t-il retiré ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Une succession de contre-vérités n’a jamais fait une vérité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs des groupe SRC et GDR).

Avec ce texte, la durée légale du temps de travail reste à 35 heures et, comme aujourd’hui, les heures supplémentaires seront payées à partir de la 36e heure. La durée maximale du travail, les repos quotidien et hebdomadaire resteront inchangés.

En revanche, comme j’ai encore eu l’occasion de le constater hier en Seine-et-Marne, aux côtés de Chantal Brunel, les représentants du personnel sont favorables à plus de souplesse, quand il le faut et à condition que l’on ouvre plus de possibilités à la négociation collective. Face à un surcroît d’activité, ils sont d’accord pour travailler un peu plus, en échange de contreparties salariales. Or, l’organisation des contingents d’heures supplémentaires ne le permet pas aujourd’hui.

Vous avez voulu mettre toutes les entreprises de France dans la même case, quel que soit leur secteur d’activité et leur taille (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Cela ne marche pas ! Les 35 heures ont freiné notre économie ; elles ont empêché les salaires d’augmenter ; elles ont désorganisé le travail dans certaines entreprises. Ce que nous voulons, c’est que l’on trouve des solutions au sein des entreprises, avec cette garantie qu’apportera un accord des représentants du personnel.

Avec les parlementaires de la majorité, le Gouvernement restera ouvert aux suggestions des uns et des autres. Mais une chose est sûre : nous avons trouvé une solution juste et équilibrée pour répondre aux attentes des entreprises et des salariés dans notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

DOSSIER MÉDICAL PERSONNALISÉ

M. Claude Leteurtre – M. Douste-Blazy, alors ministre de la santé, avait proposé en 2004 d’instaurer un dossier médical personnel, dit DMP. Le premier objectif était d’apporter une aide au diagnostic et d’améliorer la coordination des soins, afin de renforcer leur qualité et leur efficacité. Mais on attendait également du DMP des économies d’environ trois milliards d’euros dès 2007.

Dès l’origine, il était évident que l’absence de prise en compte de la liberté du malade poserait de nombreuses difficultés. Le dossier médical allait-il être personnel, c’est-à-dire placé sous la responsabilité du malade, qui autoriserait ou non l’inscription des données ? Devait-il être partagé, au bénéfice des professionnels et des gestionnaires, dans une logique économique ? Ce débat n’a pas été tranché.

Saisi par la ministre de la santé, le Comité consultatif national d’éthique a présenté des conclusions très fermes, puisqu’il considère que le DMP, tel qu’il est aujourd’hui conçu, ne correspond pas aux objectifs qui avaient été définis.

D’après le CCNE, l’usage du DMP devrait être réservé à des malades volontaires atteints de maladie au long cours et nécessitant l’intervention de nombreux professionnels de santé. Il est par ailleurs suggéré que le DMP fasse l’objet d’une nouvelle évaluation d’ici trois ou cinq ans, avant toute extension à l’échelle nationale.

Il faudrait également prendre en compte bien d’autres difficultés non résolues. Nous sommes loin des 3 milliards d’euros d’économie que nous pourrions réaliser dès maintenant.

M. le Président – Il va falloir poser votre question.

M. Claude Leteurtre – Le Nouveau centre s’interroge donc sur le DMP : va-t-il devenir un dossier médical partagé, plutôt qu’un dossier médical personnel ? Nous aimerions également des précisions sur le coût du dispositif, sur son avenir et sa finalité, ainsi que sur les moyens qui sont prévus (Applaudissements sur les bancs du groupe NC).

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative  J’ai effectivement sollicité l’avis du Conseil national consultatif d’éthique sur la question du DMP. Je tiendrai bien sûr le plus grand compte des observations qui m’ont été transmises.

Le CCNE a tout d’abord reconnu que le DMP était une démarche pertinente pour améliorer la qualité des soins et pour garantir l’accès aux données médicales : il fera de ce droit virtuel, proclamé depuis plus de trente ans, un droit effectif. Nous pourrons en outre mieux suivre le parcours de soins des malades.

Comme l’a constaté le conseil, on s’est également plus intéressé aux techniques qu’aux pratiques. Au lieu de se concentrer sur les moyens informatiques, mieux vaudrait se soucier du contenu des données afin, par exemple, d’améliorer le suivi des diabétiques, qui exige une véritable approche pluridisciplinaire.

D’autres considérations du Comité m’ont paru moins fondées. Il s’inquiète ainsi du coût selon lui excessif qu’aurait la généralisation du DMP ; or, ce coût est principalement celui des infrastructures, le nombre de dossiers traités par la suite intervenant pour peu.

Le Comité a enfin insisté sur la nécessité de préserver la confidentialité des données collectées. Cet impératif justifie que le Gouvernement soit le pilote de ce projet, et je compte suivre avec soin les avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DIALOGUE SOCIAL SUR LE TEMPS DE TRAVAIL

M. Marc-Philippe Daubresse – Hier, les transporteurs routiers se sont légitimement mobilisés pour dire les difficultés auxquelles ils sont confrontés du fait de la hausse du prix du carburant, en France comme dans toute l’Europe. Aujourd’hui a lieu une manifestation, au demeurant diversement suivie (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) contre la réforme du temps de travail qui permettra pourtant de sortir du carcan des 35 heures imposé autoritairement, uniformément et sans discernement par Mme Aubry (Protestations sur les mêmes bancs).

M. Albert Facon – C’est honteux !

M. Marc-Philippe Daubresse – Comment peut-on à la fois demander l’amélioration du pouvoir d’achat et refuser que ceux qui pourraient gagner plus en travaillant plus puissent le faire ? (Même mouvement) Vous avez, Monsieur le ministre du travail, défini une feuille de route à l’intention des partenaires sociaux. Ils vous ont répondu à propos de la représentativité, mais très partiellement quant au temps de travail. Aussi, à l’initiative de M. Copé, président du groupe UMP, le débat sur le temps de travail s’est-il déplacé à l’Assemblée.

Députés et partenaires sociaux s’essayent ainsi à une nouvelle forme de dialogue. Tous ceux qui souhaitent la revalorisation du rôle du Parlement s’en réjouiront, et considéreront qu’il lui revient d’élargir le champ de la négociation collective. Mais il faut aussi que des garanties soient données aux partenaires sociaux quant à leur rôle dans cette négociation. Lesquelles leur donnerez-vous, Monsieur le ministre ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité – Le rôle des partenaires sociaux au sein des entreprises sera plus important qu’aujourd’hui car, toutes garanties étant données en matière de santé et de sécurité au travail, nous voulons leur laisser la possibilité de dépasser les contingents trop bas d’heures supplémentaires et de simplifier l’organisation du travail. Mais aucun chef d’entreprise ne pourra changer les règles seul : il faudra l’accord des représentants du personnel, et qu’une majorité de salariés ne s’opposent pas au changement en question. Voilà qui permettra d’améliorer le pouvoir d’achat, et aux cadres d’être mieux payés quand ils travaillent au-delà du forfait jour. Sur tous ces sujets, nous renforçons le dialogue social en partant de l’entreprise, la loi continuant de remplir son rôle protecteur. Il s’agit de donner de plus grandes marges de manœuvre : autant dire que responsabilité politique et responsabilité sociale ne s’opposent pas mais se complètent. J’ajoute que la responsabilité des politiques tire sa légitimité de la promesse faite aux Français d’en finir avec le carcan des 35 heures. Chose promise, chose due (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

UNION POUR LA MEDITERRANÉE

M. Renaud Muselier – Le 13 juillet, l’Union de la Méditerranée sera lancée. Ainsi se concrétisera la vision du Président de la République, à laquelle il a su faire adhérer nos partenaires européens. Pour promouvoir la paix et le développement, quarante-trois chefs d’État et de Gouvernement seront réunis autour du Secrétaire général des Nations unies. Tous assisteront, le lendemain, au défilé célébrant la fête nationale, pendant lequel les casques bleus seront à l’honneur – et pendant lequel, aussi, le président israélien et le président syrien seront assis côte à côte. Il est essentiel que des personnalités qui ne se parlent pas, ou peu, puissent traiter ensemble de ces graves sujets que sont la ressource en eau, la dépollution de la Méditerranée ou la gouvernance. Pouvez-vous, Monsieur le ministre des affaires étrangères, faire le point sur la préparation de ce sommet, qui fera de Paris et de Marseille les capitales de la paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, quelques exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Quarante-trois pays seront en effet représentés – tous les pays européens et tous les pays riverains de la Méditerranée – et l’événement marquera, s’il est réussi, une date très importante de l’histoire de l’Europe et de la Méditerranée. Ce pont est nécessaire, car ni la pollution, ni le plan solaire ni les autoroutes de la mer ne connaissent de frontières. Quarante-trois chefs d’État et de Gouvernement sont invités. Pour l’heure, M. Kadhafi n’a pas exprimé le besoin de venir – il a même refusé l’invitation qui lui était faite.

M. Arnaud Montebourg – Quel dommage !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Les autres seront là et, en effet, le président de la Syrie sera à la même table que le président d’Israël (Mouvements divers bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Ne devrait-on faire la paix qu’avec ceux contre lesquels on ne se bat pas ? Nous souhaitons que les gens se parlent, et que se rencontrent ceux qu’une hostilité oppose. Cette méthode est la bonne. Un président de la République vient d’être élu au Liban, et des pourparlers sont engagés entre Israéliens et Syriens. Cela peut ne pas plaire à certains ; pour notre part, nous nous en réjouissons, et en lançant, le 13 juillet, l’Union de la Méditerranée, nous leur donnons l’occasion de se parler s’ils le souhaitent. Le 4 juillet, je recevrai M. Walid al Mouallem, ministre syrien des affaires étrangères, avec lequel je me suis entretenu tous les mois du Liban. Nous avions dit que si un président était élu au Liban, la France ferait une ouverture qui étonnerait. Elle est faite : c’est l’Union de la Méditerranée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DIRECTIVE « RETOUR »

M. Serge Letchimy – Monsieur le Premier ministre, la proposition de directive relative au traitement des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier sera soumise au vote du Parlement européen ce 18 juin. Cette proposition – dite « directive retour » – a provoqué l’indignation de nombreuses organisations attachées au respect des droits de l’homme (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP). Elle a même été qualifiée de directive de la honte, tellement elle risque de porter atteinte à la dignité humaine. Certaines dispositions attentent en effet non seulement à des principes fondamentaux du droit, mais aussi à des valeurs essentielles sans lesquelles toute civilisation renonce à elle-même. Or, quand une civilisation commence à renoncer à elle-même, c’est une porte qui s’ouvre vers de redoutables régressions.

Quand on découvre qu’une personne qui n’a commis aucun délit pourra être détenue jusqu’à dix-huit mois, que cette même personne pourra être bannie de l’espace européen durant cinq ans – sans véritable recours face à une telle « damnation » –, qu’il sera possible d’expulser n’importe qui n’importe où, sans tenir compte du pays d’origine, et que des enfants mineurs pourront être soumis au même traitement, eh bien on mesure, Monsieur le Premier ministre, à quel stade votre phobie des migrants nous fait descendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. François Grosdidier – Vos propos sont honteux !

M. Serge Letchimy – Au moment où la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne, ne tient-elle pas là une occasion de retrouver son image historique, en assumant une rupture tant avec la politique française de l’immigration qu’avec ses prolongements européens ? Une politique digne de ce nom doit s’attacher à ne renoncer à aucune noblesse de coeur dans les modalités de régulation des flux de souffrance que constitue l’immigration irrégulière. La France ne doit-elle pas rappeler au monde qu’on ne saurait réussir le développement économique sans développement humain, c’est-à-dire sans la plus haute des exigences morales et le respect le plus intransigeant des droits de la personne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire  Votre question est très utile car elle permet de rappeler ce que l’Europe peut décider et ce que la France veut appliquer (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Le projet de directive traite d’abord de la durée de maintien en centre de rétention : aujourd’hui, dans sept États-membres de l’Union, cette durée est illimitée ; le projet de directive vise à ramener à dix-huit mois la durée maximale. En France, il n’est pas question de modifier la durée maximale, qui est, comme vous le savez, de trente-deux jours en théorie et de douze jours en moyenne constatée.

Le texte traite ensuite de l’interdiction de retour de cinq ans qui pourrait être opposée aux personnes reconduites. Avec mes collègues Kouchner et Jouyet, nous avons obtenu que cette durée puisse être diminuée, voire supprimée. Je le dis sans détour : la France n’est pas favorable à des politiques de bannissement.

Enfin, la directive traite de la situation des enfants mineurs isolés sans papiers. Contrairement à certains pays, la France ne les renvoie pas dans leur pays d’origine. Le projet de directive vise à atténuer cette possibilité, en exigeant des garanties. Mais, là non plus, cela ne change rien pour la France.

Je précise que ce projet remonte à 2005,…

M. Jean-Pierre Brard – Sarkozy !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration – …que c’est une initiative de la Commission européenne et qu’il a été adopté par tous les chefs d’État et de Gouvernement en Conseil européen, quelle que soit leur couleur politique ou leur philosophie. Aujourd’hui en discussion au Parlement européen, le texte sera mis aux voix demain en première lecture. J’insiste sur le fait que son adoption ne changerait en rien la politique protectrice, équilibrée, ferme et juste que mène le Gouvernement en matière d’immigration (« Très bien ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SOINS PALLIATIFS

Mme Claude Greff – Notre collègue Jean Leonetti a rapporté la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, votée à l’unanimité par notre Assemblée. À la demande du Premier ministre, il conduit aujourd’hui une mission d’évaluation de ce texte important. Une société s’honore de permettre à chacun de terminer sa vie dans des conditions dignes et humaines.

Malgré les importants progrès réalisés grâce à la loi de 2005, la France accuse toujours un certain retard par rapport à ses voisins européens pour ce qui concerne l’offre de soins palliatifs, à l’hôpital comme en ville. Le nombre de places a progressé de 700 à 3 000 en cinq ans, les équipes mobiles sont passées de 200 à 350 et les réseaux se sont multipliés puisqu’on en compte désormais une centaine. C’est bien, mais ce n’est pas encore assez ! Fort de ce constat, le Président de la République a choisi de faire des soins palliatifs l’un de ses trois grands chantiers, à côté du cancer et de la maladie d’Alzheimer. À ce titre, il s’est engagé à doubler les capacités d’accueil en soins palliatifs d’ici à la fin de la législature et, avec les franchises médicales, il s’est donné les moyens financiers de cette ambition (« Pas ça ! »sur les bancs du groupe SRC).

Madame la ministre de la santé, vendredi dernier, vous étiez à Bourges aux côtés du Président de la République pour lancer le plan de développement des soins palliatifs. Quelles en sont les principales mesures et quels sont les moyens mobilisés ? Au-delà de l’aspect quantitatif, comment entendez-vous promouvoir une véritable culture palliative auprès des soignants et des familles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative  Comme vous l’avez indiqué, c’est vendredi dernier que nous avons présenté le plan de développement des soins palliatifs qui permettra d’accompagner demain 200 000 personnes au lieu de 100 000 aujourd’hui, et de mobiliser 230 millions au cours des cinq prochaines années. Ce plan vise d’abord à augmenter les capacités d’accueil dans tous les secteurs, qu’il s’agisse des unités de soins dédiées, des lits identifiés ou des équipes mobiles, si importantes pour instiller la culture du soin palliatif dans tous les lieux de soins, y compris les maisons de retraite. Il tend aussi à développer la recherche et la formation des accompagnants, qu’ils soient professionnels de santé ou bénévoles associatifs. Enfin, il insiste sur l’accompagnement des familles – et je tiens à cet égard à rendre hommage à Jean Leonetti (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), dont la loi remarquable mérite d’être encore mieux connue.

J’entends développer les réseaux et la culture de l’échange, essentielle en ce domaine, et je serai très attentive à la diffusion des soins palliatifs destinés à des enfants. Il n’y a pas pire drame que d’accompagner un enfant jusqu’à la mort et je souhaite mobiliser au moins 14 millions pour développer les soins palliatifs pédiatriques. Enfin, nous allons ouvrir un numéro d’information à quatre chiffres pour donner des renseignements pratiques à toutes les personnes concernées par les soins palliatifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CRISE DE LA PRESSE

M. Christian Kert – Madame la ministre de la culture et de la communication, la presse française est en crise, à tel point que le Président de la République a souhaité l’organisation d’états généraux en septembre prochain. La presse écrite affronte en effet une concurrence nouvelle avec les chaînes de la TNT, l’internet et la presse gratuite. Elle doit aussi faire face à la mutation du paysage publicitaire français, à laquelle la commission Copé va tenter d’apporter des solutions.

Il faut rendre hommage à l’ensemble des groupes de la presse écrite, qui ont consenti de grands efforts pour s’adapter à ces mutations, et investi beaucoup pour la modernisation de leurs outils, y compris de diffusion.

Madame la ministre, comme nous tous ici, vous êtes attachée à l’idée d’une presse écrite libre, pluraliste, participant du fonctionnement de la démocratie (« Genestar ! sur les bancs du groupe SRC). Pour sauver cette presse, l’effort doit porter dans plusieurs directions. Tout d’abord, le portage des journaux, au sujet duquel la profession attend toujours un décret d’application qui facilitera la vie quotidienne des porteurs. Votre détermination à influer sur la Poste dans la négociation des tarifs de portage sera également essentielle. Il vous faut aussi régler le conflit permanent et les blocages qui s’ensuivent aux NMPP. Enfin, il vous faudra trouver une solution au problème des droits d’auteur des journalistes.

Souhaitez-vous accompagner le développement des télévisions locales, dont les groupes de presse sont devenues les partenaires privilégiés ? Considérez-vous, comme nous, que les états généraux de septembre prochain doivent aboutir à « recibler » l’ensemble des aides accordées à la presse écrite ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – Vous avez raison, la presse est en crise pour tous les motifs que vous avez rappelés. C’est pour l’aider que nous sommes à ses côtés dans le plan de modernisation des NMPP « Défi 2010 ». Ce plan vise notamment à mieux former les kiosquiers, à numériser l’ensemble des titres, à multiplier les points de vente, l’objectif étant de passer de 29 000 à 33 000 – et il faut se féliciter des 600 points de vente nouveaux ouverts en 2007 –, et enfin à diminuer le nombre des dépôts. Un plan extrêmement généreux, doté de 60 millions d’euros, a par ailleurs été ouvert pour financer 300 départs – ce qui rend choquants les mouvements extrémistes récurrents menés par certains acteurs du Syndicat du livre. L’État, lui, a pris ses responsabilités, portant son aide de 8 à 12 millions d’euros.

Au-delà, il faut pérenniser un certain modèle de presse, renouveler le lectorat – je ferai prochainement des propositions en ce sens. Il faut aussi finaliser de nouveaux accords entre la presse, la Poste et l’État, les accords actuels arrivant à échéance fin 2008 – j’ai chargé Marc Schwartz d’une mission à ce sujet en espérant aboutir à une signature dans les semaines à venir. Il faut aussi relancer le portage, qui existe en Alsace et en Île-de-France, mais fort peu sur le reste du territoire. Cela exige des mesures sociales et fiscales, et comme vous l’avez dit, le décret d’application attendu. Il faut agir également en faveur de la presse en ligne, à laquelle nous consacrons actuellement 50 millions d’euros par an, et bien entendu redéfinir le statut de l’œuvre multimédia et sécuriser le droit d’auteur des journalistes.

Nous avons la ferme intention d’agir sur tous ces fronts à la fois. Ce sera l’objet des états généraux de l’automne prochain, souhaités par le Président de la République. Nous ne manquerons pas ce grand rendez-vous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DÉFICITS PUBLICS

M. Paul Giacobbi – Monsieur le Premier ministre, nous voici donc à la veille du lever de rideau de cette somptueuse mise en scène, tant attendue, riche de tant d’ambitions et de promesses, l’acte central de ce règne médiatique : la présidence française de l’Union européenne. On nous promet un spectacle inoubliable, une super-production à 200 millions d’euros, mais nos partenaires et la Commission, peu sensibles à ces fastes annoncés, se demandent, eux, comment nous allons respecter notre engagement de retour à l’équilibre budgétaire en 2010.

En clair, le déficit de l’État s’est creusé de près d’un cinquième d’une année sur l’autre. Et le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires considère dans l’avertissement qu’il vient de vous adresser, que le déficit public en France dépassera l’an prochain le seuil de 3 % du PIB. Monsieur le premier ministre, vous avez, il y a quelques mois, évoqué, avec lucidité, « les caisses vides » et « un État en faillite ». Votre Gouvernement, après avoir alourdi la barque de 15 milliards d’euros d’un paquet fiscal injuste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) qui n’a pas produit le moindre « choc de croissance », prend maintenant des décisions difficiles et parfois courageuses. Ne faudrait-il pas tenir à nos partenaires européens un langage de vérité, leur apporter les preuves tangibles de nos efforts de rigueur, plutôt que de s’agripper à tout prix à des prévisions de croissance auxquelles nul ne peut croire dans un monde en crise, l’une des plus graves depuis cinquante ans, et à des affirmations comptables démenties par notre autorité nationale de certification ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique – Les preuves tangibles de la volonté de la France de rétablir l’équilibre de ses comptes, ce sont les réformes que nous engageons chaque jour (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et sur lesquelles vous ne cessez d’interroger les ministres chargés de les mettre en œuvre.

S’agissant de la présidence française de l’Union à compter du 1er juillet prochain, elle est préparée très sérieusement, et des objectifs politiques forts lui ont été donnés. Ce point au moins devrait faire consensus et nous devrions tous souhaiter bonne chance à notre pays pour cette présidence. Vous me permettrez donc de ne pas ironiser à votre suite sur le sujet.

S’agissant du déficit public, il s’établit, selon la loi de règlement de l’exercice 2007 que vous allez examiner, à 38,4 milliards d’euros, inférieur à celui prévu en loi de finances initiale, ce dont on ne peut que se réjouir. Ce déficit demeure bien entendu trop élevé, et nous allons, par étapes, le limiter. Nous prévoyons de faire un demi-point de PIB de mieux en 2009, ce qui exige un effort de tous.

Pour le reste, si la Cour des comptes réévalue ce déficit à 44 milliards d’euros, c’est qu’elle réintroduit dans les dépenses budgétaires le remboursement de la dette de l’État vis-à-vis de la sécurité sociale au 31 décembre 2006, à savoir 5,1 milliards. Il aurait d’ailleurs été extrêmement difficile de comptabiliser cette dette sur le seul exercice 2007 car elle s’était accumulée au fil d’exercices passés. Il faut de même prendre en compte un remboursement concernant les plans d’épargne logement dû à un changement de législation – lequel lui non plus ne concerne pas directement l’exercice 2007 et n’a pas fait l’objet de décaissement budgétaire.

Notre objectif demeure, grâce aux réformes que nous mènerons et à une croissance retrouvée, de ramener nos finances publiques à l’équilibre à l’horizon 2012. Retrouver cet équilibre, c’est en effet retrouver des marges de manœuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

PROJET DE LOI SUR LA SANTÉ

M. Jean-Philippe Maurer – Notre système de santé est l’un des meilleurs du monde mais, face au vieillissement de la population aux progrès de la médecine, il doit s’adapter, notamment pour prévenir afin de mieux guérir, pour fédérer l’ensemble des acteurs, pour être plus efficace tout en maîtrisant les coûts.

La santé est désormais un enjeu territorial. La politique de santé doit veiller à ce que l’offre de soins soit équilibrée, à ce que les moyens soient suffisants pour développer la recherche, les traitements et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer ou du sida, et mener une véritable politique de prévention.

Nos concitoyens rencontrent des difficultés pour accéder aux soins, pour des raisons géographiques ou financières. Les urgences des hôpitaux apparaissent parfois comme le seul recours. En même temps, les addictions évoluent, et le surpoids, notamment chez les jeunes, devient un défi de société.

Pour relever ces défis, madame la ministre de la santé, vous préparez pour l’automne un projet intitulé « Patients, santé, territoires ». Pouvez-vous nous en exposer les grandes orientations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative  Les Français sont fiers, à juste titre, de leur système de santé. Mais il a ses difficultés, ses fragilités, dont il faut tenir compte, pour le réformer en profondeur. Il souffre d’inégalités territoriales : l’espérance de vie est inférieure de cinq ans à la moyenne dans le Nord-Pas-de-Calais…

M. Albert Facon – Ah !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé  …dans certains « déserts » médicaux, il est difficile de trouver un spécialiste, et même un généraliste la nuit ou le week-end. Dans un système hospitalier en proie à des difficultés budgétaires et d’organisation, il y a trop de lits en court séjour, pas assez pour accueillir des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Et le pilotage du système est de plus en plus compliqué.

Le projet que je présenterai à l’automne a pour but d’y remédier. Je l’ai élaboré avec des spécialistes, mais aussi des acteurs de terrain, des élus. Le rapport du député André Flajolet sur les inégalités territoriales dans ce domaine nous permettra de mener une véritable politique de santé publique et de prévention. Grâce aux états généraux de la santé, au travail avec les professionnels, nous avons bâti une politique qui vise à assurer une meilleure démographie médicale sur le territoire. Sur la base du rapport du sénateur Larcher, nous allons réformer l’hôpital, instaurer un patron, des communautés hospitalières de territoire, rendre plus attractifs les métiers de l’hôpital, mettre en place les agences régionales de santé pour simplifier le dispositif de pilotage. Notre système de santé est bon, mais nous ne devons pas nous cacher ses faiblesses. Nous devons au contraire y remédier. C’est l’objet du projet que je vous présenterai (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

AIDE GOUVERNEMENTALE EN FAVEUR DU TRANSPORT

M. Jean Launay – Monsieur le Premier ministre, vous avez admis que le chèque transport, créé par la loi du 30 novembre 2006 relative au développement et à la participation de l’actionnariat salarié, avait été inopérant. En effet, il était facultatif pour les entreprises. La proposition de loi que j’avais défendue le 29 novembre dernier prévoyait une négociation nationale et interprofessionnelle afin de mettre en place un chèque transport obligatoire au bénéfice de l’ensemble des salariés. La majorité n’a pas voulu en discuter. Pourtant, les difficultés de pouvoir d’achat sont aggravées par la hausse, probablement structurelle, du prix des carburants. Hier, partout en France et jusque dans le Lot profond, routiers, ambulanciers, taxis, après les marins-pêcheurs et les agriculteurs, ont manifesté leur désarroi face à la montée du prix du gazole.

Vous annoncez une aide directe pour aider les salariés à faire face à cette hausse du prix des carburants. Il est temps. Quel que soit le dispositif, chèque transport obligatoire ou aide directe, il faut une vraie solution. La contribution symbolique que vous avez mendiée auprès de Total ne fera pas le compte. Quelle somme allez-vous consacrer à cette aide, qui n’a que trop tardé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports – Effectivement, un certain nombre de professions, transporteurs routiers, ambulanciers, artisans, tous ceux qui utilisent un véhicule professionnel…

M. Roland Muzeau – Tous les travailleurs !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Et bien sûr tous les Français, sont affectés. Le 12 juin, le Premier ministre a annoncé une aide à la personne. Il a écrit ce matin aux responsables des organisations syndicales pour leur demander d’engager une négociation, qui devra être terminée à la rentrée, pour définir les conditions de cette aide.

Le chèque transport, était une bonne idée, mais l’application en était complexe et n’a pas bien réussi. Nous pensons donc à nous inspirer plutôt du système qui existe en Île-de-France, celui d’un versement direct qui apparaîtra sur la feuille de paye, avec une participation des entreprises et de l’État (« Combien ? » sur les bancs du groupe SRC). Vous répondre serait faire fi de la concertation. Or, ce Gouvernement travaille en concertation avec les organisations syndicales (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) et ne décide pas seul. Il faudra aussi que, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, cette aide favorise le transport collectif plutôt que la voiture individuelle. L’aide au transport sera mise en place, dans la concertation, et nous comptons aussi sur les bonnes idées des parlementaires pour trouver le meilleur dispositif (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance est suspendue à 16 heures.

La séance est reprise à 16 heures 15.

MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE

L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi de modernisation de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi De jour comme de nuit, – je serais tentée de parler de nuit américaine –, nous tous ici avons travaillé d’arrache-pied pour coproduire cette loi de modernisation de l’économie – dite LME –, afin de servir la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat. Notre discussion fut un modèle de débat démocratique : vigoureuse, rigoureuse et soucieuse du seul intérêt général.

J’ai deux bonnes nouvelles à partager avec l’Assemblée nationale. Tout d’abord, le chiffre net des créations d’emplois salariés pour le premier trimestre 2008 a été revu à la hausse pour atteindre 70 700, qui s’ajoutent aux 352 000 créations nettes recensées l’an passé. D’autre part, le Consensus Forecast, c’est-à-dire la moyenne de l’ensemble des prévisions de croissance, a lui aussi été relevé pour 2008 à 1,7 %, soit la branche inférieure de la fourchette retenue par le Gouvernement. C’est dans ce contexte de créations d’emplois et d’entreprises que s’inscrit la LME.

Permettez-moi d’accomplir un exercice rituel auquel j’attache beaucoup d’importance : celui des remerciements. En deux semaines de débat passionné et constructif, 1 600 amendements ont été présentés avec pour seul fil rouge l’efficacité des mesures proposées. Je rends particulièrement hommage à votre rapporteur, M. Charié, qui n’a pas compté ses heures pour ciseler ce texte et faire œuvre inlassable de pédagogie autant que de pragmatisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). De même, le président Ollier a, par son art consommé de la négociation, son sens du dialogue, sa connaissance du terrain et son expérience du débat parlementaire, su tenir le cap de la réforme et garantir la sérénité des débats (Même mouvement). Je remercie également les rapporteurs pour avis, MM. Forissier et Ciotti, dont les propositions de bon sens ont enrichi le texte. M. Copé et son équipe ont garanti le succès de la coproduction en préservant l’harmonie de la majorité. J’espère que cette méthode formera la matrice d’une nouvelle coopération entre le Gouvernement et le Parlement, car chacun gagnera à ce que les textes ne sortent pas prêts à l’emploi des cabinets ministériels. Merci à tous ceux qui se sont battus pour ce texte : Mme Vautrin, oratrice du groupe UMP, ainsi que MM. Tardy, Bouvard, Piron, Jacob, Dionis du Séjour, de Courson et Poignant, mais aussi MM. Brottes et Balligand, pour leurs contributions qui ont parfois fait évoluer nos positions.

M. François Brottes – Rarement !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Je n’oublie pas la présidence, et notamment Mme Génisson qui, jeudi dernier, a conduit les débats avec tact et rigueur jusqu’à l’aube – preuve que la France qui se lève tôt peut aussi se coucher tard… Enfin, je remercie l’ensemble des députés qui ont pris part à ce débat de grande qualité, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition.

Je propose à l’Assemblée de poursuivre notre coproduction, de passer en quelque sorte à la « post-coproduction », grâce à des instances de suivi où les parlementaires pourront vérifier la bonne application de la loi et l’efficacité des mesures que vous avez votées.

M. Jean-Pierre Brard – Préparez-vous votre candidature aux prochaines élections législatives ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Notre débat a beaucoup enrichi le texte, notamment par deux mesures nouvelles : le tarif social pour le téléphone mobile et la prolongation jusqu’au 1er juillet 2010 du tarif règlementé transitoire d’ajustement au marché pour l’électricité, dit TARTAM.

Au fil des titres, vous avez apporté de nombreuses améliorations au projet initial. Au titre I, vous avez modifié le seuil des micro-entreprises, étendu la fiducie dans le cadre du patrimoine d’affectation, réfléchi au RSA et transformé en abattement le seuil d’exemption des droits de mutation. Au titre II, après le relèvement du seuil d’autorisation des surfaces commerciales de 300 à 1 000 mètres carrés, vous avez rétabli l’équilibre en confortant le droit de préemption, de saisine et de recours des maires des communes de moins de 15 000 habitants ; vous avez renforcé la transparence exigée lors de la négociation des prix, confié aux maires le soin de vérifier les abus de position dominante, raffermi les sanctions à l’encontre des pratiques commerciales déloyales et conforté la lutte contre les clauses abusives. Au titre III, vous avez élargi l’exemption des cotisations à l’assurance vieillesse à certaines catégories de salariés étrangers. Au titre IV, vous avez renforcé le droit opposable au compte, contraint les banques à consacrer aux PME les ressources non centralisées à la Caisse des dépôts et consignations, réaffirmé le principe de l’affectation des ressources centralisées au financement du logement social et de la politique de la ville, consolidé les procédures de contrôle interne dans les banques pour éviter les incidents tels que celui de la Société générale et autorisé la transposition par ordonnance de la directive européenne anti-blanchiment. En somme, c’est un texte riche et amélioré dont le Sénat se saisira prochainement.

Qu’en est-il du coût de cette loi ? J’avais annoncé qu’il serait de l’ordre de 300 millions mais, compte tenu du relèvement des seuils de la micro-entreprise, il atteindra 400 millions, et même 425 millions avec l’indexation. C’est un petit prix à payer en regard des bénéfices que procurera cette loi : à partir de 2009, elle devrait apporter un supplément de croissance de 0,3 % et entraîner la création de 50 000 emplois par an.

Croissance, liberté, équilibre : tels sont les trois piliers de cette loi harmonieuse et complète, qui simplifiera la vie des entrepreneurs, améliorera l’offre faite aux consommateurs, renforcera la concurrence et aménagera l’épargne. En somme, elle modifiera la vie quotidienne des Français !

Pour finir, je tiens à remercier les services de la séance, qui ont œuvré jour et nuit, comme vous tous, pour que ce projet devienne loi. Nos concitoyens sauront s’en souvenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Charié, rapporteur de la commission des affaires économiques – Un État où seraient impunies l’insolence et la liberté de tout faire sombrerait dans l’abîme, nous a enseigné Sophocle.

Nous avons, à l’occasion de cette loi de modernisation de l’économie, accompli un énorme travail. Nous sommes passés de 44 à 122 articles. La majorité a déposé les deux tiers des 1 600 amendements examinés. Libre de toute obstruction, notre débat a abordé d’importants problèmes. Rapporteur à temps plein depuis plus de trois mois, je n’ai jamais perdu de vue cinq objectifs essentiels : remettre l’homme au centre de l’économie de marché, car l’avenir du capitalisme passe par l’éthique ; sortir de l’économie administrée par les puissances financières ; rétablir la justesse des prix ; renforcer la compétitivité des PME, des artisans et des commerçants de proximité ; mettre une concurrence libre et loyale au service d’une société à taille humaine.

Je sais tout le travail qui reste à accomplir pour faire appliquer au mieux cette loi. Avant de la voter, je tiens, en toute humilité, à exprimer ma confiance, à nos concitoyens tout d’abord, qui, en attendant l’action de groupe, trouveront ici des outils leur permettant d’acheter au juste prix ; aux distributeurs ensuite, qui pourront revenir à d’anciens principes, en particulier à celui qu’énonçait M. Fournier, fondateur de Carrefour, à savoir qu’il était préférable de bien vendre plutôt que de grignoter 0,5 % au détriment des fournisseurs ! Aux maires, qui auront davantage de moyens pour gérer les permis de construire et dont les communes bénéficieront d’une concurrence plus loyale.

Aux commerçants de proximité, aux PME et aux artisans, enfin, qui, avec cette loi, avec le renforcement du Fisac, avec la libre négociabilité – mais négocier, ce n’est pas arnaquer –, retrouveront les nobles moyens d’une juste concurrence.

Alors que la politique est trop souvent discréditée, je saluerai la qualité d’écoute des membres du Gouvernement qui ont su aussi respecter notre autorité : les experts, c’est bien ; l’expertise des parlementaires, c’est mieux. Je remercierai nos collègues des groupes UMP et Nouveau centre – Catherine Vautrin en particulier – qui ont toujours fait passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Merci aussi au président de la commission, M. Ollier, qui a su si bien orchestrer les débats.

Avec les députés de l’opposition, nous avons apprécié de dépasser les clivages binaires, primaires et politiques. Nous avons tous l’ambition de moderniser l’économie, de replacer l’homme au centre de l’économie de marché.

Nos débats auront confirmé la justesse de cette pensée de René Char : « Toute l’autorité, la tactique et l’ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Pour ne pas faire de jaloux, je voudrais associer tous les députés à vos remerciements.

Nous en venons aux explications de vote.

Mme Catherine Vautrin – Madame la ministre, vous avez accepté de vous livrer pour la première fois à un exercice de coproduction avec les parlementaires, et nous nous en félicitons. Les députés du groupe UMP, d’abord associés au groupe de travail créé à la suite du rapport Attali, ont apprécié de voir leurs propositions entendues et acceptées. Nous sommes désormais prêts à participer à la prochaine phase, celle de la « post-coproduction » que vous venez d’annoncer.

Les députés vous ont fixé trois rendez-vous précis : l’organisation du patrimoine d’affectation, grâce à la fiducie ; la mise sur pied de la procédure d’action de groupe ; l’intégration de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme général – dans six mois, et pas un jour de plus, comme l’a dit Jean-François Copé. Ce que nous avons fait ensemble dans la nuit de jeudi à vendredi (Exclamations amusées sur tous les bancs) – nous étions très nombreux – n’était en effet qu’une opération transitoire : l’urbanisme commercial doit être considéré comme un élément de l’attractivité du territoire, et abordé à l’échelle du territoire.

L’examen des 44 articles de ce projet de loi et des 1 600 amendements qui s’y rapportaient a duré pas moins de soixante-cinq heures. Je veux saluer le travail de M. Charié, qui nous a permis de constituer cette boîte à outils qu’est la loi de modernisation de l’économie.

Nous avons désormais les leviers dont notre croissance a besoin. En effet, nous avons voulu faciliter la vie de ceux qui entreprennent, en créant le statut de l’auto-entrepreneur, en réduisant les délais de paiement, en renforçant la concurrence. Parce que négocier n’est pas arnaquer, nous sommes parvenus à une approche plus claire de la négociabilité, en renforçant la relation de confiance et en confiant cette question à l’autorité de la concurrence.

Le déploiement du très haut débit est très important et nous sommes nombreux à continuer de travailler pour que le haut débit devienne une réalité sur l’ensemble du territoire.

Enfin, l’élargissement de la distribution du livret A n’en change pas la destination : il s’agit toujours de l’outil de référence pour le financement du logement social et vous savez, Madame la ministre, combien nous y sommes attachés.

Croissance, liberté et équilibre sont pour nous des maîtres mots, dès lors qu’ils signifient plus d’emploi et davantage de pouvoir d’achat. Le groupe UMP votera donc ce texte et conduira à vos côtés, Madame la ministre, la post-production ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Brottes – Après le paquet fiscal – près de 15 milliards d’euros par année –, vous vous êtes livrée, Madame la ministre, à un festival libéral et anti-social coproduit avec le groupe UMP !

Pendant que « le bon monsieur Bertrand » fait sauter les derniers verrous de la protection sociale – hier, il instituait les franchises et, aujourd’hui, il rend la durée légale du travail négociable dans chaque entreprise, autrement dit, négociable pour chaque salarié –, le Gouvernement profite d’une énième loi de modernisation de l’économie pour démanteler le droit syndical : lissage des seuils pour précariser les salariés, fragiliser les plus démunis et servir quelques puissants amis.

Dans ce dernier exercice, je veux saluer la prestation de M. Lefebvre, député influent de l’UMP, qui se sera livré à des one-man shows pas toujours aboutis, mais qui devraient lui permettre de s’imposer : amendement « du pied dans la porte » sur la fin du financement du sport éducatif par le sport professionnel ; amendement bidon d’un tarif social pour la téléphonie mobile, sans base juridique mais permettant de dédouaner les opérateurs et de masquer le fait que les ventes aux enchères des prochaines licences seront répercutées sur les consommateurs ; amendement Tartuffe sur l’action de groupe, grâce auquel l’UMP fait croire qu’elle y est favorable alors qu’elle refuse depuis des mois nos propositions ; amendement « Fouquet’s », enfin, qui repousse sans vergogne les limites des seuils anti-concentration afin que les Bouygues et Bolloré continuent de s’épanouir et gardent la maîtrise du jeu (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

La banalisation du livret A vous vaudra sans doute la reconnaissance éternelle des acteurs du réseau bancaire, puisqu’ils pourront faire de nouveaux profits sur ce produit sans avoir l’obligation d’accueillir tous les clients qui en feront la demande. Comme on dit chez moi, ils auront le beurre et l’argent du beurre.

Je ne doute pas non plus que les acteurs de la grande distribution vous voueront une admiration sans nom : ils pourront désormais étrangler leurs fournisseurs et s’implanter où bon leur semble. Nous avons bien noté que le commerce de proximité devra attendre, puisque le Fisac ne sera abondé qu’à hauteur de 15 % de la taxe sur les grandes surfaces, tandis que la participation des communes est augmentée de 500 euros, ce qui traduit une ambition quelque peu modérée.

Vous avez refusé de vous attaquer efficacement au monopole vertical des centrales d’achat, et, sous prétexte de supprimer les marges arrière, vous avez renoncé à rendre transparente la pratique du référencement, qui impose aux fournisseurs de payer un bakchich pour pouvoir vendre par le biais d’une centrale d’achat : autant d’aveux qui montrent que ce texte est taillé sur mesure pour Michel-Édouard Leclerc et ses peu nombreux camarades de jeu (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Paul Charié, rapporteurC’est inadmissible !

M. François Brottes – Vous avez largement favorisé l’accès à la précarité pour tous avec le statut de l’auto-entrepreneur. Les salariés, les retraités, les candidats à l’emploi ne seront pas tenus de s’enregistrer, n’auront pas de charges à payer jusqu’à 30 000 euros, n’auront pas besoin de qualification ou d’agrément professionnel et pourront s’établir où ils veulent : dès lors, ils pourront se lancer dans une concurrence déloyale, et ce sans apporter de garantie de bonne fin à leurs clients. Chacun a bien compris qu’il s’agissait surtout de favoriser l’externalisation du salariat. C’est l’avènement du « tous patrons, tous tâcherons, tous précaires » ! Pourquoi supprimer la durée légale du travail, puisqu’il n’y aura bientôt plus de statut du salarié ?

Les plus démunis perdront deux fois sans que le droit au compte ou le droit au logement leur apportent les moindres garanties. Votre loi menace leur accès à la bancarisation, tout comme, à terme, elle conduira au siphonnage du financement du logement social.

Ma bonne foi et mon objectivité me commandent de saluer votre courtoisie, Madame la ministre, et votre volonté – certes fragile – de développer le haut débit sur l’ensemble du territoire. Nous nous réjouissons aussi que vous ayez entendu nos arguments sur la nécessité de prolonger les tarifs réglementés, afin de préserver l’emploi industriel. Je rappelle à ce propos que le groupe SRC a demandé une commission d’enquête sur la constitution des prix de l’énergie, à la pompe comme au radiateur.

Mais il reste que cette loi consacre le droit du plus fort : elle impose des conditions générales d’achat au lieu de conditions générales de vente, elle fait des maires des régulateurs de la concurrence, elle déstructure un peu plus les rapports sociaux dans l’entreprise. Peut-être aidera-t-elle à aller chercher avec les dents 0,3 % point de croissance. Aux yeux de ceux pour qui la fin du mois arrive trop tôt, elle ne sera qu’une loi de modernisation des illusions. C’est pourquoi nous voterons résolument contre (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre Gosnat – Le groupe GDR tient à protester contre l’organisation du travail parlementaire imposée par le Gouvernement. Il est inacceptable de légiférer dans la précipitation, en quelques semaines, et souvent tard dans la nuit, sur des textes aussi importants que la modernisation de l’économie ou la réforme des institutions – promise à faire « pschitt ». Ce ne sont pas des conditions favorables à un débat démocratique et transparent pour nos compatriotes.

Votre précipitation témoigne de votre volonté d’avancer au plus vite dans la politique de rupture sociale si chère à Nicolas Sarkozy, et dont le premier acte s’est traduit, voilà un an, par un cadeau fiscal de 15 milliards d’euros en faveur des plus fortunés (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP). Vous ne faites que creuser le sillon des inégalités dans notre pays. Aussi, ne soyez pas étonnés que des centaines de milliers de salariés soient aujourd’hui en grève et manifestent dans toutes les villes de France !

Nous ne voterons pas ce projet de loi de « modernisation de l’économie » d’inspiration ultra-libérale, et qui repose sur une analyse dogmatique et idéologique de la situation actuelle. Votre objectif est de relancer l’économie française en gagnant 0,3 point de croissance supplémentaire et en créant 50 000 emplois, mais, derrière ces intentions louables se cache une politique de relance par l’offre, qui s’est toujours soldée par des échecs depuis 25 ans. Le Gouvernement fait à nouveau le choix de la déréglementation et de la concurrence, mais pour quels résultats ?

La question des délais de paiement, que ce texte prévoit de limiter à 45 jours fin de mois ou à 60 jours calendaires, est cruciale pour la survie de nos PME. Près de 21,6 % des défaillances des PME sont en effet dus à des retards de paiement. Le rapport annuel de l’observatoire des délais de paiement montre que la situation se détériore. Or, ce que vous proposez est bien trop modeste.

Je regrette que notre assemblée n’ait pas adopté nos amendements tendant à réduire à sept jours les délais de paiement pour les produits frais et périssables, et à 30 jours pour les autres types de biens. Ce texte se borne à instaurer un régime dérogatoire, qui videra de son contenu le principe même d’une durée légale de paiement.

J’en viens à la négociabilité des conditions générales de vente. Ce projet de loi redéfinit les rapports entre distributeurs et fournisseurs sans prendre en compte les inégalités dans le rapport des forces. En introduisant la libre négociabilité des prix, vous placerez les fournisseurs dans une situation de dépendance. Il aurait fallu au contraire renforcer les conditions générales de vente, et aggraver les sanctions. Vous ne songez malheureusement qu’à libéraliser le système et à réduire drastiquement les moyens alloués à la DGCCRF.

Nous nous opposons également à la déréglementation de l’urbanisme commercial qui nous est proposée. Si nous vous suivons, un distributeur pourra désormais implanter sans autorisation préalable un magasin dont la surface ne dépasse pas mille mètres carrés, y compris en centre ville. Malgré l’adoption d’amendements tendant à conférer aux élus locaux un certain pouvoir de contrôle, cette mesure emportera des conséquences dramatiques pour les petits commerces. Elle n’aura en revanche qu’un effet marginal sur les prix.

Je regrette par ailleurs que notre assemblée n’ait pas adopté l’amendement de notre groupe tendant à faire prendre en compte des critères sociaux, notamment les salaires et les types de contrat pratiqués, dans les procédures d’autorisation d’implantation. C’eût été un moyen d’améliorer substantiellement le pouvoir d’achat des salariés de la grande distribution.

Je ne reviendrai pas sur la profonde injustice de votre réforme du livret A, ni sur les risques auxquels elle expose le financement du logement social. Permettez-moi tout de même de déplorer que les différents amendements déposés par l’opposition aient été systématiquement rejetés.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Mais non !

M. Pierre Gosnat – Je pense notamment à ceux qui visaient à éviter que la Banque Postale ne devienne une « banque des pauvres ».

L’amendement 21, adopté contre l’avis du Gouvernement, est certes un moindre mal, comparé au projet initial. Il n’augure cependant rien de bon pour l’évolution de notre système d’épargne populaire.

M. le Président – Merci de bien vouloir conclure.

M. Pierre Gosnat – J’aimerais auparavant exprimer mon désaccord avec l’amendement Aboud, et regretter que M. Novelli ait renvoyé à plus tard l’instauration d’une action de groupe à la française.

Seule une augmentation des salaires, des retraites et des minima sociaux permettrait de relancer vigoureusement notre économie ! Nous voterons contre ce texte.

M. Jean Dionis du Séjour – Au nom du Nouveau centre, je voudrais exprimer des remerciements, mais aussi des réserves. Des remerciements tout d’abord pour la qualité du dialogue instauré par le Gouvernement grâce à un véritable sens de l’écoute et un certain professionnalisme, mais aussi, Madame la ministre, à une certaine gentillesse (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

Nous avons tout de même des réserves sur l’organisation de nos débats, car nous avons dû terminer à la va-vite des discussions pourtant importantes. Plusieurs amendements tendant à réécrire intégralement des articles du texte ont ainsi fait tomber des dizaines d’amendements. Cette procédure a certes été utilisée par de nombreux gouvernements, de toutes tendances, mais il faut reconnaître qu’elle n’est ni glorieuse ni très démocratique. Il est par ailleurs regrettable que nos discussions aient dû se prolonger jusqu’à 4 heures 30 du matin. Un très lourd agenda nous attendant à la rentrée de septembre, il serait bon de trouver d’autres façons de procéder…

Sur le fond, le Nouveau centre approuve les avancées figurant au titre I en faveur des auto-entrepreneurs et des PME. Avec mon collègue Charles de Courson, je rappelle toutefois qu’il faudra porter un soin tout particulier aux dispositions relatives au patrimoine d’affectation et à la réserve spéciale d’auto-financement.

S’agissant du titre II, qui concerne les relations commerciales, nous approuvons l’instauration de la négociabilité. Les dispositions que nous proposons mettent un terme à trois années de discussions autour de la suppression des marges arrière. La loi Galland a eu des effets ravageurs. Toutefois, nous n’avons guère d’illusion sur le rapport de force entre le monde de la distribution et celui de la production. Nous tournons sans aucun état d’âme la page des marges arrière, mais il faudra évaluer le nouveau dispositif.

Nous considérons avec le même pragmatisme l’instauration d’une Haute autorité de la concurrence et les modifications apportées aux règles d’urbanisme commercial. Le centre a toujours été en faveur de l’ouverture à la concurrence sous l’autorité d’un régulateur fort. Nous sommes donc favorables à la création de la Haute autorité. Il faudra toutefois vérifier, lors de la ratification de l’ordonnance prévue, si la nouvelle structure est bel et bien le régulateur fort dont notre pays a besoin, ou bien un simple « machin » comme disait le général de Gaulle.

Le révélateur sera l’usage fait de la disposition donnant à la Haute autorité le pouvoir d’ordonner la cession de magasins aux groupes en situation de monopole dans un bassin de vie locale, comme le Nouveau centre l’avait demandé. Nous ferons preuve d’une vigilance absolue à ce sujet.

Une même lucidité et un même pragmatisme nous ont guidés sur la question de la saisine de la CDAC. Si nous soutenons le relèvement du seuil, c’est parce les anciennes CDEC étaient devenues des « machines à dire oui lentement » pour les implantations comprises entre 300 et 1 000 mètres carrés. Par ailleurs, comment pourrait-on continuer à dénoncer l’absence de concurrence dans certains bassins de vie sans faire le nécessaire pour les ouvrir à la concurrence, fût-ce de façon modeste ?

J’en viens au titre III, qui nous semble bien timide et très parisien, car il se concentre sur la seule partie du réseau comprise entre le pied de raccordement à l’immeuble et la prise utilisateur. Grâce à nos amendements, nous avons utilement amélioré le texte, mais vous ne parviendrez pas à faire passer ces mesures pour ce qu’elles ne sont pas, c’est-à-dire une véritable politique nationale en faveur du déploiement du très haut débit. Il y a pourtant urgence.

En dernier lieu, le groupe Nouveau centre approuve l’ouverture de la collecte du livret A ainsi que les dispositions tendant à moderniser la gouvernance de la Caisse des dépôts et à renforcer l’attractivité de l’industrie financière française.

Je le répète : nous serons très vigilants sur la façon dont le Gouvernement mettra en place la Haute autorité et sur la façon dont les acteurs économiques s’adapteront à la nouvelle réglementation des relations commerciales. Nous serons lucides et pragmatiques, mais sans ambiguïté dans notre soutien à ce texte, qui va clairement dans ce bon sens (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

À la majorité de 321 voix contre 230 sur 559 votants et 551 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 55, est reprise à 17 heures 10, sous la présidence de M. Le Fur.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

RÉFORME PORTUAIRE

L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, adopté par le Sénat, portant réforme portuaire.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports – Ce projet de loi vise un objectif simple : relancer la compétitivité de nos ports et leur redonner la place qui devrait être la leur sur le marché européen. Carrefour en Europe, la France, avec ses trois façades maritimes, devrait figurer au premier rang des pays portuaires européens. Or, il n’en est rien. Tous les rapports, toutes les études sur nos ports s’accordent pour constater la dégradation globale de leurs parts de marché, une dégradation qui va s’accentuant – ainsi, alors que le marché à forte valeur ajoutée des conteneurs se développe à grande allure, nos parts ont été presque divisées par deux entre 1989 et 2006.

Pourquoi cette perte de compétitivité ? La productivité des grands ports maritimes français est, d’une manière générale, inférieure à celle de leurs concurrents européens. Le temps d’attente, le temps de déchargement et de chargement y sont supérieurs. Or, le temps est un facteur essentiel pour les armateurs, qui, compte tenu du coût de l’immobilisation des navires, optent pour les ports belges, néerlandais ou espagnols, où ces opérations se font beaucoup plus vite.

Le manque d’efficacité de nos ports résulte pour une bonne part de l’absence de commandement unique.

M. Daniel Paul – Allons !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – L’organisation du travail de manutention demeure éclatée entre les entreprises pour la manutention horizontale et les services d’outillage des ports autonomes pour la manutention verticale.

Depuis la courageuse réforme de 1992, pour laquelle je rends hommage à MM. Delebarre et Le Drian, les entreprises de manutention emploient librement les dockers pour les activités à quai mais elles n’ont généralement pas la maîtrise des grues et des portiques, et pratiquement jamais celle du personnel, qui relève de la compétence du port autonome. Cette absence d’unité de commandement du personnel portuaire et de l’outillage est une originalité française. Elle explique pour une large part le manque de fiabilité et de productivité de nos ports. Il est donc indispensable de réformer le mode de gestion de l’outillage.

Ensuite, la compétitivité des ports passe par leur capacité à entretenir des liaisons efficaces avec l’arrière-pays. Or, quelles que soient les majorités, la politique portuaire ne s’est guère souciée ces dernières années d’améliorer – quantitativement et qualitativement – la desserte terrestre des ports.

M.  Daniel Paul – C’est vrai.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – L’insuffisance et le mauvais fonctionnement des débouchés vers l’intérieur du pays ont largement contribué à la dégradation de la compétitivité des ports français. Il convient donc de rechercher une meilleure gestion de l’interface entre le port et l’hinterland.

La perte de compétitivité des grands ports maritimes ne pourra être enrayée qu’en réformant leur organisation générale et en les dotant de moyens conséquents. Aussi, cette loi de réforme est-elle complétée par un renforcement substantiel du plan d’investissement de nos ports, et par un doublement de la participation financière de l’État pour la période 2009-2013.

M. Michel Delebarre – Même ainsi, cela ne fera pas lourd !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – L’effort est à la mesure de l’enjeu : le bon fonctionnement de nos ports est en effet crucial pour l’emploi et pour l’économie. Au sein même des ports, nous voulons protéger les emplois existants et en créer de nouveaux (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Le plan de relance permettra de créer quelque 30 000 emplois dans les secteurs du transport et de la logistique.

M. Daniel Paul – C’est vous qui le dites !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Si le parti communiste n’en veut pas, c’est son problème. Nous n’attendons pas de lui qu’il soit précurseur dans le domaine de l’emploi !

Les ports sont des lieux où bat le pouls économique d’un pays. Tout à l’heure, votre Assemblée a adopté la LME et je suis convaincu que cette compétitivité retrouvée stimulera la capacité d’exportation de nos entreprises, qu’elle aura un impact bénéfique sur l’ensemble de l’économie de notre pays.

M. Daniel Paul – On verra bien !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Peut-être préférez-vous que l’on se tourne vers les ports d’Anvers, d’Amsterdam ou d’ailleurs ? La vérité, c’est que le service serait aussi bien rendu au Havre, à Dunkerque, à Nantes, à Bordeaux, à La Rochelle ou à Marseille…

M. François Goulard – Ou à Saint-Malo ! (Sourires)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État  Absolument ! Autre enjeu de cette réforme à l’heure du Grenelle de l’environnement, le développement durable. Elle s’inscrit en effet dans notre politique de report modal, de promotion des modes de transport alternatifs à la route : le transport maritime et les autoroutes de la mer, ainsi que le transport ferroviaire et fluvial, dans les dessertes terrestres des ports.

Le projet de loi comporte trois grandes séries de mesures visant à rendre nos ports plus compétitifs. Les premières portent sur les missions des grands ports maritimes. Les deuxièmes s’attachent à leur système de gouvernance et à la coordination que nous entendons établir entre les grands ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial, conformément à une idée de Michel Delebarre. Les troisièmes redéfinissent l’organisation de la manutention. Après vous avoir présenté ces trois séries de mesures et leurs objectifs, je vous parlerai du plan d’investissement qui accompagnera ce projet de loi.

Notre premier objectif est de recentrer le port sur ses missions publiques essentielles. À cet effet, il revient aux autorités du port de promouvoir la place portuaire auprès des chargeurs et des armateurs, d’en améliorer la compétitivité dans un environnement de plus en plus concurrentiel et d’investir dans les dessertes terrestres, en particulier ferroviaires et fluviales. Le développement économique du port doit aller de pair avec la promotion d’une politique de transport multimodale et le respect de l’environnement. C’est ainsi qu’il a été décidé, au terme du Grenelle de l’environnement, de doubler les dessertes non routières des grands ports maritimes et ce n’est qu’en perfectionnant les liaisons des terminaux portuaires avec l’arrière-pays que notre politique de report modal prendra toute son envergure.

Les ports seront donc recentrés sur leurs missions régaliennes d’aménagement du territoire et de gestion de la place portuaire. Ils n’interviendront plus dans la manutention, sauf cas exceptionnel, et concentreront leurs moyens sur leur développement. À cette fin, ils deviendront propriétaires de plein droit de leur domaine. Ils auront à charge d’harmoniser le développement de leur territoire, en concertation avec les collectivités dans lesquelles ils sont implantés.

Le projet de loi prévoit la rédaction par chaque port d’un projet stratégique prenant en compte les spécificités locales et à l’élaboration duquel seront étroitement associés les élus. Ce projet stratégique envisagera le développement du port, en y intégrant les infrastructures, l’outillage, l’aménagement du territoire, la gestion foncière, la politique économique et commerciale, la trajectoire financière et l’environnement.

J’insiste sur ce dernier point : il est primordial de prendre en compte l’environnement de la place portuaire. Le Sénat a du reste souhaité améliorer le dispositif proposé dans le projet de loi initial en matière de gestion des espaces naturels, dans l’esprit des recommandations du Conservatoire du littoral. Les grands ports maritimes qui se substitueront à nos ports autonomes actuels devront établir, dans le cadre de leurs projets stratégiques, un document graphique faisant notamment apparaître les zones présentant des enjeux naturels.

En outre, des conseils scientifiques d’estuaire seront créés dans les estuaires de la Gironde, de la Loire et de la Seine, et seront obligatoirement consultés par les grands ports maritimes pour tous les aménagements ayant un impact sur les estuaires. Je pense à un projet assez stupide sur l’estuaire de la Gironde, qu’il sera particulièrement intéressant de faire étudier par un tel conseil.

M. François Goulard – Sans aucun a priori, bien entendu ! (Sourires)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Ce projet stratégique, établi par chaque port et sur lequel les salariés seront consultés, devra donner une vision à moyen terme du développement du port. C’est un élément important de la présente réforme.

Il convient ensuite de moderniser la gouvernance des grands ports maritimes, qui n’a pas évolué depuis 1965. En vue d’améliorer la réactivité des établissements portuaires et de dissocier plus clairement la gestion courante de l’établissement des missions de contrôle, un conseil de surveillance, un directoire et un conseil de développement seront créés, sur le modèle d’une entreprise.

Le conseil de surveillance a fait l’objet d’un intéressant débat au Sénat, la Haute assemblée ayant souhaité modifier la composition proposée par le Gouvernement, en ajoutant une cinquième personnalité qualifiée et en précisant que devaient figurer parmi ces personnalités un représentant des chambres consulaires et un représentant du monde économique. Le conseil de surveillance comprendrait ainsi 17 membres dont cinq représentants de l’État, quatre représentants des collectivités locales,…

M.  Daniel Paul – C’est bien le moins, puisque ce sont elles qui vont payer !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – …trois représentants des salariés de l’établissement et cinq personnalités qualifiées.

Le directoire comprendra deux à quatre membres selon les ports. La participation au sein de ces équipes de direction de personnes provenant d’autres ports européens, et, plus généralement du monde de l’entreprise, serait extrêmement enrichissante. Cette équipe de direction et le conseil de surveillance s’appuieront sur les avis d’un conseil de développement, rassemblant l’ensemble des acteurs de la place portuaire : des représentants des salariés, des collectivités, des organisations professionnelles, des acteurs économiques, des associations de défense de l’environnement et les acteurs du transport terrestre. Loin d’être une simple chambre d’enregistrement, ce conseil de développement sera obligatoirement consulté sur les décisions importantes du grand port maritime, notamment sur sa politique tarifaire et sur le projet stratégique d’établissement. Ce dernier donnera lieu ensuite à contractualisation avec l’État et avec les collectivités locales, si elles le souhaitent – et je gage que toutes le souhaiteront !

Dans un certain nombre de cas, ce projet stratégique devra se conformer aux orientations d’un document cadre établi par un conseil de coordination, rassemblant les ports situés sur un même axe fluvial ou sur une même façade maritime. En effet, nous souhaitons coordonner autant que possible le développement des ports situés sur la façade Atlantique, de même que celui des ports situés sur la Seine ou dans le Nord. À cet effet, le texte prévoit des conseils de coordination, afin de rendre plus cohérente la gestion des investissements et de la politique commerciale. N’est-il pas absurde que Bordeaux et La Rochelle entrent en concurrence pour répondre à la demande d’un armateur américain ?

Notre troisième priorité est d’installer un commandement unique pour les activités de manutention. Je l’ai déjà dit, le manque de productivité de nos ports tient pour une bonne part à l’absence de coordination dans les terminaux de manutention. Afin d’y remédier, nous devons instituer des opérateurs de terminaux intégrés, ayant en charge l’ensemble de l’outillage et de la manutention. Les sept grands ports maritimes devront en conséquence transférer les outillages qu’ils possèdent à des opérateurs dans les deux ans suivant l’adoption de leur projet stratégique. Il ne s’agit pas de passer d’un monopole public à des monopoles privés et il faudra procéder sans a priori idéologiques ni schéma pré-établi, en tenant compte des réalités locales. La priorité sera donnée aux opérateurs économiques locaux faisant appel, à l’heure actuelle, aux services du port pour la manutention verticale.

Chaque port ayant ses spécificités, nous confions aux acteurs portuaires la responsabilité de définir dans leur projet stratégique les modalités de ce transfert. Le texte qui vous est soumis ménage par conséquent toute la souplesse nécessaire pour déterminer la manière dont sera atteinte l’unité de commandement. Ainsi, peut-être n’y aura-t-il pas d’initiative privée pour reprendre l’activité de certains terminaux. Bien entendu, le projet de loi envisage cette hypothèse, en donnant aux ports la possibilité d’agir par l’intermédiaire de filiales, si le projet stratégique le justifie. Il leur permet également de détenir des participations minoritaires dans les opérateurs intégrés de terminaux, ou encore de traiter de manière spécifique les terminaux qui relèveraient de l’intérêt national. Enfin, il autorise un traitement particulier de la maintenance.

Depuis le lancement de cette réforme dans la belle ville de Marseille, le 14 janvier dernier,…

M. Renaud Muselier – Très bien !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – …le Gouvernement a privilégié la voie de la concertation et de la négociation. Nous souhaitons que les partenaires sociaux définissent les conditions dans lesquelles les agents des ports affectés aux activités de manutention intégreront les opérateurs des terminaux. À cette fin, le projet de loi confie aux partenaires sociaux le soin de parvenir d’ici au 31 octobre à un accord cadre, qui fixera les conditions et les mesures d’accompagnement social de la réforme.

Ce projet de loi pose des principes de méthode ; il laisse ensuite une réelle marge de manœuvre aux partenaires sociaux, auxquels il incombe de fixer les modalités d’intégration dans chaque place portuaire. Le groupe de travail présidé par Yves Cousquer, ancien collaborateur de Paul Quilès et ancien président de La Poste et d’ADP, se réunit jour après jour pour faire avancer ce dossier

Face aux inquiétudes des agents, je tiens à confirmer les propos du Président de la République et du Premier ministre : personne ne sera laissé à quai ! Les agents qui ne seraient pas transférés au sein des opérateurs resteront salariés des grands ports maritimes ou de leurs filiales, où ils évolueront vers de nouvelles missions.

Outre cette garantie d’emploi, ce projet de loi comporte d’autres mesures de protection sociale. Il prévoit notamment, et l’accord cadre pourra encore améliorer cette disposition, de protéger les agents transférés chez les opérateurs. Ainsi, le salarié qui serait licencié pour des raisons économiques bénéficiera d’un droit de retour au grand port maritime pendant une période que la Haute assemblée, grâce à un amendement voté à l’unanimité, a porté à sept ans, au lieu des cinq fixés initialement.

D’autre part, le Gouvernement a déposé un amendement au Sénat visant à ouvrir une seconde négociation entre partenaires sociaux afin de définir le champ d’une nouvelle convention collective prenant en compte les traits communs des métiers exercés par les travailleurs portuaires dans la manutention, l’exploitation d’outillages et la maintenance des outillages de quai. Cette négociation, distincte de celle de l’accord cadre, s’étendra sur une période de temps plus longue, l’objectif étant d’aboutir à la nouvelle convention collective avant le 30 juin 2009. Cet amendement, voté à l’unanimité au Sénat, répond à une forte préoccupation des travailleurs portuaires.

Vous le voyez, nous tenons à protéger les salariés et à leur donner toutes garanties sur leur avenir, en matière d’emploi, de retour, de salaire et de formation.

J’en viens au volet financier. Le dispositif prévu s’inscrit dans une dynamique de relance de nos ports, complétée d’une politique d’investissement ambitieuse. Pour la période 2007-2013, le total des investissements atteindra 2,7 milliards d’euros, dont 445 millions à la charge de l’État. En complément des contrats de projet 2007-2013, qui atteignaient déjà un montant sans précédent, l’État a décidé de doubler sa participation sur la période 2009-2013.

Il renforcera en outre sa participation à l’entretien des accès maritimes, c’est-à-dire au dragage, la portant à 75 millions d’euros d’ici à cinq ans, en assurant dès lors le financement total.

Ce projet de loi n’est pas fait pour Le Havre ou Marseille. Tous nos grands ports maritimes bénéficieront des financements prévus. Le Gouvernement est fermement décidé à relancer de front nos sept grands ports.

J’insisterai avant de conclure sur le fait que ce projet de loi n’est qu’une étape dans le processus de relance des ports français. Nous avons mené une phase de concertation fructueuse, en prenant note des soucis de chacun. Et, comme je l’ai dit, un accord cadre entre les partenaires sociaux devrait être trouvé avant le 31 octobre 2008, ce qui paraît un délai raisonnable. La négociation a débuté dès le 8 avril et fin juin ou début juillet, je réunirai l’ensemble des partenaires pour faire le point sur l’avancement des discussions. II faut qu’à cette date, les grandes lignes de l’accord aient pu être tracées.

Ensuite, si ce projet de loi est adopté, les grands ports maritimes seront créés avant la fin de l’année, dès que les textes réglementaires, en préparation, auront été publiés. Dans les trois mois suivant leur mise en place, ils élaboreront leur projet stratégique, qui permettra de mettre en œuvre la réforme de la manutention dans les deux ans.

Vous le voyez, le processus est progressif – il n’y a là nul rouleau compresseur – et notre projet est ouvert. Nous laissons aux partenaires sociaux une grande latitude pour enrichir le contenu social des mesures. J’invite tous les acteurs portuaires à poursuivre les négociations et leur travail auprès d’Yves Cousquer. Nous avons besoin de tous.

Je terminerai en remerciant votre commission des affaires économiques, plus particulièrement son président, Patrick Ollier, qui connaît bien le sujet, et votre rapporteur, Jean-Yves Besselat qui, pour être élu d’un département qui compte deux grands ports maritimes, est assurément un spécialiste. Son rapport sera extrêmement éclairant pour nos débats.

On parle depuis longtemps de la réforme des ports, ce Gouvernement la met en œuvre, avec le soutien de sa majorité, mais avec aussi au Sénat, je l’ai constaté, l’attitude constructive du parti socialiste et celle, toujours courtoise, du parti communiste. Je suis persuadé que nous travaillerons dans le même état d’esprit à l’Assemblée et que nous parviendrons à un texte redonnant souffle et espoir à nos ports, ce dont notre pays a besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur de la commission des affaires économiques – Inutile de dire que je soutiens ce projet de loi de bon sens, équilibré, et porteur d’avenir (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Quelques mots tout d’abord sur le contexte économique et politique de cette réforme. Depuis plus de dix ans, le trafic des ports français ne s’accroît que de 2 % par an quand celui de leurs concurrents de la mer du Nord ou de Méditerranée augmente, lui, de 6 % à 7 % par an, si bien qu’aujourd’hui le trafic de nos sept plus grands ports ne représente que 390 millions de tonnes, soit l’équivalent de ce que traite le port de Rotterdam à lui seul. Face à cette situation, il convenait d’élaborer une loi permettant de rendre le travail sur les quais plus efficace et plus flexible, afin d’améliorer la compétitivité de nos ports.

Notre pays mène depuis plusieurs années une véritable politique maritime. Il faut notamment en féliciter François Goulard, votre prédécesseur, Monsieur le ministre. Nous avons stoppé l’effondrement du pavillon français : on compte actuellement 250 navires sous pavillon français et on peut en escompter 300 avec l’européanisation du GIE fiscal. Nous avons développé la formation des marins avec l’objectif de tripler les effectifs des écoles de la marine marchande en cinq ans. En matière de sécurité maritime, l’institution des préfets maritimes, très enviée des pays étrangers, a été exemplaire.

Et maintenant, sous votre impulsion, Monsieur le ministre, s’engage la réforme des ports. J’en préciserai les cinq points principaux.

Premièrement, ce projet de loi réaffirme les missions régaliennes de l’État que sont la construction des quais et des terre-pleins, le dragage des chenaux, la capitainerie, la sécurité et la sûreté. Ce texte permet en outre aux ports de devenir propriétaires et gestionnaires d’espaces qui étaient jusqu’à présent propriété de l’État et confère aux grands ports maritimes un rôle d’aménageur. Rien n’interdira à l’État de prendre des participations, majoritaires ou minoritaires, notamment dans les ports secs où peuvent être créées des zones logistiques, pour y appuyer l’effort des investisseurs privés.

Deuxièmement, ce texte institue un commandement unique pour les activités de manutention. Après le transfert et la mensualisation des dockers dans les entreprises de manutention opérés par la loi Le Drian-Josselin-Delebarre, vient le tour des portiqueurs et des grutiers. S’agissant de la maintenance, il y a débat, et je peux comprendre les inquiétudes des salariés. Cela étant, la réforme est déjà entrée dans les faits dans les grands terminaux. Il est important de légiférer maintenant pour marquer clairement quelle est notre volonté.

Troisièmement, pour ce qui est de la négociation et du dialogue social, parallèlement à l’examen de ce projet de loi, est en discussion un accord cadre entre partenaires sociaux qui permettra d’affiner le dispositif original qui va être mis en place. L’article 8 du texte définit les conditions du dialogue entre le directeur du port et l’ensemble des salariés susceptibles d’être transférés, et l’article 11 bis prévoit pour l’ensemble des personnels transférés une convention qui reste à négocier.

Quatrièmement, en matière de gouvernance, un conseil de surveillance et un directoire remplaceront l’organisation actuelle. Chaque grand port maritime devra définir des objectifs de trafic et les moyens de les atteindre. Lors des auditions, nous avons pu constater que chacun d’eux savait ce qu’il souhaitait et avait à faire. Il ne sera donc pas besoin d’études longues ni coûteuses. Restera à l’État à synthétiser tout cela. Il faut que l’autorité portuaire et les entreprises portuaires se parlent : les salariés ont raison, les opérateurs privés doivent figurer dans les documents rendus publics.

S’agissant toujours de la gouvernance, le conseil de surveillance exercera un véritable pouvoir dans des conditions d’équilibre puisque le président du directoire et un conseil de développement lui prêteront assistance.

L’État fait, pour le développement des investissements, un effort spécifique que je salue. J’ai déposé un amendement pour qu’il joue également un rôle de synthèse. À lui d’abord de voir si les investissements prévus par chaque port sont raisonnables, puis de statuer sur les investissements ferroviaires – M. Pepy, président de la SNCF, accomplit un travail remarquable –, les investissements dans les voies fluviales et les autoroutes de la mer. Je suggère que, dans l’année suivant l’adoption de la loi, se tienne un CIADT portuaire qui fera la synthèse des projets stratégiques des sept grands ports, et définira des priorités hiérarchisées sur cinq ans.

Je salue encore une fois le travail de qualité, l’énergie au service du dialogue social de Dominique Bussereau (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Philippe Duron – Notre collègue Besselat dresse dans son rapport un tableau que nous pouvons, en partie, prendre à notre compte. Avec la mondialisation et le développement de pays émergents, en premier lieu la Chine, les échanges mondiaux et le commerce maritime ont progressé à un rythme deux fois plus soutenu que la croissance économique. La conteneurisation s’est imposée, modifiant l’organisation du trafic et la manutention. La hiérarchie des ports a été bouleversée par le développement des ports asiatiques, Singapour, Shanghai, Xiamen, plus rapide que celui des ports européens, et par l’apparition de puissants opérateurs comme Dubai Port ou Port Authority of Singapore.

Ces évolutions ont pesé sur le fonctionnement et les résultats des ports européens. Dans un environnement très concurrentiel, les ports français ont été distancés. Rotterdam, Anvers, Zeebrugge au nord, Gênes et Barcelone en Méditerranée occidentale, ont connu des augmentations de trafic allant jusqu’à 8 %, contre 2 % pour Marseille et les autres ports français. Malgré nos atouts, les bateaux qui empruntent la Manche préfèrent souvent Anvers ou Rotterdam à Cherbourg ou Dunkerque.

Cette situation est un handicap pour notre économie. Le transport et la logistique appuyés sur des ports modernes représentent 11 % du PIB du Benelux, 6 % seulement de celui de la France. De 1989 à 2006, la part de marché des ports français en Europe est tombée de 17,8 % à 13,9 %, et sur les 7,5 millions de conteneurs qui arrivent chaque année dans notre pays, 2 millions seulement y pénètrent par des ports français. Ainsi, 50 % des exportations et 30 % des importations de la région Rhône-Alpes transitent par des ports étrangers. Ne dit-on pas qu’Anvers est le premier port de l’Île-de-France ? Barcelone vient aujourd’hui chercher son fret jusque dans la vallée du Rhône.

De nombreux rapports, de ceux de la Cour des comptes en 1999 et 2006 au rapport Gressier et à ceux de notre collègue Besselat et du sénateur Revet, détaillent les causes de ce retard. J’en retiens trois principales.

D’abord, les ports français sont victimes depuis au moins quinze ans d’un sous-investissement chronique. À eux tous, ils mobilisent 150 millions par an, contre 250 millions pour les quatre premiers ports belges. Or l’expérience prouve que quand un port investit, se modernise, les résultats suivent. Au Havre, le trafic de conteneurs a augmenté de 26 % l’an dernier après la mise en service de Port 2000.

En second lieu, joue la relation à l’hinterland. Ce n’est que depuis le début de cette décennie qu’on utilise plus systématiquement la voie d’eau pour desservir les grands marchés, et sur le réseau grand gabarit, le trafic a crû de 43 % en dix ans. Pour le fret ferroviaire, le retard reste considérable, la SNCF se heurtant à un manque de sillons, à l’insuffisance des moyens de traction et à la difficulté de contourner les agglomérations.

Ces retards qui nous coûtent tant, qu’il s’agisse de compétitivité ou d’environnement, sont indubitablement liés au sous-investissement. Il est donc urgent d’améliorer la desserte ferroviaire de nos ports et d’optimiser le trafic fluvial pour échapper au « tout routier », d’autant que le prix du pétrole flambe. Le rapport Besselat souligne à juste titre combien les mauvaises liaisons des ports français les desservent.

Nous en sommes d’accord, il fallait légiférer, améliorer la gouvernance des ports, améliorer et moderniser l’organisation de la manutention, ce qui était déjà l’objet du troisième volet de la réforme Le Drian. Mais ce projet n’est pas une réponse à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas une loi d’orientation, il n’ouvre pas la voie à cette politique portuaire et maritime qui nous fait cruellement défaut. Nos ports méritent plus d’ambition pour, comme nous le voulons tous, renouer avec une croissance durable.

Pour le groupe SRC, ce projet souffre de trois insuffisances graves.

Moderniser les institutions est une chose. Mais qu’en est-il des investissements ? Porter les crédits des contrats État-région 2009-2013 à 445 millions, contre 347 millions inscrits initialement, c’est bien. Mais c’est encore loin du compte, d’autant que l’État peine toujours à exécuter ces contrats dans les temps. Or l’AFITF aura épuisé cette année les quatre milliards que lui ont rapportés les privatisations. À partir de 2009, ses recettes ne dépasseront pas 800 millions, quand les besoins de financement seront de 2,8 milliards. L’impasse financière, qui est de 926 millions en 2008, atteindra 2 milliards l’an prochain, et 10 milliards en besoins consolidés en 2013.

Ensuite, comme souvent, le Gouvernement mène la réforme au pas de charge. La concertation porte plus sur la forme que sur le fond. Or on ne réussira pas à transférer les salariés des ports autonomes vers des opérateurs privés sans un dialogue social approfondi, prenant en compte également les filiales.

Enfin, ce projet crée une distorsion de concurrence entre les ports autonomes et les ports décentralisés, dont la gestion a été transférée aux collectivités locales par la loi du 13 août 2004, avec effet au 1er janvier 2007. Bien entendu, les moyens n’ont pas suivi ce transfert de compétence, alors que ces ports, vétustes, délabrés nécessitaient une remise à niveau et donc des investissements considérables. Ainsi, le syndicat mixte « ports normands associés », qui regroupe la Manche et le Calvados, associés à la région, a arrêté un programme de cent millions sur les dix ans à venir pour les ports de Caen-Ouistreham et Cherbourg.

Pour que de tels investissements portent leurs fruits, encore faut-il garantir une concurrence équitable entre les ports. Certes, le Sénat a autorisé les coopérations avec les ports autonomes, mais elles ne seront efficaces que si les ports décentralisés peuvent fixer leurs propres tarifs et affecter librement leurs recettes.

Les députés SRC regrettent qu’aucun des amendements qu’ils ont déposés en commission n’ait été adopté (« En effet ! » sur les bancs du groupe SRC), non plus que ceux qu’ils ont déposés au titre de l’article 88, rejetés sans débat.

Une partie avait trait à la gouvernance. Ainsi, les représentants des manutentionnaires doivent pouvoir siéger au sein du conseil de surveillance (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC). De même, il faut associer les collectivités territoriales à la modernisation des ports autonomes et à la création des grands ports maritimes de demain, tout en s’assurant qu’elles ne soient pas flouées par la cession de biens fonciers et d’outillages qu’elles ont souvent contribué à financer. À ce titre, la valeur de ces biens doit être évaluée en toute transparence et les collectivités locales associées au processus. Le produit des cessions devra leur revenir au prorata de leurs investissements.

M. Michel Delebarre – Très juste !

M. Philippe Duron – La croissance des ports est indissociable d’une bonne gestion de leurs milieux naturels. Nous avons déposé trois amendements à ce sujet – hélas rejetés – pour autoriser les ports autonomes à confier la gestion de leur environnement à des organismes spécialisés, pour intégrer ceux-ci au conseil de développement et pour demander que le projet stratégique de chaque port autonome comprenne une étude d’impact écologique.

Le présent texte doit, pour partie, s’appliquer à d’autres ports que les seuls ports autonomes. Saisissons cette occasion pour toiletter le code des ports maritimes. S’agissant des ports d’intérêt national, l’affectation de leurs droits doit relever des collectivités territoriales, et non être fixée par décret comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, cette méthode est contraire au principe de libre administration des collectivités locales, mais aussi au principe constitutionnel de sécurité juridique. Les employés des ports autonomes ont été embauchés par le port sous des statuts s’approchant de celui des fonctionnaires. Le bouleversement qu’ils vont subir doit s’accompagner de réelles garanties juridiques.

Par ailleurs, nous regrettons que nos amendements relatifs au droit de retour aient été jugés irrecevables, alors que le Sénat n’en a pas jugé ainsi.

Enfin, le préambule de la Constitution de 1946 donne aux salariés le droit de déterminer leurs conditions de travail. Or, le projet bafoue ce principe puisque les salariés des ports autonomes, transférés à des opérateurs privés, ne seront plus représentés dans les organes de décision stratégique.

Telles sont les raisons qui ont poussé le groupe SRC à défendre cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Michel Delebarre – Et de la meilleure des manières !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – J’apprécie les compétences et l’expérience de M. Duron, avec qui je travaille depuis longtemps sur ces questions. Pour autant, je constate qu’il lui a fallu pagayer longtemps pour trouver le moindre motif d’inconstitutionnalité dans ce projet. En dix années passées à la commission des lois, j’ai rarement vu un si bel exercice d’intelligence juridique, dont le plus brillant moment fut sans aucun doute l’évocation du préambule de 1946.

Vous avez, Monsieur le député, abordé trois points essentiels. Le financement, d’abord. En la matière, il est vrai que tout projet est perfectible. Mais nous y travaillons dans le cadre de l’AFITF avec, en ligne de mire, les objectifs du Grenelle tels que la création de 2 000 kilomètres de lignes à grande vitesse d’ici à 2020, et de 2 500 kilomètres à plus long terme. Les ressources actuelles ne suffiront pas, il est vrai, à réaliser ces projets d’infrastructures. Nous vous soumettrons donc des propositions concrètes lors de l’examen des projets de loi relatifs au Grenelle.

Quant à la concertation, elle a bel et bien eu lieu. Le Président de la République a évoqué ce sujet dès le mois de juin dernier à Roissy, puis de nouveau à Marseille en juillet, et le Premier ministre l’a abordé en janvier. L’ensemble des élus locaux concernés ont été consultés et, depuis janvier, les syndicats ont tous été reçus au ministère où un groupe de travail a été créé. Les activités de ce groupe se poursuivront jusqu’en octobre prochain.

Insécurité juridique, dites-vous : je vous rassure, les ports demeurent les actionnaires majoritaires des filiales, où le statut des salariés ne sera donc pas menacé.

Enfin, j’approuve sans réserve votre proposition d’étendre la modernisation du code aux ports décentralisés, qu’il s’agisse de Caen, de Cherbourg ou d’autres. Je suis prêt à y travailler avec vous.

En attendant, j’engage la majorité à ne pas voter cette exception d’irrecevabilité qui retarderait l’adoption d’une loi que le groupe SRC est par ailleurs disposé à voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Fidelin – La première partie de cette exception d’irrecevabilité augurait bien des intentions de nos collègues de l’opposition, puisqu’elle faisait état d’un constat que chacun ici partage. Hélas, la suite énumérait de prétendues insuffisances du projet de loi. Faut-il rappeler que la loi votée en 1992 ne concernait que les dockers...

M. Daniel Paul – Merci de le reconnaître !

M. Daniel Fidelin – …tandis que le présent projet est de nature globale.

Mme Valérie Fourneyron – Pas assez !

M. Daniel Fidelin – Il concerne aussi bien les questions de commandement que les projets d’infrastructures.

M. Michel Delebarre – C’est pourquoi nous sommes si exigeants !

M. Daniel Fidelin – Le Gouvernement propose des investissements très importants, qui sont appelés à croître. Vous nous reprochez d’agir au pas de charge : c’est faux ! Simplement, il y a urgence à stopper l’hémorragie du trafic dans nos ports.

La concertation a été longue et se poursuivra jusqu’en octobre prochain. Elle sera de nature à rassurer les salariés des ports autonomes.

Vous déplorez une distorsion de concurrence entre les grands ports maritimes et les ports décentralisés. Au contraire : l’instance de coordination garantira leur complémentarité, pour peu que les ports y travaillent ensemble.

Enfin, vous craignez pour le statut des employés qui passeront des ports autonomes au secteur privé. N’est-ce pas précisément ce même changement de contrat que vous avez imposé aux dockers en 1992 ? L’argument est donc irrecevable.

Nous avons là un projet de loi souple, efficace et concerté. Aussi, le groupe UMP votera contre l’exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Paul – Au cours du dernier tiers du siècle dernier, la France n’a pas mené de politique navale et portuaire digne de la puissance maritime qu’elle fut et qu’elle reste. Pendant qu’elle prenait du retard, les ports du nord de l’Europe investissaient en masse. Avec l’accélération du trafic de conteneurs et la mondialisation des échanges, ce sont Rotterdam et Anvers qui ont raflé la mise en multipliant les liaisons avec leur hinterland et le centre de l’Europe, attirant jusqu’à la SNCF. C’est précisément ce que Le Havre et Marseille n’ont pas fait. Songez qu’il fallut attendre 1984 pour que l’autoroute atteigne Le Havre, premier port français de conteneurs de l’époque, car les gouvernements de droite avaient préféré relier Deauville en priorité !

Quant à Port 2000, Monsieur le ministre, ce sont surtout les collectivités locales et les emprunts du port qui en ont couvert le financement.

Votre projet de loi est idéologique, car vous prenez le prétexte des insuffisances de vos prédécesseurs pour viser les salariés et leur faire porter une responsabilité qui n’est pas la leur. Il est d’ailleurs significatif que votre texte vise à empêcher la représentation des dockers et des salariés portuaires dans les organismes des grands ports maritimes. Par ailleurs, si vous limitez le droit au retour à sept ans, c’est que vous savez que d’ici là, le paysage portuaire aura beaucoup changé.

Cette loi, après la réforme de 1992, n’est qu’une étape. Je regrette qu’elle soit examinée au pas de charge et que vous ayez l’intention de n’accepter aucun amendement afin que ce texte soit conforme à celui issu du Sénat.

M. Renaud Muselier – Ce n’est pas parce que nous sommes à droite que nous sommes stupides.

M. Daniel Paul – Cela ne correspond guère à votre volonté affichée de renforcer les droits du Parlement. Nous voterons en faveur de cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Maxime Bono – Cette motion a révélé les insuffisances et les éléments d’inconstitutionnalité du texte. Ce secteur nécessitait certes des améliorations législatives, notamment en matière de gouvernance et de représentation des manutentionnaires. Il semble en effet difficile de refuser à ceux qui sont chaque jour sur le port et en connaissent les moindres recoins l’accès au conseil de surveillance pour les cantonner dans un vague conseil de développement. Nous avons proposé des amendements en ce sens ainsi que d’autres, relatifs à la transparence – insuffisante – de la cession des actifs portuaires, que vous avez refusés.

Le travail approfondi et les argumentations étayées de Philippe Duron ont permis de soulever deux points qui ne relèvent pas, Monsieur le ministre, du pagayage : la question des tarifs est susceptible d’affecter la libre administration des collectivités locales et le changement de statut des salariés les place en insécurité juridique. Autant de raisons qui devraient nous conduire tous à voter, comme le groupe SRC, cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Marc Vampa – Compte tenu de l’importance de ce projet de loi, le groupe Nouveau centre repoussera cette motion (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J’ai reçu de M. Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Daniel Paul – « L’avenir des ports européens passe t-il par la déréglementation ? » : ainsi commençait un rapport que j’ai rédigé en 2002, après une tentative de la Commission européenne d’imposer cette dérégulation. Devant la mobilisation de l’ensemble des salariés européens du secteur portuaire, le projet de directive a été retiré, ce qui constitue d’ailleurs une exception dans l’histoire sociale communautaire.

Aujourd’hui, vous cherchez à contourner l’obstacle et tentez, comme d’autres États membres, d’intégrer ce projet dans notre législation interne. Afin d’en finir avec cette réforme encombrante, vous avez même choisi d’appliquer la procédure d’urgence. Ainsi va la construction européenne, en contournant les peuples… Comment s’étonner que lorsqu’ils ont la parole, l’effet boomerang joue à plein ? Dans le domaine portuaire comme dans les autres, les peuples refusent de plus en plus les « solutions » ultralibérales et ne voient pas d’avenir dans la concurrence exacerbée, dont ils savent désormais à qui elle profite.

Ce texte, dans la droite ligne des orientations européennes, est également conforme à vos exigences en matière de politiques publiques : réduction de l’intervention, du nombre d’emplois et des investissements.

Dans ce rapport, j’indiquais qu’il convenait de remettre l’ouvrage sur le métier en procédant à la concertation la plus large possible et en s’attachant à promouvoir d’autres orientations, axées sur la défense de l’intérêt général et non de celui des groupes internationaux. Hélas, ces remarques sont encore d’actualité.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’un incroyable gâchis : des négociations avaient été entamées mais la précipitation du Gouvernement a cassé le processus. Pourtant, les syndicats n’étaient pas hostiles à l’idée du commandement unique. Le système de la mise à disposition qui faisait ses preuves au Havre ou même la solution du détachement ont été trop vite écartés au profit d’une réforme idéologique, fondée sur le dogme du zéro outillage public.

Après la réforme du statut des dockers de 1992, ce texte n’est qu’une deuxième étape sur la voie de la privatisation des ports, souhaitée par les entreprises du secteur portuaire, comme l’atteste cette déclaration parue dans la presse : « le cadre français n’est pas assez intéressant pour les investisseurs privés qui ne s’y sentent pas en sécurité, alors qu’ils veulent avoir la maîtrise totale de l’outil, donc la maîtrise totale de leur personnel ».

Pour justifier cette réforme, le Président de la République n’a pas hésité à tomber dans la caricature en comparant les grutiers français – qui ne travailleraient que 2 000 heures par an – aux grutiers espagnols qui en feraient 4 000, soit 76 heures par semaine ! Même Mme Parisot n’oserait rêver d’un pareil horaire…

M. Jacques Saadé, patron emblématique de CMA-CGM, s’est livré à un comparatif sur le nombre de mouvements par heure : 50 à Fos, 90 au Havre, 110 à Hambourg, 148 à Shanghai, appelant de ses vœux – tout porte à croire qu’il a été exaucé – une grande réforme qui donnerait plus d’autonomie aux ports et à leurs présidents et qui séparerait les tâches entre le public et le privé. Il a également des idées très arrêtées quant à la gestion du personnel employé sur les terminaux dont CMA-CGM est actionnaire. Il a cité Le Havre et Marseille comme exemples possibles, tout en se demandant si Marseille ne méritait pas une « solution spécifique », avec un réajustement des revenus liés à la performance, mais surtout pas de grève sans préavis d’au moins une semaine.

M. Renaud Muselier – C’est faux !

M. Daniel Paul – Monsieur le ministre, ne niez pas que cette réforme soit idéologique. Depuis des semaines, les syndicats ont fait des propositions concrètes visant l’harmonisation et l’uniformisation de l’organisation du travail, le rapprochement des textes conventionnels, les qualifications, les conventions d’exploitation des terminaux et les possibilités de coopérations entre entreprises de manutention et le port dont dépendent les grutiers et les portiqueurs.

Le problème du manque de compétitivité des ports français n’est pas nouveau. La réforme de 1992 était censée y remédier et le Gouvernement annonçait la reconquête de parts de marché et la création de milliers d’emplois. Depuis, les effectifs de dockers ont été divisés par deux, tandis que l’on passait de 297 millions de tonnes de marchandises en transit en 1991 à 303 millions à peine en 2006.

Pourtant d’importants gains de productivité ont été réalisés : où est passée la manne financière qu’ils ont engendrée ? Les fonds ont-ils été réinvestis, permettant de réduire les coûts de passage, ou ont-ils été versés sous forme de dividendes à quelques actionnaires – y compris l’État ?

Ce qui reste de la réforme de 1992, c’est le transfert des dockers au sein des entreprises de manutention. Ce sont cette fois les salariés portuaires qui sont visés par ce nouveau texte. La suppression d’un poste sur deux dans les ports est-elle la solution aux problèmes de compétitivité des ports français ?

Dans ces conditions, comment ne pas comprendre les inquiétudes légitimes des salariés des ports autonomes face à cette réforme ? Vous vous appuyez sur le rapport Gressier selon lequel la réforme de 1992 aurait été positive, et l’expérience menée à Dunkerque devrait servir de référence.

Or, aucune évaluation n’a été rendue publique qui confirme ce postulat. Un rapport sur les conséquences de la réforme de 1992 devait pourtant être présenté chaque année devant le Parlement. Il n’en a rien été. Pourquoi ? L’exemple de Dunkerque, qui fait office de laboratoire, nous laisse perplexes car c’est le seul port dont le bilan est négatif: moins 6 % pour les conteneurs et moins 4 % pour le trafic global.

Contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre, le sort des dockers n’a par ailleurs rien d’idyllique. À Rouen, on compte ainsi 60 dockers professionnels, 5 dockers intermittents et près de 400 dockers intérimaires embauchés en fonction de la demande, parfois pour une seule journée. Ces dockers intérimaires ne bénéficient pas de la convention collective de la profession, réservée depuis 1992 aux seuls titulaires d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. De nombreux dockers sont donc privés des formations obligatoires, ce qui peut les exposer à des risques supplémentaires en matière de sécurité.

Une entreprise installée au port de Rouen utilise d’ailleurs une solution radicale pour disposer d’un pool de personnes disponibles en permanence : elle exerce des activités de manutentionnaire, mais aussi d’intérim ! Trouvez-vous cela normal, Monsieur le ministre ?

Sur un autre site, un manutentionnaire a également décidé de gérer ses ressources humaines au mépris de la convention collective, laquelle impose de donner une priorité aux détenteurs de la carte G. Un recours a été déposé pour violation de la loi de 1992, des 35 heures et des règles applicables au régime de prévoyance.

Quelle confiance peut-on accorder aux rares garanties sociales prévues par le présent texte alors qu’après seize ans la loi n’est pas appliquée ? Au Havre, les règles sociales en vigueur ont été ouvertement bafouées durant des mois par une entreprise de remorquage. En dépit des rapports accablants de l’inspection du travail, les pouvoirs publics sont restés inactifs… Votre volonté de déréglementation est-elle donc si grande ?

Vous pointez un manque de productivité. Chacun sait pourtant que la responsabilité en revient essentiellement aux matériels et aux investissements, dont les insuffisances résultent directement des politiques que vous menez. En réponse, vous vous contentez de remettre en cause les droits de salariés en vous attaquant à leur statut social…

Si vous souhaitez que nos ports retrouvent la place internationale qui leur revient, ne vous trompez pas de diagnostic : il faut engager une véritable politique en faveur des ports français et du transport maritime, au lieu de vous livrer à de basses manœuvres idéologiques au nom de la supériorité de la gestion privée.

Ceux qui défendent votre texte se plaisent à comparer la productivité des ports français à celle des autres places portuaires européennes. Mais il faudrait également mettre en balance les financements publics ! De 2000 à 2006, la contribution nette de l’État aura été de 140 millions d’euros, soit 13 % de l’effort d’investissement total, ce qui est bien peu par rapport au ratio de 60 % qui était prévu, et par rapport au taux de 42 % constaté à Anvers. Pour la seconde phase de « Port 2000 », l’État ne versera que 62 millions d’euros, alors que le port devra lever un emprunt de 253 millions.

Depuis des dizaines d’années, nous souffrons de l’absence d’une véritable politique portuaire, mais aussi d’une véritable politique maritime et d’une véritable politique de construction et de réparation navale ! Pendant que les gouvernements successifs restaient la plupart du temps l’arme au pied, d’autres pays consacraient des investissements massifs au développement des ports et des liaisons terrestres et fluviales. Quand la mondialisation des échanges a fait exploser les flux de conteneurs, d’autres places étaient prêtes. Dans le même temps, nous achevions à peine des études sur l’opération « Port 2000 », les liaisons Seine-Nord et Seine-Est n’étaient pas encore décidées, et chez nous rien n’était fait en matière de liaisons ferroviaires... Je rappelle également que la première autoroute de Normandie a soigneusement évité le Havre, préférant Deauville…

C’est le gouvernement de Pierre Mauroy qui a ensuite fait le nécessaire pour que le port du Havre soit desservi (M. Michel Delebarre applaudit). Il a fallu que la bretelle d’autoroute soit financée par la chambre de commerce et d’industrie du Havre, avec l’aide des collectivités territoriales. Le pont de Normandie, qui relie le port du Havre au sud de la Seine, a par ailleurs été construit grâce aux résultats dégagés par le pont de Tancarville, sans un euro de l’État.

Un rattrapage devient crucial dans notre pays, et pourtant vous vendez les autoroutes, ce qui privera l’agence de financement des infrastructures de transport de sa principale ressource. Qui paiera les investissements demain ? Chacun sait qu’il existe une relation de cause à effet entre ces efforts et la productivité des ports. En 2007, Anvers a traité 181,5 millions de tonnes, soit autant que Le Havre et Marseille. Or, sur la période 1997-2005, les crédits d’intervention directe et les concours financiers dont les ports belges ont bénéficié ont été trois fois plus élevés que ceux des ports français.

Le manque de fiabilité sociale serait-il responsable du manque de productivité des ports français ? Sauf cas particuliers, les mouvements sociaux ne peuvent être tenus pour responsables des problèmes de fiabilité. N’oublions pas qu’il y a également eu des mouvements sociaux de grande ampleur dans d’autres grands ports européens, notamment en Allemagne, en Belgique et en Hollande. Les gouvernements concernés ont tous cherché à remédier aux problèmes constatés au lieu de les monter en épingle. Pour sa part, l’État français s’est toujours placé en recul, et s’est même désolidarisé des ports, dont il est pourtant l’actionnaire principal. À chaque conflit, le Gouvernement a stigmatisé les grévistes et leurs organisations syndicales, et répété que la seule solution était la libéralisation de l’activité. C’était chercher à se défausser de ses responsabilités…

Le rapport Gressier dénonce d’ailleurs l’absence de l’État : chaque port continue à définir ses propres orientations, la politique portuaire se limitant à la gestion de l’interface entre mer et terre. La desserte terrestre des ports devrait pourtant être un des principaux points de la politique portuaire : la compétitivité dépend beaucoup des liaisons avec l’hinterland.

Votre manque de vision globale n’a pas permis à nos ports d’être à la hauteur des enjeux de la mondialisation des échanges. Le choix du port d’importation est en effet déterminé non seulement par la situation géographique, mais aussi par la qualité des installations portuaires et de la desserte terrestre. C’est pourquoi la croissance du trafic de conteneurs exige un véritable développement ferroviaire et fluvial. Alors que le développement de la logistique est devenu essentiel, la France n’accueille que 5 % des entrepôts de distribution de produits asiatiques en Europe, contre 56 % aux Pays-Bas, 22 % en Allemagne et 12 % en Belgique.

La « fiabilité » sociale ne saurait expliquer la baisse de la productivité des ports autonomes. Contrairement à une idée très répandue, les coûts portuaires ne sont pas plus élevés en France. En raison de moyens matériels et logistiques inférieurs, la qualité de notre offre est malheureusement moins bonne. Si des investissements lourds sont réalisés, on sait pourtant que les résultats sont positifs. En témoigne « Port 2000 », leader en matière de croissance du trafic des conteneurs en Europe.

Nous sommes tous d’accord pour reconnaître la nécessité d’une réforme, mais encore faut-il bien identifier les causes de notre retard. Las, ce texte n’est qu’une étape de plus dans l’adaptation de nos ports aux exigences du capitalisme mondialisé. Ce que vous nous proposez est dans le droit fil des processus d’externalisation en cours dans les établissements publics, de la réduction des moyens de l’État et de la révision générale des politiques publiques.

D’après le Président de la République, la réalisation de nouveaux efforts d’investissement et la réforme de l’organisation portuaire sont les deux piliers du plan de relance qui doit permettre à nos ports de reconquérir des parts de marché. Mais on peut douter de l’efficacité des mesures proposées… Cette réforme est censée s’accompagner d’un important plan d’investissements : en complément des contrats de projet 2007-2013, l’État devrait doubler sa participation à partir de 2009. Les investissements devraient ainsi atteindre 2,69 milliards d’euros, dont 445 millions à la charge de l’État. Or, chacun sait que l’État ne s’est jamais donné les moyens de tenir ses engagements dans le passé. Comment vous croire aujourd’hui alors que vous multipliez les mesures d’exonération et de réduction d’impôts ? Comment financer des politiques publiques ambitieuses dans de telles conditions ?

Il est question d’un recentrage des ports autour de leurs missions régaliennes de police, d’aménagement et d’entretien des infrastructures, mais quels seront les moyens de financement disponibles ? Les ports autonomes sont aujourd’hui tenus de verser à l’État ce que l’on appellerait dans le secteur privé des dividendes. Pour débattre sereinement, il serait d’ailleurs bon que leur montant soit connu. Souhaitant sans doute que la mesure passe inaperçue, le Gouvernement avait arrêté entre Noël 2006 et le jour de l’an les sommes à verser. Pour le port du Havre, cela représentait non seulement la totalité du boni de l’exercice 2005, mais aussi une ponction sur le fonds de réserve. Dans l’ensemble des ports concernés, le total s’élève à 24 millions d’euros, soit autant d’argent en moins pour les investissements. J’aimerais savoir ce qu’il en est aujourd’hui, Monsieur le ministre.

La maîtrise publique permet actuellement d’assurer un équilibre global entre les recettes et les dépenses des ports autonomes, mais aussi entre les différentes activités et les différentes professions au sein du domaine portuaire. Il en va de la cohésion sociale et territoriale, et de milliers d’emplois.

En transférant les opérations commerciales au secteur privé, le Gouvernement prive les établissements des recettes issues des redevances d’outillage et reporte tout sur les droits de port et les redevances domaniales. Aucune évaluation n’est faite des conséquences d’une telle perte. De plus, il n’est question à aucun moment d’évaluer les biens, propriété de personnes publiques, qui sont susceptibles d’être cédés. Rien n’est prévu non plus pour garantir que l’opérateur privé exploitera durablement sur le site qui lui a été cédé. Ainsi, l’armateur Maersk vient d’annoncer qu’il divisait par deux le nombre de ses conteneurs transitant par le port autonome de Dunkerque, créant une perte sèche de 700 000 euros et fragilisant les emplois.

Se pose ensuite la question de savoir quelles entreprises pourront réellement assurer ce transfert d’outillages et de personnels. En réalité, seuls quelques grands groupes déjà installés en auront les moyens, et les petites entreprises ne pourront plus louer au port, pour quelques jours, les matériels nécessaires à leur activité.

Les opérateurs privés accepteront-ils de continuer à exercer les activités dites « peu rentables », en raison de la faiblesse des volumes et des fréquences ? Ce sont pourtant des trafics qui suscitent souvent des activités industrielles essentielles à la vie des territoires. Ainsi, telle entreprise de la région nantaise fait venir, par navire, sa matière première une fois par mois. Avec ce texte, l’opérateur peut décider de mettre fin à ce transport ou de pratiquer des tarifs qui mettraient en péril l’avenir de cette entreprise. Aujourd’hui, dans de tels cas, les ports réduisent leurs tarifs pour faire vivre l’économie locale, assumant ainsi une mission de service public. Auront-ils les moyens de continuer ?

Pour ce qui est du transfert du personnel, les choses ne seraient-elles pas déjà bouclées ? On peut se le demander en lisant le courrier adressé par la direction générale du port de Nantes-Saint-Nazaire à I’ensemble des salariés, annonçant déjà « une période de retour de sept ans pour les salariés faisant l’objet d’un transfert » – comme si nous comptions pour du beurre ! Sans doute a-t-on fait savoir à M. Marendet que rien ne changerait du texte voté par le Sénat ! Au-delà, ce texte n’apporte aucune garantie d’avenir aux salariés. J’ai évoqué, au début de mon propos, une réforme idéologique, dont l’objectif principal de l’étape actuelle est de poursuivre la privatisation des ports. Cette fois, ce sont les personnels attachés aux matériels privatisés qui sont destinés à rejoindre les entreprises de la manutention.

Les modalités de gouvernance que vous voulez instituer sont d’ailleurs calquées sur celles des entreprises privées – et je ne m’étendrai pas sur le rôle du Directoire dans l’histoire de France… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – C’est médiocre !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Modernisez vos références !

M. Daniel Paul – C’est ce que j’ai entendu sur les quais !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Venant sans doute de retraités !

M. Daniel Paul – Il n’empêche : à la fin du XVIIIe siècle, l’objectif du Directoire était, pour la bourgeoisie de l’époque, d’établir son pouvoir. Cette fois, l’objectif est d’instaurer le pouvoir des grands groupes censés apporter les trafics et les emplois. Les salariés, qui n’y croient pas, considèrent que cette réforme dissimule mal la remise en cause de leurs droits. C’est pourquoi ils veulent que la négociation continue et que la loi n’impose pas ces transferts. Pourquoi refuser ces demandes ? Pourquoi cet entêtement à aller vite, dans l’urgence, alors qu’il faut encore discuter ? Cette précipitation est d’autant moins acceptable que l’on ne sait pas où iront ces personnels qui, comme souvent, alertent sur le danger qu’il y aurait à tout transférer au privé, avec pour conséquence que le port ne conserve aucune capacité d’intervention si – cela arrive – le secteur privé se montrait défaillant.

Que se passera-t-il si un port est intéressé par un trafic susceptible de développer une activité industrielle régionale, mais que l’opérateur dispose du même trafic dans un autre port européen et souhaite que tout passe par celui-là ? Quels intérêts prévaudront ? Ceux de l’aménagement du territoire ou ceux de l’opérateur ? Ces questions aussi expliquent la lutte que mènent les salariés et la garantie qu’ils demandent de pouvoir revenir dans les services techniques portuaires non pas pendant cinq ou sept ans mais pendant toute la durée de leur carrière. L’expérience vécue dans d’anciens services publics de pressions exercées sur les salariés pour qu’ils abandonnent leurs droits – à France Telecom par exemple – montre combien cette vigilance et cette exigence sont nécessaires. Comment, encore, accepter une réforme qui aboutit de fait à exclure les salariés des instances de gouvernance des ports ?

Votre réforme est dictée par le dogme libéral qui vous anime : moins de public, plus de privé, la variable d’ajustement étant les salariés et leurs droits (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Cette réforme est une étape supplémentaire vers la mainmise des grands groupes financiers sur les ports. Elle n’est pas de nature à répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés ni à tenir compte du rôle central des ports dans l’activité économique de notre pays. La réforme portuaire en discussion n’est pas la bonne. Non seulement elle n’apporte pas les réponses appropriées aux problèmes de l’heure mais elle tend à adapter les salariés et leurs droits à la loi de la rentabilité maximale immédiate. Voilà pourquoi je vous propose de voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et quelques bancs du groupe SRC).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Même si je ne le partage pas, je respecte votre engagement, Monsieur Daniel Paul, mais j’ai été effaré par votre conservatisme (Exclamations sur les bancs du groupe GDR). Selon vous, la réforme conduite par M. Delebarre est restée sans effets. Mais n’aurait-elle pas eu lieu que tous nos ports seraient en faillite ! La présente réforme approfondit la précédente, et les modalités en ont été définies dans la concertation. Étant donné votre électorat, je comprends que vous soyez conduit à prendre cette position conservatrice, qui me surprend de votre part (Protestations sur les mêmes bancs) mais je demande aux membres de la majorité et à tous les hommes de progrès de ne pas voter cette question préalable.

M. Daniel Paul – Je regrette de n’avoir aucune réponse aux questions que vous ai posées !

M. Daniel Fidelin – Vous avez déploré l’urgence. Pourtant, elle est avérée, puisque tous les bateaux passent au large sans s’arrêter dans nos ports ! Soixante bateaux sont stockés au large de Marseille ; le port d’Anvers étant saturé, avec un taux d’activité de 120 %, les marchandises reviendront par camions, au prix d’un coût de transport supplémentaire pour nos entreprises, ce dont elles se passeraient aisément. Oui, il y urgence !

La réforme serait, selon vous, « encombrante ». Mais en quoi donc ? Elle est dans le droit fil de la réforme engagée en 1992 par M. Delebarre, à qui je rends hommage, et elle est nécessaire. La concurrence n’est plus seulement européenne, elle est mondiale. Le « non » des Irlandais au traité modifié n’a rien à y voir !

Vous avez encore évoqué, pour les déplorer, les investissements de grands groupes étrangers en France. Pour ma part, je m’en félicite, car ils dynamisent notre économie. Voyez les projets de terminaux 3XL et 4XL à Fos !

Surtout, vous avez parlé de réforme « idéologique ». Mais qui, sinon vous, fait figure d’idéologue ce soir, vous qui voulez que rien ne change alors que la situation est celle que l’on connaît ? J’ai confiance en les syndicats ; ils ont fait des propositions auxquelles le ministre a répondu, et je ne doute pas de leur sens des responsabilités. La réforme de 1993 s’est traduite au Havre par le départ de 1 091 dockers et la mensualisation de 1 034 autres, ce qui a signifié la fin du chômage et de la précarité. Aujourd’hui, au Havre, 1 800 dockers sont mensualisés auxquels s’ajoutent les 200 dockers du pool. Autrement dit, nous avons retrouvé l’effectif de 1993, et je ne doute pas qu’avec de nouveaux investissements, nous ferons mieux.

La réforme était inachevée ; il fallait la poursuivre. À vous qui avez mentionné les infrastructures, je rappelle incidemment que le projet « Port 2000 » du Havre avait été annoncé par M. Chirac. Je le pense comme vous : les ports sont de formidables outils d’aménagement du territoire ; 80 % du commerce international transitant par la mer, nous devons en capter le maximum. C’est dire la nécessité de ce projet. C’est dire aussi que le groupe UMP ne votera pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès – J’ai été surpris par votre ton, Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Peut-on encore dire ce que l’on pense sans être interrompu ? M. Bussereau ne nous a pas habitués à de tels raccourcis – et certainement pas en réponse à une démonstration aussi saisissante que celle qu’a magistralement faite M. Daniel Paul (Rires sur les bancs du groupe UMP). Nous sommes d’accord avec vous sur un point et un seul : le constat. Oui, la situation de nos ports se dégrade…

M. Roland Blum – À cause de la CGT !

M. Michel Vaxès – …mais nous n’approuvons pas votre diagnostic ni, bien sûr, le remède que vous proposez.

Le rapporteur vous remerciait tout à l’heure, Monsieur le ministre, d’avoir pris l’« heureuse initiative » de ce projet…

Mais ce projet de réforme, ce n’est pas le vôtre ! Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de relire un excellent article paru dans Le Marin le 7 juin 2002, où le président et le délégué général de l’Union nationale des industries de la manutention s’exprimaient en ces termes : « Reste tout un travail à faire en matière de répartition entre public et privé sur les quais. Le désengagement budgétaire des pouvoirs publics en matière portuaire va entraîner un recentrage des établissements publics portuaires sur leurs missions régaliennes, au détriment de leurs missions commerciales. S’ouvre un nouveau grand chantier, avec un travail de redéfinition des missions assumées par les opérateurs portuaires, qu’il s’agisse du financement des équipements ou de la gestion des grutiers et des portiqueurs ». Nous y sommes ! Le patronat a demandé et le Gouvernement s’exécute !

Dès lors, nous prenons un grand risque…

M. Roland Blum – Lequel ?

M. Michel Vaxès – Vous le sauriez, cher collègue, si vous aviez mieux écouté Daniel Paul. À Dunkerque, Maersk a décidé de quitter le port parce qu’il ne lui rapportait pas assez. Mais qui vous dit que, demain, après avoir confié l’outillage à des opérateurs privés, ceux-ci ne suivront pas la même logique ? Si cela m’intéresse de façon privative, je reste ; sinon, je m’en vais là où cela m’intéresse davantage ! C’est la mécanique des délocalisations.

M. le Président – Merci de conclure.

M. Michel Vaxès – À Marseille, le projet Fos 2XL, qui sera mis en œuvre en janvier 2009, représente 200 millions d’investissements publics dans les infrastructures et 200 millions d’investissements privés. Sur ce montant de 400 millions, l’État participe à hauteur de 27 millions et le Port autonome pour 151 millions. Le problème de l’investissement est donc majeur et quand vous dites, Monsieur le ministre, que l’enveloppe destinée à l’investissement est prévue, je me rappelle à votre bon souvenir car il y a le port, mais il y a aussi l’hinterland ! Or vous savez très bien que les infrastructures routières autour du port de Fos ne sont pas réalisées. Le trafic routier va augmenter de 35 % et rien n’est prévu pour renforcer les infrastructures…

M. le Président – Votre temps de parole est écoulé.

M. Michel Vaxès – Monsieur le ministre, je n’ai toujours pas de réponse de votre part alors que les acteurs de l’activité portuaire de Fos sont unanimes à vous interpeller sur ce point. En l’absence de réponse, nous resterons très dubitatifs quant à votre volonté d’investir dans les ports, alors même que vous les privez de leurs ressources en leur enlevant l’outillage et la part commerciale.

Bien entendu, nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Michel Delebarre – Nous avons toujours intérêt à écouter avec beaucoup d’attention notre collègue Daniel Paul. D’abord, parce qu’il faut arriver à séparer ce qui relève d’une appréciation par trop idéologique du contenu même du propos. Et il y a eu, cher Daniel Paul, un peu d’idéologie dans vos propos. Il convient notamment de distinguer l’appréciation que vous portez sur le port de Dunkerque de la réalité locale ; au reste, vous savez bien que je suis prêt à vous inviter pour le vérifier. Cher collègue, tous les ans, le port de Dunkerque bat ses records de tonnage et de résultats…

M. Roland Blum – Grâce au recul de la CGT !

M. Michel Delebarre – Et je reviendrai tout à l’heure sur les effets de la réforme de 1992.

S’il est une chose qu’on ne peut enlever à Daniel Paul, c’est son affection pour les enjeux portuaires (Rires). Et je salue son souhait de voir les choses s’améliorer ; même si l’on peut contester certaines de ses propositions, il reste qu’il a soulevé nombre de préoccupations que nous pouvons partager. Notre collègue Philippe Duron les avait du reste évoquées en défendant l’exception d’irrecevabilité.

Nous ne pouvons notamment nous satisfaire que persistent de fortes interrogations sur le devenir de certains personnels et leur participation à la gestion du port. Quant aux besoins d’infrastructures de nos équipements portuaires, nous sommes en droit d’attendre de l’État des concours importants. Monsieur le ministre, en dépit de toute votre bonne volonté, il semble que la manière précipitée dont les choses vont se dérouler risque de laisser dans l’ombre des points essentiels. Ce simple fait justifie l’adoption de la question préalable. Compte tenu des interrogations qui restent en suspens, il fallait poursuivre le débat.

Je suis de ceux qui considèrent que l’enjeu portuaire est essentiel pour l’avenir de notre pays. En débattre avec les députés les plus directement concernés est donc primordial, même si j’eusse préféré que tous nos collègues éloignés des côtes participent à nos travaux pour faire corps avec nos préoccupations. Nous en avons assez d’être considérés comme des surfaces à bronzer pendant l’été ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Didier Quentin – Ce n’est pas faux !

M. Michel Delebarre – Sincèrement, nos enjeux sont ailleurs car nous représentons sans doute l’un des plus formidables potentiels d’avenir pour notre pays ! Je regrette par conséquent que nous n’en débattions qu’entre nous car j’aimerais que tout le monde fasse chorus.

Dans cette perspective, la question préalable est parfaitement fondée. Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de différer de trois mois l’examen de ce texte (Rires sur les bancs du groupe UMP), de manière à ce qu’ait lieu dans le pays le débat que ces enjeux méritent (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. François de Rugy – Comme vient de le dire M. Delebarre, la politique portuaire devrait être un grand sujet pour notre pays car il est l’un de ceux qui comptent le plus de côtes en Europe. La tradition maritime de la France est forte et ancienne. Connaissant, Monsieur le ministre, votre passion pour les albums de Tintin, je suppose que vous vous souvenez que le capitaine Haddock embarque à Saint-Nazaire pour naviguer vers l’Amérique du Sud…

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Deux ports français figurent dans l’œuvre d’Hergé : La Rochelle et Saint-Nazaire !

M. François de Rugy – Pourtant, le déclin de la flotte française et le décrochage des ports français par rapport à d’autres ports européens sont les deux manifestations les plus visibles du désintérêt des gouvernements français pour la question maritime en général et la politique portuaire en particulier. Je ne citerai pas ici les propos méprisants du Président de la République, alors candidat, tenus à l’encontre des Bretons lors de la visite d’une installation de surveillance des côtes et du trafic maritime. Cela en disait déjà long sur son état d’esprit à l’égard des professionnels de la mer.

M. Roland Blum – Il ne faut rien exagérer !

M. François de Rugy – Plus grave encore fut l’absence – une nouvelle fois ! – d’un véritable ministère de la mer dans le gouvernement actuel, pourtant plusieurs fois remanié. Élu d’un département qui porte l’appellation « Atlantique » dans son nom – la Loire-Atlantique, je suis rendu à ce triste constat : l’État a trop tendance à tourner le dos à sa façade maritime, qui est pourtant une source de richesses inestimable qui va bien au-delà du potentiel touristique. Encore faut-il avoir une vision de son avenir et en programmer une gestion durable.

En tant qu’écologiste, je me bats depuis toujours pour le développement du transport maritime, qui, lorsqu’il est sûr et contrôlé, est sans aucun doute le mode le plus respectueux de l’environnement car le plus économe en énergie. Il représente environ 80 % des échanges internationaux et il connaît une progression de l’ordre de 4 % par an depuis dix ans. Il s’agit donc d’un secteur en pleine expansion. Pourtant, les ports français n’en tirent pas tout le profit qu’ils seraient en droit d’espérer et ils restent à la traîne d’autres grands équipements européens : Rotterdam se situe au troisième rang mondial, Anvers au quinzième, Marseille seulement au vingt-quatrième et Le Havre au trente-neuvième.

Pourtant, la France jouit d’un avantage inégalé du fait de ses trois façades maritimes. Sans doute le cadre juridique doit-il évoluer puisqu’il date de 1965. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2006, les principaux obstacles au développement des ports français sont la sous-performance industrielle des terminaux à conteneurs et le défaut d’insertion des ports dans les chaînes de transport et de logistique terrestres.

S’agissant de la conteneurisation, les ports français ont tardé à s’y mettre, même si des évolutions sont intervenues, notamment au Havre. Ailleurs, on persévère dans l’erreur. Ainsi, le port autonome de Nantes-Saint-Nazaire continue, avec le soutien de l’État, contre l’évidence à demander l’extension de ses linéaires de quai pour du vrac ! Chacun sait pourtant que les marchés de demain ne sont pas là ! C’est le projet dit de Donges Est, récemment remis en cause par l’Union européenne, maintes fois attaqué par des associations de protection de l’environnement et de plus en plus désavoué par les collectivités locales. Je le demande solennellement : le Gouvernement est-il prêt à stopper ce projet inutile et à réorienter les investissements de l’État vers des projets plus utiles pour le transport maritime en général, et le port de Nantes-Saint-Nazaire en particulier ?

De même, le Gouvernement a-t-il l’intention de s’engager fortement en faveur du projet d’autoroute de la mer entre Nantes-Saint-Nazaire, Montoire plus particulièrement, et Bilbao ? Il n’est pas normal que ce projet ait été freiné par divers gouvernements successifs. Je me souviens notamment de M. Estrosi, alors secrétaire d’État à l’aménagement du territoire, déclarant que la France ne soutenait pas en priorité ce projet, lequel répond pourtant pleinement aux objectifs du Grenelle de l’environnement et a le soutien des professionnels du transport et de la logistique, ainsi que de toutes les collectivités concernées. Il permettrait en effet d’alléger considérablement le trafic routier sur un axe très chargé entre Nantes et Bordeaux, puis entre Bordeaux et l’Espagne. Alors que chacun mesure la crise du transport routier et prend conscience de la nécessité d’économiser le carburant, ce projet serait plus que jamais d’actualité. Je souhaiterais que le Gouvernement prenne un engagement clair sur ce projet d’autoroute de la mer.

Dans son rapport de 2006, la Cour des comptes appelait notre attention sur un problème que nous, élus, connaissions bien, à savoir celui de la connexion des ports français avec les réseaux fluviaux et ferroviaires. Le projet de loi donne certes aux grands ports maritimes prérogative en matière de « promotion de l’offre de dessertes ferroviaires et fluviales en coopération avec les opérateurs concernés », mais cela est pour le moins flou, et cela ne suffira pas à rendre nos infrastructures plus compétitives Or, aujourd’hui, certains transporteurs routiers le disent eux-mêmes, il faut préparer le transfert de la route vers le rail pour certains transports de marchandises. Il ne suffit pas pour cela de donner aux grands ports maritimes la possibilité de discuter avec les opérateurs de transport ferroviaire : il faut mettre à niveau les infrastructures. Et cela, seul l’État peut le faire avec Réseau ferré de France. Jamais un grand port maritime ne réalisera d’infrastructure en-dehors de son périmètre. La desserte ferroviaire du port de Nantes-Saint-Nazaire par exemple présente trois faiblesses : la traversée de la raffinerie de Donges par des convois de marchandises et de passagers, le passage d’un tunnel sous la ville de Nantes où transitent chaque jour des convois de matières dangereuses, enfin la saturation de l’axe Nantes/Angers. Là encore, nous aimerions avoir des engagements clairs de la part de l’État.

L’une des grandes différences entre nos ports et ceux de l’Europe du Nord est que ces derniers sont bien connectés au réseau ferroviaire. Il est évident que l’investissement public devra être complété d’investissements privés, mais les investisseurs privés ne se mobiliseront que si l’État et les collectivités ont « amorcé la pompe » et font preuve d’un volontarisme sans faille. Comment des investisseurs privés iraient-ils financer de nouveaux développements d’outillage dans certains ports s’ils ne voient pas de débouchés importants ?

Quelques mots maintenant de la gouvernance des nouveaux grands ports maritimes. La composition du Conseil de surveillance, telle que prévue par ce projet de loi, pose problème. Rien ne justifie que la règle des « quatre quarts » initialement proposée ait été modifiée. Je présenterai un amendement en ce sens, car je suis convaincu de la nécessité de mobiliser encore davantage les salariés et les collectivités locales autour de leurs ports et non d’assurer une hégémonie de l’État, d’autant plus dépassée que celui-ci n’apporte plus les financements nécessaires. Il est inacceptable qu’il n’y ait que trois représentants du personnel – qui plus est, sans mention explicite des dockers. Pourquoi les collectivités territoriales n’auraient-elles que quatre représentants et l’État cinq ? Les collectivités territoriales ont en effet un rôle déterminant à jouer dans le développement des ports, d’autant qu’elles se sont vu confier la gestion de plusieurs ports d’intérêt national et qu’il faudrait faciliter la coopération entre ceux-ci et les grands ports maritimes.

Notre politique portuaire devrait aussi favoriser un meilleur équilibre entre nos différents ports. Nous sommes bien sûr très mobilisés en Loire-Atlantique autour du port de Nantes-Saint-Nazaire où les effets induits pourraient atteindre 2,7 milliards d’euros par an et permettre la création de plus de 25 000 emplois. Hélas, le déséquilibre s’est accru entre Le Havre et Marseille d’une part, les autres ports français d’autre part. Il faut arrêter de déshabiller Paul pour habiller Jacques, et au contraire faire bloc face aux autres ports d’Europe, notamment du nord de l’Europe, d’autant que la congestion du trafic pose des problèmes de sécurité maritime en mer du Nord. Il est par ailleurs absurde de voir des conteneurs débarqués en Belgique, en Hollande ou en Allemagne pour être ensuite redirigés, le plus souvent par la route, vers la France ! Il serait tout de même plus logique qu’ils soient directement débarqués en France, voire que les trafics intercontinentaux se dirigent vers notre pays pour ensuite irriguer le centre de l’Europe. Encore faudrait-il une ambition claire pour interconnecter nos réseaux de transports terrestres et nos ports.

Quelques mots maintenant sur la protection de l’environnement. Nous sommes inquiets de voir qu’on délègue la gestion des espaces naturels sensibles, notamment dans les estuaires, à ces nouveaux grands ports maritimes qui seront dirigés par un conseil de surveillance et un directoire, dont les associations de protection de l’environnement sont totalement absentes. Quand je vois l’absence totale de réaction du port autonome de Nantes-Saint-Nazaire lorsqu’une fuite à la raffinerie Total de Donges a provoqué une marée noire dans l’estuaire de la Loire, vous comprendrez que notre confiance soit assez limitée. Il nous paraîtrait plus logique de séparer les rôles. Nous déposerons des amendements en ce sens car il serait absurde d’opposer développement économique des ports et protection de l’environnement.

Enfin, le titre III, qui concerne les personnels, nous inquiète. Comme vous le savez, les syndicats sont très mobilisés aujourd’hui dans les ports français. Si la logique du commandement unique ne paraît pas contestable, il y a une fois encore, un problème de méthode. L’article 9 du projet de loi mentionne l’accord cadre actuellement en négociation, qui doit présider au transfert des personnels. Comment valider, Monsieur le ministre, dans ce projet de loi un accord cadre encore en cours de négociation ?

Hélas donc, ce projet de loi n’aborde qu’un aspect du développement des ports français, et encore de manière très contestable. Modifier le mode de décision et de gestion des ports autonomes est une chose, avoir une politique portuaire globale ambitieuse en est une autre. Nous attendons toujours la grande ambition maritime dont la France aurait pourtant bien besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Marc Vampa – Ce projet de loi a pour ambition de redonner à nos ports une place centrale en Europe et dans le monde, en portant de 3,5 à 10 millions le trafic de conteneurs d’ici à 2015 et en créant 30 000 emplois sur l’ensemble de nos sept grands ports maritimes, notamment dans les activités de transport et de logistique.

Cette réforme est indispensable vu notre potentiel. Notre pays dispose en effet d’atouts géographiques incomparables, que la grande majorité des pays d’Europe et du monde nous envient. Avec trois façades maritimes, notre pays peut légitimement aspirer à être parmi les premiers en Europe en matière de trafic maritime. Nos ports sont également positionnés de manière stratégique sur ces trois façades, ce qui devrait nous permettre de réaliser des parts de marché beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui – je pense notamment au port de Marseille qui devrait capter la majeure partie de l’activité portuaire dans le bassin méditerranéen. De même, le port du Havre constitue la porte d’entrée de l’Europe pour les navires en provenance de l’Atlantique. Il bénéficie de dessertes ferroviaires et fluviales de même qualité que celles des ports européens de la façade nord, et offre un accès nautique privilégié qui permet aux gros navires d’accoster à tout moment de la journée. Pensons également au port de Rouen.

M. Michel Delebarre – Pas un mot pour Dunkerque ! (Sourires)

M. Marc Vampa – Par ailleurs, les terminaux et les zones d’activité de nos ports ne sont pas saturés. Nos concurrents européens, tout en souffrant de problèmes d’engorgement, réalisent pourtant de bien meilleurs résultats.

Malgré ces atouts et dans un contexte mondial de forte croissance des échanges maritimes, la concurrence directe des ports du nord de l’Europe est trop forte et nos ports souffrent d’un réel manque de compétitivité. Leur part de marché en Europe a chuté de 17,8 % en 1989 à 13,9 % en 2006. Dans le trafic européen des conteneurs, elle est même passée de 11,6 % à 6,2 % sur la même période. Pis, dans certaines régions, le trafic est presque totalement capté par les ports étrangers concurrents.

Les flux commerciaux à destination du territoire national sont en constante diminution. Les détournements de trafic au profit des autres ports européens seraient estimés à environ 30 % de nos importations et exportations. La situation de notre plus grand port est, à elle seule, révélatrice de ces lacunes. Le port de Marseille a ainsi perdu un tiers de sa part de marché depuis 1990 et est aujourd’hui distancé par les autres ports du bassin méditerranéen pour le trafic de conteneurs, étant passé de la première à la onzième place entre 1985 et 2005.

Ce constat, grave, n’est pas pour autant désespéré. Il faut seulement trouver des solutions pour redresser une activité en expansion dans le monde et essentielle pour notre commerce extérieur. Tel est l’objet de ce projet de loi.

D’abord, on ne saurait envisager de plan de relance des ports maritimes sans doter leur hinterland d’un réseau de transports de marchandises efficace et respectueux de l’environnement ; or 85 % du trafic portuaire est assuré par des poids lourds. C’est aussi que les dessertes ferroviaires et fluviales sont trop faibles. L’ordonnance du 2 août 2005 donne compétence aux autorités portuaires pour construire et gérer les voies ferrées dans leur circonscription. C’est un progrès, mais insuffisant. Il faut aussi améliorer les liaisons fluviales. Ce faisant, nous respecterons aussi les conclusions du Grenelle de l’environnement.

La création d’un conseil de développement dans chaque grand port maritime répond à ce type d’exigences ; l’ensemble des acteurs, des professionnels aux associations de défense de l’environnement en passant par les collectivités territoriales, y seront représentés. Il sera obligatoirement consulté sur le projet stratégique du port, qui devra être compatible avec les orientations nationales pour les dessertes intermodales. Il pourra également émettre des propositions. La possibilité de créer des conseils de coordination interportuaires devrait aussi permettre de privilégier les dessertes fluviales ou ferroviaires.

La deuxième avancée majeure est la création de ce commandement unique qui manquait à nos grands ports maritimes ; la réforme de 1992 n’ayant pas été menée à terme, aujourd’hui seuls les dockers sont salariés des entreprises de manutention, tandis que portiqueurs et grutiers restent salariés de droit privé du port autonome. Pour gagner en efficacité, il est essentiel que chaque établissement dispose de terminaux portuaires intégrés qui maîtrisent l’ensemble des outils et de la main d’œuvre.

Le groupe du Nouveau centre est favorable à ce que les opérateurs de manutention deviennent ainsi pleinement responsables, ce qui permettra aux gestionnaires des ports de se recentrer sur leurs missions régaliennes et d’aménagement. Les grutiers et portiqueurs, qui exercent un métier très pénible, voient là un danger. Ils peuvent être rassurés, car le texte leur apporte des garanties qui importent beaucoup à mes yeux ; lorsque les agents d’un grand port maritime seront transférés à un opérateur privé, le président du directoire passera avec les organisations syndicales un accord collectif qui précisera une liste de critères de transfert. En outre, dans les sept années suivant ce transfert, un salarié victime de licenciement économique pourra demander à être repris par le grand port maritime pour poursuivre son contrat, après consultation des institutions représentatives du personnel.

Au Sénat, le Gouvernement a déposé un amendement qui prévoit qu’une convention collective couvrant l’ensemble des activités de manutention devra être conclue par les partenaires sociaux avant le 30 juin 2009. Le Nouveau centre est très favorable à que le contrat prime ainsi sur des dispositions contraignantes. Une telle disposition devrait apaiser beaucoup d’inquiétudes sur le statut des manutentionnaires.

S’agissant de la gouvernance des grands ports maritimes, il faut réaffirmer clairement le partage des fonctions entre l’État, le port autonome et les entreprises privées. D’autre part, l’adoption du modèle européen de « port propriétaire » permettra de mieux distinguer les missions de contrôle et la gestion courante de l’établissement.

Le Gouvernement a bien compris que la réforme risquait de rester vaine sans un soutien financier adéquat. Il s’est donc engagé à augmenter de façon substantielle les investissements publics consacrés aux infrastructures portuaires. Je l’en remercie.

Ce texte équilibré permet de relancer la compétitivité de nos ports tout en apportant des garanties satisfaisantes au personnel de manutention. Le groupe du Nouveau centre le votera (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Daniel Fidelin – Le Président de la République, dans son discours à Roissy, le 26 juin 2007, exprimait la volonté d’aider nos ports à mieux affronter la concurrence européenne. Avec ce texte, très attendu par les professionnels, le Gouvernement s’y emploie et je m’en réjouis.

Le constat est cruel. Sur 7,5 millions de conteneurs qui pénètrent en France, 2 millions seulement transitent par les ports français. À l’heure où le marché mondial des conteneurs est en très forte croissance, la part de marché de nos ports est passée de 11,7 % à 6,2 %. Nous ne sommes qu’au 28e rang mondial pour le tonnage. Le Havre et Marseille ne sont que les 5e et 6e ports à conteneurs en Europe, les 38e et 70e dans le monde.

Dès lors, n’est-il pas trop tard pour rattraper le retard pris sur nos concurrents du nord de l’Europe ? Heureusement non. Nous pouvons transformer un échec en victoire, grâce à notre potentiel et à une position stratégique, au centre de l’Europe.

Pour 100 conteneurs qui transitent sur un port, c’est un emploi créé dans la logistique et le transport. Avec un objectif de 10 millions de conteneurs en 2015, nous pouvons espérer 30 000 créations d’emplois. Malgré les difficultés actuelles, les échanges internationaux ont un bel avenir.

Notre objectif doit être de donner à nos ports les moyens d’assurer leur compétitivité.

Les grands ports européens sont saturés. C’est le cas des ports anglais et les ports français peuvent jouer un rôle important pour la desserte de ce marché.

Nous pouvons donc être optimistes d’autant que le Gouvernement a choisi la bonne méthode…

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat – Merci.

M. Daniel Fidelin – …qui est d’avoir une approche globale du problème et de consentir les moyens financiers qui ont fait cruellement défaut ces vingt dernières années, en faveur de l’achèvement de Port 2000, du projet Fos 3XL et des extensions futures du port de Marseille.

Ce texte s’articule autour de trois grandes séries de mesures.

Les ports autonomes – appellation étriquée – s’appelleront désormais « grands ports maritimes». Leurs attributions seront recentrées sur leurs missions régaliennes d’aménageur et de gestionnaire du domaine. La réforme clarifie également le rôle des acteurs publics et des acteurs privés.

Les grands ports maritimes, devenus propriétaires de plein droit de leur territoire, devront le développer conformément à l’objectif du doublement des dessertes non routières fixé par le Grenelle de l’environnement. Nous attendons beaucoup de cette évolution en faveur des voies fluviales ou ferroviaires, car la bataille portuaire se gagne à terre. Or l’une des grandes faiblesses de nos ports est l’étroitesse et le peu de développement de leur hinterland. Aussi est-il indispensable de mettre en place un schéma national de desserte des ports, qui pourrait s’inscrire dans un CIADT, évoqué dans le rapport du Grenelle de l’environnement.

À Rotterdam et Anvers, le trafic fluvial représente 50 % du total et les conteneurs 30 %. C’est 10 % en moyenne toutes marchandises confondues, dans nos ports maritimes, 8 % au maximum au Havre pour les conteneurs ! Investir dans l’écluse fluviale du Havre est une priorité.

Tous ces aménagements indispensables seront retranscrits dans un projet stratégique. Il donnera une meilleure vision d’ensemble à l’État et aux collectivités territoriales. Confier à ces dernières un rôle plus important est une reconnaissance de leur effort financier. Elles seront présentes dans les conseils de surveillance. Ayant la compétence économique, leur rôle est déterminant pour créer des espaces d’accueil d’entreprises. Les conteneurs ne doivent pas faire que passer.

La deuxième série de mesures est relative à la modernisation de la gouvernance des grands ports. Il nous est proposé, sur le modèle des grandes entreprises, de mettre en place un conseil de surveillance, un directoire et un conseil de développement.

Nous devons être attentifs à ce qu’un équilibre soit trouvé entre l’État, les collectivités territoriales, les salariés et les entreprises utilisatrices, les vraies créatrices de richesse. Je me réjouis de l’amendement du Sénat qui permet aux chambres consulaires de participer aux conseils de surveillance.

La possibilité offerte aux ports d’une même façade maritime ou d’un même axe fluvial de se concerter évitera les concurrences absurdes pour des investissements identiques.

Outre l’indispensable mutualisation des moyens, j’espère qu’une coordination pourra être établie aussi avec les ports départementaux et régionaux.

J’en viens à la troisième série de mesures, qui ont trait à la rationalisation de la manutention. Il est essentiel de clarifier les rôles des acteurs publics et privés.

L’éclatement des responsabilités entre dockers et grutiers, qui persiste en France, n’existe plus ailleurs. Or, compte tenu de la complexité des opérations de manutention, l’armateur ne doit pas être contraint de s’adresser à deux interlocuteurs différents. C’est en effet pour une part en fonction du temps de chargement et de déchargement qu’il choisit son port d’escale. Il nous faut donc constituer des opérateurs uniques, comme ailleurs en Europe, qui auront autorité sur l’ensemble de la main d’œuvre et des outils.

Je tiens à saluer le souci du Gouvernement de privilégier la concertation, afin de ne laisser personne au bord du quai. Pourtant, comme en 1992, la réforme suscite certaines inquiétudes. Je ne doute pas que les partenaires sociaux sauront aboutir à un accord cadre d’ici le mois d’octobre. En l’état, le projet ouvre un droit de retour pendant sept ans aux salariés licenciés, ainsi que le maintien de leur salaire. Voilà de quoi lever toutes les inquiétudes. J’espère que cet accord interviendra le plus vite possible, car les pertes d’activité sont considérables – de l’ordre de 40 % au Havre et de 50 % à Marseille.

Dès lors, l’unité de commandement est indispensable. S’agissant du transfert des outillages, il n’est pas question de remplacer le monopole public par un monopole privé. À défaut d’initiative privée, les opérateurs locaux seront privilégiés et les ports pourront agir via des filiales dont ils seront les actionnaires majoritaires.

Afin de garantir la souplesse des transferts, le Gouvernement a accordé un délai de deux ans aux grands ports maritimes à compter de l’adoption de leur projet stratégique.

Le groupe UMP se réjouit de cette réforme tant attendue et espère en constater les effets dans les meilleurs délais. Nous n’avons d’autre ambition que de permettre à nos ports de retrouver le peloton de tête qu’ils n’auraient jamais dû quitter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Delebarre – Au temps où j’étais ministre des transports et de la mer dans le gouvernement de M. Rocard, j’avais initié une réflexion qui a fini par aboutir en 1992 à la réforme de la manutention portuaire. MM. Le Drian et Josselin, qui se succédèrent au secrétariat d’État à la mer, eurent la lourde responsabilité d’élaborer ce projet de loi difficile dans un contexte économique et social tendu. Nombreux étaient alors les ports français qui subissaient la désaffection de leurs clients à cause d’un manque de compétitivité et de fiabilité. Si le constat était alarmant, hélas, les solutions ne faisaient pas l’unanimité et les résistances, même au sein de la majorité d’alors, étaient fortes.

Pour autant, l’organisation de la manutention, qui datait de 1947, devait être revue, tant la profession de docker avait changé. Certes, la réforme a eu un prix, mais elle était nécessaire pour préparer l’avenir.

Cet avenir, nous avons tous tardé à nous en préoccuper. La réforme de 1992 ne devait être qu’une étape. Or, à l’exception d’un décret pris par le gouvernement de M. Jospin en 1999, posant les prémices du commandement unique qui nous est aujourd’hui soumis, peu d’initiatives furent prises pour relancer le mouvement de réforme entamé en 1992.

Ainsi, l’unicité du commandement est un objectif essentiel du présent texte. Hormis Dunkerque et, dans une moindre mesure, Le Havre, aucun port français n’a encore su profiter des possibilités offertes par le décret de 1999. Si le principe du commandement unique recueille le consensus, les modalités de son application font débat.

Là comme ailleurs, il n’existe pas de solution idéale. Permettez-moi toutefois de témoigner du succès de l’expérience menée à Dunkerque. L’exploitation sous commandement unique des deux terminaux fut l’une des clefs de son renouveau, entraînant une augmentation de 50 % du trafic de pondéreux. Les gains de productivité sont évidents. En 1997, dix-huit heures travaillées étaient nécessaires à la manutention de mille tonnes de pondéreux, contre à peine dix aujourd’hui. De même, il faut aujourd’hui une heure pour gérer un « équivalent vingt pieds » de conteneurs, contre 2,7 en 1997 ! J’ajoute que le commandement unique a été instauré sans heurt, dans un climat social apaisé. Sur cent agents transférés, deux seulement ont souhaité réintégrer l’établissement public.

De même, l’unification des opérateurs a accéléré le rythme des investissements et, sans doute, leur volume. Dans les deux années qui ont suivi, quarante millions ont été investis dans le terminal à pondéreux et plus de cent vingt millions dans le terminal à conteneurs.

L’exemple dunkerquois est éclairant, même s’il ne peut pas être appliqué tel quel à tous les autres ports. Laissons à chaque port la liberté de choisir la voie qui lui convient. Évitons d’édicter des règles trop restrictives, car chaque port a ses spécificités : ce qui est vrai à Dunkerque ne l’est pas forcément à La Rochelle. Une politique portuaire doit se fonder sur la pratique, et non sur la théorie.

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est vrai !

M. Michel Delebarre – Ce ne sont donc ni le commandement unique ni la coopération interportuaire qui posent problème, mais l’absence d’une véritable politique portuaire. À quoi bon organiser le Grenelle de l’environnement pour, quelques mois plus tard, présenter un projet de loi sans souffle ni ambition ? Les ports sont pourtant l’une des clefs d’une politique efficace de développement durable. Or, aucune réflexion de fond n’a été menée, comme ce fut déjà le cas en 2005, lors de la décentralisation des ports d’intérêt national. Un seul exemple : pourquoi le Gouvernement a-t-il créé dans la précipitation un nouveau port autonome à La Rochelle à la fin 2004 ? Cette accession était certes justifiée dans le cadre d’une synergie régionale, mais pourquoi, dès lors, avoir abandonné Calais, pourtant deuxième porte de voyageurs d’Europe, ou encore Boulogne-sur-mer, premier port de pêche français ? N’y avait-il pas là matière, avec Dunkerque, à dessiner un grand pôle portuaire sur notre littoral septentrional ?

En 2005, l’État s’est délesté de ses ports d’intérêt national. Aujourd’hui, il déleste les ports autonomes de leur manutention. Au fond, ce projet de loi ne se résume-t-il pas au transfert vers le secteur privé des opérations de manutention ?

M. Daniel Paul – En effet !

M. Michel Delebarre – L’unicité de commandement des ports n’est pas une fin en soi. Quels sont les objectifs de la France à moyen terme ? Quels moyens consacrera-t-elle au développer de chacun de ses ports ?

J’aurais aimé pouvoir m’abstenir sur ce projet de loi – est-ce parce que je rêve déjà du Sénat ? (Sourires) J’aurais souhaité pouvoir convaincre mes collègues, mais je comprends l’appréciation négative qu’ils ont de ce projet. Il y a encore trop d’inquiétudes. Monsieur le ministre, il vous appartient de les lever. Nous avons déposé de nombreux amendements qui y répondaient ; encore eût-il fallu que nous puissions les examiner (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Est-il opportun de consacrer l’évolution de la manutention en rendant impossible la présence de représentants au Conseil de surveillance ? Est-il judicieux de reconnaître le rôle des collectivités territoriales sans leur permettre de retrouver une partie de leurs apports lorsque les biens au financement desquels elles ont participé sont vendus ? Ne pourrait-on pas décider que le produit d’une transaction ou les dividendes obtenus du fait de résultats positifs seront réinvestis dans le port, les collectivités territoriales et l’État abandonnant leur dû ? Cette prime aux résultats ou à une bonne gestion serait un complément positif à votre réforme.

Nous nous félicitons qu’un comité interministériel se réunisse pour arbitrer sur les investissements, mais les chiffres annoncés sont largement au-dessous de la ligne (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). En outre, ce comité devrait se prononcer sur les investissements de la SNCF, de RFF et de VNF visant à améliorer les relations avec l’hinterland, enjeu tout aussi important.

C’est sur le défi d’une grande politique portuaire que nous aimerions pouvoir vous juger. Nous apprécierions de vous voir réussir, mais encore faudrait-il que l’État y consacre des moyens suffisants et que la représentation nationale dans son ensemble y montre quelque intérêt. Plus qu’une grande cause nationale, l’évolution des ports est le passage obligé du développement économique de la France en Europe. Encore un effort, Monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Renaud Muselier – Cette réforme est nécessaire et urgente. Le statut des ports autonomes, qui remonte à 1964, est obsolète et il est indispensable de relancer la compétitivité de nos ports, dont le taux de croissance est très faible. Comme l’a dit le Président de la République en juin 2007, « leur organisation d’un autre siècle, ça va changer » !

La logistique est un atout clé du développement et le commerce mondial a augmenté depuis quinze ans deux fois plus vite que la production mondiale. Dans ce contexte, plus de 80 % des marchandises transitent aujourd’hui par mer. Les trafics de conteneurs ont cru régulièrement de 10 % en Europe sur les dix dernières années, soit un doublement tous les sept ans.

Mais faut-il rappeler la douloureuse réalité ? L’exemple de Marseille-Fos est criant. En moins de vingt ans, ce port est passé de la 24e place mondiale à la 84e pour les trafics de conteneurs, de la 6e place européenne à la 20e et de la 1re place en Méditerranée à la 11e. Le manque de fiabilité est chronique, qu’il soit social – grèves à répétition – ou technique – entre 2000 et 2004, une escale sur cinq de porte-conteneurs a fait l’objet d’un incident sur le port de Marseille-Fos. En outre, les coûts de passage sont un tiers plus chers que chez nos voisins européens. Enfin, quand Hambourg enregistre 110 à 150 mouvements par heure d’escale et Shanghai des pointes à plus de 200, Marseille affiche 20 mouvements et Fos, 50.

Cette réforme indispensable se fera selon quatre axes. Les ports seront recentrés sur leurs missions d’aménageur et de gestionnaire, les activités de manutention passant sous le contrôle d’opérateurs privés, comme cela a été le cas pour les dockers avec la réforme de 1992 – qui ne s’est pas faite sans souffrances et sans dommages politiques, notamment pour M. Le Drian. L’objectif est de doubler la part de marché des transports ferroviaire et fluvial dans la desserte des ports.

Un commandement unique pour les activités de manutention sera mis en place afin d’améliorer la productivité, de développer l’investissement privé et de rétablir la confiance des clients des ports. Afin de moderniser une gouvernance qui date de 1964, le projet prévoit la mise en place d’un Conseil de surveillance et d’un Directoire. Enfin, la coordination entre les ports sera optimisée.

Bien sûr, cela suscite des craintes légitimes mais ne justifie pas les grèves actuelles. Ce texte est l’aboutissement d’une large période de concertation. Il ne s’agit pas d’une privatisation : les grands ports maritimes seront des établissements publics d’État.

Le projet de loi proposé vise à moderniser nos ports : le passage des activités de manutention sous contrôle d’opérateurs privés a pour but la mise en place d’un commandement unique du propriétaire sur ces terminaux, condition sine qua non d’une compétitivité nouvelle. Cela devrait permettre à la France de traiter, d’ici à dix ans, 10 millions de conteneurs par an – contre 3,5 millions en 2007 – et de créer 30 000 emplois.

Nous devons rassurer les agents concernés en leur rappelant qu’ils sont des salariés de droit privé des ports autonomes. Ils changeront donc d’employeur mais pas de statut. Vous avez même prévu une clause de retour pendant sept ans, en cas de difficultés économiques de l’entreprise. La loi prévoit l’ouverture de négociations. Il faudra les conclure avant le 31 octobre, à défaut de quoi, elle s’imposera.

Sur le plan financier, la réforme prévoit, en complément des contrats de projets 2007-2013, un programme d’investissement sans précédent : l’État va doubler sa participation pour la période 2009-2013. Au total, les investissements pour 2007-2013 atteindront 2,69 milliards d’euros dont 445 millions à la charge de l’État.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons cette réforme urgente et nécessaire pour notre pays, nos villes portuaires et en particulier le port de Marseille-Fos (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Bono – Ce texte comporte des éléments novateurs : c’est le cas de la possibilité offerte aux ports d’investir désormais hors de leur circonscription, de la gouvernance organisée en directoire sous le contrôle d’un conseil de surveillance, de l’établissement d’un projet stratégique déterminant les grandes orientations et les modalités d’action du port et de la volonté de coordonner l’action des ports... Mais là s’arrêtent les mérites de votre texte !

Si le principe de l’unicité de commandement sur les terminaux portuaires n’est pas en soi scandaleux – il aurait pu faire l’objet d’un consensus avec les syndicats –, votre précipitation compromet la réussite de cette réforme indispensable. C’est un projet bâti à la hâte qui nous est présenté.

Comme chacun sait, la bataille des ports se gagne à terre : nos ports sont trop peu et trop mal reliés à leur hinterland. Si les parts de marché de nos ports nationaux sont à la baisse, c’est avant tout, du fait d’un sous-investissement chronique de l’État.

Bien évidemment, les collectivités locales ont dû pallier ces insuffisances. Certains de nos collègues de l’UMP ont publié un « livre noir » des collectivités locales et le Gouvernement tend à les désigner régulièrement comme les responsables de l’endettement du pays. Quel cynisme, lorsque l’on songe aux charges que vous faites chaque jour peser sur elles !

Votre projet est à ce titre éloquent puisque vous prévoyez d’exonérer de taxe professionnelle pendant deux ans les sociétés privées qui se porteront acquéreur de l’outillage portuaire alors qu’aucune compensation n’est prévue. Vous privatisez à la hâte tout en laissant entendre qu’il ne sera pas impossible de solliciter le soutien des collectivités en cas de difficultés de l’un des opérateurs ! Vous n’excluez pas que le port puisse demander aux opérateurs de s’engager sur des trafics, mais qui sera sollicité en cas de pression d’opérateurs, sinon les collectivités ?

Alors que nous savons tous que la hauteur des investissements réalisés par les entreprises est la meilleure garantie de leur implication, les conditions floues de cession des actifs portuaires ne sont pas de nature à nous rassurer. D’ailleurs, s’agissant d’actifs très souvent financés par les collectivités locales, aucune clause de retour financier à leur profit n’est prévue et ce, alors même que votre projet de loi prévoit expressément le versement de dividendes de la part des grands ports maritimes à l’État.

Ces quelques exemples montrent bien combien ce projet, examiné dans l’urgence, ne peut répondre à la situation dans laquelle se trouvent nos ports.

Certes, les sénateurs ont pu améliorer le texte, en particulier au regard du statut des personnels transférés. Nous défendrons des amendements tendant à garantir les droits de ces personnels et à protéger les finances locales contre le désengagement croissant de l'État. Le sort qui leur a été réservé en commission nous inquiète. Nous craignons que ce texte soit une occasion manquée.

Le défaut d'investissement à terre en matière de pré- et de post-acheminement, l’insuffisance des investissements prévus dans le domaine portuaire, l’opacité des conditions de cession des actifs, les incertitudes planant sur l’avenir des personnels transférés, l’absence de représentation réelle des personnels de manutention, mais aussi le recours programmé à un investissement massif des collectivités locales, sont autant de raisons de s’opposer à ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Valérie Fourneyron – Nous pouvons sans doute être d’accord sur le constat : malgré l’augmentation constante du trafic portuaire européen depuis le début des années 1990, les parts de marché des ports français n'ont cessé de se dégrader, notamment en matière de conteneurs, qui sont le segment le plus dynamique du marché. Dans le même temps, l’activité s’est développée chez nos concurrents européens, au point qu'Anvers est devenu le premier port « français ».

Nous différons en revanche au sujet des causes et des priorités. Le Gouvernement fait du commandement unique, de la gouvernance et de la coopération interportuaire les seuls remèdes. Son plan de relance n'est pas à la hauteur des enjeux économiques et sociaux, ni des investissements dont bénéficient nos concurrents.

Vous agitez sans cesse le slogan de la gouvernance, qu’il s’agisse des universités, des ports ou des hôpitaux. Vous allez instaurer un directoire dont la composition reste floue et un conseil de surveillance dont les représentants des personnels manutentionnaires seront exclus. Je regrette également que vous refusiez que nous prenions part à la désignation des personnalités qualifiées.

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Mais non !

Mme Valérie Fourneyron – Vous avez pourtant refusé notre amendement.

Puisque vous prévoyez un contrat pluriannuel entre l'État, les ports et les collectivités territoriales, j’aimerais que vous alliez jusqu’au bout de votre logique : vous souhaitez renforcer l’autonomie des ports, mais il ne faudrait pas oublier la question des dividendes. Rendons les ports autonomes pleinement maîtres de leurs investissements.

J’en viens au transfert des personnels aux entreprises privées. Il est vrai qu’un commandement unique permettrait de simplifier la coordination entre dockers, grutiers et portiqueurs. Toutefois, les conditions du transfert ne nous semblent pas satisfaisantes. Les conséquences sur l’emploi demeurent incertaines, et des monopoles risquent de se constituer en matière de manutention. Quant au droit de retour, il ne faudrait pas se bercer d’illusions : la durée prévue a certes été étendue à sept ans, mais comment s’appliquera un droit de retour vers une activité qui n'existe plus ? Les personnels sont légitimement inquiets. Nos amendements leur auraient apporté plus de garanties.

Le texte prévoit également un transfert des outillages au secteur privé. Le matériel suit les personnels, à moins que ce soit le contraire… En tout cas, les entreprises seront incitées à l'achat grâce à un abattement fiscal pendant deux ans. Les collectivités ayant bien souvent participé à l’achat des outillages, nous demandons une compensation pour les investissements passés et pour les exonérations fiscales.

La situation risque d’être tout aussi absurde en matière foncière : les collectivités ont parfois cédé à titre gracieux des terrains aux ports. Faudrait-il qu’elles les rachètent pour leurs opérations d’aménagement ?

M. le Président – Il faudrait conclure…

Mme Valérie Fourneyron – Il reste donc bien des points à amender. L’investissement prévu pour nos ports n’est pas à la hauteur des besoins, ni des engagements des collectivités territoriales. À Rouen, par exemple, ces dernières financent plus de 57 % des opérations inscrites au contrat de plan. Il ne faudrait pas croire qu’elles sont des distributeurs automatiques de billets ! Leurs efforts doivent être reconnus et soutenus.

M. le Président – Chère collègue…

Mme Valérie Fourneyron – Nous devons améliorer ce texte afin de nous doter d’une politique portuaire réellement ambitieuse (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Roland Blum – Je voudrais tout d’abord vous remercier, Monsieur le ministre, ainsi que vos collaborateurs pour le travail accompli depuis un an sur ce sujet. En juillet 2007, le Président de la République avait très justement souhaité que le Gouvernement réforme le statut de nos ports.

Sans revenir sur le constat, on peut s’interroger sur la compétitivité des ports français : ces derniers représentent 22 millions de tonnes de moins que le seul port de Rotterdam. Premier port français, Marseille est passé du premier au 11e rang mondial en matière de conteneurs depuis 1985. Un portique y assure 46 000 mouvements par an, contre 76 000 à Valence et 150 000 à Anvers.

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est incroyable !

M. Roland Blum – Les causes sont multiples : faiblesse constante des investissements d'État, mauvaise organisation de la manutention, mais aussi multiplication des grèves à répétition qui découragent les clients.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très juste !

M. Roland Blum – Dans ces conditions, on ne peut que se réjouir des mesures proposées par le Gouvernement.

Les dispositions prévues en matière de gouvernance seront ainsi un progrès notable. J’aurais souhaité malgré tout que l’on adopte une structure plus audacieuse qu’un établissement public. Afin que le président du directoire soit aussi indépendant que possible de l’État, il me semble qu’il devrait être désigné par le conseil de surveillance.

La séparation entre les missions régaliennes, relevant de la compétence de l'établissement public, et les missions concurrentielles confiées aux opérateurs privés, permettra d’assurer une plus grande efficacité et une véritable unicité du commandement, à l’image des autres grands ports mondiaux.

Toutefois, il faut se méfier des éventuels effets pervers même lorsqu’une loi est bonne.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très juste !

M. Roland Blum – Ce texte doit servir de cadre à une négociation port par port. Or, on peut entretenir quelques inquiétudes. À Marseille, par exemple, le directeur du port a annoncé à la presse un plan stratégique prévoyant le transfert de 270 agents vers des opérateurs privés de manutention, mais aussi la création de cinq filiales – une sur le vrac liquide, une sur la maintenance de l'outillage, une sur la réparation navale, une sur la gestion du trafic de passagers des croisières, et une dernière sur l'exploitation mutualisée des grues mobiles.

M. Renaud Muselier – Et pourquoi pas cinq ports ?

M. Roland Blum – Cela revient effectivement au même. La proposition du directeur me semble contraire à l'esprit et à la lettre de cette loi. Je souhaiterais connaître votre avis à ce sujet, Monsieur le ministre. Le recours à la filiale ne doit-il pas rester exceptionnel, en cas de carence du privé, ou pour un motif d'intérêt national ? Considérez-vous que le pétrole est systématiquement d'intérêt national et que les terminaux ne peuvent être gérés par un GIE ou une société privée dont le capital serait ouvert obligatoirement à tous les opérateurs ?

Autre question : les agents ne doivent-ils pas être systématiquement transférés à des opérateurs privés, ou à défaut à une société créée par eux ? Il me semble que nous devrions aller plus vite dans la réforme. Le temps presse et les entreprises souffrent.

J’espère que le Gouvernement aura l’amabilité de répondre à toutes nos interrogations sur l’application de ce texte que je voterai avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Henri Jibrayel – Ce projet de privatisation des grands « ports malades » n’est rien d’autre qu'un démantèlement du service public et du domaine public maritime. Votre analyse ne tient pas la route. Son seul but est de justifier des choix idéologiques.

Comme l’a justement indiqué la Cour des comptes en 1999, on peut douter qu’il existe vraiment une politique portuaire dans ce pays. C’est l’État qui est responsable du retard de nos ports, et non l’organisation de la manutention.

À Marseille par exemple, les activités de transport et de logistique ne représentent que 6 % de l'économie du port, contre 11 % aux Pays Bas, 9 % en Belgique et 7 % en Allemagne.

M. Dominique Tian – Raison de plus pour voter ce texte !

M. Henri Jibrayel – Le trafic du port autonome est très faible au regard de celui des grands ports européens que sont Rotterdam, Hambourg, Anvers, Valence, Barcelone ou encore Gênes : il représente moins d’un million d'« équivalents vingt pieds », contre 2, voire 9 millions chez nos concurrents.

Les grands ports européens que vous prenez en exemple ont tous bénéficié de larges soutiens publics qui leur ont permis de réaliser des investissements considérables. Pendant qu’entre 1997 et 2005 les ports belges recevaient plus de 350 millions, le soutien aux ports français s’élevait à 120 millions à peine. Les ports de Barcelone et de Gênes, concurrents historiques de Marseille, ont vu leur trafic augmenter respectivement de 1,5 million et de 1,3 million d'EVP ; le port de transbordement de Gioia Tauro, en Calabre, est devenu le premier port de la Méditerranée avec un trafic de plus de trois millions d'EVP ; celui d’Algésiras a vu son trafic augmenter de près de deux millions d'EVP au cours des quinze dernières années ; celui de Malte traite 1,5 million d'EVP. En France, le trafic portuaire a seulement doublé, ce qui se traduit par une perte de parts de marché. Ainsi du port de Marseille, dont la part de marché « conteneurs » a diminué de moitié, la baisse se poursuivant inexorablement.

Comment expliquer un tel constat ? Dans les années 1980, les collectivités locales investissaient grâce, notamment, aux subventions communautaires. Aujourd'hui les caisses des collectivités sont vides, vous savez pourquoi. Quant à l'État, qui ne souhaite pas avoir de vraie politique portuaire, il se tourne vers les opérateurs privés. C’est ainsi qu’en 2006, 200 millions d'investissements publics ont été réalisés dans l’ensemble des ports français. L'État en a certes versé soixante au titre des infrastructures et des subventions mais, dans le même temps, il a récupéré 27,5 millions de dividendes…

Heureusement, les régions (M. Muselier s’exclame), avec 20 millions d'investissements, et surtout les ports eux-mêmes, avec 150 millions, suppléent aux carences de l'État. Sur les 400 millions investis en 2007 dans l'ensemble des ports français, l'État a alloué 100 millions pour les seules infrastructures, l'Union européenne 13 millions, les collectivités territoriales 50 et les ports 200.

Or, un petit pays comme la Belgique investit chaque année dans ses ports 400 millions, et octroie 150 millions de subventions au seul port d'Anvers. Le port d’Hambourg reçoit 1,1 milliard, et Rotterdam 2,9. Or, dans votre projet, Monsieur le ministre, il est question de 387 millions ! Je vous laisse mesurer le fossé qui sépare l'engagement de l'État français et celui de nos voisins européens. Cela ne vous empêche pas de qualifier votre réforme de « plan de relance » !

Vous auriez pu, pourtant, vous inspirer de la réforme de 1992, axée sur la compétitivité de toute la filière portuaire. Malheureusement, le projet manque singulièrement d'ambitions, de moyens et de prospective.

Pour ce qui est de l'organisation portuaire, vous recentrez les missions des grands ports maritimes sur les activités régaliennes et sur la fonction d'aménageur de leur domaine portuaire. Les activités d'exploitation des terminaux portuaires sont confiées à des opérateurs du secteur privé. Le projet stratégique du port doit faire l'objet d'une contractualisation avec l'État et, si les ports le souhaitent, avec les collectivités locales. Quel traitement vous réservez ainsi aux collectivités locales, dont on connaît le niveau d’investissement – près de 30 millions pour Fos 2XL par exemple ! La mauvaise manière que vous leur faite est confirmée par la place marginale que vous leur laissez dans le système de gouvernance.

Parlons, aussi, du traitement que vous réservez au personnel transféré dans une filiale ou chez un opérateur. Selon les termes de votre projet, les partenaires sociaux devront s'entendre avant le 31 octobre 2008 sur un accord cadre pour déterminer les mesures d'accompagnement social de cette réforme. Une fois encore, il aurait été bon de s'inspirer de l’exemple passé et de généraliser les conventions d'exploitation de terminal.

Le bénéfice accordé aux salariés d'un droit de retour dans le grand port maritime en cas de suppression de leur emploi consécutive à des motifs économiques constitue effectivement une garantie, mais nous ne pouvons nous contenter du seul motif du licenciement économique. Qu’adviendra-t-il en effet du salarié qui fait valoir ce droit mais dont l'activité n'existe plus dans le port ? De quelle garantie bénéficiera-t-il ? Par ailleurs, dans quelles conditions d'emploi et sous quelles conditions sociales les personnels seront-ils transférés ?

À toutes ces questions de grande importance, nous ne trouvons aucune réponse dans votre texte. Votre réforme n’a pas été construite avec les personnels mais contre eux (Protestations sur les bancs du groupe UMP). La preuve en est la place que vous leur réservez dans les instances de décision, et la suppression de la représentation des dockers, acteurs essentiels de la vie du port et de son dynamisme. Le seul os que vous leur laissez à ronger, c’est une place au conseil de développement, dont les pouvoirs sont bien maigres. Les salariés ne sont dans votre projet que les outils qui permettront de garantir le profit des entreprises privées et, certainement, la constitution de monopoles car, nous le savons tous, bien peu d'entreprises pourront assumer le transfert des personnels et de l'outillage. C'est pourquoi je vous demande de voter contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 22 heures 15.

La séance est levée à 20 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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