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Délégation pour l’Union européenne

mercredi 14 mai 2008

10 heures

Compte rendu no 44

Présidence de M. Pierre Lequiller Président de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et de M. Gunther Krichbaum Président de la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag

Réunion commune avec la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag

Réunion commune avec la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag

Le Président Pierre Lequiller s’est déclaré très heureux de recevoir la délégation de la Commission des affaires de l’Union européenne du Bundestag en soulignant que l’entente franco-allemande était une base incontournable de l’Europe. Après avoir rappelé l’importance de la reprise avec la Pologne des activités du Triangle de Weimar qui devrait désormais se réunir tous les six mois, il a défini l’ordre du jour de la réunion : ratification du traité de Lisbonne, contrôle des affaires européennes, priorités de la présidence française de l’Union européenne, Union pour la Méditerranée, politique européenne de voisinage.

Treize pays ont déjà ratifié le traité de Lisbonne et, en Allemagne, le Bundestag l’a adopté à une très large majorité. Il ne devrait pas y avoir de difficulté en Grande-Bretagne, le traité étant actuellement soumis à l’examen de la Chambre des Lords.

La question préoccupante demeure le référendum irlandais, où les sondages indiquent un partage égal de l’opinion entre partisans, adversaires et abstentionnistes. La victoire du « oui » est naturellement ardemment souhaitée mais il ne semble pas opportun de prendre une initiative pour la favoriser car les Irlandais n’apprécient pas les pressions extérieures. Il faut néanmoins envisager le pire et, donc, réfléchir à une solution en cas de vote négatif. Dans cette hypothèse, il faudrait sans doute demander un nouveau vote après l’adoption d’un certain nombre d’amendements, comme cela a été fait pour le traité de Nice. Si, par contre, le vote de l’Irlande est positif, on peut penser qu’il n’y aura pas de difficultés pour les autres pays, bien qu’il faille demeurer prudent.

Le Président Gunther Krichbaum, représentant la CDU/CSU, a remercié le Président Pierre Lequiller de son accueil et a présenté la délégation allemande : M. Florian Toncar, représentant le FPD, et le Dr Lothar Bisky, représentant Die Linke.

Il a souligné l’importance de ces réunions communes permettant des échanges de vues pour certains grands projets. La France et l’Allemagne ont, en Europe, un rôle moteur indispensable qui sera incontournable pour les projets d’intégration européenne ultérieurs. Les « petits » pays effectuent un travail remarquable comme vient de le montrer la récente réunion de la COSAC en Slovénie mais une base solide pour les grands projets est nécessaire, notamment pour ceux qui sont attendus de la présidence française de l’Union européenne.

Le référendum irlandais incite à l’inquiétude dans la mesure où les partisans du « non » semblent avoir le vent en poupe. Un certain nombre de personnalités européennes, dont la Chancelière Angela Merkel, ont pris des initiatives mais il faut maintenant attendre. Il est étonnant qu’un pays comme l’Irlande, qui doit son décollement économique à l’Union européenne, compte tant d’opposants à l’Europe. Il est important que soit réellement mis en œuvre le principe de subsidiarité afin de persuader nos concitoyens que chaque mesure est vraiment décidée au niveau le plus adéquat, les régions ayant de ce point de vue un rôle très important à jouer.

Un certain nombre de compétences ne peuvent exister qu’au niveau européen notamment dans les domaines où l’Europe doit se positionner par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie. Il en est ainsi, par exemple, de la politique de recherche spatiale et il est significatif que les ministres européens de la recherche se rendent à Kourou au mois de juillet prochain. Il faut donc répondre aux inquiétudes des citoyens qui craignent de voir l’Europe s’occuper de tout. C’est un aspect important dans la perspective non seulement du référendum irlandais mais aussi des élections européennes de 2009.

M. Michel Delebarre a rappelé qu’en 2005, en France, les régions qui ont le plus profité des crédits européens ont voté « non », comme par exemple la Région Nord, ce qui prouve que les citoyens ne font pas le lien entre l’Europe et leur situation.

La situation irlandaise est en train d’évoluer et s’il est bon que des personnalités comme la Chancelière Angela Merkel ou MM. José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker aient pu s’exprimer à ce sujet, il ne faut pas prendre d’autres initiatives que les Irlandais interprèteraient comme des pressions. Une issue positive est naturellement souhaitée dans ce pays à l’instar de ce qui se dessine actuellement en Grande-Bretagne.

L’achèvement des ratifications aura sans doute lieu sous la présidence française mais il faut réfléchir à une initiative qui marquera l’opinion pour persuader les citoyens que l’Europe améliore leur vie et qu’une nouvelle étape va s’ouvrir. Il est évident que la notion de subsidiarité, trop compliquée à comprendre, est complètement ignorée des citoyens.

Il a conclu son propos en rappelant, d’une part, que les autorités locales sont les structures les plus représentées à Bruxelles (226 actuellement) et, d’autre part, en réitérant son appel en faveur d’une initiative susceptible de rapprocher les citoyens de l’Europe.

Mme Arlette Franco, après avoir évoqué sa mission de « missi dominici »de la Délégation en Irlande, a estimé que si le premier problème de l’Irlande est l’immigration, le deuxième est l’influence de la presse britannique défavorable à l’Union européenne.

Elle s’est déclarée en accord avec M. Michel Delebarre pour constater que des régions françaises qui ont beaucoup profité de l’Europe avaient voté « non ». Elle a cependant estimé que beaucoup de problèmes conjoncturels autres que le rejet de l’Europe avaient interféré.

Le souhait principal des citoyens est d’avoir une égalité des charges, alors que la situation actuelle est perçue, comme c’est le cas en Roussillon par rapport à l’Espagne, comme étant déséquilibrée en matière d’avantages sociaux et de charges sociales.

Face aux pays émergents, il est nécessaire que l’Europe puisse peser de tout son poids en matière de commerce et d’échanges, la France et l’Allemagne pouvant apporter des réponses en ce domaine.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la Délégation avait envoyé plusieurs de ses membres dans certains Etats membres – dont l’Irlande – en vue de s’enquérir de leur position sur le traité de Lisbonne. S’agissant de la proposition émise par M. Michel Delebarre, le Président Pierre Lequiller l’a pleinement approuvée, y voyant un moyen de contribuer à une meilleure compréhension de la construction européenne par les citoyens. Enfin, s’associant aux observations de Mme Arlette Franco, il a noté que, pour le moment, les Irlandais étaient opposés à toute idée d’harmonisation fiscale, objectif qui devrait, à ses yeux, néanmoins être atteint à long terme.

Mme Odile Saugues a estimé que le désintérêt des citoyens à l’égard de la construction européenne tenait principalement au mode de désignation des parlementaires du Parlement européen. Issus des états-majors des partis, ils sont peu connus des citoyens. En outre, les initiatives communautaires font l’objet d’une publicité très insuffisante, si bien qu’il n’est pas étonnant que des régions bénéficiaires des aides de l’Europe soient peu conscientes des apports de la construction européenne ou se soient prononcées en faveur du non au référendum. Erasmus et les échanges universitaires constituent des exceptions, précisément parce qu’ils touchent très concrètement les citoyens, alors que ce n’est pas le cas des autres domaines de la construction européenne. Dans ce contexte, Mme Odile Saugues a jugé nécessaire de se poser la question du mode d’élection du Parlement européen afin d’accroître l’intérêt des citoyens pour la construction européenne.

M. Jacques Desallangre a considéré que les responsables politiques avaient beaucoup de travail à faire pour convaincre les citoyens, car à ses yeux leur désintérêt pour la construction européenne provient non pas de la méconnaissance des mécanismes d’élection des élus ou encore de la méconnaissance des aides versées par l’Union européenne, mais plutôt de la réalité sociale du terrain marquée par un chômage persistant, lequel a favorisé le vote pour le non lors, notamment, du référendum en France. Alors que selon M. Jacques Delors, l’Union européenne permettrait à elle seule de créer cinq millions d’emplois, M. Jacques Desallangre a relevé que les citoyens constatent plutôt l’importance des délocalisations en faveur de l’Europe orientale, qu’ils jugent comme une concurrence déloyale vis-à-vis de l’Europe de l’Ouest. Cette interrogation, qu’il a estimée justifiée, tient à ce qu’il n’existe toujours pas d’Europe sociale, d’autant que les services publics, auxquels les Français sont très attachés, sont démantelés et mis en danger par l’Union européenne. De fait il existe des raisons objectives qui ont conduit une majorité de Français à voter non au référendum. C’est pourquoi également la procédure du référendum, selon lui, n’a pas été utilisée pour la ratification du traité de Lisbonne.

Le Président Gunther Krichbaum a rappelé qu’en Allemagne, le taux de chômage a été longtemps supérieur à 10 %, mais il a reculé puisque le nombre de chômeurs est passé de 5,5 millions à 3,3 millions. Il a relevé que l’essentiel de la discussion a souvent porté sur les 10 % de personnes sans emploi alors que dans le Land de Bade-Wurtemberg, où se trouve sa circonscription, le taux de chômage est de 5,5 %, soit une situation de quasi-plein emploi. Les entreprises se heurtent à des difficultés pour trouver de la main d’œuvre qualifiée, ce qui constitue un frein à la croissance. Il a estimé dès lors que sur des questions de nature économique notamment, l’Union européenne pouvait apporter une réponse puisqu’elle constitue un marché susceptible d’offrir de nombreuses opportunités. Il a ainsi regretté que les acquis de la construction européenne soient trop souvent considérés comme des évidences, si bien que les citoyens oublient les progrès accomplis par rapport à la situation antérieure, par exemple en ce qui concerne les contrôles aux frontières. Certes il convient de ne pas passer sous silence le problème du chômage, mais il importe toutefois à ses yeux d’insister sur la contribution que peut apporter l’existence d’un espace économique européen important, qu’il faut rendre le plus efficace possible.

M. Florian Toncar, évoquant la situation en Irlande, a estimé qu’il convenait de la juger de façon très sereine et d’éviter les spéculations qui pourraient être mal comprises et donc apparaître peu judicieuses. S’agissant des observations du Président Gunther Krichbaum sur le difficile travail pédagogique devant porter sur les aspects positifs de la construction européenne, il a estimé qu’il n’existait pas de zone aussi stable que l’Union européenne dans le monde. Cette dernière est considérée en Afrique et en Asie comme un modèle d’intégration susceptible d’être imité par de nombreux Etats.

S’interrogeant sur les causes du désintérêt des citoyens, M. Florian Toncar a mis en cause l’insuffisante lisibilité de l’Union européenne. Par exemple en Irlande, on voit souvent des drapeaux de l’Union européenne lorsque cette dernière finance des projets. Malgré une telle pratique, l’Union européenne décourage trop souvent les citoyens, en particulier ceux qui ne parlent pas de langue étrangère ou qui ne connaissent pas les mécanismes de la construction européenne, de telle sorte que l’Union européenne est perçue comme une entité qui leur est imposée et non comme une construction à laquelle ils pourraient participer.

En ce qui concerne le contrôle de la subsidiarité, M. Florian Toncar y a vu l’occasion d’une démocratisation accrue de la construction européenne pouvant en outre la rendre plus simple. Dans le cadre de la ratification du traité de Lisbonne, il importe de faire apparaître clairement les domaines dans lesquels l’Union européenne est susceptible d’apporter une réponse commune, par exemple sur la question du changement climatique. En conclusion, il a déclaré qu’au vu des discussions qu’il a pu avoir en Irlande, le référendum sur le traité de Lisbonne devrait être positif.

Le Dr Lothar Bisky a rappelé que, même si la Gauche en Allemagne s’était prononcée contre le traité de Lisbonne, un tel vote ne pouvait être assimilé à une hostilité envers la construction européenne, car on peut être critique à l’encontre de l’Union européenne sans pouvoir être taxé d’adversaire de cette dernière. Il a estimé que le référendum était le mécanisme le plus approprié pour faire un travail de pédagogie auprès des citoyens et rendre la construction européenne plus lisible, d’autant que l’Union européenne est partiellement étrangère aux citoyens allemands. Dans ce contexte, le Dr Lothar Bisky a déclaré que l’Europe avait laissé passer une chance en ne prévoyant pas de façon systématique l’approbation du traité de Lisbonne par voie référendaire. Ce traité apparaît peu compréhensible car il est fait pour les experts et non pour la population.

Le Dr Lothar Bisky a également déploré que l’opinion des syndicats soit rarement prise au sérieux, alors que des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ont adopté une interprétation du traité très défavorable aux droits des travailleurs.

Evoquant les relations de la France et de l’Allemagne avec la Pologne, le Dr Lothar Bisky a tout d’abord rappelé que l’amitié franco-allemande était d’importance pour la Gauche allemande et qu’il convenait également de développer des bonnes relations avec la Pologne, tout en soulignant qu’il serait possible d’aboutir à de meilleurs résultats. A cet égard, il a estimé que l’université germano-polonaise de Francfort pourrait apporter une contribution utile, même si le processus d’amélioration des relations avec la Pologne demandera du temps car la Pologne reste un pays difficile, tandis que les différences entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest demeurent encore marquées. En tout état de cause, l’Union européenne ne pourra que profiter d’une coopération renforcée entre la France, l’Allemagne et la Pologne.

Le Président Pierre Lequiller, abordant la question du contrôle de subsidiarité, a déclaré que cette question revêtait – en apparence – une dimension très technique, mais elle peut être néanmoins comprise des citoyens si elle leur est clairement expliquée. Il importe en effet que les parlements nationaux tirent profit des dispositions du traité de Lisbonne pour prendre une position claire sur les grands textes, afin que, selon les circonstances, ils puissent reprocher à la Commission d’avoir outrepassé ses compétences ou au contraire de les avoir sous-estimées et de ne pas être intervenue dans un domaine.

Il a fait remarquer que le projet de révision constitutionnelle, actuellement en cours de discussion, devrait accroître l’autorité de la Délégation pour l’Union européenne, laquelle s’appellera désormais Comité des affaires européennes. En outre, ses compétences seront accrues puisque l’ensemble des documents européens, y compris les délibérations du Parlement européen, pourront entrer dans le champ de son contrôle. De même, ce Comité pourra connaître des questions de politique étrangère et de sécurité commune dont, par exemple, les négociations sur la candidature d’un Etat à l’Union européenne. Le Parlement aura le pouvoir d’adopter désormais des résolutions sur tout document européen.

Le Président Pierre Lequiller a jugé nécessaire que dans la perspective du renforcement de ce contrôle, la France et l’Allemagne intensifient leur coopération, grâce en particulier à la prise en compte mutuelle des positions que leur commission respective aura adoptées sur les grands textes.

Le Président Gunther Krichbaum a estimé que cette proposition était très importante et intéressante et que sa mise en oeuvre pourrait s’appuyer sur les contacts déjà très étroits entre les secrétariats de la Délégation et de la Commission. Des positions communes, par exemple sur une éventuelle atteinte au principe de subsidiarité, pourraient être un signal vis-à-vis des autres parlements nationaux. Le Président Gunther Krichbaum a jugé que la coopération était nécessaire et s’est dit persuadé que dans 90 % des cas, la Délégation et la Commission seraient d’accord. Il reste à mettre en œuvre cette proposition au plan technique.

M. Michel Delebarre a proposé que la Pologne soit associée à cette initiative, car il est important que l’un des derniers Etats à être entrés dans l’Union participe. Cela donnerait encore plus de poids aux positions adoptées et la Commission hésiterait certainement à poursuivre la procédure sur un texte suscitant des réactions négatives.

Le Président Pierre Lequiller et le Président Gunther Krichbaum ont approuvé cette proposition.

Le Président Pierre Lequiller a ensuite abordé les priorités de la présidence française. Il a tout d’abord évoqué l’Union pour la Méditerranée, puisqu’il s’agit d’un sujet qui a suscité des inquiétudes en Allemagne. C’est un beau projet, à la fois économique et politique, qui se justifie par le relatif essoufflement du processus de Barcelone. En revanche, il n’était pas acceptable que cette Union n’associe pas tous les Etats membres de l’Union européenne. Depuis, la Chancelière Angela Merkel et le Président Nicolas Sarkozy ont trouvé un accord puisque tous les Etats membres participeront à l’Union pour la Méditerranée. Le Président Pierre Lequiller a souhaité savoir si cela levait les inquiétudes des membres de la Commission des affaires européennes.

Le Président Gunther Krichbaum a indiqué que cela constituait une solution. La Chancelière Angela Merkel considérait à juste titre que l’on ne peut pas créer au sein de l’Union européenne des unions qui excluent certains Etats membres. En outre, le processus de Barcelone existe déjà et il est l’une des rares plates-formes qui réunit les Israéliens et les Palestiniens. Certes, des tensions sont présentes, par exemple entre la Tunisie et l’Algérie, mais il convient d’y remédier.

L’Union pour la Méditerranée a été proposée sans qu’il y ait eu de consultations avec les partenaires européens de la France. L’Allemagne avait fait de même sur les relations avec l’Europe orientale. Il convient de coopérer de façon étroite entre Etats membres sur ces questions.

Il est vrai que des tensions ont existé entre la Chancelière Angela Merkel et le Président Nicolas Sarkozy mais les choses vont mieux. Il faut aussi savoir que les médias ont tendance à se focaliser sur les tensions.

Il est positif que la France et l’Allemagne soient maintenant d’accord, comme sur les autres projets de la Présidence française.

Le Président Pierre Lequiller a ensuite cité les autres priorités de la Présidence française : l’immigration, l’énergie et le climat, la défense et le bilan de santé de la politique agricole commune.

M. Thierry Mariani a indiqué que l’immigration était un problème commun à la France et à l’Allemagne et que les solutions étaient souvent communes. Il a souhaité connaître la position de l’Allemagne sur plusieurs propositions du projet de pacte sur l’immigration : la fin des régularisations massives, telles que les ont pratiquées l’Espagne (500 000 régularisations) et l’Italie (800 000 régularisations) ; le développement de l’immigration professionnelle avec le projet de « carte bleue européenne » et enfin la création d’un office européen de l’asile. M. Thierry Mariani a souligné qu’en matière de retour des immigrés illégaux, des vols conjoints avec l’Allemagne existent déjà.

Le Président Gunther Krichbaum a approuvé le fait que la présidence française ait placé l’immigration dans ses priorités. Le problème se pose effectivement aussi en Allemagne et les solutions ne sauraient être d’ordre national. Le changement climatique va devenir un facteur important de migration. Le choix de l’immigration illégale repose sur le désespoir et , en ce qui concerne l’Afrique, le problème ne fait que commencer. Il faut donc utiliser différents leviers. En premier lieu, il convient de mettre en place des structures permettant aux populations de vivre dans leur pays, grâce à leur agriculture. Les mesures de reconduite aux frontières ne peuvent être une solution fondamentale du problème.

Le Président Gunther Krichbaum a indiqué que l’Allemagne et la France n’avaient pas de divergences sur le pacte européen de l’immigration. Le gouvernement allemand souhaite que les mesures proposées s’intègrent dans le processus européen sur l’immigration. Le programme proposé par la France est très ambitieux et il n’est pas certain que tout puisse être mis en œuvre sous la présidence française. Cela pourra se poursuivre pendant la présidence tchèque.

M. Jacques Desallangre a souligné que le développement du Sud est essentiel et que la responsabilité de l’Europe à cet égard est énorme. Il faut demander aux autres pays développés de s’impliquer. L’aide du pays le plus riche au monde est actuellement plus faible que celle de la France.

L’aide au développement est la seule solution de fond car les frontières seront toujours perméables et l’immigration du changement climatique va succéder à l’immigration de la faim.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le co-développement était un des volets importants du pacte sur l’immigration. Il a partagé l’idée selon laquelle tout ne pourra être fait pendant la présidence française. Enfin, il a souligné que ce sujet touchait les citoyens.

M. Thierry Mariani a souligné que le co-développement faisait l’objet d’un accord général des Etats membres. Il est vrai que le problème de l’immigration illégale ne fait que commencer, comme en témoignent les tendances démographiques. Le pacte proposé par la France est un programme très ambitieux, qui est en quelque sorte la deuxième vague du programme de Tampere, par lequel l’Union européenne s’est saisie des questions d’immigration. On peut estimer à deux ou trois ans les délais pour mettre en œuvre les mesures concernant l’immigration légale et l’asile.

Ces questions sont particulièrement importantes en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, où les attentes des citoyens sont très fortes.

M. Michel Delebarre s’est déclaré favorable à ce que la présidence française fasse de l’immigration l’une de ses priorités. Même si on ne parvient pas rapidement à des accords importants, il faut faire progresser les choses, en matière de co-développement, de droits de l’homme. Le soutien aux collectivités territoriales concernées par l’immigration illégale est aussi un enjeu très important. Ainsi, au mois d’avril, les Canaries ont déjà dû faire face à l’arrivée de 40 000 immigrés illégaux et à des problèmes importants d’accueil, de santé, de scolarisation.

L’attitude du Royaume-Uni pose également problème. Le centre de Sangatte a été fermé mais les immigrés illégaux qui souhaitent entrer au Royaume-Uni sont toujours présents. Certains viennent par camions des pays situés à l’est de l’Europe, ils ont traversé toute l’Allemagne sans être arrêtés. En effet, c’est le pays qui les arrête qui doit organiser leur retour.

M. Thierry Mariani a estimé que le renforcement des moyens de l’agence Frontex pouvait être une solution. Il a indiqué qu’il s’était rendu au Royaume-Uni dans le cadre de la préparation d’un rapport d’information sur la politique européenne d’immigration et qu’on lui avait fait une démonstration d’un appareil capable de détecter les battements de cœur dans les camions. Les Britanniques voudraient que ce système soit utilisé en France.

M. Michel Delebarre a indiqué que les contrôles se faisaient déjà en France.

Le Président Pierre Lequiller a exprimé le souhait que la législation britannique évolue.

M. Thierry Mariani a observé que les travaillistes avaient une attitude assez ouverte mais que celle des conservateurs était fermée. Par exemple, ils ne souhaitent pas entrer dans Schengen mais voudraient que les informations Schengen leur soient communiquées.

Le Président Gunther Krichbaum a indiqué que, s’agissant de Frontex, la France et l’Allemagne auront certainement des vues concordantes. L’Allemagne n’est en effet pas opposée à une consolidation du dispositif Frontex, à condition de s’assurer d’une valeur ajoutée. Il convient d’observer que si des nombreux immigrants traversent effectivement l’Allemagne, ils sont également nombreux à vouloir s’y installer : l’Allemagne est à la fois pays de transit et pays de destination. La protection des frontières de l’Union est très importante, qu’il s’agisse de ses frontières à l’Est ou au Sud. A l’Est, il faut développer la politique de voisinage.

La difficulté principale est de faire prendre conscience au peuple allemand que toutes ces questions sont liées. Les événements dans les banlieues françaises à l’automne 2005 sont aussi les symptômes de cette interconnexion des enjeux, imposant des politiques globales sollicitant une protection efficace des frontières, une immigration concertée et des initiatives ambitieuses d’intégration. A cette lumière, les solutions avancées par la France, qu’il s’agisse du projet d’Union pour la Méditerranée ou du pacte d’immigration, sont justifiées et peuvent être mieux comprises par les Allemands dès lors qu’un travail commun est engagé.

M. Jérôme Lambert a ensuite abordé les questions relatives au climat et à l’énergie. L’ampleur des changements climatiques à travers le monde, qui affectent les récoltes, la gestion de l’eau mais aussi parfois les catastrophes naturelles montrent là encore que tout est lié, l’immigration du Sud vers le Nord étant accélérée par ces phénomènes. Mais cela confirme surtout la priorité que doit donner l’Europe à la lutte contre le réchauffement climatique. L’Union doit en effet être en mesure de confirmer son rôle exemplaire et pionnier à l’horizon de la grande conférence de Copenhague fin 2009 qui déterminera les voies de l’après Kyoto qui expire en 2012. Plusieurs grands chantiers ont été engagés, la présidence française s’étant fixée pour priorité de parvenir à un accord en première lecture sur ces sujets avant que les élections européennes n’interrompent l’activité législative de l’Union.

Le premier chantier concerne la libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz. La Délégation a adopté hier une résolution soutenant la « troisième voie » alternative aux projets de la Commission, sur laquelle la France et l’Allemagne se sont entendues, afin d’éviter la séparation patrimoniale des entreprises susceptibles de fragiliser la sécurité et l’indépendance énergétique du continent.

En second lieu, la France s’est fixée l’objectif de parvenir à un accord sur le paquet législatif « énergie et climat » (directives relatives à la prolongation et à l’extension des permis de pollution (ETS), à la promotion des énergies renouvelables, au captage du carbone et décision relative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs hors quotas) avant la suspension des travaux du Parlement européen à la fin du premier trimestre 2009. Cet objectif appelle évidemment un gros travail de rapprochement des positions des Etats membres afin de permettre à l’Europe d’être en position de force au rendez-vous de la Conférence de Copenhague.

Enfin le chantier des transports routiers, avec l’examen des propositions de directive et de règlement relatives à la réduction des émissions de CO2 des voitures neuves (120 g par km d’ici 2012) et à la qualité des carburants, pourrait donner lieu à d’importants débats entre la France et l’Allemagne, cette dernière étant logiquement attentive à protéger la compétitivité de son industrie automobile.

M. Jérôme Lambert a conclu en insistant sur la question décisive de la compétitivité de l’Europe. Etre exemplaire dans la lutte contre le changement climatique ne doit pas conduire à sacrifier la compétitivité économique et l’emploi. Le développement durable a un coût, et il serait injuste que l’Europe soit la seule à le supporter. Dans ce contexte, des négociations mondiales et une régulation efficace par l’OMC sont indispensables pour assurer un partage équitable de notre responsabilité commune envers la planète.

M. Jacques Desallangre s’est interrogé sur la place faite au ferroutage dans les initiatives européennes de lutte contre le réchauffement.

Le Président Gunther Krichbaum a pleinement approuvé la préoccupation exprimée de veiller à la compétitivité européenne. Il ne faudrait pas que des nouvelles régulations par trop exigeantes encouragent la délocalisation de pans entiers de notre industrie.

S’agissant de la question énergétique, il importe de bien prendre la mesure des différences structurelles entre les économies française et allemande. La première repose sur une électricité « nationale » à 80% produite à partir de l’énergie nucléaire. Tel n’est pas le cas en Allemagne, qui a renoncé au développement du nucléaire, qui bénéficie d’une offre abondante de charbon, malheureusement disqualifiée pour lutter efficacement contre le dégagement de CO2, et qui s’appuie sur un développement important des énergies renouvelables dont il ne faut pas pour autant surestimer l’abondance. Contrairement à ce que croit l’opinion publique allemande, ces dernières énergies, qui ont fait l’objet d’investissements considérables, ne progressent que lentement et ne pourront pas couvrir à moyen terme l’ensemble des besoins énergétiques du pays. Comme dans le même temps la croissance des économies émergentes exclut la perspective d’une baisse des prix du pétrole, beaucoup reste à faire. A ce propos, l’euro « fort » est une chance du côté de l’énergie. Le prix du pétrole étant libellé en dollar, l’appréciation de la monnaie unique nous permet de réduire le montant de notre facture pétrolière. Si l’euro était resté au niveau qu’il avait atteint en 2001, à 0,82 euro pour 1 dollar, la facture pétrolière acquittée par l’Europe serait double de celle d’aujourd’hui. Voilà un bel acquis de l’Union que l’on oublie trop souvent.

Dans ce contexte difficile, la question nucléaire divise les partis politiques allemands, entre la CDU qui estime indispensable d’y recourir au moins partiellement et le SPD qui y demeure farouchement hostile. D’autres solutions devront aussi être envisagées, par exemple regardant l’usage de la biomasse européenne qui mobilise seulement 2 % des surfaces agraires alors que tant de terres restent en jachère.

Abordant les initiatives européennes relatives à la réduction des émissions de CO2, le Président Gunther Krichbaum a insisté sur les contraintes particulières que les propositions font peser sur l’industrie automobile allemande, dont l’orientation en gamme haute suppose un niveau plus élevé d’émissions. Ainsi, le chemin à parcourir pour Porsche, par exemple, afin d’atteindre le critère aujourd’hui envisagé est beaucoup plus ardu que pour d’autres sociétés automobiles italienne ou française. Il faudra veiller à ne pas trop exiger d’industries très soumises à la concurrence mondiale sauf à accepter une explosion des prix et une brutale chute des parts de marché dont chaque citoyen européen aurait à subir les effets. C’est à cette lumière que peut se comprendre la proposition exprimée au Parlement européen de prolonger la période transitoire vers les nouveaux seuils d’émission des voitures neuves de 2012 à 2015.

Le ferroutage est aussi un enjeu décisif et d’avenir. Il faut à cet égard saluer le fort développement des réseaux transfrontaliers et l’arrivée du TGV outre-Rhin, qui montre aussi le retard que doit combler l’Allemagne pour venir à la pointe de la technologie ferroviaire.

Mme Odile Saugues a jugé nécessaire l’adoption d’une position commune pour développer le ferroutage par le rail, resté une incantation depuis de nombreuses années, et faire enfin payer au transport routier son véritable coût, y compris les coûts externalisés, et pas seulement par le péage, afin de renvoyer le trafic des marchandises vers le fluvial et le rail.

Le Président Gunther Krichbaum a rappelé qu’en France, la population est habituée à payer l’usage des autoroutes et s’est déclaré personnellement favorable à l’extension d’un tel système en Allemagne, où le débat sur ce sujet est récurrent. Ce pays devrait réduire ses taxes sur les automobiles mais disposer de davantage de recettes selon d’autres modalités comme les vignettes pour investir dans le réseau autoroutier. Il existe déjà un péage pour les camions mais des études gouvernementales montrent que les péages perçus ne sont pas réinvestis dans les infrastructures routières, contrairement aux promesses. L’Allemagne est devenue un grand pays de transit depuis l’élargissement à l’Est et ces insuffisances de recettes et d’investissements pénalisent tous les transporteurs, y compris étrangers, bloqués dans des embouteillages de plus en plus fréquents.

Le basculement d’une partie du trafic routier vers le rail et le fluvial est une solution d’autant plus intéressante qu’il existe un potentiel sur le rail, mais les procédures sont trop compliquées. Tous les trains de marchandises circulent la nuit et il faudrait une extension du réseau ferroviaire allemand pour en tirer profit au plan européen.

Le Président Pierre Lequiller a jugé indispensable que les nouveaux dispositifs ne favorisent pas le dumping des entreprises situées hors d’Europe et que la réflexion sur la taxe carbone s’efforce de ne pas pénaliser les entreprises situées en Europe et d’éviter leur délocalisation. L’Union européenne devra défendre les entreprises qui appliquent les nouvelles normes dans les négociations internationales.

M. Jacques Desallangre a déclaré ne plus être un chaud partisan des biocarburants comme substitut au pétrole, après les déforestations massives pratiquées dans certains pays et la forte croissance de la demande alimentaire mondiale. Les biocarburants ne doivent pas conduire au choix : je mange ou je me déplace.

Le Président Gunther Krichbaum a déclaré que le débat mené en France comme en Allemagne doit partir de faits incontournables, comme le changement des habitudes alimentaires des citadins qui, pour la première fois, deviennent plus nombreux que les ruraux, ou le potentiel disponible très important des terres agricoles puisque sur 42 milliards d’hectares de surfaces utiles dans le monde, seuls 15 milliards sont utilisés. Mais il est vrai que la déforestation de la forêt tropicale et la plantation de palmeraies ne contribuent pas au développement durable.

L’évolution de la politique agricole commune sera un défi de la présidence française au moment où la mondialisation change la donne. En particulier, l'Union européenne doit-elle continuer à subventionner la jachère, choix autrefois judicieux pour juguler les montagnes de beurre et de lait, et à payer beaucoup d’agriculteurs pour qu’ils ne produisent pas ? Les instruments de la PAC doivent être adaptés à la nouvelle donne et il faudra en parler pendant la présidence française.

M. Jacques Desallangre a considéré que la remise en culture des jachères ne fournira pas un apport décisif dans la mesure où les agriculteurs avaient choisi de mettre en jachère des terrains produisant peu.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué qu’à l’occasion du bilan de santé de la PAC, le Président de la République souhaitait amorcer une réflexion sur son évolution. Un grand changement de vision sur l’agriculture s’est produit depuis l’accord sur les perspectives financières 2007-2013 et ce secteur est devenu un sujet central. La Commission a pris conscience que l’autosuffisance alimentaire du monde était devenue un vrai problème et même un sujet de préoccupation pour l'Union européenne. Une réflexion sur les modalités de fonctionnement de la PAC est devenue nécessaire.

En ce qui concerne le dernier thème de cette réunion, la défense européenne, même si l’on ne peut pas le mettre publiquement sur la table avant que le Royaume-Uni et l’Irlande se soient prononcés sur le traité de Lisbonne, il faut constater qu’il n’y aura pas de politique étrangère de l'Union européenne sans une défense européenne reposant sur un socle France-Royaume-Uni-Allemagne avec l’Italie, l’Espagne et la Pologne.

Les propositions françaises seront concrètes. Elles concerneront, par exemple, l’aéronavale et la fabrication commune de matériels militaires, la création d’un centre de formation commun des militaires conçu comme une sorte d’Erasmus militaire, une orientation générale vers le développement d’un centre de commandement européen non dirigé contre l’OTAN mais permettant à l'Union européenne, engagée dans une quinzaine d’opérations extérieures, de les conduire soit avec l’OTAN soit de manière indépendante, conformément aux déclarations du Président de la République sur l’accord de la France pour réintégrer l’OTAN à condition que la défense européenne puisse se renforcer par des mesures comme celle-ci. Le développement de Galileo et de l’avion de transport A400M seraient également des symboles très concrets.

Mais l'Europe de la défense exigera un effort militaire accru des pays européens. Le traité de Lisbonne crée une coopération structurée qui n’exclut aucun Etat membre de l'Union européenne, mais exige des efforts militaires pour en faire partie.

M. Jacques Desallangre a souligné que, pour les Français, il est difficile de concilier le souci de construire une véritable défense européenne et la volonté d’être un peu plus intégrés à l’OTAN. Nos partenaires d’Europe de l’Est sont très attachés à l’appartenance à l’OTAN mais la France ne veut pas que l’Europe apparaisse comme inféodée à l’OTAN.

Le Président Pierre Lequiller a confirmé que tel est bien le problème essentiel pour les Français. Depuis le Général de Gaulle, l’attitude française consiste à prôner une défense indépendante, ce qui est interprété – à tort – par nos partenaires comme une volonté d’antagonisme par rapport aux Etats-Unis. Mais il n’est pas contradictoire de vouloir une défense européenne et l’appartenance à l’OTAN. Certains pays ne comprennent pas la volonté française d’autonomie. Mais le discours français est cohérent : il faut construire une défense européenne et en même temps réintégrer l’OTAN.

Le Président Gunther Krichbaum a tenu à distinguer entre d’une part l’OTAN, et d’autre part la coopération structurée prévue par le traité de Lisbonne, qui n’est pas destinée à faire concurrence à l’OTAN. Le sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008 a montré que l’OTAN devient plus « européenne ». Même les pays qui veulent adhérer à l’OTAN doivent prendre en considération le fait que la dimension européenne y tiendra désormais un plus grand rôle.

Il faut insister sur le fait que la défense est bien le domaine dans lequel le besoin de rattrapage de l’Union européenne est le plus fort. C’est un retard très important à combler pour l’Union européenne, et donc un potentiel considérable. Le traité de Lisbonne amorce un développement important sur ce sujet.

Au sein du Bundestag, se manifestent sur cette question des visions opposées. Certains craignent une « militarisation » de l’Europe, mais le Président Krichbaum a indiqué qu’il ne partage pas cette crainte et qu’il compte soutenir les initiatives de la présidence française, notamment en matière de formation. Il y a beaucoup à faire en matière de coopération, ce qui n’a rien à voir avec un réarmement. Il est nécessaire de parvenir à une mise en réseau de nos moyens.

Le Dr Lothar Bisky a indiqué qu’il préfère éviter l’emploi du terme « militarisation », trop connoté en Allemagne pour des raisons historiques, mais que certains parlementaires allemands, notamment au sein de son propre parti, l’utilisent effectivement. Il s’est dit sceptique sur la double question de l’amélioration de l’OTAN et des possibilités de défense des pays de l’Union européenne. Il ne faut pas négliger le risque de provoquer des réactions de la Russie. Il faut donc une politique de sécurité et de défense souple, pour éviter de créer des malentendus dangereux. L’Union européenne doit certes pouvoir se défendre, mais il faut prendre garde à ne pas relancer la spirale du réarmement. De même qu’une stratégie européenne en matière d’énergie est un progrès, l’élaboration d’une stratégie en matière de défense serait souhaitable. Mais comme en matière d’énergie, il faut non seulement essayer d’harmoniser les politiques au sein de l’Union mais aussi regarder au-dehors, notamment en direction de la Chine.

Le Président Pierre Lequiller a affirmé sa conviction en faveur d’une union politique. Les Etats-Unis semblent avoir compris qu’une Europe politique et une Europe de la défense sont indispensables. L’Europe doit non seulement assurer sa propre défense mais aussi remédier à son manque d’influence politique au niveau mondial, par exemple au Proche–Orient : il est regrettable que, alors que l’Europe est le premier donateur en faveur de cette région, lorsqu’un accord se signe entre Israéliens et Palestiniens, c’est toujours sous l’égide des Etats-Unis qu’il se conclut. Il convient certes de prendre en considération les réactions de la Russie, mais il faut surtout tenir compte de l’évolution géopolitique mondiale : la Chine va devenir une grande puissance, l’Inde également… L’Union européenne doit se doter d’une plus grande autonomie sous peine d’être broyée par les autres grands acteurs.

Le Président Gunther Krichbaum a salué le choix qui a été opéré pour les priorités de la présidence française, qui sont tous des sujets sur lesquels l’Union européenne n’a pas assez agi pour l’instant. Il a souhaité évoquer une autre question, celle du statut de la Turquie. Pendant la campagne électorale de 2007, le Président Sarkozy s’est prononcé contre une adhésion de la Turquie à l’Union européenne, et le gouvernement français a fait en sorte que certains chapitres ne soient pas ouverts dans les négociations d’adhésion. Ce sujet est très débattu en Allemagne. Comment la France va-t-elle gérer cette question pendant son semestre de présidence ?

Le Président Pierre Lequiller a observé que la question de l’élargissement de l'Union européenne à la Turquie suscitait des prises de position qui ne peuvent être résumées à l’appartenance partisane, même s’il est vrai que le Président de la République et une très forte majorité des parlementaires de l’UMP sont hostiles à cette adhésion. Cette opposition n’est pas liée à des questions d’ordre religieux ou géographique mais simplement au fait que l’on est parvenu à une extension maximale de l'Europe, en prenant en compte les pays des Balkans, et qu’un élargissement à la Turquie conduirait à la dilution de la construction européenne, où l’aspect économique prédominerait sur le politique. Cela poserait également un problème de fonctionnement des institutions. Cela dit, le Président de la République n’a pas adopté une attitude totalement fermée et il accepte l’ouverture des négociations sur les chapitres qui ne mènent pas directement à une adhésion.

Il convient d’ajouter qu’un nouveau débat vient de s’ouvrir dans le cadre de la réforme constitutionnelle pour lever une partie des contraintes pesant sur la procédure de ratification des adhésions. Le Président Jacques Chirac avait fait adopter une disposition exigeant l’organisation d’un référendum pour toute adhésion postérieure à celle de la Croatie. Il apparaît néanmoins qu’une telle procédure serait surréaliste pour l’adhésion de la Macédoine, par exemple, et la Constitution sera probablement amendée pour prévoir un traitement différent selon que le nouvel entrant pose ou non un problème pour l’avenir de l'Europe.

M. Jérôme Lambert a remarqué que la question de la Turquie provoque également des réactions divergentes au sein du groupe socialiste mais, qu’à titre personnel, il considérait que l’objectif principal restait la consolidation de l’Union à vingt-sept après l’adhésion récente de douze Etats membres. Il y a encore beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne l’intégration fiscale ou sociale. Ce n’est donc pas la peine de se créer des difficultés supplémentaires et ce n’est qu’à plus long terme que l’on pourra envisager l’adhésion de la Turquie, sans que cette position exprime un quelconque ostracisme à l’égard de ce pays ou même de l’Ukraine.

Le Président Pierre Lequiller a ajouté que la présidence française pourrait être confrontée également à la question de l’application du traité de Lisbonne si toutes les ratifications aboutissent durant le second semestre de cette année. C’est un problème auquel il convient de réfléchir ensemble dès à présent, en particulier s’agissant du président ou de la présidente du Conseil européen. Le choix de ce président dépendra bien sûr du rôle que l’on souhaite lui voir jouer. Ce sera probablement quelqu’un dont les fonctions se situeront entre les deux extrêmes incarnés par la présidence de la République française et la présidence de la République italienne, un chef d’orchestre sachant faire preuve de beaucoup de diplomatie. Afin que ce débat s’engage au plus vite, il a personnellement déjà pris position en faveur de M. Jean-Claude Juncker. Il est évident que les citoyens s’intéressent à cette question comme l’illustre la place qu’elle occupe sur les blogs des internautes. On ne peut qu’être d’accord avec le Président Valéry Giscard d’Estaing, qui, lors de son audition par la Délégation, prônait un débat ouvert sur le choix du président du Conseil européen.

M. Jérôme Lambert a observé qu’il existait des incertitudes sur la fonction du président du Conseil européen, du fait de la grande confusion résultant du traité lui-même. Il est d’ailleurs difficile d’évoquer un débat démocratique pour la désignation de ce président alors qu’en réalité, il ne sera possible d’en discuter que dans la presse ou dans les petits cénacles. On peut aussi s’interroger sur l’importance de ses prérogatives puisqu’il sera en concurrence avec le président de la Commission et le président du pays à la tête de l'Union européenne. Dès lors, on ne peut que lui souhaiter bon courage.

Le Président Gunther Krichbaum a constaté que des questions similaires se posaient en Allemagne mais qu’il fallait aussi reconnaître que jamais l'Europe n’avait été aussi démocratique grâce à l’évolution du rôle du Parlement européen. Le traité de Lisbonne apportera d’ailleurs de nouvelles évolutions en la matière. Il est exact que M. Jean-Claude Juncker donnerait un visage à l'Union européenne mais le débat n’est pas terminé entre les Etats membres. En tout état de cause, il faudra choisir une personnalité imprégnée de l'Europe. Chacun le sait, le nom de Tony Blair a souvent été évoqué mais, à vrai dire, malgré ses mérites personnels, il représente une autre Europe que celle que l’on souhaite. Aussi, comme le disait Franz Beckenbauer : « Attendons de voir comment les choses évoluent ». Pour l’heure, il convient de remercier la Délégation de ce dialogue sincère qui est devenu une habitude très agréable. Si le besoin s’en ressentait, la Commission des affaires européennes du Bundestag n’hésiterait pas à apporter à la Délégation son appui durant la présidence française.

Le Président Pierre Lequiller a une nouvelle fois fait part de son plaisir de recevoir des parlementaires allemands et d’échanger librement avec eux.