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Commission des affaires européennes

mardi 17 novembre 2009

17 heures

Compte rendu n° 126

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Communication de M. Guy Geoffroy sur le contrôle de subsidiarité relatif à la proposition de règlement sur les successions transfrontalières (document E 4863)

II. Communication de M. Guy Geoffroy sur le projet de décision-cadre sur la transmission des procédures pénales (document E 4552)

III. Communication de M. Guy Geoffroy relative au projet d’accord SWIFT (document E 4934)

IV. Communication de Mme Odile Saugues sur le passage à la deuxième phase de l’association entre l'Union européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine (document E 4842)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 17 novembre 2009

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à dix sept heures

I. Communication de M. Guy Geoffroy sur le contrôle de subsidiarité relatif à la proposition de règlement sur les successions transfrontalières (document E 4863)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La Commission européenne a présenté, le 14 octobre dernier, une très ambitieuse proposition de règlement visant à simplifier les successions internationales fondée sur trois principes. La juridiction compétente et la loi applicable aux successions dans toute l’Union seraient, par défaut, celle de l’Etat de la résidence habituelle du défunt. Le testateur pourrait toutefois lui préférer expressément sa loi nationale pour organiser sa future succession. Les décisions rendues par les juridictions compétentes seraient reconnues dans toute l’Union.

Dans le cadre des tests coordonnés de subsidiarité pilotés par la COSAC, notre Commission est aujourd’hui invitée à apprécier la conformité de cette proposition aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cela devrait d’ailleurs être l’un des derniers contrôles effectués dans le cadre de la procédure « anticipée », qui permet depuis 2006 aux parlements nationaux d’exprimer leurs opinions sur la conformité des textes européens à la juste et efficace répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres. Avec le traité de Lisbonne entrera en effet en vigueur la procédure juridique du contrôle de la subsidiarité, qui renforcera l’intensité de notre contrôle, puisqu’un texte dénoncé par la moitié des parlements nationaux pourra désormais être rejeté, à la majorité simple, par les législateurs européens, mais qui cependant en réduira l’emprise, puisqu’elle ne prévoit pas, à la différence de l’actuelle procédure, un contrôle étendu au principe de proportionnalité. L’importance du texte examiné plaide par ailleurs pour que l’on se cantonne aujourd’hui à ce seul contrôle, en réservant notre position sur le fond du texte à un moment plus favorable, lorsque les premières négociations auront permis d’apprécier les possibilités de compromis.

Il nous faut dans un premier temps nous attacher au principe de subsidiarité, qui se résume en une question : les objectifs poursuivis ne peuvent-ils être atteints de manière suffisante par les Etats membres ?

Il suppose à ce titre la satisfaction de trois conditions cumulatives. Les objectifs poursuivis doivent être légitimes et répondre à un réel besoin qui ne peut être satisfait par l’intervention des seuls Etats membres. L’action européenne doit être autorisée et prévue par les traités. Le champ global des actions projetées – et non leur détail, qui relève du principe de proportionnalité – ne doit pas conduire à traiter au niveau européen des problèmes qui pourraient être plus efficacement résolus au niveau national. En miroir, l’action européenne doit aussi mobiliser tous les instruments propres à encourager une action efficace.

La légitimité d’une intervention de l’Union européenne dans le domaine des successions transfrontalières n’est guère contestable. Le règlement des successions transfrontalières se heurte en effet aujourd’hui à de très lourds obstacles. Ces difficultés tiennent non seulement à la grande diversité des dispositions nationales mais aussi à l’absence d’instrument international sur les conflits de juridiction et de loi dont la résolution est ainsi suspendue aux traditions de chaque Etat membre.

Ces 50 à 100 000 successions intervenant chaque année dans l’Union exposent ainsi leurs bénéficiaires, dans un moment particulièrement douloureux de leur existence, à une complexité et à une insécurité juridique d’autant moins acceptables que leurs règlements peuvent parfois aboutir à des conclusions contradictoires selon le lieu de liquidation de la succession.

Si la majorité des Etats retiennent ainsi la compétence du tribunal et l’application de la loi de résidence du défunt (Danemark, Pays-Bas…), d’autres lui préfèrent la loi de sa nationalité (Allemagne, Italie, Grèce, Suède…) tandis que les Etats du Code Napoléon (France, Belgique et Luxembourg) soumettent tous les immeubles situés sur leur territoire, quels que soient la nationalité et le domicile de leur propriétaire, à leur loi successorale nationale, que les tribunaux de common law peuvent étendre à l’ensemble de la succession dès lors qu’un seul bien est situé dans les îles britanniques.

De toute évidence, une intervention commune est nécessaire pour dégager des critères uniformes et stables permettant aux citoyens d’identifier clairement quelle loi est applicable à leur succession.

Or, cette intervention est prévue par les traités.

L’article 65 du traité instituant les Communautés européennes dispose ainsi que l’Union peut adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles afin, d’une part, « d’améliorer et de simplifier la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaire » et, d’autre part, de « favoriser la compatibilité des règles applicables dans les Etats membres en matière de conflits de lois et de compétence ».

Les mesures prévues relèvent de la codécision, donc de la majorité qualifiée au sein du Conseil, « à l’exclusion des aspects touchant le droit de la famille » qui demeurent soumis à l’unanimité.

La Commission considère le droit successoral, en raison de ses aspects patrimoniaux prépondérants, comme une matière distincte du droit de la famille. Cette interprétation, conforme à la législation de la très vaste majorité des Etats membres, permet d’ouvrir la voie à un accord, le maintien de l’exigence d’unanimité obérant toute perspective d’avancées en la matière, comme l’a montré l’enlisement de la proposition de règlement relative aux conflits de loi en matière matrimoniale.

Il me semble toutefois important de tirer toutes les conséquences de la procédure retenue. La proposition, pour pouvoir être considérée comme autonome à l’égard du droit de la famille, ne doit pas conduire à altérer la finalité même de ce droit, la protection des liens familiaux. Cela implique en particulier d’aménager une protection suffisante des mécanismes de réserve héréditaire qui fixent dans chaque législation nationale l’étendue des obligations qui lient le testateur à ses parents proches.

Enfin, le champ de la présente proposition respecte les frontières fixées par le principe de subsidiarité.

La Commission européenne a renoncé utilement à toute tentative d’harmonisation, même modeste, du droit matériel des successions, qui engage des aspects décisifs de l’identité nationale. Dans un même esprit, la proposition ne touche ni à la validité des donations, ni au régime des trusts successoraux, ni au droit fiscal, ni au régime de propriété qui demeurent de la compétence exclusive des Etats membres.

En parallèle, la proposition comprend l’ensemble des éléments nécessaires à une action efficace. Ainsi prévoit-elle que la loi successorale désignée régisse l’ensemble des opérations successorales afin d’en simplifier et d’en unifier autant que possible le règlement. Elle prévoit la reconnaissance mutuelle des actes authentiques qui jouent un rôle décisif dans le règlement des successions. Pour garantir une application harmonieuse et diligente du droit, elle étend aux décisions successorales le principe de reconnaissance mutuelle, encourageant le règlement rapide des successions en introduisant un certificat successoral européen uniforme fournissant partout en Europe la preuve des qualités héréditaires du bénéficiaire.

L’examen de la subsidiarité achevé, il convient ensuite, pour contrôle le respect du principe de proportionnalité, de répondre à la deuxième question : l’action européenne excède-t-elle ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis ?

La première mesure proposée, la soumission par défaut de l’ensemble des biens de la succession à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt, emporte de lourdes conséquences sur le droit français.

Notre système, dit scissionniste, opère en effet une distinction entre les biens meubles, soumis à la loi du domicile au jour de son décès, et les immeubles, soumis à leur loi de situation. Cette solution présente l’intérêt de faire coïncider la loi successorale et la loi réelle du bien. L’efficacité des décisions prises par la juridiction du lieu de situation de l’immeuble, en parfaite corrélation avec les règles de publicité foncière, est ainsi garantie.

Pour autant, force est de constater que la complexité de notre régime, qui divise la succession en plusieurs masses successorales soumises à des règles divergentes et qui impose aux héritiers un harassant nomadisme juridique afin de saisir les diverses juridictions des lieux de situation des immeubles, s’oppose au légitime souci de faciliter la préparation et le règlement des successions.

Dans ce contexte, le rattachement à une seule et unique loi est cohérent. La loi proposée, celle de la dernière résidence habituelle, apparaît cohérent. Elle est d’ailleurs aujourd’hui appliquée dans notre pays pour l’ensemble des biens meubles d’une succession transfrontalière.

Ce choix coïncide généralement avec le centre d’activité et d’intérêt des citoyens et avec le lieu de situation de la très vaste majorité de son patrimoine. Il présuppose une volonté d’intégration des citoyens dans l’Etat dans lequel ils fixent leur domicile qui est conforme à l’ambition européenne de créer un espace de vie commun et de doter la liberté de circulation de garanties concrètes.

Mais la proposition apporte aussi une vraie innovation, en permettant au testateur de choisir une autre loi applicable à sa succession afin de planifier plus aisément sa succession et de préserver les liens particuliers qui l’attachent à un autre Etat que celui dans lequel il réside. Afin toutefois de ne pas obérer la protection des intérêts légitimes des proches du défunt et de faire obstacle à tout « lex shopping », il est proposé de limiter cette faculté à la seule loi de nationalité du défunt.

Cette faculté de professio juris constitue un vrai progrès pour les citoyens, qui pourraient ainsi conserver le bénéfice d’une loi nationale qu’ils connaissent souvent mieux et qui coïncide fréquemment avec les aspirations naturelles de ceux qui souhaitent conserver un attachement électif avec leur pays d’origine.

Si cette solution emporte de redoutables ambiguïtés pratiques qu’il appartiendra au législateur européen de trancher, par exemple sur l’introduction dans les Etats de régimes qu’ils ignorent, comme l’usufruit ou les trusts successoraux, elle ne semble pas dans son principe excéder ce qui est nécessaire à une action européenne répondant aux attentes légitimes des citoyens.

Cependant, et en dernier lieu, la proposition européenne ne saurait conduire les Etats membres à renoncer à l’application des mécanismes de réserve héréditaire qui, au cœur du contrat social des nations, garantissent le respect des obligations qui lient indissolublement le défunt à son cercle familiale proche.

Leur protection est assurée dans notre pays par le jeu de deux dispositions que le projet de la Commission fait disparaître.

La première tient à l’application de la loi nationale aux immeubles situés sur notre territoire qui permet de soumette des éléments essentiels des successions internationales à nos mécanismes de réserve héréditaire. En outre, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 permet aux héritiers de nationalité française de prélever sur les immeubles de la succession situés en France une part spéciale correspondant à la valeur des biens situés à l’étranger dont ils sont privés, au regard de la réserve légale française, par l’application d’une loi étrangère.

La présente proposition pourrait dès lors faire émerger des situations inacceptables.

Des tribunaux français pourraient devoir appliquer des mécanismes de réserve héréditaire moins favorables, voire inexistants comme dans le droit britannique, pour régler la succession de défunts dont la majorité du patrimoine et la résidence ou la nationalité des héritiers sont françaises. Des ressortissants français se verraient offrir la faculté de contourner tout ou partie des obligations qui leur incombent au titre de la réserve héréditaire en fixant par exemple leur résidence habituelle en fin de vie dans un pays qui ne connaît pas de mécanisme protecteur équivalent.

Il est nécessaire que la Commission européenne examine des solutions alternatives. Il serait ainsi possible de disposer que les modalités concernant la réserve héréditaire en vigueur dans le pays de résidence du défunt soient intégrées, lorsqu’elles sont plus favorables aux conjoints et aux enfants, à l’ordre public du for afin d’écarter l’application des dispositions moins favorables de la loi désignée par le testateur.

De manière concurrente, la proposition pourrait utilement s’inspirer de l’article 23 de la Convention de La Haye de 1989 qui permettait aux Etats de préciser qu’ils ne reconnaîtront pas une désignation de professio juris lorsque la loi désignée prive « totalement ou dans une proportion très importante le conjoint ou l’enfant du défunt d’attributions de nature successorale ou familiale auxquelles ils auraient eu droit selon les règles de la loi de la résidence habituelle du défunt ».

En parallèle, afin d’empêcher les ressortissants d’un Etat membre d’établir en fin de vie leur résidence habituelle dans un autre Etat aux seules fins de contourner les dispositions relatives à la réserve héréditaire, il serait également envisageable de permettre aux proches parents de saisir le tribunal de l’Etat de nationalité aux fins d’appliquer les modalités de réserve plus favorables de la loi de nationalité.

Afin de demeurer compatible avec l’objectif de prévisibilité des successions, cette solution audacieuse devrait cependant être étroitement encadrée. Le recours pourrait ainsi être réservé aux seuls héritiers jouissant de la nationalité du tribunal saisi et y résidant habituellement, ne porter que sur la succession d’un défunt ayant établi sa résidence habituelle dans un autre Etat depuis moins de cinq ans et n’être recevable que lorsque la loi successorale appliquée prive totalement ou dans une proportion très importante les héritiers de leur droit réservataire.

En tout état de cause, il m’apparaît nécessaire de veiller à ce que cette préoccupation soit intégrée à la proposition de règlement qui nous est soumise.

C’est pourquoi je vous propose d’adopter un avis contestant sa conformité au principe de proportionnalité, en invitant la Commission européenne à définir un mécanisme efficace de préservation des mécanismes de réserves successorales les plus favorables aux héritiers proches.

Le Président Pierre Lequiller. Je remercie le rapporteur pour cette présentation d’un cas concret et fondé d’appréciation de la proportionnalité d’une proposition de texte. Je propose que l’avis que nous adoptons soit transmis immédiatement à la commission des affaires européennes du Bundestag, afin de rendre possible un travail franco-allemand au niveau parlementaire sur ce thème.

II. Communication de M. Guy Geoffroy sur le projet de décision-cadre sur la transmission des procédures pénales (document E 4552)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La présente proposition de décision-cadre tend à réviser le cadre de la « dénonciation officielle », par laquelle un Etat membre dénonce des faits à un autre Etat pour que celui-ci engage les poursuites. Il existe un instrument partiel, la convention de l’Union du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale, qui permet une dénonciation par voie directe entre autorités judiciaires. Pour la France, cette convention offre un mécanisme souple et efficace de dénonciation. Il faut également citer la convention du Conseil de l’Europe du 15 mai 1972 sur la transmission des procédures répressives mais celle-ci n’a été ratifiée que par treize Etats membres et signée par sept, dont ne fait pas partie la France.

Cependant, ce nouvel instrument permettrait de compléter le cadre existant afin de formaliser les demandes et éventuels refus et de s’assurer que, lorsqu’un pays accepte le transfert, il ait effectivement compétence pour poursuivre l’affaire. Une règle de compétence spécifique serait créée dans le cadre de la mise en œuvre de l’instrument, ce qui constitue une novation importante. La France s’est associée au dépôt de ce projet.

Les principes du projet sont les suivants. L’article 7 établit les critères de demande d’une transmission de procédure. Le but visé est de « faciliter la bonne administration de la justice et d’en renforcer l’efficacité ». Une condition, au moins, devrait être remplie, par exemple : l’infraction a été commise , en tout ou partie, sur le territoire d’un autre Etat membre, ou la plupart des effets ont été causés sur le territoire de l’autre Etat, ou le suspect purge une peine de prison dans l’autre Etat.

L’article 5 du projet complète cet article en disposant que, aux fins de l’application de la décision-cadre, un Etat membre a compétence pour poursuivre, conformément à son droit national, une infraction à laquelle le droit d’un autre Etat membre est applicable. En fait, cette formulation vise à s’assurer que l’Etat membre auquel la procédure serait transmise ait bien compétence pour agir. La compétence créée par l’article 5 ne serait valable que pour les cas dans lesquels l’Etat est saisi d’une demande de transmission de procédure.

En France, le principe général de la compétence est celui fixé par l’article 113-2 du code pénal qui dispose que : « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République » et l’article 113-6 du même code qui prévoit que : « la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis ». La possibilité de poursuivre un résident français commettant une infraction à l’étranger est une exception et existe à l’heure actuelle en droit français pour la répression du tourisme sexuel (article 225-12-3 du code pénal).

L’outil créé serait donc assez puissant, puisqu’il ne vise pas une exception en fonction de la nature des faits mais en fonction de l’instrument utilisé pour la transmission de la procédure pénale.

Les autorités françaises sont à ce stade favorables à la proposition, selon les informations transmises, mais nombre d’Etats membres y sont opposés : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande, Malte, Chypre et l’Autriche ont souhaité avoir la possibilité de ne pas appliquer l’article 5. Une possibilité « d’opt out » a été négociée selon laquelle, si la compétence prévue est incompatible avec les principes fondamentaux du droit national, les Etats doivent établir leur compétence pour poursuivre si les critères suivants sont remplis :

- l'infraction a été commise, en tout ou en partie, sur le territoire de l'autre État membre ou la plupart de ses effets ou une part importante du préjudice qu'elle a causé ont eu lieu sur le territoire de l'autre État membre;

- le suspect a la nationalité ou sa résidence habituelle dans l'autre État membre;

- la victime a la nationalité ou sa résidence habituelle dans l'autre État membre.

L’application de cet « opt out » devrait être décidée lors de l’adoption de la proposition et serait valable pour des périodes de cinq ans renouvelables. Les autorités françaises ne soutiennent pas cette nouvelle rédaction et estiment que l’on pourrait aller plus loin sans dispositif dérogatoire. Chaque Etat désignerait les autorités compétentes pour agir en qualité d’autorité de transmission ou d’autorité destinataire. Elles pourraient être, dans certains cas, des autorités non judiciaires. Avant de demander le transfert de la procédure, la personne soupçonnée devrait être informée (article 8). Si des observations étaient formulées, l’autorité de l’autre Etat membre serait avertie.

Avant de procéder à une demande de transmission, l'autorité devrait tenir dûment compte des intérêts de la victime de l'infraction et veiller à ce que les droits que lui reconnaît la législation nationale soient pleinement respectés, et notamment son droit d'être informée de la transmission prévue (article 9).

Le reste des dispositions sont cohérentes avec le dispositif.

La proposition est assez novatrice et nécessaire. Elle suscite encore des réserves de nombreuses délégations.

Les autorités françaises se sont associées au dépôt de cette initiative, qui ne pourra vraisemblablement pas être adoptée sous présidence suédoise. Néanmoins, il est temps de peser sur les négociations, notamment sur un point très important.

La rédaction de l’article 16 du projet est insuffisamment détaillée et devra régler de manière tout à fait claire les conséquences de l’acceptation de la transmission de la procédure pénale dans l’Etat membre ayant fait la demande. Les situations de détention provisoire et de mesures de contrôle judiciaire doivent notamment être revues de manière à assurer une sécurité juridique totale.

M. Jacques Myard. Il est clair que la coopération judiciaire transnationale est importante et doit être facilitée. Sur le fond, j’approuve donc les objectifs de ce texte. Mais je m’interroge sur l’instrument choisi, qui est une décision-cadre du Conseil. Une convention entre Etats serait plus appropriée.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le souci d’efficacité doit primer. La convention existante, celle du Conseil de l’Europe, est restée largement lettre morte. La décision-cadre est un outil susceptible d’être beaucoup plus efficace qu’un traité.

M. Jacques Myard. Mais sur quelle base juridique serait-elle fondée ? On a déjà vu des tribunaux refuser d’appliquer des dispositions sur lesquelles le Parlement national ne s’était pas prononcé.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il s’agit des articles 31-1-a et 34-2-b du traité sur l’Union européenne. La coopération pénale entre les Etats membres est prévue par les traités.

Le Président Pierre Lequiller. La réunion interparlementaire qui s’est tenue aujourd’hui à Bruxelles sur le « programme de Stockolm » a fait apparaître combien, sur ces questions, l’Allemagne manifeste une réticence certaine. Pour quelles raisons ? Cela tient, d’une part, à l’organisation administrative fédérale de l’Allemagne, et, d’autre part, à une position générale traditionnellement assez réservée sur les questions de droit civil et de droit pénal, commune à tous les partis politiques.

A l’issue de ce débat, la Commission a approuvé la proposition de décision-cadre sous réserves des observations relatives à l’article 16.

III. Communication de M. Guy Geoffroy relative au projet d’accord SWIFT (document E 4934)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce projet d’accord vise à établir le nouveau cadre dans lequel des données de messagerie financière seront accessibles aux autorités répressives américaines en vue de lutter contre le terrorisme.

L’accord actuellement en vigueur est connu sous le nom d’accord « SWIFT », du nom de la société qui fournit des services de messagerie financière internationale en matière de paiement. La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT) est une société de droit belge. SWIFT transporte les messages standardisés de ses 8.000 clients (banques, institutions financières et clients professionnels) entre établissements financiers. Le centre d’exploitation est situé aux Pays-Bas et la duplication de cette base de données est assurée dans une base de donnés située aux Etats-Unis.

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, le département du Trésor des Etats-Unis a mis au point un programme de surveillance du financement du terrorisme (« Terrorist Finance Tracking Program » dénommé « TFTP »). Le département du Trésor des Etats-Unis a admis en 2006 avoir adressé des injonctions à la société SWIFT afin que les bureaux de SWIFT implantés aux Etats-Unis transfèrent au bureau de contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor des données à caractère personnel conservées sur le serveur situé aux Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

L’autorité belge en charge de la protection des données et le G29 (groupe européen des autorités de protection des données) avaient jugé que SWIFT violait les règles de protection des données en n’assurant pas une protection des données adéquate et en n’informant pas les personnes concernées du traitement des informations. Le Parlement européen s’était également fermement opposé à ces échanges de données.

Dans un échange de lettres en date des 28 juin 2007 et 20 juillet 2007 entre le département du Trésor et la Commission européenne, une série d’observations, une dizaine de pages, sur les contrôles et garanties en matière de protection des données avaient été données par les Etats-Unis. Il était prévu qu’une personnalité européenne éminente serait désignée afin de vérifier que le programme est mis en œuvre conformément aux engagements du Trésor. Il s’agira du juge Jean-Louis Bruguière. Le juge Jean-Louis Bruguière a rendu son rapport, classifié, le 16 février dernier et, selon les informations disponibles, le Trésor américain aurait apporté la démonstration du respect des garanties prévues par les échanges de lettres. Les autorités américaines auraient respecté leurs engagements en matière de protection des données provenant de l’Union et l’exploitation de ces données aurait permis d’accroître l’efficacité de la lutte contre le terrorisme.

La société SWIFT a décidé de renoncer à sa base de données située aux Etats-Unis pour les données internes à l’espace européen et de répartir son activité entre deux bases, dont l’une serait aux Pays-Bas en charge des données internes à l’Union européenne et de certains pays l’ayant choisie, l’autre base, située en Suisse, conservant les autres données (les données internes aux Etats-Unis y seraient toujours traitées avec une sauvegarde en Suisse). Le trafic entre la zone européenne et la zone transatlantique serait stocké à la fois dans la zone d’émission et dans la zone de réception. SWIFT mettra en œuvre cette nouvelle architecture dès l’automne. Une partie importante des données constituant la base des injonctions rendues dans le cadre du TFTP ne sera donc plus stockée aux Etats-Unis.

En conséquence, la conclusion d’un accord avec les Etats-Unis, lié à cette nouvelle configuration, s’impose. Tel est l’objet du présent document.

La commission a eu à examiner cet été un projet de mandat de négociation pour le nouvel accord SWIFT (document E 4551).

Suite à la demande d’examen en urgence présentée par M. Pierre Lellouche au nom du Gouvernement, le Président Pierre Lequiller a émis de fortes réserves sur la procédure suivie pour un texte de cette importance, en évoquant la protection des données personnelles. La France n’a pas pu obtenir de nos partenaires européens le délai supplémentaire qui aurait permis à notre Commission d’examiner ce texte selon la procédure classique. Compte tenu de la nécessité de négocier rapidement un nouvel accord, avant que la société SWIFT ne supprime sa base de données située aux Etats-Unis, et de ne pas interrompre ces échanges de données stratégiques en matière de lutte contre le terrorisme, le Président Pierre Lequiller a accepté, au nom de la Commission, de procéder à l’examen en urgence. Cela était nécessaire afin de permettre d’engager les négociations avec les Etats-Unis. Le mandat a été adopté par le Conseil le 27 juillet 2009.

L’accord serait un accord relevant du troisième pilier, conclu pour une durée limitée, et permettrait de lier les autorités américaines.

Le mandat encadrait relativement strictement les possibilités de transfert et d’utilisation des données. L’accord devait apporter des garanties en matière de protection des droits fondamentaux et notamment de protection des données à caractère personnel et de respect de la vie privée. En matière de définition des finalités, de protection des données et d’encadrement de leur utilisation, plusieurs types de garanties sont effectivement posés.

Néanmoins, un certain nombre de points doivent encore être clarifiés et, au regard des standards européens de protection des données, des exigences doivent être soulignées. Les travaux du Parlement européen, qui a adopté, le 17 septembre 2009, une résolution à ce propos, doivent être soutenus.

Le Président Pierre Lequiller. Nous avons entendu, à deux reprises, le Président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), M. Alex Türk, qui était inquiet sur cette affaire. Cet accord serait conclu pour une durée limitée. Mais il faudra le renégocier, et l’améliorer, dans le contexte de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Mais nous devons aujourd’hui l’approuver compte tenu de ce caractère provisoire.

M. Jérôme Lambert. Je souhaite savoir quelles sont les positions de nos partenaires européens et notamment de l’Autriche, de l’Allemagne et de la Finlande.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Un certain nombre de réticences sont partagées par plusieurs Etats. Il faut convenir qu’aujourd’hui la nécessité de conclure l’accord s’impose. On doit empêcher la rupture de la transmission des données, tout en restant libres d’affirmer que des insuffisances existent, et de prendre date pour l’accord qui sera conclu de manière pérenne ensuite.

M. Jérôme Lambert. Je souhaite également faire des propositions d’ajouts aux conclusions dont certaines sont reprises des travaux du Parlement européen qui a adopté une résolution le 17 septembre dernier.

Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet d’accord entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique sur le traitement et le transfert de données de messagerie financière de l’Union européenne aux Etats-Unis d’Amérique aux fins du programme de surveillance du financement du terrorisme (accord SWIFT) ;

Souligne l’intérêt mutuel de l’échange de données au regard de la lutte antiterroriste,

Rappelle qu’il est nécessaire de ne pas se trouver dans une situation dans laquelle l’accès aux données pour la lutte antiterroriste serait interrompu, SWIFT ayant modifié son architecture mais aucun accord n’ayant pu être signé,

Considère, pour autant qu’un accord international soit nécessaire, qu’un certain nombre de garanties, en premier lieu en matière de protection des données, doivent être assurées,

Prend acte du caractère provisoire de l’accord,

Demande :

- que le rôle exact des autorités chargées de recevoir et de traiter les demandes du département du Trésor américain soit clarifié,

- que l’accord ne permette que le transfert de données précisément limitées,

- que le partage éventuel des données avec les autorités des Etats tiers soit soumis à des conditions extrêmement strictes, garantissant la protection des données à caractère personnel conformément aux règles de l’Union européenne en la matière,

- que des garanties soient apportées sur les possibilités effectives de recours des personnes concernées,

- que les données utilisées ne puissent être conservées que durant une période réduite clairement définie,

- que les exigences minimales formulées dans le point 7 de la résolution du Parlement européen du 17 septembre 2009 sur l'accord international envisagé à ce propos avec les Etats-Unis, soient garanties dès cet accord. »

Sous réserve de ces conclusions, la Commission a approuvé le projet de décision du Conseil relative à la signature de l’accord.

IV. Communication de Mme Odile Saugues sur le passage à la deuxième phase de l’association entre l'Union européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine (document E 4842)

Mme Odile Saugues, rapporteure. L’examen de la proposition sur le passage à la deuxième phase de l’association entre l'Union européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) est l’occasion de faire un point plus général sur le processus de réforme et d’adhésion à l'Union européenne de l’ARYM.

Ce processus a connu un élan jusqu’en 2005, un ralentissement ensuite.

Le long processus de réformes devant conduire à l’adhésion comprend deux étapes principales – la conclusion d’un accord de stabilisation et d’association (ASA) et les négociations d’adhésion – et est ponctué d’autres étapes intermédiaires comme le dépôt de candidature, la reconnaissance du statut de pays candidat et l’ouverture des négociations d’adhésion.

L’ARYM s’est placée rapidement en bonne position puisque son ASA, signé en 2001, est entré en vigueur le 1er avril 2004, et que le Conseil lui a reconnu le statut de pays candidat en décembre 2005.

L’ARYM doit cette bonne position notamment au fait que la Communauté internationale et l'Union européenne en particulier reconnurent son rôle stabilisateur au moment du conflit du Kosovo en 1999, lorsqu’elle accueillit 500.000 réfugiés représentant le quart de sa population, ainsi que sa capacité à surmonter ses divisions internes.

Ce pays de 2,045 millions d’habitants, en 2008, sur un territoire de 25.713 km² réussit tout d’abord à être le seul Etat de l’ex-Yougoslavie à n’avoir participé à aucun des conflits qui l’ont ravagée dans la décennie quatre-vingt-dix. Il réussit ensuite à éviter une guerre civile entre sa majorité slavophone et orthodoxe et sa minorité albanophone et musulmane, représentant respectivement deux tiers et un tiers de la population, en signant les accords d’Ohrid en août 2001. Cet accord a garanti les droits de la minorité albanophone à une représentation équitable, à la décentralisation et à l’utilisation de sa langue et il a permis l’édification d’une société multiethnique et démocratique pouvant servir d’exemple dans une région où les divisions ethniques perdurent.

Toutefois, le processus de rapprochement avec l'Union européenne a connu ensuite une certaine stagnation pour trois raisons.

D’abord, le contentieux bilatéral entre l’ARYM et la Grèce sur son nom a retardé l’examen d’une ouverture des négociations.

Ensuite, le rejet du traité constitutionnel lors des référendums français et néerlandais a conduit l'Union européenne à privilégier le règlement du débat institutionnel et à se montrer plus exigeante sur la mise en œuvre effective des réformes par les pays candidats.

Enfin, les violences et irrégularités lors des élections législatives de juin 2008 en ARYM ont révélé des dysfonctionnements institutionnels qui ont démontré que ce pays candidat n’était pas encore prêt à respecter les critères politiques, essentiels pour l’ouverture des négociations d’adhésion. La Commission européenne a été amenée à poser un nouveau critère de progrès – la réforme de la loi électorale – et à reporter à l’automne 2009 l’examen de l’ouverture des négociations.

L’ARYM a tenu compte de cet avertissement, comme l’ont montré la bonne tenue des élections présidentielles et municipales des 22 mars et 5 avril 2009 ainsi qu’un nouveau progrès dans les réformes.

Désormais, cinq ans après la reconnaissance du statut de candidat, les conditions sont aujourd’hui réunies pour que l’ARYM franchisse de nouvelles étapes la rapprochant de l'Union européenne, même s’il reste encore beaucoup d’obstacles à surmonter et de réformes à accomplir.

L’ARYM va franchir trois étapes importantes la rapprochant de l'Union européenne : ASA, visas, recommandation d’ouverture des négociations.

La première concerne le passage à la deuxième phase de l’association entre l'Union européenne et l’ARYM, qui témoigne du progrès des réformes réalisées par l’ARYM dans le cadre de l’ASA. Cet accord prévoit en effet que l’association sera réalisée à l’issue d’une période de transition d’une durée maximale de dix ans, divisée en deux phases successives, et que, quatre ans après son entrée en vigueur, le conseil de stabilisation et d’association évalue les progrès accomplis et décide du passage à la seconde phase. La Commission européenne propose au Conseil de décider de passer à la deuxième phase de l’ASA, notamment parce que l’ARYM a honoré tous les engagements qui étaient prévus dans le cadre de la première phase en matière de circulation des travailleurs, droit d’établissement, prestations de services, circulation des capitaux.

Deuxième bonne nouvelle, la suppression des visas de courte durée pour voyager dans l'Union européenne, le 1er janvier 2010, répond à une très forte attente de l’ARYM et représentera une date historique dans les relations de l'Union européenne avec les pays des Balkans occidentaux. La Commission européenne a en effet proposé, le 15 juillet dernier, de supprimer les visas pour l’ARYM, la Serbie et le Monténégro parce qu’ils avaient rempli les conditions relatives à l’établissement de passeports biométriques, au renforcement des contrôles aux frontières, à la lutte contre la corruption et le crime organisé et au respect des droits fondamentaux. Le rapport de progrès 2009 sur l’ARYM note en particulier que ce pays a procédé à l’arrestation de hauts personnages pour lutter contre la corruption.

La suppression de visas permettra aux Macédoniens de revivre la situation d’avant 1991 quand les Yougoslaves pouvaient voyager sans visa vers l’Europe de l’est et de l’Ouest et les sortira de l’enfermement dans lequel les ont plongés les conflits de l’ex-Yougoslavie.

Enfin, la recommandation de la Commission européenne d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’ARYM constitue la troisième bonne nouvelle pour ce pays reconnu candidat depuis quatre ans.

Dans sa communication du 14 octobre 2009 sur la stratégie d’élargissement et les principaux défis pour 2009-2011, la Commission européenne conclut que l’ARYM satisfait suffisamment aux critères politiques de Copenhague et du processus de stabilisation pour ouvrir les négociations d’adhésion.

Elle note en particulier que les élections présidentielles et locales de mars et avril 2009 se sont déroulées dans le respect de la plupart des normes internationales, et que des progrès ont eu lieu conformément aux exigences posées par la Commission européenne en 2008 : le fonctionnement des procédures parlementaires a été amélioré ; la loi sur la police est entrée en vigueur et la réforme s’est poursuivie avec l’adoption de la loi sur la sécurité intérieure ; la réforme législative du pouvoir judiciaire est achevée ; la lutte contre la corruption s’est développée grâce à la modification de la loi sur le financement des partis politiques et à l’amélioration des capacités des organismes de lutte contre la corruption ; la loi sur la fonction publique est une étape vers un système de promotion au mérite.

Par ailleurs, si le pays a été touché par la crise économique, la stabilité du secteur bancaire et le maintien de la consommation privée ont permis de limiter le ralentissement de la croissance. Des progrès ont également été observés dans la lutte contre le chômage structurel et la réduction des entraves à l’emploi. Cependant, le chômage se maintient à un niveau très élevé, notamment parmi les jeunes et les moins qualifiés et reste préoccupant.

Enfin, la Commission européenne souligne la nécessité de maintenir de bonnes relations de voisinage et de trouver, sous l’égide des Nations Unies, une solution négociée et acceptée mutuellement au problème de la dénomination du pays.

Sur le premier point, il est remarquable que l’ARYM vienne de conclure un accord de délimitation de sa frontière avec le Kosovo. L’ARYM participe également à un maillage d’accords ou de dispositifs de nature à favoriser la coopération régionale grâce à des progrès concrets.

Sur le deuxième point, la Commission européenne met en exergue un contentieux bilatéral qui a, jusqu’à présent, bloqué l’ouverture des négociations et sur lequel l’Union européenne a peu d’influence. Elle n’a d’ailleurs pas préconisé de date pour l’ouverture des négociations.

Il reste en effet encore beaucoup d’obstacles à surmonter , de réformes à accomplir et de questions à clarifier

Le nom de la Macédoine est depuis 1991 l’objet d’un différend entre Skopje et Athènes qui bloque sa reconnaissance internationale sous le nom de « République de Macédoine », au motif que ce nom fait partie du patrimoine historique de la Grèce et qu’il pourrait impliquer une visée territoriale de ce pays sur la province qui porte le même nom au nord de la Grèce. La Macédoine a été admise à l’ONU en 1993 sous le nom provisoire d’« ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM ou FYROM en anglais). La Macédoine se dit prête à adopter un nom composé comme « Nouvelle Macédoine » ou « Haute Macédoine » pour ses relations avec la Grèce, tout en conservant le nom de « République de Macédoine » pour les relations internationales.

Le blocage des négociations menées sous l’égide des Nations Unies depuis dix-sept ans a conduit la Grèce à bloquer l’adhésion de l’ARYM à l’OTAN au Sommet de Bucarest en avril 2008 et l’ARYM à saisir la Cour internationale de justice à La Haye, le 17 novembre 2008. Un accord intérimaire conclu en 1995 comporterait un engagement de la Grèce de ne pas empêcher l’adhésion de l’ARYM à l’OTAN, mais la Grèce réplique que l’ARYM aurait elle-même violé cet accord dans le passé, en particulier sur le principe des relations de bon voisinage. Rebaptiser « Alexandre le Grand » l’aéroport de Skopje n’était sans doute pas de nature à apaiser la Grèce.

L’avènement d’un nouveau gouvernement un peu plus ouvert en Grèce est une occasion à saisir par les deux parties pour s’entendre.

La présidence suédoise et les autres Etats membres sont partagés entre la volonté d’ouvrir les négociations et la solidarité communautaire à laquelle la France, notamment, est très attachée. Ils observent que le règlement de ce contentieux bilatéral n’est pas une pré-condition mais que le Conseil ne pourra pas envisager une date, pour l’ouverture des négociations, sans une volonté de compromis des deux parties. La Grèce, premier investisseur en ARYM, a intérêt à un arrimage rapide de ce pays à l'Union européenne de manière à consolider définitivement l’équilibre démocratique et multiethnique auquel il est parvenu et à éviter le risque d’une nouvelle instabilité régionale. L’enjeu est encore plus grand pour l’ARYM, qui n’a pas d’autre choix pour sa stabilité et sa prospérité que la perspective européenne.

Par ailleurs, si la Commission européenne a jugé suffisant le respect des critères politiques pour l’ouverture des négociations, elle n’en souligne pas moins qu’il reste beaucoup de réformes à accomplir et que la phase des négociations sera encore plus exigeante sur leur mise en œuvre effective.

Enfin, trois questions mériteraient d’être clarifiées pour rassurer l’opinion européenne sur le processus d’élargissement aux Balkans occidentaux.

La première concerne l’effectivité des réformes en matière de justice et d’affaires intérieures. Les Etats membres de l'Union européenne ont été heureux d’accueillir, le 1er janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie dans la famille européenne, mais ils ont eu ensuite le désagrément de découvrir que ces deux pays n’étaient pas tout à fait prêts dans le domaine précité, contrairement aux assurances données par la Commission européenne. Cette expérience ne doit pas se reproduire, car les affaires de justice et de police et la lutte contre la corruption et le crime organisé fondent le rapport de confiance qui doit s’établir entre anciens et nouveaux Etats membres et est une condition indispensable de leur adhésion. Cette exigence est particulièrement forte à l’égard des pays candidats des Balkans occidentaux, dans la mesure où les conflits de l’ex-Yougoslavie et les embargos les ont particulièrement exposés à ces risques. Y répondre est d’ailleurs dans l’intérêt des pays candidats s’ils veulent bénéficier des aides communautaires, des prêts de la BEI ainsi que des investissements directs étrangers. De 2007 à 2012 inclus, l’ARYM aura reçu 507,3 millions d’euros d’aide bilatérale de l’instrument d’aide de préadhésion. Or, dans un audit publié le 13 octobre 2009, la Cour des comptes de l'Union européenne a mis en cause l’efficacité des projets de la Commission européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures dans les Balkans occidentaux.

Tout en reconnaissant l’environnement difficile dans lequel agit la Commission européenne, la Cour doute de la durabilité et de l’appropriation de plus d’un tiers des résultats obtenus, en raison de la faiblesse politique et de l’absence d’engagement des bénéficiaires, dès lors que les initiatives de réforme n’émanent pas d’eux-mêmes, mais de la Commission. La Cour recommande à la Commission d’établir une correspondance plus étroite entre les projets d’investissement et ceux relatifs au renforcement des capacités institutionnelles, de beaucoup plus impliquer les bénéficiaires, de doter tous les projets d’un plan de suivi et d’utiliser la gestion intégrée des frontières pour encourager la coopération régionale.

La Commission européenne devra se montrer dans ce domaine d’une rigueur absolue, à la mesure des exigences des Etats membres et des craintes des opinions publiques.

La deuxième question concerne le risque de blocage d’un processus d’adhésions successives fondées sur les mérites de chaque pays candidat, en raison des contentieux bilatéraux multiples opposant les pays de l’ex-Yougoslavie. Les Etats issus de l’ex-Yougoslavie ont fait exploser leur fédération parce qu’ils avaient tous des contentieux contre tous ou presque, et le risque est grand que le dernier candidat entré dans l'Union européenne excipe d’un contentieux bilatéral avec un candidat de la région pour bloquer son processus de négociation. Comme il est admis par tous que la perspective européenne offerte par l'Union européenne est le seul moyen de sortir les pays de la région de leur logique d’affrontement séculaire, on peut s’interroger sur l’introduction dans les prochains traités d’adhésion d’une clause par laquelle le nouvel Etat membre s’engagerait à ne pas paralyser le processus d’élargissement des pays candidats de la région en raison d’un contentieux bilatéral sans lien avec ce processus.

Cette clause exceptionnelle ne s’appliquerait qu’aux pays candidats de la région et pourrait être justifiée par l’évènement exceptionnel qu’a constitué la fragmentation de l’ex-Yougoslavie en sept Etats.

La troisième question concerne les conséquences de la fragmentation de l’ex-Yougoslavie en Etats moins peuplés sur le processus de décision de l'Union européenne après leur adhésion. Il serait très difficile d’attribuer des sièges au Parlement européen à l’ensemble des Etats de l’ex-Yougoslavie sans remettre en cause les critères définis par l’article 14 du traité sur l'Union européenne pour l’après 2014 (plafond global de 750 députés plus le président, seuil maximal de 96 et seuil minimal de six pour chaque Etat et proportionnalité dégressive). En particulier, le seuil minimal de six députés pour les Etats les moins peuplés aboutirait à un doublement de la représentation des sept Etats par rapport à ce qu’aurait été celle de l’ex-Yougoslavie, en considération d’une population d’environ 21 millions d’habitants.

La prime à la fragmentation des Etats dans le système décisionnel de l'Union européenne présente le risque de délégitimer les décisions des institutions communautaires. Elle risque également de favoriser la revendication de certaines régions à compétence législative, beaucoup plus riches et peuplées, de devenir des Etats membres de plein exercice pour participer directement aux décisions de l'Union européenne.

L’échéance de ces futures adhésions est encore lointaine mais la réflexion mériterait d’être engagée dès maintenant.

Le Président Pierre Lequiller. Les deux derniers points méritent que soit menée une réflexion particulière. Il est vrai que le système institutionnel européen tel qu’il est conçu, incite à la séparation des Etats  dans la mesure où il y a une prime au commissaire, aux député Par ailleurs, certains pays utilisent la volonté d’adhésion d’autres pays pour exercer des pressions dans le cadre d’un contentieux bilatéral.

M .Thierry Mariani. Je souhaiterais savoir si le traité de Lisbonne fixe une date pour la désignation des deux siéges supplémentaires de députés européens pour la France.

Le Président Pierre Lequiller. Pour l’heure, rien n’est fixé. Il est vrai que le traité de Lisbonne fait passer le nombre de députés européens de 736 à 751, augmentant notamment de deux membres la représentation de la France, mais diminuant cependant de trois celle de l’Allemagne. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 s’était entendu pour éviter à notre voisin de devoir réduire en cours de mandat son effectif au Parlement européen, en relevant le plafond des eurodéputés à 754. Cela impose toutefois de modifier les dispositions des traités, puis de les ratifier dans chaque Etat membre, ce qui ne pourra se faire à brève échéance qu’à l’occasion du traité d’adhésion de la Croatie. Cette perspective n’est donc pas imminente, ce qui ne nous interdit en rien de réfléchir dès à présent aux modalités de désignation de nos deux nouveaux députés.

Sur proposition de la rapporteure, la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil et de la Commission concernant la position de la Communauté au sein du conseil de stabilisation et d'association sur le passage à la deuxième phase de l'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'autre part, conformément à l'article 5 de l'accord de stabilisation et d'association (COM (2009) 280 final/E 4842),

Vu la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur la stratégie d’élargissement et les principaux défis 2009-2010 (COM (2009) 533), en particulier sa recommandation d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’ancienne République yougoslave de Macédoine, et le rapport de progrès 2009 pour ce pays reconnu candidat en décembre 2005 (SEC (2009) 1335),

Vu le rapport spécial n° 12/2009 de la Cour des comptes européenne sur l’efficacité des projets de la Commission dans le domaine de la justice et des affaires intérieures pour les Balkans occidentaux,

1. Approuve la proposition sur le passage à la deuxième phase de l’association entre l'Union européenne et l’ancienne République yougoslave de Macédoine dans la mesure où elle invite ce pays candidat à redoubler son effort de réforme pour se préparer à une future adhésion ;

2. Estime que la décision à venir du Conseil d’ouvrir des négociations d’adhésion, selon la recommandation de la Commission, devra appeler le pays candidat au respect intégral des critères d’adhésion généraux et spécifiques aux Balkans occidentaux à la date de son adhésion ;

3. Demande que la Commission se montre d’une rigueur absolue pour la mise en œuvre effective des réformes en matière de justice et d’affaires intérieures et qu’en particulier, elle suive les recommandations de la Cour des comptes européenne ;

4. S’inquiète du risque de blocage d’un processus d’adhésions successives fondées sur les mérites de chaque pays candidat, en raison des contentieux bilatéraux opposant les pays issus de l’ex-Yougoslavie, et s’interroge sur la possibilité d’introduire dans les prochains traités d’adhésion une clause par laquelle le nouvel Etat membre s’engagerait à ne pas paralyser le processus d’élargissement des pays candidats de la région en raison d’un contentieux bilatéral sans lien avec ce processus ;

5. Souhaite qu’une réflexion soit engagée sur les garanties à prévoir pour que la fragmentation d’un Etat en Etats moins peuplés n’affaiblisse pas le système décisionnel de l'Union européenne après leur adhésion ni sa capacité d’intégration de nouveaux Etats membres. »

Puis la Commission a autorisé la publication de cette communication sous la forme d’un rapport d’information.

La séance est levée à dix huit heures trente

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 17 novembre 2009 à 17 heures

Présents. - M. Michel Delebarre, M. Guy Geoffroy, Mme Annick Girardin, M. Jérôme Lambert, M. Pierre Lequiller, M. Thierry Mariani, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin, Mme Chantal Robin-Rodrigo, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Michel Diefenbacher, Mme Arlette Franco, Mme Anne Grommerch, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Marietta Karamanli, M. Francis Vercamer