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Délégation pour l’Union européenne

mercredi 3 octobre 2007

10 heures

Compte rendu no 10

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Communication de M. Marc Laffineur sur la réglementation des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l'Union européenne

II. Comptes rendus des missions des missi dominici sur le suivi de la Conférence intergouvernementale et certains dossiers de l’Union

I. Communication de M. Marc Laffineur sur la réglementation des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l'Union européenne

M. Marc Laffineur, rapporteur a indiqué en préambule que les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou organismes dont le matériel génétique a été modifié d’une manière non naturelle sont, depuis dix ans, le sujet de débats passionnés. Ces OGM ont été d’actualité l’été dernier avec les multiples actions de saccage de champ de maïs transgénique et le suicide d’un agriculteur la veille d’une manifestation anti-OGM. Il a rappelé que le Grenelle de l’environnement s’est saisi de la question des OGM et il a jugé important que la Délégation apporte un éclairage européen et comparatif dans ce débat.

Les premiers végétaux transgéniques (des tomates) ont été mis en culture en 1994 aux Etats-Unis, l’essor de ces cultures débutant réellement en 1996 essentiellement aux Etats-Unis, au Canada et en Australie.

En 2006, ces superficies sont, au niveau mondial, de l’ordre de 103 millions d’hectares, les Etats-Unis occupant la première place. L’Argentine, le Brésil, l’Inde et la Chine commencent à avoir des surfaces importantes. En 2006, 40 % de la surface mondiale en plantes transgéniques se trouvaient dans les pays en développement. Ces plantations croissent à un rythme élevé dans ces pays : + 21 % entre 2005 et 2006 contre + 9 % dans les pays développés.

Il n’y a en Europe que très peu de cultures transgéniques : seules la Roumanie et l’Espagne en possèdent des superficies appréciables : Roumanie (en 2006) 115 000 hectares, Espagne 50 000 hectares. Les autres pays en ont très peu : France (22 000 hectares de cultures commerciales de maïs), République tchèque, Portugal, Allemagne et Slovaquie.

M. Marc Laffineur a ensuite évoqué les risques des OGM. Il y a d’abord une possibilité de transfert de gène à partir d’une plante génétiquement modifiée vers une autre de la même espèce ou entre des espèces différentes par dissémination des pollens. Cela pose le problème de la coexistence des cultures transgéniques et des cultures conventionnelles et biologiques. La faune peut également être perturbée : un laboratoire nantais a ainsi décelé la présence d’ADN de pollen transgénique dans la récolte d’abeilles. Les protéines produites par les plantes transgéniques peuvent présenter des risques de toxicité ou d’allergénicité pour les êtres humains. Enfin, les agriculteurs peuvent devenir dépendants des entreprises agro-industrielles qui ont breveté ces plantes modifiées.

Concernant les avantages des OGM, des plantes résistantes aux maladies, aux prédateurs, et à des conditions d’environnement sévère pourraient entraîner une augmentation de la productivité agricole, notamment dans les pays en développement. L’utilisation de plantes transgéniques pourrait diminuer l’exposition des agriculteurs aux pesticides. Enfin ces plantes pourraient fabriquer à grande échelle des produits thérapeutiques comme l’hémoglobine ou industriels comme des matières plastiques.

Le rapporteur a ensuite abordé la réglementation européenne des OGM en matière d’utilisation confinée, de dissémination volontaire pour la recherche et le développement et de mise sur le marché.

La directive 90/219/CEE du 23 avril 1990 modifiée par la directive 98/81/CE du 26 octobre 1998 établit la réglementation pour l’utilisation confinée des OGM pour la protection de la santé humaine et de l’environnement. Ce texte établit des classes de risque et la fixation de différents niveaux de confinement. Cette directive modifiée a été transposée en droit français par les décrets n° 2006-1346 et 2006-1347 du 7 novembre 2006.

La dissémination volontaire d’OGM à des fins de recherche est réglementée dans l’Union européenne par la directive 2001/18/CE entrée en application le 17 octobre 2002. La transposition en droit français a été faite par le décret n° 2007-358 du 19 mars 2007.

En France, pour les plantes, les semences, les plants, les animaux et les produits phytosanitaires, c’est le ministre chargé de l’agriculture qui délivre cette autorisation, avec l’accord du ministre chargé de l’environnement.

Un dispositif d’information du public est prévu : une fiche d’information est consultable dans les mairies et un arrêté du ministre de l’agriculture du 20 mars 2007 a institué un registre national, consultable par Internet, recensant, par canton, le nombre et la surface des parcelles semées en OGM. Le niveau du canton a été choisi pour garantir une certaine confidentialité quant à la localisation exacte des cultures.

La mise sur le marché d’OGM a été d’abord réglementée par la directive 90/220/CE. Certains OGM ont fait l’objet d’une autorisation en 1997 et 1998. Lors de la révision de cette directive, en 1999, cinq Etats membres (Danemark, France, Grèce, Italie et Luxembourg) avaient souhaité que soient adoptées des mesures assurant la traçabilité des OGM pour permettre un étiquetage fiable des produits issus de ces OGM. Dans l’attente, ils avaient demandé, d’une part, que les nouvelles autorisations de mise en culture et de mise sur le marché d’OGM soient suspendues et, d’autre part, que soit établi un régime de responsabilité environnementale. Aucune autorisation de mise sur le marché n’a été accordée entre octobre 1998 et mai 2004.

La mise sur le marché d’OGM et de produits en dérivant est soumise à des procédures communautaires définies par la directive 2001/18/CE et par le règlement 1829/2003 relatif aux denrées alimentaires et aliments génétiquement modifiés pour les animaux.

Elle a introduit en particulier un certain nombre d’éléments :

- un renforcement des dispositions relatives à l’étiquetage obligatoire des produits ;

- des mesures visant à en assurer la traçabilité ;

- un dispositif de suivi des produits mis sur le marché ;

- une procédure communautaire centralisée ;

- l’évaluation des risques pour l’environnement pour éviter les situations divergentes d’un pays à l’autre ;

- la limitation des autorisations des OGM à un maximum de 10 ans avec possibilité de renouvellement ;

- une procédure d’information et de consultation du public ;

- l’obligation de consulter l’Agence européenne de sécurité des aliments.

Ces dispositions de la directive ont été transposées en France par le décret n° 2007-359 du 19 mars 2007.

Puis M. Marc Laffineur a évoqué le problème de la coexistence des agricultures conventionnelle et biologique avec les cultures OGM qui n’est pas une question nouvelle car elle existe déjà entre les agricultures conventionnelle et biologique.

Le seuil d’exemption d’étiquetage en cas de présence fortuite d’OGM dans les produits est fixé à 0,9 %. La Commission européenne a indiqué que ce même seuil s’appliquait aux filières conventionnelle et biologique.

Le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 a ajouté à la directive 2001/18/CE un article 26 bis prévoyant que « Les Etats peuvent prendre les mesures nécessaires pour éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits ». En France, il y a un engagement des producteurs de maïs OGM de veiller à maintenir un intervalle de 50 mètres entre les cultures OGM et les autres.

La recherche publique sur les plantes transgéniques est principalement réalisée, en France, à l’Institut de la recherche agronomique (I.N.R.A.), au Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.), à l’Institut de recherche pour le développement (I.R.D.) et au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (C.I.R.A.D.). Il existe un programme national de recherches sur les OGM soutenu par l’Agence nationale de la recherche (A.N.R.).

Le rapporteur a ensuite abordé la situation des pays européens.

Elle est caractérisée par le partage entre les pays possédant des cultures transgéniques, au nombre de dix actuellement, et les autres.

Il a tout d’abord évoqué les pays où se trouvent des cultures transgéniques.

Ÿ Allemagne :

Sont cultivés 2 650 hectares, dont environ 2 600 hectares de cultures commerciales, le reste étant constitué de parcelles d’expérimentation. Une loi sur les OGM transposant partiellement la directive 2001/18/Ce a été discutée en 2004. Un large débat sur les OGM a alors eu lieu principalement conduit par les partis politiques. Il n’y a pas eu de débat public depuis, même si certaines organisations animent périodiquement le débat. La population allemande se montre toujours majoritairement opposée aux produits issus d’OGM et le nombre de régions se déclarant sans OGM augmente régulièrement.

Ÿ Espagne :

Environ 70 000 hectares sont cultivés avec des maïs OGM, soit environ 20 % de la sole espagnole de cette plante. Il n’y a pas de réactions particulières de l’opinion ni des autorités publiques. Aucun débat n’a eu lieu depuis le début du développement de ce type de culture.

Ÿ Finlande :

Deux petites expérimentations sont en cours concernant des pommes de terre transgéniques et des bouleaux.

Ÿ Hongrie :

Il n’y a pas de cultures commerciales de plantes transgéniques. Des essais en plein champ ont concerné environ 3 hectares en 2006 et environ 2 hectares en 2007. Les pouvoirs publics hongrois ont une position très ferme sur les OGM et souhaiteraient que la Hongrie demeure exempte de productions d’OGM.

Ÿ Pays-Bas :

Il n’y a pas de cultures commerciales de plantes génétiquement modifiées. Des cultures expérimentales existent : environ 50 hectares de pommes de terre, 10-20 hectares de maïs et 1 hectare de pommiers. Un débat public a été organisé en 2001. Un certain consensus a été alors atteint et il y a actuellement une trêve sur ce sujet. Il existe dans ce pays une vision plutôt positive des innovations scientifiques : ainsi les Néerlandais ne refusent pas que les OGM puissent contribuer au développement durable, dans des conditions strictes.

Ÿ Pologne :

Selon des sources officieuses, 350 hectares de maïs génétiquement modifié seraient mis en culture. Dans ce pays, le débat est très passionné et la société est très majoritairement opposée à leur utilisation. De nombreuses régions se sont déclarées « zones indemnes d’OGM ».

Ÿ Portugal :

La surface cultivée en maïs OGM a atteint, en 2007, 4 129 hectares avec une augmentation de 330 % par rapport à 2006. Les OGM suscitent un intérêt important mais aucun débat public n’a encore été organisé.

Ÿ République tchèque :

Il y a eu environ 5 000 hectares de cultures commerciales de maïs MON810 en 2007 et 14 hectares d’essais de maïs, de pommes de terre et de lin. Selon l’étude d’Eurobaromètre de 2006, la République tchèque est le pays qui soutient le plus les applications des biotechnologies dans l’Union européenne.

Ÿ Roumanie :

Actuellement, en 2007, 321 hectares portent une culture commerciale de maïs MON810. En 2006, 130 000 hectares étaient cultivés en soja transgénique. Depuis l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne le 1er janvier 2007, ce type de culture est interdit. Des cultures illégales de soja subsisteraient. Aucun débat public n’a été lancé sur ce thème. Un sondage effectué en mai-juillet 2007 a montré que 67 % des Roumains seraient hostiles aux OGM.

Ÿ Royaume-Uni :

Il n’y a aucune culture commerciale, seule une expérimentation portant sur deux hectares de pommes de terre est en cours. Le Gouvernement a conduit une large consultation publique. Celle-ci a été menée pour justifier aux yeux des consommateurs la reprise des homologations de variétés OGM dès la parution des règlements communautaires. Il avait indiqué qu’il pourrait être favorable à l’autorisation de certaines productions commerciales sur la base d’une approche au cas par cas. Le débat public de 2003 a montré que l’opinion estime que les OGM peuvent présenter des risques dans le domaine de l’environnement et de la santé publique. Elle n’en perçoit aucun bénéfice et pense, majoritairement, que seules les entreprises de biotechnologies ont un intérêt à leur développement immédiat.

Les autres pays, sans cultures transgéniques, ont été enfin évoqués.

Ces pays peuvent être regroupés selon l’état des débats.

Une première catégorie regroupe une absence totale de débat public : Bulgarie, Lettonie, Danemark, Irlande, Malte. Mais quelques discussions peuvent avoir lieu.

Un pays intermédiaire est la Belgique pouvant être caractérisé comme peu sensibilisé.

Deux pays sont caractérisés par un débat « modéré » : l’Estonie et la Suède.

Dans cinq pays un débat important a lieu.

Ÿ Autriche :

Ce pays affiche vis-à-vis des OGM une position claire et radicale, objet d’un consensus national. Elle défend ainsi sur la scène internationale l’idée que les risques des OGM à long terme sur la santé et l’environnement ne sont pas clairement écartés. A l’intérieur, l’Autriche affirme vouloir défendre une agriculture propre et saine. Il semblerait que son attitude soit essentiellement une défense de son agriculture caractérisée par l’importance du marché des produits bio, une spécialisation de ce pays, et par la petite taille des exploitations.

Ÿ Chypre :

Il y a un large débat public dans ce pays avec un consensus général pour l’interdiction des OGM animaux et végétaux.

Ÿ Grèce :

Les Grecs figurent parmi les consommateurs européens les plus sensibles à cette question. 81% de la population s’opposent à la présence d’OGM dans l’alimentation. La présence des OGM dans les produits alimentaires commercialisés en Grèce s’élèverait actuellement à 10% du fait, notamment, d’importations de soja des Etats-Unis.

Ÿ Italie :

Un débat important a lieu dans ce pays à ce sujet et concerne la coexistence avec les cultures traditionnelles et biologiques, très importantes en Italie ; le principe de précaution quant aux conséquences à long terme sur la santé humaine ; la défense de la forte image des produits alimentaires italiens. Les consommateurs sont globalement réticents à l’utilisation des OGM.

Ÿ Slovénie :

Le débat est très ouvert sur ce sujet.

En conclusion, le rapporteur a souligné que les plantes transgéniques n’ont pas vraiment pris le départ en Europe. Dans l’ensemble les réticences des opinions publiques semblent encore très fortes.

Après avoir noté qu’un certain nombre de risques, et notamment la dissémination, ne sont pas maîtrisés, il a plaidé pour leur étude approfondie compte tenu de leurs avantages. Il a donc vivement souhaité que la recherche soit encouragée en s’entourant du maximum de garanties.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que, comme de précédents travaux analogues, le rapport de M. Marc Laffineur était plus descriptif que conclusif, en vue d’apporter des éléments de comparaison, qui permettront d’étayer le débat sans vote à l'Assemblée nationale sur le Grenelle de l’environnement.

M. Philippe Tourtelier, tout en considérant que le rapport apportait une intéressante description, a regretté qu’il n’ait pas abordé les problèmes posés par la transposition en droit français de la directive au moment même où l'Union européenne avait institué un moratoire. Le décret transposant la directive, en retenant le canton, s’est fondé sur des principes contraires à la transparence qui ont inspiré le moratoire et, de ce fait, favorisé les réactions hostiles.

Il a jugé le délai de 15 ans évoqué par le rapporteur comme insuffisant pour avoir un recul en ce qui concerne les conclusions des études épidémiologiques sur les effets de la dissémination des OGM. Enfin, il a indiqué qu’il aurait été souhaitable de retenir non pas la notion d’avantages potentiels comme l’a suggéré le rapporteur, mais celle d’avantages incertains. Il a fait valoir, à cet égard, qu’il existait des risques importants de transfert de gènes et de développement de résistances par les insectes. Il a estimé que ces incertitudes ne sont pas levées, ce qui autorisait à émettre des doutes quant à l’absence d’atteintes à l’environnement par les OGM.

En revanche, il a déclaré approuver les observations du rapporteur concernant les bienfaits qui pourraient en résulter pour la recherche, mais sous réserve que, conformément au principe de précaution inscrit dans la Constitution, soient examinés les dangers potentiels et irréversibles. Il a rappelé, sur ce point, que lors du débat sur le principe de précaution qui s’est tenu à l'Assemblée nationale, les OGM avaient été le seul exemple cité.

En conclusion, il a considéré que si les OGM pouvaient servir utilement à la recherche, il serait toutefois très souhaitable d’examiner tous leurs effets sur l’environnement qui, pour le moment, sont entourés d’incertitudes.

M. Noël Mamère, déclarant s’associer aux déclarations de M. Philippe Tourtelier, s’est félicité de l’initiative prise par la Délégation à travers le rapport de M. Marc Laffineur, qu’il a jugée louable, le jour même où l'Assemblée nationale procède à un débat sans vote sur le Grenelle de l’environnement.

Il a constaté que bien que le contenu de ce rapport soit apparemment technique, il revêtait, à ses yeux, une dimension très politique en raison des nombreuses questions qu’il n’a pas posées. Rappelant que trois tribunaux français – ceux de Carcassonne, de Chartres et de Toulouse – avaient demandé le report du jugement de faucheurs volontaires, dans l’attente des conclusions du Grenelle de l’environnement, il y a vu un changement d’attitude notable de la justice, puisque celle-ci, à l’origine, avait assimilé le fauchage à un délit.

En second lieu, il a déclaré qu’il aurait été judicieux de tenir compte de la position du professeur de droit M. Dominique Rousseau, selon laquelle le principe de précaution inscrit dans la Constitution impliquait que l’environnement soit regardé comme une propriété collective et le risque d’y porter atteinte comme une violation de la propriété d’autrui.

Marquant son accord avec les observations de M. Philippe Tourtelier sur la notion de bénéfice que peuvent apporter les OGM, il a relevé que, précisément, M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture, s’était également interrogé sur un tel bénéfice. Ceci conduit à poser la question de l’utilité sociale du progrès technique, le législateur devant, quant à lui, examiner les intérêts de la société afin d’éviter que les choix soient déterminés par les semenciers et les experts, ce qui impose la tenue d’un débat national. A cet égard, M. Noël Mamère a exprimé le souhait que le Grenelle de l’environnement y contribue réellement, d’autant que les Français n’ont pas été, jusqu’à présent, consultés.

S’interrogeant sur les conditions dans lesquelles l’INRA effectue ses recherches, il a déploré que cet établissement public passe des contrats avec des semenciers, ce qui risque de porter atteinte à l’objectivité de ses recherches.

Il a également regretté que le rapport ne fasse pas état des expérimentations menées sur les rats par la firme Monsanto, rappelant que seuls les efforts tenaces du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) et de certaines ONG ont permis de mettre en lumière les effets nocifs de telles expérimentations, protégées par le secret industriel. Il aurait souhaité, à cet égard, que le rapporteur évoque la reprise par un projet de loi de cette notion de secret industriel, qu’il juge scandaleuse parce que contraire au principe de transparence.

Puis M. Noël Mamère a évoqué les atteintes à l’environnement provoquées par les OGM aux Etats-Unis et en Argentine où, d’après lui, plusieurs milliers d’hectares de culture seraient contaminés. Dans ces pays, le rôle prédominant joué par les semenciers, en particulier par Monsanto, pose la question du brevetage du vivant et de la pertinence – au regard de l’éthique et du droit – des procès intentés par cette entreprise aux agriculteurs qui utilisent d’autres semences.

Au vu de ces éléments que, selon lui, M. Marc Laffineur aurait dû aborder, il a considéré qu’il était vain et regrettable de réduire les actions des faucheurs et les questions des écologistes sur les OGM à des manifestations d’obscurantisme. Rappelant que Jacques Ellul avait, dès 1953, dans son livre « La technique ou l’enjeu du siècle » mis en évidence que le progrès technique n’entraînait pas automatiquement le progrès humain, il a déclaré que les OGM pouvaient apporter effectivement des améliorations dans certains domaines, par exemple médical, à la condition que soient levées toutes les équivoques philosophiques et économiques. Sur ce point, comme M. Philippe Tourtelier, il a jugé que le délai de 15 ans ne permettait pas d’avoir un recul suffisant pour juger des effets irréversibles.

Abordant la question de l’opinion des Français sur les OGM, M. Noël Mamère, tout en constatant qu’une majorité y était opposée, a jugé essentiel que les pouvoirs publics statuent en toute objectivité et, à cet effet, examinent la question des OGM au regard des bénéfices qu’ils pouvaient apporter à la société et des besoins des pays du Sud. A cet égard, il a relevé que le rapport ne mentionnait pas le cas des paysans indiens qui se suicidaient parce qu’ils n’étaient pas en mesure de payer les semences nécessaires. De même, citant le cas de la société Dagris, il a déploré qu’à travers celle-ci, la France utilise une démarche de type colonial en déstabilisant la production de coton au Mali et au Burkina Faso, puisqu’à ses yeux, le coton transgénique aura pour effet de ruiner les petits agriculteurs de ces pays.

En conclusion, il a plaidé en faveur d’un débat qui clarifie tous les enjeux posés par la culture des OGM, afin de mettre un terme à ce qu’il a qualifié de lubies comme, par exemple, la contribution des OGM à la lutte contre la famine.

Le rapporteur a estimé qu’au-delà des éléments qui relevaient de la seule tribune politique, et qui apparaissent comme le point de vue de ceux qui en Europe ont la capacité de se nourrir et de nourrir la population, un effort de recherche était légitime pour assurer les besoins d’une population mondiale croissante, d’actuellement 6 milliards de personnes, et qui approchera rapidement les 10 milliards. Ce serait une erreur de refuser la recherche face à de tels défis.

En ce qui concerne les interventions en plein champ des adversaires des OGM, il a confirmé qu’il y a bien eu dans le Maine-et-Loire des parcelles véritablement saccagées.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que l’objet des études comparatives était de présenter la situation dans les autres pays afin d’informer les parlementaires, et non de trancher le débat au fond.

M. Noël Mamère a considéré que ce débat éclairait aussi les parlementaires.

M. Jean Dionis du Séjour a rappelé que ce sujet, extrêmement complexe, donnait lieu notamment dans le sud-ouest, à des tensions. La majorité de l’opinion publique est contre les OGM, mais il y a également une exaspération du monde paysan. Entrer sans son autorisation sur la propriété d’un agriculteur et lui saccager sa récolte est ce qu’on peut lui faire de pire.

Il faut régler cette question autour de laquelle s’affrontent des associations écologistes, des chercheurs, une partie du monde paysan et les producteurs de produits phytosanitaires.

Lors du Grenelle de l’environnement, chacun a exposé sa position, mais cela ne permet pas de décider au fond. Pour sa part, l’étude comparative menée par le rapporteur montre, ce qui est très intéressant, la situation de chacun de nos partenaires européens. On ne peut en effet régler la question au niveau national, puisque les flux commerciaux permettent l’entrée dans notre pays de produits agro-alimentaires espagnols ou américains, par exemple.

Un règlement sur le fond repose sur l’expertise scientifique, notamment pour les questions très techniques telles que les distances de contamination, et il serait ainsi nécessaire de compléter l’étude comparative du rapporteur par une comparaison européenne sur ce point. Si l’on voit la faiblesse de l’INRA, M. Noël Mamère ayant indiqué que cet organisme avait des contrats avec des semenciers, il convient de mettre sur pied une expertise pluridisciplinaire et indépendante des milieux économiques.

Après avoir indiqué qu’il ne souhaitait pas prendre part à cette disputatio sur la philosophie du progrès et le « contrôle démocratique du progrès » qui faisait penser à la période des « grands jours » de la Révolution française où l’on estimait que la République n’avait pas besoin de savants, M. Hervé Gaymard a estimé que tous les hommes de bonne volonté trouvaient insupportable le terrorisme intellectuel tant des partisans des OGM, qui invoquent la santé et la nutrition, les besoins des pays en développement ou encore la fin de la faim dans le monde, que des anti-OGM. Il a indiqué qu’une ONG avait ainsi sommé les candidats aux élections de se prononcer, dans un délai obligatoire, sur certaines questions, sous la menace d’être déclarés favorables aux OGM. La République prévoyant que tout mandat impératif est nul, M. Hervé Gaymard a précisé n’y avoir pas déferré, pour sa part.

C’est également un domaine où il faut faire attention au vocabulaire, le mot « contamination » faisant référence en France à des scandales sanitaires.

Sur le fond, on ne peut être actuellement certain que les OGM aient une utilité sociale pour la France, son économie et son environnement. Il faut regarder de près tous les éléments et ne pas prendre une décision hâtive que l’on pourrait regretter.

L’étude comparative menée par le Rapporteur est d’un grand intérêt, car elle permet de voir comment les pays réagissent avec leur sensibilité propre. Elle présente également, ce qui est fort intéressant, l’état des surfaces d’OGM cultivées dans les différents Etats dans le monde. D’une part, cela permet à ceux que l’ampleur du débat sur la question auraient incité à croire que la France est ou est en passe de devenir un gros utilisateur d’OGM, que tel n’est pas le cas. D’autre part, on constate que les principaux utilisateurs sont les Etats-Unis, l’Argentine et le Brésil. Ce dernier pays ne fait d’ailleurs pas l’objet d’opérations de fauchage lorsque des anti-OGM se rendent aux réunions de Porto Alegre.

En définitive, il convient d’être vigilant, de ne pas jouer avec le feu et de ne pas être irénique.

Après avoir indiqué pleinement partager la référence à Jacques Ellul, M. Daniel Garrigue a considéré que les OGM étaient d’abord un problème scientifique, sur lequel il faut éviter toute attitude partisane, et qu’il convenait en effet de disposer d’une expertise indépendante.

Sur le fond, il convient d’éviter de parler des OGM en général, mais de régler la question OGM par OGM, en fonction de la nature et de la finalité de chacun.

M. Michel Herbillon a considéré que les convictions exprimées devraient êre traitées avec respect, et qu’il n’y avait place ni pour l’excès sémantique ni pour la posture.

Le fond du sujet est en effet sérieux et il appartient d’abord aux experts, avant que les élus et les citoyens ne se l’approprient.

Un débat avec les citoyens a d’ailleurs eu lieu lors de l’élection présidentielle, puisque l’un des candidats, M. José Bové, était bien identifié comme anti-OGM.

Néanmoins, le sujet n’est pas clos et il convient de poursuivre les discussions en n’acceptant ni les coups de force ni les saccages, en évitant également tout excès et toute incantation. On ne sait pas actuellement s’il n’y a aucun avantage des OGM ou s’il y a au contraire des avantages attestés. Dans cette perspective, il faut être favorable à la recherche sur les innovations.

En tout état de cause, il faut rester très vigilant sur le plan scientifique et être très précautionneux.

M. Marcel Rogemont a observé que plusieurs candidats à l’élection présidentielle, sinon tous, avaient donné des leçons en la matière et que personne n’avait intérêt à ramener ce débat dans la question des OGM. Même M. Noël Mamère ne suivait pas automatiquement les positions du candidat le plus en flèche sur ce sujet.

Ce rapport comparatif sur l’usage des OGM dans l'Union européenne est intéressant. Il montre, en effet, que cette question présente un intérêt pour la société, en particulier l’encouragement au développement de la recherche préconisé par le rapport, mais aussi pour les sociétés dans la mesure où le développement des OGM conduit à un modèle différent d’agriculture et de son organisation sociale dans certains pays. Ce rapport doit alimenter notre réflexion sur les conséquences de l’utilisation des OGM sur l’organisation de notre agriculture et sur la question du brevetage du vivant.

M. Marc Laffineur, rapporteur, a déclaré que le rapport montrait que l’utilisation des OGM n’est pas un problème franco-français et que le choix des autres pays varie entre ceux qui les cultivent de manière industrielle sur des millions d’hectares et les autres qui conduisent une réflexion plus ou moins avancée. Il est clair que ce sujet mérite de faire l’objet d’une recherche scientifique approfondie et c’est la raison pour laquelle il convient de retenir la proposition de M. Jean Dionis du Séjour d’un complément au rapport sur le contrôle scientifique réalisé dans les autres pays européens.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur d’avoir réalisé cette excellente étude comparative dans des délais très courts et rappelé que cette pratique avait été introduite sous la précédente législature.

Il a donné son accord pour publier le rapport et le compléter par une étude comparative sur les différents contrôles scientifiques dans les pays européens.

M. Daniel Garrigue a souhaité que la Délégation étudie également le traitement des problèmes environnementaux par les autres pays européens, au moment où la France s’engage dans la démarche du Grenelle de l’environnement.

Le Président Pierre Lequiller a déclaré que la Délégation ne pouvait pas tout traiter et qu’elle pourrait prendre deux ou trois angles d’attaque sur ce thème.

M. Daniel Garrigue a cité l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède comme des pays très significatifs sur ce sujet.

II. Comptes rendus des missions des missi dominici sur le suivi de la Conférence intergouvernementale et certains dossiers de l’Union

Italie : mission de M. Régis Juanico, le 20 septembre 2007

M. Régis Juanico, rapporteur, a indiqué qu’il s’était rendu à Rome, le 20 septembre dernier et qu’il avait pu y rencontrer des représentants des pouvoirs législatif et exécutif. A la Chambre des députés, il a eu un entretien avec Mme Franca Bimbi, Présidente de la Commission des affaires européennes, et avec M. Francesco Stagno d’Alcontres, vice-président de cette même commission. Du côté de l’exécutif, trois conseillers appartenant à l’équipe diplomatique de la Présidence de la République et aux services du ministère des affaires étrangères ont accepté de répondre à ses questions.

Au retour de cette mission, trois enseignements semblent devoir être mis en avant. Premièrement, malgré une déception initiale, liée à l’abandon des symboles constitutionnels, l’Italie souhaite ratifier rapidement le Traité modificatif. Deuxièmement, l’importance attribuée au Parlement européen conduit à relativiser la procédure de contrôle de la subsidiarité, mais rend très sensible la question d’une nouvelle répartition des sièges après 2009. Troisièmement,  une perception très positive de la concurrence dans la construction européenne n’empêche pas les Italiens de soutenir l’initiative franco-allemande sur la dimension extérieure de la stratégie de Lisbonne, visant à favoriser une concurrence loyale (en particulier avec la Chine).

Au lendemain du Conseil européen de juin dernier, les réactions des principales autorités de ce pays traduisaient une certaine insatisfaction liée, à la fois, à l’abandon de la démarche constitutionnelle et au sentiment que la voix de l’Italie comptait peut-être moins que celle d’autres nations. Le Président de la République, M. Giorgio Napolitano, estimait que le Traité modificatif remettait en question « le résultat de dix années de travail et de réflexion dont le Traité de 2004 était une conclusion » et constatait : « Un pays comme le nôtre, qui a amplement soutenu ce traité, a dû céder à une minorité ». Il ajoutait néanmoins « Nous devons penser au futur et transformer notre insatisfaction actuelle en un tremplin pour demain ». Cette dernière phrase résume assez bien la position actuelle de l’Italie. Elle regrette la disparition de la notion de Constitution et des références aux symboles de l’Union européenne, mais en prend acte et comprend que le Traité modificatif permettra de nouveau d’aller de l’avant dans la construction européenne. A défaut de symboles tels que le drapeau, l’hymne ou la devise, les Italiens ont, en quelque sorte, reporté leur attention sur la Charte des droits fondamentaux. Mme Franca Bimbi, Présidente de la Commission des affaires européennes, a d’ailleurs assimilé cette Charte à un « drapeau » pour l’Europe. L’Italie préconise donc l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le Traité.

On peut avoir deux certitudes sur la ratification du Traité par l’Italie : premièrement, la ratification ne posera pas de problème dans ce pays dans la mesure où elle est soutenue par l’ensemble des forces politiques, à quelques exceptions mineures (Ligue du Nord et extrême-gauche) ; deuxièmement, la ratification sera réalisée par la voie parlementaire. Les responsables italiens se montrent favorables à une coordination des Etats membres pour que l’ensemble des ratifications intervienne dans un laps de temps resserré ; la diversité des situations propres à chaque pays rendant illusoire une ratification à une date unique.

Une fois le Traité ratifié, l’Italie se déclare prête à participer à l’approfondissement de la construction européenne. Ce volontarisme la conduit notamment à vouloir participer aux coopérations renforcées, en particulier dans les domaines liés à la JAI (justice, immigration, lutte contre le terrorisme…). Le volontarisme européen de l’Italie l’incite ensuite à adopter une approche positive à l’égard de la proposition de création d’une Union méditerranéenne. Elle n’est pas perçue comme un moyen d’escamoter la question de l’élargissement à la Turquie, mais comme une ambition devant être partagée par l’ensemble des Etats membres et pas seulement par les pays bordant la Méditerranée. Les questions susceptibles d’être examinées dans ce cadre dépassent, en effet, la seule dimension régionale : changement climatique, immigration, paix en Méditerranée… Néanmoins, les Italiens souhaiteraient obtenir une information plus précise sur le cadre et les objectifs de l’Union méditerranéenne.

Il faut bien comprendre que la perception du rôle du Parlement européen est assez différente en Italie de celle que l’on connaît en France. La Présidente de la Commission des affaires européennes a ainsi souligné qu’il lui semblait souhaitable de développer les pouvoirs du Parlement européen en évitant les positionnements nationaux lors des votes, afin de contribuer à l’émergence d’un véritable gouvernement européen. Mme Franca Bimbi a aussi regretté que le travail de la Chambre des députés soit principalement consacré à l’intégration du droit communautaire dans le droit national. Elle a indiqué que le rôle du Parlement italien dans la « phase amont », celle de la négociation des projets communautaires, était devenu plus complexe du fait du transfert de compétences aux régions, en faveur desquelles des mécanismes de consultation obligatoire sont prévus dans certains cas. Pour ces raisons, la Commission des affaires européennes vient de confier à une mission d’information le soin d’évaluer les procédures actuelles de son fonctionnement. Parmi les évolutions envisagées figure la création d’un comité permanent chargé de sélectionner les dossiers à traiter en priorité.

Comme l’avait laissé entendre MM. Alain Lamassoure et Adrian Severin lors de leur audition devant la Délégation la veille de la mission à Rome, leurs propositions sur la répartition des sièges au Parlement européen après les élections européennes de 2009 suscitent une forte réaction hostile en Italie. Selon les critères strictement démographiques retenus par les deux rapporteurs précités, l’Italie garderait les 72 sièges prévus par le Traité de Nice, mais ne serait plus à parité avec la France qui gagnerait 2 sièges (74) et le Royaume-Uni (73). Cette proposition est clairement vécue comme une rétrogradation du rang de l’Italie en Europe. Plusieurs arguments sont avancés pour s’opposer à une telle réforme, en particulier le fait que le Traité se réfère aux « citoyens » et pas à la population, ce qui nécessiterait de prendre en considération les nombreux citoyens italiens ayant émigré dans d’autres Etats membres.

L’ouverture à la concurrence des marchés des biens et des services, prévue par le Traité de Rome et mise en œuvre par la Commission européenne, est aujourd’hui une démarche approuvée et soutenue par l’Italie, dont le Président du Conseil, M. Romano Prodi, est un ancien Président de la Commission européenne. Dans ces conditions, la requalification de la concurrence libre et non faussée en instrument de l’Union, et non plus en objectif de l’Union, avait donné lieu, à l’issue du Conseil européen de juin 2007, à de sévères critiques à l’encontre de la France et de son Président, à l’origine de cette mesure. Nos interlocuteurs ont de nouveau regretté cette concession accordée à la France. Cependant, un élément relativement nouveau mérite d’être souligné : la forte sensibilité de l’Italie aux risques liés à une concurrence déloyale de la part de la Chine. Toutes les personnes rencontrées prenaient l’initiative d’aborder ce sujet. L’économie italienne, qui s’appuie sur des PME performantes dans des domaines tels que la confection ou la maroquinerie, subit le choc des importations de produits à bas prix et de contrefaçons provenant de Chine. Les craintes liées aux conséquences de cette concurrence sur la compétitivité et l’emploi en Italie se traduisent par une certaine tension avec la communauté chinoise installée dans ce pays. Ces craintes conduisent surtout les autorités italiennes à demander à l’Europe de mieux s’organiser pour assurer la protection contre la concurrence déloyale. Dès lors, la lettre conjointe franco-allemande adressée à M. José Socrates le 10 septembre 2007 pour demander le renforcement de la stratégie de Lisbonne grâce à des mesures économiques externes, en favorisant une concurrence loyale dans un esprit de réciprocité, a forcément trouvé un accueil positif en Italie.

En conclusion, l’Italie demeure un Etat au fort volontarisme européen, prêt à participer à l’approfondissement de la construction communautaire, mais ayant parfois l’impression de ne pas peser du poids qu’il mérite dans les décisions. C’est pourquoi il conviendra de veiller à ménager la susceptibilité nationale à l’occasion de la nouvelle répartition des sièges au Parlement européen.

Roumanie : mission de M. Emile Blessig, le 2 octobre 2007

M. Emile Blessig, rapporteur, a indiqué qu’il s’était rendu hier à Bucarest en Roumanie, pays nouvellement adhérent et qui connaît actuellement une situation d’incertitude politique, le gouvernement étant sous la menace de l’adoption d’une motion de censure. Par ailleurs, au mois de novembre prochain aura lieu l’élection des députés européens. D’une manière générale, les entretiens ont mis l’accent sur le sentiment europhile de la population et le contexte « euro-enthousiaste », l’Europe recueillant 70 % d’opinions favorables dans les sondages. L’attrait de la nouveauté l’emporte parfois sur une analyse approfondie des problématiques.

Les entretiens tant au ministère des affaires étrangères qu’au ministère de l’intérieur et de la réforme administrative ont permis une approche générale de la construction européenne. La visite à la commission du parlement pour les affaires européennes a été plus particulièrement consacrée à la place des parlements nationaux dans le processus de décision européen.

Au ministère des affaires européennes, M. Adrian Vierita, secrétaire d’Etat en charge des affaires européennes, a abordé des préoccupations spécifiques comme la situation au Kosovo qui est une affaire européenne. Il a également insisté sur l’importance de l’élaboration d’une politique énergétique commune. Compte tenu de l’étendue des frontières de la Roumanie – plus de 2500 kilomètres allant de la mer noire aux Carpates – et des difficultés de surveillance tenant notamment au relief de cette zone, la Roumanie est très soucieuse de développer une politique de bon voisinage avec les pays frontaliers, et notamment avec la Moldavie dont elle souhaite l’intégration dans l’Union européenne. Cette politique de bon voisinage pose de façon plus générale le problème des frontières de l’Union qui n’est pas limité à la Turquie, certains Etats pouvant avoir un intérêt particulier à l’adhésion de pays limitrophes.

S’agissant du traité simplifié, il est accepté sans réserve. La Roumanie est cependant consciente du chemin qui lui reste à parcourir pour répondre aux défis posés par l’adhésion à l’Union européenne, notamment en matière de justice et affaires intérieures. Ces défis ne pourront être relevés que par sa participation à l’approfondissement de la construction européenne. L’adhésion à la convention de Schengen est prévue pour 2012, et compte tenu des perspectives économiques, l’intégration dans la zone euro est envisagée en 2012.

Au ministère de l’intérieur et des réformes administratives, M. Vassile Nitsa, sous-secrétaire d’Etat, a également fait part des difficultés de surveillance d’une frontière très étendue et de zones où la criminalité est très importante. Un système intégré de sécurité des frontières a été mis en place et la Roumanie participe à Interpol, Europol et à Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières. La Roumanie est en tout état de cause très demanderesse d’une coopération européenne en la matière. Afin de répondre aux exigences posés par l’espace Schengen, le processus d’élaboration de passeports biométriques a été enclenché et un groupe de travail a été constitué sur ce dossier à Bruxelles.

S’agissant de l’émigration, il existe une réelle inquiétude sur le départ des forces vives du pays, même si la Roumanie pense pouvoir compter sur les progrès économiques pour inciter la main-d’œuvre au retour et enclencher ainsi un mouvement de rééquilibrage, comme ce fut le cas pour l’Espagne ou le Portugal.

Concernant la lutte contre la criminalité, l’adhésion à permis de délivrer 750 mandats d’arrêt européens depuis le 1er janvier 2007, contre une centaine en 2006.

D’une manière générale, la Roumanie est favorable à l’élaboration de règles communes dans tous les domaines où l’Union européenne est appelée à intervenir, comme le régime d’asile européen et soutient l’idée de la France d’un pacte européen sur l’immigration.

L’entretien à la commission du Parlement pour les affaires européennes avec MM. Vasile Puscas (PSD), Costache Mircéa (PRM), Bogdan Nicolae Niculescu-Duvaz (PSD) et Valer Pusca Mircéa (PNL), députés, a été l’occasion d’aborder les modalités de contrôle du Parlement sur le processus de décision européen. Cette commission est bicamérale et son activité est encore très nouvelle, notamment en ce qui concerne le contrôle de subsidiarité. Sur ce point, la commission élabore un mécanisme mais si deux simulations ont été faites, il n’est pas encore opérationnel.

Les députés estiment que le délai de huit semaines dont disposent les parlements pour contrôler l’application du principe de subsidiarité n’est pas suffisant. Ils sont, sur ce point, favorables à une coopération entre les parlements nationaux, le cadre de la COSAC ayant été évoqué. En revanche, ils n’ont émis aucune critique sur le poids respectif des Etats dans la procédure de décision telle que prévue dans le traité simplifié.

La ratification de ce traité ne posera, de l’avis unanime des interlocuteurs, aucun problème . Elle se fera par voie parlementaire selon la même procédure que pour le traité d’adhésion et pourra intervenir rapidement et, en tout état de cause, avant les élections européennes de juin 2009.

La qualité des personnalités rencontrées au cours de cette mission courte mais dense a largement contribué à un enrichissement réciproque.

Irlande : mission de Mme Arlette Franco, le 2 octobre 2007

Mme Arlette Franco, rapporteure, a indiqué qu’elle s’était rendue hier à Dublin, où elle a eu des entretiens avec plusieurs députés du Dail. Les commissions n’ayant pas encore été désignées, et compte tenu des contraintes de calendrier des missions, il était impossible de rencontrer les membres de la commission des affaires européennes mais Mme Arlette Franco a souligné qu’elle avait eu la possibilité de rencontrer des représentants des principaux groupes, ainsi que M. Dick Roche, ministre délégué aux affaires européennes.

Elle a ensuite observé que plusieurs points avaient retenu son attention.

Tout d’abord, l’Irlande sera le seul Etat membre à organiser un référendum sur le Traité modificatif.

Après le rejet du projet de Traité constitutionnel par la France et les Pays-Bas en 2005, l’Irlande avait décidé de reporter la tenue du référendum tendant à la ratification (comme l’avait également décidé le Royaume-Uni). Bien que certains des interlocuteurs aient indiqué qu’un référendum sur le traité modificatif n’était peut-être pas obligatoire au plan juridique, tous se sont accordés pour dire que politiquement il était nécessaire.

Le souvenir du rejet du Traité de Nice par référendum en 2001 est très présent. L’Irlande avait dû voter à nouveau en 2002, et le « oui »  l’avait emporté.

Les interlocuteurs ont fait preuve d’un certain optimisme sur l’issue du référendum, soulignant en premier lieu que tous les grands partis sont favorables au Traité modificatif (le Fianna Fail, principal parti de la coalition au pouvoir, le Fine Gael, le Labour et les Progressive Democrats). Les Verts, qui sont en Irlande traditionnellement hostiles à l’Europe, pourraient changer de position, en raison de leur participation à la coalition gouvernementale depuis les dernières élections en mai 2007. Les partenaires sociaux sont également favorables au Traité.

Les obstacles évoqués sont de plusieurs ordres :

- le risque d’une trop faible participation, comme cela avait été le cas pour le premier référendum sur le traité de Nice ;

- les risques de tout référendum : les électeurs pourraient être tentés de répondre à d’autres questions que celle posée, d’ordre européen (ont été cités le rejet de l’harmonisation fiscale, l’Irlande ayant un taux d’impôt sur les sociétés très inférieur à la moyenne européenne, ainsi que la crainte de l’élargissement à la Turquie) ou interne ;

- la reprise d’arguments récurrents dans les débats sur l’Europe : la critique de l’excès de réglementation et de la bureaucratie, la défense de la neutralité de l’Irlande. La question du nombre de sièges au Parlement européen a aussi été présentée comme problématique pour l’opinion publique ;

- les possibilités de « contagion » du débat britannique, notamment en raison de la popularité de certains journaux britanniques très anti européens ;

- et plus largement, une éventuelle focalisation de tous les eurosceptiques de l’Union sur le débat irlandais.

La date du référendum n’a pas encore été arrêtée. La plupart des interlocuteurs rencontrés ont évoqué le printemps 2008, et lors de l’entretien avec le ministre délégué aux affaires européennes, celui-ci a exprimé son souhait que le référendum se tienne le 9 mai, journée Schuman.

Un autre point encore en débat concerne la possibilité de coupler le référendum sur le Traité avec un autre référendum sur les droits de l’enfant. Les interlocuteurs rencontrés pensent qu’il serait préférable de distinguer les deux votes.

Le ministre délégué aux affaires européennes M. Dick Roche, qui a l’expérience du deuxième référendum sur le Traité de Nice, a indiqué qu’il souhaitait mener une campagne très active, permettant une explication claire du Traité, tout en étant à l’écoute des problèmes de la population. Il existe en Irlande un Forum national sur l’Europe, qui se réunit tous les mois, et qui est une enceinte dans laquelle les partis, les partenaires sociaux et les membres de la société civile débattent de l’Europe. Cette instance de discussion va jouer un rôle important en amont du référendum.

L’Irlande n’a pas encore décidé si, dans le cadre du Traité modificatif, elle allait demander les mêmes dérogations que le Royaume-Uni dans le secteur de la justice et des affaires intérieures.

Rappelons que l’Irlande ne fait pas partie de l’espace Schengen et partage un espace de libre circulation avec le Royaume-Uni.

Concernant la coopération judiciaire, les milieux juridiques sont favorables à un alignement sur les positions britanniques, en se fondant sur les particularités des pays de common law.

Le ministre délégué aux affaires européennes a indiqué qu’à titre personnel, il n’était pas favorable à ce que l’Irlande suive le Royaume-Uni à ce sujet, soulignant que le Traité n’apportait pas de changement négatif et qu’il ménageait des possibilités de « frein de secours ».

L’Irlande est par ailleurs très attachée à la Charte des droits fondamentaux et ne demandera pas de dérogation comme l’ont fait les Britanniques.

Les interlocuteurs ont tous souligné leur engagement pour l’Europe politique et leurs différences de vue avec les Britanniques à ce sujet.

D’autres questions ont été soulevées par les interlocuteurs.

Les personnes rencontrées ont souhaité des précisions sur la proposition du comité des sages faite par le Président de la République ; certaines ont exprimé la crainte que la composition de ce comité se limite à des experts « donneurs de leçons », ce qui ne serait pas suffisamment ouvert et démocratique.

La Turquie a été plusieurs fois évoquée. L’opinion publique est défavorable à son entrée dans l’Union. Certains des interlocuteurs s’interrogent sur les conséquences d’un refus de l’adhésion sur la situation de la Turquie et ses relations avec l’Union européenne.

Ont été aussi évoqués le rôle des « petits » pays dans l’Union européenne, et les inquiétudes sur l’avenir de la politique agricole commune, dossier sur lequel les Irlandais souhaitent un soutien mutuel avec la France.

L’immigration est un sujet important en Irlande. Il s’agit d’une question nouvelle, puisque ce pays a connu une immigration très importante depuis 2003-2004, en raison de sa forte croissance économique et de l’élargissement de l’Union européenne. Le nombre d’étrangers résidant en Irlande est estimé à 10 % de la population totale, soit 400 000 personnes. L’ampleur de ce phénomène n’a pas été anticipée. L’Irlande applique depuis le 1er janvier 2007 des restrictions transitoires à la libre circulation des travailleurs roumains et bulgares.

Les personnes rencontrées ont souligné que l’Irlande n’avait pas encore formulé de politique sur l’immigration, notamment sur l’intégration des immigrés. Elle est particulièrement attentive aux exemples de ses partenaires européens, comme le Royaume-Uni et la France.

Des difficultés sont redoutées, en cas de ralentissement de l’économie (ce qui n’est pas le cas actuellement, puisque l’Irlande connaît une croissance de 6% et un chômage de 4,5%). La dépendance de l’économie vis-à-vis des multinationales et la crainte des délocalisations ont été soulignées à plusieurs reprises.

M. Michel Herbillon a souhaité savoir si la mobilisation pour le futur référendum allait être similaire à celle que l’Irlande avait organisée pour le deuxième référendum sur le traité de Nice. Il a indiqué qu’il s’était rendu en Irlande à cette époque et avait été impressionné par l’ampleur de la campagne, dans laquelle le Premier ministre s’était fortement engagé et qui avait impliqué de nombreux acteurs de la société civile, notamment les chefs d’entreprises.

Mme Arlette Franco a répondu que le ministre délégué aux affaires européennes avait parlé d’une campagne musclée, qui impliquerait les partenaires sociaux. Il fait lui-même preuve d’une forte conviction et d’un fort engagement.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l’intérêt des missions, qui permettent de faire le point sur le calendrier de ratification mais aussi d’avoir un aperçu sur les positions européennes et la vie politique interne.