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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 26 juin 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
208ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LE LIVRE BLANC
SUR LA DÉFENSE ET LA SÉCURITÉ NATIONALE
ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et le débat sur cette déclaration.

M. François Fillon, Premier ministre  Nous avons en partage une responsabilité sacrée : la protection de la France et des Français contre toute agression. Nous avons aussi le devoir de contribuer à la sécurité de nos alliés et au respect des règles internationales et des droits de l’homme.

Pour tout cela, la France dispose d’une diplomatie active et constructive, destinée à apaiser les tensions du monde, et elle est dotée d’un outil de défense dont les concepts et l’organisation doivent être adaptés en permanence. En juillet 2007, le Président de la République a confié à une commission, qui réunissait des parlementaires, des militaires, des représentants de l’administration et des personnalités qualifiées, la rédaction d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Le Président en a dévoilé les conclusions le 17 juin dernier.

Penser les engagements de notre pays au cours des quinze prochaines années dans un contexte international extrêmement fluctuant, était une tâche délicate. La commission placée sous la présidence de Jean-Claude Mallet s’en est acquittée avec beaucoup de discernement.

Pourquoi avons-nous engagé cette réflexion ? La France doit demeurer une puissance politique et militaire. Vingt ans après la fin de la guerre froide, la paix demeure un bien fragile et précieux. Depuis 1994, date du dernier Livre blanc, le monde a changé : les principaux facteurs de la sécurité nationale et internationale ont évolué au rythme de la mondialisation ; la hiérarchie des puissances a changé ; la révolution imposée à notre outil de défense du fait de l’effondrement de la bipolarité n’est pas achevée. Dans la perspective de la loi de programmation militaire qui vous sera présentée par Hervé Morin, il était nécessaire de retracer les principaux aspects du paysage stratégique et de notre sécurité.

Le monde est-il devenu plus dangereux ? Je ne le crois pas. Il est surtout devenu moins stable, moins prévisible et plus complexe. Avec le délitement de certains États, les affrontements ethniques et culturels, le fanatisme religieux, les crises sanitaires, les catastrophes naturelles, les attaques informatiques, l’internationalisation des mafias, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques et alimentaires, le spectre des menaces est désormais très étendu, et évolue sans cesse.

Cet élargissement des possibles se traduit par une dissémination accrue des armements. D’ici à 2025, le territoire européen sera ainsi à portée des missiles stratégiques développés par de nouvelles puissances. À cela s’ajoute la menace terroriste, devenue d’autant plus redoutable qu’elle détourne à son profit les nouvelles technologies de l’information et qu’elle pourrait un jour s’emparer d’armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques. Hier ponctuelle et contingente, cette menace est devenue structurelle. C’est une des principales constatations du Livre blanc.

De l’Atlantique à l’Océan indien, la France se trouve désormais face à un large arc de crises, où nos intérêts stratégiques se concentrent. Comme la plupart des États européens, notre pays est aujourd’hui plus vulnérable qu’il ne l’était dans les années 1990. L’équilibre de la terreur écartait à l’époque la plupart des scénarios conflictuels. Le spectre des menaces est aujourd’hui plus large, et les conflits se déclencheront de façon moins prévisible qu’autrefois.

Aujourd’hui, le risque extrême est en effet la « surprise stratégique » : une alliance qui se renverse, des comportements diplomatiques qui changent, un mode d’agression nouveau, un groupe de fanatiques qui échappe aux règles de l’affrontement classique, et la surprise stratégique survient alors, comme la France en a déjà fait la cruelle expérience dans certaines périodes d’impréparation et de déni stratégique. Le 11 septembre 2001, une immense surprise stratégique a également plongé les États-Unis dans la stupeur. C’est le défi que nos sociétés sont le moins capables de prévoir, et c’est pourtant celui qu’elles doivent maintenant se préparer à affronter.

À cette fin, nous devons prendre en compte des risques ne relevant plus exclusivement de l’action militaire traditionnelle. L’élargissement de notre horizon stratégique et la multiplicité des menaces emportent plusieurs conséquences. Tout d’abord, nous devons nous doter des garanties les plus larges. Face aux scénarios extrêmes, la dissuasion doit demeurer la garantie ultime de la sécurité et de l’indépendance de la France.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre – La dissuasion a pour seule fonction d’empêcher une agression d’origine étatique contre les intérêts vitaux du pays, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. Ses deux composantes, sous-marine et aérienne, seront maintenues.

Face aux scénarios de conflits extérieurs, notre stratégie de projection doit être musclée. Puisque nous pouvons être menacés de loin, nous devons également être capables de frapper loin. La professionnalisation des forces a été un succès, mais il reste maintenant à la compléter et à l’affiner en matière d’organisation et d’équipements. Avec le ministre de la défense, nous avons fixé des objectifs clairs : la France doit être en mesure de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combats, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.

Face aux scénarios de crise intérieure, dont le terrorisme de masse est un des principaux éléments, nous avons décidé d’inscrire nos choix dans le cadre global d’une stratégie nationale de sécurité associant étroitement sécurité et défense. Compte tenu de l’expérience du 11 septembre 2001, nous avons intégré les enjeux du « front intérieur ». Dans leurs missions de protection, les forces armées, les forces de police et de gendarmerie, mais aussi la sécurité civile, auront des objectifs opérationnels conjoints.

Cette stratégie nationale de sécurité exige également une réorganisation des pouvoirs publics. Il est notamment nécessaire de réviser l’ordonnance du 7 janvier 1959, adoptée dans un contexte historique et stratégique radicalement différent du nôtre.

Un Conseil de défense et de Sécurité nationale, placé sous la présidence du Président de la République, sera institué afin de nous doter d’une enceinte au sein de laquelle nous pourrons aborder des sujets tels que la programmation militaire, la sécurité intérieure, la politique de dissuasion, la lutte contre le terrorisme ou encore la planification des réponses aux crises majeures.

Le Conseil national du renseignement sera une des formations du Conseil de défense, et il reviendra au Premier ministre de diriger l’application des décisions qui seront adoptées.

Deuxième conséquence des mutations qui ont eu lieu, nous devons prendre en compte les menaces le plus en amont possible. Dans un monde qui évolue aussi vite, il est décisif de gagner du temps. La fonction « connaissance et anticipation », qui a été dûment identifiée par le Livre blanc, vise à nous donner le temps de préavis nécessaire à l’action.

Cette fonction repose en grande partie sur le renseignement spatial, qui fera l’objet d’un effort substantiel. Elle s’appuie également sur le renseignement humain, dont les services doivent être plus efficaces et mieux coordonnés. C’est pourquoi nous avons décidé de regrouper les services de renseignement du ministère de l’Intérieur au sein d’une nouvelle direction centrale. Nous avons également choisi de créer un poste de coordonnateur du renseignement, placé auprès du Président de la République et chargé d’animer et de coordonner les travaux des différents services concernés.

La troisième conséquence, c’est que nous devons conserver notre aptitude à monter en puissance et à nous adapter si la situation l’exige. Du fait de l’imprévisibilité de la menace, nous avons besoin d’un dispositif de veille technologique poussé. Dans le domaine industriel, cela implique notamment le maintien des bureaux d’études et la réalisation de démonstrateurs d’une série de matériels qui pourraient être développés en fonction des besoins. Dans tous les domaines – prévention, intervention, protection – notre degré de crédibilité garantira notre capacité de réaction.

La quatrième conséquence, c’est la notion de résilience, qui est au cœur du Livre blanc. Il s’agit de notre capacité, en cas de crise majeure, à maintenir ou à rétablir au plus vite le fonctionnement normal de notre pays. Pour accroître notre faculté de résilience, nous devons renforcer les moyens de surveillance des espaces français, la capacité de réaction des pouvoirs publics, les dispositifs de communication et d’alerte massive, et enfin assurer la protection des populations.

Avec une dissuasion qui garantit la préservation de l’essentiel, avec des moyens de renseignement qui nous permettent d’anticiper, avec des capacités de projection qui nous permettent d’agir plus vite et plus fort, avec des outils garantissant le fonctionnement optimal des pouvoirs publics et la protection de nos concitoyens, notre dispositif peut être considéré comme complet.

Il serait toutefois insuffisant sans l’adhésion de la nation. À ce titre, le Livre blanc propose plusieurs pistes. L’une d’entre elles concerne bien sûr le Parlement. Si le projet de loi constitutionnelle est adopté, votre rôle sera renforcé, car vous serez systématiquement informés de l’envoi de militaires français en opération, et systématiquement consultés par un vote dès lors que se posera la question du maintien de nos forces dans des opérations extérieures au-delà de quatre mois.

Le Parlement sera par ailleurs informé de tous les accords liant la France à des partenaires étrangers dès lors qu’ils pourraient conduire à engager nos moyens de défense au bénéfice d’autres États.

La sécurité est une affaire collective. Avec l’Union européenne et les pays de l’Alliance atlantique, nous faisons plus que partager des valeurs. Le renforcement des liens que nous entretenons avec eux est indispensable. L’Europe est une puissance…

M. Jacques Myard – C’est un canard boiteux !

M. le Premier ministre – …mais qu’est-ce qu’une puissance sans de réels moyens militaires ? L’Union européenne doit prendre ses responsabilités en matière de sécurité et de défense, faute de quoi elle n’exercera jamais l’influence politique qui lui revient.

Des progrès ont été réalisés au cours des dix dernières années, notamment depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo. L’Union dispose d’instruments, de procédures et d’une expérience commune dans dix-sept opérations de plus ou moins grande ampleur. Tout cela est utile, mais insuffisant.

Pour être efficace, l’Europe doit prendre l’initiative et s’employer à prévenir les menaces avant qu’elles ne surviennent. Elle doit agir là où ces menaces surviennent, c’est-à-dire souvent hors du territoire de l’Union. L’Europe doit comprendre qu’avec un effort cumulé de recherche six fois inférieur à celui des États-Unis, et inférieur de moitié en matière de défense, elle ne peut être que l’ombre d’elle-même.

Faire de l’Union européenne un véritable acteur de la sécurité internationale et de la gestion des crises ; favoriser la rédaction d’un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité ; multiplier les synergies industrielles – tels sont nos objectifs. La présidence française de l’Union européenne sera l’occasion de présenter à nos partenaires des actions en ce sens.

Nous voulons d’abord actualiser et concrétiser les missions militaires que les Européens se sont assignées avec la capacité à déployer 60 000 hommes en 60 jours.

Nous voulons ensuite avancer concrètement avec les pays qui le souhaitent. Il s’agit de renforcer nos moyens par des coopérations pilotes et des mutualisations entre États membres : projection de forces avec les Britanniques ; transport aérien avec, notamment, l’Espagne, l’Allemagne la Belgique ; espace avec les Italiens et les Allemands.

Nous voulons enfin que l’Union européenne puisse véritablement conduire des opérations civiles et militaires. Fondé sur cinq états-majors nationaux qu’il faut réorganiser à la hâte à chaque opération, le système actuel atteint vite ses limites. L’Europe doit disposer d’une capacité de planification et de commandement permanente et crédible.

Pour ce qui est de l’Alliance atlantique, il faut aborder le sujet avec rigueur et pragmatisme. Le Livre blanc le rappelle : l’Alliance est aujourd’hui seule en mesure de mener des opérations militaires de grande envergure et d’assurer la sécurité de l’espace euro-atlantique. Sur les 27 États-membres de l’Union européenne, six seulement n’en font pas partie.

Le Président de la République a eu l’occasion d’expliquer la démarche française. Au regard des avancées de l’Europe de la défense, la France se montre ouverte, sous certaines conditions, à retrouver sa place dans le dispositif militaire de l’Alliance atlantique, à l’exclusion des questions nucléaires. Mais, comme il l’a aussi affirmé, la France garderait en toutes circonstances une liberté d’appréciation totale sur l’envoi de ses troupes en opération et ne placerait aucun contingent militaire sous commandement de l’OTAN en temps de paix.

Pour nous, une Europe de la défense renforcée va de pair avec une OTAN rénovée, plus souple, plus flexible, dont l’Union européenne puisse mobiliser les moyens militaires. Dans cet esprit, nous contribuerons à la rédaction d’un concept stratégique qui sera débattu lors du prochain sommet de l’OTAN, organisé conjointement par la France et l’Allemagne.

La France insiste aussi, avec son partenaire allemand, sur la nécessité de respecter la Russie.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre  Cette grande nation européenne, sortie de soixante-dix années de dictature communiste, s’est engagée, pas à pas, sur le chemin de la démocratie et contribue de façon constructive aux équilibres du monde (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

La contrainte budgétaire pèse sur les choix à venir, comme elle a pesé sur la détermination du format d’armée 2015. Il aura manqué 24 milliards d’euros de crédits d’équipement sur la période 1997-2007 pour réaliser les acquisitions et l’entretien initialement prévus. Dans le même temps, les effectifs du ministère n’ont pas diminué, alors même qu’étaient consentis des efforts financiers pour améliorer la condition militaire parallèlement à la professionnalisation.

Nous savons tous ce qui en a résulté : retards dans le renouvellement des matériels, allongement des phases de conception, de développement et de fabrication. Des matériels anciens, parfois à bout de souffle, restent en service, générant à leur tour un surcoût de maintenance – nos avions ravitailleurs accusent leurs 45 ans, tandis que nos blindés légers et nos hélicoptères Puma approchent trente ans. Leur remplacement simultané dépasse nos possibilités – et pour cause !

L’urgence, aujourd’hui, est aussi de respecter notre objectif d’équilibre budgétaire à l’horizon 2012. Pour y parvenir, la progression des dépenses de l’ensemble des administrations publiques doit être plafonnée à 1,1 % par an. Compte tenu de l’augmentation tendancielle des pensions et de la dette, cela signifie une stabilisation en valeur de toutes les autres dépenses de l’État, sans compensation de l’inflation.

Le ministère de la défense contribuera naturellement à cet effort considérable, par le biais de réductions d’effectifs significatives. Les réformes à venir, y compris celles qu’induira la RGPP, se traduiront par une diminution de 54 000 hommes. D’ici six à sept ans, le format global des forces armées, civils et militaires compris, sera de 225 000 hommes, dont 131 000 dans l’armée de terre, 50 000 dans l’armée de l’air et 44 000 dans la marine.

Pour autant, nous ne sacrifierons pas notre outil militaire à des impératifs financiers. Nous n’hypothéquerons pas notre sécurité de long terme à seule fin de franchir un cap budgétaire. Le Livre blanc, loin de consacrer une politique de renoncement, pose au contraire les bases de la seule politique durable, réaliste à la fois sur le plan militaire et sur le plan économique.

Ainsi, la France continuera de consacrer à sa défense un effort financier majeur, cohérent avec les choix retenus pour ses capacités.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Bien moindre que la Grande-Bretagne !

M. François Fillon, Premier ministre  La loi de programmation militaire 2009-2014, qui vous sera prochainement soumise, attestera de cette volonté de donner à la France l’outil militaire rénové conforme à ses besoins.

Les crédits de défense ne diminueront pas. Jusqu’en 2012, ils augmenteront à hauteur de l’inflation. À partir de 2012, ils progresseront de 1 % en volume par an, c’est-à-dire un point au-dessus de l’inflation. D’ici à 2020, l’effort total consenti pour la défense représentera 377 milliards d’euros.

Cet effort sera rendu possible au premier chef par les marges de manœuvre budgétaires dégagées grâce à la réduction des effectifs. Aujourd’hui, administration et soutiens accaparent 60 % de nos moyens en personnels, contre 40 % pour les forces opérationnelles. Notre objectif est d’inverser le ratio, comme en Grande-Bretagne.

D’autres marges naîtront de la restructuration de nos capacités de soutien, aujourd’hui éclatées et dispersées. La nouvelle organisation reposera sur 90 bases de défense, réparties dans 400 communes, et qui pourront mutualiser leurs moyens de soutien au profit de 2 800 personnes par base en moyenne.

Cette réorganisation se traduira par un certain nombre de fermetures ou de transferts d’unités militaires. Ces mesures seront complétées d’un large dispositif d’accompagnement social au profit des personnels civils et militaires concernés par ces transferts et d’accompagnement territorial avec pour objectif principal la création de nouveaux emplois. Les communes les plus touchées bénéficieront d’un accompagnement personnalisé. Des contrats de site ou des conventions d’aménagement leur seront proposés. Un dispositif de soutien au financement des communes dont le budget serait fortement déséquilibré du fait de ces mesures est également prévu. 320 millions d’euros de subventions d’investissements y seront consacrés.

Les marges ainsi dégagées seront intégralement réinvesties au profit de la condition du personnel, et surtout du budget d’équipement, qui passera de 15,5 milliards d’euros en 2008 à 18 milliards d’euros par an en moyenne sur la période 2009-2020.

Cela maintiendra la France dans le peloton de tête des pays européens, avec le Royaume-Uni.

Il faut peu de temps pour réviser une stratégie. Il faut une ou deux décennies pour concevoir et fabriquer un armement. Mais la qualité morale et professionnelle de nos forces armées vient de très loin. Il faut des siècles d’Histoire et de traditions pour créer un état d’esprit, une cohésion, une abnégation aussi remarquables que ceux dont nos armées, parmi les meilleures au monde, font preuve.

Je tiens ici, devant vous et avec vous, à rendre hommage au courage de ces hommes et de ces femmes qui frôlent quotidiennement la mort, loin de leurs familles et de leurs foyers (Applaudissements sur tous les bancs). Des valeurs et des idéaux motivent leur engagement. Nous avons des devoirs à leur égard.

La France ne baisse pas la garde car la paix n’est jamais acquise. Notre indépendance n’est pas négociable, et la liberté n’est pas dissociable du fil de l’épée. Notre sécurité exige notre vigilance. Ce livre blanc éclaire précisément notre responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Philippe Folliot – Nous sommes réunis ici pour débattre des orientations de la France en matière de défense pour les deux décennies à venir. Pour nous, centristes, certains sujets doivent transcender les clivages politiques et la défense est l’un de ceux-là. Le consensus autour des questions de défense est au cœur même du pacte républicain.

Je suis heureux et honoré de m’exprimer dans ce débat au nom du groupe Nouveau centre et apparentés. Je tiens à féliciter tous ceux qui ont participé à l’élaboration du Livre blanc. Avoir associé à sa rédaction militaires, experts de la société civile et personnalités qualifiées témoigne d’une démarche intelligente et d’un réel souci de démocratie, qui ont permis d’aboutir à un document d’une très grande qualité. Je salue aussi la pédagogie dont vous avez fait preuve, Monsieur le ministre de la défense, ainsi que la qualité de l’information donnée aux parlementaires grâce à une collaboration étroite et permanente avec notre commission de la défense.

Avant d’entrer au cœur du débat, permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, basé à Castres, qui, dans quelques jours, va partir en Afghanistan pour l’une des missions les plus délicates et les plus dangereuses que nos armées ont eu à mener depuis bien des années. Je connais mieux que quiconque le professionnalisme, l’engagement, la loyauté des volontaires du 8e RPIMA, emblématiques des valeurs qui animent nos militaires. J’en profite pour rendre hommage à tous nos militaires qui accomplissent des tâches difficiles, au péril de leur vie, tant sur le territoire national qu’à l’autre bout du monde, pour assurer notre défense et notre sécurité.

M. François Sauvadet – Très bien !

M. Philippe Folliot – L’élaboration de ce Livre blanc a été une formidable occasion pour nous de prendre du recul et de réfléchir à l’état du monde ainsi qu’à la place de notre pays dans celui-ci.

Le constat, nous le partageons tous.

Depuis la parution en 1994 du dernier Livre blanc, qui tirait les conséquences de l’effondrement du bloc soviétique, le monde a changé et les menaces ont évolué sous l’effet de la mondialisation.

Dans le monde bipolaire né de la guerre froide, l’équilibre de la terreur, la connaissance exacte des revendications et des moyens d’attaque permettaient une lecture simple des relations internationales.

Depuis les attentats du 11 septembre, la multiplication des groupuscules terroristes, la nouveauté et la diversité des moyens – souvent des technologies de pointe – la disparition des frontières et la composition d’alliances de circonstance brouillent cette lecture.

Les menaces surgissent désormais n’importe où et l’hyperpuissance américaine est remise en cause d’un bout à l’autre de la planète. Les conflits, souvent inspirés par les fanatismes religieux, prennent un nouveau visage.

Dans ce monde rendu plus instable par des menaces diffuses – cybercriminalité, pandémies liées à une guerre bactériologique, insécurité des approvisionnements en eau, en énergie ou en matières premières, problèmes liés au réchauffement climatique – il serrait dangereux de se voiler la face.

Récemment, l’Estonie a été la victime d’une cyberattaque. Comme l’a rappelé le Président de la République, nous devons nous donner les moyens de nous prémunir contre ces agressions informatiques menées par des groupes mafieux ou terroristes ou par des officines plus ou moins liées à des États.

La réforme est vitale, d’autant que la France est membre du conseil permanent de l’ONU et que notre présence sur tous les continents ainsi que notre passé nous donnent vocation à défendre la paix dans le monde.

M. Jacques Myard – Excellent, pour un centriste (Sourires) !

M. Philippe Folliot – Pour faire face à cette nouvelle donne, le Livre blanc, tout en les distinguant, place la défense et la sécurité intérieure sur un pied d’égalité et les inclut dans la nouvelle stratégie de sécurité nationale. Si la France a connu la paix sur son territoire métropolitain depuis plus d’un demi-siècle, sécurités intérieure et extérieure ne sont plus dissociables. Mais pour que cette stratégie soit pleinement efficace, il faudra veiller à encadrer précisément la définition de la sécurité intérieure.

Le Livre blanc modifie l’équilibre des grandes fonctions stratégiques, en donnant une place nouvelle au renseignement : à la prévention, la dissuasion, la protection, et l’intervention, il faut désormais ajouter la réaction rapide, ce que le Livre blanc appelle la résilience et l’anticipation, qui s’appuiera sur une meilleure connaissance des zones d’opération, une plus grande maîtrise de l’information et le renforcement de la prospective.

Nous approuvons la redéfinition du contrat opérationnel. Il ne s’agit plus de masser 50 000 hommes aux frontières de l’Europe de l’Est ; désormais, la France doit être en mesure d’envoyer 30 000 militaires sur un axe allant de la Mauritanie à l’Afghanistan.

Faire de l’anticipation la grande orientation de notre doctrine militaire pour les quinze prochaines années marque à nos yeux une ambition nouvelle et réelle. À ce titre, les investissements annoncés dans le domaine spatial nous semblent utiles, et l’importance stratégique de Kourou ne doit pas être négligée.

M. Le Guen remplace M. Accoyer au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Marie LE GUEN
vice-président

D’aucuns reprochent au Livre blanc d’être guidé par le seul objectif de réduction budgétaire. C’est une vision peu réaliste. Il faut certes reconnaître que les problèmes budgétaires ne font que commencer, mais l’application de la fameuse « règle d’or », que nous défendons depuis longtemps, devrait les rendre moins pesants. Il est en effet inacceptable que la charge des intérêts de la dette excède le budget de la défense.

Il doit bien y avoir continuum entre le Livre blanc, la révision générale des politiques publiques et, demain, la loi de programmation militaire. L’efficacité de notre défense ne tient pas qu’à l’importance des effectifs, mais aussi à la motivation des militaires et aux équipements – trop souvent obsolètes comme le faisait remarquer le Premier ministre.

Comme dans d’autres domaines du budget de l’État, une meilleure gestion de la défense est nécessaire. Pour autant, il ne faut pas demander aux militaires plus qu’aux autres composantes de la société civile car l’armée a déjà beaucoup donné au moment de la professionnalisation.

Espérons que les 54 000 suppressions de postes n’affecteront pas les capacités opérationnelles de nos forces. Le Président de la République et le ministre ont donné des garanties : le budget actuel sera maintenu et même augmenté lorsque la situation financière aura été redressée, à l’horizon 2012.

Les économies réalisées grâce à la baisse des effectifs et à la vente d’actifs immobiliers seront réinjectées dans le matériel, l’entraînement et la condition de vie militaire. Je soutiens cette excellente orientation.

M. Hervé Morin, ministre de la défense Très bien !

M. Philippe Folliot – Il faut donner une nouvelle dynamique à un système militaire à bout de souffle.

Le format des armées et leurs objectifs ont été trop souvent fixés en fonction de programmes d’armement réalisés alors qu’ils étaient déjà stratégiquement dépassés. J’en veux pour preuve le choix des chars Leclerc, qui a provoqué des difficultés budgétaires et une impasse stratégique et capacitaire. Il y aurait lieu de s’interroger aussi sur la pertinence – ou du moins l’ampleur – de certains échelons intermédiaires.

La réorganisation des armées, qui devra aller vers un pouvoir accru du chef d’État major des armées, impliquera de donner la priorité en matière d’investissements à certains programmes. Ainsi, la construction d’un deuxième porte-avions ne devrait pas se faire au détriment d’autres programmes, notamment ceux qui concernent notre capacité de projection.

M. François Lamy – Rassurez-vous, c’est fini !

M. Philippe Folliot – La réforme de la carte militaire poursuit un objectif de rationalisation. Mais il faut du courage – comme dans le domaine judiciaire ou scolaire – pour s’attaquer à une telle montagne et remettre à plat l’organisation de l’Armée sur notre sol. Je salue volontiers le vôtre, Monsieur le ministre.

L’aménagement du territoire doit être un objectif, mais il ne doit pas prendre le pas sur la cohérence organisationnelle et opérationnelle. À ce titre, nous nous félicitons de la réflexion sur l’impact de la disparition de régiments ou de brigades sur la vie de certaines villes ou départements et de la concertation souhaitée par M. le ministre.

Je tiens aussi à vous féliciter des mesures d’accompagnement que vous avez annoncées. Les mesures d’accompagnement immobilières, le triplement du fonds de restructuration de la Défense, le fléchage du fonds d’aménagement du territoire, les contrats de site, la mobilisation interministérielle, les mesures d’accompagnement social, et enfin votre implication personnelle auprès des acteurs économiques plus particulièrement les groupes du CAC 40 sont autant de gages de la réussite de cette reconversion (protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Je peux témoigner, comme élu du Tarn, que la disparition, voici une quinzaine d’années, du 7e RCPS à Albi a finalement été bien compensée par ce type de mesures.

Cette réorganisation doit se faire avec, pour seul objectif, le caractère opérationnel de nos forces. La compagnie doit demeurer la cellule de base de nos régiments ; un nombre minimal de compagnies de combat plus important qu’aujourd’hui est-il nécessaire pour que la structure d’accueil qu’est le régiment soit efficace ? Je le crois. Ces éléments de densification pourront sans doute se conjuguer à plusieurs niveaux ; il sera nécessaire, dans un premier temps, de redensifier quelques régiments, avec pour objectif essentiel la capacité de projection de l’infanterie. Les menaces actuelles font de celles-ci un enjeu majeur, et nous nous félicitons du fait que le Livre blanc fasse du caractère opérationnel de nos forces son principal objectif. Renverser le ratio 60/40 – forces de soutien sur forces opérationnelles – est un but ambitieux et courageux, condition essentielle de l’efficacité et de la grandeur de notre armée.

Grandeur, disais-je : notre débat doit aussi porter sur la nécessité et l’intérêt pour la France de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN. Le Président de la République, tout en repoussant la décision à 2009, a relancé ce débat : le Nouveau Centre s’en félicite ; nous estimons qu’une réflexion approfondie est nécessaire. Une discussion contradictoire est engagée dans chacun des groupes (Murmures sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) ; à titre personnel, en tant que gaulliste, je suis réservé sur cette perspective. Je crois que nous devons nous interroger sur le rapport coût/avantage, c’est-à-dire estimer à la fois le coût politique et le gain opérationnel possible.

M. Jacques Myard – Il est nul !

M. Philippe Folliot – Pour le Nouveau Centre, toutefois, la question la plus urgente est de jeter les bases d’une Europe de la Défense efficace.

Alors que les pays européens multiplient les communiqués de victoire pour donner l’impression que la Défense européenne est construite, il n’en est rien, et chacun continue à mener tant bien que mal sa propre défense. Alors qu’elle mobilise des moyens élevés – environ 75 % des dépenses américaines – la capacité militaire de l’Europe reste largement inférieure à celle des États-Unis. Les pays européens conjuguent donc la dispersion des financements et des stratégies avec l’impuissance des moyens. L’Europe de la défense passera, selon nous, par une véritable coopération entre les armées nationales et une plus grande mutualisation des forces – bien entendu, nos armées devront rester nationales. Procédons de manière ciblée, souple, thématique, tout en dialoguant sur des schémas d’organisation et des éléments d’expérience. N’oublions pas que c’est aussi grâce à une défense européenne cohérente et efficace que l’Europe sera respectée partout dans le monde.

C’est aussi dans le cadre européen qu’il faut envisager l’élaboration d’une stratégie commune en matière d’industrie de la défense. Nos entreprises ont beaucoup à offrir et nous devons en faire un avantage sur nos concurrents ; les emplois à la clé sont nombreux. Je me réjouis donc de la mise en place annoncée d’un marché européen de l’armement. Le budget de la défense a-t-il pour vocation de subventionner un secteur industriel militaire moribond – comme en témoigne l’interminable drame social de Giat Industries ou, dans un autre registre, une certaine gabegie à la DCN ?

M. Bernard Cazeneuve – C’est scandaleux de dire des choses pareilles !

M. Philippe Folliot – …Évidemment non ! Il faut sortir d’une vision étatisée de l’industrie militaire pour encourager les transferts de technologies et de moyens du militaire au civil. Dans le domaine de la recherche et de l’innovation militaire, les PME ne peuvent accéder aux grands marchés publics. Le modèle de la recherche duale doit inspirer notre stratégie d’équipement, pour diffuser la croissance au plus près du tissu économique régional. Le cloisonnement à la française a fait son temps, et là encore l’Europe peut montrer la voie à suivre sur des grands partenariats transversaux public-privé.

Il faut aussi soutenir les plus petites de nos entreprises, en leur permettant de participer à la recherche et au développement des armées et en les aidant à relever les défis posés par la concurrence féroce sur les technologies de pointe. Le Livre blanc évoque l’idée de leur ouvrir davantage les marchés de défense et d’encourager les associations des grands groupes avec les petites entreprises : c’est un chemin qu’il faut absolument emprunter.

Nous comptons sur votre implication, Monsieur le Ministre de la Défense, pour que, comme vous nous l’avez indiqué hier, la Présidence française de l’Union européenne soit l’occasion d’avancées significatives : seraient ainsi bienvenues une réflexion commune sur les menaces et les risques et sur les capacités opérationnelles à mettre en œuvre, une formation commune des militaires sur le modèle du programme ERASMUS, le développement de capacités communes en matière d’observation satellitaire, ou en partie communes concernant le programme A400M, par exemple, ou encore la mise en place d’un plan d’évacuation des ressortissants européens en cas de crise.

Un bémol cependant : l’arme nucléaire est, et doit rester, une prérogative nationale. Cette indépendance totale que nous devons au Général de Gaulle est notre différence. Bien que les choses aient beaucoup changé depuis l’élaboration de cette doctrine, bien que certains intérêts vitaux de notre pays soient devenus européens, il est à nos yeux nécessaire d’affirmer ici continuité et indépendance.

Un autre sujet me tient à cœur, à la fois en tant que centriste et en tant que parlementaire : le rôle du Parlement. Un renforcement des pouvoirs du Président de la République est prévu, notamment par la création d’un Conseil de défense et de sécurité nationale mais également d’un coordonnateur national du renseignement et d’un Conseil national du renseignement. Nous soutenons cette orientation visant à regrouper, sur le site de Balard, tous les centres décisionnaires en matière militaire. Outre les économies réalisées, nous y voyons un gage d’efficacité.

La défense est l’une des fonctions régaliennes du chef de l’État, la Constitution l’établit ; et il me semble aussi logique qu’ efficace que celui qui parle avec les grands de ce monde détienne les pouvoirs dans ce domaine, et prenne les décisions qui engagent la France. Le Premier Ministre, garant de la cohérence de l’action gouvernementale, a tout à fait sa place dans cette nouvelle organisation des pouvoirs publics. Mais – et ce n’est pas contradictoire – l’armée doit avoir un lien privilégié avec la nation qu’elle défend. Ce lien passe par les représentants de la nation, donc par le Parlement : le rôle de celui-ci, aujourd’hui secondaire, n’est pas acceptable. Son contrôle effectué a posteriori est tardif et limité. Sans tomber dans l’excès inverse d’une autorisation parlementaire préalable à toute action, nous sommes plutôt partisans d’une solution médiane, celle d’une information donnée au Parlement dans un laps de temps court, comme nous l’avons proposé lors des débats sur le projet de réforme constitutionnelle.

Nous sommes très attachés à cette question du lien privilégié entre la nation et l’armée, gage de l’adhésion de la population aux grandes orientations prises et aux actions menées. 90 % des Français font confiance à leur armée. Le Président a bien compris l’importance du renforcement de ces liens : sa nouvelle stratégie, qui englobe défense et sécurité nationale, montre aux Français qu’il ne s’agit pas là de notions abstraites ou lointaines, et que si notre pays vit dans la paix depuis plus d’un demi-siècle, c’est notamment grâce à l’effort que nous avons consenti pour que notre défense soit à la hauteur des enjeux et des perspectives.

Pour renforcer ce lien, nous devons aussi nous appuyer sur notre jeunesse. Avec l’abandon de la conscription, ce lien, autrefois plus facile, s’est modifié : il a trouvé une autre traduction dans la journée d’appel et de préparation à la Défense, d’ailleurs plus universelle, avec la présence des jeunes filles – ce dont on ne peut que se féliciter. Nous devons ensuite nous appuyer sur les réservistes : il est important – pour eux-mêmes, pour leur milieu professionnel et pour nos forces armées – que certains citoyens puissent consacrer une part de leur temps à l’armée. Nous devons encore nous appuyer sur les associations d’anciens combattants. La République doit se souvenir, et être reconnaissante à l’égard de ses enfants qui ont servi ou combattu au péril de leur vie, et qui ont perdu nombre de leurs camarades, tués ou blessés au champ d’honneur.

Un mot enfin sur la gendarmerie qui est, pour moi, un maillon de ce lien, étant donné son rôle dans l’aménagement du territoire. Je redis mon attachement à son caractère militaire : une démocratie doit en effet disposer de deux forces de police distinctes ; le caractère militaire de la gendarmerie assure en outre sa présence sur l’ensemble du territoire. Il faut peut-être repenser l’action et le rôle de la gendarmerie, notamment dans la Défense Opérationnelle du Territoire. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion prochaine d’une loi-cadre. Le Livre blanc reconnaît la continuité du rôle de la gendarmerie avec celui, essentiel, de la Sécurité civile et de la police en cas de crise grave sur le territoire national – qu’il s’agisse de pandémies, d’attaques terroristes, ou autres : votre présence, Madame la Ministre de l’Intérieur, marque toute l’importance de ce sujet.

La souveraineté de la France, et sa capacité à jouer un rôle universel, dépendent donc largement de sa capacité à conduire une politique militaire efficace et concrète, et à traduire les mots en actes. Nous avons connu ces dernières années des événements marquants, au cours desquels la France n’a pas toujours eu les moyens de ses ambitions. Retrouver cette souveraineté et cette audience, c’est prendre des décisions politiques courageuses – comme sur l’Afghanistan ; c’est construire des outils techniques performants, comme nous commençons à le faire dans le domaine du renseignement. Mais c’est aussi agir en visionnaire et en bâtisseur. Tous les grands chefs d’État ont marqué leur temps en tant que chef des armées. Je pense bien sûr au Général de Gaulle avec la décision de quitter l’OTAN et de construire notre outil de dissuasion. Je pense aussi à Jacques Chirac qui a effectué la transition nécessaire vers une armée de métier en mettant fin à la conscription. Espérons qu’avec ce Livre blanc, suivi de la RGPP Défense et de la loi de programmation militaire, nous remettrons la défense à la hauteur des légitimes responsabilités et ambitions de notre pays dans le concert des Nations (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Michel Voisin – Le 17 juin dernier – j’aurais, comme d’autres, préféré le 18 – le Président de la République a présenté les conclusions du Livre blanc de la Défense et de la Sécurité nationale, fruit d’un travail de près d’un an effectué par la commission dirigée par M. Jean-Claude Mallet. Cet exercice était nécessaire : le dernier Livre blanc datait de 1994 et, depuis cette date, nos armées ont été confrontées à des événements majeurs dont il était nécessaire de prendre la mesure : la professionnalisation a été mise en place, à partir de 1995 ; les menaces et les sources de conflits se sont multipliées partout dans le monde : on pense au terrorisme, aux conflits interreligieux, aux conflits ethniques, aux conflits sur les matières premières, etc. ; dans le même temps, nos équipements ont vieilli et les contraintes budgétaires sont devenues plus fortes. C’est à partir des options définies dans ce Livre blanc que va s’organiser notre appareil de défense durant les prochaines années.

Je souscris totalement à la volonté affichée par le Président de la République de maintenir le rôle de grande puissance diplomatique et militaire de notre pays. C’est en effet un des atouts essentiels de notre pays que de pouvoir compter sur des forces armées efficaces, bien formées et bien équipées. Le Livre blanc de 2008 garantit les grandes options stratégiques de notre défense, et pour m’être particulièrement intéressé au précédent, j’y retrouve un nombre important de priorités essentielles de notre doctrine de défense.

Il y a tout d’abord le maintien d’une dissuasion nucléaire dont l’indépendance ne sera pas remise en cause par notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN. Il y a ensuite le maintien, voire le renforcement, de notre capacité de prévention des conflits : pré-positionnement de nos troupes, accords de défense... Il y a enfin la volonté de maintenir intacte une capacité d’intervention extérieure importante, qui doit nous permettre de projeter jusqu’à 30 000 hommes sur un théâtre d’opérations. Rapportée aux 50 000 hommes prévus en 1994, cette capacité a certes été réduite, mais elle correspond au scénario le plus plausible actuellement, puisque nous n’avons jamais projeté plus de 30 000 hommes depuis la crise de Suez en 1956.

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Même à Suez, nous n’avons envoyé que 26 000 soldats.

M. Michel Voisin – Le Livre blanc de 2008 insiste sur deux aspects qui me paraissent novateurs. Tout d’abord, la connaissance et l’anticipation sont élevées au niveau de priorité stratégique. Eu égard à la multiplicité des menaces potentielles, l’information est un domaine clé. En termes financiers, 760 millions seront alloués au militaire spatial, ce qui représente un doublement des crédits d’ici à 2020, afin d’améliorer notre capacité de renseignement et préparer au mieux nos interventions sur le terrain, mais aussi anticiper les attaques terroristes.

Le Livre blanc insiste ensuite sur la protection de la population et du territoire. Cela peut paraître étrange d’y voir un aspect novateur ; n’est-ce pas le rôle premier de nos armées ? Celles-ci ont à de nombreuses reprises été des armées de conquêtes et d’expansion, mais elles ont aussi été des armées défensives, sur le front de l’est. Peut-être pour la première fois depuis que la France est France, nous ne nous sentons plus menacés sur cette frontière. Cette réalité de l’histoire affecte les villes de garnison de ces régions, touchées par les restructurations militaires.

Le Livre blanc insiste sur le rôle majeur de nos forces armées en cas d’attentats terroristes, de pandémies majeures, mais aussi d’attaques informatiques. Ces différents aspects font désormais partie d’une stratégie globale de sécurité, et la coordination entre services publics doit donc être améliorée, en vue d’assurer la continuité de l’État.

Au-delà des annonces budgétaires, des priorités programmatiques, de notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN, de notre volonté de renforcer l’Europe de la défense, je souhaiterais parler de ces milliers d’hommes et de femmes qui composent nos armées et participent à notre défense nationale. Au nom du groupe UMP, je souhaite les assurer de notre soutien et de notre confiance. Depuis quelques jours, j’entends parler de stratégie, de programmes, de RGPP, de fermetures, de l’OTAN, du Ponant, de l’Afghanistan..., mais il ne faut pas oublier ceux qui font notre armée, et à qui nous devons de bons équipements et une bonne formation. C’est pour cette raison que nous engageons une réforme majeure de nos armées.

J’entends et, à vrai dire, je comprends les craintes, car l’armée ne peut se passer de sa composante humaine. Les satellites sont certes importants, mais gardons-nous de penser que le « tout technologique » est la solution miracle. Le développement des satellites ne résoudra pas le problème de nos matériels déficients, obsolescents, et nous ne devons pas accréditer l’idée, surtout en ces temps difficiles pour les hommes – 54 000 suppressions de poste en sept ans –, que ces nouvelles priorités stratégiques se feront aux dépens des militaires. Je ne crois pas que « Robocop » soit la solution idéale ; nos hommes doivent être protégés et bien équipés, et ils doivent surtout avoir la confiance des gouvernants et de la population.

Le Président de la République, lors de la présentation du Livre blanc, s’est engagé à ce que le budget de la défense soit maintenu, et qu’il progresse même à compter de 2012. Chaque euro économisé sera reversé au budget de la défense. Nous serons extrêmement vigilants à ce que cet engagement soit tenu. Je m’inscris en faux contre le discours qui consiste à dire que la défense coûte cher, pour un résultat que nous ne percevons pas. C’est une erreur majeure, à l’heure où les budgets militaires augmentent un peu partout.

La réforme que nous engageons est nécessaire compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur notre pays. Beaucoup de choses peuvent être améliorées ; je pense, entre autres, à la mutualisation des contrats de fonctionnement. Je tiens à le dire solennellement : nous ne devons pas décevoir nos forces armées. Ce Livre blanc est une nouvelle étape, que doit accompagner la modernisation de notre outil militaire.

Enfin, j’évoquerai deux points qui me sont chers. Les gendarmes s’interrogent. La gendarmerie, en raison de son abnégation, de son dévouement et des missions qui sont les siennes, doit rester militaire (Applaudissements sur les bancs du groupe NC).

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Très bien !

M. Michel Voisin – Ensuite, au cours de la précédente législature, une mission avait été confiée à notre collègue Pierre Lasbordes, concernant l’Agence nationale de la sécurité informatique. Ses travaux ont été pris en considération dans le Livre blanc, et je me devais de le signaler.

Parce ce que nous avons confiance en nos armées, parce qu’en les réformant et en les dotant d’un nouveau cadre stratégique, nous leur accorderons des moyens plus efficaces pour défendre la France et maintenir notre rang de grande puissance, le groupe UMP soutiendra avec conviction votre réforme, et veillera au respect des engagements pris (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Patricia Adam – Durant la campagne présidentielle, les deux candidats du second tour s’étaient engagés à produire un nouveau Livre blanc de la défense. La mutation des équilibres géostratégiques depuis 1994 le justifiait. Je sais que de nombreux militaires et civils nous écoutent, et je veux les assurer à mon tour de notre soutien et de notre considération.

Vous nous proposez de réactualiser le Livre blanc à chaque loi de programmation militaire. Nous approuvons ce choix, plutôt que d’avoir un ouvrage encyclopédique sur quinze ans, mais nous ne pouvons admettre que le Parlement, seulement consulté, ne soit pas pleinement associé.

Si nous avons des points d’accord, je me limiterai cependant, en raison du temps qui m’est imparti, à nos différences. Tout d’abord, il faut tirer les conséquences de la politique de défense menée entre 2002 et 2007. Lors des discussions budgétaires, nous avons rappelé que la réalité de ce budget figurait, non dans la loi de finances initiale, mais dans la loi de règlement, peu relayée dans les médias et donc peu connue du grand public. Nous avons également rappelé qu’en dépit d’une hausse réelle des crédits sous la douzième législature,…

M. Hervé Morin, ministre de la défense  C’est clair !

Mme Patricia Adam – …la capacité de nos forces ne s’est que très marginalement améliorée, et s’est même dégradée dans certains secteurs, en raison de la dispersion des moyens. Enfin, un « jeu » de cavaliers budgétaires a conduit à repousser les problèmes au-delà de la législature, avec une pression croissante sur les effectifs, comme l’a courageusement souligné le général Thorette, en 2005.

Aujourd’hui, votre majorité reconnaît le déficit des crédits d’investissement que nous avons régulièrement dénoncé. Et vous prônez des mesures radicales ! À l’ajournement continuel semble donc avoir succédé la lucidité ; nous ne pourrons cependant juger de la réalité de cette conversion qu’à l’épreuve du temps.

Rappelons-nous qu’il avait été dit dans cet hémicycle qu’un modèle non finançable ne serait pas financé ! Peut-être même avez-vous appris des députés socialistes le terme de « bosse » – aujourd’hui remplacé par celui de « mur » budgétaire – pour désigner la situation inextricable laissée par les engagements non financés de votre majorité ! Cohérence oblige, vous vous rangez à ce constat : à budget constant, le modèle doit être révisé à la baisse. Il eût été plus responsable d’afficher la vérité des chiffres en assumant une baisse du contrat opérationnel, plutôt que de tailler dans les effectifs en sous-recrutant. Car un second mur nous attend : celui d’une RGPP non préparée, non concertée et non financée.

Quant à la commission du Livre blanc, quel fossé entre le discours et la pratique ! Nous ne pouvions qu’approuver la création de cette commission et sa composition. Malheureusement, le Président de la République n’a cessé d’intervenir dans son fonctionnement pour peser, biaiser, et imposer ses choix. Quelle rupture, en effet ! Une rupture décomplexée et assumée. J’ai démissionné de cette commission ; la liste des avanies était trop longue. Nous avons même, au fil du temps, acquis la certitude qu’elle se verrait priée d’endosser la paternité de décisions qui ne lui appartenaient pas.

De même, la conception très variable de la confidentialité des travaux en cours, les fuites organisées au plus haut niveau de l’État vers la presse, avaient tout d’une opération de guerre psychologique : d’abord peser sur les débats de la commission, puis préparer nos concitoyens aux annonces – et on en arrive à cautionner la fuite de documents de travail classifiés au profit de la presse : la discipline intellectuelle ne s’applique qu’aux autres !

C’est donc par la presse que les commissaires ont appris que les états-majors seraient regroupés dans un « Pentagone à la française », que le statut de la DGA serait modifié, qu’une base interarmées serait créée à Abou Dhabi ou que l’intervention française en Afghanistan changerait de nature, alors que la demande du groupe socialiste de créer une mission d’information avait été repoussée.

De même, c’est depuis Cherbourg que le Président de la République a annoncé qu’un des trois escadrons de Mirage 2000-N ne serait pas remplacé.

Je ne poursuis pas l’inventaire : il est accablant.

Voyez enfin le signal que vous donnez : une déclaration, un débat, puis plus rien. Le Livre blanc ne changera pas : il est déjà écrit. En despote éclairé, comme l’écrit un grand quotidien régional, le Président de la République décide seul.

J’en viens au fond.

L’analyse des menaces fonde largement la stratégie. Nous avons là des points de désaccord. Le rôle d’un Livre blanc est de recenser les menaces, mais aussi d’en expliquer les causes. Or si le Proche-Orient est bien identifié comme étant au centre d’un arc de crise majeure, à aucun moment il n’est affirmé que la défense ne doit intervenir qu’au service de la diplomatie. Aucune analyse des moyens de renforcer le rôle politique de l’Union européenne dans la gestion des crises n’est proposée. Or la sécurité internationale n’est pas le droit du plus fort, mais la force du droit.

M. Serge Grouard – On l’a entendu dans les années 1930 : quel désastre à l’arrivée !

Mme Patricia Adam – Le terrorisme est vu comme une menace fantasmagorique, alors qu’il est aussi une forme de combat politique inhérente à la mondialisation. Est ainsi présentée comme une hypothèse crédible « une attaque terroriste majeure sur le territoire européen, de type nucléaire, chimique ou biologique, couplée à une situation de guerre dans l’une des zones d’intérêts stratégiques pour l’Europe ». Nous sommes là dans une forme de paranoïa dont découle une vision manichéenne du monde, avec des démocraties occidentales véhiculant « le bien » contre un monde que l’on n’essaye pas de comprendre qui représenterait « le mal ».

Conséquence ou cause de cette analyse, la responsabilité des États-Unis dans le chaos proche-oriental n’est jamais évoquée. Le Livre blanc se garde bien de rappeler qu’en 2003, le Président Chirac et cette Assemblée avaient eu raison de ne pas impliquer la France dans le conflit irakien.

La cohérence du Livre blanc s’est forgée autour des contraintes budgétaires. On en profite pour abolir la frontière entre défense et sécurité intérieure et justifier une politique sécuritaire qui laisse pourtant sceptiques militaires, policiers et sauveteurs de la sécurité civile, que le Président de la République a réunis la semaine dernière.

Derrière les enjeux de sécurité et la globalisation de la menace se cache une volonté du Président de justifier l’extension ad libitum de ses pouvoirs et de son domaine réservé en se construisant un bunker institutionnel. Ce projet ne peut être légitimé par les miettes laissées aux assemblées. Nous y sommes radicalement opposés.

Le vrai danger est que des structures parallèles qui ne disent pas leur nom se constituent aujourd’hui à l’Élysée. Le coordinateur du renseignement et le SGDN passent sous cette coupe, sans le moindre contrôle du Gouvernement et du Parlement sur leur action.

Quant à la réforme des armées, elle sera l’une des conséquences du Livre Blanc, même si, par un curieux hasard, la RGPP a avancé plus vite que la commission. Sans nier l’utilité d’une réorganisation de l’outil de défense, il est clair que la stratégie a été adaptée aux moyens. La création d’une nouvelle fonction centrée sur l’acquisition et la valorisation du renseignement n’a d’autre objectif que de dissimuler l’abandon des moyens d’action extérieure. Les militaires l’ont bien compris. Souvenons-nous que les États-Unis n’avaient pas su prévoir l’invasion du Koweït, ni la Grande-Bretagne l’occupation des Malouines. Nous préférons le renouvellement et la valorisation des matériels organiques pour la protection des combattants. Car à l’heure de l’action, ce sont nos forces qui engagent leur vie au combat.

En ce qui concerne les équipements et les conséquences sociales, la situation oblige à revoir les commandes à la baisse. Vous nous proposez une diminution homothétique du modèle 2015. La dispersion des crédits d’équipement se poursuivra au profit de programmes satellitaires ou de défense antimissile. Le personnel paiera l’impéritie passée…

M. Dominique Perben – L’impéritie de qui ?

Mme Patricia Adam – …et ne peut croire à la plaisanterie d’une diminution drastique des effectifs qui profiterait aux crédits d’équipement et aux chanceux dont l’emploi sera sauvé.

Je vous poserai en conclusion une question sur l’OTAN. Que s’est-il passé dans le monde depuis février 2007, quand Mme Alliot-Marie déclarait au Sénat : « sur le plan politique, le statut singulier de notre pays au sein de l’Alliance lui permet en revanche de faire entendre sa voix et d’être écouté » ? Votre réponse ne manquera pas de nous éclairer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Paul Lecoq – L’intitulé de ce rapport est bien étonnant lorsqu’on se réfère aux effets belliqueux que son application va produire : le blanc est en général associé à la paix !

Le Gouvernement et le chef de l’État donnent l’illusion d’un volontarisme intègre et réformateur, qui cache mal les intérêts économiques qu’il sert et les régressions politiques qu’il engendre. Derrière les arguments du renouvellement matériel et de la redéfinition stratégique de la défense et de la sécurité nationale se dissimule en effet une logique guerrière. Qu’on songe à la volonté du Président de la République de faire participer la France au commandement militaire intégré de l’OTAN, ou à son discours du 17 juin, dans lequel il a souhaité que la France soit « capable de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combat, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes » et « d’entrer en premier sur un théâtre d’opération, d’y assumer la responsabilité d’être nation-cadre ». N’y a-t-il pas là l’affirmation d’une volonté de domination du monde par les armes, à l’image de George Bush ?

Les députés communistes et républicains ne peuvent que s’indigner des choix faits. Notons d’abord que le déni de démocratie devient habituel de la part du Gouvernement, comme en témoigne la composition de la commission du Livre blanc : on n’a pas cru devoir y inviter des parlementaires communistes. Le pluralisme aurait risqué de contrer une volonté présidentielle déjà bien arrêtée. Quant aux parlementaires socialistes, ils ont abandonné la commission, percevant l’hypocrisie. Ne restaient donc que les parlementaires des groupes UMP. Quelle certitude pouvons-nous donc avoir qu’il ne s’agit pas d’une commission fantoche ?

Les voix pacifistes n’ont pas été entendues. Aucune des auditions de représentants de la société civile n’a permis de saisir les arguments des associations et des ONG de défense de la paix. Le Gouvernement n’établit-il donc aucune relation entre la défense et la paix ? Sa conception de la défense est-elle essentiellement offensive et guerrière ? Je le crains.

Les élus locaux n’ont pas été consultés sur les fermetures d’établissements militaires : ils ont été mis devant le fait accompli, alors que leurs territoires vont en subir les conséquences en termes d’emploi, de développement économique, de services publics ou de désertification. Certes, la politique de défense n’est pas une branche de la politique d’aménagement du territoire, comme aime à le dire le président Sarkozy. Reste que la disparition des structures de défense est préjudiciable à des milliers de personnes. Mais le Gouvernement a estimé que c’était accessoire. Il n’a proposé aucun plan de reconversion ou de compensation pour ces territoires ni aucune concertation préalable avec les acteurs locaux.

Mme Patricia Adam – Tout à fait.

M. Jean-Paul Lecoq – Les personnels militaires et civils de la défense n’ont pas davantage été consultés sur la suppression de près de 54 000 postes en 7 ans. Comme la réforme de la carte judiciaire, celle de la carte militaire fait fi des préoccupations des professionnels concernés. Les fédérations syndicales avaient pourtant adressé à Nicolas Sarkozy une lettre commune dans laquelle elles exprimaient leurs inquiétudes. Si le haut de la hiérarchie militaire a été entendu sur des considérations d’ordre technique et stratégique, les personnels civils et militaires, eux, ont été oubliés.

Les fédérations syndicales avaient noté que « les conséquences sociales et économiques pour l’emploi et les salariés du ministère de la défense, ceux des sociétés nationales que sont NEXTER, l’ancienne Direction des Constructions Navales et la Société Nationale des Poudres et Explosifs, ceux des entreprises sous-traitantes et les collectivités locales, seraient catastrophiques. » Un groupe anonyme d’officiers supérieurs et de généraux – dénommé SURCOUF – a été jusqu’à fustiger les décisions présidentielles.

J’en arrive à dénoncer le contenu même de ce Livre blanc.

La doctrine de défense du Gouvernement est inacceptable : militariste et atlantiste, elle rejette la nécessité d’une politique mondiale de paix, de coopération et de conciliation.

La guerre ne peut être considérée comme un moyen pour arriver à une fin. Ce n’est que l’ultime échec des rapports entre les peuples.

Le Livre blanc cède à la facilité de l’argument des économies budgétaires – en apparence du moins, car il reflète en fait votre conception conflictuelle des rapports entre les peuples.

L’argument comptable est avancé, mais pas pour de bonnes raisons. Nous consacrerons 377 milliards d’euros à notre armée d’ici à 2020, alors que tant d’autres priorités existent. Mais si une réduction budgétaire doit être opérée, c’est par l’anticipation et l’aménagement de dispositifs transitoires.

Cette coupe sombre dans les effectifs de la défense peut être rattachée à deux phénomènes inquiétants. Le premier est celui de la légalisation du mercenariat, dont l’encadrement juridique ne leurre personne. On fait de la guerre et de la mort un marché lucratif, on ouvre la brèche à la barbarie. Après tant d’efforts consacrés à la pacification des relations internationales et à la protection des droits de l’Homme, c’est inacceptable. On s’oriente vers une déresponsabilisation des États, alors que des décennies de luttes ont été nécessaires pour leur faire appliquer un régime de responsabilité et les sanctionner. On bafoue les instruments juridiques pacificateurs – Charte des Nations Unies, droit international de la guerre, conventions de Genève. C’est le règne de l’arbitraire qu’on nous promet !

Pire, on s’attaque à l’un des pouvoirs régaliens de l’État : le droit de disposer de la violence légitime. En confiant cette aptitude à intervenir dans les conflits armés à des entreprises privées, nous sapons les bases de la souveraineté du peuple et de la démocratie. Nos valeurs républicaines de respect des hommes, de liberté et d’égalité seront donc bafouées. Ce sont les lobbies industriels qui imposeront un ordre mondial, avec le risque que la France passe sous domination étrangère lorsque ces industries deviendront multinationales. Les États vont pouvoir en toute impunité confier la guerre au secteur privé, qui n’a que faire de la sécurité du peuple, pourvu que ça rapporte vite et beaucoup !

Je n’ose l’imaginer ! Comme je n’ose imaginer que le nucléaire civil, aujourd’hui confié à EDF, passe sous la coupe des spéculateurs. Le soustraire au contrôle de l’État ferait courir un danger bien réel.

Le second phénomène qui permet de justifier la réduction massive des effectifs est donc bien également marchand. Oui, il s’agit d’ouvrir encore davantage le marché juteux de la guerre aux monopoles financiers. Tôt sera fait de démontrer que les entreprises nationales, malgré la compétence avérée de leurs personnels, sont inefficaces et qu’il faut ouvrir le marché à la concurrence internationale ! Personne ne prendra alors le soin d’expliquer que cette inefficacité résulte des suppressions de personnels et autres choix douteux.

C’est la politique libérale de casse des services publics qui opère ici, comme elle s’agence ailleurs en vue de faire croire à nos concitoyens que ces services publics sont inaptes à satisfaire leurs besoins. Est-ce un hasard si les plus grands industriels de l’armement terrestre se sont réunis à Villepinte la veille de la présentation du Livre blanc ? Est-ce un hasard si la commission du Livre blanc a tant insisté sur l’accès aux ressources énergétiques ? Rien n’est moins étonnant que la concordance entre certains intérêts économiques des pays occidentaux et l’effort militaire que l’on consacre à leur protection.

Je souhaite dénoncer la véritable philosophie du Livre blanc, laquelle se décompose en deux éléments. D’abord, c’est le capitalisme appliqué au secteur de la guerre : il s’agit d’instrumentaliser les moyens de la défense nationale afin d’atteindre des objectifs marchands comme l’accès à des ressources énergétiques étrangères et l’ouverture de marchés nouveaux – notamment au Moyen-Orient – une fois les populations locales occupées et soumises à la loi du marché.

Ensuite, c’est une philosophie manichéenne qui se fonde sur un prétendu conflit de civilisations. Après que Georges Bush a mené la bataille « du bien contre le mal », Nicolas Sarkozy et les pays européens se livreront, avec les États-Unis, à la bataille « des bons contre les mauvais »  – ces derniers étant ceux qui contestent le bien-fondé du capitalisme occidental, ceux qui luttent pour une autre conception des rapports entre les hommes que celle exclusivement axée sur la concurrence, la primauté du plus fort et la stigmatisation de l’autre.

L’ennemi nouveau est même nommé : la Chine, la Russie ou encore le Moyen-Orient et tous ceux qui refusent de se soumettre aux diktats des États occidentaux. Deux nouveaux blocs se dessinent et Nicolas Sarkozy fait choisir à la France le camp qui risque le plus de la mettre en péril.

Cette grille de lecture du Livre blanc permet de comprendre ce qui s’y cache entre les lignes. D’abord, l’étroite association établie entre les notions de défense et de sécurité nationale doit nous interpeller. Le nouveau concept de sécurité globale qui en émerge tend à n’apporter aux questions de sécurité nationale que des réponses strictement militaires. Les interventions militaires ne seraient plus réservées aux seuls risques de conflits armés et d’autres types de menaces les justifieraient tout autant.

Encore faut-il s’accorder sur la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité et les intérêts vitaux de la France. Souvenons-nous de la décision de Jacques Chirac de déclarer l’état d’urgence lors des insurrections en banlieue de décembre 2005. À quand l’envoi de troupes armées contre les manifestants qui bloquent les réseaux routiers ? En effet, le Livre blanc ne propose-t-il pas que la direction centrale du renseignement intérieur assure la surveillance des « mouvements subversifs violents » ? Selon l’interprétation donnée à cette expression, certaines manifestations et certains groupes politiques ou syndicaux pourraient être réprimés !

De même, lorsque le Gouvernement prétend coordonner les services de renseignement et de défense, ou quand il affirme lutter contre le cyberterrorisme, qu’est-ce qui garantit au citoyen le respect de sa vie privée, de sa liberté de conscience et de la confidentialité de ses données personnelles ?

C’est tout le problème de la notion de résilience telle qu’elle figure dans le Livre blanc. Les député-e-s communistes et républicains ne cherchent pas à minimiser les risques qui pèsent aujourd’hui sur la paix et la sécurité. En revanche, ils dénoncent leur exagération délibérée et la disproportion des réponses envisagées.

La conception de la défense sur laquelle se fonde le Livre blanc est archaïque, régressive, indigne des relations internationales qui devraient prévaloir en ce XXIe siècle. Au reste, on peut regretter que nos deux derniers présidents de la République aient fait le choix d’une militarisation accrue. L’actuel chef de l’État met tout en œuvre pour orienter la défense française vers la démonstration de puissance, l’exacerbation des rapports de force et la projection de forces armées à l’extérieur du territoire.

Si M. Chirac a opportunément refusé d’engager nos troupes en Irak, il a pourtant mis fin à la conscription. En rompant brutalement le lien entre l’armée et la nation et en professionnalisant les forces, il a élargi la voie déjà ouverte à une marchandisation de la guerre. Ce faisant, il a renforcé la privatisation de la guerre amorcée par celle de l’industrie de l’armement.

M. Sarkozy et son gouvernement poursuivent cette œuvre de régression. Non seulement ils s’alignent sur la politique conservatrice américaine en approuvant une intervention de forces françaises en Afghanistan et en Irak, mais ils souhaitent aussi la réintégration de la France dans l’OTAN, ce qui vaut certitude que les décisions liées à la défense française échapperont à la souveraineté nationale. L’indépendance militaire, stratégique et diplomatique de la France sera anéantie par la volonté des États-Unis qui, nous le savons bien, ne renonceront pas à leur politique d’agression. Il est évident qu’au sein de l’OTAN, la voix prépondérante des Américains contraindra la France à s’aligner sur leurs choix, comme le font déjà les Britanniques.

C’est ce que le Général de Gaulle avait compris en 1966, en décidant de sortir la France de l’OTAN pour qu’elle soit indépendante au plan militaire, notamment en matière nucléaire. Lui aussi refusait la domination de la France par les États-Unis. Nous ne pouvons pas tolérer cette politique atlantiste qui méprise les droits des peuples et engage autoritairement ces derniers dans des conflits armés ! Par ailleurs, une telle politique risque d’exposer encore davantage notre pays aux menaces internationales.

Dans la même logique, la promotion d’une Europe de la défense fait perdre à la France son autonomie.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales Mais c’est faux !

M. Jean-Paul Lecoq – La France sera tenue de s’engager dans la voie choisie par l’Union européenne, sans possibilité de se retirer en cas de désaccord. Or n’était-ce pas l’honneur de la France de pouvoir faire entendre une voix dissonante, comme lorsqu’elle s’opposa à l’envoi de troupes en Irak, contrairement à l’ensemble des Etats européens ?

C’est donc – une fois de plus ! – à un alignement sur la politique nord-américaine que l’on nous soumet, puisque le traité de Lisbonne voulait – avant l’intervention vertueuse du peuple irlandais – imposer le respect du cadre de l’OTAN. C’est au suivisme, et dans la pire des directions, que l’on nous convie !

Or, il est illusoire de penser qu’il serait possible de créer un pilier européen de la défense au sein de l’OTAN. Comme M. Védrine l’a lui-même souligné, le poids de la France dans cette organisation serait le même que celui des autres alliés, c’est à dire nul ! Les auteurs du Livre blanc se retrouvent ainsi pris dans une contradiction : ils présentent l’intégration de la France dans l’OTAN comme l’assurance d’une plus grande influence, alors que l’influence dont ils peuvent se prévaloir aujourd’hui serait anéantie !

En outre, l’Europe de la défense exige en préalable de définir une politique étrangère commune, laquelle n’existe pas. Comment ose-t-on engager les peuples européens dans la voie militaire alors que celle de la paix, via la diplomatie, n’a pas été valablement explorée ?

Nous refusons formellement le virage atlantiste proposé à la France par le Président de la République ! Nous ne pouvons pas accepter qu’une telle organisation de la défense n’émane pas d’une décision politique prise de façon démocratique ! D’ailleurs, si, en 2006, 86 % des Français estimaient « essentielle et souhaitable une politique européenne de défense », en 2008, 87 % d’entre eux considèrent que l’Europe « devrait faire intervenir ses forces de défense sans l’appui des Etats-Unis ».

L’exagération et la déformation de la menace terroriste exacerbent les peurs. C’est du reste un moyen efficace pour parvenir à des fins mercantiles avec l’assentiment d’une population manipulée. C’est le moyen de réduire les libertés publiques au motif d’une menace latente mais permanente.

Pour justifier par anticipation tous les coups qu’il entend porter aux libertés, le chef de l’État a déclaré que « l’incertitude était la fille de la mondialisation ». De qui se moque-t-on ? Qui orchestre la course à la mondialisation, si ce n’est lui, ses amis du Medef et les spéculateurs financiers à travers le monde ?

Et quel est cet ennemi contre lequel déployer tant de moyens, dont l’arme nucléaire ? La menace est-elle si grande que nous devions poursuivre notre effort d’armement à ce point, alors que notre région n’a jamais été aussi pacifiée ?

La place prépondérante donnée à l’arme nucléaire inquiète les élus du peuple que nous sommes. Le Livre blanc la banalise en la présentant comme une arme préventive, notamment face au terrorisme. Une telle conception ne peut qu’accélérer la course à l’armement nucléaire, renforcer le processus de miniaturisation et favoriser l’usage opérationnel de cette arme dans un conflit classique. Les effets dévastateurs et irréversibles du nucléaire ne devraient-ils pas inciter le chef de l’État à une plus grande prudence ?

L’effet dissuasif à l’égard des terroristes est à nos yeux des plus incertains. Sous sa forme actuelle, le terrorisme international est insaisissable car il agit par des moyens que nous ne pouvons pas anticiper. Utiliser une telle menace contre des États qui le soutiendraient ne ferait qu’exposer de façon injuste leurs populations civiles. Et rien ne dit que cela inciterait les terroristes à renoncer à leurs visées car ils pourraient même trouver dans cette posture une légitimation des représailles menées contre les populations des États attaquants.

Lorsque M. Sarkozy évoque la possibilité de procéder à un « avertissement nucléaire », il expose la France à des ripostes incontrôlables car il attise les tensions. L’arme nucléaire n’a rien de dissuasif. Elle est au contraire à l’origine de l’escalade de l’armement et des antagonismes mondiaux.

Elle n’est pas, comme le Président l’affirme, l’« assurance-vie de la nation ». Elle en est même l’opposé, lorsque l’on songe que l’intégration de la France à l’OTAN donnerait aux États-Unis d’Amérique le pouvoir de maîtriser l’arme nucléaire française, quoi qu’en pensent le Président de la République et, si j’en crois son discours de tout à l’heure, le Premier ministre.

La volonté de dominer la planète est le fait de quelques États hégémoniques qui s’approprient les ressources naturelles en sacrifiant le développement des pays qu’ils pillent. Ils organisent ainsi à leur seul profit un ordre mondial fondé sur la libre concurrence et les lois du marché. Autant dire qu’ils accordent une importance secondaire à la protection des droits de l’homme et de l’environnement.

Il est patent que ce sont avant tout les intérêts économiques des grands groupes industriels français que cette nouvelle orientation de la politique de défense tend à protéger, par opposition aux intérêts des autres États. Il s’agit alors de mettre au point des stratégies et des opérations extérieures dans les territoires où le Gouvernement estime avoir des intérêts à défendre, même si ces actions ne sont justifiées par aucune forme d’agression.

C’est donc une conception offensive et non défensive que le Gouvernement privilégie, selon une approche agressive qui fait de certains États des cibles permanentes. La guerre préventive, chère au Président de la République, s’inscrit dans cette logique. Bien entendu, le discours officiel met en avant des motifs appropriés pour justifier les interventions militaires à l’étranger. C’est ainsi que les dirigeants américains ont trompé une partie du monde en prétendant que leur intervention en Irak était destinée à libérer la population du joug de son dictateur et à éliminer des armes de destruction massive. Mais nous n’avons pas été dupes ! Et nous avons dénoncé sans relâche l’atteinte au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que constituait cette intervention.

De même, le respect des droits de l’homme sert de prétexte à des interventions militaires, alors que nous ne sommes pas capables de les respecter ici ! En témoignent les effets des choix gouvernementaux lorsque les salariés et les familles pâtissent d’un pouvoir d’achat trop faible pour vivre décemment, quand se soigner devient un luxe, quand l’éducation n’est plus une priorité nationale, quand les sans-papiers sont maltraités, quand la mort d’une personne dans un centre de rétention est banalisée, quand les conditions d’incarcération dans les prisons deviennent inhumaines. Et la liste n’est, hélas, pas exhaustive !

Nous refusons cette nouvelle conception de la défense et de la sécurité nationale et nous proposons, au contraire, d’établir les bases d’une paix mondiale inaltérable. Pour cela, l’emploi de la force doit plus que jamais demeurer du ressort du Parlement. Mieux, davantage de pouvoirs doivent être donnés aux représentants du peuple pour qu’ils participent activement aux choix gouvernementaux en matière de défense et les contrôlent mieux. À cet effet, l’on se doit d’exiger que le chef de L’État et le Gouvernement reçoivent systématiquement des autorisations du Parlement en matière de défense et de sécurité et il faut refuser que soient accrus, en contrepartie, les pouvoirs présidentiels dans ce domaine. Et ce n’est certainement pas la création d’un Conseil de défense et de sécurité nationale et d’un conseil consultatif sur la sécurité nationale auprès du Président de la République, tous deux composés de personnalités qu’il aura nommées, qui est de nature à nous rassurer !

La souveraineté et la démocratie doivent rester les fondements de la politique de défense et de sécurité intérieure. C’est au peuple que revient la maîtrise de son territoire et de sa destinée. Nous ne devons plus tolérer l’irrespect flagrant du droit international par nos gouvernements ; il faut au contraire nous montrer intransigeants sur le respect des accords qui nous lient et des valeurs qu’ils expriment. Pour cela, nous avons besoin d’un contrôle permanent des citoyens et du Parlement.

La France doit également instaurer un service citoyen. Ce sont en effet nos concitoyens qui donnent vie à la nation et qui doivent prendre les décisions déterminantes. Afin de garantir l’autonomie de notre défense et de notre politique étrangère, il est en outre essentiel d’en revenir à une gestion publique des industries de l’armement. Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres.

Enfin et surtout, la paix internationale ne sera assurée que si l’on donne à chaque peuple les moyens de s’autodéterminer et de se développer dans le respect de sa culture propre. Nous devons nous faire les défenseurs d’une politique mondiale solidaire, qui ne profite pas des faiblesses des uns, qui n’attise pas les rivalités pour en tirer un profit égoïste, et qui ne se nourrisse pas de la pauvreté pour enrichir encore les plus fortunés.

C’est en corrigeant les profonds dysfonctionnements de ce monde que nous parviendrons à une situation de paix. L’essentiel est de mettre fin à la pauvreté, à la faim et au pillage des ressources naturelles par les États occidentaux. Il faut également veiller à une application effective des droits de l’Homme. Les différentes formes d’humiliation, d’asservissement et de frustration qui persistent ne doivent pas dégénérer en actions terroristes désespérées.

Pour cela, nous avons besoin d’un véritable débat public sur notre politique de défense. Celle-ci ne saurait être une affaire d’experts ou une question de renouvellement de matériel. Je demande donc l’ouverture d’états généraux de la défense et, en attendant, l’instauration d’un moratoire. Le Gouvernement doit prendre le temps d’engager le débat et d’approfondir la réflexion nationale, car bien des interrogations subsistent.

Afin d’adopter des mesures appropriées, démocratiques et respectueuses du droit international, il faut éviter toute précipitation. La politique d’usure parlementaire menée par le Gouvernement, qui prétend réformer à un rythme effréné, ne sera pas sans conséquences pour le bon fonctionnement de nos institutions et pour l’avenir de notre nation. La primauté exclusive que vous donnez à la sécurité nationale est un repli nationaliste.

Quand la mondialisation accroît la misère de la majorité des habitants de cette terre, quand l’Europe se construit contre les peuples, nous avons besoin au contraire de plus de solidarité, de coopération et d’amitié entre les peuples, toutes valeurs que les députés communistes et républicains sont fiers de défendre. C’est un principe de paix qu’il faut établir, et non une stratégie armée. Renoncez à votre logique guerrière ! Engagez-vous plutôt à promouvoir le désarmement multilatéral !

Permettez-moi de réaffirmer haut et fort notre conception de la paix, bien qu’elle soit aux antipodes de celle que prône le Président Sarkozy. La paix n’est pas l’absence temporaire de guerre ; ce n’est pas un état apaisé des relations internationales. C’est au contraire un état permanent de respect des peuples et de leurs différences, de coopération et d’interdépendances assumées. Avec Jean Jaurès, nous pensons que « l’affirmation de la paix est le plus grand des combats » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – Ce débat illustre la volonté de changement et de rééquilibrage de nos institutions qui inspire le Président de la République. Jusqu’à présent peu sollicité sur les questions de défense et de politique étrangère, le Parlement a été associé, consulté et informé tout au long du processus d’élaboration du Livre blanc.

Rendu nécessaire par les profonds bouleversements qui ont modifié les équilibres géostratégiques depuis 1994, ce travail se fonde sur une analyse globale de nos intérêts de sécurité, qui ne se limitent pas aux enjeux de défense. Cette approche nouvelle, à laquelle je souscris pleinement, a permis de définir une stratégie de sécurité nationale adaptée aux nouvelles menaces.

C’est à l’aune du nouvel équilibre marqué par la multiplication des crises qu’il faut apprécier les missions et les moyens attribués à nos forces armées, de même que la place et le rôle de la France en Europe et dans le monde. À ce titre, le Livre blanc réaffirme plusieurs principes fondamentaux. La dissuasion nucléaire demeure ainsi un fondement essentiel de notre stratégie. Mais le Livre blanc tire également les conséquences de la professionnalisation de nos armées, dont le reformatage doit respecter les exigences budgétaires que nous nous sommes fixées.

L’existence, au voisinage de l’Europe, d’une zone géographique traversée par des tensions liées au terrorisme, à la prolifération, à l’instabilité politique, au chantage à l’accès au pétrole, nous a conduits à définir une nouvelle répartition de nos forces pré-positionnées. Le choix de concentrer le dispositif militaire français le long de cet arc de crise, qui va des Balkans au Pakistan, correspond bien à la nécessité de disposer d’un outil de défense adapté à la réalité des menaces contemporaines.

Toujours plus diffuses, toujours multiples et changeantes, ces menaces nous obligent à faire de la fonction « connaissance et anticipation », qui recouvre notamment les moyens de renseignement, l’une des priorités de notre effort de défense. À cet égard, je me félicite du rôle que le Livre blanc propose de faire jouer à notre réseau diplomatique.

Cet effort d’adaptation s’accompagne tout naturellement d’une réflexion sur le rôle de la France aux côtés de ses alliés européens et sur sa place au sein de l’Alliance Atlantique.

Faut-il envisager notre retour dans les structures intégrées de l’OTAN ? J’approuve tout à fait les conditions posées par le Livre blanc : l’indépendance de nos forces nucléaires, la préservation de notre autonomie d’appréciation et de décision quant à notre participation à telle ou telle intervention, et enfin l’absence de mise à disposition de troupes françaises sous commandement de l’OTAN en temps de paix.

Mais que signifie au juste « réintégrer » l’OTAN ? Il s’agit tout d’abord de participer à nouveau au comité des plans de défense. Cet organe essentiel pour la planification des opérations est consulté avant toute intervention. Il serait donc utile à la France de prendre part aux discussions menées dans cette enceinte et aux décisions qui y sont arrêtées.

Réintégrer l’OTAN, c’est aussi poser la question de la répartition des postes de commandement. À cet égard, il me semble que la France devrait prétendre à l’une des trois fonctions suivantes : soit le poste d’adjoint au commandant suprême des forces, soit le poste de commandant d’état-major inter-armée de Brunssum, soit celui de Naples. Il conviendrait également que ces postes fassent l’objet d’une rotation entre des officiers français, britanniques et allemands. Il serait en outre bon de mettre fin à la double responsabilité du commandant suprême des forces, qui est dans le même temps le chef de l’armée américaine pour l’Europe.

On peut également s’interroger sur le maintien à Norfolk du commandement allié pour la transformation, alors que le siège politique de l’OTAN et son commandement opérationnel se trouvent en Belgique. Il serait plus cohérent que la structure chargée de recueillir les retours d’expérience se trouve sur le même lieu que les instances de commandement opérationnel. Une implantation unique améliorerait en effet les capacités de définition des besoins d’équipement et éviterait peut-être que se reproduise la mésaventure de l’avion de combat JSF, projet dans lequel cinq pays européens ont investi près de cinq milliards de dollars sans avoir accès aux codes sources de l’appareil, développés par l’entreprise américaine Lockheed Martin (« Eh oui ! » sur divers bancs).

Le renforcement de la place de la France dans l’OTAN et la construction d’une défense européenne participent d’une même démarche, qui tend à tirer les conséquences des mutations des conditions de sécurité sur le continent européen.

Une première dimension de l’Europe de la défense est aujourd’hui de nature industrielle. L’Agence européenne de défense peut intervenir à toutes les étapes de la définition et de l’exécution des programmes militaires, mais son rôle reste limité à cause de la faiblesse de ses moyens humains et financiers. L’Agence doit être renforcée, notamment par des transferts de compétences, afin qu’elle puisse devenir le lieu de développement en commun de grands programmes. Comme le Livre blanc le rappelle, certains systèmes, intrinsèquement liés à la souveraineté nationale, ne sauraient toutefois être délégués.

Cette perspective est réaliste à condition que l’on mette au point un véritable standard d’équipement commun. Chacun sait que le programme NH 90 a été détourné de son objectif premier, puisqu’il a abouti à 26 versions différentes du même appareil ! L’avion de transport A400 M est en revanche un bon exemple des programmes européens qu’il convient d’encourager : nous avons réalisé des économies tout en améliorant l’interopérabilité.

Le renforcement du pilier industriel de l’Europe de la défense doit s’accompagner d’une amélioration du commandement militaire au sein de l’Union. Il existe déjà un état-major commun, mais ses fonctions se limitent pour l’essentiel au recueil d’informations et à la formulation d’avis. Il faudrait compléter cet état-major stratégique par des états-majors tactiques présents sur le terrain et par des états-majors chargés de conduire des opérations. Les futures missions de l’Union européenne devront être dirigées depuis des postes de commandement européens, et non plus nationaux. À ce sujet, je rappelle que l’opération EUFOR au Tchad est dirigée depuis le Mont Valérien.

La construction d’une défense européenne est inéluctable. L’initiative franco-britannique de Saint-Malo a été une étape importante, mais nous avons besoin, dix ans plus tard, d’un « Saint-Malo II ». Il appartient à la France de donner cette nouvelle impulsion au moment même où nos principaux partenaires prennent conscience que les alliances extra-européennes ne suffiront plus à garantir leur autonomie.

Certains estiment que le retour de la France dans l’OTAN est prématuré tant que l’Europe de la défense n’aura pas décisivement progressé. Or, cette réintégration ne se fera que dans le respect des conditions que j’ai rappelées. Je ne vois donc pas en quoi l’indépendance de notre politique étrangère serait remise en cause. Une diplomatie respectée s’appuie au contraire sur une force militaire reconnue et influente.

En effectuant ce geste politique, la France pourra d’ailleurs être associée à la mise au point des grands programmes de l’OTAN, au sein du comité des plans de défense. En se rapprochant de la position des autres États européens au sein de l’Alliance atlantique, notre pays confirmera également ses intentions au sujet de l’Europe de la défense. Celle-ci n’est pas un moyen d’imposer nos vues, mais une nécessité dictée par l’intérêt général européen.

Les missions fixées à nos forces armées pour assurer la sécurité des Français me semblent réalistes et pertinentes. J’approuve également le reformatage rigoureux de la défense nationale qui nous est proposé. Enfin, je suis heureux que ce soit dans le contexte de la construction d’une Europe de la défense que s’inscrive notre retour au sein de l’OTAN. C’est sur ce dernier point que porte ma seule question : quelle assurance avons-nous que ces deux objectifs seront menés de façon concomitante ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la commission de la défense nationale et des forces armées – Empêché pour des raisons personnelles, notre collègue Guy Teissier, président de la commission de la défense, m’a chargé de vous prier de l’excuser et m’a demandé de m’exprimer en son nom.

Depuis plus de dix mois, la commission installée en août 2007 par le Président de la République a accompli un travail considérable pour proposer au chef des armées ce Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Membre de cette commission avec son homologue du Sénat, comme deux parlementaires de l’opposition dont il regrette la démission, M. Teissier souhaitait apporter un double témoignage.

Tout d’abord, sur la profondeur et l’objectivité de la réflexion engagée. Rien n’a été laissé au hasard ni abordé de manière superficielle. Les conclusions présentées au Président de la République ne doivent rien à l’approximation et sont parfaitement justifiées, qu’il s’agisse des capacités ou du budget. La réflexion a été conduite sans aucun a priori ni tabou. Tous les éléments de notre politique de défense et de sécurité ont été soumis à un examen critique.

Ensuite, sur l’association du Parlement aux réflexions de la commission. Les deux représentants de chacune des assemblées désignés ont pu exprimer leurs vues, distinctes de celles des experts, militaires ou membres de la société civile. De plus, dans la phase terminale du travail, les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont non seulement pu prendre connaissance du projet de document mais aussi formuler, à huis clos comme il était normal, leurs remarques et propositions. Cette nouvelle méthode de travail, bien avant le projet de réforme constitutionnelle, marque un renforcement des droits du Parlement.

Ce Livre blanc détermine des politiques de sécurité et de défense à court, moyen et long termes, en fixant les capacités et les ressources budgétaires nécessaires. Il fera référence dans ces domaines régaliens, cruciaux pour l’avenir de notre nation.

Dans le monde actuel, profondément bouleversé par rapport à ce qu’il était en 1994 lors de l’élaboration du précédent Livre blanc, l’enjeu essentiel résidait dans la définition et l’affirmation de l’ambition de la France sur la scène internationale. Que n’aurait-on entendu si l’on avait choisi de réduire la voilure, de renoncer à notre vocation d’acteur essentiel des relations internationales, de reculer devant nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ! Au contraire, ce Livre blanc trace le cadre d’une politique ambitieuse en matière de défense, bras armé de notre diplomatie, afin de faire prévaloir les droits de l’homme et la justice, dont nous voulons être les promoteurs et les défenseurs si besoin.

J’en viens au contenu concret du document. Le contrat opérationnel de chacune de nos armées devait être adapté aux réalités des engagements possibles de nos forces, sur le territoire national comme hors de nos frontières. La réduction des contrats n’est pas en contradiction avec la préservation de notre sécurité, non plus qu’avec le maintien d’une posture active sur la scène internationale. La qualité de nos équipements et de nos hommes est au moins aussi déterminante, sinon davantage, que la quantité des divisions alignées.

S’agissant de nos opérations extérieures, il est certain que la majorité d’entre elles se dérouleront dans un cadre multinational, européen ou autre. Dans ces conditions, pouvoir projeter 30 000 hommes et 70 avions de combat à 7 000 ou 8 000 kilomètres est suffisant. Si nous devons intervenir seuls, les besoins seront naturellement moindres, et il est alors décisif de disposer, dans les zones les plus stratégiques, de forces pré-positionnées ou de facilités de stationnement. Cela est prévu avec notamment une implantation sur chaque façade océanique de l’Afrique et dans le golfe arabo-persique.

Il faut ensuite conserver et développer, pour chacune de nos armées, la capacité de s’engager la première sur un théâtre d’opérations et de jouer le rôle de nation-cadre lors d’une intervention multinationale. Nous faisons partie du club très restreint des pays qui peuvent et veulent bien le faire – au prix d’ailleurs d’un ticket d’entrée assez élevé. C’est un élément de notre puissance, patiemment forgé par nos armées, qu’il était essentiel de préserver.

Pour ce qui est de la défense du territoire national, si elle n’est pas, à horizon prévisible, l’une des missions premières de nos armées, elle n’en demeure pas moins le fondement de leur légitimité. Couplée à notre dissuasion nucléaire, les formats retenus pour la part conventionnelle nous permettraient de faire face efficacement à une attaque. Il serait toutefois indispensable de développer un système de réserves opérationnelles afin de permettre une montée en puissance rapide de notre défense, avec la mise sur pied d’unités nombreuses dans chacune des trois armées.

Les crédits dédiés à notre défense seront maintenus en volume jusqu’en 2011, puis augmentés de 1 % de plus que l’inflation à compter de 2012. Tout en participant à l’effort national de maîtrise des finances publiques, cela permettra de préserver le « pouvoir d’achat » de nos armées. D’ici à 2020, plus de 377 milliards d’euros seront ainsi consacrés à notre défense, dont 200 pour l’indispensable renouvellement des équipements. Je n’entrerai pas dans la querelle byzantine sur le pourcentage du PIB que représentent annuellement ces crédits. La diversité des périmètres pouvant être retenus rend le débat vain. Je souligne seulement que, dans sa situation d’endettement, notre pays consent un effort particulier pour sa défense. Les défis à relever justifient d’ailleurs cette exception.

Dans le cadre budgétaire ainsi fixé, il convient d’adapter nos programmes d’armement aux impératifs des missions actuelles. Le besoin de financement supplémentaire, connu sous le nom de « bosse », s’élève à 70 milliards d’euros jusqu’en 2020 pour financer les programmes déjà lancés, tandis que des capacités nouvelles d’alerte avancée et de couverture radar basse altitude sur l’ensemble du territoire sont indispensables.

Les économies attendues de la RGPP, si celle-ci est menée à son terme, ne représenteront au mieux, en régime de croisière à partir de 2011-2012, qu’un milliard et demi d’euros par an. Quant aux solutions de court terme, comme le gage sur le parc immobilier, elles ne pourront être utilisées qu’une seule fois. Pour ce qui est des réductions de cible ou des ralentissements du rythme de la production, soit ils ne procureront des économies que dans cinq, dix ou quinze ans, soit ils renchériront le coût final des programmes, comme on l’a vu par le passé.

Des économies substantielles doivent donc être réalisées dès maintenant, car le besoin de crédits supplémentaires apparaît dès 2009 pour croître ensuite très rapidement. Ne craignons donc pas de dire que certains programmes, bien qu’attrayants, devront être supprimés, qu’ils soient trop onéreux, redondants ou simplement non indispensables aux missions actuelles.

N’est-il pas contradictoire de prétendre qu’il faut moins de chars, de canons d’artillerie et d’avions de chasse, puisqu’il n’y a aucun risque d’attaque sur le sol national, mais qu’il faut une défense anti-missiles, une numérisation de l’espace de bataille ou des équipements Félin, tous systèmes conçus pour un conflit majeur de type conventionnel sur notre territoire ?

Il faut aller à l’essentiel et fixer des priorités, dans le temps comme sur les programmes. Il convient de faire un effort massif immédiat pour le remplacement des équipements les plus vieux comme les A400M, les hélicoptères NH90, les ravitailleurs MRTT, mais aussi les véhicules blindés de combat d’infanterie, les moyens d’observation et de communication spatiales, pour ne citer que les plus emblématiques. J’ajouterai les programmes de cohérence opérationnelle pour l’efficacité et l’équipement individuel des combattants, afin que cesse le scandale des militaires contraints d’acheter, sur leur propre budget, le paquetage nécessaire au départ en OPEX.

L’examen du projet de loi de finances pour 2009, qui comportera une projection sur trois ans, suivi de celui de la loi de programmation militaire 2009-2013, sera l’occasion de retrouver une cohérence entre nos ambitions stratégiques, diplomatiques et militaires, et les moyens que nous consacrons effectivement à notre défense. M. Teissier avait fait de ce retour à la cohérence le second objectif de sa participation à la commission du Livre blanc. Le chemin sur lequel nous nous sommes engagés est le bon. N’en dévions pas au risque de retomber dans des ornières trop connues par le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Le budget de la défense demeure une priorité nationale en dépit de nos difficultés budgétaires et de l’engagement pris de restaurer l’équilibre des comptes publics d’ici à 2012.

Le Président de la République a d’ailleurs rendu deux arbitrages qui en attestent. D’une part, la totalité des économies dégagées sera recyclée au sein des armées, mesure dont seul le ministère de la défense bénéficie puisque toutes les autres administrations devront rendre un euro sur deux économisés. D’autre part, des ressources extra-budgétaires exceptionnelles seront trouvées pour financer la fameuse « bosse », évoquée notamment par Mme Adam, et qui correspond à la livraison des commandes passées par le Président Chirac et Mme Alliot-Marie, lesquelles sont indispensables vu l’usure de certains de nos matériels –Transall, hélicoptères, VBCI…

Pour ce qui est de la réorganisation du ministère, M. Folliot a dit être favorable à l’inversion du ratio de 60 % des ressources humaines consacrés à l’administration générale et au soutien, et 40 % aux forces opérationnelles, ce qui nous permettrait de nous aligner sur la Grande-Bretagne. La situation actuelle est la suite logique de l’effort consenti pour la professionnalisation. Il nous reste maintenant à faire porter le même effort sur les structures du ministère, dont certaines sont encore régies par des textes datant du XIXsiècle ! Michèle Alliot-Marie, avec la création du SIAE par exemple, avait commencé d’engager la mutualisation indispensable des moyens. Nous allons passer à un rythme plus rapide et au terme de la réorganisation, ce sont deux milliards d’euros supplémentaires, soit 18 milliards au total au lieu de 16, qui pourront être consacrés à l’équipement des forces et à l’amélioration de la condition du personnel.

M. Folliot s’est ensuite demandé s’il ne serait pas nécessaire de maintenir certains échelons intermédiaires – je pense qu’il visait notamment les régions militaires. Dans les futures bases de défense, nous avons l’intention de faire remonter, pour les mutualiser, des moyens administratifs généraux et de faire descendre certains des services aujourd’hui assurés par les régions militaires. Celles-ci verront leurs effectifs diminuer fortement. Elles deviendront un lieu d’analyse et d’expertise, échelon plus pertinent que la base pour mener des opérations concernant par exemple les infrastructures ou les services informatiques.

Enfin, comme vous, je considère que les PME et les PMI jouent un rôle fondamental et qu’elles sont une source d’innovation et de réactivité pour l’armement français. J’ai lancé un plan afin qu’elles puissent accéder directement à la commande publique du ministère ; je souhaite aussi que les délais de paiement soient améliorés et qu’elles puissent avoir accès plus facilement aux programmes de « recherche technologie ».

Monsieur Voisin, il est vrai que nous n’évoquons pas suffisamment la valeur des femmes et des hommes qui servent la défense avec dévouement et amour de la patrie. Si notre armée est, avec l’armée britannique, l’une des meilleures du monde, c’est surtout grâce à la culture, à la passion et à la formation des militaires, capable d’assurer leurs missions à l’étranger dans des conditions, comme vous le savez, plus que rustiques.

Nous lancerons prochainement le plan d’amélioration de la condition militaire, conformément à un engagement du gouvernement précédent. D’ores et déjà, 102 millions y ont été consacrés dans le budget 2008. Cet effort sera poursuivi, le plan devant aboutir, dans deux ou trois ans, à une parité entre les fonctionnaires en tenue et les militaires. Par ailleurs, l’équipement devrait être nettement amélioré, ce qui contribuera aussi au bon moral des troupes.

S’agissant de la gendarmerie, le Gouvernement s’est engagé à maintenir deux forces de sécurité, l’une civile, l’autre militaire. Depuis 2003, le ministère de l’intérieur a l’autorité fonctionnelle sur la gendarmerie. Nous devions en tirer les conséquences pour les équipements et l’immobilier ; les moyens budgétaires seront donc désormais gérés par la place Beauvau.

Vous avez évoqué l’agence de sécurité informatique, ce qui me donne l’occasion de répondre à M. Lecoq que les cyberattaques ne sont pas une menace virtuelle. Les pays baltes ont eu à en connaître l’été dernier et nous savons combien elles peuvent désorganiser en profondeur des sociétés complexes comme les nôtres, provoquant des dommages aux biens, mais aussi, au travers des réseaux électriques par exemple, aux personnes.

M. Philippe Folliot – Très juste.

M. Hervé Morin, ministre de la défense L’Europe de la défense est l’une des priorités de la présidence française de l’Union. Après avoir fait le tour des capitales européennes, je peux vous dire que nos propositions recueillent un large assentiment, y compris de la part de pays habituellement en retrait. Après l’accord de Saint-Malo, qui en avait jeté les bases, il faut imprimer un nouvel élan à l’Europe de la défense.

Nous devons renouveler, au travers d’un Livre blanc, la stratégie européenne de sécurité. Cet exercice de réflexion devra déboucher sur des capacités opérationnelles nouvelles.

M. Poniatowski l’a évoqué, nous proposons également de créer un centre de commandement et de planification afin de sortir de cette situation baroque qui veut que chaque opération mobilise cinq états-majors. Ce centre permanent, qui rassemblerait une cinquantaine d’officiers, permettrait de mettre en œuvre les opérations menées par l’Europe et de mobiliser en dix jours les groupements tactiques, les « GT 1500 », sans pour autant faire concurrence à l’Alliance atlantique. Il nous faut encore lever quelques réticences, mais l’Allemagne et la Pologne, autrefois hostiles, nous ont fait savoir qu’elles y étaient désormais favorables.

Des capacités militaires européennes existent, d’autres restent à organiser : je pense au programme Musis, à la capacité de mettre à disposition d’un État membre une flotte d’A400M pour des transports tactiques, au plan d’évacuation des ressortissants européens en cas de crise à l’étranger, au réseau de surveillance maritime des côtes pour lutter contre les trafics et à un « Erasmus » militaire qui développe la conscience européenne chez nos futurs cadres militaires.

Si nous réussissons aussi bien à fédérer nos partenaires sur l’idée de l’Europe de la défense, c’est que nous avons démontré qu’elle ne se ferait pas contre l’Alliance atlantique et que les deux sont complémentaires. Nous subordonnons notre retour dans le commandement intégré à la réalisation de l’Europe de la défense, qui nous importe beaucoup plus que le fait de récupérer un commandement régional.

Par ailleurs, la France est membre de l’Alliance atlantique depuis 1949. À partir de 1989, nous avons fait des pas progressifs pour participer au dialogue euro-atlantique, sous l’autorité d’un Président qui avait signé la motion de censure de 1966 contre le général de Gaulle, qui avait prononcé le discours de Bonn sur les euromissiles, et qui allait engager la France aux côtés des États-Unis dans la première guerre du Golfe (Protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Bernard Cazeneuve – Ça n’a rien à voir !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Aujourd’hui, nous participons à toutes les opérations de l’Alliance atlantique et nous en commandons, comme au Kosovo.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Pourquoi réintégrer le commandement ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Vous affirmez curieusement, Monsieur Lecoq, que le fait de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN placerait les forces françaises – dont les forces de dissuasion – sous l’autorité de l’Alliance. Je voudrais vous rappeler que tout cela est sans fondement : les décisions de l’Alliance atlantique se prennent à l’unanimité ; nous sommes libres de nos engagements.

M. Jean-Paul Lecoq – Comme pour l’Europe !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  L’Alliance d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de 1966…

Mme Patricia Adam – C’est la même !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Aucune conséquence sur l’équipement de nos forces, sur leur engagement, ni même sur leur organisation, n’est à redouter. La France a même accepté – ce que les Français ont oublié – la déclaration d’Ottawa, en 1974, dans laquelle l’Alliance a déclaré que les forces de dissuasion françaises participaient à la dissuasion globale de l’Alliance. Aujourd’hui, ce qui a changé, c’est que pour faire avancer l’Europe de la Défense, il faut lever une ambiguïté qui demeure dans un certain nombre de pays européens…

M. Bernard Cazeneuve – Et dans la tête de M. Bush !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  …et qui les inquiète, car ils sont profondément attachés à l’Alliance atlantique, dont ils savent qu’elle assure leur sécurité.

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est un mythe !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  J’ajoute enfin que l’on ne peut tout à la fois reprocher à l’Alliance d’être trop américaine, et refuser d’y participer. Et pour y participer dans les meilleures conditions, il faut faire avancer l’Europe de la Défense, pour que l’Europe ait plus de poids, et la France aussi, dans l’énorme chantier de la rénovation de l’Alliance atlantique.

Enfin, Monsieur Lecoq, vous avancez l’idée de privilégier l’industrie d’armement française : mais à entendre l’appel au désarmement que vous avez lancé durant vingt minutes, l’industrie nationale serait bien à plaindre si vous accédiez au pouvoir ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Madame Adam, vous avez été membre de la commission du Livre blanc. Vous n’ignorez donc pas que le Livre blanc de 1994 était le produit de la cohabitation ; or, à l’époque, aucun socialiste ne s’était élevé contre l’absence de parlementaires dans cette commission ! Vous n’ignorez pas plus, puisque vous en faites partie, que la commission de la Défense a auditionné à plusieurs reprises M. Jean-Claude Mallet, que nous vous avons présenté les premiers arbitrages du Président de la République sur le Livre blanc, que vous avez été amenés à présenter toute une série d’observations, et qu’un certain nombre d’entre elles ont été prises en compte (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC).

Nous avions bien besoin, il est vrai, de restaurer le budget de la défense à partir de 2002. Je tiens à votre disposition, si vous le souhaitez, les chiffres de la disponibilité opérationnelle du matériel à l’époque ; il est heureux qu’un effort important ait été fourni – 1,5 milliard d’euros supplémentaires sur le maintien en condition opérationnelle ! Vous qui êtes députée de Brest, demandez donc à la préfecture maritime quel était le niveau de disponibilité opérationnelle des sous-marins nucléaires d’attaque en 2002 et vous verrez à quel niveau de faiblesse nous étions arrivés. Le redressement a été effectué. Les années qui viennent ne seront sans doute pas exemptes de difficultés mais, grâce à l’engagement pris par le Président de la République, nous serons en mesure de les surmonter ! (applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

La séance, suspendue à 17 h 35, est reprise à 17 h 45.

M. Bernard Deflesselles – Voici presque un an que le Président de la République a lancé la refondation de notre politique de défense. Le Livre blanc représente l’engagement de la nation face à son histoire, l’engagement d’une France libre, pacifique et responsable. Il définit en toute transparence le « contrat sécuritaire » qui lie la nation à ses armées pour les deux prochaines décennies. C’est sur la base de ces choix stratégiques que sera modernisé notre outil de défense.

Je salue le ministre, dont l’engagement personnel est remarquable, sans oublier Mme Alliot-Marie, qui a conduit pendant cinq ans les destinées de ce ministère. Je salue également le président et les membres de la commission du Livre blanc, pour la qualité de leurs analyses et propositions.

En matière d’analyse stratégique, le Livre blanc a toujours été la référence. En 1972, il consacre, dans un monde bipolaire, les principes de dissuasion et d’indépendance nationale. En 1994, il ébauche le changement de posture stratégique consécutif à la chute du mur de Berlin ; c’est depuis cette époque que la France, membre fondateur de l’Alliance atlantique, participe de nouveau aux opérations de maintien ou de rétablissement de la paix nécessitées par ce nouveau contexte stratégique.

Depuis lors, le monde a changé, et non dans le sens plus juste et pacifique que nous espérions. Les « dividendes de la paix », si chers à certains sur les bancs de la gauche, ne sont qu’une vérité comptable, bien dérisoire dans le monde de l’après-guerre froide. Si nous pouvons nous réjouir de la paix retrouvée sur notre continent réunifié ou du renforcement d’une certaine solidarité internationale, le spectre des menaces est aujourd’hui diffus : terrorisme, cyber-attaques, luttes pour les matières premières, conflits pour l’eau, conflits ethniques ou religieux… La multiplication des menaces rend l’exercice d’une « définition stratégique figée » très incertain.

C’était le défi qu’avait à relever la commission du Livre blanc 2008. Elle s’en est acquittée avec succès en formulant des propositions cohérentes et équilibrées. Répondre à l’incertitude en est le fil rouge. Les attaques du 11 septembre 2001, les attentats de Madrid ou de Londres montrent la vulnérabilité des démocraties face aux violences asymétriques ainsi qu’à l’hyper-terrorisme. Si notre territoire n’est plus menacé par les chars du Pacte de Varsovie, il reste à la merci d’un ennemi aux contours insaisissables.

Le texte fondateur de notre politique de sécurité, l’ordonnance de 1959, rappelle que la sécurité du territoire et de la population doit être assurée « contre toutes formes d’agression ». Or il existe de multiples menaces : actes de piraterie – la récente affaire du Ponant – ; menaces sur nos approvisionnements en matières premières – attentat du Limburg – ou contre nos intérêts économiques – attentats contre les personnels de la DCN au Pakistan, enlèvements ou meurtres de nos ressortissants – ; pillage industriel de nos pôles d’excellence…

Parallèlement, le monde devient plus instable et imprévisible. Combien d’États ne se sont-ils pas engagés dans une nouvelle course aux armements ? Les dépenses militaires de la planète – 1 339 milliards de dollars – ont augmenté de 45 % en dix ans : de plus de moitié à l’est de l’Union européenne, de 65 % aux États-Unis, de 62 % au Moyen-Orient... L’Europe des 27, qui, durant une décennie, a désinvesti dans sa sécurité, fait pâle figure avec ses 6 %. À ceux d’entre vous, aux amnésiques, qui ne manqueront sûrement pas de souligner les limites de notre effort de défense, je voudrais rappeler une vérité : leur programmation militaire de 1997 à 2002 a privé nos armées de 12 milliards d’euros, pourtant promis et votés. Cela représente le second porte-avions, le renouvellement de la totalité de notre parc de blindés d’infanterie ou de la moitié de notre flotte de transport aérien. Excusez du peu ! Ceux qui servent les armes de la France savent ce que cela représente.

Le courage politique est aujourd’hui celui de la réforme. Le Livre blanc nous y invite. Les armées doivent subir une transformation profonde si nous voulons maintenir les ambitions de notre pays. Cette réforme doit nous permettre de dégager les marges financières nécessaires. Comme le Président de la République s’y est engagé, ces marges seront intégralement consacrées à la modernisation de notre outil stratégique : à la pérennisation des deux composantes de la dissuasion nucléaire – c’est l’assurance-vie de la nation – ; à l’affirmation de notre autonomie de décision dans la préparation et la conduite des opérations ; au renforcement de nos capacités de renseignement d’origine satellitaire et électromagnétique...

L’effort de modernisation que nous avons consenti durant la précédente législature sera amplifié, ce qui nécessite la rationalisation des effectifs. Si je comprends les questionnements ou inquiétudes des militaires, je tiens à leur témoigner notre confiance, notre respect, et à les assurer de notre volonté de leur permettre d’effectuer leurs missions dans les meilleures conditions, avec des matériels modernes et adaptés.

Ces missions sont au service du double défi de la défense européenne et de la rénovation de l’Alliance atlantique. Notre vocation au sein de l’Union européenne est claire et va dans le sens de l’histoire. Nous avons bâti un espace économique de liberté unique au monde, et c’est désormais dans cet espace que se conçoit notre sécurité. Nous voulons une politique étrangère et de sécurité commune aux 27. Aussi faisons-nous nôtre la proposition du Livre Blanc : « L’Union est la seule organisation capable de mobiliser en propre des instruments à la fois économiques, commerciaux, diplomatiques et militaires, nécessaires à la résolution des crises ».

Il nous faut toutefois aller plus loin : renforcer nos capacités de projection – 60 000 Européens doivent pouvoir être déployés à terme –, mutualiser nos efforts de recherche, créer une véritable industrie européenne de défense. Le lecteur attentif du Livre blanc ne manquera pas d’interpréter les chiffres qui y figurent. En vertu du « contrat opérationnel », la France fournit à elle seule la moitié des « forces projetables » que l’Europe consacre à sa sécurité, voilà la meilleure réponse qu’on puisse opposer à ceux qui rabâchent que les armées françaises sont sur le déclin !

L’Alliance atlantique, ensuite, est notre plus importante alliance militaire. Elle nous lie à 21 des 26 autres membres de l’Union européenne. C’est parce que nous sommes un grand nombre à militer pour l’Europe de la défense – avec Gilbert Le Bris, nous animons cette réflexion au sein de la commission – que nous estimons nécessaire une participation renforcée de la France au sein de cette alliance.

Toutes les majorités, tous les présidents de la Ve République ont honoré cet engagement. Ce retour au sein de la structure intégrée se fera avec une triple exigence : une libre appréciation de l’emploi de nos forces ; pas de maintien de contingent en temps de paix ; et une indépendance absolue de notre puissance nucléaire. Ce n’est en rien l’alignement pur et simple que décrivent nos collègues de l’opposition. Ce n’est en rien la trahison de je ne sais quel dogme éternel qui nous interdirait de nous adapter à un monde qui change ! C’est au contraire le choix de partager des ambitions et des responsabilités dans une Europe dont la sécurité ne peut qu’être globalisée. Ce n’est donc pas : « ou l’OTAN ou la défense européenne » ; les deux doivent être complémentaires !

Dans tout choix, il y a un discours et une méthode. Le discours, c’est celui de la France que le Général de Gaulle qualifiait « d’éternelle », celle d’un humanisme universel. La méthode, c’est celle tracée par le Président de la République : celle des alliances nécessaires dans un contexte où notre sécurité est forcément aussi celle de nos voisins et de nos alliés.

Dans le monde du XXIe siècle, les notions de frontière, de culture, de société ont profondément changé. C’est un monde très instable qui augure de bouleversements auxquels il faut nous préparer. Pour cela, nous devons adapter notre défense et élaborer un nouveau concept de sécurité. C’est le devoir d’un peuple qui aspire à rester debout. Cela n’est possible que si notre nation est unie dans la conscience de son passé et la continuité de la République et cela n’a été vrai, dans notre longue histoire, que lorsque la force des armées était aussi celle de la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Boucheron – Le Livre blanc est d’une lecture intéressante en ce qu’il résume bien les menaces et les peurs telles quelles sont ressenties aujourd’hui. Il pose les bonnes questions, auxquelles la loi de programmation militaire tentera d’apporter les bonnes réponses. L’idée générale est qu’il n’y a plus de frontières aux menaces ; telle est exactement la situation. Il vous restera, Monsieur le ministre, à relever, à l’automne, le difficile défi de la loi de programmation. Nos encouragements vous accompagnent !

D’ici là, vous aurez le plaisir d’annoncer le résultat de la revue générale des politiques publiques. Si ses principes fondamentaux ne peuvent être sérieusement critiqués, elle ne sera cependant légitime qu’appliquée avec rigueur et humanité, vis-à-vis des hommes et des territoires.

Vous serez devant des choix extrêmement difficiles entre impératifs opérationnels et pressions industrielles. Je voudrais traiter ici du rapprochement avec l’OTAN. L’argument avancé est celui de la construction de la défense européenne. Je pourrais y être sensible. Nos partenaires de l’Est ne font confiance qu’à l’Amérique ; il faudra leur dire qu’il n’y plus de menace à l’Est ! Quant à l’argument de M. Blair concernant la non-duplication, c’est une hypocrisie absolue, qui ne prétend, au fond, qu’à laisser les choses sérieuses entre les mains des Américains.

Les problèmes que rencontre la défense européenne sont en réalité les problèmes de l’Europe elle-même : absence d’identité européenne, donc absence de volonté d’une politique extérieure commune, donc défaut de financement d’une défense commune. Ceux qui ont la volonté de construire l’Europe de la défense n’ont pas d’argent ; ceux qui ont de l’argent n’ont pas cette volonté. Espérons que la situation évoluera. La défense européenne ne se construira que dans l’Union européenne, et non à l’extérieur. L’Europe de la défense ne se construira que grâce à des coopérations structurées approfondies, sujet par sujet, et nous n’avons pas besoin de traité pour cela.

Quelles sont les conditions de cette construction ? D’abord, il s’agit de prendre enfin acte du message des peuples, qui nous disent, les uns après les autres qu’ils font davantage confiance aux États qu’aux structures supra-nationales pour combattre les dangers de la mondialisation. Il faut apporter la preuve de l’efficacité collective, ce qui demandera du temps – vouloir forcer l’allure, c’est bloquer la machine.

L’autre condition est de créer la dynamique. La disparition de l’empire communiste a imposé aux Européens de l’Ouest un élargissement rapide. Dès lors, tout système institutionnel fondé sur 27 droits de veto ou des majorités inaccessibles était voué à l’échec. Comme pour Schengen et l’euro, il faut avancer sujet par sujet avec ceux qui veulent avancer, en créant un groupe leader de coopération de défense européenne.

Quelques pays sont prêts à participer à la création d’un centre de commandement et de planification européen, d’autres à mutualiser l’utilisation et l’entretien d’une flotte de transport aérien stratégique et de ravitailleurs, d’autres à fusionner les outils de renseignement spatial, d’autres à créer un réseau radar européen d’alerte avancée et de surveillance maritime, d’autres à européaniser les marchés d’armement, d’autres à coordonner les recherches industrielles, d’autres encore à créer un centre unique de lutte contre le cyber-terrorisme… Que ceux qui veulent vraiment avancer ensemble – avec des financements en conséquence – puissent enfin le faire !

C’est ainsi que se construira l’Europe de la défense – et notre intégration à l’OTAN n’y changera rien. Depuis avril 1996, nous participons aux réunions ordinaires du comité militaire de l’Alliance, et le Président de la République a dit que nous ne participerions pas au comité de plans nucléaires. Bref, rien ne changera ! Ce rapprochement n’est donc pas technique, mais politique.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Eh oui !

M. Jean-Michel Boucheron – Certains disent qu’entrer dans l’OTAN n’est pas s’aligner sur les États-Unis. Il y a pourtant des indices contraires. Je pense d’abord à la défense antimissile américaine en Europe. Il s’agit d’installer des radars en République tchèque et des missiles en Pologne, voire en Lituanie – où on se demande en quoi ils pourraient être utiles pour défendre la Grèce contre une attaque de la Syrie – en oubliant que cette défense antimissile est une passoire et qu’elle a obligé les États-Unis à rompre avec le traité ABM. Chacun sait d’autre part qu’une attaque de la Russie n’est pas d’actualité. Cette défense antimissile n’est donc qu’un moyen de faciliter l’influence américaine à l’est de notre continent. Quel est l’intérêt ?

Je pense ensuite à l’Iran. Pourquoi diaboliser ce pays ? Certes, son président tient des discours inacceptables. Mais il est entouré de six puissances nucléaires – la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël et la 7e flotte américaine dans le Golfe. J’en connais beaucoup dans cet Hémicycle qui organiseraient sa sécurité s’ils dirigeaient ce pays !

M. Hervé Mariton – Vous pourriez surveiller vos propos, cher collègue !

M. Jean-Michel Boucheron – Voyez-vous vraiment l’Iran envoyer des armes nucléaires contre Israël, la France ou les Etats-Unis ? Il en recevrait cent fois plus en retour ! En réalité, les États-Unis veulent désigner un nouveau diable pour que l’islam sunnite vienne se blottir sous leur aile protectrice.

M. François-Michel Gonnot – Il ne faut pas non plus être angélique…

M. Jean-Michel Boucheron – N’oublions pas qu’il a les pieds sur de gigantesques réserves de pétrole…

Que M. Bush utilise cette stratégie, c’est son affaire. Mais pourquoi courir derrière ? La France et l’Europe n’ont rien à craindre des menaces militaires russe et iranienne ! Ce rapprochement avec l’OTAN donne finalement une dangereuse image : celle de la défense globale d’un occident monolithique. Je suis opposé à la mutation de l’OTAN d’une alliance de défense vers l’alliance politique et militaire d’un Occident uniforme – car là est bien le projet.

Le fait qu’une nation amie soit la première puissance militaire du monde ne lui confère pas le droit d’imposer son modèle à toute la planète (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP). Nous n’avons pas à dissoudre notre identité dans celle d’un Occident mythique et unifié qui nous conduirait directement au choc des civilisations et à des conflits majeurs. Ne bradons pas notre héritage historique : maintenons l’originalité politique de la France, et construisons la défense européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Nicolas Dupont-Aignan – On peut regretter que ce débat ait lieu un jeudi et que nous soyons si peu nombreux dans l’Hémicycle… L’outil de défense n’est pas seulement la garantie de la sécurité des Français : il est aussi un moyen au service d’une politique étrangère. Débattre du visage de nos armées demain, c’est donc dessiner la place de la France dans le monde. De la réalité de ce monde et de notre vision de la France découlent le format de notre défense, ses alliances et l’effort de la nation, et non l’inverse.

Ce Livre blanc était donc nécessaire, mais sa lecture m’a surpris : il y a en vérité deux Livres blancs, ou du moins deux sources d’inspiration qui aboutissent à un nœud de contradictions dont nous aurons du mal à sortir.

Il y a d’abord le Livre blanc qui pose le diagnostic et trace les grandes orientations de ce que devrait être notre politique de défense. Celui-ci ne peut que recueillir notre assentiment. La description d’un monde plus imprévisible que jamais en raison de menaces diversifiées, l’analyse de notre retard d’investissement, qui date surtout de la période 1997-2002, la définition des grandes orientations – anticipation, dissuasion, protection, intervention – qui exigent de nouveaux efforts – notamment dans le renseignement – ou de nouvelles méthodes, avec une polyvalence et une interopérabilité renforcées.

Mais il y a un autre Livre blanc, celui qui apporte les mauvaises solutions aux vrais problèmes, comme si on avait demandé aux rédacteurs d’aboutir, au mépris de toute cohérence, à des décisions déjà prises, qui obéissent à d’autres contraintes – financières, voire idéologiques.

Permettez-moi donc d’insister sur deux contradictions majeures de ce Livre blanc schizophrène.

Comment pouvez-vous prétendre affronter les nouvelles menaces en réduisant à ce point le format de nos armées, déjà sérieusement rétréci depuis 1994 ? Oui à la rationalisation, à la polyvalence, à la concentration des bases, mais non à une réduction qui ne touchera pas seulement les forces de soutien, mais aussi les trois armes – qui ne pourront plus répondre aux objectifs que vous leur fixez.

C’est donc le cadrage budgétaire qui a dicté les conclusions du rapport. Abaisser encore l’effort militaire de la Nation de 2,41 % à 2 % du PIB aura de graves conséquences. Si vous déduisez les 9 milliards des pensions et les 5 milliards de la gendarmerie, vous constaterez que notre effort est déjà inférieur à celui de la Grande-Bretagne – 7,8 milliards en 2007. Calculé sur la base de référence utilisée dans le cadre de l’OTAN, il passerait mécaniquement de 1,64 % à 1,22 % du PIB, soit un niveau tout juste supérieur à celui de l’Allemagne en valeur relative, mais inférieur en valeur absolue. Comme l’affirme le collectif Surcouf, « la France jouerait désormais dans la division de l’Italie ». Tout le reste en découle : l’abandon du second porte-avions – évoqué dans un passage surréaliste à force de langue de bois –, la réduction du nombre des avions de combat, le retrait d’un certain nombre de nos soldats du continent africain. En définitive, vous proposez à la France de passer, pour sa défense, d’un contrat d’assurance tout risque à une assurance au tiers. C’est un choix que vous n’avez pas le droit de dissimuler à la Nation.

Dans ces conditions, on comprend la précipitation que met le Président de la République à ramener la France dans l’OTAN. Ce retour n’est en rien insignifiant comme vous voulez le faire croire. Il ne se fait pas dans de bonnes conditions, puisque qu’il est annoncé comme quasi inéluctable, alors même que la France et l’Europe n’ont obtenu aucune contrepartie réelle. Au moins Jacques Chirac, qui avait cédé un temps à cette tentation avant de se raviser au moment de la guerre d’Irak, avait-il subordonné ce retour à de réelles et substantielles contreparties ! Pourquoi diable faire une telle concession à une administration Bush finissante sans connaître les intentions du futur Président des États-Unis ?

M. Jean-Pierre Grand – C’est vrai.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Comment prétendre bâtir une Europe de la défense dans ce cadre, alors même que cette précipitation n’incitera en rien le Royaume-Uni à nous tendre la main – en témoigne la gifle du lancement de leurs deux nouveaux porte-avions – ni les autres Européens à augmenter leur effort de défense ? Pourquoi d’ailleurs le feraient-ils, alors que la France réduit fortement le sien ? N’oublions pas que le retour dans le commandement militaire intégré n’aura pas seulement des conséquences militaires, mais aussi industrielles : notre industrie de défense, l’une des premières dans le monde à contester la prétention monopolistique des États-Unis, sera alors affaiblie à cause de la pression politique exercée par Washington pour que notre pays se dote de matériels américains.

Nous entrons donc dans l’OTAN pour jouer le rôle de second derrière la Grande-Bretagne qui, elle, a décidé de se donner les moyens d’assurer le leadership. Nous commettons un contresens historique total. La position de la Grande-Bretagne, au cœur de l’alliance euro-atlantique, correspond à son intérêt et à sa personnalité, alors que nous rompons avec 40 ans d’indépendance nationale au service d’une politique étrangère mondiale.

Dans un monde de plus en plus multipolaire, il est contreproductif d’enfermer notre défense, et donc notre politique, dans une logique de coalition occidentale qui date de la Guerre froide. Pire, cela augmente le danger de conforter la transformation de cette alliance par les Américains en une sorte de police mondiale alimentant une guerre funeste entre civilisations.

Contrairement à ce que vous voulez croire, c’est le meilleur moyen de tuer dans l’œuf toute défense européenne, et d’éloigner un peu plus les Européens comme les Français de l’adhésion à l’effort de défense.

Le Général de Gaulle avait compris avant tous les autres que la France avait sa propre partition dans ce monde multipolaire. Au moment où les faits lui donnent raison, vous privez la France de sa marge de manœuvre. Preuve en est l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, annoncé devant le Parlement britannique puis au sommet de Bucarest. Vous le faites pour des raisons financières, mais aussi idéologiques.

Votre « modernisation » est en fait une « normalisation », qui réjouit tous ceux qui n’ont jamais adhéré à cette politique qui s’adressait au monde plutôt qu’à un camp et ses intérêts. Politique, je le rappelle, qui n’a jamais interdit la solidarité atlantique lorsqu’elle était nécessaire. Alors pourquoi rentrer dans le rang ? Des personnalités aussi différentes qu’Alain Juppé ou Hubert Védrine se posent la question.

M. Jean-Pierre Grand – Ils ont raison !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Si on en connaît les inconvénients, on n’en n’a toujours pas compris l’intérêt !

Derrière les grandes envolées – qui cherchent à masquer les économies auxquelles vous voulez procéder en réduisant le format de nos armées et l’alignement sur les États-Unis –, nous n’aurons ni la défense autonome construite par le Général de Gaulle, ni la défense européenne souhaitée par François Mitterrand, mais une sorte de CED au rabais, sous commandement américain et dans le cadre de l’OTAN.

Vous invoquez parfois de Gaulle, mais c’est pour couvrir une politique à la Pleven ! Vous ne jurez que par les États-Unis et l’OTAN, mais comme les Français rejettent massivement cette politique de soumission et d’alignement, vous n’avez même pas le courage de l’assumer devant eux. Mais n’imaginez pas qu’ils seront dupes. Ils vous jugeront durement si vous persistez dans cette posture.

Oui, notre pays, compte tenu de son histoire, de ses valeurs et de ses intérêts, mérite mieux. Oui, une autre politique de défense est possible. Elle découle naturellement de notre vision du monde et de notre projet pour la France dans le monde. C’est dans cette optique que le Général de Gaulle déclarait, en 1966 : « Quand on ne veut pas se défendre, ou bien on est conquis par certains ou bien on est protégé par d’autres. De toute manière, on perd sa personnalité politique, on n’a pas de politique ». Je ne souhaite pas que mon pays n’ait plus de politique ! (Mme Olivier-Coupeau applaudit.)

M. Jean-Pierre Grand – Voilà un beau discours gaulliste !

M. Hervé Morin, ministre de la défense C’est le monde à l’envers !

M. Hervé Mariton – Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale propose un diagnostic et une stratégie qui reposent sur l’énoncé d’une vérité, l’affirmation d’une ambition et l’exigence d’une cohérence. Mais l’essentiel reste à faire ! Il nous faut susciter l’adhésion de nos concitoyens et entraîner nos alliés, au premier rang desquels nos partenaires européens. Il convient aussi de vérifier la pertinence de la grille d’analyse du Livre blanc, pour le monde d’aujourd’hui comme pour celui de demain. Il faut pour tout cela de la volonté et de la lucidité.

La volonté, elle puise dans notre histoire et dans notre mémoire. Elle doit répondre au contexte européen. L’OTAN a permis à l’Europe de se construire sans souci de défense. Dès lors, ne nous leurrons pas, l’Europe de la défense reste à faire. Oui à un travail stratégique commun, oui à une réelle politique industrielle de la défense. Jusqu’à présent, les initiatives sont restées balbutiantes mais nous pouvons progresser.

L’OTAN est une alliance qui a pris tous son sens pour contrer des menaces traditionnelles, qui peuvent encore se développer à l’avenir. Dès lors, si la construction européenne a un rôle à jouer, il est de même de l’alliance atlantique. Dans le Livre blanc, le Gouvernement défend l’idée d’une complémentarité entre l’OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense. C’est une approche utile et raisonnable, qui mérite cependant, Monsieur le ministre, d’être précisée pour être appliquée. Je suis de ceux qui peuvent aisément comprendre tout l’intérêt pour notre pays et d’une politique européenne mieux affirmée et d’un système d’alliances plus simple et plus fécond. Mais je demande alors que soit bien définie la complémentarité de nos initiatives et de nos engagements.

La France doit assumer la volonté de se défendre. Le Livre blanc est construit sur l’idée d’un continuum entre les catastrophes naturelles, les crises et les conflits. Sans doute est-ce pour partie pertinent. Mais il faut bien mesurer que tous les risques ne sont pas du même ordre. Si nous voulons rester une nation pacifique, nous devons rester une nation armée, physiquement et moralement.

Il convient également d’être lucide face à l’évidente contrainte budgétaire. Oui, notre pays ne sera pas libre s’il ne conforte pas son indépendance financière et le redressement de son économie. Nos collègues de l’opposition ne doivent pas oublier le décalage entre les commandes et les crédits qu’avait décidé d’entériner le gouvernement de Lionel Jospin…

M. Bernard Cazeneuve – Tant que vous y êtes, remontez au Cartel des gauches et au Front populaire !

M. Hervé Mariton – C’est poser un acte de lucidité que de présenter aujourd’hui les choses telles qu’elles sont. Oui, Monsieur le ministre, la réforme est nécessaire. L’évolution des effectifs et la réorganisation, telles que l’envisage la RGPP, est indispensable. Et la réforme doit être complète, en n’ignorant pas, notamment, les perspectives d’externalisation précédemment évoquées. Dès lors, l’adaptation du format va sans doute au-delà des 54 000 hommes dont il a été question ; externalisation comprise, c’est plutôt de 70 000 hommes qu’il faut parler.

Pour que la réforme réussisse, il faut que les bases de défense constituent réellement un nouvel outil et pas simplement un cadre conceptuel. Les restructurations doivent s’accompagner des mesures de solidarité que chacun attend et celles-ci doivent être présentées au même moment que les projets de réorganisation.

Enfin, notre stratégie et nos choix de défense doivent envisager la complexité du monde actuel. Autant qu’il est possible, nous devons faire l’effort de nous projeter dans l’avenir et de tenir compte de ses incertitudes. Quid de la prolifération nucléaire ou de la disproportion dans la dimension des puissances ? Je regrette que dans le Livre blanc, la nouvelle donne créée par la nouvelle puissance de nos amis de Chine soit peut-être analysée un peu rapidement.

Comme le suggérait tout à l’heure le Premier ministre, la politique qui découlera du Livre blanc appellera un fort soutien, et beaucoup de vigilance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Grand – Surtout de la vigilance !

M. Bernard Cazeneuve – Je me réjouis que ce débat se tienne devant un hémicycle bondé, rempli de parlementaires attentifs  et passionnés! (Sourires) Il faut bien admettre que notre capacité de peser sur ce fameux Livre blanc est assez faible, ce qui explique sans doute que le public soit un peu clairsemé… Je rappelle que le Président de la République l’a rendu public il y a quelques jours à la Porte de Versailles et que nous l’avons reçu quelques heures après dans une très belle édition brochée d’Odile Jacob ! C’est dire s’il est encore temps d’en bouleverser le contenu !

Je suis étonné que nos collègues de la majorité considèrent que la participation de deux parlementaires à la commission du Livre blanc constitue un progrès majeur puisque aucun n’avait été sollicité en 1994…

M. Bernard Deflesselles – Ce n’est pas deux mais quatre, deux de la majorité et deux de l’opposition. Renseignez-vous !

M. Bernard Cazeneuve – Faut-il y voir une avancée décisive de la capacité de contrôle du Parlement sur le domaine réservé ? Je pense qu’une telle analyse ferait sourire tous les parlementaires des autres démocraties occidentales…

Mme Patricia Adam – Notamment en Europe !

M. Bernard Cazeneuve – …au sein desquelles la notion de domaine réservé n’existe pas et où le pouvoir de contrôle du Parlement n’est pas virtuel !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Votez la révision constitutionnelle !

M. Bernard Cazeneuve – De toute façon, les deux députés qui ont participé à la commission du Livre blanc ont vu le Président de la République trancher lui-même les questions soumises au débat. C’est à la radio d’Abu Dhabi que nous avons appris l’installation d’une base navale dans cette partie du monde où nos intérêts stratégiques sont complexes et c’est de la Chambre des Communes que nous est revenue l’annonce du renforcement de notre présence en Afghanistan. Sans doute est-ce une manière de renforcer le Parlement… britannique !

Mme Françoise Olivier-Coupeau – Très bien !

M. Bernard Cazeneuve – Après toutes les considérations stratosphériques de plusieurs de nos collègues, qu’il me soit permis de m’en tenir à quelques idées simples.

S’agissant de l’organisation des forces, le Président de la République a dit trois choses. D’abord, il faut faire des économies pour financer nos capacités, car nous avons besoin d’une armée plus svelte, mieux équipée et plus mobile. Ensuite, il n’y a plus de lien entre la politique d’aménagement du territoire et l’implantation des infrastructures de défense. Enfin, il est indispensable que l’Europe de la défense aille son chemin, et elle ne peut le faire que dans le cadre de l’OTAN.

En ce qui concerne le lien entre les économies de fonctionnement et le renforcement de nos capacités, je me pose une question simple. Vous allez procéder à une réduction de l’effectif de nos armées et le Président de la République a avancé, à la Porte de Versailles, le chiffre de 54 000 hommes. En me penchant sur la pyramide des âges de nos armées, j’ai constaté qu’il serait très difficile d’atteindre cet objectif grâce aux seuls départs naturels. Il faudra donc des mesures sociales : quelles seront-elles ? Sont-elles aujourd’hui arbitrées et évaluées ? La cible sera-t-elle atteinte autrement que par des licenciements secs, que vous n’avez du reste, je le concède, jamais évoqués ? Sur ce sujet, les états-majors eux-mêmes restent dans l’expectative et ils attendent vos arbitrages.

Du montant des économies attendues devra naturellement être déduit celui des mesures sociales d’accompagnement. Puisque vous espérez réinvestir chaque année 3 milliards d’économies dans nos capacités, faut-il comprendre que ces 3 milliards intègrent le montant des mesures sociales non encore arbitrées ni dévoilées ?

Autre question, puisque nous allons renforcer nos moyens capacitaires grâce à des économies, permettez-moi de prendre l’exemple de DCNS que je connais mieux que d’autres. Si vous allez procéder à des arbitrages, ce n’est pas parce que les socialistes n’ont pas consacré suffisamment de moyens à notre défense en 1848, sous le Cartel des gauches, lors du Front populaire ou encore en 1981. Il faudra bien que vous rendiez des comptes pour votre propre politique. Une grande partie des programmes arrêtés sous la précédente législature n’ont pas été réalisés…

Lorsque vous avez lancé le programme FREMM, Madame la ministre, à l’époque où vous étiez en charge de la défense, le ministère du budget s’était interrogé sur le financement baroque qui avait été retenu, et les moyens prévus n’ont pas été au rendez-vous. Quant au programme « Barracuda », le délai séparant chaque commande devait être de deux ans, puis il a été porté à trois. On peut également s’interroger sur la coopération engagée entre la France et la Grande-Bretagne pour la construction d’un second porte-avions. Où en est-on aujourd’hui, puisque la décision est sans cesse repoussée à plus tard ? Quel a été le coût des opérations déjà engagées ?

J’aimerais également savoir quelle sera la conséquence des suppressions d’emploi envisagées par le Gouvernement sur les effectifs de DCNS ? Y aura-t-il un plan social ? Comment sera-t-il financé ? Plusieurs dirigeants du groupe redoutent des suppressions massives d’emplois. Quelle politique mènerez-vous dans le domaine des industries de défense ?

Je m’interroge également sur le lien entre la politique de défense et l’aménagement du territoire. Certains députés UMP – il n’y a pas que les socialistes pour le faire – vont jusqu’à se plaindre de l’absence de concertation et de préparation des mesures qui sont annoncées. Vous allez livrer à eux-mêmes des territoires déjà en proie à la désertification. N’eût-il pas été préférable de prévoir des mesures d’accompagnement, avant de décider le « déménagement » des territoires ?

Un mot enfin sur l’OTAN. Comme notre collègue Jean-Michel Boucheron, je me pose un certain nombre de questions sur la réalité de vos intentions. À vous entendre, nous n’aurions plus aucune raison de ne pas réintégrer l’OTAN, puisque nous y serions déjà et que les autres pays de l’Union européenne ne sauraient concevoir la construction d’une Europe de la défense autrement qu’au sein de cette instance. Nous avions pourtant l’impression que c’étaient les États-Unis qui refusaient une Europe de la défense qui ne leur serait pas soumise ! Ils ont toujours choisi de la faire échouer plutôt que de la laisser vivre hors du cadre de l’OTAN.

Nous allons par ailleurs rejoindre le commandement intégré de l’OTAN alors que la politique américaine n’a jamais été aussi unilatérale : jamais les États-Unis n’avaient autant cherché à affirmer leur hyper-puissance au nom d’une vision du monde qui repose sur le conflit des civilisations. Faut-il accepter que les Occidentaux portent leurs valeurs partout dans le monde par la guerre au prétexte qu’elles seraient supérieures à celles des autres pays ? Devons-nous nous battre pour affirmer la supériorité des valeurs judéo-chrétiennes dont le Président de la République s’est réclamé au Latran ?

D’autre part, il ne me semble pas que nous ayons intérêt à réintégrer le commandement intégré de l’OTAN compte tenu du palmarès calamiteux des États-Unis. Songeons à l’Iran, où il est question de mener la guerre sans avoir utilisé toutes les ressources de la diplomatie. Songeons aussi aux bourbiers que sont devenus l’Irak et l’Afghanistan. Allons-nous devenir les supplétifs d’une politique qui n’est pas la nôtre et que nous aurions raison de refuser ? Vous comprenez que nous ayons de nombreux doutes sur vos objectifs… (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Serge Grouard – « Faisons une hypothèse : il y a une guerre demain et la Belgique est envahie. Si nous n’avons pas le moyen de nous porter immédiatement à son secours, que se passe-t-il ? 350 kilomètres de frontières ouvertes au Nord de la France… C’est par une offensive foudroyante avec une aviation utra-moderne et une armée rapide à grand rendement que l’Allemagne fera cette opération »

Ces propos ont été tenus depuis cette tribune, le 15 mars 1935, par Paul Reynaud. Inspiré par l’analyse stratégique d’un certain colonel de Gaulle, Paul Reynaud réclamait en vain la création d’un corps blindé mécanisé. Sur certains bancs, il fut alors question de l’agressivité de la France et de la nécessité de faire prévaloir le droit. Cinq ans plus tard, nous traversions le plus grand désastre de notre histoire…

La politique de défense est une affaire grave, car il y va de la pérennité de la nation. Un Livre blanc est un acte fondateur. Ce qui nous est proposé l’est pour plusieurs raisons. Du point de vue de la méthode tout d’abord, une large consultation a été organisée pour la première fois ; vous avez également souhaité que le format de nos armées résulte de la réflexion politico-stratégique, et non l’inverse ; vous vous êtes enfin engagés à coupler les objectifs et les moyens prévus. Il faudra naturellement que la loi de programmation militaire confirme cette orientation et que la restructuration de nos forces permette de dégager les économies nécessaires.

Le Livre blanc est également fondateur par son analyse des menaces. Sans revenir sur le large panorama dressé dans ce document, je rappelle que les débats sur les menaces non étatiques et sur le « choc des civilisations » ne doivent pas occulter le risque d’un retour des confrontations classiques entre les États. Nous pourrions bien être confrontés, dans les décennies qui viennent, à un conflit majeur de ce type.

Au XIXe siècle, la montée en puissance de l’Allemagne a ainsi déstabilisé le concert des nations et donné lieu à trois conflits : celui de 1870, puis les deux guerres mondiales. De la même façon, le semblant de concert des puissances qui se dessine actuellement – États-Unis, Chine, Inde, Europe et Japon – pourrait bien être bousculé par l’ascension de l’une ou l’autre de ces puissances, sous l’effet des tensions que l’on constate aujourd’hui, notamment le désir d’appropriation des ressources naturelles dans un contexte économique tendu, ou encore la divergence des intérêts en matière de réchauffement climatique – un conflit environnemental nous guette peut-être. Dans ces conditions, quelle serait l’attitude de la France ? Comment notre dispositif militaire pourrait-il regagner en puissance ?

Ce qui nous attend risque d’être bien différent de la situation actuelle : pour la première fois, la puissance dominante pourrait bien ne plus être occidentale. Ce serait un bouleversement plus radical encore que la fin de la bipolarisation et que l’avènement de l’hyper-puissance américaine.

Le dernier aspect fondateur du Livre blanc, c’est le diagnostic lucide qu’il dresse sur l’état de notre outil de défense. Nous assumons en effet un triple héritage, en partie positif et en partie négatif. Le premier legs du passé est la construction, sous la présidence du général de Gaulle, de notre outil nucléaire, qui est toujours le socle de notre défense : c’est notre ultime garantie et le fondement de notre indépendance de décision.

Le deuxième héritage nous vient de la professionnalisation des forces décidée en 1995 par Jacques Chirac. Contestée à l’époque, cette évolution a tout d’une évidence aujourd’hui. C’est sur cette assise que nous pouvons construire notre futur outil de défense.

Troisième héritage, négatif celui-ci : celui des années 80 et de la première moitié des années 90 où ont été commises des erreurs majeures dans les choix d’équipement et les programmes validés à l’époque, mais aussi avec des non-choix et des artifices budgétaires qui conduisent aujourd’hui nos armées à rouler cette fameuse « bosse » comme elles porteraient leur croix. Le Livre blanc propose d’y mettre un terme pour qu’à l’avenir, notre défense ne soit pas que de papier.

Je salue les choix proposés dans ce Livre blanc, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la loi de programmation militaire. J’apprécie tout particulièrement l’effort consenti dans le domaine du renseignement d’origine électro-magnétique, de l’alerte avancée et de la surveillance de l’espace à des fins militaires avec le programme Musis. Cet effort indispensable permettra à la France de conforter son rang de troisième puissance spatiale mondiale.

Je dirai en conclusion que Paul Reynaud n’a pas été écouté qui proposait de créer « l’armée de nos besoins » en mettant de côté « l’armée de nos habitudes ». C’est ce que ce Livre blanc nous invite à faire. Reste à le mettre en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Françoise Vallet – Mes collègues socialistes et moi-même sommes particulièrement inquiets du déni de démocratie qui progresse insidieusement dans notre pays. Ainsi, le Conseil de défense et de la sécurité nationale serait désormais présidé par le Président de la République lui-même….

M. Jacques Myard – Heureusement !

Mme Françoise Vallet – …et ne resterait au Parlement qu’un simple droit de regard sur les OPEX.

Or la démocratie exige qu’existent des contre-pouvoirs. La défense ne saurait en démocratie être le fait d’un seul homme. Au pays des droits de l’homme, il n’est pas acceptable que sur un sujet aussi sensible, le Parlement soit réduit à un rôle de spectateur. Notre devoir d’élus du peuple est de rester vigilants : il ne faudrait pas que, sous les atours de la modernisation, se mette en place une gouvernance autocratique.

La création d’un Conseil national de la défense et de la sécurité nationale présidé par le Président de la République va à l’encontre de la réforme des institutions qui devrait rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Quel mélange des genres avec un Président de la République à la fois super Premier ministre, super ministre de la défense et super ministre de l’Intérieur. N’est-ce pas beaucoup pour un seul homme ?

M. Bernard Deflesselles – Il est effectivement super… (Sourires)

Mme Françoise Vallet – Certes, la pratique constitutionnelle depuis 1962 fait du chef de l’Etat « le chef des armées », mais c’est là un usage.

M. Jacques Myard – Non, c’est la Constitution !

Mme Françoise Vallet – Le Président de la République partage ce domaine avec le Premier ministre, responsable, lui, de la défense nationale aux termes de l’article 21 de la Constitution. Que les décisions soient prises de manière concertée entre le Président de la République et le Gouvernement constitue un garde-fou évitant toute intervention sous le coup de l’impulsion et de l’émotion. Or le projet de réforme constitutionnelle prévoit que le Premier ministre ne soit plus « responsable », mais simplement chargé de la mise en oeuvre des décisions.

Pis, le rapprochement envisagé entre défense et sécurité nationale est artificiel et incohérent. Il y a là encore un dangereux mélange des genres. Force militaire et force civile sont de nature différente. Les militaires ont pour mission de défendre les intérêts fondamentaux de notre pays, et l’armée dispose de tous les moyens nécessaires pour agir, sans limitation juridique. À l’inverse, la sécurité civile dispose de moins de moyens : les policiers ne peuvent ainsi faire usage de leur arme que de façon limitée et la mission des forces de sécurité civile se résume à la protection des personnes sur le territoire national en période normale. C’est la différence fondamentale avec l’armée qui, elle, intervient en période de crise. Leurs commandements et leur façon de fonctionner sont aussi radicalement différents.

Avec ce Conseil, toutes les forces d’intervention de notre pays seraient placées sous le contrôle direct du Président de la République. Les auteurs du Livre blanc justifient ce choix par un contexte de menace terroriste. Nous ne contestons pas que la situation puisse être difficile ; mais en cas d’incident grave où de multiples civils seraient touchés, nous disposons déjà des outils pour réagir. En effet, le Secrétariat général à la défense assure la coordination des acteurs militaires et des acteurs civils pour agir au plus vite en fonction des besoins.

Un État qui laisserait sa défense nationale et sa sécurité civile entre les mains d’un même homme ne saurait être une démocratie. En période de crise, de guerre et d’atteinte à l’intégrité nationale, le chef de l’État doit avoir les moyens d’agir vite. C’est le sens de l’article 16 de notre Constitution. Mais celui-ci ne saurait s’appliquer que de manière exceptionnelle.

Autre sujet d’interrogation : les opérations extérieures. Est-il normal, lorsque des troupes sont engagées hors du territoire français, que le Gouvernement ne se présente pas devant le Parlement ? Votre projet de révision constitutionnelle prévoit qu’il devra dorénavant informer le Parlement « des interventions des forces armées à l’étranger dans les trois jours », et lui préciser les objectifs poursuivis. Cette mesure va dans le bon sens. Mais, hélas, cette information ne peut donner lieu qu’à un débat sans vote. Il semblerait pourtant essentiel que le Parlement puisse donner son avis sur des questions aussi fondamentales que l’engagement des troupes à l’extérieur de nos frontières, et même avoir un pouvoir contraignant en la matière.

Si certaines mesures du projet de réforme constitutionnelle vont dans le bon sens, nous regrettons que le Livre blanc ne pose pas les modalités de gouvernance de notre système de défense. Le Président de la République ne saurait être seul maître à bord, sans contre-pouvoirs. Nous, socialistes, sommes opposés à ce que l’ensemble des pouvoirs soit concentré entre les mains d’une seule personne (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. François Cornut-Gentille – Je souhaiterais ici mettre un terme à certains mauvais procès intentés au Livre blanc de la défense, notamment par notre collègue Bernard Cazeneuve.

On a ainsi prétendu que la commission du Livre blanc n’aurait pas comporté assez de militaires. Cela est faux, ils y étaient bien sûr représentés. En outre, ce Livre blanc sur la défense n’est pas un livre blanc de la défense. Il n’est pas rédigé par des militaires pour des militaires. Sa richesse réside notamment dans la diversité de ses auteurs.

On a aussi prétendu que le Parlement avait été tenu à l’écart de la commission. Là encore, cela est faux. Deux députés et deux sénateurs y siégeaient, ce qui constituait une première. Les parlementaires de l’opposition ont certes choisi de démissionner. Toujours est-il qu’ils étaient représentés. Le président Guy Teissier nous a régulièrement informés de l’avancée des travaux ; des débats ont été organisés en présence d’experts ; le ministre, Hervé Morin, et M. Mallet ont été extrêmement disponibles pour répondre à toutes nos questions.

On a également dit que le Livre blanc n’était qu’une justification de choix stratégiques faits ailleurs, entendez à l’Élysée. Le Président de la République s’est certes exprimé sur de nombreux sujets abordés par le Livre blanc : la dissuasion, la place de la France au sein de l’OTAN, les opérations extérieures. Mais devait-il rester silencieux sur ces points alors qu’il est le chef des armées ? En réalité, il a fait sortir des sujets cruciaux du cercle des experts. Les médias en ont traité, des sondages ont été réalisés, des tribunes ont été rédigées, qui ont permis à chacun de mieux saisir les enjeux. Veut-on une République d’experts ou bien que la défense soit l’affaire de tous ? Contrairement à ce que l’on a prétendu, les interventions du Président de la République n’ont pas clos le débat. Elles ont au contraire permis de l’ouvrir.

On a également dit que ce Livre blanc avait été élaboré sous la contrainte budgétaire.

M. Jacques Myard – C’est vrai.

M. François Cornut-Gentille – Imaginons un instant ce qu’il en aurait été sans garde-fou budgétaire ! Ignorer les contraintes budgétaires n’aurait pu conduire qu’à des vœux pieux et exposer à des déconvenues. Plusieurs points du Livre blanc indiquent toutefois clairement que la dimension budgétaire n’a pas été l’unique déterminant. Ainsi du maintien de la dissuasion en dépit de son coût, du renforcement significatif des moyens alloués à la recherche, au renseignement et aux équipements, de la sanctuarisation des économies qui seront recyclées au sein du ministère. La pression budgétaire, loin de conduire à des renoncements, a permis de faire des choix d’avenir.

On a entendu dire également qu’avec ce Livre blanc, notre pays baisserait la garde et rétrograderait en matière de puissance militaire. On avait déjà entendu cette ritournelle en 1994 ou lors de la professionnalisation des armées. Or notre armée est toujours aussi respectée dans le monde entier. Certains s’inquiètent de la diminution de l’objectif de projection de 50 000 à 30 000 hommes. Ne nous leurrons pas, nous n’avons jamais été en mesure d’envoyer 50 000 hommes hors de nos frontières. L’objectif de 30 000 est lui-même extrêmement ambitieux, de même que celui d’envoyer 70 avions de chasse en opération.

En définitive, le Livre blanc dessine une armée plus compacte et plus réactive. Ce n’est en effet pas le volume de l’outil de défense qui fait son efficacité, mais sa capacité à réagir rapidement face à des menaces aussi diverses qu’inattendues.

Le succès de cette réforme ambitieuse suppose de relever quatre défis majeurs. Elle doit être menée intégralement et respecter la cohérence stratégique d’ensemble. Si elle est fragmentée, remise en cause pour partie ou trop étalée dans le temps, elle ne produira pas les résultats attendus. Bernard Cazeneuve et moi-même y serons extrêmement attentifs dans le cadre de la mission de suivi qui nous a été confiée par le président Teissier.

Le premier défi que doit surmonter cette réforme est budgétaire : la prochaine loi de programmation militaire et le budget 2009 doivent être conformes à la ligne tracée. Cela suppose que les crédits exceptionnels prévus pour passer la bosse budgétaire soient au rendez-vous. Par ailleurs, pour que l’exécution budgétaire soit sans faille, les relations entre le Budget et la Défense doivent évoluer. Notre stratégie de rapprochement avec l’OTAN pour relancer une dynamique européenne ne sera crédible que si la France remplit son contrat opérationnel et budgétaire.

Le deuxième défi est social et territorial, car la réforme a des conséquences humaines évidentes. La réduction du format implique des mesures d’accompagnement social lourdes. En outre, il faudra s’assurer que les mesures prévues pour accompagner la réorganisation dans les territoires seront à la hauteur et concerneront bien les plus fragilisés.

Le troisième défi est d’ordre économique et industriel. Le Livre blanc réduit la cible des différents équipements, ce qui aura des conséquences sur les industriels. Il conviendrait de développer en contrepartie les exportations. À plus long terme, il faudra réfléchir sur le maintien des capacités industrielles françaises et européennes. Cela suppose d’ailleurs qu’un exercice comparable à celui du Livre blanc soit mené à l’échelle européenne.

Le dernier défi est d’ordre politique car une telle réforme nécessite de la constance et l’existence d’un consensus. Il faut également continuer à mobiliser l’opinion en faveur de l’armée et justifier sans cesse l’effort de défense.

Monsieur le ministre, votre mission est lourde mais enthousiasmante car il s’agit de poser les bases d’une refondation. La réussite de cette modernisation doit être un modèle pour les autres ministères et, pour l’Europe, le signe d’une France qui prend un nouvel élan (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise Olivier-Coupeau – L’un des principaux reproches que l’on peut adresser à cette réforme porte sur son impréparation. J’illustrerai mon propos par l’exemple de la composante navale et plus particulièrement des frégates multi-missions.

Le parc des frégates de premier rang est vieillissant. Si nous n’apportons pas de nouveaux bâtiments, la marine peinera à tenir son contrat opérationnel et ne pourra jouer le rôle fondamental qui lui est imparti pour notre défense.

Monsieur le ministre, il faut financer ces moyens. Pourtant, vous avez lancé le programme « frégates européennes multi-missions » sans en avoir stabilisé le financement. D’aucuns avaient proposé un financement innovant, incluant des capitaux privés, mais vous lui avez préféré un montage financier qualifié de « baroque » par M. Cazeneuve, basé sur la règle des treize dix-neuvièmes. Or, si les six premiers dix-neuvièmes sont inscrits dans l’enveloppe du ministère de la Défense, les treize autres n’ont pas été inscrits dans la loi de finances rectificative 2007 ni dans la loi de finances initiale de 2008.

M. Bernard Cazeneuve – Absolument !

Mme Françoise Olivier-Coupeau – Vous vous êtes déclarés confiant quant aux capacités d’exportation des Fremm, suscitant notre enthousiasme, tempéré hier par une annonce de Intelligence on line : la Bulgarie aurait renoncé à acheter quatre corvettes Gowind, se reportant sur des bâtiments d’occasion. La potentialité d’exportation est aléatoire : nous ne pouvons nous permettre de mettre en péril notre tissu industriel à cause de considérations politiques par trop optimistes.

En privant la marine des bateaux qui lui sont indispensables, vous risquez de fragiliser notre base industrielle et technologique et de voir se disperser les savoir-faire et les équipages qui seront un jour nécessaires.

Concernant notre industrie navale, j’aimerais savoir si l’État – actionnaire principal – après avoir réduit ses commandes, exigera de DCNS le même résultat économique ou s’il renégociera le contrat.

Monsieur le Ministre, nous sommes dans le flou le plus complet quant à l’arbitrage des programmes « marine » issus du Livre blanc. Combien de bâtiments seront commandés ? À quel rythme ? Quel sera l’impact sur les établissements ? Quelle organisation industrielle sera mise en œuvre, selon quelles alliances ? Y aura-t-il un plan social ?

Les inquiétudes sont vives, tant chez les personnels civils que militaires : je vous saurais gré, Monsieur le ministre, de répondre le plus précisément possible à mes questions courtes et concrètes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Pierre Grand – Le point le plus important de la nouvelle politique de défense de la France est le retour dans le commandement intégré de l’OTAN.

La France du Général de Gaulle, particulièrement attachée à sa souveraineté nationale, avait pris dès 1966 une certaine distance avec l’OTAN, sans pour autant renier les engagements du traité de Washington.

Depuis la naissance de l’Alliance, le monde a connu de profonds bouleversements, qui aujourd’hui ne justifient plus le maintien de l’organisation dans sa forme actuelle. Certes, l’OTAN a muté, abandonnant de fait les objectifs du traité de Washington.

M. Jacques Myard – Et devenant ainsi un Ovni !

M. Jean-Pierre Grand – L’outil militaire, hier conçu en fonction d’une menace bien définie, est devenu une organisation tendant à intervenir aux quatre coins du monde pour rétablir la paix, là où les États-Unis l’estiment menacée. Elle constitue désormais le bras armé de nations qui entendent imposer au monde leur vision de la démocratie, des droits de l’homme et des conditions de la paix, se substituant progressivement à l’ONU, dans son rôle d’arbitre des grands équilibres géostratégiques.

En tant que représentants du peuple français, nous devons nous interroger sur la pertinence de l’évolution de nos relations avec l’OTAN, jusque-là équilibrées, mais qui seront perçues demain comme un arrimage de la France à la politique des États-Unis.

Son indépendance historique a permis à la France d’être une voix écoutée dans le concert des Nations pour sa liberté et son objectivité. Les Français n’ont jamais eu à regretter que notre pays conserve son indépendance et ont aujourd’hui toutes les raisons d’être fiers de la décision sur l’Irak prise par Jacques Chirac et si bien exprimée par Dominique de Villepin.

Si l’OTAN n’est pas liée par les orientations et les choix politiques de la Maison Blanche, le Parlement ne peut ignorer que dans bien des circonstances, elle ne les contrarie pas. C’est le cas du projet d’implantation du bouclier antimissile en Europe centrale, imposé unilatéralement à l’Europe par les États-Unis, et repris à son compte par l’OTAN, au risque de créer de nouvelles lignes de division en Europe.

M. Jean-Michel Boucheron – Absolument !

M. Jean-Pierre Grand – Faut-il organiser le retour de la France dans le commandement intégré quand le Président Bush et son administration voient leur politique unanimement rejetée sur la scène internationale ?

Au moment où l’Europe doit développer une politique de sécurité et de défense autonome et souveraine, la France pourra-t-elle modifier le processus décisionnel au sein de l’Alliance et instaurer un dialogue d’égal à égal entre l’Union et les États-Unis ? Seule une défense authentiquement européenne permettra à l’Europe d’exister sur la scène diplomatique internationale.

Alors que le monde est multipolaire, doit-on laisser les États-Unis décider unilatéralement, selon des principes trop souvent dictés par leurs propres intérêts et avec une volonté inavouée mais tenace de scinder le monde en deux blocs ?

Au moment où la composition du conseil de sécurité de l’ONU est remise en cause par certaines capitales, la France pourra-t-elle prétendre demeurer un de ses membres permanents si elle cesse d’être cette voix libre et indépendante, dans laquelle se reconnaissent nombre de peuples ?

Alors que les grands défis ne se relèvent plus sur le sol américain, mais en Chine, en Russie, en Inde, au Brésil, sur le continent africain, ou dans le Golfe, on peut s’interroger sur la pertinence de notre nouvelle politique de défense et, par conséquence, de notre nouvelle politique étrangère.

Mes chers collègues, ne pensez-vous pas que la France se trompe d’époque en décidant un retour plein et entier dans l’OTAN ? (Applaudissements sur quelques bancs)

Mme Patricia Adam – Rappel au Règlement. Le ministre de la défense vient de quitter l’Assemblée nationale. Alors que, sur la base d’un travail ayant rassemblé de nombreuses énergies, nous débattons d’un sujet qui engage la France pour de nombreuses années, la désinvolture dont fait preuve le ministre à l’égard du Parlement est inadmissible.

Je dois dire que nous n’étions pas habitués à une telle attitude. Mme Alliot-Marie, ici présente, s’est toujours montrée attentive aux travaux de la commission lorsqu’elle était ministre de la défense. Le comportement de M. Morin n’est pas différent de celui qu’il a observé vis-à-vis de la commission sur le Livre blanc.

En signe de protestation, nous quittons l’hémicycle (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et quittent la salle des séances).

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants – M. le Ministre a toujours porté attention à la commission, et il entend bien revenir répondre à vos questions, en compagnie de Mme la Ministre de l’Intérieur et de moi-même.

Mme Patricia Adam – Il reviendra parce qu’on le lui a demandé !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État Du tout : il me l’a dit lui-même en quittant l’hémicycle qu’il allait revenir.

Un député du groupe SRC – Ce n’est pas sérieux !

M. le Président – Nous avons entendu votre protestation. La parole est à M. le Bris.

M. Gilbert Le Bris – Le choix du Président de la République et des auteurs du Livre blanc – dans l’ordre de responsabilité – de ne pas choisir de construire un deuxième porte-avions est un gâchis, un déni de démocratie et une ineptie.

Il y a d’abord là un gâchis : reporter la décision aux alentours de 2012, date dont la pertinence est purement électorale, c’est rendre inutile les quelque 200 millions d’euros déjà dépensés, dont plus de la moitié pour aider au dessin des porte-avions anglais – il faut mettre cette somme en parallèle avec les 250 millions d’euros prévus pour la restructuration des territoires touchés par la fermeture des sites militaires : applaudissons vos choix financiers ! C’est rendre vains les efforts d’une équipe de 80 spécialistes travaillant sur ce dossier depuis 2005. C’est perdre les 1 500 emplois créés pour la durée de la construction. C’est nier la loi de programmation 2003-2008 qui entérinait cet investissement. C’est mettre en difficulté votre honnêteté intellectuelle, Madame la Ministre, car vous disiez inscrire 700 millions d’euros sur ce programme dans la loi de finances 2007 pour le rendre irréversible. C’est enfin prendre les Français pour des dupes, et les militaires pour des naïfs : ce report s’apparente purement et simplement à une forme de soins palliatifs, pour un projet que la droite repousse sans cesse, faute d’oser avouer son renoncement – qu’il faut pourtant constater.

Il y a là, aussi, un déni de démocratie : comment les élus UMP ont-ils, tous, pu entériner ce choix en période électorale, puis décider de couler ce second porte-avions, de la façon la plus honteuse, dans le gouffre des économies budgétaires ? Le candidat Sarkozy, qui, le 7 février 2007, s’est déclaré favorable à « l’évidence » de la nécessité d’un deuxième porte-avions ; le ministre de la défense, qui déclarait encore le 21 juin 2007 : « si on est cohérent, il faut un second porte-avions, c’est la volonté du Président de la République et c’est acté » ; l’ancien président Jacques Chirac, qui disait des porte-avions que, comme les gendarmes, ils ne peuvent aller que par deux ; le président de la commission de la défense de l’Assemblée, qui a expliqué que posséder un seul porte-avions revenait à n’en posséder qu’un demi : tous ont trahi leurs promesses et trompé les Français.

Mais, pire encore peut-être, il y a là une ineptie. La place du maritime sur notre planète s’accroît ; certes, les océans ne représentent toujours que 71 % de la surface du globe, et nous exerçons toujours notre souveraineté sur 11 millions de km2, soit vingt fois plus que notre surface terrestre. Mais 80 % du commerce mondial en volume transporté, les deux tiers en valeur, passent désormais par la voie maritime. Ainsi, la composante maritime des menaces s’accroît elle aussi, et les événements de ces dernières années ont prouvé la pertinence d’une projection de force. Un second porte-avions est donc nécessaire, afin de disposer de cet outil en permanence, et non pendant 60 % du temps comme c’est le cas actuellement. On ne peut accepter de ne disposer qu’à temps partiel de cette capacité – qui nous coûte au minimum 15 milliards d’euros avec les aéronefs – de projection de puissance, de mise en œuvre de la composante nucléaire embarquée, de gestion des crises dans la dimension préventive, diplomatique ou humanitaire, enfin dans la participation à de potentielles coalitions.

Bien sûr, il y a la question du coût. Mais la commission du Livre blanc ne doute pas de l’utilité de cet investissement : dès lors, 3 milliards d’euros sur dix ans ne devraient pas excéder les moyens budgétaires de la France. On peut sans doute optimiser cette dépense, qu’il faudrait de surcroît réexaminer à la lumière de données nouvelles : renchérissement du pétrole, choix volontariste de l’autonomie par les Britanniques, excellence de la technologie française dans ce domaine. Il n’y aurait donc qu’avantage à se situer dans l’hypothèse d’un second Charles-de-Gaulle actualisé, évolutif, contemporain.

Pourquoi ne pas envisager, pour y parvenir, un financement inédit ? Le coût d’un porte-avions ne représente après tout que la moitié des pertes de la Société générale dans l’affaire Kerviel, et ne supposerait que la vente des 15 % de Renault détenus par l’État, ou de la moitié des titres Aéroports de Paris qu’il détient encore. La mise sur le marché d’une modeste partie de titres Areva y suffirait aussi : le nucléaire finançant le nucléaire, voilà qui ne manquerait pas de cohérence ! Quel que soit le choix retenu, la vente d’une partie du capital d’entreprises pour financer cette entreprise capitale que serait la construction d’un second porte-avions serait juste, efficace et opportune.

M. Jacques Myard – Très bien !

Mme Marguerite Lamour – Mon propos sera apaisé et, afin d’éviter les redites, limité au cas particulier de la marine. Rapporteure de la mission préparation et emploi des forces marines, députée de Brest – ville dédiée à la Défense nationale depuis Colbert – j’ai bien noté le choix qui a été fait de cette ville comme l’une des onze bases opérationnelles annoncées. Le Livre blanc ne ressemble aucunement à celui de 1994, tant dans sa rédaction que du fait de l’évolution du contexte stratégique mondial, où sécurité et défense sont indissolublement liés.

Je m’attacherai d’abord aux programmes d’équipements. J’ai eu l’occasion de dire dans différentes interviews mon regret que la construction du second porte-avions – je ne dis pas le défunt porte-avions – ait été reportée ; la question de la permanence à la mer du groupe aéronaval reste posée.

M. Serge Grouard – Exactement !

Mme Marguerite Lamour – Je souhaiterais dès lors, comme les marins, que les crédits non consommés, soit plus de 3 milliards d’euros, soient affectés à la restauration des bâtiments de la Marine nationale – même s’il est bon de rappeler que depuis 2002, le taux de disponibilité opérationnelle a augmenté de façon substantielle, grâce aux efforts budgétaires consentis par la loi de programmation budgétaire 2003-2008. Comme le suggérait M. le ministre de la défense, j’ai interrogé les personnels de la préfecture maritime de Brest, et ils m’ont confirmé cette amélioration ; je ne partage donc pas le point de vue de Mme Adam.

M. Serge Grouard – Vous avez raison !

Mme Marguerite Lamour – Le choix d’en rester à la commande initiale de frégates multi-missions et de cadencer le complément de la commande relève, j’en suis consciente, de contraintes budgétaires incontournables ; mais il en va là aussi du format de nos armées. La force de dissuasion est « l’assurance-vie de la nation », suivant les mots du Président de la République : sa composante navale devrait être renforcée.

Je m’attacherai ensuite au sort des personnels, principale richesse des armées. Militaires comme civils, ceux-ci s’interrogent ; des efforts importants, soulignons-le, ont été consentis à leur égard, mais ils doivent être poursuivis afin de les impliquer au mieux dans leurs missions. La diminution des effectifs devra faire preuve de méthode et d’humanisme ; ainsi, on envisage l’externalisation de certaines activités, comme la restauration, mais aussi comme celle des maîtres-tailleurs de la Marine : or ceux-ci appartiennent certes à des structures privées, mais tenues à une exclusivité de contrat avec la Marine. Chaque situation précise devra recevoir un traitement adapté.

Je m’attacherai enfin aux industries de défense. La modification des programmes, la réduction des contrats auront des conséquences sur le plan de charge des industries, en particulier DCNS – je pense au bassin d’emploi de Brest, mais on pourrait aussi bien évoquer d’autres sites. Les salariés sont inquiets : l’entreprise, privatisée en 2003, a connu des mutations importantes ; les personnels ont accompli de réels efforts d’adaptation aux contraintes de leur nouveau statut.

M. le Président – Il faut conclure.

Mme Marguerite Lamour – Saluons donc cette indispensable réforme : il eût été si facile de ne rien faire ! Mais cela aurait condamné nos armées au pire, et ainsi affaibli la place de la France en Europe et dans le monde. Les futures lois de programmation militaire devront nous permettre d’accompagner au mieux ces réformes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales Terrorisme, trafics de drogues, d’armes, d’hommes, risques naturels : ces menaces pèsent sur nos concitoyens, mais ne connaissent pas de frontière. Cette analyse est unanimement partagée. Notre responsabilité politique, et collective, est d’assumer les conséquences d’une telle situation, au-delà des approches traditionnelles et des fragmentations institutionnelles.

Le Livre blanc conforte – à juste titre – le rôle essentiel du ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales dans les actions destinées à protéger nos concitoyens de ces menaces : je peux en effet affirmer qu’il dispose des moyens, et de l’expérience, nécessaires à la gestion des crises. Ce rôle nous oblige à conforter ces moyens d’action, mais aussi à nous projeter dans l’avenir. Même si nous avons jusqu’ici peu évoqué ce ministère, il est pourtant celui qui va, au plus près de chacun, mettre en œuvre la protection des citoyens. Bien sûr, il ne peut le faire qu’en prenant lui aussi en compte cette dimension extérieure des menaces qui se manifestent sur notre territoire. Nous disposons pour cela d’une série de moyens au niveau international : notre réseau des attachés de sécurité intérieure ; des organismes comme le Club de Berne, qui permet aux services de renseignements d’un certain nombre de pays, notamment européens, de se rencontrer très régulièrement ; le service de coopération technique internationale de la police, qui joue un grand rôle concernant les trafics ; enfin, la délégation aux affaires internationales et européennes du ministère, que j’entends conforter et développer.

Nous disposons des moyens de faire face à ces menaces également au plan national, grâce à notre organisation territoriale qui, sous l’autorité du préfet, consacre le rôle interministériel du ministère, grâce au partenariat avec les collectivités territoriales, très important étant donné que celles-ci sont de plus en plus impliquées dans la gestion des crises – catastrophes naturelles ou industrielles – ; grâce, enfin, au rattachement de l’outre-mer au ministère depuis mai 2007.

La nécessité de développer ces moyens d’action m’a conduit à prendre un certain nombre de mesures qui sont dans la logique de l’actuel Livre blanc. Un des points clé de ce dernier est la rationalisation et la coordination des moyens. Cela passe par le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, que nous réalisons en maintenant le statut militaire des gendarmes, auquel vous savez que je suis attachée, comme à la nécessité de conserver deux forces de sécurité à statuts différents.

M. Jacques Myard – Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur – Nous aurons l’occasion de réaffirmer ce statut militaire dans la loi sur la gendarmerie nationale qui vous sera présentée à l’automne. En tout état de cause, ce rattachement va nous permettre de mutualiser les savoir-faire et les moyens.

Un deuxième point du Livre blanc porte sur le besoin d’anticipation et de prévention. L’anticipation est à mes yeux une nécessité absolue, insuffisamment prise en compte par le passé. L’extension des sources de menace ainsi que l’évolution de la délinquance nous obligent à lever le nez du guidon – si vous me permettez l’expression – et à nous doter d’une visibilité à dix ou quinze ans. C’est pourquoi j’ai souhaité créer la délégation à la prospective et à la stratégie, opérationnelle depuis le mois de janvier.

La réorganisation des services de renseignement du ministère participe de ce mouvement, avec le rapprochement de la DST et des renseignements généraux, qui nous permettra d’optimiser l’information sur l’ensemble des risques et de développer une capacité de réactivité immédiate et d’anticipation, par exemple afin de prévenir des attentats terroristes. Je souhaite également renforcer les moyens humains et technologiques face aux risques NRBC – nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques – qui représentent les dangers les plus probables.

C’est également par une meilleure prise en considération de la nécessité de la coopération internationale que nous pouvons améliorer la prévention sur notre territoire. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à signer des accords de sécurité avec des pays qui peuvent être à l’origine, géographiquement, de certaines menaces. J’ai déjà signé des accords avec l’Arabie saoudite et l’Algérie, et nous allons poursuivre. En outre, nous avons institué, à Lisbonne, un système de détection des trafics, notamment des trafics de drogue, dans l’Atlantique. Je proposerai, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, un système similaire en Méditerranée, qui constitue un important couloir de transit pour des trafics en provenance de la rive sud ou est.

Il est également essentiel, en matière de prévention, d’agir sur Internet, et j’ai l’intention de proposer à nos partenaires européens une action plus déterminée contre la cyber-criminalité et l’utilisation d’Internet par les terroristes.

C’est également en matière de gestion des crises que le ministère répond aux préconisations du Livre blanc, notamment en termes de planification. J’ai signé, il y a quelques jours, un décret créant une direction de la planification de la sécurité nationale, jumelée avec le haut fonctionnaire de défense et placée sous la responsabilité du secrétariat général ; elle assurera le pilotage des préfets des zones de défense en cas de crise. De même, j’ai l’intention de créer une salle « Cobra » au ministère, qui nous permettra d’accueillir en permanence les hauts responsables de la gestion de crise et éventuellement les plus hautes autorités de l’État.

Nous avons peu parlé, dans ce débat, de l’intelligence économique, et je le regrette, car il existe en la matière une véritable menace pour notre pays. Nous devons être capables de nous défendre contre ce type d’ingérences ; c’est essentiel tant pour la défense nationale que pour la protection de nos entreprises et de notre recherche.

Enfin, je souhaite évoquer le redéploiement de nos forces militaires à l’outre-mer. Ce redéploiement est cohérent avec l’action que nous entendons mener, mais il n’est pas question de laisser nos compatriotes d’outre-mer sans protection suffisante face aux risques notamment de catastrophe naturelle. Il y aura, en coopération avec le ministère de la défense, un « tuilage » de la gendarmerie et de la protection civile, pour assurer cette action en permanence. Nous allons étudier les conditions et le calendrier de ce remplacement, et nous signerons en outre une convention maintenant la responsabilité des armées en cas de crise grave.

Notre priorité est l’efficacité opérationnelle. Quels que soient les moyens, l’essentiel est de remplir notre devoir, d’assumer notre responsabilité politique, qui est d’assurer en toutes circonstances la protection des Français et de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je vous prie à présent de m’excuser, car je dois me rendre, comme tous les jeudis, à une réunion sur le terrorisme.

M. Jean-Claude Viollet – Beaucoup a été dit sur ce Livre blanc de la défense, qu’il s’agisse de la méthode ou du fond. Personne n’a contesté la nécessité d’une remise en perspective de notre politique en la matière, à partir d’une analyse actualisée du contexte stratégique, pour définir une nouvelle posture globale, nationale et européenne. Mais nos débats ont montré que cette réflexion aurait gagné à associer plus largement, en amont, la représentation nationale, d’autant que ce travail de remise en perspective se croise avec la revue générale des politiques publiques, dont nous aurons finalement très peu débattu, ainsi qu’avec une revue de programmes, dont nous n’avons pas même eu à connaître. Sans parler de la remise en perspective de notre politique étrangère, de notre positionnement dans la construction européenne, notamment sur l’Europe de la défense, ou du retour annoncé de la France dans la structure intégrée de l’OTAN, qui engage notre pays sur le long terme…

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je limiterai mon propos à trois sujets qui me tiennent particulièrement à cœur. Il s’agit, tout d’abord, des équipements neufs. La priorité au renseignement et à l’anticipation, qui devrait engager des efforts financiers significatifs – je pense en particulier aux drones –, comme la nécessité de renouveler certains équipements, notamment pour une meilleure protection de nos militaires, mais également pour le transport aérien stratégique et l’aéromobilité, pour lesquels nous connaissons un important déficit capacitaire, nous placent face à des choix difficiles. Eu égard aux contraintes budgétaires et à la nécessité d’optimiser les ressources, il nous faut tout à la fois assumer une revue de programmes sans complaisance, et étudier toutes les solutions susceptibles de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour atteindre les objectifs définis dans les délais.

S’agissant, par exemple, de l’information et de la communication, nous pourrions examiner la possibilité d’acquérir des capacités sur des satellites de communication civils – pourquoi pas dans le cadre d’un pool de télécommunications européen. De même, en ce qui concerne le transport aérien stratégique, nous pourrions envisager de conclure des contrats de service avec des avionneurs civils, par un dispositif adapté de préemption, comme de pilotage, par des équipages militaires, en opération.

Et cela vaut également pour la marine, à la condition que nous soyons à même d’engager un dialogue compétitif entre la défense – direction générale pour l’armement et état-major des armées –, le ministère du budget et les industriels ou sociétés de services.

Ce dialogue vaut aussi pour le MCO – maintien en condition opérationnelle. Sans être la panacée, l’externalisation reste un outil dont nous pouvons faire bon usage : c'est le cas sur la base aérienne 709 de Cognac-Châteaubernard pour l'entretien des Epsilon, mais aussi la location de Grob 120, d'entraîneurs et de simulateurs, ce qui lui a permis de se renforcer comme pôle de formation tout en développant un pôle maintenance.

Là encore, nous pourrions – comme l'ont fait les Allemands sur leurs flottes aériennes – rechercher les possibilités de mise en commun de moyens militaires et civils sur une externalisation du MCO, ce qui permettrait de garantir le maintien des savoir-faire au sein même de nos forces. Nous devons aussi progresser avec le réseau des PME-PMI de défense, qui peuvent apporter en direct des prestations de qualité à des conditions économiques plus favorables, tout en participant à l'aménagement et au développement de nos territoires. Cela permettra à l'État de lisser les bosses budgétaires, et aux industriels d'éviter les à-coups des grands programmes.

Je m’inquiète enfin du maintien de notre base industrielle et technologique de défense nationale et européenne, pour laquelle il nous faut consentir des efforts d'ingénierie mais aussi de production, ce qui nécessite de mettre fin aux doublons et d’œuvrer à des rapprochements. Je pense en particulier au secteur munitionnaire.

Ce Livre blanc devra trouver sa première concrétisation dans la loi de programmation militaire que nous examinerons à l'automne. Encore faut-il que le Gouvernement associe le Parlement aux choix qui seront faits, à leur mise en œuvre et à leur évaluation. C’est une occasion à ne pas manquer : la réforme qui s'engage ne doit pas être subie par la communauté de défense, les industriels ou les collectivités territoriales concernés, mais partagée par chacun de nos concitoyens, ce qui passe par sa légitimation au sein de la représentation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Bruno Le Maire – Les questions de défense sont d'abord des questions de politique. Je me réjouis donc de ce débat autour du nouveau Livre blanc. Je partage pour l'essentiel son analyse du contexte stratégique, notamment en ce qui concerne le risque terroriste et la prolifération des armes de destruction massive.

Je poserai simplement trois questions qui engagent notre sécurité collective, mais aussi l'identité de la France.

La réforme des armées est-elle nécessaire pour garantir leur efficacité et renforcer leur capacité d'intervention ? Oui. Les opérations que nous avons conduites en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, au Tchad ou au Kosovo ont toutes mis en évidence des lacunes dans notre équipement militaire. Seule une restructuration en profondeur de notre outil de défense nous permettra de nous doter des moyens de transport, de communication et d'observation nécessaires. Soit nous engageons rapidement la modernisation et la rationalisation des armées, soit nous renonçons à intervenir sur des théâtres d'opérations extérieurs, et donc à défendre nos intérêts et nos valeurs.

M. Jacques Myard – C’est vrai.

M. Bruno Le Maire – Certains dénoncent l'importance excessive qui serait désormais accordée au renseignement. Mais si nous n'avions pas disposé de services de renseignement performants en 2003, nous n'aurions pas pu procéder à une analyse indépendante de la menace irakienne. Nous aurions été liés par les mensonges de l'administration américaine et nous aurions pris des décisions à l'aveugle. Avant de livrer une guerre, il faut en mesurer les enjeux et les risques.

La France a-t-elle encore un avenir militaire ? La question est brutale, mais elle a du sens au regard des contraintes budgétaires et des choix de nos partenaires européens. Certains semblent croire que la paix est désormais un acquis ou que la sécurité pourra être garantie par d'autres.

M. Jacques Myard – Illusion !

M. Bruno Le Maire – Cette logique est contraire à nos intérêts de sécurité et à notre identité nationale. Dans le monde actuel, notre devoir de responsables politiques est de garantir l'avenir militaire de la France.

M. Jacques Myard – Au besoin par la force !

M. Bruno Le Maire – Hier, nos armées ont fait honneur à notre pays. Elles le feront demain. Il ne s'agit pas de livrer des combats inutiles, mais d'assurer la sécurité de nos ressortissants, de répondre aux attentes de nos amis et de nos alliés, et de donner à notre parole politique le poids de la crédibilité militaire. Le discours de Nicolas Sarkozy devant la Knesset lundi a été un moment important pour la France et pour le processus de paix au Proche-Orient, comme celui de François Mitterrand l'avait été vingt-cinq ans plus tôt. Serions-nous écoutés avec autant d'attention si nos forces n'étaient pas présentes au Liban, si nous ne pesions pas sur le dénouement de la crise nucléaire iranienne, si nous n'étions pas dotés de l'arme nucléaire ? La France n'est sans doute plus une grande puissance, mais elle n'est toujours pas une puissance ordinaire – et elle ne le sera jamais.

Notre avenir militaire n'est pourtant pas garanti. Il ne peut se trouver qu’en Europe. La première grande réforme des armées aura été la professionnalisation lancée par Jacques Chirac en 1995. La deuxième est la restructuration des armées voulue par Nicolas Sarkozy. La troisième doit être la mise en place d’une défense européenne crédible à horizon de dix ans. Les trois sont complémentaires : il serait dangereux pour notre sécurité et pour notre indépendance d'avoir lancé les deux premières sans réussir la troisième.

Le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN fait aujourd’hui débat. Mais nous sommes déjà parmi les membres les plus actifs de l'Alliance. Avant toute réintégration dans l'OTAN, il faut sortir la défense européenne de l'ornière. C'est l’un des objectifs majeurs de la présidence française, et je m'en réjouis. Nous avons besoin de gestes concrets : mise à jour de notre stratégie commune, création d'un marché commun de l'armement, mise en place d'un commandement stratégique permanent. Nous devons aussi réfléchir à la mise en commun de certaines capacités, notamment dans le domaine aéronautique. N’hésitons pas à accomplir des avancées symboliques : pourquoi ne pas réfléchir à la création d'un service de renseignement franco-allemand ?

À l’heure où les dépenses militaires et les menaces ne cessent d'augmenter dans le monde, nous avons une responsabilité immense : convaincre nos partenaires européens de la nécessité d'avancer vers une Europe de la défense, qui est la condition d'une Europe politique. Nous le ferons d'autant mieux que nous aurons accompli les efforts d'adaptation nécessaires. Notre crédibilité est à ce prix (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Beaudouin – C'est parce que j’approuve le projet du Livre blanc qu’en tant que rapporteur de la mission « lien armées-nation » pour le compte de la commission de la défense, je ciblerai mon propos sur un élément incontournable : l’esprit de défense.

La réforme de la défense ne s'appliquera que si elle repose sur un esprit de défense de notre population. Le Livre blanc souligne d'ailleurs que la résilience « concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile toute entière ».

L'esprit de défense, dans sa nouvelle conception, implique que l'on mette en place une pédagogie, une morale et des obligations.

Face aux menaces diffuses qui ont été définies, l’esprit de défense doit être inculqué à l'ensemble des citoyens et entretenu dans l'ensemble de la Nation. Il faut pour cela redéfinir la notion de groupe uni, donc de Patrie ou de Nation. Il s'agit d'ajouter aux réformes strictement militaires un contrat de société pour défendre le bien commun, c'est-à-dire une véritable charte de l'engagement du citoyen au service de la communauté. C'est ainsi que le peuple se réappropriera sa défense et les moyens qu'il doit y consacrer.

La mise en place de ce contrat passe par un programme de cohésion et de formation des acteurs et des politiques, qui pourrait s'articuler autour de cinq nécessités.

Première nécessité : un effort initial de pédagogie. L'éducation nationale a son rôle à jouer. Les citoyens de demain doivent bénéficier dès l'école primaire d'enseignements mettant en valeur l'héritage historique et les valeurs républicaines. Les enseignements de défense actuellement proposés, notamment en troisième et en première, sont trop souvent minorés et restent descriptifs ; leur articulation avec la journée d'appel et de préparation à la défense – JAPD – est artificielle.

Aboutissement du parcours citoyen, celle-ci a montré ses limites. La multiplication des activités proposées et sa brièveté la rendent insuffisamment structurante. Elle fait figure de parenthèse, d’obligation administrative à laquelle on se soumet sans enthousiasme. Son allongement permettrait d’en faire une occasion de rappeler l'existence de devoirs, la valeur de l'engagement et l'appartenance à la communauté nationale.

Deuxième nécessité : transmettre une mémoire et un patrimoine. La mobilisation des jeunes – et de l'ensemble des générations – ne peut se faire que si une mémoire collective et individuelle leur est transmise. Les politiques de mémoire restent disséminées et s’adressent à un public trop réduit. Il faut mettre l'accent sur la transmission, et non sur la seule commémoration.

La construction d'un esprit de défense ne sera possible que si les actes constitutifs communs sont mis en évidence grâce à l'histoire. Il en est de même pour l’esprit européen de défense que nous appelons de nos vœux. Mieux connaître son histoire est indispensable pour préparer l'avenir.

Troisième nécessité : renforcer le lien entre la nation et son armée et mieux faire connaître les enjeux de la défense. Les armées contribuent à entretenir l’esprit de défense. Leur image dans l'opinion est excellente : un sondage fait état de 87 % d'opinions favorables ou très favorables. À bien des égards, l’armée demeure pourtant perçue comme un corps à part. Le paradoxe est que les Français lui font confiance sans s'en préoccuper vraiment…

C'est d’abord à l'armée qu'il revient de mener une action de valorisation et de communication. Journaux gratuits, internet ou colloques peuvent être mis à contribution pour mieux faire connaître ses missions et le cadre géostratégique dans lequel elles s'inscrivent. Les rencontres avec les populations en sont aussi un vecteur privilégié. À cet égard, la réorganisation du ministère de la défense devra maintenir une forme de proximité avec les différentes populations, ne serait-ce que pour assurer des conditions optimales de recrutement.

Réfléchir aux grands enjeux de sécurité et de défense doit aussi devenir l'une des missions du Parlement. Cela passe par l'organisation de débats réguliers, à l'image de celui-ci. Le projet de loi constitutionnelle prévoit l'information systématique et immédiate du Parlement sur l’envoi de troupes à l'étranger, sa prolongation au-delà de six mois devant faire l’objet d’une autorisation parlementaire. Ce pourrait être l'occasion de mieux associer la Nation aux actions de l'armée. Encore faut-il que les débats ne se traduisent pas par des querelles politiciennes, mais par de vraies discussions entre des parlementaires mieux formés à ces questions, par exemple par l'IHEDN ou l'INHES.

Enfin, la relation avec les média doit faire l'objet d'une attention particulière. L’effort porté sur les journalistes accrédités défense doit être poursuivi et élargi aux différents décideurs du secteur.

Quatrième nécessité : valoriser le don de soi à la société. En temps de crise, la cohésion de la Nation est essentielle. Que l'on songe à l'Union sacrée de 1914, qui fit si cruellement défaut en juin 1940. « Une nation est une grande solidarité » écrivait Ernest Renan. Les politiques participant à l'esprit de défense pourraient trouver leur prolongement dans la création d'un service national civique, qui ferait une place à la défense, puis à l'institutionnel territorial pour les enjeux civiques, avant de se clore par un engagement associatif. Ce dispositif convaincra ses bénéficiaires qu'ils appartiennent à une communauté. Il s'agit là d'un véritable contrat moral entre la société et les individus qui la composent. On retrouverait là l'esprit de l'amalgame républicain.

Dans la même logique, il importe de valoriser la réserve citoyenne, à laquelle le service civique pourrait servir de tremplin. Alors qu'ils sont les meilleurs ambassadeurs de l'esprit de défense auprès des civils, le rôle des réservistes – notamment des réservistes citoyens – est souvent mal considéré. Un important travail est à mener pour y remédier, compte tenu du rôle primordial que les réservistes devront jouer dans ce que le Livre blanc appelle la résilience.

Cinquième nécessité : préparer les élites professionnelles à des situations de crise. Dans un contexte où, comme le souligne le Livre blanc, une « surprise stratégique » n'est plus à exclure, il importe que la population – et tout particulièrement les actifs – soit capable de faire face. Oui, à l'armée de métier et aux forces de sécurité et de secours pour faire face aux crises latentes ou inopinées car elles sont brutales et demandent la mise en œuvre de moyens techniquement sophistiqués. Mais, les crises brutales peuvent se multiplier et durer, et les moyens de la défense doivent pouvoir se renforcer et se répandre plus largement sur le terrain. Tous ceux qui jouent un rôle actif dans la société doivent garder à l'esprit que leur fonction quotidienne peut, à un moment donné, impliquer leur participation à la défense. Cela doit conduire à proposer que toutes les élites formées par la nation dans les grandes écoles, les universités ou les écoles techniques soient tenues d'apporter leur concours en cas de menace et aptes à le faire. Dans le cadre de son diplôme, tout étudiant doit recevoir une formation à la défense, pour, à terme, se considérer comme un cadre de la défense.

Le même rôle doit être rempli par les élus locaux. À cet égard, il convient de mieux définir le rôle des correspondants locaux de la défense et de renforcer leur formation; en particulier par les institutions de formation tels que l'IHEDN ou l'INHES.

Dans le même esprit, je préconise une meilleure mobilisation des associations d'officiers et sous-officiers de réserve, ainsi que des professionnels des armées revenus à la vie civile mais qui, par leur expérience, peuvent être des cadres de la défense civile, aux missions multiples. Je propose par conséquent, car cela me semble indispensable, de créer un organisme près le Conseil de défense et de sécurité nationale pour rassembler l'ensemble des acteurs aujourd'hui disséminés, dont la vocation serait de faire vivre l'esprit de défense et d’assurer l'information, la formation et la mobilisation des citoyens, particulièrement en cas de crise.

« Avoir la conscience de ce qui a été accompli dans le passé, vouloir agir pour l'avenir au service de la nation » : tel est le projet de Renan pour définir l'unité de la nation. Réunir le pays autour de sa sécurité et de sa défense, adhérer aux raisons et aux moyens de celles-ci, c'est le but du Livre blanc. Ces deux propositions se complètent : l'unité de la nation est indispensable à l'esprit de défense et le développement de l'esprit de défense renforcera l'unité de la nation (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Myard – Nous débattons du Livre blanc rendu public par le Président de la République le 17 juin dernier. Je regrette qu’avant sa publication, l’Assemblée n’ait pas été convoquée pour un débat de ce type. Le Président de la République est certes le chef des armées, mais un débat préalable n’aurait rien enlevé à ses prérogatives. Aujourd’hui, on a un peu le sentiment, Monsieur le ministre, d’être comme les carabiniers…

L’exercice du Livre blanc est absolument nécessaire. Il est de mode de dire que le monde a radicalement changé et il est vrai que le temps de l’affrontement entre blocs est révolu. C’était simple : il y avait les rouges, nous étions les bleus ; malheureusement, nous avons été trahis par l’ennemi ! (Sourires) Les choses sont désormais un peu plus compliquées. La globalisation n’est pas un phénomène radicalement nouveau, ne serait-ce que parce qu’il y a eu deux guerres mondiales ! Si elle a rapproché les hommes dans le village planétaire, elle a aussi rapproché les haines. Et si la notion de proximité géographique a été bouleversée par les moyens de communication, les mêmes règles multiséculaires gouvernent toujours le monde : diplomates et soldats continuent de marcher ensemble et nous savons au moins depuis la guerre des Gaules qu’il ne faut jamais faire trop confiance à un allié puissant.

Voilà pourquoi la défense est d’abord l’affaire de la nation et d’elle seule. Comme à chaque fois que nous devons mobiliser nos énergies, certains se complaisent dans les délices du renoncement : à quoi bon ? La France, c’est du passé ! Elle est trop petite et ne représente qu’un pourcentage infime de la population… Cela fait vingt siècles que nous entendons ces ritournelles dignes du café du commerce ! Soyons clair : il n’existe aucune corrélation entre la taille et la puissance. Tout est affaire de cohésion et de force morale.

Ne négligeons pas non plus la nouvelle donne géostratégique des puissances relatives. La maîtrise de notre destin national passe par notre détermination. En matière de défense, nous avons le savoir technologique ; à nous d’avoir la volonté politique de le mettre en œuvre.

J’en viens aux principaux éléments du Livre blanc. J’approuve la place donnée au renseignement et la création d’un coordonnateur du renseignement, dans une sorte de conseil de sécurité nationale présidé par le Président de la République. Je suis favorable à la création des bases de défense car il n’appartient pas aux armées de combler les lacunes de l’aménagement du territoire, pour nécessaire qu’il soit par ailleurs.

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Bien sûr !

M. Jacques Myard – J’ai également bien noté l’engagement du Gouvernement de consacrer les économies réalisées aux équipements. Je serai particulièrement vigilant pour que cette orientation soit appliquée. Je salue le maintien de la dissuasion nucléaire en tant que pivot stratégique de notre indépendance car ce n’est pas demain que le monde sera dénucléarisé !

Par contre, certains de vos choix m’inspirent des doutes sérieux. Vous proposez un reformatage à la baisse des armées, avec 30 000 hommes projetables, ce qui est insuffisant…

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Plus 5 000 hommes sur un théâtre secondaire et plus 10 000 pour la défense du territoire.

M. Jacques Myard – Dont acte, mais cela ne fait que 45 000.

Vous dites qu’il faut tenir compte de la contrainte budgétaire en réalisant des économies. Des économies ? Chiche ! Remettez à plat le budget de l’Union européenne et vous gagnerez 10 milliards dès l’année prochaine ; remettez à plat les régions, organismes dispendieux gouvernés par des satrapes et qui font tanguer l’unité nationale, remettez à plat les divers machins et bidules qui balkanisent l’État et vous trouverez facilement 10 à 20 milliards immédiatement !

Ce qui me pose question, c’est que vous proposez de compenser ce reformatage par la coopération européenne, voire une défense européenne, laquelle devrait être le fondement d’une OTAN rénovée…

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Non.

M. Jacques Myard – Permettez-moi de ne pas partager cette analyse. Votre démarche consiste à dire : nos partenaires européens étant dans l’OTAN et la France étant favorable à la défense européenne, c’est en ralliant l’OTAN qu’elle convaincra ses partenaires de construire une défense européenne… Voilà un syllogisme un peu illusoire, voire une bévue ! Il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités.

Aucun de nos partenaires ne rêve d’une défense européenne. Ils ont aliéné leur défense dans l’OTAN. Voyez l’article 42-7 de feu le traité de Lisbonne : « les engagements et la coopération dans le domaine de la sécurité demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » La messe est dite !

Au plan militaire, grâce à la coopération nouée avec cette organisation, nous n’avons pas besoin de rentrer dans l’OTAN. En réalité, le problème est d’ordre politique et diplomatique. Je suis intimement convaincu que rallier aujourd’hui l’OTAN, c’est adresser au monde un mauvais signal. À terme, nous ne parviendrons ni à exercer une quelconque influence sur les Américains ni à rallier à nos idées nos camarades européens !

Il faut inverser la démarche, muscler notre défense et aller, pas à pas, vers la mobilisation de 3 % du PIB à la défense nationale. C’est ainsi que nous entraînerons les autres ! La clé, c’est que plus la France est forte et indépendante, plus l’Europe l’est aussi ; moins la France est indépendante, plus l’Europe est américaine : c’est la vérité et tout le reste n’est que littérature.

En outre, l’OTAN a changé de nature. Par la volonté des Américains, l’Alliance est devenue un outil mis au service de leur manichéisme. Nous sommes très loin de l’alliance défensive fondée sur l’article 5 de l’OTAN lui-même fondé sur l’article 51 de la Charte qui visait à garantir des capacités de légitime défense individuelle et collective. Tout cela s’est fait dans le dos de notre Parlement et je suis convaincu que rallier l’OTAN serait une faute stratégique et diplomatique. J’ajoute que notre défense passe aussi par la conclusion d’accords de coopération au Sud et en Méditerranée, et je me réjouis notamment de l’accord récent signé par le Premier ministre en matière de coopération militaire en Algérie. Nos destins sont liés et si la France est européenne, elle est aussi méditerranéenne et elle doit conserver toute sa liberté de manœuvre.

Le débat est ouvert. Un Livre blanc, c’est comme une loi de programmation et c’est comme l’amour : tout est dans l’exécution ! Comptez sur moi, Monsieur le ministre, pour être à vos côtés pour obtenir les crédits nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Joël Giraud – Dans son discours de présentation du Livre blanc du 17 juin dernier, le Président de la République a rappelé qu’il s’attacherait à envoyer en mission des soldats bien entraînés et bien équipés. En septembre 2007 et en août de cette année, la France a prévu de renforcer son dispositif en Afghanistan, ce qui impose, a minima, la formation de 2 500 hommes dans les toutes prochaines années. Il semble donc logique que tous les moyens permettant de préparer nos troupes à cette mission soient préservés. En outre, au-delà de l’Afghanistan, les quatre zones stratégiques identifiées par le Livre blanc comportent des pays dont la topographie et la spécificité exigent une formation adaptée.

Selon les fuites « organisées » dans la presse, sur l’AFP aujourd’hui même et dans les propos que vous attribue le maire de Briançon, vous envisagez, Monsieur le ministre, de dissoudre les seuls établissements qui ont le potentiel et la capacité de préparer efficacement nos soldats, soit le centre national d’aguerrissement en montagne de Briançon et celui de Barcelonnette, qui lui est rattaché à compter du 1er juillet. Situé entre la Savoie et l’Ubaye, ce territoire présente pourtant l’altitude et le relief les plus proches de ceux où sont engagées nos forces.

Si cette décision relève d’une logique budgétaire, elle est peu lisible et elle démontre pour le moins l’incohérence de vos analyses financières. En effet, entraîner des soldats pour l’Afghanistan au CNAM de Briançon coûte dix fois moins cher que de le faire dans un centre de l’OTAN en Allemagne, au relief moins adapté.

À défaut de logique budgétaire, aurions-nous réintégré un projet purement atlantiste ? Alors que la France a la possibilité d’entraîner ses propres forces et de proposer ses moyens à d’autres pays alliés pour répondre à la volonté du Président de la République de conforter l’Europe de la défense, il est envisagé de dissoudre un organisme à forte valeur ajoutée qui ne compte que 125 personnes pour un budget annuel de moins d’un million. Son action est en outre parfaitement cohérente avec le concept de résilience, à l’heure où la frontière entre sécurité civile et sécurité militaires n’est plus étanche, comme l’ont prouvé ces soldats en sauvant des enfants pris dans une tempête au col du Lautaret.

Sans nier la nécessité de restructurer les armées, pour ce qui concerne les pôles d’entraînement des Alpes, les acteurs locaux vous font la proposition réaliste mais ambitieuse, alors que la France prend la présidence de l’Union, d’offrir à l’Europe un centre interarmées européen d’entraînement et d’aguerrissement en montagne, afin de structurer le partage de ce pôle d’excellence. Réfléchissez bien à cette proposition, car le jour où des soldats français tomberont en Afghanistan parce qu’ils auront été mal entraînés,…

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Je vous en prie, il ne faut pas dire des choses pareilles !

M. Joël Giraud – …il sera trop tard et les Français demanderont des comptes au Président de la République qui avait annoncé faire de la sécurité des personnels une priorité.

M. le Président – La parole est à M. le ministre de la défense pour une réponse rapide car nous avons déjà dépassé le temps qui nous était imparti.

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Je sais que certains parlementaires étaient tenus par des contraintes d’horaires et je constate que Mme Adam a quitté l’hémicycle pour prendre un avion alors que le Gouvernement aura été représenté tout au long de ce débat.

Je veux bien entendre tous les arguments, Monsieur Giraud, mais vous ne pouvez pas dire que le retour dans les structures intégrées de l’OTAN pousserait à fermer les centres d’entraînement de Barcelonnette et de Briançon. Chacun sait que les chasseurs alpins peuvent déjà s’entraîner sur leurs propres champs de manœuvre. Si l’on a créé, en 1994, les deux centres d’aguerrissement en montagne que vous citez, c’était pour compenser la fermeture de deux régiments. Je rappelle également que nous avons déjà rencontré les élus des communes concernées.

Et je le répète, à l’intention de François Cornut-Gentille, mais aussi d’autres orateurs : nous adaptons notre outil de défense dans l’intérêt de tous les Français. La défense n’est pas une question d’aménagement du territoire. Cela étant, nous veillerons à ne pas oublier les espaces qui se sont structurés autour de leurs régiments ou de leurs usines d’armement. Nous adopterons les mesures de compensation, de reconversion et d’accompagnement qui s’imposent.

Le Premier ministre a d’ailleurs annoncé à cette tribune qu’une aide d’un montant de 320 millions d’euros serait accordée. Allez donc à Illkirch ou à Albi, et vous verrez comment certaines communes ont su se retrousser les manches pour créer, avec l’aide de la puissance publique, des centaines d’emplois dans d’anciens sites militaires.

J’ai déjà beaucoup parlé de l’Alliance atlantique, Monsieur Myard, mais vous me permettrez sans doute de rappeler que l’Allemagne est très atlantiste, ne serait-ce que parce qu’elle a reconstruit son armée dans ce cadre. Toutefois, cela n’a pas empêché ce pays de s’opposer franchement aux États-Unis au sujet de l’Irak.

M. Jacques Myard – L’Allemagne n’est pas la France !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Ce n’est pas parce qu’on appartient au commandement intégré de l’Alliance atlantique que l’on perd l’autonomie de sa politique étrangère.

D’autre part, le ministre de la défense que je suis accepterait bien volontiers une hausse du budget de la défense à hauteur de 1 % du PIB, mais ces 17 ou 18 milliards d’euros supplémentaires creuseraient d’autant notre déficit.

M. Jacques Myard – Il n’y a qu’à supprimer les régions et le budget de l’Union européenne. Cela ne sert à rien !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  En revanche, je fais totalement miens les propos de M. Beaudouin : nous avons besoin de maintenir ce lien extraordinaire qui unit l’armée et la nation. D’après les sondages, 88 % des Français ont une bonne opinion de leur armée. Ils savent que nos militaires servent la France avec passion et dévouement.

M. Jacques Myard – Il leur faut également des moyens !

M. Hervé Morin, ministre de la défense  Comme l’a dit M. Grouard, nous devons construire l’armée de nos besoins, et non celle de nos habitudes. Notre armée doit continuer à être fière et heureuse de servir, parce qu’elle est bien équipée face aux risques nouveaux. C’est précisément l’objet du Livre blanc, et je vous donne rendez-vous à l’occasion de la loi d’orientation militaire. Notre pays a une ambition claire.

Sur ce point, comment peut-on reprocher au Président de la République de prononcer des arbitrages ? C’est nier l’essence même de la démocratie : le Président est l’élu du peuple et le chef des armées. Il est légitime qu’il procède à des arbitrages. Il nous reste à faire en sorte que les moyens soient là à l’occasion de la loi de programmation militaire.

Le débat est clos.

Prochaine séance, lundi 30 juin à 17 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 20.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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