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Commission des affaires européennes

mercredi 3 février 2010

16 h 15

Compte rendu n° 138

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’Etat, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le programme de Stockholm (programme de travail 2010-2014 de l’Union européenne en matière de justice, liberté et sécurité) (ouverte la presse)

II. Examen du rapport de Mme Anne Grommerch et de M. Christophe Caresche sur la proposition de résolution no 2168 visant à introduire la « clause de l’Européenne la plus favorisée » et sur la proposition de résolution no 2261 visant à promouvoir l’harmonisation des législation européennes applicables aux droits es femmes suivant le principe de la « clause de l’Européenne la plus favorisée »

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 3 février 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 15

I. Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’Etat, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le programme de Stockholm (programme de travail 2010-2014 de l’Union européenne en matière de justice, liberté et sécurité) (ouverte la presse)

Le Président Pierre Lequiller. Merci, Madame le ministre, d’avoir accepté de revenir devant nous, à un moment très important pour l’Europe, et pour les politiques qu’elle mène dans le domaine de la justice.

Plusieurs thèmes intéressent tout particulièrement la Commission :

– enfin, deux sujets importants concernent les progrès le droit civil.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’Etat, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. C’est avec un grand plaisir que je viens aujourd’hui échanger avec vous sur l’un des domaines qui engagent avec force l’avenir de l’Europe. Car les affaires de justice sont aux fondements de nos sociétés. Et l’élaboration de réponses européennes au cœur des défis de notre temps. La mondialisation et l’apparition d’un monde multipolaire rendent plus nécessaire que jamais que nous soyons capables d’apporter des réponses communes. D’abord, bien sûr, parce que dans les domaines économique, politique, militaire, nos Etats seuls ne sont guère en mesure de peser. Mais aussi parce que la multiplication des déplacements des personnes, et de leurs intérêts économiques, affectifs, pose avec acuité la question décisive de la définition de règles de droit transcendant nos Etats. Dans un monde généralisé et éclaté qui réclame des règles communes sans lesquelles aucune relation humaine ne peut perdurer, l’Europe doit se donner les moyens de défendre et promouvoir ses propres solutions juridiques. Elle le doit, bien sûr, à ses citoyens, afin de sécuriser leurs situations, où qu’ils se trouvent dans l’Union. Mais la promotion de notre droit continental s’inscrit aussi dans une ambition plus vaste. Force est de constater qu’au cours des dernières décennies le modèle juridique anglo-saxon s’est généralisé, s’érigeant en modèle pour de nombreux pays. Or son attrait s’est fortement affaibli au lendemain d’une crise économique qu’il s’est avéré impuissant à prévenir. Nous devrions tirer partie de cette fragilisation pour défendre avec conviction les vertus de notre droit continental, davantage propre à protéger et à stabiliser. Je le constatais par exemple récemment au cours de ma visite au Qatar, le modèle juridique européen trouve désormais des oreilles attentives. Il nous appartient de nous investir dans la tâche exaltante de la promotion de nos valeurs, en saisissant cette extraordinaire fenêtre de tir.

Ce contexte se marrie utilement aux progrès qu’encourage le traité de Lisbonne. Le nouveau traité place en effet l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice au cœur des objectifs fondamentaux de l’Union européenne. Et, par une opportune coïncidence, nous définissons au même moment nos nouvelle priorités grâce à l’adoption du programme de Stockholm 2010-2014.

Les finalités de ce programme sont bienvenues.

La première, essentielle, est le souci de bâtir une Europe proche de ses citoyens et de leurs attentes. Des règles complexes, ressenties exclusivement comme des contraintes lointaines et illisibles sont les sources premières de la défiance des peuples à l’égard de l’Europe. Seules des réponses claires aux difficultés quotidiennes de nos citoyens pourront réveiller l’enthousiasme européen.

En découle la seconde finalité que nous assigne le programme : une Europe efficace et concrète. Ce souci, cette obsession d’efficacité, est la clef du succès. Notre tâche est en effet de faciliter concrètement les relations humaines contre tous les freins qu’imposent les frontières.

Enfin, nous ne devons pas oublier une dernière nécessité, celle de la cohérence. Les citoyens n’adhéreront aux règles communes que s’ils en perçoivent clairement la logique, et si elles font sens toutes ensemble. Dans une même logique, il nous faut mobiliser tous les instruments efficaces de l’action, la décision politique, la coopération opérationnelle, mais aussi l’évaluation rigoureuse des résultats obtenus.

Dans ce contexte, M. Jean-Marie Bockel et moi-même avons défendu une méthode fondée sur trois principes clairs.

Le premier est la difficile mais indispensable définition d’un équilibre légitime entre la sécurité, premier devoir de l’Etat, et la liberté, principe intangible de nos sociétés. Cette définition est complexe, parfois mouvante face aux coups de butoirs des criminalités. Mais elle est au cœur du contrat social.

Le second principe est une exigence : savoir mobiliser tous les outils suffisants pour mettre en œuvre une politique concrète et directement opérationnelle.

Le troisième est rarement évoqué, il me semble pourtant décisif. Pour emporter l’adhésion des citoyens, il faut savoir communiquer sur nos actions, et leur indiquer clairement les progrès accomplis. La justice n’est pas une affaire de spécialistes. Elle engage les éléments fondamentaux du vivre ensemble.

Ces principes nous permette de décliner nos priorités.

S’agissant des aspects généraux de la coopération judiciaire, trois grands défis dominent l’agenda européen.

L’Union doit en premier lieu apporter à chaque citoyen les mêmes garanties quel que soit son pays d’origine. Ce principe de sécurité juridique est la pierre de touche de notre action. Le traité de Lisbonne lui donne de nouvelles forces en conférant à la Charte des droits fondamentaux la même valeur que celle des traités et en prévoyant l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais la sécurité juridique, c’est aussi une interprétation cohérente des règles de droit où que l’on soit dans l’Union. C’est pourquoi je suis profondément attachée à ce que la dimension européenne de la formation des professionnels de la justice soit renforcée. Je me réjouis ainsi de l’ambition de notre programme de formation, qui permettra à plus de la moitié des juges, procureurs et du personnel de justice de participer à des formations européennes. Car les acteurs de la justice ne peuvent être en mesure de conseiller ou de juger efficacement et légitimement que s’ils comprennent le fonctionnement des divers systèmes juridiques qui organisent la vie des justiciables. Dans cet esprit, je plaide avec force pour donner une nouvelle dynamique aux programmes d’échanges d’autorités judiciaires, qui pour être efficaces doivent à mes yeux encourager une réelle immersion dans un autre Etat, sur le modèle d’Erasmus. Ainsi, dès cette année, un programme d’échange ambitieux a été mis en place. Il est certes, pour des raisons pratiques, pour l’instant limité de une à deux années à l’étranger. Mais je pense que la durée doit être amplifiée, deux à trois ans me paraissant un minimum. Dans une même logique, les réflexions sur la mise en place d’une Ecole européenne de la justice proposant des cycles de formation thématiques qualifiants de haut niveau me semblent particulièrement prometteuses.

Toujours dans ce souci d’une application harmonieuse et cohérente au quotidien de la justice, j’insiste sur la nécessité de mieux utiliser les nouvelles technologies afin de favoriser l’accès au droit. Des informations claires, rapidement accessibles, sont particulièrement précieuses pour la résolution des « petits » litiges de la vie quotidienne, comme par exemple les injonctions à payer. La présidence française a lancé des projets ambitieux et fonctionnels comme le portail européen ou « e-justice ». Je souhaite qu’ils prennent forme le plus rapidement possible.

Viennent ensuite les projets plus spécifiques.

Pour donner une réelle assise à la liberté de déplacement des personnes, il faut encourager la libre circulation des actes judiciaires, qu’il s’agisse des décisions de justice ou des actes authentiques. Cela répond à une demande prégnante des citoyens, qui ne comprennent pas qu’un acte dûment établi dans un Etat ne puisse exercer ses effets dans un autre sans passer par des procédures lourdes, complexes et trop lentes. Notre ambition ici est de supprimer l’exequatur, c’est-à-dire donner son plein effet au principe de reconnaissance mutuelle.

La libre circulation comprend aussi celle des actes d’état civil et des actes authentiques. Leur reconnaissance mutuelle est un moyen concret de faciliter la vie de nos concitoyens. Le programme reprend sur ce point une volonté de réflexion commune amorcée pendant la présidence française. Une coopération concrète en matière civile doit donner au droit de la famille une place distincte et prioritaire. Pour s’adapter aux réalités de la circulation des personnes au sein de l’Union, il faut étendre le principe de reconnaissance mutuelle au droit des successions et des régimes matrimoniaux.

S’agissant des successions, le rapprochement de nos législations ne doit pas conduire à l’effacement de la règle de droit français face au droit anglo-saxon. Je le dis très clairement : je veillerai personnellement au maintien du principe de réserve héréditaire en faveur des parents proches du défunt. Il faut harmoniser les conflits de loi dans les domaines où cela est nécessaire, notamment le divorce et la séparation de corps, car nous avons des problèmes pratiques importants avec parfois des Etats dont nous sommes proches tel l’Allemagne. L’absence d’harmonisation est une source de complexité pour les justiciables qui saisissent le juge. Elle peut aussi conduire certains à choisir le tribunal de l’ordre juridique le plus favorable.

Sur notre demande, la question du divorce a été rétablie comme un thème essentiel de notre coopération pour les années à venir. La Suède s’étant déclarée opposée à l’adoption d’un règlement sur le sujet, dix Etats, dont la France, ont décidé de solliciter l’autorisation de recourir à la procédure de coopération renforcée. La nouvelle équipe de la Commission semble décidée à faire avancer le processus. Toutes les conditions sont réunies pour obtenir des avancées rapides sur ce point.

En matière de successions, je note qu’aujourd’hui beaucoup d’Anglais achètent des propriétés dans des départements tels que la Dordogne et que beaucoup de Français font l’acquisition de biens à l’étranger. La reconnaissance mutuelle des droits successoraux constitue un véritable problème qui bute aujourd’hui sur le fait que les pays anglo-saxons de connaissent pas la réserve héréditaire. Or nous considérons que nous ne pouvons pas exclure les enfants de la succession sur ce point.

Il faut intensifier notre coopération dans la protection des personnes. Concernant les adultes vulnérables, le programme de Stockholm reprend l’approche développée sous présidence française : encourager les Etats à ratifier la convention de La Haye du 13 janvier 2000, évaluer à partir de son application le besoin de formuler des propositions additionnelles.

S’agissant des enlèvements internationaux d’enfants, la médiation internationale doit être développée. La convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les enlèvements internationaux d’enfants doit être appliquée.

En matière de justice pénale, la France a été entendue sur l’essentiel de ses priorités. Le développement de la criminalité transfrontalière nous conduit à rapprocher les règles et les pratiques, tout en évoluant vers une politique pénale cohérente au sein de l’Union.

Le principe de reconnaissance mutuelle doit s’appliquer à tous les stades de la procédure. En matière de collecte des éléments de preuve pénale, nous avons plaidé pour la mise en œuvre d’un instrument unique, complet et cohérent visant à remplacer l’ensemble des instruments existants dans ce domaine. L’admissibilité des preuves pénales est un autre chantier important. Nous sommes favorables à l’engagement de travaux sur ce sujet.

L’harmonisation du droit pénal peut être approfondie. Il faut à la fois réviser les instruments déjà adoptés et chercher à couvrir de nouvelles formes de criminalité. C’est vrai de la criminalité économique et des délits boursiers. Les propositions faites en matière de développement des enquêtes financières et d’amélioration des saisies et confiscations vont dans le bon sens. C’est vrai aussi pour la lutte contre la traite des êtres humaines et de la lutte contre la pédopornographie et les abus sexuels contre les enfants.

La France a soutenu les deux projets de décision-cadre déposés par la Commission au premier semestre 2009. En raison de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ils devront être redéposés sous la forme de projets de directive. Laissons à la nouvelle équipe de M. Barroso le temps de s’installer. Il n’est pas pour l’instant nécessaire de hâter le cours des choses en tentant de devancer la Commission sur ce point.

Le renforcement de la confiance mutuelle est une nécessité. Les garanties offertes aux suspects dans les procédures pénales font l’objet de règles minimales communes, dans le respect des traditions juridiques nationales. Une évaluation des systèmes de justice pénale nous permettra d’identifier les aspects du fonctionnement des systèmes qui contribuent à renforcer ou, au contraire, à affaiblir la qualité de la coopération.

Il faut aussi veiller à la cohérence de nos politiques pénales. La stratégie de sécurité intérieure doit intégrer les priorités de politiques pénales. Les autorités nationales en charge de leur définition peuvent travailler ensemble aux bases d’une politique pénale européenne. Eurojust est un interlocuteur reconnu dans le domaine de la coopération judiciaire. Il doit évoluer vers un parquet européen, sur décision unanime du Conseil. A notre demande, le programme intègre une référence explicite à cet objectif inclus dans le traité de Lisbonne. Pour autant, je ne sous-estime pas les difficultés de sa mise en œuvre. Eurojust doit encore gagner en légitimité au sein des institutions. Pour cela, le traité de Lisbonne prévoit son évaluation par le Parlement européen et les parlements nationaux. Il est trop tôt pour déterminer précisément les modalités de l’évaluation d’Eurojust par les parlements nationaux. En tout état de cause, l’évaluation devra reposer sur des indicateurs de performance précis.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Le programme de Stockholm marque une nouvelle étape dans la construction de l’Europe de la justice. La France a été présente tout au long de l’élaboration du programme pour rappeler les exigences d’une Europe humaine, concrète, lisible. Il nous reviendra de le mettre en œuvre dans le même esprit : sans dogmatisme, sans scepticisme, en restant à l’écoute du citoyen et du justiciable.

Le Président Pierre Lequiller. Nous vous remercions, Madame le ministre, pour cet exposé passionnant sur des questions qui touchent en effet les citoyens et sur lesquelles il est parfois difficile d’obtenir des avancées. Je partage à cet égard votre opinion sur la nécessité de coopérations renforcées, d’autant plus que le traité de Lisbonne offre de nouvelles possibilités et que de telles coopérations sont susceptibles d’avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble des Etats membres.

M. Robert Lecou. L’espace européen de la sécurité et de la justice est le corollaire de la liberté de circulation en Europe. Vous avez fait état des difficultés de l’harmonisation des législations dans le domaine de la justice. Pouvez-vous nous dire, d’après vos expériences ministérielles actuelle et passée, quelle est la situation dans le domaine de la sécurité ?

Par ailleurs, estimez-vous nécessaire la création d’un parquet européen ?

M. Gérard Voisin. En France, la lenteur de la justice est un grave problème. Pouvez-vous nous donner des éléments d’information sur la situation dans les autres Etats membres de l’Union européenne ?

Vous avez évoqué les difficultés concernant la perception transfrontalière des amendes en matière de sécurité routière. J’ai pris plusieurs initiatives pour rendre plus facile cette perception : une proposition de loi, qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour, ainsi que des amendements, qui ont été déclarés irrecevables en application de l’article 40 de la Constitution, en raison des coûts liés à la traduction des contraventions. Il est regrettable que la proposition de directive facilitant l’application transfrontière de la législation dans le domaine de la sécurité routière ne soit toujours pas adoptée. Sur ce sujet, il est incompréhensible que la France et l’Allemagne ne puissent pas trouver un accord.

M. Daniel Fasquelle. Je partage votre opinion sur la nécessité, pour l’Union européenne, d’adopter une démarche fondée sur le droit international privé. En effet, les Etats membres doivent conserver des compétences en matière de droit privé et des règles doivent donc être définies afin de déterminer la loi applicable et la juridiction compétente.

Le rayonnement du droit continental et du droit français doit être encouragé. Les récents rapports de la Banque mondiale, qui concluent que le droit anglo-saxon est plus favorable à la croissance économique que le droit continental, sont particulièrement choquants. Il convient de réagir mais, malheureusement, le morcellement qui caractérise les professions juridiques en France amoindrit notre capacité à défendre le droit français à l’étranger.

Enfin, il faut promouvoir la langue française et son rôle en tant que langue du droit en Europe. La présidence française avait lancé l’idée d’un fonds de documentation juridique accessible à l’ensemble des juridictions nationales, dans les langues nationales et en anglais. Un tel fonds devrait également être traduit en français, pour des raisons de diversité linguistique et afin de défendre la place de la France en Europe.

Mme Michèle Alliot-Marie. Dans de nombreux domaines juridiques, notamment en matière de droit civil, les législations nationales reflètent des visions différentes de la société, ce qui explique bien souvent les difficultés d’adopter des législations harmonisées à l’échelle de l’Union européenne.

En revanche, il est possible d’avancer plus rapidement vers l’harmonisation dans le domaine de la sécurité. Il y a aujourd’hui une prise de conscience générale du caractère transnational de ces questions et de la nécessité d’agir au niveau européen. Différentes initiatives ont été prises. Ainsi, en tant que ministre de l’intérieur, j’ai créé à Toulon un centre européen de lutte contre le trafic de drogue en Méditerranée.

Des progrès rapides sont également possibles en ce qui concerne la procédure pénale, dès lors qu’un accord existe au niveau européen sur l’équilibre entre les libertés et la sécurité.

Je suis favorable à la création d’un procureur européen, afin de mieux lutter contre la délinquance transnationale, mais je précise que cette fonction ne serait pas similaire à celle des procureurs français. S’il parvient à affirmer sa crédibilité, Eurojust pourra jouer ce rôle.

Les situations nationales en matière de durée des procédures de justice sont très variables dans l’Union européenne. Il faut opérer des distinctions selon les contentieux. Ainsi, en France, la procédure de divorce est plus longue que dans d’autres Etats membres, notamment en raison de l’obligation de recourir à la conciliation. En revanche, le règlement des différends commerciaux dure plus longtemps dans d’autres pays.

Je souhaite pouvoir disposer d’une évaluation précise des délais pour pouvoir prendre les mesures nécessaires. Des progrès ont déjà été accomplis et les délais moyens ont été réduits de plusieurs mois. Il faut poursuivre ce mouvement dans les juridictions pénales, civiles, commerciales et dans les prud’hommes, où les délais restent trop longs. Plusieurs solutions sont envisageables : le développement de la conciliation et de la médiation, afin de ne porter au contentieux que les cas les plus complexes, mais aussi la dématérialisation. J’ai bien conscience du problème que représente la lenteur de la justice pour nos concitoyens et je suis donc déterminée à agir.

Dans un même esprit, le problème des coûts de traduction et d’interprétation est effectivement une de nos préoccupations, d’autant que la traduction est prévue dans notre droit pénal et dans notre code de procédure pénale. C’est un travail que nous devons continuer. Il existe des moyens de traduction automatique qui pourraient être utilement utilisés pour des documents.

S’agissant de notre engagement en matière de droit international privé, je souligne à nouveau que la question du droit continental est un problème essentiel. Tout le monde doit comprendre que le droit est essentiel à la démocratie. Un droit international proche du nôtre nous donne un avantage considérable. D’où notre volonté de faire rayonner le droit continental. Nous avons pour cela une fenêtre de tir mais elle ne va pas durer longtemps. On constate déjà que les pays les plus touchés par la crise sont en train de repartir comme avant, que les pays qui étaient dotés d’un droit « ultralibéral », bien qu’ils aient eu très peur, sont tentés d’y revenir. Il y a donc une action à mener rapidement. C’est pourquoi je multiplie les contacts et les déplacements dans différentes régions du monde, le Moyen-Orient, les pays du Golfe, l’Asie, des lieux où il y a des possibilités de développement importantes, ainsi que l’Amérique latine, dont les origines latines induisent des conceptions du droit et de la société proches des nôtres mais qui subissent la pression des Etats-Unis vers le droit anglo-saxon, surtout en matière de droit des affaires.

Pour cela, il faut s’appuyer sur des hommes et donc sur les professions, sur toutes les professions juridiques. Il faut en Europe multiplier les formations croisées de magistrats, d’enseignants du droit. Au Qatar nous menons avec l’université de Paris-I un projet de « reproduction » de la bibliothèque Cujas, pour développer des moyens matériels et des programmes d’échange. J’ai demandé à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) que le nombre de places pour les élèves magistrats étrangers soit accru, idéalement jusqu’à atteindre 25 ou 30 % des effectifs. Il faut envoyer des magistrats à l’étranger mais pas seulement dans les Etats de l’Union européenne, et pas seulement des magistrats. Le rapport Darrois ouvre des pistes à exploiter. Les notaires ont d’ores et déjà une action internationale, notamment en Chine. A cet égard, nous voulons qu’il soit possible d’effectuer des actes authentiques français dans les ambassades de France.

M. Jacques Myard. C’est déjà possible !

Mme Michèle Alliot-Marie. Non, actuellement, ce n’est pas possible. Nous allons donc inclure cette réforme prochainement dans un projet de loi. Ceci contribuera également au rayonnement de notre droit, car cela ne concernera pas seulement les relations juridiques entre ressortissants français. Les avocats doivent eux aussi multiplier les contacts à l’étranger. Certes, la France manque de grands cabinets d’avocats capables de rivaliser avec leurs homologues anglo-saxons. Pour y remédier, il faut permettre des apports capitalistiques, et il faut convaincre les entreprises françaises de jouer le jeu et de s’adresser à des cabinets français.

Enfin, la défense de la langue française est effectivement un problème. Nous essayons de le régler, avec le soutien du Quai d’Orsay. Il sera notamment nécessaire que les magistrats non français passant par l’ENM suivent au préalable des cours spécifiques et intensifs de français. Un tel effort est à généraliser, notamment pour la défense du français au sein de l’Europe. A cet égard, il est indispensable de toujours s’exprimer en français lorsque l’on prend part à des réunions européennes. On constate d’ailleurs que lorsque des Français le font, des participants venant des pays d’Europe de l’Est ou du Portugal les imitent. Il y a en Europe beaucoup plus de francophones qu’on ne le pense !

M. Michel Herbillon. Madame le ministre, je suis sensible à vos propos sur le droit continental face au droit anglo-saxon. Le français est la langue du droit en Europe, il y a urgence pour développer son usage. Le recul du français date du « petit élargissement » de 1995, et ce recul se poursuit inlassablement. Votre préoccupation touchant le droit continental est très compréhensible. Certes, il y a en Europe des pays où l’on parle le français, mais c’est de moins en moins vrai aujourd’hui dans les jeunes générations. Je suis également d’accord avec vous s’agissant de l’intégration de la langue française dans les formations.

Le programme de Stockholm prévoit que les Etats apporteront une réponse commune en matière de migrations. Est-ce un prolongement du Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté sous présidence française, ou faut-il y voir le signe que celui-ci était insuffisant ?

Le programme de Stockholm prévoit également un élargissement de l’espace Schengen, qui compte aujourd’hui vingt-deux Etats membres et trois Etats associés. Quel élargissement est envisageable et avec quel calendrier ?

Vous avez évoqué le problème de la communication sur une Europe plus proche des citoyens. Les sujets que vous avez évoqués préoccupent beaucoup nos concitoyens. En tant que ministre d’Etat, garde des Sceaux, vous pourriez prendre des initiatives vis-à-vis de vos homologues européens pour faire de la pédagogie et de la communication auprès des citoyens de manière régulière et non pas seulement avant une élection ou un referendum.

M. Daniel Garrigue. De nombreux domaines du programme de Stockholm dépendent de votre ministère. Ces dernières années ont marqué peu de progrès ; quelles sont vos priorités au sein de ce programme ? En matière de coopération policière et judiciaire dans le domaine pénal, quelles sont les possibilités d’accélération, notamment en termes de coopération renforcée ? S’agissant des difficultés existantes en matière de preuves, une décision-cadre a été adoptée le 18 décembre 2008 relative au mandat européen d’obtention de preuve ; pensez-vous que la transposition de ces dispositions pourra intervenir dans le délai prévu qui expire en janvier 2011 ? Quant au « Parquet européen », ce n’est pas quelque chose de purement abstrait : le traité de Lisbonne prévoit la possibilité de le mettre en place pour la protection des intérêts de la Communauté, et rien n’empêche ensuite d’élargir ses compétences. Votre conception d’une telle institution est-elle inspirée du Parquet français ?

M. Jacques Myard. Madame le ministre, ce que vous proposez est gigantesque et prendra des siècles ! Sur l’opposition entre droit continental et droit anglo-saxon, commençons par balayer devant notre porte : les grands patrons, les banquiers, en Europe, se réfèrent trop souvent dans les contrats à la loi de l’Etat de New York ! Les représentants français des banques et des assurances, lorsqu’ils se rendent à Bruxelles, s’y expriment en anglais, comme le fait aussi M. Jean-Claude Trichet ! Ce sont des cervelles lavées !

Tous ces problèmes viennent de la définition du droit de la concurrence. Au préalable il faut modifier la rédaction des articles 101 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Supprimer l’exequatur ? De grâce ! Peut-on se permettre d’avoir confiance dans les tribunaux de tous les autres pays européens ? On peut dans certains cas avoir des doutes sur leur capacité de juger objectivement. Prenez garde à ne pas épuiser votre énergie sur des sujets insolubles.

Aux Etats-Unis le droit international privé se pratique quotidiennement entre Etats fédérés. En Europe il existe aussi. Appliquons d’abord les règles telles qu’elles existent. La Cour européenne des droits de l’homme rend 2000 arrêts par an, et sa jurisprudence correspond à neuf dixièmes des solutions que vous préconisez. Or l’Union européenne va adhérer à la CEDH.

Mme Michèle Alliot-Marie. M. Herbillon, je souscris à votre position sur la défense du français. S’agissant du Pacte sur l’immigration et l’asile et du programme de Stockholm, nous avons obtenu lors du dernier Conseil « JAI » un consensus qui va permettre d’évoluer vers une meilleure coordination. Certes, ce n’est qu’un accord théorique, qu’il faut maintenant mettre en pratique.

En ce qui concerne Schengen, le problème central est celui de la confiance. Il faut que les pays qui souhaitent intégrer l’espace Schengen en acceptent les contraintes et que nous ayons confiance dans leurs capacités de mise en œuvre. Pour cela, il faut mener une évaluation de leur volonté et de leurs moyens. Je ne veux ni citer des pays ni parler d’une échéance. Nous souhaitons l’élargissement de cet espace, mais en posant l’exigence d’une évaluation préalable permettant de garantir l’efficacité du système.

Je suis entièrement d’accord avec vous sur l’élaboration nécessaire d’une voie politique de communication. C’est ma préoccupation depuis plus de quinze ans. On ne parle de l’Europe aux citoyens que tous les dix ans, et de manière procédurale. Or le divorce, les vols, les contraventions, sont des réalités quotidiennes. Il faut pouvoir dire quels sont les moyens, les procédures, les décisions prises à l’étranger. Le problème est celui du support de cette communication. Il est regrettable que les médias ne s’intéressent qu’aux cas posant problème, et pas assez aux solutions. Les débats parlementaires peuvent contribuer à cette stratégie.

Les priorités qui sont les miennes en matière pénale, sont, sur le fond : la lutte contre les grands trafics – en premier lieu le trafic de drogue, qui a des conséquences considérables dans notre pays mais aussi les trafics d’êtres humains, le trafic d’armes ; contre le terrorisme, bien sûr ; contre l’utilisation des nouvelles technologies à des fins criminelles, qu’il s’agisse de la pédopornographie ou des escroqueries sur Internet ; contre les violences dans le domaine du sport. Une action efficace passe aussi par l’amélioration des procédures, grâce à une collecte de preuves, efficace à l’échelle de l’Union, ainsi qu’au travers d’un certain nombre d’autres garanties procédurales.

S’agissant de la transposition du texte sur le mandat européen d’obtention de preuve, je constate qu’une volonté commune d’aboutir existe, qui devrait encourager des transpositions assez rapides. Je vais d’ailleurs demander à ce que, au début de chaque réunion du Conseil « JAI », soit présentée un état des lieux des différentes transpositions réalisées dans chaque Etat.

Pour le Parquet européen, nous partons de situations nationales très différentes. C’est une institution que l’on a commencé à créer mais qui n’est pas totalement mûre. Il n’est pas question de faire un décalque du système français ni d’un autre système national. Les Parlements auront là aussi un rôle décisif à jouer en termes d’évaluation.

Pour répondre à M. Myard, il est effectivement nécessaire de faire comprendre aux entreprises qu’il est dans leur intérêt, pour agir dans un environnement de sécurité juridique, d’aider au développement du droit continental. S’agissant de l’exequatur, il y a bien un problème de confiance, tout repose sur la confiance, et il y encore des réticences aujourd’hui. D’où l’importance de disposer de critères d’appréciation.

Mme  Sandrine Mazetier. J’ai beaucoup apprécié la passion mise dans vos réponses. J’éprouve cependant un certain malaise devant votre vision très franco-française de l’équilibre des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Ainsi, M. François Fillon, Premier ministre, vient de se déclarer son indignation, que je partage, sur le nombre très excessif de gardes à vue dans notre pays. Celles-ci vont-elles continuer à être aussi nombreuses notamment par rapport aux autres pays ?

Dans cet esprit, croyez-vous que la très répressive loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI 2) soit réellement compatible avec les priorités que vous défendez pour le programme de Stockholm ?

L’espace Schengen va s’agrandir mais un certain nombre de pays de l’Union européenne vont rester à l’extérieur, comme par exemple le Royaume-Uni. Des difficultés vont donc demeurer en matière de politique de l’immigration qui entraîne des coûts pouvant être très importants.

Quel est votre point de vue sur le Règlement de Dublin II en matière d’asile et d’accueil qui fait l’objet de très fortes critiques en Europe ? Va-t-on continuer à renvoyer les personnes dans les pays par où elles sont entrées en Europe, où leur demande d’asile peut ne pas être acceptée et leur durée de détention indéterminée ?

Nous nous associons à la défense du droit français et continental. L’absence actuelle de politique européenne de l’immigration va entraîner le renforcement de Frontex. Compte tenu de la situation budgétaire actuelle, ne faudrait-il pas mieux consacrer les ressources à la coopération européenne en matière de justice et d’enquêtes plutôt qu’à Frontex ? La politique européenne actuelle en matière d’immigration n’est-elle pas contradictoire avec la volonté d’augmenter le rayonnement européen qui devrait à l’inverse nous conduire à accepter dans nos pays plus d’étudiants étrangers ?

M. Pierre Forgues. J’ai beaucoup apprécié votre conviction et vos talents pédagogiques mais l’étendue du chemin en la matière est telle qu’il faudra certainement encore beaucoup d’années pour progresser. Je reconnais bien entendu que la justice est indépendante en France et qu’elle ne peut être partisane. Les citoyens français ont déjà tellement de mal avec le droit français qu’il faudrait que le droit européen se contente dans un premier temps de s’appliquer efficacement à des situations concrètes et limitées comme les divorces transfrontaliers ou les problèmes financiers. Il doit en être de même avec le droit prud’homal où il faudrait connaître le droit applicable aux entreprises étrangères exerçant des activités en France avec leur propre personnel. Je suis favorable aux coopérations renforcées mais ne trouve en rien qu’elles soient facilitées par le traité de Lisbonne, qui maintient le monopole d’initiative de la Commission et le recours exclusif aux institutions européennes.

L’Ecole supérieure européenne de justice est une bonne initiative mais les magistrats français exerceront-ils à l’étranger et les magistrats étrangers en France ? Quelle sera l’équivalence des diplômes? Les citoyens français faisant déjà difficilement confiance à leur justice, on peut douter qu’ils accordent du crédit à une justice européenne avant longtemps. Enfin, je ne pense pas que le français se renforcera en Europe à partir du droit européen.

M. Didier Quentin. Quel sera le rôle des Parlements nationaux dans l’évaluation d’Eurojust ? Pourquoi la Suède s’oppose-t-elle à la proposition de règlement sur les divorces ? Qui fera comprendre aux citoyens européens le projet de la Présidence espagnole en matière de sécurité intérieure commune ?

Des progrès doivent être faits vers le droit européen, mais il est d’abord nécessaire de faire des efforts en matière d’enseignement du droit dès le secondaire dans le cadre des cours d’instruction civique pour apprendre aux élèves comment fonctionne notre système judiciaire qui concernera chacun tout au long de sa vie.

M. Michel Diefenbacher. Comme cela s’est vu au Conseil européen des 11 et 12 décembre dernier, il y a un contraste entre la volonté de progresser vers un système juridique unique et le maintien de situations extraordinairement différentes dans chaque Etat. Faire converger ces droits différents représentera un travail considérable. Il ne sera pas possible de tout faire en même temps et il faudra donc faire des choix. Je ne perçois pas à Bruxelles une hiérarchie très claire des priorités. Le droit international privé est très important aujourd’hui car il permet de régler les difficultés, notamment en matière de famille. Il faut avoir une approche semblable pour d’autres droits comme, notamment, le droit commercial. En tout état de cause, il faut savoir définir des priorités concrètes. En matière d’immigration, les préoccupations des Etats sont différentes. Il faut adopter en la matière une politique souple et modulée et progresser vers une convergence des systèmes juridiques, à l’image de notre ambition de nous doter d’une politique d’asile commune en 2012.

Mme Michèle Alliot-Marie. J’ai souvent dit que le nombre de gardes à vue était excessif. Cette procédure n’est pas utilisée pour ses finalités premières, les besoins de l’enquête. La future loi de procédure pénale permettra d’avancer, notamment, de ce point de vue en encadrant son utilisation. La LOPSI 2 est parfaitement compatible avec le programme de Stockholm. L’action conduite pendant la présidence française de l’Union européenne a été cohérente avec le souci de développer et d’assurer la sécurité des citoyens. L’application des accords de Schengen entraîne en effet des coûts supplémentaires quand il faut renvoyer des gens vers des pays extra européens. La responsabilité des pays européens d’accès doit rester entière. Des difficultés tenant à des situations particulières peuvent exister, par exemple le Portugal avec des citoyens brésiliens, mais ces données particulières sont prises en compte quand l’accord de Schengen est étendu.

Les étudiants de 3e cycle n’ont pratiquement pas de problèmes d’accès aux autres Etats quand ils ont réellement la volonté de suivre des études. Je suis favorable à ce que les étudiants étrangers se forment en France mais ils peuvent aussi le faire dans les autres pays européens.

L’aspect concret du droit est une de mes préoccupations majeures. Le conflit de lois est un problème réel car il s’agit d’une sécurité élémentaire pour une personne de déterminer rapidement quelle est la loi nationale applicable, par exemple en matière de succession. L’existence d’un droit européen serait très positive mais convenons qu’elle prendra du temps.

Les conditions posées par le Traité de Lisbonne concernant les coopérations renforcées ne sont en rien rédibitoires. Il suffit en effet de réunir 9 pays sur 27 pour engager une action commune.

Je suis en train d’étudier l’organisation de stages à l’étranger, d’une durée de 2 à 3 ans, pour les magistrats français, au cours desquels, ils ne seront pas amenés à juger mais à participer à une juridiction pour s’imprégner des réalités locales. Le droit européen est déjà enseigné à l’Ecole nationale de la magistrature.

Je reviens sur ce point, mais il est important. Les parlements nationaux mais aussi le Parlement européen seront pleinement associés à l’évaluation d’Eurojust.

En matière de divorce, la Suède refuse que ses tribunaux appliquent des lois étrangères. Il y a aussi une divergence importante résidant dans le fait qu’il est possible, dans ce pays, de divorcer sans donner de raison, ce qui s’oppose fondamentalement au reste de l’Europe.

La présidence espagnole va essayer d’avancer dans des domaines concrets qu’il sera possible de généraliser à toute l’Europe, en s’inspirant de mesures déjà applicables comme les équipes communes d’enquête. Il faut certainement expliquer le fonctionnement du système judiciaire mais, avant cela, il faut le comprendre. J’ai donc décidé de mettre en place une importante action visant à rapprocher les Français de leur justice. Des forums où les citoyens pourront rencontrer les membres des différentes professions judiciaires seront organisés d’ici l’été.

En matière de convergence du droit européen, il faut évaluer les domaines où on peut avancer le plus facilement, le meilleur terrain pouvant être celui des entreprises dans la mesure où elles sont habituées à travailler au niveau international. Il faut aussi profiter des situations exigeant des solutions urgentes comme en matière de garde d’enfant plutôt que de raisonner par grande catégorie de droit. Le droit a naturellement des aspects purement techniques, mais il faut dépasser cette approche en faisant un effort pour voir les réalités culturelles derrière les difficultés. C’est ainsi que l’on pourra avancer.

Le Président Pierre Lequiller. Je souhaite vous remercier très vivement pour toutes les précisons apportées et pour votre démarche. Ma conviction est qu’elle est la meilleure pour avancer sur tous ces sujets, qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens.

II. Examen du rapport de Mme Anne Grommerch et de M. Christophe Caresche sur la proposition de résolution no 2168 visant à introduire la « clause de l’Européenne la plus favorisée » et sur la proposition de résolution no 2261 visant à promouvoir l’harmonisation des législation européennes applicables aux droits es femmes suivant le principe de la « clause de l’Européenne la plus favorisée »

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Il s’agit d’harmoniser le droit des femmes suivant le principe de la clause de l’Européenne la plus favorisée. C’est une idée qui a été lancée par Mme Gisèle Halimi en 1979. Elle est intéressante car elle consiste à identifier la plus favorables aux femmes dans la législation de plusieurs pays et à essayer de la porter au niveau européen.

Le contexte s’y prête avec la présidence espagnole de l’Union européenne, qui a inscrit parmi les priorités de son agenda l’égalité entre les femmes et les hommes. L’Espagne a fait beaucoup sur la lutte contre les violences faites aux femmes, avec une législation spécifique.

Concrètement, il s’agit de définir au niveau européen des outils juridiques dans la perspective de faire évoluer le droit en faveur des femmes, notamment grâce aux apports du traité de Lisbonne. L’objectif est de parvenir à l’harmonisation la plus élevée.

Mme Anne Grommerch, co-rapporteure. Il s’agit effectivement de mettre en application une idée émise en 1979 par Mme Gisèle Halimi et toujours défendue par elle ainsi que par Choisir la cause des femmes.

La clause de l’Européenne la plus favorisée est un mécanisme à la fois simple et ambitieux.

La démarche consiste d’abord à comparer les différents dispositifs qui assurent aux femmes une protection contre les discriminations dans chacun des pays européens, et à identifier les plus efficaces, à savoir ceux qui assurent le niveau de protection le plus élevé.

Elle vise ensuite à insérer ceux ainsi sélectionnés dans les règles juridiques applicables et à prévoir les conditions de leur mise en œuvre effective.

Cette démarche de mieux disant, d’harmonisation systématique vers le haut, de synthèse des meilleures lois s’appuie sur deux éléments.

D’abord, on observe une persistance des inégalités, des discriminations et des violences au détriment des femmes en dépit des acquis du XXe siècle, notamment ceux de ses 40 dernières années et de l’intervention de nombreux textes communautaires.

Il y a d’abord une telle persistance en matière d’emploi. Comme le rappelle le rapport de la Commission européenne du 18 décembre dernier sur « l’égalité entre les femmes et les hommes – 2010 », les femmes restent défavorisées en Europe en termes de taux d’emploi, c'est-à-dire d’accès à l’emploi, de rémunérations, d’heures de travail, de postes à responsabilité, de partage des responsabilités familiales et de pauvreté.

Ensuite, les femmes sont encore victimes de ce qu’il y a de plus brutal et de plus primitif dans la discrimination : la violence physique. Elles sont également victimes de l’essentiel des comportements de harcèlement.

Enfin, les femmes ont moins accès que les hommes à l’exercice des mandats et des responsabilités publics.

Par ailleurs, la lutte contre les discriminations fait l’objet de dispositions renforcées avec le traité de Lisbonne. Les dispositions antérieures qui permettent l’intervention de textes communautaires en la matière ont été maintenues.

En outre, l’article 10 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne contient une clause dite transversale qui impose de prendre en compte la lutte contre les discriminations dans toutes les politiques et actions de l’Union, dans leur définition comme dans leur mise en œuvre. Toutes les causes de discrimination sont citées, notamment la discrimination selon le sexe. C’est la mise en œuvre du mécanisme dit de « mainstreaming ».

Enfin, l’Union européenne dispose dorénavant d’une agence spécialisée, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, à Vilnius, qui a été inauguré le 16 décembre dernier.

Pour mémoire, il faut rappeler l’action complémentaire du Conseil de l’Europe, développée dans le rapport.

Dans ce contexte, la proposition du groupe socialiste a trois objectifs.

Le premier vise à soutenir les actions de la présidence espagnole de l’Union européenne au premier semestre 2010, et y associer les parlementaires. La Présidence espagnole a, en effet, inscrit l’égalité des genres à son agenda, parmi les quatre grandes priorités de son programme. Elle ne se limite d’ailleurs pas à ce qui relève du chapitre Egalité et non Discrimination. Elle retient une approche transversale en mentionnant l’égalité des genres lorsqu’elle évoque notamment la nouvelle stratégie pour la croissance et l'emploi, intitulée « Europe 2020 », la politique extérieure et de sécurité commune, la coopération pour le développement et l’aide humanitaire, l’emploi, la politique sociale et l’agriculture.

Les deux autres objectifs visent à appliquer la démarche de l’Européenne la plus favorisée au niveau national et au niveau européen.

La proposition présentée par le groupe GDR est antérieure, mais son dispositif est moins détaillé. Elle ne mentionne que le seul niveau européen.

Ces propositions de résolution sont intéressantes et peu contestables sur le principe.

Néanmoins, il faut éviter toute prise de position prématurée au regard du calendrier européen. En d’autres circonstances, s’il avait été possible de reporter cet examen à une date ultérieure, les conclusions auraient pu être différentes. En effet, la clause de l’Européenne la plus favorisée a déjà fait l’objet d’une tentative inscription à l’Agenda européen, sous présidence française, de la part de Mme Valérie Létard, secrétaire d’Etat chargée de la solidarité, et n’a pas reçu l’écho que l’on aurait souhaité. Certains pays sont réticents.

Dans de telles circonstances, la faisabilité d’une démarche vient d’être mise à l’étude, en liaison avec Mme Halimi, avec d’ailleurs l’hypothèse d’un traité entre quatre Etats : la Belgique, l’Espagne, la Suède et la France.

Un groupe de travail interministériel a été constitué. Il s’agit d’étudier la faisabilité du projet avec deux dimensions. Ses conclusions sont prévues pour le mois de mars.

La première difficulté soulevée par les propositions de résolution est d’ordre diplomatique. Il faut voir comment la démarche qu’elles impliquent pourrait au mieux s’articuler avec la dynamique européenne en la matière, avec notamment une présidence espagnole très dynamique sur la question de l’égalité entre les femmes et la mise en place de l’Institut européen de Vilnius.

La réflexion est en encore cours. Il est difficile de prendre dans l’immédiat des positions trop précises qui donneraient l’impression de préempter par avance les possibilités, les options et les résultats de cette démarche.

La deuxième difficulté concerne les domaines sur lesquels porte la clause de l’Européenne la plus favorisée.

Il y a un exemple qui est très concret, c’est celui de l’interruption volontaire de grossesse. Aujourd’hui, en France, l’IVG n’est possible que dans les 12 semaines. Or, passer à 18 semaines, délai applicable en Suède, supposerait un débat approfondi. Il faut notamment souligner qu’un tel délai de 18 semaines pourrait permettre de sélectionner le sexe de l’enfant. Menée sur la base d’une clause automatique sans débat préalable, une telle réforme peut aboutir à des situation compliquée de déséquilibre entre les garçons et les filles telles qu’on les connaît en Chine et en Inde.

Par ailleurs, il y a également la question de la pénalisation du recours à la prostitution (le client commet une infraction pénale en Suède) ou encore celle de la parité, dont certains aspects sont inscrits dans la Constitution en Belgique, et pas en France.

Dans de telles circonstances, il convient de rejeter les propositions présentées, car prématurées sur le plan diplomatique et exigeant des études approfondies, sur des questions très sensibles.

Le Président Pierre Lequiller. Je comprends que la difficulté ne porte pas sur l’objectif ni sur l’intention, mais sur le calendrier.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Je perçois la nature des arguments avancés. Une démarche est en cours. La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est-elle saisie ?

Mme Anne Grommerch, co-rapporteure. J’ai évoqué ce dossier avec sa présidente, Mme Marie-Jo Zimmermann.

Le Président Pierre Lequiller. Je l’ai également fait.

La Commission a ensuite rejeté les deux propositions de résolution.

La séance est levée à 18 h 45

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 3 février 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Alfred Almont, M. Christophe Caresche, M. Lucien Degauchy, M. Michel Diefenbacher, M. Daniel Fasquelle, M. Pierre Forgues, Mme Anne Grommerch, M. Michel Herbillon, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Delebarre, Mme Arlette Franco, M. Thierry Mariani, Mme Odile Saugues, M. André Schneider

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, Mme Sandrine Mazetier, M. Dominique Raimbourg