Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Délégation pour l’Union européenne

mercredi 4 juin 2008

16 h 15

Compte rendu n° 50

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur la politique sociale de l’Union européenne et la présidence française de l’Union

Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, sur la politique sociale de l’Union européenne et la présidence française de l’Union

Le Président Pierre Lequiller s’est félicité de l’audition du ministre, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, et a indiqué que la Délégation saluait l’ouverture du marché du travail aux salariés des pays d’Europe centrale et orientale, récemment annoncée par le Président de la République.

La volonté de placer les questions sociales au premier rang étant affirmée et les attentes des citoyens dans ce domaine étant très fortes, comme l’a montré le référendum de 2005, plusieurs sujets clés seront abordés : quels dossiers pourront ainsi avancer au cours du prochain semestre, quelles seront les suites données à la mission sur la flexicurité conduite par le commissaire Vladimir Špidla et M. Gérard Larcher, ainsi qu’aux hypothèses d’évolution du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM) et d’assouplissement de ses conditions d’intervention ? A la veille du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSSCO) des 9 et 10 juin, quelles sont par ailleurs les perspectives d’un accord politique sur les propositions de directives « temps de travail » et « travail intérimaire » ? Enfin, le traité de Lisbonne donnant une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux (sauf pour le Royaume-Uni et la Pologne), les questions sociales peuvent-elles évoluer et quelles sont, par ailleurs, les possibilités de recourir aux coopérations renforcées en la matière ?

Dans une Europe aux pratiques économiques et sociales différentes selon les Etats, de tels sujets sont délicats. Ainsi, la question des services sociaux d’intérêt général (SSIG) est sensible pour certains Etats membres, notamment la France.

Il y a lieu d’être cependant confiant dans la capacité de la présidence française, en lien avec les présidences précédentes et à venir, à donner une impulsion forte dans ces domaines.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, a d’abord indiqué que son ministère préparait depuis plusieurs mois la présidence française de l’Union européenne, en liaison avec ses homologues et la Commission, mais aussi avec les parlementaires européens et français. En effet, obtenir un accord au Conseil ne suffit pas ; il faut ensuite l’assentiment du Parlement européen. Ce sera l’un des enjeux du prochain Conseil « Emploi ».

L’année 2008 est celle du redémarrage de l’Europe sociale. Il y a en effet très longtemps qu’aucun texte n’a été adopté en la matière, et il est maintenant nécessaire de donner des signes clairs. L’Europe doit progresser simultanément dans le domaine économique et dans le domaine social. Le thème du retour vers l’emploi est essentiel mais n’est pas suffisant. Il faut également avancer en matière de flexibilité et approfondir le marché intérieur, mais aussi faire progresser la protection sociale et la lutte contre les discriminations. Les Etats membres ont des conceptions de la protection sociale beaucoup plus proches les unes des autres qu’elles ne le sont de celles d’Etats situés ailleurs dans le monde.

Le ministre a ensuite souligné que la méthode retenue pour préparer la présidence française était collective. Il a indiqué travailler ainsi en étroite coopération avec les futures présidences tchèque et suédoise, et associer également les parlementaires français, puisque M. Yves Bur et le Président Pierre Lequiller l’ont accompagné à Berlin en avril dernier et que des sénateurs l’ont accompagné à Sofia en mai dernier. Il a ensuite précisé s’entretenir tous les mois avec le commissaire Špidla, qu’il avait rencontré, le 10 décembre 2007, les membres de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, avant de les recevoir le 14 avril dernier, et qu’il allait être auditionné le 25 juin prochain. La même logique de coopération est mise en œuvre avec la présidence slovène, ainsi qu’avec les partenaires sociaux français et européens, notamment Business Europe et la Confédération européenne des syndicats (CES). Le Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales (CDSEI) est également réuni. D’autres acteurs, comme les ONG européennes et françaises, sont aussi associés. Il est aussi indispensable de travailler en relation avec le Directeur Général du Bureau international du travail (BIT).

Le ministre a ensuite précisé qu’il souhaitait faire aboutir un certain nombre de textes et promouvoir certains thèmes.

S’agissant des textes en cours d’examen, certains sont depuis longtemps en discussion, comme la proposition de directive sur le temps de travail et celle sur le travail intérimaire, que la présidence portugaise a proposé de lier. La France souhaite un accord politique lors du Conseil « Emploi » la semaine prochaine. Elle a donné des gages de bonne volonté. Il est important de parvenir à un tel accord car sinon, en cas de retrait de sa proposition sur le temps de travail par la Commission, des procédures d’infraction seront engagées contre la quasi-totalité des Etats membres, dont la France. Il est cependant nécessaire d’obtenir des garanties, notamment sur la question du temps de garde. Les intérêts de certaines professions doivent être pris en compte. Sur le travail intérimaire, des progrès importants sont également intervenus. Les Etats membres sont donc plus près d’un accord qu’ils ne l’étaient en décembre 2007. Il faut trouver le bon compromis et le bon équilibre. A défaut, la démarche serait vouée à l’échec en raison de l’opposition du Parlement européen.

La période de la présidence française est cruciale car les textes en discussion peuvent encore être adoptés avant le renouvellement des institutions en 2009.

Les discussions sur la directive sur la portabilité des droits à pension de retraite complémentaire ont longtemps achoppé sur la durée de la période de consolidation des droits à pension, problématique pour les Pays-Bas et l’Allemagne. Il faut souhaiter que la présidence slovène parvienne à débloquer la situation mais cela semble très difficile.

Pour ce qui concerne les textes annoncés, la proposition de directive sur les comités d’entreprise européens est d’un grand intérêt car de nombreux sujets sociaux relèvent de ces comités. Il faut une meilleure définition de l’information et de la consultation des représentants des salariés. La Commission a demandé aux partenaires sociaux européens d’ouvrir des négociations mais ceux-ci ont refusé, notamment pour des raisons de calendrier. Elle prépare donc une proposition, qu’elle présentera le 25 juin ou le 2 juillet prochain. La volonté de la France d’aboutir sur ce texte est forte et elle souhaite travailler en étroite collaboration avec le Parlement européen.

La Commission va par ailleurs présenter en juin une proposition de directive interdisant les discriminations en matière d’accès aux biens et services. La France soutiendra toute initiative de la Commission pour renforcer la lutte contre les discriminations en Europe. Certains Etats membres s’inquiètent de l’impact sur leur législation nationale. Le champ de la directive n’est pas encore connu et pourrait ne concerner que le handicap.

La France est, en outre, favorable au principe d’un « paquet » législatif sur la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Celui-ci recouvre quatre projets : la révision de la directive de 1986 relative aux conjoints de travailleurs indépendants, la révision de la directive de 1992 relative au congé maternité, la révision de la directive de 1996 relative aux congés parentaux, et enfin l’ajout, à l’occasion de l’une de ces révisions, de dispositions relatives au congé paternité et au congé d’adoption.

Enfin, il est nécessaire de savoir comment les Etats membres concernés et les institutions européennes envisagent les conséquences des arrêts Viking, Laval et Rüffert de la Cour de Justice. Ces arrêts sont loin d’être neutres.

S’agissant des thèmes à promouvoir, le ministre a tout d’abord cité l’Agenda social européen. La Commission présentera en juin une communication sur l’Agenda social au-delà de 2010. Il est nécessaire de déterminer si l’on parle d’un agenda, d’une ambition ou d’un pacte. Il faut un accord politique sur cette ambition que se donne l’Europe sociale pour les années à venir. Ce consensus devrait d’abord porter sur les valeurs de l’Europe sociale : la solidarité, la mobilité, l’égalité sont essentielles. Il doit aussi concerner les instruments juridiques et financiers. La réunion informelle des ministres EPSSCO, qui se tiendra à Chantilly les 10 et 11 juillet prochain, permettra d’aborder sans attendre les questions de fond telles que la rénovation de la méthode ouverte de coordination, ainsi que la place du dialogue social et de l’action collective en Europe.

Le deuxième grand thème d’avenir concerne la mobilité des travailleurs, à l’ordre du jour d’une conférence des 11 et 12 septembre prochain. L’objectif est d’aborder cette notion sous ses deux angles, la mobilité, géographique, transnationale, mais aussi la mobilité fonctionnelle, à savoir la flexicurité. L’enjeu ici est surtout pédagogique, en rappelant que la flexicurité peut être un objet de consensus au bénéfice des travailleurs. Les esprits ont beaucoup évolué sur ce sujet, grâce notamment aux premiers travaux de la mission européenne pour la flexicurité, coprésidée par M. Gérard Larcher, représentant la future présidence française de l’Union européenne, et par M. Vladimir Špidla, Commissaire à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances, décidée par le Conseil le 5 décembre 2007 et lancée par la Commission européenne au mois de février 2008. L’objectif est, en effet, de soutenir les Etats membres dans l’intégration des principes communs de la flexicurité approuvés lors du Conseil européen du 14 décembre 2007. A cet égard, il serait utile de réfléchir à la façon d’améliorer concrètement l’appui dont peuvent bénéficier les salariés qui vont travailler dans un autre pays européen en demandant à la Commission d’œuvrer à la mise en place d’un cadre européen de la mobilité professionnelle. L’ambition n’est en aucune manière de se substituer aux programmes nationaux mais plutôt de diffuser les meilleures pratiques européennes.

Dans le même esprit, la lutte contre le travail illégal, sur laquelle une conférence est prévue à Marseille les 13 et 14 octobre prochain, serait grandement renforcée par l’amélioration très quotidienne et concrète de la coopération administrative, notamment pour lutter contre les fraudes pratiquées dans le cadre de la procédure de détachement.

Les autres chantiers passent par la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, objet d’une conférence et d’une réunion interministérielle informelle des 13 et 14 novembre, la santé et la sécurité au travail, abordées lors d’une conférence les 3 et 4 novembre, le dialogue social transnational (conférence des 13 et 14 novembre à Lyon), l’égalité des chances (sommet européen du 30 septembre), le travail dans le processus euro-méditerranéen (conférence de Rabat les 9 et 10 novembre) ou la responsabilité sociale des entreprises, thème fondamental et transversal qui doit absolument inspirer les discussions sur l’ensemble des sujets pour réconcilier les salariés avec les entreprises et l’Europe.

Le ministre a souhaité ensuite donner des précisions sur les services sociaux d’intérêt général, auquel le « second forum sur les SSIG » des 28 et 29 octobre sera consacré. Si l’on veut bien sortir des généralités démagogiques, force est de constater que de nombreux progrès ont été accomplis, qu’il s’agisse du protocole additionnel au traité de Lisbonne, du « paquet » dit Altmark ou de la directive « services ». Il demeure vrai qu’il importe de rassurer les opérateurs européens sur les évolutions à anticiper. C’est pourquoi il serait sans doute opportun de dresser une feuille de route permettant d’ores et déjà de fixer des rendez-vous obligés balisant clairement la réflexion et les voies d’avancées pour le futur. La présidence française de l’Union pourra s’y atteler.

En conclusion, le ministre a relevé que l’enjeu de l’Europe sociale est aussi de bien comprendre que tous gagnent aux progrès sociaux que l’Union fait accomplir à certains. Il est vrai que la France, grâce à la qualité de sa législation sociale qui est souvent à la pointe de ce qui se fait en Europe, n’est pas toujours directement concernée par les textes européens, puisque ceux-ci consacrent des avancées sociales dont elle bénéficie déjà. Mais elle gagne à la marche déterminée de l’Europe sociale, et surtout à la prise de conscience chez tous nos partenaires que le progrès économique est inséparable du progrès social. L’exemple du FEM, qui ne relève pas de la compétence du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, est éclairant. A titre personnel, on peut estimer qu’il constitue un formidable instrument pour répondre, dans l’intérêt des travailleurs, aux défis de la mondialisation. L’enjeu est, dès lors, d’en convaincre tous nos partenaires pour qu’ils y aient recours et qu’ils le renforcent encore, dans ce long mais prometteur chemin vers un modèle social à la hauteur de l’Europe.

M. Jérôme Lambert, se félicitant de ce qu’un membre du Gouvernement aborde enfin les questions sociales, qui n’est clairement pas une priorité de la présidence française de l’Union, a regretté que les pistes évoquées par le ministre ne rejoignent manifestement pas les préoccupations quotidiennes des citoyens. Au moment où les travailleurs subissent une réduction spectaculaire de leurs revenus, surtout lorsqu’on la compare à l’évolution des profits, et que la question des salaires, au premier rang desquelles celle d’un salaire minimum européen, prend une telle acuité, il est désespérant de constater que l’Europe n’avance guère, si ce n’est pour promouvoir des concepts en privilégiant trop souvent, comme pour la flexicurité, l’intérêt des entreprises.

M. Jérôme Lambert a ainsi souhaité avoir des précisions concrètes sur la manière dont la France compte débloquer les négociations, en particulier s’agissant de la directive sur le temps de travail. Quelle est, sur ce point, sa position sur l’opt-out ? Dans le même esprit, pour sortir des généralités consensuelles, la France souhaite-t-elle avancer vers un salaire minimum européen ?

M. Daniel Garrigue a évoqué la compatibilité entre les négociations sociales nationales, très actives en ce printemps, et les discussions menées à Bruxelles, et l’établissement éventuel de passerelles, avant d’aborder l’état des réflexions européennes pour pallier la faiblesse de l’Union en matière de fonds d’investissement. Au moment où les fonds souverains prennent une importance croissante dans le monde, les débats autour de la directive sur les droits à pension des retraites complémentaires pourraient ainsi remettre sur le devant de la scène la question de l’établissement de tels fonds drainant par exemple les cotisations des régimes complémentaires.

En réponse, le ministre a déclaré partager les mêmes préoccupations sur les faiblesses des fonds d’investissement européens, mais a noté que la directive, d’ordre technique, ne relève en aucune manière de ce débat. Il n’y a, par ailleurs, pas de schizophrénie entre les négociations sociales nationales et les discussions européennes, les mêmes préoccupations étant au centre des débats dans les deux enceintes. Cependant, il faut bien constater que la France dispose d’un arsenal social d’une toute autre ampleur que celui de l’Union. Dès lors, et puisque les textes européens n’ont surtout pas pour vocation d’entamer les acquis sociaux, la législation de l’Union n’exerce pas d’impact négatif sur les droits des salariés français et, à ce titre, n’est guère débattue au niveau national. Par exemple, l’ambition d’un salaire minimum européen, qui n’est d’ailleurs plus à l’ordre du jour des syndicats européens, concentrés désormais sur l’amélioration de tous les salaires, ne concerne évidemment pas la France et son SMIC.

Il a ensuite rappelé que la négociation européenne appelle responsabilité et prise en compte des opinions des partenaires, et donc qu’elle se prête fort mal aux polémiques politiques et à la surenchère démagogique. Ainsi, sur la directive sur le temps de travail, la France est attentive, dans un esprit de responsabilité, à trouver un équilibre permettant d’atteindre un accord dont l’absence serait une perte pour tous. Sur l’opt-out, il est évident que la France ne le sollicitera pas. Mais elle n’a pas à préjuger de ce que choisiront les autres Etats membres. Dans le même ordre d’idées, l’égalité de traitement prévue dans la directive sur le travail intérimaire existe d’ores et déjà dans notre pays. Mais faut-il empêcher, sous le prétexte qu’on en bénéficie déjà, d’autres pays d’en profiter ? Sur tous ces dossiers, les clivages politiques artificiels, qui pourront se comprendre pour animer la campagne législative européenne de 2009, sont autant de handicaps aux avancées concrètes et quotidiennes, qu’il est pourtant essentiel d’encourager. Quel serait le sort d’une directive qui, sur les opt-out, ne répondrait pas aux objectifs du Parlement européen ? Un responsable politique soucieux de voir aboutir les progrès sociaux ne peut éluder la question des équilibres et des compromis.

M. André Schneider a souhaité savoir comment seront harmonisées et échelonnées les priorités pour mettre en œuvre une politique européenne de progrès social, compte tenu de la diversité des situations économiques et syndicales en Europe.

M. Pierre Forgues est d’abord convenu de ce que les problèmes européens ne peuvent se régler sans faire de compromis avec les autres pays. Néanmoins, lorsque l’Europe parle aux travailleurs, c’est dans un langage qu’ils ne comprennent actuellement pas et si elle ne leur parle en définitive pas, c’est que l’Europe sociale est en panne. La question de fond est : « Quand celle-ci va-t-elle se remettre en route ? ».

Par ailleurs, le droit européen influence fortement le droit français, comme le montre l’exemple de la directive « Services », qui a été modifiée pour devenir acceptable aux yeux des électeurs français, sauf en ce qui concerne les services publics. De même, les délocalisations n’existent pas seulement au niveau mondial mais aussi au niveau européen, le dernier exemple étant une compagnie maritime irlandaise qui va licencier 500 personnes et s’installer à Chypre pour tirer profit d’autres conditions sociales. Ainsi, l’Europe sociale progresse peut-être globalement mais elle fait clairement reculer la France, qui est en avance, car elle tend à s’aligner à la baisse sur un dénominateur commun, comme le montre la fixation de la limite hebdomadaire du temps de travail à 48 heures. De même, la flexicurité entraînera des déplacements géographiques et fonctionnels de travailleurs.

Il faut donc être plus précis sur les propositions que la France avancera pendant sa présidence. On ne fera, en effet, accepter l’Europe aux salariés que si celle-ci les protège économiquement et socialement.

En réponse, le ministre a estimé que l’alignement vers le bas n’était pas une fatalité. Il s’agit en réalité d’élever le niveau de la protection sociale des pays qui n’étaient pas au même degré que la France ou l’Allemagne en faisant redémarrer l’Europe avec des textes comme la proposition de directive contre les discriminations ou celle protégeant la vie familiale.

Il y a en réalité un grand nombre d’acquis sociaux d’origine européenne, notamment en matière de santé et de sécurité au travail ou de lutte contre les discriminations. La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a été créée en 2004 en transposition des deux directives de 2000 et 2002. Le projet actuel de négociation avec les partenaires sociaux sur le stress au travail va dans le même sens. De telles avancées sont les conséquences d’une volonté européenne et profitent à la France. Il faut donc se garder d’une approche théorique et mettre en place les outils financiers et législatifs nécessaires.

L’Europe sociale continuera naturellement de progresser après la présidence française et il faut notamment s’engager avec nos deux partenaires de la Troïka dans la lutte contre le travail illégal. Les thèmes doivent d’abord être bien déterminés et la réflexion engagée de manière anticipée.

S’agissant de la future proposition sur la lutte contre les discriminations, M. Alain Lamassoure, député européen, a indiqué que le Parlement européen semblait s’orienter vers une position maximaliste : il n’approuverait pas ce texte s’il se concentrait sur le seul handicap. Il faut exclure de céder à ce type de pression. Mieux vaut un progrès dans un domaine où c’est envisageable plutôt que d’arrêter toute initiative.

En ce qui concerne le thème du revenu minimum, on raisonne plutôt, au niveau européen, sur l’évolution concrète des salaires. On observe, en effet, dans ce domaine un phénomène de rattrapage, comme l’illustre l’exemple des grèves chez Dacia. Le cas de l’Irlande, où 400 000 travailleurs polonais se sont implantés et où le revenu par tête est supérieur à ce qu’il est en France alors que cet Etat était le plus pauvre lors de son intégration dans le Marché commun en 1973, montre que la politique sociale la plus efficace en Europe est la politique régionale. Cet Etat a notamment bénéficié, grâce à son taux d’impôt sur les sociétés, de délocalisations venant des Etats-Unis. L’Europe s’avère donc fonctionner comme une « machine » qui permet aux pays pauvres de rattraper les pays riches, par un alignement vers le haut. D’ailleurs, la période de construction des usines dans les nouveaux Etats membres, Pologne, Slovaquie ou Roumanie, apparaît s’achever. La question des délocalisations reste entière pour les seuls pays tiers, dorénavant.

M. Jean-Claude Fruteau a d’abord donné acte au ministre d’avoir fait part de ses intentions sur la question, essentielle, de l’Europe sociale. Il a cependant estimé qu’il convenait d’être plus concret, puisque débute la dernière année de la législature européenne comme du mandat de l’actuelle Commission. Il sera donc plus difficile d’aboutir. Située à ce moment particulier, la présidence française a donc davantage vocation à lancer des pistes qu’à obtenir des résultats. Il est donc regrettable que le social ne figure pas de manière claire parmi ses priorités. C’est d’autant plus dommageable que plusieurs décisions de la Cour de justice ne sont, en effet, pas « neutres ». Comme souvent, lorsque le législateur n’intervient pas, c’est le judiciaire qui prend la place laissée vacante. Ce constat est particulièrement vrai au niveau communautaire. Il appartient en définitive à la présidence française d’amorcer un cycle nouveau.

En ce qui concerne les SSIG, il est à regretter que la première échéance n’intervienne que les 28 et 29 octobre, alors que la présidence française agira plus rapidement sur d’autres sujets. Quelles initiatives pourront alors intervenir de manière concrète, si tard, sur ce sujet ?

Après avoir demandé des précisions sur un éventuel renforcement du droit à la formation pour les « seniors », M. Didier Quentin s’est inquiété de la situation démographique, particulièrement déprimée, dans de nombreux pays européens, notamment l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, et s’est demandé si certaines initiatives annoncées pour concilier la vie professionnelle et la vie familiale ne pourraient pas être associées à une relance de la natalité. S’agissant du stress au travail et de la pénibilité, il faut souhaiter pour les métiers du tourisme en France, qui pâtissent en outre de distorsions fiscales, une harmonisation vers le haut des conditions de travail de manière à équilibrer la concurrence avec nos principaux partenaires. La France reste la première destination touristique en nombre de visiteurs mais n’est qu’en cinquième position en terme d’activité.

M. Céleste Lett a indiqué ne pas partager l’opinion suivant laquelle l’Europe tirait vers le bas. Il faut en effet garder à l’esprit que les mécanismes de solidarité ont pour objectif un alignement vers le haut même si, momentanément, on peut avoir l’impression contraire. Les ambitions sociales de la présidence française viennent peut-être tard, mais ont le mérite d’être affirmées et permettent d’envisager des avancées pour l’Europe. On observe par ailleurs les premiers effets bénéfiques de la loi TEPA ainsi que de la loi sur les heures supplémentaires sur l’attractivité en Lorraine, où s’implantent des entreprises allemandes. Au-delà, il est donc essentiel de mettre en place une certaine flexibilité.

Sur un autre plan, un défaut de coordination demeure sur les taux d’invalidité, entre la France et l’Allemagne. Il convient de le corriger.

M. Christophe Caresche a souhaité revenir sur le thème des discriminations. Puisque les directives actuelles ont été mal transposées et qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier, ne devrait-on pas profiter de cette occasion pour aborder un champ large ? Le Parlement européen a d’ailleurs souhaité aller assez loin, en abordant notamment les discriminations fondées sur l’âge.

En réponse, le ministre a rappelé qu’il attendait de connaître la teneur de la proposition de la Commission, mais qu’il était prêt à soutenir son initiative, que celle-ci adopte une conception maximaliste ou non. La position du Parlement européen est, pour sa part, claire.

S’agissant des taux d’invalidité, le cadre pertinent pour résoudre de tels problèmes est celui des accords bilatéraux.

La question de la formation des « seniors » relève de la politique nationale des retraites. L’objectif posé dans le cadre de la stratégie de Lisbonne est un taux d’emploi des 55-65 ans de 50 %, mais il n’est en France que de 38,4 %, actuellement.

Sur la natalité, il est intéressant de constater que des pays comme la Bulgarie et la Pologne interrogent les autorités françaises sur les politiques menées en France et sur leur impact. L’Europe ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur la démographie.

S’agissant enfin des services sociaux d’intérêt général, une « feuille de route » est plus précise qu’une discussion, puisqu’elle fixe des rendez-vous. La présidence portugaise avait lancé l’idée d’organiser un forum, la France propose de l’institutionnaliser. La notion de SSIG recouvre notamment le logement social, les établissements médico-sociaux, les services de garde d’enfants et les dispositifs de retour à l’emploi. Il faut assurer leur maintien et clarifier leur cadre juridique, ainsi que leur apporter des garanties.

Les parlementaires pourront de nouveau interroger le Gouvernement sur ce sujet, en décembre, considérant que seuls les résultats comptent. Comme en matière de mobilité des travailleurs, il reste beaucoup à faire, et de nombreux acteurs sont concernés, tels que les partenaires sociaux, les Etats membres et le Parlement européen, notamment.

Concluant son intervention, le ministre a tenu à saluer le travail important réalisé par la présidence portugaise, et la présidence slovène, et a estimé qu’aujourd’hui, l’Europe sociale est ainsi tout autre chose qu’un sujet de discours.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le ministre de la qualité de son intervention et de ses réponses aux membres de la Délégation, et a également souhaité des résultats concrets pour la présidence française.