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Commission des affaires européennes

mercredi 7 juillet 2010

16 h 30

Compte rendu n° 160

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Pierre Mariani, Président du comité de direction de Dexia

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 7 juillet 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

Audition de M. Pierre Mariani, Président du comité de direction de Dexia

Le Président Pierre Lequiller. Nous avons plaisir à accueillir M. Pierre Mariani, président du comité de direction de Dexia. Notre Commission a l’habitude d’auditionner des ministres et des commissaires européens, mais aussi, depuis quelques années, des chefs d’entreprise et des syndicalistes, afin qu’ils nous expliquent comment ils vivent l’Europe.

Je vous prie d’excuser l’absence de la plupart de nos collègues socialistes, retenus par une autre réunion à Strasbourg.

Comment avez-vous vécu vos échanges avec la Commission européenne, qu’il s’agisse de la mise en œuvre des règles européennes de concurrence ou de la restructuration de Dexia ?

Que pensez-vous des efforts de renforcement de la régulation financière européenne et, en particulier, des projets de taxes sur les banques et sur les transactions financières ? Je rappelle au passage que notre Commission a décidé d’engager deux rapports, l’un, de nos collègues MM. Diefenbacher et Bourguignon, relatif à la réglementation financière, l’autre, de nos collègues MM. Herbillon et Caresche, sur la gouvernance économique.

Enfin, quelles seront selon vous les conséquences pour les banques européennes de la réunion du G20 qui s’est tenue à Toronto ?

M. Pierre Mariani. Dexia figurait déjà parmi les entreprises les plus européennes, en raison de la composition de son actionnariat, à dominante franco-belge, et de son activité de financement des collectivités locales. Elle l’est devenue plus encore depuis deux ans, puisque j’ai consacré une grande partie de mon temps à faire valider par la Commission européenne le plan de restructuration défini à l’automne 2008 pour remédier aux grandes difficultés que rencontrait alors la banque.

Cette crise très profonde avait deux causes. D’abord, nous étions très exposés au travers de notre filiale américaine FSA Holding, spécialisée dans le rehaussement de crédit, qui assurait la dette des collectivités locales mais aussi, malheureusement, nombre de structures de titrisation. Cependant, si ce risque était probablement le plus visible, ce n’était pas le plus mortel. Notre vraie difficulté est venue du fait que notre activité dominante n’était plus le prêt aux particuliers et aux collectivités locales, mais la transformation financière pure : en trois ou quatre ans, Dexia avait constitué un portefeuille obligataire de plus de 220 milliards d’euros et s’était implanté à l’étranger, notamment au Japon, en Europe de l’Est, au Mexique et aux Etats-Unis, où, par l’intermédiaire de brokers, nous avons acheté en grande quantité des prêts financés à court terme. À l’automne 2008, les Etats ont dû venir au secours de Dexia, une première fois en recapitalisant la banque aux côtés de se actionnaires historiques. Mais, en prenant mes fonctions, avec Jean-Luc Dehaene, le 8 octobre 2008, lors de mon premier comité de direction, j’ai compris que la banque avait d’abord et avant tout un problème de liquidité et risquait d’être en cessation de paiement le surlendemain.

Le problème a été traité, en premier lieu, par la vente des activités d’assurance américaines, avec une intervention des Etats pour garantir un portefeuille d’actifs restant géré par la banque, puis par l’adoption d’une série de mesures tendant à réduire le besoin de financement à court terme – qui a effectivement baissé de 110 milliards d’euros en moins de dix-huit mois – et, enfin, par la redéfinition du périmètre d’activité du groupe.

Aujourd’hui, celui-ci va mieux. Toutes les difficultés ne sont pas dissipées, certes, mais, depuis le 30 juin 2010, il est complètement sorti des dispositifs de garantie étatiques. Il se finance donc sans concours des Etats et, pour son financement à long terme, recourt aux obligations sécurisées.

Nous avons renoué avec les profits durant cinq trimestres consécutifs et j’espère que le deuxième trimestre de 2010 confirmera cette évolution.

Nous avons donc cédé nos actifs américains et réalisé la plupart des autres cessions de petite taille qui nous étaient demandées. Nous avons considérablement réduit notre besoin de financement et notre dépendance à l’égard des banques centrales. Aujourd’hui, notre endettement auprès des banques centrales est tombé à des niveaux inférieurs à ceux qui prévalaient avant la crise financière.

Les trois formes d’interventions étatiques – garanties sur le portefeuille d’actifs, garanties sur les financements et recapitalisation – nous ont évidemment valu un examen par la Commission européenne. La procédure, qui vient d’arriver à son terme avec la publication des conclusions de la Commission le vendredi 2 juillet dernier, fut assez exemplaire de la manière dont la Commission et les Etats ont traité la crise financière.

Il faut reconnaître que la Commission n’a pas toujours pris l’initiative, et quand elle est intervenue, l’a fait parfois à contretemps, et selon des modalités pas nécessairement appropriées. Face à la situation de crise provoquée par la défaillance de Lehman Brothers et d’autres grandes institutions financières américaines, elle a trop souvent laissé agir les Etats.

Ceux-ci sont intervenus en ordre dispersé, à des moments différents et selon des modalités dépendant de la situation particulière de leurs économies respectives. Les premiers à être intervenus, dans l’urgence absolue, pour éviter l’effondrement de leur système financier, furent la Belgique et, dans une certaine mesure, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Or les règles instaurées pour juger de l’acceptabilité de ces mesures étatiques ont été définies près de deux mois après ces interventions : les Etats ont été jugés selon des règles établies a posteriori.

On a commis en outre une erreur en traitant ce dossier de crise monétaire et financière systémique avec pour seul et unique critère la concurrence.

Premièrement, l’analyse concurrentielle est construite à partir d’un très grand nombre de dossiers d’aides d’Etat et de situations particulières, industrielles principalement. L’alpha et l’oméga de ce type d’approche sont la jurisprudence qui, dans le cas d’espèce, n’était pas toujours l’angle le plus pertinent.

Deuxièmement, cette approche conduit à des situations extrêmement paradoxales et incohérentes. Les premiers pays confrontés à une situation d’urgence ont pris des décisions particulières concernant Dexia, Fortis, ABN AMRO, Royal Bank of Scotland ou Lloyds. Un certain nombre d’autres, dont la France, ayant eu plus de temps pour réfléchir à leur intervention, ont mis sur pied des dispositifs de recapitalisation ou de soutien en liquidités appliqués indifféremment à toutes les banques du pays. Or la Commission a soumis les dossiers particuliers à la direction générale de la concurrence, d’où un certain nombre d’enquêtes approfondies, mais elle a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’engager de telles procédures à l’égard des établissements bénéficiaires de schémas nationaux. Ainsi, de grands groupes français très actifs à l’international ont reçu des concours en capital et des garanties de l’Etat sans être soumis à la moindre analyse concurrentielle. Ces discussions aboutissent à des résultats assez aléatoires, les mesures de restructuration et les degrés de contrainte variant d’un cas à l’autre. Pour ce qui nous concerne, elles ont duré dix-sept mois, d’octobre 2008 à février 2010. Nous nous sommes efforcés d’expliquer notre spécificité mais certaines décisions apparaissent paradoxales si l’objectif est de protéger la concurrence. La Commission a ainsi contraint Dexia à désinvestir de pays comme la Turquie, qui n’avait rien à voir avec la crise, ou encore d’Espagne et d’Italie, où nous ne devons détenir que 10 % des parts de marché et où notre disparition nuira à la concurrence. Nous avons dû aussi réduire notre production dans le secteur des prêts aux collectivités locales alors que nos principaux concurrents européens, en Allemagne, en Hollande, dans tous les pays du Nord, en Italie et dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, sont des acteurs publics jouissant de garanties d’Etat. Dans ces conditions, comment soutenir que les aides d’Etat que nous avons perçues à l’automne 2008 ont pu constituer une distorsion de concurrence ?

Les difficultés n’ont finalement été réglées que grâce à l’engagement de Mme Neelie Kroes, alors commissaire chargée de la concurrence. Mais au terme de ce processus, il apparaît clairement que le problème de concurrence entre établissements financiers n’était pas l’enjeu essentiel, même si des mesures de restructuration étaient évidemment nécessaires pour rétablir la solidité de la banque.

S’agissant du chantier ouvert pour redéfinir la régulation, je crains que nous n’assistions à des dérives de même nature, malgré les efforts déployés par le commissaire chargé de ce sujet.

Je pense que les conséquences des changements institutionnels introduits par le traité de Lisbonne, notamment de la codécision entre le Conseil et le Parlement – qui couvre, entre autres matières, la régulation financière –, ont été mal mesurées. Alors que la redéfinition d’un cadre de régulation financière est un sujet d’une complexité redoutable et est lourde de conséquences macroéconomiques, des initiatives sont prises en tous sens, à tous les niveaux, dans tous les cénacles. Là encore, la Commission n’est pas à l’initiative. Le processus communautaire – investigation et préparation par la Commission, validation par le Conseil, puis concertation avec le Parlement – conduit à une édulcoration progressive des normes envisagées, afin d’obtenir le consensus à vingt-sept puis entre le Parlement et le Conseil. Je ne suis donc pas extrêmement optimiste quant à la possibilité d’obtenir rapidement un résultat concret.

Le seul accord acquis à ce jour a porté sur un sujet extrêmement sensible pour l’opinion, celui de la rémunération des opérateurs de marché : la Commission a repris des mesures déjà appliquées dans les Etats membres depuis douze mois. Mais aucun progrès significatif n’a été accompli concernant le cadre de régulation européen, la réglementation relative aux hedge funds ou encore le traitement des instruments dérivés, en matière de crédit comme de marchés non réglementés de matières premières, qui sont pourtant au cœur de la crise.

Le risque majeur encouru par le secteur bancaire est probablement aujourd’hui de nature réglementaire, car nous ne connaissons pas les normes qui s’appliqueront à nous en matière de solvabilité, de liquidité, de fiscalité et de comptabilité. Nous oublions trop souvent ce dernier point, qui a aussi contribué à l’amplification de la crise des établissements financiers ; depuis la suspension de la réforme des normes comptables, notamment des IAS 9, à l’automne 2009, rien ne s’est passé, alors qu’il s’agit d’un domaine absolument fondamental eu égard à ses liens avec le contrôle prudentiel. Mais ces quatre éléments sont susceptibles de jouer, chacun d’entre eux ayant des conséquences extrêmement lourdes sur la stratégie des établissements financiers. Or nous assistons à un triste remake de Bâle II : le processus de changement des normes prudentielles est parti des Etats-Unis, il y a dix ans, afin d’alléger les contraintes en capital pesant sur les particuliers et les marchés, mais ce sont les pays européens qui se sont lancés dans son application scrupuleuse et anticipée ; une fois encore, y compris sur les sujets les plus polémiques comme celui des rémunérations, le combat a été lancé au G20 mais les Européens poursuivent sur cette voie tandis que les Américains et les autres pays du monde s’en sont écartés et sont revenus aux pratiques antérieures. En matière de fiscalité, c’est exactement le même processus : le Président Obama affirme qu’il veut récupérer ce qu’il a donné aux banques, il crée une taxe censée rapporter 19 milliards de dollars, la réforme est votée… et la taxe abandonnée, mais le débat est repris en Europe, sans que l’on sache si l’enjeu consiste à punir les banques, à alimenter le budget de l’Etat ou à prévenir une crise future.

Cette crise est née aux Etats-Unis, de l’absence de protection des consommateurs non solvables mais désireux d’accéder à la propriété et de l’échec total des régulateurs – la Fed a laissé faire et les différents régulateurs dont la SEC (Securities and Exchange Commission) n’ont pas contrôlé les établissements financiers. Les normes en cours d’élaboration pèsent sur le secteur financier. C’est justifié pour ce qui concerne les activités de marché mais, faute de coordination entre toutes les interventions, celles-ci risquent de se traduire par un resserrement du crédit aux agents économiques. Or les banques européennes financent plus de 70 % de l’activité des entreprises et des ménages. Si ces règles sont renforcées de manière inconsidérée pour obéir aux injonctions américaines, loin d’être conforté, notre système financier actuel, très intermédié et reposant sur les banques, risquera de laisser le marché couvrir tous les besoins de financement à long terme des agents économiques, principalement des entreprises mais aussi des ménages.

Il faut être attentif aux effets négatifs inattendus de la régulation. Ainsi, la directive MIFID – Markets in Financial Instruments Directive –, qui avait pour vocation d’améliorer l’exécution, de renforcer la transparence et de réduire les coûts sur les marchés, risque de ne pas avoir les effets attendus. En effet, elle a conduit à la multiplication des plates-formes privées d’exécution des ordres de bourse, contrôlées par de grandes banques d’investissement, la bourse n’étant plus que le déversoir d’ordres marginaux effectués dans la plus grande opacité. Bref, le fonctionnement du seul marché à peu près transparent et liquide, la bourse, peut être remis en cause comme cela a été le cas le 6 mai dernier aux Etats-Unis avec des variations de 30 à 40 % sur le marché. De manière générale, la trop grande volatilité constatée sur les marchés financiers est anormale. Quand l’application d’une réglementation n’est pas surveillée, cela rompt l’équilibre général des marchés. Comme dans les secteurs de l’énergie ou des transports, le démantèlement des monopoles, au nom de la concurrence et de la transparence, ne bénéficie pas toujours aux consommateurs et peut déstabiliser les marchés.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie infiniment pour votre franchise. Votre dernière remarque va dans le sens des propos tenus devant nous, il y a trois semaines, par Henri Proglio.

M. Michel Diefenbacher. Pour bâtir le « paquet législatif » de l’année dernière, l’Europe est allée très vite, mais elle a eu beaucoup plus de difficultés à définir des règles de majorité pour chaque catégorie de décisions. Cette difficulté des Etats membres à se mettre d’accord vous ouvre-t-elle des espaces de liberté que vous jugez bienvenus, ou bien éprouvez-vous au contraire le besoin d’une réglementation plus contraignante ?

Le président Obama avait prononcé des déclarations fortes au lendemain de la crise ; un long laps de temps sans actes s’est ensuite écoulé, mais il est revenu, il y a environ un mois, avec un programme de réformes. Sera-t-il possible d’établir un juste équilibre entre la réglementation américaine et la réglementation européenne, afin d’éviter que nos banques ne soient défavorisées ?

L’économie de la Chine va bien, mais qu’en est-il de son système bancaire ? Pour qu’un système bancaire fonctionne bien, on dit qu’il doit être transparent et à l’abri des interférences politiques comme des « bulles ». Or celui de la Chine est opaque, sujet à des interférences politiques constantes et marqué par une croissance économique qui ressemble beaucoup à une bulle spéculative. N’est-ce pas un sujet d’inquiétude majeur pour les mois et les années à venir ?

Enfin, les résultats des tests de résistance doivent être publiés sous peu. Partagez-vous les inquiétudes exprimées, concernant notamment le système bancaire allemand ?

M. Daniel Garrigue. En matière de régulation financière, n’oublions tout de même pas que ce sont les Etats qui mènent le bal – et que ce sont eux qui ont reconduit les dirigeants de la Commission européenne. Il serait cependant très intéressant que notre commission entende le plus rapidement possible M. Michel Barnier, commissaire européen chargé des services financiers.

Le Président Pierre Lequiller. Nous l’avons invité.

M. Daniel Garrigue. Avec la directive MIFID, un champ totalement incontrôlé a été ouvert, la moitié des transactions échappant à tout droit de regard. Quelles solutions préconisez-vous pour faire face à ce problème, qui concerne surtout les produits dérivés ?

Des prêts structurés souscrits par des collectivités territoriales font peser sur elles de lourdes charges d’intérêts. Dans une ville moyenne que je connais bien, le résultat de la négociation menée l’an dernier se résume à un report en fin de parcours de l’essentiel des remboursements. Ces manières de procéder sont-elles imputables aux difficultés rencontrées par Dexia avec des actifs toxiques ? De telles pratiques ont-elles vocation à perdurer ?

M. Michel Piron. Vivons-nous une crise financière, une crise bancaire ou une crise des métiers bancaires ? D’aucuns recommandent la mixité entre banque d’investissement et banque de distribution, tandis que d’autres y voient une confusion regrettable. Pouvez-vous nous donner un éclairage à ce sujet ?

Au bout du compte, vos cessions ont-elles été subies ou choisies ?

Que pensez-vous du réseau bancaire allemand, notamment de ses liens avec l’organisation territoriale ?

A l’intérieur de la crise internationale, il y a des crises nationales. L’insolvabilité des emprunteurs anglais ou espagnols est caractérisée, tandis que le problème de la France tient d’abord à sa dette publique, l’attitude des banques étant au demeurant assez exemplaire. N’est-il pas possible d’appliquer un traitement différencié ?

Quel est le poids de l’Europe dans tout cela ? J’ai cru comprendre que vous êtes favorable à une meilleure régulation de la concurrence et à une plus grande transparence. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Yves Bur. La Commission, dans cette crise, a effectivement été à la traîne des Etats. Le moment venu, il faudra en tirer toutes les conséquences.

Faut-il instaurer un prélèvement sur le système bancaire ? Si oui, faut-il affecter son produit à un fonds de résolution ou bien le considérer comme une ressource supplémentaire pour des Etats affrontant de grosses difficultés financières ?

Quel est le degré d’exposition de Dexia à la dette de la Grèce et des autres Etats fragilisés ?

Les collectivités locales victimes de prêts structurés ont-elles vraiment fait preuve de naïveté ? N’ont-elles pas plutôt eu recours à des solutions de facilité, leur permettant d’accéder à des ressources peu coûteuses ? Quoi qu’il en soit, il paraît contestable de demander aux collectivités vertueuses de payer pour les autres...

Quel bénéfice la France retirera-t-elle de restructurations bancaires comme celle que vous avez subie ? C’est le contribuable qui a permis de redresser la situation. Comment est-il envisageable de le récompenser ?

M. Jacques Desallangre. L’Europe et la France sont effectivement bien naïves de respecter des règles violées par ceux-là mêmes qui les leur imposent.

Le 14 mai 2009, La Tribune titrait : « Redevenue rentable, Dexia poursuit sa restructuration. » Elle citait des chiffres très positifs et concluait : « Ces résultats ont été salués en Bourse. Hier, le cours de Dexia a progressé jusqu'à 12 % en séance pour clôturer en hausse de 1,78 %, à 4,29 euros ». Cet après-midi, il est à 2,90 euros, mais c’est après être tombé, au plus bas, à 2,78 euros. Comment expliquez-vous cette baisse de 50 % de la capitalisation boursière de Dexia en moins de douze mois ? Ce que l’on peut prendre pour de la méfiance de la part des actionnaires ne risque-t-il pas de vous gêner pour poursuivre votre politique ?

Vous avez noté comme un signe positif la baisse spectaculaire de vos appels de fonds. Mais n’est-ce pas parce que vos besoins, délivrés de la contrainte de la spéculation, sont réduits ?

M. Hervé Gaymard. Des collectivités territoriales ayant contracté des crédits risqués accusent vos démarcheurs de l’époque de les y avoir fortement incitées. Certains élus ont annoncé des actions en justice, mais ces intentions ont-elles reçu un début de réalisation ?

Mme Monique Boulestin. Que pensez-vous de la nouvelle architecture européenne de supervision, notamment du Comité européen du risque systémique – le CERS – et de l’Autorité bancaire européenne ? Souhaitez-vous que ces organismes soient pérennisés et développés ?

Quel est votre degré d’exposition à la dette de la Grèce et des autres pays fragilisés ? Détenez-vous encore beaucoup d’actifs grecs ?

Une directive relative à l’épargne est en cours d’examen par le Conseil. Où en est-on dans cette discussion, particulièrement pour ce qui touche la taxation de produits comme les contrats d’assurance-vie ? N’y a-t-il pas un risque de fuite des capitaux, sachant que la Suisse, apparemment, ne serait pas concernée par ce texte ?

M. Pierre Mariani. Concernant cette dernière question, je n’ai pas d’éléments de réponse.

Entre les Etats, la Commission et le Parlement, il n’est pas toujours évident de comprendre qui freine et qui accélère. Cela dépend de la capacité de mouvement de la Commission, les discussions autour de son renouvellement ayant certainement freiné les initiatives et l’action. Mais les Etats n’ont pas toujours eu un comportement d’une parfaite cohérence qu’il s’agisse des contraintes du traité en matière de déficit public ou des prérogatives de la Banque centrale européenne.

Face aux difficultés actuelles, des actions sont nécessaires et, surtout, il importe de fixer un cadre institutionnel. Il est inimaginable de maintenir l’incertitude actuelle sur des éléments cruciaux pour la stratégie des établissements et pour le financement de l’économie. Or les débats actuels ressemblent à un concours Lépine de la fiscalité et nous ignorons comment évolueront les règles de solvabilité et de liquidité. Nous avons, je le répète, besoin d’un cadre, étant entendu que le calendrier d’application devra être flexible, au moins pour certaines composantes. Quand la norme est de 8 % de fonds propres, cela signifie que la banque peut prêter douze fois plus. La porter à 12 %, c’est réduire d’un tiers la capacité de prêt de chaque établissement. Si cette réforme intervient brutalement, alors que les Etats sont engagés dans une politique d’assainissement financier, cela portera un coup majeur à l’activité économique de nos pays. Les dirigeants des banques ont une préoccupation : connaître rapidement les évolutions réglementaires en matière de liquidité et de fonds propres. Dans certains domaines, en particulier celui des capitaux alloués aux opérations de marché, il convient d’agir rapidement, car l’enjeu est l’allocation du capital au sein des banques, ainsi que leurs choix stratégiques.

L’effort d’organisation accompli par l’administration américaine est modéré, nombre de domaines demeurant en dehors du champ de la réglementation : le shadow banking est à peu près épargné, de même que les hedge funds – dont les représentants s’opposent au projet de directive européenne – et les activités de marché. S’agissant des dérivés de crédits, les Etats-Unis sont un peu en avance sur l’Europe mais aucune réforme fondamentale n’est en cours.

Faut-il aller vers une séparation accrue entre activités de banque d’investissement et de banque de proximité ? Les dépôts des épargnants, de fait, sont garantis par les Etats mais cette activité n’est pas séparée des opérations de marché, qui font peser le risque le plus gros. Les banques françaises, d’un modèle plus diversifié, se sont avérées plus résistantes alors que les faillites les plus retentissantes ont été le fait de pures banques d’investissement américaines, comme Lehman Brothers ou Bear Stearns. Mais des pures banques de dépôt américaines se sont aussi trouvées en grande difficulté, à l’instar de Washington Mutual, en raison de leurs prêts immobiliers. Dans cette matière, il ne faut pas forcément avoir de religion absolue, tout étant affaire de régulation. Surtout, si l’on change la régulation, ne convient-il pas de changer aussi le régulateur et le contrôle prudentiel ? Je ne suis pas certain que toutes les autorités prudentielles, américaines comme européennes, disposent de tous les moyens nécessaires pour contrôler les activités bancaires les plus sophistiquées.

La Chine n’est-elle pas plutôt un wagon qu’une locomotive ? Son économie se porte bien parce que sa croissance est tirée par la demande mondiale en produits de consommation, mais la chute de l’activité en Europe, l’an dernier, a eu sur elle un impact immédiat, très négatif. En outre, la bulle immobilière et la bulle financière y sont significatives, même si les marchés de Shanghai ont connu des ajustements très sévères. Les marchés n’y sont pas non plus d’une transparence absolue. Le secteur évolue à toute allure mais je ne vois pas ce qui aurait pu contribuer à assainir le bilan des banques chinoises. Quand l’activité de crédit progresse de 40 % par an, le recouvrement d’une partie de ce volume donne forcément lieu à des déboires – même si les méthodes de recouvrement employées en Chine sont sans doute plus drastiques qu’en France.

De l’affaire grecque, je dirai seulement que l’Union européenne n’est pour rien dans le retard des décisions qui ont contribué à accentuer la crise.

L’année dernière, le CEBS – Committee of European Banking Supervisors – a soumis à des tests de résistance vingt-deux grands établissements bancaires, dont Dexia. Nous avons repassé ces tests en avril 2010 et il est apparu, dans ces deux exercices, que les banques examinées n’auraient pas de besoin en capital, y compris dans le scénario de stress macroéconomique extrême. Une inquiétude est née de la situation des marchés de dette souveraine. Le Conseil européen a donc décidé d’étendre ces tests à un nombre plus élevé d’établissements, de façon à couvrir une proportion plus importante du secteur financier européen. Il conviendra que les régulateurs s’assurent de la fiabilité des informations fournies par les banques qui n’ont pas encore été soumises à cet exercice, mais aussi qu’ils s’interrogent sur les conditions et modalités d’une publication.

L’idée de publier le résultat de ces stress tests est née de considérations politiques convergentes en Allemagne et en Espagne. Dans le premier de ces deux pays, le gouvernement fédéral et les autorités monétaires se trouvent confrontés à la restructuration des Landesbanken. De même, en Espagne, le gouvernement central a besoin de ce levier pour pousser à une consolidation des Caixas.

Actuellement, la question des dettes souveraines est un sujet de préoccupation. L’hypothèse la plus pessimiste, qui débouche sur un risque de défaut de remboursement, va totalement à l’encontre des positions prises par les gouvernements et par les autorités financières européennes, qui estiment un tel événement impossible dans la zone euro. Mais si les tests de résistance ne prévoient de défaut dans aucune hypothèse, le marché risque de considérer qu’ils ne sont pas assez sévères et que la transparence du secteur bancaire n’est toujours pas au rendez-vous. Les effets d’une publication sont donc assez imprévisibles.

Beaucoup d’efforts ont été accomplis, au cours des dernières semaines ; j’espère que l’objectif de transparence sera atteint, car, en théorie, il s’agit de rétablir la confiance. Oui, les Etats mènent le bal mais les intérêts nationaux divergent : la sensibilité des Britanniques à la protection de l’industrie financière, qui contribue pour une part importante à leur PIB, rend les choses compliquées.

La crise et la fin des monopoles boursiers ont accru l’opacité des marchés financiers : ce qui était opaque l’est resté et ce qui était transparent est, pour une large partie, devenu opaque. Les ordres arrivant sur Euronext ne représentent plus aujourd’hui qu’une minorité des transactions sur les titres, 80 % de ces opérations sont « intraday », c’est-à-dire soldées le soir, et presque toutes sont générées par des programmes sémantiques d’analyse des communiqués de presse et des articles de journaux.

Sur le marché des prêts aux collectivités locales, nous détenons 40 % de parts de marché. Nous ne disposons malheureusement pas d’informations consolidées relatives aux produits dérivés vendus mais 30 % des quelque 100 milliards de volume de prêts font l’objet d’une structuration plus ou moins complexe. Dexia a été le premier établissement financier à avoir fourni cette indication et à avoir informé individuellement les collectivités locales, fin 2009, de leur niveau d’exposition à des prêts structurés. Dans un très grand nombre de cas, ce mark to market, cette valeur de marché très négative, résulte d’ailleurs surtout de la baisse des taux d’intérêt enregistrée depuis dix-huit mois. Pour le reste, avant même la signature de la charte Gissler, nous avons pris des engagements. J’ai ainsi confié à M. Bouvard, à M. Fort, ancien secrétaire général de la Commission bancaire, et à M. Cieutat, président de chambre honoraire à la Cour des comptes, le soin d’examiner toutes les pratiques commerciales actuelles de Dexia. Ils nous ont remis leurs recommandations que nous mettons en application.

Toute opération procède d’un accord entre un vendeur et un acheteur, les souscripteurs, en l’occurrence, étant animés par la volonté de faire baisser le coût de leur dette. De fait, la rémunération des encours de dette structurée s’établit en moyenne à 3,6 %, soit un bon demi-point de moins que celle du portefeuille de dette globale, qui atteint 4,2 %. Pour les 10 % de clients acquittant le coût de la dette le plus élevé, celui-ci est de 5 % environ, loin des taux évoqués. Avec les collectivités concernées, nous avons entrepris de gérer les problèmes dans le temps, car l’état actuel du marché empêche une sortie rapide, et nous les aidons sans prendre de rémunération.

Sur la totalité de nos encours, cinq cas seulement ont été soumis à l’arbitrage de la commission de médiation Gissler. A ce jour, aucun procès n’a été intenté contre nous, alors que c’est le cas pour d’autres établissements. Dexia, à mon grand regret, est toujours citée lorsqu’il est question de ces produits. Nous avons certes commercialisé des crédits structurés mais je sais que nos pratiques ont été parmi les moins agressives du marché et, depuis, nous les avons profondément modifiés.

Oui, des cessions nous ont été imposées. Nous avions défini, à l’automne, l’essentiel du plan de restructuration ; nous savions ce que nous avions à faire, notamment en matière de diminution de notre portefeuille obligataire. Notre choix était plutôt de nous concentrer sur notre cœur de métier, le financement des collectivités locales européennes, qui incluait à l’évidence l’Italie et l’Espagne. La Commission en a décidé autrement : Dexia devait réaliser des cessions, bien qu’elle ne fût pas un acteur dominant sur les marchés concernés.

L’Allemagne, compte tenu de l’activité des Landesbanken, est un marché complexe pour les autres banques. Ces Landesbanken n’ont échappé à aucune crise des quinze dernières années : elles ont été les plus impliquées dans les crises asiatiques, très impliquées dans la crise immobilière des années 1992-1993 et elles sont aussi concernées par les mortgages et les dettes souveraines.

Les situations ne sont pas analogues dans tous les pays et tous ne s’en sortiront pas de manière égale. Dans certains, comme la France, la Belgique, voire l’Italie, la situation des finances publiques est tendue mais l’épargne est abondante et l’endettement privé faible. Dans d’autres – la Grande-Bretagne, l’Irlande évidemment et les Etats-Unis –, marqués par des finances publiques très dégradées, une épargne faible et un endettement privé très élevé, la situation est plus problématique. L’épargne des Américains était négative avant la crise, elle est remontée légèrement l’an dernier et est retombée cette année : l’économie américaine est largement financée par les épargnants chinois et aussi européens. L’Espagne est dans une situation intermédiaire, avec un endettement public jusqu’à présent modéré et un endettement privé très élevé, lié notamment à l’immobilier. Ces situations très différentes n’appellent pas forcément les mêmes solutions, ni les mêmes leviers d’action, ni les mêmes calendriers, mais des réglages de policy mix différents. En France, par exemple, la priorité est au redressement des finances publiques, dans la mesure où le niveau d’endettement privé offre davantage de marges de manœuvre. Il faut d’ailleurs veiller à conserver des capacités de prêt pour accompagner les besoins financiers des entreprises et des ménages.

L’Europe ne doit pas se résumer à la politique de la concurrence. C’est le volet le plus facile à mettre en œuvre, c’est à partir de cela que tout a été construit, mais il ne faut pas appliquer la concurrence par idéologie, dans n’importe quelles conditions. Dans certains secteurs, elle doit être renforcée car elle est bonne pour le consommateur ; dans d’autres, il est préférable de maintenir une régulation forte, et le monopole permet parfois de préserver l’intérêt à long terme du pays et de ses agents économiques. Les exemples sont multiples – à commencer par le secteur de l’énergie – et c’est aux parlements nationaux de faire passer le message ; la modification de l’équilibre institutionnel européen leur offre un levier d’action.

Le Président Pierre Lequiller. Nous avons pris un grand nombre d’initiatives à cet égard, avec notamment l’organisation de réunions interparlementaires. Je défends personnellement l’idée d’un « discours sur l’état de l’Union », sur le modèle de celui des Américains : une fois l’an, les parlements nationaux et le Parlement européen tiendraient une convention à l’occasion de laquelle le président du Conseil européen et le président de la Commission, dresseraient un bilan et brosseraient des perspectives. Des progrès internes à l’Assemblée nationale doivent également être encore développés. Nous avons déjà beaucoup avancé mais l’œuvre doit être poursuivie, c’est une des clés du bon fonctionnement de l’Europe.

M. Pierre Mariani. Notre bilan comprend des titres souverains de tous les pays d’Europe et du monde. Le nouveau règlement défini par Bâle III pousse d’ailleurs à cette solution : posséder des réserves de titres de très bonne qualité afin de pouvoir se refinancer sur le marché interbancaire. Nous détenons ainsi 3 milliards d’obligations d’Etat grecques et, étant bien implantés en Italie et en Espagne, nous y détenons également de la dette d’Etat comme des collectivités locales. Je suis assez confiant : nous n’avons pas acquis ces titres pour effectuer des opérations spéculatives mais dans une optique de placement et nous les porterons jusqu’à leur échéance finale, sauf pour la partie que nous parviendrons à vendre. Je le dis solennellement : si les scénarios prédits par les Cassandre se réalisent, les problèmes vont changer de nature et nous devrons faire face à des perturbations macroéconomiques difficilement maîtrisables. À quoi serviraient alors les 1 000 milliards de dollars mis sur la table par les Etats ? Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu’un élargissement de la zone euro, passant outre les avertissements de la BCE, soit, dans ce contexte, très raisonnable.

Le cours de bourse n’est pas un indicateur toujours pertinent. Il est normal que nous soyons touchés par l’inquiétude dont font l’objet les titres souverains, un travail constant de pédagogie doit être mené. Je n’ai jamais été de ceux qui, à l’automne dernier, décrétaient la fin de la crise, car il était possible de discerner les premiers signes des difficultés actuelles. Les banques, y compris les plus grosses et les mieux gérées de la place, réalisent des résultats très importants, égalant presque ceux d’avant la crise, mais couverts par un capital deux fois plus élevé ; il est donc assez logique que les cours de bourse aient été divisés par deux.

Quel sera le bilan des recapitalisations effectuées par la France ? La plupart des acteurs ont remboursé l’Etat. Pour notre part, les prises de participation ont été faites en prenant part à une augmentation de capital sur la base d’un prix se référant aux trente jours précédant la crise, pour des raisons propres au droit boursier belge. L’année dernière, nous avons payé quelque 500 millions d’euros à ce titre, à la Belgique et à la France, qui ont pris en charge respectivement 62 % et 35 % du risque. La perception, durant trois ans, de 35 % de cette rémunération procurera des recettes budgétaires supplémentaires.

La création du comité européen du risque systémique est positive, mais la BCE joue le rôle de vigie, pour identifier les risques comme pour élaborer les solutions. La BCE est le lieu où s’opère le bouclage du financement du système et des situations particulières de chaque banque.

Pour les collèges de superviseurs, nous avons été un peu pilotes car nous sommes présents dans une vingtaine de pays d’Europe. J’ai eu l’occasion de participer à deux réunions organisées par la CBFA, la Commission bancaire, financière et des assurances, organisme de régulation belge : elles rassemblaient soixante personnes pendant deux jours, pour parler de la situation du groupe. De tels échanges d’informations sont utiles mais je doute que ce soit un instrument de contrôle le plus efficace. La présence de régulateurs au sein des établissements, au plus près de l’activité bancaire quotidienne, me semble constituer un meilleur facteur d’efficacité du contrôle. Cela explique d’ailleurs en partie les différences de situation entre les banques françaises et celles d’un certain nombre d’autres pays.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à toutes nos questions, avec autant de franchise, sur ce sujet d’actualité.

La séance est levée à 18 heures.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 7 juillet 2010 à 16 h 30

Présents. – Mme Monique Boulestin, M. Yves Bur, M. Lucien Degauchy, M. Jacques Desallangre, M. Michel Diefenbacher, M. Hervé Gaymard, M. Guy Geoffroy, M. Régis Juanico, M. Pierre Lequiller, M. Thierry Mariani, M. Philippe Armand Martin, M. Michel Piron, M. Franck Riester

Excusés. - M. Michel Delebarre, Mme Anne Grommerch, Mme Odile Saugues

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, M. Jean Proriol