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Commission chargée des affaires européennes

mardi 4 mai 2010

17 h 30

Compte rendu n° 146

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des marchés financiers

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 4 mai 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 30

Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des marchés financiers

Le Président Pierre Lequiller. Nous avons de nouveau le grand plaisir d’accueillir M. Jean-Pierre Jouyet, cette fois en tant que président de l'Autorité des marchés financiers, pour évoquer avec lui les réformes engagées ou en préparation au niveau européen, en réponse à une crise financière qui se poursuit, comme le montre la situation de la Grèce. L'Union européenne et le G20 se sont engagés dans la voie de réformes importantes, mais leur rythme est très inégal selon les secteurs et les pays.

En Europe, sont en cours de négociation la création de trois Autorités européennes de supervision – nous avions reçu M. de Larosière à ce sujet – et la proposition de directive dite « AIFM » sur les gestionnaires de fonds alternatifs. Notre commission s'est prononcée sur la future architecture de supervision, sur la base du travail de nos co-rapporteurs, M. Pierre Bourguignon et M. Michel Diefenbacher. Nous avons débattu fin mars des fonds alternatifs avec nos collègues du Parlement européen.

Vous nous donnerez, Monsieur Jouyet, votre sentiment sur ces projets, en particulier sur la future Autorité européenne des marchés financiers. Vous nous direz aussi quelles mesures devraient être prises sur les produits financiers dérivés, sur la prévention et la gestion des crises financières transfrontalières ; ce que devrait être la révision de la directive « MIF » sur les marchés d'instruments financiers ; si la création d’une agence de notation européenne vous semble une idée judicieuse. Enfin, les réformes européenne et américaine de la supervision et de la régulation avancent-elles au même rythme ? Comment améliorer la coopération transatlantique en ces matières?

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF). J’ai aussi grand plaisir à me retrouver parmi vous pour tenter de répondre à vos questions en ce moment critique. Où en est l’Europe financière et qu’est-ce qu’un marché européen ? Telles sont les principales questions politiques qui se posent aux régulateurs.

Aujourd’hui, l’Union européenne demeure un espace où les capitaux et les services financiers s’échangent en toute liberté sur des marchés fragmentés ; comme elles ne sont, pour une part très substantielle, pas réellement contrôlées, ces opérations se font dans une trop grande opacité. L’Union demeure donc un espace où l’on ne sait toujours pas précisément qui achète, quoi, quand ni avec quel argent, où l’application effective des règles communes diffère d’un Etat à l’autre et où les acteurs financiers se livrent une concurrence acharnée pour s’attacher par tous les moyens les meilleurs éléments, pour une utilité sociale qui reste à démontrer.

Cette assez grande désorganisation des marchés profite aux acteurs financiers, notamment les plus puissants, moins aux épargnants et aux entrepreneurs. Or, le rôle du marché, c’est d’orienter l’épargne et les liquidités disponibles pour financer les entreprises et l’investissement. Mais cette vision, assez partagée en France, l’est moins en Europe. Comment corriger cette situation ?

La volonté d’agir existe mais les progrès sont lents. Le renouvellement des institutions européennes a fait que le processus de décision communautaire, peu rapide en soi, s’est trouvé encore ralenti, et peu de législation a été adoptée en matière financière depuis un an. Le calendrier politique, avec les élections à venir au Royaume-Uni et en Allemagne, n’aide pas à presser le mouvement.

M. Jacques Myard. Changeons donc les peuples !

M. Jean-Pierre Jouyet. Or l’Europe doit affirmer son leadership, et ce pour deux raisons.

La première est que toute régulation internationale efficace repose sur la convergence des normes et la reconnaissance mutuelle ; mais cette approche est moins dans la tradition américaine que dans la tradition européenne. Les Etats-Unis, obéissant à des intérêts domestiques légitimes, veulent aussi surveiller, mais ils veulent le faire en fonction de leurs règles et de leur agenda politique propres. Dans certains domaines, l’Europe est en avance sur eux. Ainsi, grâce au rapport de M. de Larosière et aux conclusions du Conseil européen, l’Europe s’est dotée d’un Conseil européen du risque systémique et de trois autorités de supervision, cependant que le système de régulation américain reste très fragmenté. Mais les progrès ont été plus substantiels aux Etats-Unis qu’en Europe pour ce qui concerne le contrôle des ventes à découvert – dont on sait qu’elles encouragent les mouvements spéculatifs –, les infrastructures de marché ou encore les mécanismes de compensation, de centralisation et d’enregistrement. Dans ces domaines, les infrastructures américaines sont plus puissantes que les nôtres. De quelle manière l’Europe va-t-elle articuler ses dispositifs avec ceux des Etats-Unis ou construire ses propres mécanismes pour ne pas être trop dépendante des infrastructures américaines ?

Le plus grave peut-être est qu’au-delà des principes affirmés par le G20, il existe des divergences entre l’Europe et les Etats-Unis sur les modalités d’intervention. Une fois affirmé le principe du contrôle des rémunérations et des bonus, on voit bien que les modalités d’application des décisions prises sont plus concrètes en Europe qu’elles ne le sont aux Etats-Unis où l’autorégulation est encore forte. Cela vaut aussi pour les normes prudentielles : la volonté existe bien, de part et d’autre, de renforcer les capitaux propres des institutions financières, mais de manière différente, ce qui risque de créer une distorsion de concurrence entre les établissements européens et leurs homologues nord-américains. Cela vaut également pour les normes comptables : alors que l’Europe veut y intégrer des éléments de moyen et de long terme – une orientation que, comme les autres régulateurs, j’encourage –, les Etats-Unis demeurent axés sur la valeur de marché, acceptant, en comptabilisant les actifs au jour le jour, que la valeur des entreprises varie quotidiennement. Il y a là une différence d’approche fondamentale.

Il importe donc que l’Europe soit unie pour faire valoir en premier lieu le principe de reconnaissance mutuelle dans l’application des orientations décidées par le G20. Mais rien ne se fera si les institutions européennes n’ont pas la volonté forte de faire valoir ce principe et de mettre fin, dans ce domaine comme dans d’autres, à la tradition américaine de l’unilatéralisme. L’Europe doit conduire à ce sujet un dialogue coordonné.

La seconde raison pour laquelle l’Europe doit s’affirmer, c’est que les fonctionnements des économies européenne et américaine sont radicalement différents. L’économie européenne est financée aux deux tiers par le crédit ou l’intermédiation bancaire ; dans un tel schéma, la fixation des normes prudentielles dépend de la manière dont les Etats européens souhaitent financer l’économie à travers le crédit. L’économie américaine, quant à elle, est financée à 80 % par le marché. De ce fait, dans toute négociation portant sur les rémunérations, le fonctionnement des marchés, les règles prudentielles ou les normes comptables, les Etats-Unis privilégient le jeu pur du marché. La divergence d’orientation est manifeste.

Comment, alors, l’Europe doit-elle s’organiser ? Le Conseil européen du risque systémique nous permettra de mieux faire circuler l’information et de mieux coordonner nos politiques de régulation. Les trois agences de supervision – une pour les banques, une pour les assurances et la troisième pour les marchés financiers – doivent en principe voir le jour le 1er janvier 2011, mais je crains quelque retard. Elles devraient permettre de hisser la régulation et la supervision européennes au niveau d’intégration du marché unique.

J’ai été frappé, en accédant à mes fonctions actuelles, de constater que c’est dans le domaine financier que l’on observe le plus grand écart entre le niveau d’intégration et l’organisation des marchés. L’Union s’est dotée d’une politique de la concurrence, d’une politique de protection des consommateurs, d’une politique monétaire – certes imparfaite, ainsi que le montre la crise grecque –, et d’une politique agricole commune. En matière financière, il y a un fossé béant entre le niveau d’intégration et celui de la supervision communautaire.

La nouvelle Agence européenne des marchés financiers – elle remplacera le comité informel des régulateurs européens, le CESR, qui n’a ni les moyens ni l’autorité voulue pour aplanir les difficultés d’interprétation entre les Etats membres – doit pouvoir superviser les entités paneuropéennes par nature, telles les agences de notation. Jusqu’au moment où l’Autorité européenne entrera en vigueur, chaque régulateur national sera chargé de l’enregistrement de ces agences sur la base d’un règlement très précis. Il reviendra également à cette agence de coordonner la surveillance et le traitement des risques systémiques de marché, d’harmoniser les règles qui s’appliquent aux acteurs, aux structures et aux pratiques, d’assurer enfin un niveau de protection homogène aux consommateurs des produits et services financiers.

Je souhaite que les trois agences dont la création a été décidée par le Conseil européen en juin 2009 opèrent très vite, mais l’on se heurte aux retards pris dans l’élaboration de la législation européenne, et je crains que cela ne se fasse pas avant le premier trimestre 2011. J’entrevois donc une période de transition difficile à gérer.

Quoi qu’il en soit, grâce à cette nouvelle architecture de supervision, l’Europe devrait avoir demain les moyens de ses ambitions. Quelles doivent alors être ses priorités ? D’abord, il lui faut fermement mettre en œuvre les recommandations du G20. La première touche à la standardisation, à l’enregistrement et à la compensation des dérivés échangés sur les marchés de gré à gré. Nous participons activement à la réflexion lancée à ce sujet. Il nous faut, je l’ai dit, combler certains retards pris par rapport aux Américains, mais il n’y a pas que cela. Reprenons l’exemple grec : les régulateurs nationaux, interrogés sur les flux de CDS sur la dette souveraine de la Grèce, ont été incapables de donner une réponse globale. On ne savait ni qui opérait ni quels étaient les mouvements. Aurait-on eu une vision de la situation autre que parcellaire, on aurait pu envisager de « refroidir le marché » en mettant fin à ce qui pouvait être assimilé à des manipulations de cours. Mais, faute de vision d’ensemble, il n’a pas été possible de le faire ni de prendre des sanctions. La crise grecque a mis en évidence une très grave faiblesse.

Ensuite, nous souhaitons que l’enregistrement et la compensation des contrats de dérivés libellés en euros soient faits dans le cadre de la zone euro. Il y va là encore de notre influence stratégique et industrielle par rapport à nos partenaires anglo-saxons non membres de la zone euro. Il y a là un facteur politique important, qui explique certaines résistances.

La deuxième négociation en cours porte sur le projet de directive sur les gestionnaires de fonds alternatifs, dite directive « AIFM ». Là encore, nous ne serons crédibles que si nous pouvons exciper d’une norme européenne répondant aux objectifs initiaux de supervision efficace du risque systémique et de protection des investisseurs. Votre commission a eu des contacts avec M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur du projet au Parlement européen. Vous savez donc vers quel consensus on s’achemine : les fonds alternatifs extraterritoriaux enregistrés dans un pays membre ne bénéficieront pas automatiquement d’un « passeport européen » leur permettant d’être commercialisés dans toute l’Union. Il me paraît sage que ces fonds puissent être accueillis par une place européenne, mais aussi que l’attribution d’un « passeport européen » se fasse au cas par cas.

Vous m’avez interrogé sur la supervision des agences de notation, sujet d’une extrême actualité. La règle du jeu en Europe est fixée : la supervision commencera dès l’enregistrement des agences, qui ne sera accordé que si des conditions exigeantes sont remplies. Toute la procédure d’élaboration et de publication de la note entrera dans le champ de la supervision, qu’il s’agisse des méthodes utilisées, de la prévention des conflits d’intérêts ou des conditions d’information préalables des entités notées, quelles qu’elles soient. J’insiste sur ce dernier point, car c’est en cela que la supervision européenne se distingue de celle des Etats-Unis ou du Japon : les conditions d’information préalable devront être vérifiées par les régulateurs.

Pour autant, cela ne signifie pas que le régulateur cautionnera les notes des agences ; ces notes traduisent et continueront de traduire des opinions, dans lesquelles le régulateur ne peut s’immiscer. Si l’on veut mieux réguler les notations des dettes souveraines et tempérer l’oligopole privé qui s’est constitué, la meilleure solution serait de créer une agence internationale dotée de capitaux publics et privés, sous l’égide du FMI. Une agence publique européenne manquerait de crédibilité aux yeux des investisseurs américains ou asiatiques, qui détiennent beaucoup de papier européen et financent une grande partie de la dette européenne.

Enfin, l’Europe doit aussi s’interroger sur la manière de faire revenir investisseurs et épargnants au marché. Le régulateur doit montrer qu’il examine la distribution et la commercialisation des produits financiers avec une extrême vigilance. La Commission européenne pourrait s’inspirer des expériences nationales les plus concluantes pour tirer vers le haut l’harmonisation de la protection de l’épargnant européen, qui est en droit, lorsqu’il place son argent, d’attendre une protection identique d’un pays à l’autre, quel que soit le pays d’origine du produit financier – comme c’est le cas quand il achète un jouet ou un médicament.

Nous devons aussi favoriser l’accès des PME aux marchés. En France, elles ont désormais un marché spécifique, Alternext. Il conviendrait maintenant d’élaborer pour elles un « Small Business Act du droit boursier européen ».

La révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers doit être l’occasion de revoir en profondeur l’organisation de ces marchés et leur transparence, en tenant compte de l’impact des nouvelles technologies sur leur fonctionnement. Si nous ne le faisions pas, nous en viendrions au paradoxe suivant : en suivant les orientations du G20, nous parviendrions peut-être à mieux réguler les marchés de produis complexes mais dans le même temps les marchés traditionnels d’actions et d’obligations seraient très fragmentés et de plus en plus opaques.

M. Jacques Myard. Nous avons pris du retard dans la régulation de la jungle financière et tout ce qui tend à imposer des normes plus restrictives à tous les opérateurs va dans le bon sens. Cela étant, ce qui est fait au niveau européen ne suffit pas : une réglementation d’application mondiale s’impose. D’autre part, il ne faut pas, au plan strictement européen, s’en tenir au plus petit dénominateur commun, comme c’est trop souvent le cas en matière de normes. Or, s’agissant de la valorisation des actifs, je présume que nous sommes assez isolés. Nous l’avions déjà été lors de l’adoption des nouvelles normes comptables internationales IAS/IFRS par l’Union européenne – une adoption pourtant scandaleuse, qui nous livrait pieds et poings liés à un organisme américain géré à Washington, avec la complicité active de nos partenaires européens. Quelle est la position des Britanniques sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui ?

D’autre part, comment la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers fonctionnera-t-elle ? Dans un premier temps, quelle autre solution aura-t-elle que de s’appuyer sur les autorités de régulation nationales ?

Notre collègue Daniel Garrigue traitera sans doute du passeport européen pour les fonds alternatifs extraterritoriaux ; je me limiterai à dire que laisser cette idée aboutir serait ouvrir la maison Europe à tous les vents !

J’étais de ceux qui avaient proposé à la Banque de France la création d’une agence publique de notation. Vous considérez que l’idée n’est pas bonne, j’en prends acte. Cela étant, on a accusé les agences de notation de tous les maux parce qu’elles ont dit que la Grèce allait mal et le Portugal et l’Espagne pas tellement mieux. Mais pourquoi ces agences en sont-elles ainsi venues à faire la loi, sinon parce que l’on a interdit au système des banques centrales européennes de faire des avances aux Etats ? Pendant ce temps, la Réserve fédérale américaine prend en pension des bons du Trésor américain ! On ne peut reprocher à des investisseurs privés de savoir où ils mettent les pieds, alors que, on le sait très bien, la Grèce sera incapable de rembourser les prêts qui lui sont accordés !

C’est un mauvais procès que l’on fait cette fois aux agences de notation – je le dis avec d’autant plus d’aise que je les avais montrées du doigt lorsqu’elles se livraient à un chantage scandaleux à l’égard de certaines entreprises qu’elles menaçaient de mal noter si elles n’achetaient pas leurs études. Ce qui est néfaste, c’est le système de l’euro et, au motif de la lutte contre l’inflation, l’interdiction faite au système des banques centrales de faire des avances aux Etats qui sont « dans la mouise ». Plus largement, pourquoi les Etats qui investissent devraient-ils emprunter sur les marchés alors que l’on est dans une optique de service public ?

M. Philippe Armand Martin. La crise grecque, qui fragilise à nouveau les marchés financiers, ne laisse pas d’inquiéter, si bien que, lorsqu’il a fallu venir en aide à nos amis grecs, on a perçu frilosité et cacophonie. Pouvez-vous de quelque manière nous donner des indicateurs fiables qui rétabliraient la confiance de nos concitoyens ?

M. Michel Delebarre. Tout cela est très complexe et très tordu. Je retiens de vos propos que le G20 multiplie déclarations et affirmations de principe. Je suis heureux d’entendre dire que les choses se passeront ainsi que vous les avez décrites … jusqu’au moment où je comprends entre les lignes que vous « ramez » furieusement pour faire avancer une barcasse encore arrimée à quai et qui ne donne pas le sentiment de pouvoir avancer aussi rapidement qu’il le faudrait. Qu’en est-il vraiment ? La barcasse est-elle effectivement encore arrimée à quai ? Y a-t-il un consensus européen pour faire bouger les choses ? Je ne suis pas convaincu que le résultat probable des prochaines élections au Royaume-Uni y aidera ; n’y a-t-il pas une complicité objective entre la place de Londres et les Etats-Unis ? Dans tous les cas, il faudra des délais supplémentaires, ainsi que vous l’avez dit.

Par ailleurs, pourquoi avoir compliqué le dispositif en créant trois agences de supervision ? Serait-ce que l’on a voulu répartir les instances de décision entre différentes villes ?

Dans l’entretien que vous avez accordé à La Tribune, vous dites que « l’une des forces de l’Europe par rapport aux Etats-Unis, ce sont les résultats des travaux de Jacques de Larosière sur la future architecture de surveillance européenne ». Le rapport de Larosière, « une des forces de l’Europe », vraiment ?

Dans le même ordre d’idée, on ne peut pas dire que la ligne Maginot, pourtant plus impressionnante, ait tenu toutes ses promesses. Outre qu’elle paraît très difficile à mettre en œuvre, quelles garanties nous apporte l’architecture proposée ?

Quand le Parlement européen a rejeté l’accord SWIFT visant à autoriser les transferts de données bancaires européennes aux Etats-Unis, la réaction de ces derniers a été : « Et pourquoi ne feriez-vous pas une nouvelle lecture de ce texte, qu’à l’évidence vous n’avez pas bien compris ? » L’Union ne risque-t-elle pas de s’entendre faire pareille réponse la première fois où elle dira clairement ce qu’elle veut en matière de supervision financière ?

En bref, à quelle aune jugerez-vous avoir réussi ? Quand pourrez-vous dire : « L’Union européenne fait ce qu’elle devait faire » ?

M. Michel Diefenbacher. Après que la crise financière a éclaté, l’Union européenne et le G20 se sont saisis de la question de la régulation, et l’on a eu le sentiment qu’une prise de conscience s’était faite qu’un dispositif européen nouveau entrerait en vigueur rapidement. Or l’impression, maintenant, est qu’il ne se passe plus rien. Certes, la prise de décision communautaire est intrinsèquement lente. Certes, le renouvellement des instances communautaires, le processus de co-décision et le calendrier politique dans certains pays membres n’étaient pas de nature à l’accélérer. Mais, plus profondément, ce gel ne traduit-il pas de très profonds désaccords ? Si le Conseil européen a adopté le paquet législatif à l’unanimité, l’ampleur des divergences sur les pouvoirs devant être conférés aux trois nouvelles autorités de supervision était frappante. Cela a conduit à l’adoption de rien de moins que quatre règles de majorité différentes en fonction des décisions que ces autorités seraient amenées à prendre : selon les cas, majorité simple, majorité qualifiée, majorité des voix exprimées, majorité simple mais avec une minorité de blocage. Comment surmonter ce problème ? S’agissant par ailleurs des hedge funds, il est certes prudent de leur refuser le « passeport européen », mais cela traduit une méfiance, puisque ce qui est considéré comme valable par un pays de l’Union ne sera pas transposable dans les autres. Cette disposition est donc aussi l’aveu d’un échec.

Dans votre entretien à La Tribune, vous avez des mots sévères à propos de la directive sur les marchés d’instruments financiers, dont vous estimez qu’elle a conduit à trop d’opacité pour ce qui est des émetteurs et à des coûts trop élevés pour les investisseurs. Ces errements sont-ils imputables à la directive, ou à l’usage qui en a été fait ? Comment envisagez-vous sa révision ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Je souhaite vous en convaincre, la nouvelle architecture européenne de supervision constitue un progrès car elle permettra une meilleure circulation des informations entre les régulateurs européens, tant sur le fonctionnement des marchés que sur les risques.

Le Conseil européen du risque systémique permet que les gens se parlent ; la critique que l’on peut lui adresser est de faire la part trop belle au régulateur bancaire.

Pour ce qui est des agences, je partage votre sentiment : plutôt que d’en créer trois, on aurait pu s’en tenir à deux, l’une chargée de la supervision des banques et des assurances – comme c’est le cas en France et aux Pays-Bas et comme ce sera peut-être aussi le cas au Royaume-Uni –, l’autre de la supervision des marchés financiers. Mais, même si le dispositif peut encore être rationalisé, c’est déjà un progrès. Il faut en tout cas disjoindre supervision prudentielle et supervision des marchés financiers pour des raisons de confidentialité en cas de crise systémique. Je pense que l’on a maintenu la distinction entre supervision des banques et supervision des assurances pour des raisons organiques plus que pour des raisons de localisation. Quoi qu’il en soit, il serait dangereux de tout mêler, car on voit trop bien où se situerait le centre de gravité de l’ensemble.

Monsieur Philippe Armand Martin, avec l’Agence européenne des marchés sera définie une règle et mis en place un organe d’arbitrage et de règlement des différends. En cas de désaccords, cette instance décidera des modalités d’application des règles et déterminera qui a raison. En cas de comportement dominant ou de conflits d’intérêts sur un marché, elle sera un régulateur qui dira le droit. C’est là un grand progrès pour l’Europe, qui permettra de combler l’écart entre le niveau de l’intégration et celui de l’organisation financière.

Messieurs Myard et Delebarre, cette nouvelle agence ne sera pas la somme des régulateurs nationaux : elle constituera une entité, avec un président, un comité directeur et un collège plénier. Le président disposera de pouvoirs d’urgence. En cas de mouvements spéculatifs sur un marché, il pourra, en accord avec la Commission, y suspendre les opérations. La dévolution de tels pouvoirs d’urgence au niveau européen est aussi un progrès.

Les retards dans la mise en place de l’Agence ont pour origine des désaccords d’Etats dont la place est grande dans l’organisation financière de l’Europe sur certains transferts de souveraineté à des autorités européennes. Pour ma part, j’espère un accord aussi rapide que possible du Conseil et du Parlement. Malheureusement, les délais risquent d’être un peu longs.

Monsieur Myard, notre position envers les normes comptables n’est pas majoritaire. Les prises de position de la Commission ont cependant freiné l’ampleur de la prise en compte de la « juste valeur de marché » par l’IASB.

Travaillant sur les marchés internationaux, les opérateurs européens nous disent qu’un accord avec les Etats-Unis est indispensable. L’AMF, quant à elle, considère que de bonnes normes, assurant la stabilité financière et la non pénalisation comptable du crédit et du risque pris par les banques, priment sur la mise en place à tout prix d’une convergence sur les valeurs de marché.

Vous avez raison, des progrès substantiels doivent être faits en matière de gouvernance de l’IASB. La Commission et les régulateurs européens doivent être plus présents. Il n’est pas possible de laisser la main à nos amis américains.

A mon sens, un système d’avances ne changerait rien. À l’égard de la Grèce, tout montre que la BCE a assez tôt agi de manière pertinente sur ce qu’on appelle les « collatéraux ». Elle a aussi – on l’a vu hier – rendu éligibles à son refinancement les titres de ce pays, quelle que soit leur notation. Cette dernière décision est fortement novatrice. Le président de la BCE serait sans doute mécontent que ces décisions instituent des avances ; elles sont néanmoins constitutives d’une aide.

Il ne faut pas faire systématiquement des agences de notation des boucs émissaires. La création éventuelle d’un organisme davantage public et soucieux de l’intérêt général doit être conduite au niveau international. Ce sont le FMI et la Banque mondiale qui disposent à cette fin du savoir-faire et des capacités de travail avec les réseaux privés.

Monsieur Myard, le cas des agences de notation est très intéressant pour l’analyse de l’écart entre les orientations et la mise en application pratique. Une législation européenne a été adoptée. Les procédures d’enregistrement vont commencer le 7 juin. Les agences disposent d’un délai de trois mois pour s’enregistrer. Ce n’est qu’après ce délai que les régulateurs pourront s’assurer auprès d’elles, sur place, de leur bonne application des textes : respect de la tenue des documentations, présence dans chaque pays d’un responsable capable de mettre à disposition sur demande les informations prévues. La surveillance effective des agences commencera donc début décembre.

Nous avons besoin de directives européennes : les trois grandes agences sont localisées dans chacun des pays européens, et présentes notamment à Paris, Londres et Francfort. Elles sont en droit de demander un minimum d’organisation.

L’enregistrement des agences, Monsieur Myard, se fera auprès des autorités nationales. La surveillance sera de la responsabilité des régulateurs nationaux jusqu’à la mise en place de l’Agence européenne. C’est alors elle qui assurera régulation et surveillance. Elle ne s’adressera aux régulateurs nationaux que pour des précisions. Par exemple en cas de difficulté sur la notation d’une valeur à Paris, ou à propos d’une entité publique ou privée, elle demandera un rapport au régulateur national.

Messieurs Delebarre et Diefenbacher, les retards que vous avez décrits sont réels. Ils masquent, certes, des divergences et des désaccords entre pays européens. Cependant il s’écoule toujours un délai entre la prise d’une orientation ou d’une décision – multilatérale ou européenne – et sa mise en œuvre effective. La Commission européenne élabore une proposition sur les systèmes de centralisation et de compensation des marchés. Elle devrait être votée. Son application ne pourra néanmoins être immédiate. Pour assurer une meilleure surveillance des marchés des CDS ou des dérivés, il faudra aux régulateurs des moyens supplémentaire, une puissance informatique supérieure à celle des « traders de haute fréquence », qui aujourd’hui échangent du papier sur la base de la nanoseconde. Cela prendra un an ou deux. C’est bien parce que les délais de mise en œuvre opérationnelle sont compris entre dix-huit et vingt-quatre mois qu’un processus politique et législatif européen, une volonté politique forte et toujours présente sont nécessaires.

Monsieur Philippe Armand Martin, des signes positifs peuvent être envoyés non seulement en matière d’architecture, mais aussi d’unification des méthodes de commercialisation et de circulation en Europe des produits d’épargne. Il s’agit de mieux sécuriser les places financières. Non seulement les épargnants, mais aussi les émetteurs doivent se sentir plus en sécurité. Dans mes actuelles fonctions, j’ai rencontré de grands émetteurs – c’est-à-dire de très grandes entreprises européennes – ignorants des opérations conduites sur leurs propres titres. C’est une découverte pour moi. Ces émetteurs ne sont pas informés chaque jour des échanges de leurs titres sur ce qu’on appelle aujourd’hui les dark pools. Il n’est pas non plus demandé d’autorisations pour les échanges de titres d’un émetteur européen entre Bourses non européennes, Singapour et Shanghaï, par exemple. Ces mouvements ne sont surveillés par personne. Eu égard à l’importance de tels marchés pour le financement de l’économie, il y a là une réelle difficulté.

Enfin, Monsieur Diefenbacher, le passeport pour les hedge funds n’est pas un passeport entre pays européens. Il concerne ceux de ces fonds qui sont localisés dans des pays tiers ou des centres off shore. Comme les niveaux d’information et de réglementation ne sont pas les mêmes, il est logique de prévoir des périodes probatoires et d’acquérir une certitude d’équivalence avant de créer des systèmes de passeports. Pour cette raison, je suis favorable à la proposition du Parlement européen : elle traduit l’absence d’une confiance totale et absolue entre les places qui vont délivrer ces autorisations.

Les principes de départ de la directive MIF – concurrence accrue, diminution des coûts – n’étaient pas mauvais par eux-mêmes. C’est l’utilisation qui en a été faite qui est fautive : au lieu d’un baisse des coûts, on a assisté à une diminution de la transparence et à un accroissement de l’opacité.

Nous demandons – c’est mon principal message – que la révision de la directive assure la transparence des marchés et nous permette de savoir comment se forment les prix de marché et la valeur des titres des entreprises – et, globalement, de ce qui est vendu à l’épargnant – et, enfin, d’identifier les acteurs des marchés et leur action.

M. Pierre Forgues. Monsieur le Président, votre engagement, votre technicité ne permettent malheureusement pas à eux seuls de résoudre les difficultés créées par les marchés.

L’économie américaine est financée aux deux tiers par les marchés, et l’économie européenne par le crédit, nous dites-vous. Mais c’est bien sur les marchés que s’obtient le crédit. La différence n’est que théorique. Pour qu’elle cesse de l’être, ne faudrait-il pas séparer banques d’affaires et banques de dépôt ?

Faute de se voir attribuer le passeport européen, les hedge funds pourront obtenir tous les passeports nationaux qu’ils souhaiteront, ou à peu près. Où sera la différence ?

Sur quels éléments fondez-vous le raisonnement aux termes duquel une agence de notation européenne ne serait pas crédible à l’échelle internationale ?

La mise en application de tous les dispositifs, bien complexes, que vous proposez sera sans doute source de progrès. Il reste que dans le domaine du cyclisme, par exemple, au perfectionnement incessant du contrôle anti-dopage répond la progression continue des techniques de dopage. De ce fait, les systèmes antidopage ont toujours beaucoup de retard sur elles ! Vous ne pourrez empêcher que de grands esprits continuent à faire carrière dans la finance, et trouvent des parades innovantes aux dispositifs que vous mettrez en place. Par ailleurs, une action technique n’est efficace que si elle est soutenue par une volonté politique préalable et forte.

L’action des financiers s’exerce à l’échelle mondiale. Pour y répondre, une gouvernance mondiale me paraît utopique. Une gouvernance européenne me semble quant à elle extrêmement difficile à instituer. Depuis le début de la crise, il y a deux ans, quelle action réellement significative l’Union européenne a-t-elle entreprise ? À mon sens aucune.

Y a-t-il selon vous, dans l’Union, une réelle volonté politique de réguler les marchés financiers, au moins à l’échelle de l’Europe ? Si oui, quels pourraient être les termes d’une coopération avec les Etats-Unis pour créer le minimum de convergence indispensable à l’échelle mondiale ?

M. Daniel Garrigue. Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, est foncièrement hostile à un passeport européen pour les opérateurs off shore. Au contraire, le Parlement européen semble glisser vers un compromis, qui me semble un peux dangereux. Vous semblez quant à vous incliner vers les positions du Parlement, mais à certaines conditions. Pourriez-vous nous préciser la nature de celles-ci ?

Au-delà du contrôle sur les opérateurs, ne faut-il pas en établir également un sur les fonds eux-mêmes, lorsqu’ils sont établis hors de l’Union européenne ?

La création de chambres de compensation est-elle la seule solution pour réguler les dark pools, les marchés de gré à gré de produits dérivés ? Si oui, les Américains sont très en avance sur l’Europe : ils disposent déjà de telles chambres. Dans ces conditions, les Européens doivent-ils s’en remettre aux chambres de compensation américaines ou créer la leur ? Cette chambre devra-t-elle se limiter à la zone euro ou inclure la Grande-Bretagne ?

Pendant la crise, vous avez déclaré que la suspension des transactions sur les CDS souverains pourrait être une solution. Pouvez-vous nous préciser les conditions de faisabilité d’une telle mesure, qui serait certainement efficace ?

Enfin, la crise grecque suscite l’idée d’un gouvernement économique de l’Europe. Quelle pourrait être sa configuration ?

Mme Annick Girardin. Monsieur Jouyet, quel bilan tirez-vous de l’élargissement du marché obligataire sur la place de Paris ?

Selon plusieurs commentateurs, du fait d’une nouvelle inquiétude les taux des emprunts obligataires privés sont beaucoup plus bas que ceux des emprunts publics – je juge cette situation anormale.

Enfin, je lis sur mon téléphone portable que les Bourses viennent de clôturer en forte baisse par peur de la contagion de la crise grecque. Un appel de l’Espagne au FMI est partout cité, et nos concitoyens s’inquiètent d’une extension à la France.

M. André Schneider. L’onde du choc que nous avons connu il y a deux ans continue de se propager. L’argumentation la plus souvent entendue en faveur du renflouement de la Grèce est que, faute de colmater la brèche ainsi ouverte, la situation empirera, en s’étendant d’abord aux pays de la péninsule ibérique – nous avons parfois quelques inquiétudes pour notre propre pays. D’autres préoccupations concernent l’euro. Pensez-vous vraiment que les mesures prises et envisagées, à juste titre, pour réguler les marchés – la mise en place d’une « artillerie » et d’une « maréchaussée » – nous permettront de sauver nos finances et garantiront notre capacité à manœuvrer dans le monde qui nous entoure ?

En dépit de tous les outils mis en œuvre, quelques individus ont déjà réussi à « couler », ou presque, les finances mondiales.

M. Hervé Gaymard. À mon avis, la France s’honorerait à mieux écouter les analyses de M. Jacques de Larosière, dont l’audience internationale est considérable.

Au début des années 1980, sous la houlette de Pierre Bérégovoy et Jean-Charles Naouri, la France a modernisé les méthodes d’émission et de gestion de sa dette souveraine. Vu leur archaïsme, c’était indispensable ; cette modernisation a été une sérieuse source d’économies pour le Trésor.

Cependant, au temps des anciennes méthodes, la question de la dette était régulièrement posée en termes politiques. Chaque emprunt de l’Etat suscitait un débat, une polémique – parfois très dramatisée –sur son montant, son taux, ou encore sur les avantages fiscaux qui y étaient attachés.

Depuis la modernisation de l’émission et de la gestion de la dette publique, ce débat a disparu, notamment de la presse. Or, la France emprunte des montants invraisemblables : en monnaie constante, elle a multiplié par 10 ou 100 le montant de ses emprunts. Il y a là pour moi un souci politique. Comment l’ « ancien » débat pourrait-il être instauré de nouveau ?

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le Président de l’AMF, vous avez déjà répondu à nombre de questions, notamment sur les agences de notation, évoquées à l’occasion de la crise grecque. Je partage par ailleurs votre préoccupation sur la nécessité de prévoir les financements et les moyens adéquats pour progresser en matière de gouvernance économique européenne.

L’analyse des causes de la crise financière a fait apparaître deux phénomènes.

D’abord, les banques avaient créé des entités hors bilan, et leur avaient confiées des produits. Lors de la crise, elles ont activé pour elles des lignes de crédits et les ont parfois même réintégrées dans leurs propres bilans. Ce mouvement a fait apparaître que, si le risque était correctement porté par les banques, ces dernières n’avaient pas respecté les exigences en fonds propres qui y étaient afférentes. Il y a donc bien eu contournement de la régulation.

Ensuite, la diversification des risques, pourtant saluée un temps par le FMI – en 2006 notamment – a été un échec. En permettant de diluer les risques entre les investisseurs eux-mêmes, au lieu qu’ils restent concentrés au sein des bilans de quelques banques, la titrisation devait favoriser la stabilité du système bancaire. Or c’est l’inverse qui s’est produit. Comme le propose notre collègue Pierre Forgues, cela ne devrait-il pas nous inciter à travailler sur le cloisonnement des circuits financiers ?

Sur ces deux phénomènes, quelles réponses sont-elles proposées par la directive, les actuelles politiques nationales et, enfin, les négociations relatives à la mise en place de la nouvelle Autorité européenne de supervision ?

M. Jean Gaubert. Alors que la titrisation pouvait être considérée comme une innovation profitable à l’économie, l’application qu’en a faite le secteur bancaire a consisté non seulement à diluer les risques, mais surtout à les rendre opaques. Quelles mesures envisager pour assainir des méthodes qui ont coûté très cher à l’économie, y compris à l’économie française – les banques françaises ont non seulement effectué des opérations de titrisation, mais même acheté des titres aux Américains ?

Au surplus, les banques ont rapidement fait payer à notre économie et à nos concitoyens les conséquences de la crise à laquelle elles avaient largement participé. La très forte baisse des taux de la BCE n’a été répercutée que très partiellement sur ses clients par le secteur bancaire. Celui-ci en a au contraire profité pour augmenter ses marges. Il en avait sans doute besoin. Il s’est ainsi remis à flot en un an et demi, contrastant fortement avec le reste de l’économie.

Enfin, le génie méritant d’être récompensé, le secteur bancaire a récemment inventé un logiciel très performant, qui permet de consulter automatiquement chaque matin les soldes débiteurs des clients, et de facturer ce débit ; selon mes informations, chaque compte débiteur est facturé chaque matin entre 8,10 euros et 10 euros. Il s’agit là de mettre en coupe réglée les consommateurs, notamment ceux qui sont le plus en difficulté.

M. Jean-Pierre Jouyet. Avant de répondre aux questions posées sur les banques, leurs structures et leurs actions – par M. Forgues, M. Gaubert et Mme Karamanli notamment – je dois préciser que l’AMF n’est pas régulateur bancaire. Je ne m’exprimerai donc qu’à titre personnel.

Monsieur Forgues, les banques exerçaient en Europe une activité de transformation des dépôts qui leur étaient confiées en instruments de financement de l’économie. Cette activité nous distinguait des Etats-Unis, où les opérateurs se finançaient directement sur les marchés.

L’idée – même si elle a été proposée par M. Paul Volcker – d’une meilleure différenciation, d’une plus grande clarification des activités des opérateurs bancaires, quelle que soit leur nature, me paraît mériter réflexion, l’exemple de Goldman Sachs le prouve. En revanche, l’action à mener ne doit pas être utilisée par autrui pour affaiblir les appareils de financement de l’économie très performants que nous avons mis quinze ans à bâtir.

La titrisation est une innovation financière positive, qui permet de disposer d’actifs plus nombreux sur lesquels adosser des financements. Elle a été dévoyée par une utilisation trop large, notamment aux Etats-Unis, où ont été titrisés des actifs de ménages très pauvres. Je pense, très objectivement, qu’il faut continuer à utiliser cette technique, mais en l’encadrant mieux. Nous demandons, ce qui n’existait pas auparavant, qu’une partie des titres provenant d’une titrisation soit conservée à l’actif, donc au bilan de l’opérateur qui lance le produit. Les excès de la titrisation sont dus à la déresponsabilisation des émetteurs des titres.

Notre première action à l’échelle européenne a été pour éviter la faillite – nous nous sommes trouvés à un moment en situation de rupture bancaire. Nous avons réussi.

Déterminer les modes de participation des banques selon l’aide qui leur a été attribuée par les contribuables à travers le monde est une autre question. Il faut bien distinguer ce qui ressort de la régulation, de la taxation ou de la mutualisation, des actions à conduire en matière d’encadrement des activités bancaires, notamment en termes de commercialisation – j’ai bien retenu vos propos, Monsieur Gaubert. Il existe aujourd’hui deux autorités de régulation, l’Autorité de contrôle prudentiel et l’Autorité des marchés financiers. L’Autorité des marchés financiers comprend désormais une direction des relations des relations avec les épargnants. Un pôle commun, en charge des relations avec les usagers et les épargnants, a été créé entre l’AMF, la Commission bancaire et la nouvelle Autorité de contrôle prudentiel. Les dossiers d’excès ou de difficultés dans la conduite de commercialisations doivent être portés auprès de ces nouvelles instances. Il faut rétablir la confiance et assurer la sécurité des déposants et des épargnants face aux excès.

Si je comprends la volonté de rendre les agences de notation plus indépendantes et publiques, la nécessité de leur caractère international, Mesdames Girardin et Karamanli, est due au fait qu’un très grand nombre d’investisseurs non européens détiennent de la dette européenne.

Si Monsieur Gaymard n’a pas tort de vouloir politiser davantage les débats sur les émissions de dette, la dette s’est internationalisée, globalisée. Comment reprendre en main, repolitiser, quelque chose qui a pour ainsi dire échappé à un contrôle régalien ? Les deux tiers de la dette française sont aux mains d’investisseurs qui ne résident pas en France. Une majorité de détenteurs de la dette européenne ne sont pas Européens. Je suis néanmoins favorable à un encadrement beaucoup plus strict.

Mes attaches avec le cyclisme m’amènent à penser que, même si le dopage fait des progrès, le contrôle antidopage a mis fin à un certain nombre de pratiques ; les progrès pharmaceutiques ne sont pas une raison pour renoncer au contrôle antidopage ! Il en est de même en matière de régulation financière et de sophistication des produits.

Monsieur Garrigue, la dernière version du passeport connue du Parlement européen, propose, je crois, qu’il ne soit pas accordé à des fonds situés hors de l’Union européenne. Dans ces conditions, la concordance entre la position de la ministre de l’économie et celle du rapporteur est plus forte que sur les propositions en discussion il y a une dizaine de jours encore. Ensuite, pour éviter qu’il ne s’applique à des hedge funds, le passeport ne concerne pas les fonds des pays tiers. Il reste que tout dépendra de la décision du Conseil sur la proposition du Parlement européen. Nous verrons alors où seront les responsabilités !

Les gestionnaires non européens devront respecter le droit européen. Ils seront autorisés puis supervisés par la nouvelle autorité européenne des marchés, directement ou par délégation. Des accords ne pourront être conclus entre l’autorité européenne et des autorités américaines que sur la base du respect des règles européennes.

Comment analyser le dossier des chambres de compensation ? D’abord, pour éviter les risques systémiques, il faut compenser, autrement dit mutualiser les risques entre les différents opérateurs, qui détiennent les contrats et qui effectuent des transactions.

Ensuite, un minimum de centralisation est nécessaire. À cette fin, les produits doivent être suffisamment standardisés, comparables et homogènes quels que soient les marchés : obligataires, d’actions, de dérivés ou autres – je réponds par là également à Mme Girardin. Notre ambition est une standardisation sinon absolue – cet objectif est inaccessible –, au moins aussi poussée que possible ; c’est dans ces conditions que les chambres de compensation seront efficaces.

Enfin, les chambres de compensation ne doivent pas être trop nombreuses : plus elles le seront à travers l’Europe et le monde, plus les risques – que la mutualisation des échanges a pour vocation d’éviter – seront dispersés. Des contrats étant libellés en euros, mon souhait est celui d’une chambre de compensation dans la zone euro. Je retiens de mon expérience qu’en cas de défaut de cette chambre sur des contrats libellés en euros, il ne faudra pas compter sur le gouvernement d’un Etat non membre de la zone euro pour l’aider, pas plus qu’il n’interviendra en matière de risques pesant sur les contrats libellés en euros. Dès lors que je n’ai pas la certitude que le payeur final sera celui qui décidera dans le cadre de l’Agence, ma position est que celui qui paye sur les contrats libellés en euros – la Banque centrale européenne – doit être le responsable de la chambre de compensation. Je souhaite donc qu’il n’y en ait qu’une seule dans la zone euro, et le plus petit nombre possible au sein de l’Union européenne. Le combat ne sera pas facile.

Pour suspendre les CDS – si la volonté s’en était exprimée –, il aurait fallu que ce marché soit doté d’une régulation, par une décision de la BCE, mais aussi qu’il comporte des institutions capables de le centraliser. Cela dit, dans certains cas, quelle que soit la nature de la spéculation ou des manipulations, il vaut mieux « refroidir » les marchés, en leur donnant des signaux, qu’interdire. En effet, avec l’interdiction, le remède est pire que le mal.

Madame Girardin, nous voulons mettre fin aux handicaps de la place de Paris par rapport à d’autres, notamment celle de Luxembourg. À cette fin, nous voulons alléger les formalités, rendre la place aussi rapide que ses concurrentes dans le traitement d’émissions, et relocaliser à Paris le plus de tâches possibles. L’AMF est très décidée. Elle est aidée, je crois, dans cette cause nationale.

L’existence d’emprunts à taux plus bas pour les entreprises que pour les autorités publiques a deux causes. La première est l’évolution aujourd’hui d’une crise financière américaine privée en une crise financière publique. À tort ou à raison, les opérateurs considèrent désormais que le risque systémique fondamental est lié à la croissance de l’endettement public. Dans ces conditions se produit une inversion des courbes ; ici ou dans d’autres pays, notamment dans les pays du Sud, les entreprises peuvent être mieux considérées que les emprunteurs publics, et leur papier pris à des taux plus bas.

À ce jour, il n’y a pas eu d’intervention d’agences de notation envers l’Espagne. En revanche, des rumeurs aidant – le marché n’est pas toujours rationnel –, les primes d’assurance y sont de plus en plus élevées. Je le dis à la représentation nationale, le système fonctionnera de nouveau lorsque les opérateurs financiers – banques et assurances –reprendront du papier d’Europe du Sud, notamment du papier grec. La réalimentation du système après l’intervention des Etats suppose que les institutions financières recommencent à jouer leur rôle.

Monsieur Schneider, je crois vous avoir répondu.

Certes, nos outils ne sont pas parfaits. Cependant, une meilleure structuration des marchés, une meilleure connaissance des circuits de commercialisation de l’épargne, une meilleure transparence nous permettront de mieux maîtriser les situations. Il est pour nous crucial de mieux savoir ce qui se passe.

Madame Karamanli, les travaux internationaux doivent être davantage ciblés sur la transparence de l’information, la conservation par chaque émetteur d’une partie du risque et un meilleur encadrement de l’information délivrée à l’ensemble des usagers et des émetteurs.

En conclusion, je considère que c’est sur ces points là que les progrès doivent être recherchés à l’échelle tant internationale qu’européenne. Ils sont très techniques, mais ils conditionnent l’efficacité du rôle des autorités publiques face aux mouvements de manipulation et de spéculation qui peuvent aujourd’hui attaquer des Etats, après avoir attaqué hier les acteurs privés – sans plus de raison –, et qui menacent le retour à la stabilité économique en Europe.

Pour moi, trois éléments sont essentiels en matière de gouvernance économique européenne : le respect des contrats en matière de stabilité financière et de discipline financière et budgétaire, une meilleure coordination et, enfin, une organisation des Européens pour mettre en œuvre des mécanismes de surveillance de la zone euro et de gestion des déséquilibres.

J’espère que la leçon de la crise grecque a été tirée. De tels mécanismes n’existaient pas jusqu’ici. Des équipes de surveillance doivent être créées dans les différents pays, et nous devons nous assurer de la sincérité des comptes et créer des systèmes de suivi, de monitoring, à l’instar de ce que peut être le FMI à l’échelon international – en tant qu’Européen, je puis vous dire que son intervention n’est pas ce qui m’a fait le plus plaisir.

Je voulais aussi ne pas laisser à Hervé Gaymard le monopole de l’hommage à M. Jacques de Larosière. Comme je l’ai souligné, son rapport a constitué une avancée majeure.

Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le Président, merci pour cette audition passionnante.

La séance est levée à 19 h 10

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 4 mai 2010 à 17 h 30

Présents. - Mme Monique Boulestin, M. Michel Delebarre, M. Michel Diefenbacher, M. Pierre Forgues, M. Jean Gaubert, M. Hervé Gaymard, Mme Annick Girardin, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, Mme Odile Saugues, M. André Schneider

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Piron, M. Gérard Voisin

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue