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Commission des affaires européennes

mercredi 29 septembre 2010

16 heures

Compte rendu n° 163

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche

II. Nomination de rapporteurs

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 29 septembre 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 heures

I. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche

Le Président Pierre Lequiller. Je voudrais d’abord vous remercier, Monsieur le ministre, de votre présence ici, à un moment crucial pour l’avenir de la politique agricole commune. C’est aujourd’hui en effet que se dessine le tracé de la PAC pour 2013, la Commission européenne devant rendre publique en novembre une communication à ce propos. Je sais de quelle constance et de quelle ténacité vous faites preuve dans la recherche d’un consensus autour du soutien à une PAC forte et équilibrée. C’est ce qui ressort de deux mois de consultation publique des citoyens, du rapport rendu par le Parlement européen en juillet et de la rencontre informelle des ministres de l’agriculture à la Hulpe le 21 septembre dernier.

Quels seront les points sensibles de la négociation ? Quel sera l’équilibre entre les deux piliers de la PAC – aides directes et politique de développement rural –, et quelle sera la répartition des aides directes ? Peut-on compter sur un soutien sans faille de l’Allemagne à la position commune franco-allemande, telle qu’elle s’exprime dans le document du 14 septembre dernier, ou existe-t-il encore certaines nuances à ce sujet entre nos deux pays ? Les intérêts de la Pologne ne divergent-ils pas de ceux de ses deux partenaires du triangle de Weimar ?

La France a par ailleurs exprimé sa volonté de faire avancer le débat sur la régulation de l’ensemble des matières premières dans le cadre du G 20. Quelles formes pourrait prendre cette régulation ? Quelles suites seront données aux recommandations du groupe à haut niveau sur le lait ? Que peut-on dire des discussions actuelles sur la proposition de la Commission tendant à confier aux Etats membres la responsabilité des mises en culture d’OGM ?

Je voudrais enfin vous convier dès maintenant à la réunion sur la PAC 2013 que nous tiendrons le 3 novembre avec les parlementaires européens et les sénateurs.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Je me rendrai à cette réunion avec le même plaisir que celui que je trouve d’ordinaire à participer aux débats de votre commission.

Depuis un an, beaucoup de chemin a été parcouru pour remettre la PAC au cœur du débat européen, et cela en grande partie grâce aux efforts du Gouvernement français. Elle est d’abord revenue à l’ordre du jour des chefs d’Etats européens, le Président de la République ayant obtenu que l’agriculture figure dans les orientations de la stratégie « Europe 2020 », alors qu’à l’origine, de façon pour le moins paradoxale, elle ne figurait pas dans ce document censé tracer les lignes stratégiques de l’avenir économique européen.

Deuxième signe du retour de la PAC au cœur du débat européen, tous les Etats membres, à une exception près, et encore, reconnaissent que l’agriculture est un secteur stratégique et doit à ce titre avoir les moyens de se développer et de garantir la sécurité alimentaire de l’Europe. Si cela va de soi pour nous, Français, c’est nouveau pour certains Etats européens, qui considéraient, il y a encore un an, que ce n’était pas plus mal d’importer des produits agricoles à moindre coût. J’y vois la preuve que la dynamique initiée par l’appel de Paris pour la préservation du budget de la PAC et le maintien du caractère stratégique de l’agriculture, soutenu par vingt-deux pays européens, est d’une grande solidité.

La nomination de Dacian Cioloş au poste de commissaire européen à l’agriculture a également été un atout. Ce n’est un mystère pour personne que le remplacement de Mme Fischer Boel est significatif du passage du dogme de la libéralisation totale des marchés agricoles, qui constituait une faute majeure pour l’Europe, à une politique de régulation que nous avons toujours défendue.

Même si la France a joué un rôle pilote dans le retour de l’agriculture au sein de la stratégie européenne, nous y avons été aidés par le Parlement européen, et je profite de cette audition pour rendre hommage au rôle majeur des eurodéputés français. Le rapport Lyon a synthétisé les orientations retenues par tous les parlementaires français, droite et gauche confondues. C’est dire combien une bonne coordination avec les parlementaires européens est un atout précieux pour maintenir l’influence française en Europe : plus nous coordonnons nos efforts, plus nous sommes écoutés.

Si la place de la France est redevenue centrale dans le débat agricole européen, c’est d’abord parce que nous avons arrêté de défendre les « vieilles lunes » qui nous faisaient un tort considérable aux yeux des autres Etats européens. Être les derniers en Europe à défendre les quotas laitiers vous gagne, certes, la faveur des producteurs de lait, mais cela nous a valu aussi la réputation de conservateurs qu’on peut facilement isoler. En évoluant sur cette position, notre pays a montré qu’il était prêt à changer, ce qui lui a permis de reprendre la main en agriculture. De même, grâce au vote de la loi pour la modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous avons pu mettre en place de nouveaux outils propres à moderniser notre agriculture et la rendre plus compétitive. Ainsi le nouveau mode de contractualisation entre producteurs et industriels introduit par ce texte figure désormais dans la position commune franco-allemande et figurera dans la communication sur l’avenir de la PAC, notamment en ce qui concerne la filière laitière. De la même façon, reconnaître que les références historiques étaient désormais dépassées nous a permis de refonder la légitimité de certaines aides de la PAC.

Notre premier choix stratégique a donc été celui du mouvement. Je tenais à montrer que l’agriculture française était prête à se réformer pour gagner en compétitivité.

Mon deuxième choix a été, dès mon premier jour à ce ministère, comme je l’ai fait lorsque j’étais en charge des affaires européennes, celui de la coordination et de la coopération avec l’Allemagne. À l’affrontement avec un pays qui est désormais notre principal concurrent agricole, j’ai résolument préféré la coopération et la recherche d’une position commune, avec le soutien du Premier ministre et du Président de la République. La négociation a été rude, l’agriculture ayant toujours été un sujet d’affrontement entre nos deux pays. Commencée il y a un an, cette négociation a nécessité des dizaines d’heures avant d’aboutir à cette position commune signée à Berlin il y a une dizaine de jours. Il s’agit d’un texte ambitieux et respectueux des intérêts de nos deux pays. Je tiens à souligner le rôle joué par les eurodéputés allemands et la chancellerie. De même, les principaux syndicats agricoles français et allemands ont longuement échangé avec les deux ministres de l’agriculture des deux pays, ce qui ne s’était jamais fait. Il est indispensable de poursuivre dans cette voie si nous voulons donner à notre agriculture le dynamisme dont elle a besoin.

La position franco-allemande suit de grands axes. Le premier objectif est de répondre à la proposition de la Commission de réduire la part budgétaire de la PAC de 30 à 40 %. Si la France avait été seule à défendre le maintien du budget de la PAC, je ne suis pas sûr qu’elle aurait été entendue. En revanche, quand deux pays représentant un tiers de la production agricole européenne affirment la nécessité de disposer de ressources financières à la hauteur de nos ambitions dans le domaine agricole, on les écoute, et je pense que nous gagnerons cette partie.

En ce qui concerne la régulation des marchés, il est vrai que nous souhaiterions aller beaucoup plus loin que l’Allemagne, mais une position commune est toujours un compromis. Nous avons déjà obtenu de l’Allemagne qu’elle comprenne notre position et accepte que le principe de la régulation des marchés figure dans la position commune. Je suis notamment parvenu à faire admettre aux responsables du FDP, particulièrement réticents sur ce point, l’idée d’une régulation à la française.

Notre troisième point d’accord est la nécessité d’une réforme du droit de la concurrence afin de renforcer la position des producteurs dans leur négociation avec les industriels.

Le maintien des deux piliers est le quatrième point de l’accord, toute proposition de fusion des piliers étant contraire à l’intérêt de nos deux pays et donc inacceptable.

Cinquièmement, nous sommes tombés d’accord pour asseoir la légitimité des aides directes.

Enfin, sixième point, la concurrence internationale doit être équitable et fondée sur des règles équivalentes. Il n’est pas question de laisser entrer sur le marché européen des productions agricoles qui ne sont pas soumises aux strictes règles environnementales et sanitaires qui s’imposent à nos agriculteurs – sinon autant leur demander directement de mettre la clé sous la porte !

L’objectif de la position commune n’est évidemment pas de créer un « condominium » franco-allemand qui dicterait ses conditions, mais d’établir un point d’équilibre pour les vingt-sept Etats membres. J’estime qu’une vingtaine d’Etats européens ont aujourd’hui rallié la position franco-allemande. Je ne vous cache pas qu’il ne sera pas facile de convaincre les autres : le Royaume-Uni, le Danemark ou la Suède défendent des positions libérales, ce qui est une divergence de philosophie même ! Si la Pologne approuve les orientations politiques du document franco-allemand, la question du flat rate constitue entre nous un point de divergence majeure. Elle souhaite en effet substituer aux aides différenciées selon l’Etat membre un taux unique de répartition des aides pour toute l’Europe. Il s’agit d’une ligne rouge inacceptable : il serait totalement injuste que l’agriculteur français reçoive la même aide que l’agriculteur polonais, tchèque ou hongrois, alors que leurs conditions sociales et salariales sont totalement différentes. J’espère que je parviendrai à faire évoluer la position polonaise, notamment dans le cadre du triangle de Weimar, qui permettra une discussion plus large avec nos amis allemands.

D’une façon générale, si la France veut être entendue en matière de négociations agricoles, il est impératif qu’elle multiplie les contacts avec ses partenaires européens, comme je l’ai fait avec la présidence belge et avec l’Autriche sur la production laitière, par exemple.

En ce qui concerne le calendrier européen, à la mi-octobre, le commissaire européen Lewandowski dressera une revue à mi-parcours des perspectives financières. Je vous rappelle que ce commissaire a proposé que le budget européen soit augmenté via la création de nouvelles recettes, et que, faute de ressources nouvelles, la PAC constitue une variable d’ajustement du budget européen. L’Allemagne et la France sont totalement opposées à cette proposition.

Je suis moins inquiet en ce qui concerne la communication sur l’avenir de la PAC que le commissaire Dacian Cioloş présentera à la mi-novembre, et les propositions législatives qu’il formulera à la mi-2011. La vraie bataille se livrera au sein de la Commission, et c’est pourquoi il est très important que nous discutions avec les autres commissaires concernés et avec son président, dont la position sur l’agriculture évolue. Il semble désormais disposé à en reconnaître le caractère stratégique.

J’en viens aux deux derniers points sur lesquels vous m’avez interrogé : les négociations commerciales et le G 20.

Les négociations commerciales européennes de l’Union européenne posent un problème de méthode, voire de principe : elles souffrent d’un déficit de légitimité politique. De quel droit un commissaire européen peut-il prendre l’initiative de négocier un accord entre l’Union européenne et le Mercosur, en déclarant en outre que cette négociation doit impérativement aboutir, alors que ni vous, les parlementaires nationaux, ni les parlementaires européens, tous élus du peuple, n’avez été saisis de cette question ? A l’inverse, je peux vous garantir qu’en cas d’accord avec le Mercosur, vous en serez sans délai et brutalement saisis par les agriculteurs et notamment les éleveurs de vos circonscriptions, et à juste titre, car ils seront les premiers à en souffrir. Ma conception de la construction européenne m’amène à penser que la légitimité politique de ces négociations commerciales mériterait d’être renforcée.

Cette négociation pose par ailleurs un problème de fond. Dans le domaine alimentaire, l’Union européenne enregistre un déficit commercial avec le Mercosur qui représente déjà 50 % du budget de la PAC. Je ne vois pas où est notre intérêt à continuer dans ce sens, sinon à nous tirer une balle dans le pied. L’Europe n’a pas non plus intérêt à la stratégie d’un « donnant-donnant » qui consisterait à brader notre agriculture pour pouvoir exporter nos services. Prenons donc garde à ce que l’agriculture ne soit pas la variable d’ajustement des négociations commerciales européennes.

Concernant la régulation au sein du G 20, si la situation de notre agriculture s’améliore globalement pour les filières agricoles, à l’exception de l’élevage, nous devons lutter contre la volatilité des prix agricoles, insupportable pour les agriculteurs. Cette lutte doit non seulement être nationale – nous avons mis en place des outils tels que les nouveaux contrats ou l’Observatoire des prix et des marges – et européenne, mais aussi mondiale. Le Président de la République a rappelé ce matin en Conseil des ministres que la régulation du marché des matières premières agricoles serait une priorité du G 20. J’ai déjà défendu notre position auprès des autorités chinoises et américaines, et je pars pour l’Inde la semaine prochaine, avant de me rendre en Russie. Nous proposerons à tous ces pays l’adoption de mesures visant à stabiliser les cours des matières premières agricoles dans les années à venir. Il s’agira notamment de coordonner les politiques des membres du G 20 dans le cadre d’un dispositif de prévention et de gestion communes des crises, qui n’existe pas encore dans le domaine agricole. Cette absence de régulation a abouti à ce que la sécheresse en Russie déséquilibre totalement le marché mondial des céréales, ce pays ayant brutalement mis fin à ses exportations de céréales. Nous devons tirer les leçons de cette crise pour promouvoir un dispositif minimal de gestion commune des crises.

Un autre de nos objectifs dans le cadre du G 20 sera d’instaurer des mécanismes de moralisation des marchés financiers. Dans une lettre au président de la Commission européenne, nous avons, avec Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde, réclamé une initiative européenne pour réguler les marchés dérivés de matières premières, créer un gendarme européen des marchés dérivés agricoles, ne laisser aucun acteur intervenir sur le marché sans contrat, rapprocher négociations physiques et négociations immatérielles : ces propositions concrètes sont indispensables. Nous plaidons également pour une transparence accrue des marchés, notamment en ce qui concerne les stocks et les données agricoles, dont nous n’avons pour l’instant aucune connaissance précise.

Telles sont les points sur lesquels nous travaillons, avec l’aide notamment de Jean-Pierre Jouyet et de Christian de Boissieu. Ce travail devrait déboucher sur des résultats concrets dans le cadre de la réunion des ministres de l’agriculture du G 20, à Paris au printemps 2011. Les chefs d’Etat devront valider définitivement ces propositions quelques mois plus tard.

Il est désormais impératif d’avancer dans tous ces domaines. Le responsable du Chicago Board of Trade, la plus grande bourse des matières premières agricoles, m’expliquait qu’à une transaction physique correspondaient 2 000 transactions immatérielles, c’est-à-dire purement spéculatives et financières. Il est urgent d’introduire un minimum de régulation dans ces marchés. Sur la base de propositions raisonnables et crédibles, je pense que nous pouvons obtenir des avancées concrètes en la matière d’ici à quelques mois.

M. Philippe Armand Martin. Je voudrais, Monsieur le ministre, revenir sur la réforme de la PAC, et plus précisément sur le sort de la filière viticole. A en croire les propos du commissaire Dacian Cioloş entendus la semaine dernière à Strasbourg, il semblerait que les services de la Commission ne souhaitent pas y inclure la viticulture. Pouvez-vous apaiser mes inquiétudes sur ce point ? Comme vous le savez, la viticulture est aujourd’hui menacée d’une libéralisation totale des droits de plantation. Certes, M. Cioloş a exprimé le souhait de renforcer les interprofessions, ce qui me paraît nécessaire et indispensable pour la viticulture. Cependant, c’est en contradiction avec ce que pensent les services de la Commission, qui ne veulent pas entendre parler de régulation dans la viticulture. Si le Gouvernement a garanti des mécanismes nationaux de régulation, la France compte-t-elle ouvrir ce débat au niveau européen ?

Vous jugez que la filière des fruits et légumes se porte bien, évoquant seulement la perspective d’une modification du droit à la concurrence. Or, selon les producteurs que je peux rencontrer, notamment M. Jacques Rouchaussé, secrétaire général de Légumes de France, il persiste un problème de coût de la main-d’œuvre, notamment permanente. Ce dossier sera-t-il évoqué dans le cadre des discussions sur la PAC ?

Par ailleurs, la politique de modération des marges de la grande distribution ne semble pas avoir eu les effets escomptés, notamment en ce qui concerne des productions comme celle du melon, où le prix payé au producteur a encore baissé.

Sachant enfin que 50 % des producteurs de fruits et légumes ne sont toujours pas identifiés, souhaitez-vous l’établissement d’un registre des producteurs ? Qui devrait en avoir la charge ?

M. Daniel Fasquelle. Je voudrais, Monsieur le ministre, vous féliciter pour votre action : la France, qui était longtemps sur la défensive, est désormais à l’offensive. Elle est force de proposition, notamment en ce qui concerne la PAC, conformément à ce qui est la vocation de notre pays depuis l’origine de la Communauté économique européenne.

Je voudrais me faire l’écho des difficultés qu’éprouvent certains agriculteurs pour accéder aux financements du deuxième pilier, qui ne s’expliquent pas seulement par la complexité des procédures européennes, d’autant moins que les aides du deuxième pilier font l’objet de cofinancements nationaux.

Une réforme du droit à la concurrence est essentielle dans la perspective de la nouvelle régulation que vous appelez de vos vœux. Si l’on parvient à faire bouger les lignes au niveau européen, quid de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que nous venons de voter ? Pourra-t-elle s’appliquer en l’état ou faudra-il la modifier pour tenir compte d’un nouveau contexte européen ?

Quid également du vaste chantier de la réforme de la politique commune des pêches ? Vous connaissez les attentes des marins pêcheurs : une gestion de la ressource piscicole s’appuyant sur des constats véritablement scientifiques, et des décisions publiques offrant aux professionnels du secteur une plus grande visibilité sur le long terme.

M. Michel Diefenbacher. Je veux à mon tour vous remercier, Monsieur le ministre, pour la clarté de votre exposé et vous féliciter pour la force de votre engagement.

Je voudrais d’abord vous interroger sur la position commune franco-allemande. Comment la Commission européenne réagit-elle face à cette initiative, séduisante et encourageante, mais qui a quelque chose de très nouveau, voire d’audacieux à certains égards ? Il n’est pas sans importance de savoir comment elle la juge, dans son principe et dans son contenu, dans la mesure où sa mise en œuvre appelle des modifications extrêmement profondes de la politique communautaire. Ainsi, le pouvoir de négociation plus fort réclamé par ce texte suppose à l’évidence une modification du droit de la concurrence : la Commission européenne est-elle prête à ouvrir ce dossier ? La position commune prône également l’application des normes européennes aux importations agricoles : comment imposer aux pays tiers des règles – par exemple le plan Ecophyto – alors même qu’elles ne sont pas harmonisées au niveau européen ?

Si nos agriculteurs sont attachés à la PAC, ils regrettent la complexité de la réglementation européenne et la brutalité des contrôles. Peut-on s’attendre sur ce point à une évolution significative de la Commission ?

Je voudrais par ailleurs vous interroger sur les OGM. En tant qu’Européen, on ne peut que soutenir votre opposition à la nationalisation des autorisations de cultures OGM. J’ai du mal cependant à lire la politique française dans ce domaine. Notre pays manifeste un intérêt pour toutes les recherches et les expérimentations propres à assurer une plus grande compétitivité de nos exploitations mais, dans le même temps, on ne délivre pas d’autorisation de culture même lorsque les autorités compétentes n’émettent aucune objection, comme pour le maïs Monsanto 810. Quelle serait la voie juste et quelle est la position de la France dans ce domaine ?

En ce qui concerne la production laitière, nous ne pouvons certes pas camper sur des positions incontestablement dépassées aux yeux des autres Etats européens. Mais pour passer d’un système extrêmement réglementé à un système contractuel constituant une véritable révolution, nos producteurs doivent être accompagnés. Cela représentera pour votre ministère une tâche considérable. Pensez-vous en avoir les moyens ?

M. Marc Laffineur. Je voudrais moi aussi vous féliciter, Monsieur le ministre, de ce que vous accomplissez, notamment avec l’Allemagne : nos deux pays ont besoin l’un de l’autre. L’Allemagne a fait des progrès considérables dans le domaine agricole, au point aujourd’hui de nous devancer.

Je voudrais mettre l’accent sur l’inquiétude extrême dans nos campagnes, voire le désespoir s’agissant des éleveurs. Nous souffrons d’un énorme déficit de compétitivité, du fait notamment de la taille trop réduite des exploitations. Comment la France pourra-t-elle assurer le niveau de compétitivité à nos exploitations qui permettrait à notre production de viande d’échapper à la catastrophe ?

En ce qui concerne les OGM, je déplore les obstacles qu’on oppose actuellement à la recherche, qui nous font prendre du retard et risquent à terme de nous coûter des milliers d’emplois.

Il est vrai que l’on peut poser comme principe de ne pas laisser entrer en Europe des produits agricoles qui ne sont pas soumis à des normes aussi strictes que celles imposées à la production européenne. Toutefois cela ne les empêche pas d’entrer ! Que vont faire la France et l’Europe pour assurer des conditions de concurrence équitable avec les pays tiers, notamment le Mercosur ?

En dépit de la création d’un Observatoire des prix et des marges par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le prix de la viande continue à augmenter pour le consommateur, et celui payé au producteur de baisser. En fait, les professionnels sont dans l’incapacité de négocier du fait de leur dispersion et de leur manque d’organisation. Comment rendre cette négociation possible et redonner de l’espoir à nos agriculteurs ?

Il faut évidemment que la régulation des marchés agricoles soit inscrite à l’ordre du jour du G 20, une variation de quelques points de la production agricole pouvant avoir des répercussions extrêmement déstabilisantes.

M. Jean Gaubert. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, Monsieur le ministre, votre exposé très complet de la donne agricole européenne. Je voudrais à mon tour, en dépit de nos divergences, saluer le travail accompli depuis quelques mois au niveau européen, qui a incontestablement permis des avancées. Je pense notamment à tout ce que vous faites en faveur d’une régulation que nous appelons de nos vœux. Comme vous l’avez rappelé, la position de la France a été unanimement soutenue au Parlement européen. Même si nous estimons que vous n’allez pas assez loin, vous allez en tout état de cause dans le bon sens.

Je partage notamment votre sentiment quant à la nécessité de renforcer l’axe franco-allemand : rien ne se fera en matière agricole sans un accord entre les deux grands pays agricoles de l’Union européenne, même si leurs intérêts ne sont pas les mêmes dans certains domaines. Quant à la prétendue rivalité qui, selon certains, nous opposerait à ce pays, je la juge avec le recul que me donnent quarante ans d’agriculture : j’ai toujours vu des responsables agricoles désigner tel ou tel bouc émissaire pour expliquer les difficultés de l’agriculture française. Ce furent les Anglais à la fin des années soixante, puis les Hollandais, les Danois, les Suédois, les Espagnols et enfin les Brésiliens.

Cessons donc de faire une fixation sur le voisin et songeons plutôt à améliorer notre organisation. Ainsi les primes européennes sont gérées d’une façon plus égalitaire en Allemagne, ce qui a favorisé le maraîchage et d’autres productions.

Pourrons-nous, Monsieur le ministre, continuer à défendre le maintien du même volume budgétaire pour la politique agricole commune dans un budget évolutif alors que d’autres politiques se profilent et que les Etats membres ont eux-mêmes des budgets très serrés ? Il y a là une contradiction qu’il faudra résoudre.

Pour préserver la légitimité sociale des aides, nous devons envisager d’autres systèmes. Je me trouvais la semaine dernière en Bulgarie dans le cadre du groupe d’amitié parlementaire. J’y ai rencontré le ministre de l’agriculture bulgare qui s’interroge sur l’opportunité des aides à l’hectare dans la mesure où, dans son pays, les domaines de 4 000 hectares côtoient de très petites exploitations. Il va nous falloir inventer des systèmes d’aide à l’agriculture différents. Si nous n’y parvenons pas, la légitimité sociale des aides sera remise en cause ainsi que la volonté d’affecter à l’agriculture un budget conséquent.

J’en viens au droit de la concurrence. Si certains considèrent la concurrence comme un but, je suis de ceux qui la considèrent comme un moyen d’améliorer notre efficacité économique, donc sociale.

Les règles de concurrence à l’intérieur de l’Union européenne ne sont pas suffisantes. Il faut aussi réguler la concurrence internationale. Un système de régulation – qui ne peut que reposer sur une base contractuelle – ne pourra pas fonctionner si nous ne nous ne dotons pas de règles précises en matière d’accès des produits sur notre marché. En l’absence de telles règles, les opérateurs se tourneront vers le marché mondial lorsque les prix y seront inférieurs à ceux prévus dans les contrats.

En ce qui concerne les OGM, je suis de ceux qui condamnent ce qui s’est passé récemment en Alsace. Comme mon groupe politique et le parti auquel j’appartiens, je souhaite que la recherche sur les OGM se poursuive. Il est scandaleux de saccager des plans appartenant à l’INRA et qui ne causaient aucun dommage à leur environnement.

Enfin, Monsieur le ministre, il y a actuellement en France des gens qui ne sont pas satisfaits. Des conflits sont apparus, en particulier chez les producteurs laitiers. Il faut absolument engager le débat sur la représentativité au sein des associations qui auront à gérer cette situation. Il serait intéressant que vous interveniez en ce sens, car sinon la grogne risque de s’étendre dans nos campagnes, ce qui d’ailleurs ne servirait pas l’intérêt du syndicat majoritaire.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, je salue la méthode avec laquelle vous abordez la discussion sur l’avenir de la PAC. Nous ne pouvons que partager votre volonté de faire bouger les choses, de poursuivre la simplification initiée par Michel Barnier et d’insister sur l’importance de la position commune franco-allemande.

Nous sommes tous attachés à l’idée de régulation, mais que recouvre-t-elle réellement ? Où se situe la divergence franco-allemande ? La régulation n’est-elle, pour vous, qu’un filet de sécurité ?

En matière de commerce international, qu’entendez-vous par « concurrence dans des conditions équivalentes » ? Peut-on prendre des mesures unilatérales dans ce domaine, sans violer les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ?

En matière de budget européen, j’ai beaucoup de mal à comprendre les positions de la France et de l’Allemagne. On ne peut à la fois vouloir maintenir le niveau des dépenses affectées à l’agriculture et afficher des ambitions dans les secteurs de la recherche et de l’industrie tout en refusant d’augmenter notre contribution au budget européen ou de doter celui-ci de ressources propres. Il faudra un jour sortir de cette contradiction. En tant qu’ancien ministre chargé des affaires européennes, vous avez certainement quelques idées sur la question.

Mme Anne Grommerch. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre action en faveur de l’agriculture française. Les agriculteurs, qui se trouvent actuellement dans une situation très difficile, y sont très sensibles.

En matière de réglementation phytosanitaire, la France va au-delà de la réglementation européenne, ce qui pénalise nos agriculteurs. Le sujet de l’harmonisation européenne est récurrent. M. Joseph Daul m’a indiqué que le Parlement européen s’apprêtait à travailler sur cette question. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Pour que les agriculteurs français aient une compétitivité équivalente à celle de leurs voisins européens, envisagez-vous de revoir à la baisse nos ambitions en matière phytosanitaire ?

Elue d’une circonscription frontalière avec l’Allemagne, je sais que les agriculteurs français ont le sentiment d’une distorsion de concurrence du fait des aides que l’Etat et les Länder versent aux producteurs laitiers allemands. Par ailleurs, en Allemagne, a été mis en place un mécanisme d’échange de quotas laitiers. En France, les agriculteurs paient des pénalités lorsqu’ils dépassent les quotas et ne sont toujours pas autorisés à effectuer des transferts de quotas. De ce fait, des millions de litres de lait ne sont pas produits en France, mais dans d’autres pays européens. Un peu plus de flexibilité dans la gestion et les transferts de quotas serait bienvenue.

M. Hervé Gaymard. Je vous félicite à mon tour, Monsieur le ministre, pour votre action, en particulier en faveur de l’initiative franco-allemande.

Ma question porte sur l’OMC. Pascal Lamy, auditionné ce matin même par la Commission des affaires étrangères, nous a indiqué que le volet agricole du cycle de Doha était bouclé et que le report de la conclusion du cycle n’était pas dû à des questions agricoles. Qu’en est-il de ce paquet agricole de l’OMC ?

M. Pierre Forgues. Monsieur le ministre, êtes-vous certain qu’après 2013, le premier pilier de la PAC sera effectivement financé par l’Europe ?

Dans le cadre de la mondialisation de l’économie et de l’OMC, quelles sont les ambitions de l’Europe pour l’agriculture européenne ?

Afin de donner toute sa chance à notre agriculture, sans toutefois faire du protectionnisme un principe intangible, ne pouvons-nous pas mettre en place, à l’échelle européenne, des clauses sociales et environnementales ?

Enfin, je serai plus direct qu’Hervé Gaymard : l’OMC est-elle une solution pour l’agriculture européenne ?

M. Bruno Le Maire. Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour l’ensemble de vos questions et vos propos aimables – Hervé Gaymard le sait, le poste de ministre de l’agriculture n’est pas le plus facile au sein du Gouvernement.

Je connais l’attachement de Philippe Armand Martin à la viticulture, en particulier au vignoble champenois. Il sait que je défends le maintien des droits de plantation, et j’ai bon espoir que cette position sera défendue à un niveau supérieur. Je suis totalement opposé à une libéralisation des droits de plantation. C’est d’ailleurs la position franco-allemande. Ceux qui défendent la libéralisation des droits de plantation sont généralement des gens qui ne connaissent rien, ni au vignoble, ni au vin, et ne verraient aucune objection à ce que l’on plante du vignoble champenois dans le sud de la France. Nous devons être très vigilants sur cette question, qui représente pour notre viticulture des enjeux majeurs.

Le coût de la main d’œuvre n’est pas du ressort de la PAC, la politique sociale n’étant pas une compétence de l’Union européenne. En revanche, le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons souhaité renforcer la compétitivité de l’agriculture française. La question du coût de la main-d’œuvre est cruciale, les frontaliers le savent mieux que les autres. Dans le secteur de l’agriculture, la masse salariale du travail occasionnel représente 47 % de la masse salariale et bénéficie d’une exonération totale des charges sociales et patronales. L’agriculture est le seul secteur économique de la nation qui bénéficie d’une telle exonération dont le coût global pour l’Etat s’élève à 486 millions d’euros par an – l’extension de l’exonération à la totalité des charges sociales et patronales représentant 170 millions d’euros supplémentaires par an. Sur ce point, nous ne pouvons faire plus.

En revanche, la loi prévoit que d’ici à la fin de l’année 2010, le Parlement fasse au Gouvernement des propositions visant à alléger le coût du travail permanent dans l’agriculture. Ce sujet sera sans doute conflictuel au sein du Gouvernement, mais j’espère faire des propositions fortes qui pourront être expérimentées dans les meilleurs délais. Il n’y a pas de temps à perdre, car certains secteurs de l’agriculture souffrent du coût du travail permanent.

S’agissant des accords de modération des marges, aucune filière, mis à part celle du melon, n’a connu cet été la moindre difficulté. Les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont joué le jeu et l’accord de modération des marges a été suivi d’effets. Dès qu’un fruit ou un légume s’est trouvé confronté à une crise, nous avons appliqué l’accord immédiat de limitation des marges. Cela démontre l’efficacité des dispositifs coercitifs.

Daniel Fasquelle m’a interrogé sur la pêche. La France a déposé ses propositions sur la réforme de la Politique commune de la pêche, qui comprend quelques points importants comme l’amélioration de la gouvernance et le volet social – que nous sommes les seuls à défendre.

Nos propositions comportent trois autres points qui me paraissent vitaux. Tout d’abord, il faut mettre fin à ces conditions de négociations aberrantes et ubuesques qui se tiennent en novembre sur les quotas de pêche. On y voit des ministres qui n’y connaissent rien – la pêche n’étant pas de leur responsabilité – échanger dix tonnes de cabillaud contre dix tonnes de soles pourvu que leurs pays continuent à pêcher du chinchard sur la côte atlantique… Au cours de ces négociations de marchands de tapis, si l’on défend au mieux les intérêts des pêcheurs, cela se fait à l’aveugle et sans possibilité de comparer les positions des scientifiques et celles des pêcheurs. C’est pourquoi j’ai proposé que soit organisé un échange en amont, entre les scientifiques et les pêcheurs, sur l’évaluation de la ressource. Car il n’y a rien de plus terrible pour un ministre que se retrouver dans une situation où les scientifiques vous disent de bonne foi qu’il n’y a plus un seul thon rouge dans l’Atlantique alors que les pêcheurs vous disent, également de bonne foi, avoir croisé de bans de thons rouges comme ils n’en avaient pas vu depuis vingt ans...

Nous proposons également une gestion pluriannuelle des stocks. Il est en effet aberrant, s’agissant d’une ressource susceptible d’évoluer sur une période de dix ans, de conserver une gestion annuelle.

Enfin, nous refusons les quotas individuels transférables – sur ce point, notre marge de négociation est proche de zéro. Les droits individuels transférables entraîneraient la mort des pêcheries artisanales en France. Si nous permettons l’échange des droits de pêche, les grosses entreprises de pêche récupéreront les droits des petits pêcheurs, et ceux-ci disparaîtront. J’y suis donc totalement opposé. Je souhaite le maintien de quotas de pêche par pêcherie et sans aucune possibilité de transfert.

Michel Diefenbacher m’interroge sur la position commune franco-allemande concernant la modification de la loi de la concurrence, les normes européennes et la simplification. Je ne suis pas sûr que l’ensemble de la Commission ait très bien accueilli ces propositions, mais ma grande expérience européenne me conduit à penser qu’il faut taper du poing sur la table. La France n’a pas vocation à se retrouver en situation de faiblesse. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu, et je l’assume totalement, placer notre pays en position de force. Il faut modifier le droit de la concurrence, même si cela ne plaît pas à tout le monde. Le droit de la concurrence comme finalité économique en Europe est une erreur, je partage sur ce point l’opinion de Jean Gaubert. Nous respectons naturellement le droit de la concurrence, mais il doit rester un moyen. Je suis convaincu de la nécessité de modifier certaines règles du droit de la concurrence afin de permettre aux producteurs de se regrouper afin de négocier un prix satisfaisant.

Le droit de la concurrence comme finalité économique est également une erreur eu égard à l’évolution du monde et des marchés. En Chine, nous avons signé un accord entre un négociant chinois et l’entreprise française Nicolas pour la livraison de 30 millions de bouteilles par an. Le négociant chinois avait clairement dit que tout marché inférieur à 5 millions de bouteilles ne l’intéressait pas. Il est clair que l’Europe n’a pas intérêt à se diviser mais à regrouper son offre pour conquérir les marchés dynamiques comme le marché chinois, et c’est particulièrement vrai pour l’agriculture. Ceux qui préconisent de ne pas toucher aux règles de concurrence commettent une erreur.

L’Allemagne et la France sont parfaitement d’accord sur la nécessité de simplifier les règles de la PAC, notamment en matière environnementale, et de choisir une approche moins pénalisante et plus encourageante pour les producteurs.

En ce qui concerne les OGM, je défends le droit à la recherche, mais encadrée et respectueuse d’un certain nombre de règles. J’ai été très choqué par ce qui s’est passé en Alsace, où des personnes ont méthodiquement arraché les plants de l’Institut national de la recherche (INRA), saccageant, en huit minutes, huit années de travail. Si on voulait perdre nos chercheurs et décourager les efforts de l’INRA, on ne s’y prendrait pas autrement ! L’INRA est un atout majeur pour l’agriculture française, en Europe et dans le monde. Il faut faire en sorte que la recherche sur les OGM se fasse dans les meilleures conditions possibles. A quoi sert d’avoir créé un Haut conseil des biotechnologies, dont le collège scientifique et les personnalités qualifiées ont affirmé que la culture des OGM ne présentait pas de risques, de donner une autorisation ministérielle pour effectuer des recherches, si dix « faucheurs volontaires » – termes que je trouve trop sympathiques à leur égard – viennent ensuite saccager sciemment la parcelle cultivée ! Soit il y a un processus démocratique comme à Colmar, et on le respecte ; soit on arrête toute recherche en la matière.

Quant à la définition des seuils, j’estime qu’il appartient à la Commission européenne d’assumer ses responsabilités. J’ai pris la tête d’un mouvement d’opposition qui regroupe la France, l’Allemagne, l’Italie et quelques autres Etats qui refusent catégoriquement que la Commission se défausse de ses responsabilités en demandant à chaque Etat de définir ses propres seuils. Si nous allons dans cette direction, les seuils varieront d’un Etat à l’autre, les organismes circuleront librement et nous serons rapidement débordés.

Le Président Pierre Lequiller. Doit-on y voir une intention de la part de la Commission de « nationaliser » cette question ?

M. Bruno Le Maire. Si c’est le cas, j’y suis totalement opposé.

Le système contractuel est une véritable révolution pour les agriculteurs, mais il serait irresponsable de conserver un système qui a montré ses limites. Que s’est-il passé en 2008, lorsque le prix du lait a explosé ? Les jeunes agriculteurs ont acheté des robots de traite, des tracteurs, ont réalisé des mises aux normes, et, pour cela, se sont endettés auprès de banquiers qui, se fondant sur un prix du lait à 350 euros la tonne, ont accepté de leur prêter jusqu’à 500 000 euros sur vingt ans. Six mois plus tard, le prix du lait était tombé à 260 euros la tonne, ruinant des milliers d’exploitants laitiers et pénalisant lourdement ceux qui venaient de s’installer – principalement des jeunes –, les uns et les autres tablant sur une flambée du prix du lait pour les dix prochaines années.

Je souhaiterais dire à Marc Laffineur que, en termes de production agricole brute, nous sommes loin devant l’Allemagne, même si, sur le plan des exportations de produits de l’industrie agro-alimentaires, elle nous dépasse largement.

Je sais que le désespoir et la détresse ont gagné le monde de l’élevage français, en particulier les éleveurs porcins et bovins – et, dans une moindre mesure, les éleveurs de volailles. Je ne jette la pierre à personne, mais tout ne dépend pas que du ministre. Si les autres filières, comme la viticulture ou celle des fruits et légumes se portent mieux, c’est qu’elles ont effectué des choix courageux. L’Etat fera le nécessaire pour aider les filières animales. J’ai obtenu 30 millions d’euros d’aide immédiate afin de soutenir les trésoreries des éleveurs, et nous allons engager 300 millions d’euros sur trois ans pour aider ces filières à se moderniser. La mise au norme des installations porcines représente 370 millions d’euros au total pour la filière : dès 2013, chaque truie gestante devra bénéficier de 2,5 m2 au lieu de 1 m2, taille actuelle des cages. Cela va obliger les agriculteurs à reconstruire totalement leurs installations ; nous les y aiderons.

Nous les aiderons également à exporter la viande bovine et porcine française vers le marché du Maghreb ou celui de la Russie, ce dernier étant aujourd’hui fermé. Je suis prêt à soutenir les efforts qui seront accomplis dans le domaine de l’engraissement des bovins. Un million de bovins sont engraissés chaque année en Italie : je souhaite en rapatrier 100 000 en France pour gagner de la valeur ajoutée. Vous savez tous que je ne ménage pas mes efforts lorsque je veux soutenir une filière, mais il est indispensable que celle-ci fasse des efforts de son côté. Or, les choix stratégiques de la filière bovine, par exemple, ne sont pas tous bons. Produire un bovin de 650 kg n’est pas forcément la meilleure solution. Depuis de nombreuses années, nous considérons qu’un bovin doit être le plus gras possible pour produire de la valeur ajoutée ; c’est une erreur. Le bovin de 650 kg ne sera pas mieux valorisé et, en outre, il coûtera beaucoup plus cher, surtout si le prix de l’alimentation flambe comme c’est le cas aujourd’hui. Le bon choix consiste à produire un bovin mixte ou un bovin de 450 kg, dont la production revient moins cher.

J’ajoute que la guerre que se livrent certains acteurs de la filière pour tirer les prix vers le bas est inacceptable, car elle nous place dans une situation que personne ne peut tolérer : alors que le prix de la viande à la consommation ne cesse d’augmenter, le prix offert au producteur stagne, voire baisse. Pour y remédier, les acteurs de la filière doivent se montrer plus constructifs.

En ce qui concerne la filière porcine, nous avons un rendez-vous important avec la parution du décret relatif à la mise aux normes et au regroupement des installations. Je souhaite pour ma part que les délais soient rigoureusement respectés. Le législateur a souhaité ramener les délais d’autorisation à un an ; ce point est attendu par les éleveurs de porc. En matière de regroupement, notre intérêt est de respecter les règles et les seuils européens, d’autant plus qu’ils vont dans le sens de la préservation de l’environnement. Donner aux éleveurs de porcs, notamment en Bretagne, le sentiment que nos seuils sont différents des seuils allemands et européens risque de les plonger dans un profond découragement. Il est préférable de regrouper plusieurs petites exploitations peu modernes, peu compétitives et peu respectueuses de l’environnement en une seule installation plus importante, plus moderne et plus respectueuse de l’environnement, en respectant naturellement le seuil de 2 000 porcs en vigueur dans les autres pays européens. Les parlementaires auront leur mot à dire lors de la rédaction du décret. Il s’agit d’un sujet extrêmement sensible.

L’Observatoire des prix et des marges doit mener à bien sa mission de la manière la plus stricte possible. Son président, Philippe Chalmin, disposera des moyens nécessaires pour faire son travail. Il faut mesurer le profond changement qui s’est produit : nous sommes passés d’un système qui consistait à diffuser deux ou droits données sur Internet, sans la moindre explication, à un système qui englobera l’ensemble des filières et des produits agricoles. Un économiste de renom, avec l’aide d’un certain nombre de fonctionnaires, établira un rapport précis qui pointera l’importance des marges réalisées et les cas où la valeur ajoutée a été retirée au producteur pour enrichir la grande distribution. Cela apportera la transparence nécessaire à l’ensemble du système.

Je voudrais répondre à Jean Gaubert et Daniel Garrigue que, si la régulation fait l’objet d’une position commune franco-allemande, une légère divergence subsiste néanmoins entre nos deux pays. L’Allemagne considère la régulation comme un filet de sécurité (Sicherheitsnetz) et prône une intervention a posteriori – certes plus efficace que le dispositif actuel lorsque se produit un effondrement des cours – auquel nous sommes tout à fait favorables. Nous estimons, quant à nous, qu’il faut aller plus loin et prévoir une régulation en amont, avant même que la crise ne se déclenche.

Prenons l’exemple du lait. Lorsque le prix du lait s’effondre, la Commission européenne a la possibilité d’intervenir sur les marchés pour stocker du beurre et de la poudre et faire ainsi remonter les cours. Mais elle intervient au bout de six mois, lorsque 10 000 producteurs de lait européens sont dans une situation difficile. La France et l’Allemagne souhaitent que la Commission intervienne en amont pour stabiliser le prix du lait et éviter les catastrophes telles que celle que nous avons connue en 2009. La France entend doter la Commission d’instruments permettant de réguler le marché en amont grâce à des informations sur les stocks et la production. Il est inconcevable de passer d’un système de quotas administrés pays par pays à un système qui ne tient plus aucun compte des volumes, chaque pays produisant autant qu’il le veut, en comptant sur un ajustement naturel du marché. J’espère que Dacian Cioloş acceptera la proposition française dans le cadre du « paquet lait ».

J’en viens au budget européen, dont je vous rappelle qu’il n’est pas intégralement dépensé. On peut certes soutenir de nouvelles politiques, encore faut-il qu’elles recouvrent des réalités concrètes. La PAC a de nombreux défauts, mais c’est la seule politique communautaire qui dépense l’intégralité des crédits qui lui sont consacrés. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs : mettons-nous d’abord d’accord sur une politique européenne en matière de recherche, d’éducation ou encore d’échange d’étudiants, et ensuite finançons-là. Je suis pragmatique : je suis convaincu qu’il ne faut pas toucher au budget de la PAC. Ce serait une erreur de récupérer des crédits destinés aux agriculteurs européens pour les engager dans des politiques qui ne sont pas encore définies.

Quant à la possibilité de ressources nouvelles, elle devra sans nul doute être considérée, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, elle devra correspondre à des politiques réelles.

Pour ce qui est de la légitimation des aides, il faut que celles-ci soient plus légitimes dans la PAC de 2013 qu’elles ne le sont aujourd’hui et que les 500 millions de citoyens européens sachent que les crédits alloués à la PAC leur garantissent la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire et la sécurité environnementale.

J’en viens aux interprofessions. Je souhaite que nous sortions rapidement de ce conflit. Je recevrai ce soir même les représentants de la Confédération paysanne pour en discuter. Je souhaite d’abord que le droit soit appliqué, car l’occupation illégale de locaux n’est pas une solution, et qu’ensuite l’ensemble des organisations syndicales représentatives engagent un dialogue. Les professions agricoles doivent se concentrer sur l’objectif qui est d’affronter la concurrence européenne et internationale.

S’agissant des phytosanitaires, je suis favorable à une harmonisation européenne dans les meilleurs délais, à condition toutefois qu’elle se fasse par le haut. Il serait regrettable de revenir en arrière sur les questions phytosanitaires, d’abord pour les agriculteurs eux-mêmes, et pour des raisons à la fois sanitaires et financières. Le coût de production est un élément majeur pour les agriculteurs, compte tenu du coût exorbitant des intrants et des produits phytosanitaires, les agriculteurs sont lourdement pénalisés lorsqu’ils les utilisent. J’ai bon espoir que les choses évoluent dans le sens de l’harmonisation, le Parlement européen ayant fait un certain nombre de propositions intéressantes.

J’ai proposé une modification de la gestion des quotas laitiers qui sont actuellement gérés département par département. Ce système ne sert qu’à gérer la pénurie et nous fait perdre du terrain année après année. Ainsi lorsque nous ne réalisons pas notre quota, s’il manque 1, 2 ou 3 %, le complément vient d’Allemagne. Il faut mettre fin à cette situation qui revient pour la France à tendre un bâton pour se faire battre. C’est pourquoi je propose une gestion des quotas par bassin de production. C’est une vraie révolution et la seule façon pour nous de rester compétitifs tout en valorisant les efforts de ceux qui réussissent dans le secteur laitier.

Le volet agricole de l’OMC a bien été bouclé, mais nous sommes allés à l’extrême limite de ce qu’il est raisonnable de faire en termes de concessions.

Je veux rassurer Pierre Forgues : le premier pilier restera financé au niveau communautaire.

Quant à la vision européenne de l’agriculture, elle est simple : l’objectif de la PAC a toujours été de garantir l’indépendance alimentaire de l’Europe. A un moment où nous nous interrogeons sur notre capacité de nourrir l’ensemble de la planète, où nous constatons que la demande de produits agricoles explose, je crois sincèrement que ce serait une véritable erreur stratégique que de renoncer à notre indépendance alimentaire. Cette idée de souveraineté alimentaire qui a pour origine des pays tels que le Brésil, la Chine, l’Inde ou l’Argentine progresse dans les esprits européens, et désormais peu de pays la contestent.

M. Pierre Forgues. L’OMC est-elle compatible avec l’indépendance alimentaire ?

M. Bruno Le Maire. J’ose l’espérer !

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour ce véritable dialogue qui a permis aux députés de s’exprimer et d’obtenir une réponse à leurs questions.

II. Nomination de rapporteurs

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Commission a nommé rapporteurs d’information :

MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin, sur la transposition des directives ;

M. Michel Lefait, sur les enjeux européens de la numérisation de l’écrit (avec M. Hervé Gaymard, déjà nommé rapporteur) ;

M. Gérard Voisin, sur l’Eurovignette.

La séance est levée à 17 h 30

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 29 septembre 2010 à 16 heures

Présents. - M. Michel Diefenbacher, M. Daniel Fasquelle, M. Pierre Forgues, M. Jean Gaubert, M. Hervé Gaymard, Mme Anne Grommerch, M. Marc Laffineur, M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Michel Piron, M. Franck Riester, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Jacques Desallangre, M. Michel Herbillon

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue