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Commission des affaires européennes

mardi 14 décembre 2010

16 h 15

Compte rendu n° 180

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

Audition de M. Gilles Briatta, secrétaire général des affaires européennes

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 14 décembre 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 20

Audition de M. Gilles Briatta, secrétaire général des affaires européennes

Le Président Pierre Lequiller. L’actualité est particulièrement propice pour entendre à nouveau M. Gilles Briatta, secrétaire général des affaires européennes, que nous avions déjà reçu dans cette commission, au moment de la présidence française de l’Union.

La Commission a déjà accompli un travail important sur les questions économiques et financières. MM. Michel Herbillon et Christophe Caresche, dans leur rapport d’information sur le gouvernement économique européen, ont d’ailleurs formulé des propositions à ce sujet, que nous avons adoptées.

Avec le président de la Commission des finances et le rapporteur général du budget, nous tenons beaucoup à ce que les parlements nationaux soient associés au semestre européen. C’est ainsi que nous avons suggéré l’organisation, au mois de mai, d’une conférence budgétaire interparlementaire des Seize et des Vingt-sept, incluant la commission des budgets du Parlement européen, présidée par M. Alain Lamassoure. Le Président Bernard Accoyer a écrit une lettre à ce sujet à M. Jerzy Buzek ainsi qu’à la présidence belge et, pour ma part, j’ai eu l’occasion d’en parler avec M. Diogo Feio, rapporteur de la résolution sur la gouvernance économique. Cette idée continue de faire son chemin ; pour la faire aboutir, nous avons maintenant besoin de l’appui du pouvoir exécutif.

Nous souhaiterions aussi vous entendre, Monsieur le secrétaire général, à propos du mécanisme permanent de stabilité financière et de la révision simplifiée du traité, qui seront au cœur du prochain Conseil, de la participation du secteur privé à la gestion de la dette, de l’accord en vue sur le projet de budget 2011 et, enfin, des ressources propres préconisées par le Parlement européen.

Par ailleurs, qu’en est-il des propositions législatives de la Commission en matière de gouvernance économique, de sanctions et de semestre européen ? Sans préjuger des conclusions du Conseil, quelles sont les orientations prévisibles ? À quelle échéance peut-on espérer la concrétisation de ces propositions ?

N’est-il pas nécessaire de clarifier les responsabilités respectives de l’Eurogroupe et de l’Union dans son ensemble, sans oublier la Banque centrale européenne (BCE), dont le rôle s’est sensiblement affirmé dans le contexte de la crise ?

Au-delà du renforcement de la discipline budgétaire, que peut-on réellement espérer en matière de coordination des politiques économiques et budgétaires entre l’Union et ses Etats membres, afin de se concentrer sur des domaines comme la recherche, la défense et les énergies nouvelles pour lesquels il me semble indispensable de progresser par étape vers une mutualisation des investissements, nationaux et européens ? Où en sont les projets de la convergence fiscale, notamment, avec l’Allemagne ?

Où en sont les efforts menés par la Roumanie et la Bulgarie afin d’adhérer à l’espace Schengen ?

Quelles sont les priorités de l’action de l’Union européenne dans le cadre du G20 ?

M. Gilles Briatta, secrétaire général des affaires européennes. Vous avez énuméré la plupart des questions brûlantes de l’actualité européenne.

Les débats du Conseil européen des 16 et 17 décembre seront encore dominés par les problèmes liés à la crise financière et à la stabilisation de la zone euro.

Depuis 2008, à la surprise de nombre de spécialistes, le système européen a fait preuve d’une grande réactivité en temps de crise. Le sommet historique de la zone euro d’octobre 2008 avait permis de mettre un terme à la catastrophe financière. Puis, début 2010, les Seize ont réagi avec vigueur et innovation à la crise grecque, avant de créer le Fonds européen de stabilisation financière (FESF), doté de 440 milliards, auxquels s’ajoutent 60 milliards au titre du mécanisme du traité sur l’Union européenne ainsi qu’une participation substantielle du Fonds monétaire international (FMI). L’Irlande, à ce jour, a bénéficié d’une enveloppe de 85 milliards.

La BCE a également fait preuve d’une réactivité déterminante en accordant, au pire moment de la crise bancaire, des facilités de financement aux banques. Depuis que la dette souveraine de plusieurs membres de la zone euro est en situation d’alerte continue, elle a également mis sur pied un programme ambitieux de rachat de titres d’Etat sur le marché secondaire.

Cette réactivité n’a été possible que grâce à la coopération constante entre la France et de l’Allemagne. Celle-ci est parfois critiquée par nos partenaires, qui manifestent beaucoup d’impatience et de déception lorsqu’elle fait défaut, mais beaucoup de critiques lorsqu’elle est dynamique ! Avec les Allemands, nous essayons de trouver le juste équilibre.

Quoique absolument nécessaire, la gestion de crise ne suffit pas : des mesures structurelles s’imposent. En réponse à la crise financière de 2008, les mécanismes de supervision et de régulation financières ont été réformés en un temps record, à travers la création d’agences européennes autonomes, dotées de pouvoirs propres. De surcroît, nous avons mis sur pied le Conseil européen du risque systémique (CERS), présidé par le Président de la BCE alors même que le Royaume-Uni y participe. Le chemin parcouru est donc impressionnant.

Nous avons aussi adopté un programme de régulation financière, en commençant par les fonds alternatifs – les hedge funds –, alors que nombre d’experts m’avaient assuré que l’on ne parviendrait jamais à quelque chose d’aussi ambitieux. L’Agence européenne des marchés financiers (AEMF) s’est vue confier un rôle important dans la délivrance du passeport européen pour les fonds alternatifs basés hors de l’Union européenne, malgré les réticences du Royaume-Uni.

Dans le champ de la régulation financière, de nombreux textes sont encore en cours d’élaboration. Un projet de règlement relatif aux agences de notation tend à renforcer les pouvoirs directs de l’AEMF, qui a été créée dans le cadre du « paquet supervision financière ». Sont également en projet une directive sur la surveillance des conglomérats financiers, un règlement sur les produits dérivés, visant à faire transiter un maximum de négociations de gré à gré dans des chambres de compensation – de ce point de vue, la régulation était moindre en Europe qu’aux Etats-Unis –, et un règlement sur les ventes à découvert et les credit default swaps (CDS).

Dans le domaine financier, bien que les décisions soient prises à vingt-sept, en codécision avec le Parlement européen, la norme législative européenne fonctionne donc mieux et plus rapidement qu’avant la crise.

Un autre chantier structurel porte sur la pérennisation des instruments de gestion de crise. Les débats du Conseil européen des 16 et 17 décembre seront dominés par une question simple : comment conférer aux Etats membres de la zone euro le droit permanent d’instituer un mécanisme de stabilité ? Ce droit nouveau, pour des raisons de sécurité juridique, doit être inscrit dans le traité. Si les Allemands ont accepté de contribuer très fortement au FESF, c’est en raison de son caractère provisoire, puisqu’il ne doit durer que trois ans. Il est vrai que garantir un fonds européen visant à secourir les Etats en difficulté pouvait susciter en Allemagne la crainte d’un contournement de la clause de no bail out – condition politique et juridique posée par l’Allemagne lors de la signature du traité de Maastricht, avant la marche vers la monnaie unique. C’est en particulier le caractère exceptionnel et provisoire de ce fonds qui permet de le considérer comme légal en Allemagne, à traité constant.

Pour instituer un fonds permanent, le traité de Lisbonne ouvre une voie avec la procédure de révision simple ou accélérée prévu à l’alinéa 6 de l’article 48 : en l’absence de transfert de compétence supplémentaire à l’Union européenne et dès lors qu’il ne s’agit que de modifier la seconde partie du traité, relative au fonctionnement de l’Union européenne, une décision unanime du Conseil européen suffit, pourvu qu’elle soit ensuite ratifiée selon les principes constitutionnels spécifiques à chacun des Etats membres ; aucune convention n’est nécessaire, le Parlement européen, la Commission, et la BCE, étant simplement consultés au préalable. Le texte sera proposé dès après-demain et fera sans doute l’objet d’un accord vendredi ; après les diverses consultations avec les institutions européennes, il sera probablement adopté définitivement en mars 2011 par le Conseil européen puis soumis à ratification.

Cette « mini-révision » permettra de préciser l’article 136 du traité de Lisbonne, qui organise la faculté des pays de la zone euro à adopter des mesures les concernant exclusivement. Nous écrirons en toutes lettres que, parmi ces possibilités, figure le droit, pour les Etats de l’Eurogroupe, de créer un mécanisme permanent de stabilisation financière.

Le fondement juridique, le contenu de cette « mini-révision » et la nécessité d’agir rapidement suscitent un consensus large – sachant que le mécanisme provisoire expire en juin 2013 – mais le conseil Affaires générales reste traversé par des débats quant à la rédaction du texte. Les Allemands, par exemple, réclament une ou deux précisions supplémentaires, tandis que les Britanniques voudraient spécifier que les pays bénéficiant de ce mécanisme ne pourront en aucun cas utiliser en plus le fonds de garantie communautaire doté de 60 milliards.

J’attire votre attention sur le changement historique que constitue l’évolution de l’Allemagne : il y a quelques mois seulement, nous n’étions pas certains qu’elle accepterait la création d’un fonds ad hoc provisoire ; il s’agit maintenant de graver dans le marbre du traité un mécanisme permanent de stabilisation, tout en donnant naturellement à l’Allemagne les garanties juridiques indispensables sur les conditions précises encadrant l’activation de ce futur fonds permanent.

Par ailleurs, le Conseil européen des 16 et 17 décembre approuvera l’accord trouvé au sein de l’Eurogroupe, selon lequel le dispositif permanent sera calqué sur celui en vigueur actuellement et fonctionnera aussi de manière consensuelle, mais en impliquant le secteur privé au cas par cas, conformément à la pratique du FMI : dès que surviendront de graves problèmes de solvabilité, l’Etat débiteur envisagera, avec l’ensemble de ses créanciers, les possibilités d’intervention. Les Allemands étaient demandeurs d’une telle mesure mais une clarification de l’accord a été nécessaire puisque les marchés avaient anticipé une application avant juin 2013.

Si, sur le fond, les Etats membres ne contestent plus la mesure, nous débattrons de la méthode avec ceux qui souhaitent rejoindre la zone euro – notamment la Pologne –, car ils tiennent légitimement à être associés à la définition juridique du mécanisme, travail important qui devrait intervenir en mars 2011, au cours d’une réunion des ministres des finances de la zone euro. Le prochain Conseil européen donnera sans doute lieu à un débat approfondi, le Royaume-Uni souhaitant une implication maximale sans participation – ainsi a-t-il accordé des prêts bilatéraux à l’Irlande sans adhérer au système de garantie collective –, tandis que la Pologne demande une association entière. Au final, ce nouveau dispositif devrait donc être agréé au printemps 2011 et opérationnel début juin 2013, la modification du traité devant quant à elle être actée au 1er janvier 2013.

Toujours sur le plan structurel, nous avons fortement renforcé la surveillance de l’Union européenne sur la gestion macroéconomique, budgétaire et financière des Etats en général et de ceux de la zone euro en particulier, comme le préconisait le rapport de M. Herman Van Rompuy, agréé par le Conseil européen d’octobre. Nous devons maintenant traduire cet accord politique en texte juridique, sur la base des six propositions législatives publiées par la Commission. La surveillance budgétaire deviendra plus crédible puisque les sanctions seront automatiques dès lors qu’un Etat membre n’aura pas appliqué une recommandation du Conseil formulée six mois auparavant.

Les Français et les Allemands ont hésité à instituer une sanction automatique immédiate, dès la constatation d’un franchissement statistique de seuil, comme le proposait initialement la Commission. Nous avons toujours considéré que les sanctions se justifient lorsqu’un pays, mis en mesure de corriger un comportement jugé dangereux pour la zone euro, n’agit pas comme il le devrait, afin qu’une telle situation ne puisse perdurer indéfiniment, comme cela fut constaté par le passé. Cette conception de l’automaticité des sanctions est aujourd’hui partagée par une très grande majorité des Etats membres ; les chefs d’Etat et de gouvernement ont approuvé le rapport Van Rompuy à l’unanimité bien que certains ministres des finances considèrent qu’il aurait été opportun d’en rester à la proposition initiale de la Commission. Quoi qu’il en soit, du point de vue politique, le débat est tranché.

Un autre volet du « paquet Van Rompuy » porte sur la surveillance macrofinancière. Ni l’Espagne, dont les taux d’emprunt public ont sensiblement augmenté, ni l’Irlande, qui a dû faire appel au nouveau mécanisme, n’avaient jusqu’à la crise financière enfreint les critères du pacte de stabilité, puisque leurs budgets présentaient des excédents et leurs dettes publiques étaient faibles. La France et l’Allemagne ont toujours estimé qu’il convenait d’accorder autant d’importance, voire plus, à la gestion macroéconomique qu’aux critères statistiques, car certains pays semblent économiquement sains mais fondent leur croissance sur des bases déséquilibrées, à partir, par exemple, de bulles immobilières. Des indices de détection existent mais ni les Etats membres ni la Commission n’en ont tiré les conséquences, bien que la BCE les en ait averti régulièrement en émettant par conséquent des craintes quant à la stabilité de l’ensemble de la zone euro. De fait, le déficit des paiements courants de l’Espagne et les prix excessifs de l’immobilier en Irlande étaient particulièrement inquiétants. Désormais, lorsque la Commission et la BCE considéreront que la gestion macroéconomique d’un Etat membre présente un risque, celui-ci devra en répondre jusque devant le Conseil européen, même si ce risque sera toujours plus délicat à évaluer que le franchissement statistique d’un seuil.

Le Président Pierre Lequiller. Qu’en est-il précisément de l’état des discussions sur la nature des sanctions politiques ou financières ?

M. Gilles Briatta. Les sanctions financières, déjà prévues dans le traité, sont les plus simples à appliquer. Nous avons renforcé l’automaticité de leur déclenchement et, dès lors qu’un Etat averti n’a pas agi conformément à ses devoirs, leur montant peut atteindre jusqu’à 0,2 % du PIB. Il peut sembler un peu difficile d’appliquer une sanction financière à un pays en très fort déficit, Mme Angela Merkel l’a souligné à propos de la Grèce. L’idée consiste donc à renforcer aussi la prévention : un pays approchant de la zone dangereuse, y compris sur le plan de la dette, pourra être placé en procédure de déficit excessif.

Pour les cas extrêmes où la prévention ne fonctionne pas et où les sanctions financières sont inopérantes, il faut également prévoir des sanctions politiques, qui ne se résument pas à la privation des droits de vote. Les Français et les Allemands n’ont guère été entendus jusqu’à présent sur ce point puisque de nombreux Etats membres ont considéré que cela constituerait une atteinte à leur souveraineté. C’est dommage car l’Europe se prive ainsi de marges de manœuvre probablement très efficaces. Mais la surveillance macroéconomique est peut-être un moyen indirect de parvenir au même résultat, dans la mesure où des pays seront obligés de s’expliquer devant le Conseil européen sur la base d’un rapport, ce qui ne sera sans doute pas dénué de conséquences en termes de risque réputationnel. En tout cas, contrairement à notre idée première, les seules sanctions directes prévues à ce stade sont d’ordre financier.

Toutes ces mesures étaient indispensables mais il convient d’aller plus loin encore car l’opinion garde l’impression que nous avons toujours un temps de retard sur les marchés. Outre que la divergence économique entre pays de la zone euro s’accroît, celle-ci manque de cohésion et d’intégration interne dans le domaine économico-financier. Mme Merkel et M. Sarkozy, à Fribourg, ont ainsi indiqué qu’il convenait non seulement d’achever les travaux en cours mais également de réfléchir à des actions plus structurelles, la France et l’Allemagne étant prêtes à prendre leur responsabilité en la matière dès 2011. Cette réflexion commence à peine mais elle est vitale pour redonner un fonctionnement harmonieux à la zone euro. Parallèlement, les deux pays achèvent leur étude conjointe comparée relative à la fiscalité.

Le deuxième grand thème est celui de l’avenir du budget européen.

Dès juillet 2010, à Strasbourg, le Premier ministre français avait indiqué à la Commission qu’il était impossible d’afficher des augmentations de crédits de paiement de 6 % par an à Bruxelles alors que les Etats membres gelaient leurs dépenses. Ce point de vue est désormais très largement partagé, au point que la croissance du budget européen sera ramenée à 2,91 %, taux préconisé par le Conseil, correspondant au seuil minimal pour satisfaire nos engagements juridiques en matière de fonds structurels et sauvegarder nos intérêts agricoles. Le Parlement européen, qui émettra son vote final sur le budget demain, se rend compte qu’il ne peut ignorer la situation budgétaire des Etats membre, que Bruxelles ne doit pas s’enfermer dans une sorte de « bulle ».

S’agissant des perspectives financières 2014-2020, nous attendons les propositions de la Commission en juin ou juillet 2011. Les Etats membres, poussés en particulier par la France, considèrent dans leur ensemble qu’il convient de tenir compte des contraintes budgétaires de chacun d’entre eux : être ambitieux, c’est dépenser mieux, pas nécessairement dépenser plus.

Le budget doit donc être stable – tout le problème est de s’entendre sur ce terme –, sachant qu’il faut préserver les moyens de la politique agricole commune (PAC) et conduire à la modernisation des différentes rubriques, de manière à rationaliser toutes les dépenses, y compris les fonds structurels, dont ont largement bénéficié nombre d’Etats aujourd’hui en difficulté. Certaines situations sont absurdes : pourquoi l’Objectif 2 interdit-il aux collectivités locales de certains Etats membres l’usage de leurs fonds structurels pour financer un tramway et pourquoi les pays de la cohésion ne peuvent-ils pas utiliser leurs fonds pour financer une centrale électrique ultramoderne ? Une révision de l’ensemble de ces règles s’impose pour tenir compte de l’utilité des investissements et de la valeur ajoutée européenne, notamment en matière environnementale ; la direction générale de la politique régionale de la Commission en est elle-même persuadée.

La France est d’autant plus ouverte à l’organisation d’un débat sur les ressources de l’U.E.qu’elle est victime du système actuel : elle paie le rabais britannique au-delà de sa quote-part normale, ainsi qu’un certain nombre d’autres ristournes consenties aux Allemands, aux Néerlandais, aux Suédois et aux Autrichiens. Elle a donc intérêt à tout mettre sur la table.

Nous posons deux conditions à l’institution d’une nouvelle ressource propre : il ne faut pas créer un impôt européen additionnel mais imaginer une nouvelle ressource, plus adaptée et plus juste ; les Etats membres doivent conserver la maîtrise totale de son assiette et de son taux. La Commission comprend parfaitement ce point de vue, plus ouvert que celui des Britanniques.

Je dirai aussi quelques mots à propos de la croissance et de l’emploi car l’Union européenne ne sert pas uniquement à garantir la stabilité budgétaire et la fiabilité financière. Du reste, rien ne se fera sans croissance européenne, y compris la stabilisation budgétaire. Le Conseil européen s’efforce de donner des impulsions et veille à ce que toutes les politiques européennes soient envisagées à travers le prisme de la croissance, ce dont nous sommes encore loin.

Le Conseil exceptionnel de février sera consacré à l’innovation, à la recherche et à l’énergie. Il convient en effet que l’Union aide concrètement les entreprises des Etats membres à consacrer davantage de moyens à la recherche et surtout davantage d’attention à la valorisation de leur recherche. La France a formulé deux propositions en la matière.

Premièrement, une partie du budget européen de la recherche doit être consacrée à un grand fonds européen de capital-risque pour les PME innovantes. Le capital-risque ne décolle pas en Europe, et pas seulement pour des raisons fiscales – le Royaume-Uni a adopté une législation qui lui est très favorable, à ma connaissance sans grandes conséquences sur les volumes. Il se trouve que les financeurs européens ne semblent généralement pas aimer le risque. Fédérer des fonds publics européens permettrait à des investisseurs avisés de s’engager, l’Union assumant une partie du risque mais étant susceptible de bénéficier de retours en dividendes. Cette idée commence à progresser.

Deuxièmement, nous devrions constituer un grand fonds européen des brevets. En effet, nombre de brevets ne sont pas exploités parce que les entreprises concernées ne disposent plus des moyens financiers nécessaires à leur développement. Ce fonds pourrait acquérir ou louer des brevets afin de les valoriser, avant de les céder à nouveau en dégageant un bénéfice, réparti entre partenaires européens ou restitué à l’entreprise en cas de location. De grands fonds américains et asiatiques se développent et achètent en particulier des brevets européens. Il en existe bien un en France, doté d’une centaine de millions d’euros, alors que l’échelle devrait être de plusieurs milliards s’il devait concerner tout le continent européen. Le défi de la valorisation de l’innovation est une idée concrète que nous souhaitons défendre devant le Conseil européen, d’autant que l’échelon national ne suffit pas pour relever ce défi.

Lors de ce Conseil européen de février 2011, nous traiterons aussi de l’énergie.

Enfin, la Roumanie et la Bulgarie ont vocation à intégrer Schengen – les traités d’adhésion sont clairs – mais nous avons un devoir de sincérité à leur égard parce que nous sommes leurs amis et leurs partenaires : il faut au préalable que des conditions de sécurité acceptables, de deux ordres, soient réunies. D’abord, les critères habituels d’évaluation de Schengen doivent être respectés, y compris s’agissant de la sécurité des échanges d’informations sensibles ; si de gros progrès ont été accomplis en matière de contrôles frontaliers, de nombreux problèmes demeurent, le récent rapport sur la Bulgarie en atteste, et nous aidons nos partenaires à avancer. Ensuite, la confiance globale envers la capacité de ces pays de surveiller efficacement des frontières extérieures de l’Union pour le compte de l’ensemble des pays Schengen est altérée par des faiblesses reconnues en matière de fonctionnement de la justice, de lutte contre la criminalité, ou de corruption ; nous voulons être certains que les progrès réalisés seront suffisants, ce qui, d’après nos experts, n’est pas encore le cas à ce stade. C’est d’autant plus grave que les Balkans sont la zone de l’Union la plus sensible pour l’immigration illégale. La Grèce rencontre d’énormes difficultés – nous avons dû renforcer les aides bilatérales et européennes à la surveillance de ses frontières – et la Roumanie et la Bulgarie seront bientôt directement exposées. Nous souhaitons définir avec ces deux pays un plan d’action réaliste afin de les accompagner dans l’adhésion à l’espace Schengen à laquelle ils ont droit mais nous privilégierons le fond par rapport au calendrier. La sécurité de l’espace Schengen restera notre première priorité.

M. Jacques Myard. M. Jérôme Lambert et moi-même ne vous contredirons pas sur ce dernier point : la Bulgarie et la Roumanie ne sont pas au top – le système de Schengen mériterait au demeurant d’être revisité.

J’ai attiré l’attention du Premier ministre à propos de Draka, fabricant néerlandais de câbles de haute technologie, sur lequel un fonds souverain chinois est en train de mettre la main. Au lieu de créer un fonds européen de capital-risque, il serait beaucoup plus efficace et rapide d’engager des fonds nationaux. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, il me paraîtrait plus judicieux de faire reconnaître le Fonds stratégique d’investissement (FSI) par Bruxelles.

J’approuve tout ce qui a été accompli en matière de relations financières transnationales. Si l’adoption de normes juridiques ou financières communes est possible, c’est parce que cela ne touche pas à la souveraineté des Etats. De même, il est positif que les banques centrales se parlent enfin.

En revanche, s’agissant du sauvetage de l’euro et de l’union de transferts naissante, le texte franco-allemand adopté vendredi traduit un échec, les Allemands ayant refusé la mutualisation de la dette à travers les euros-obligations. Le Fonds de stabilité financière sera vraisemblablement maintenu mais M. Axel Weber m’a récemment confié que l’Allemagne refusera de se substituer aux Etats défaillants. L’ensemble du système est donc bancal. Lorsque Mme Merkel déclare que le secteur privé doit aussi payer, c’est le meilleur moyen de mettre le feu aux marchés. La Grèce et l’Allemagne n’ont pas la même puissance économique. Ni l’Irlande ni l’Espagne ne présentaient de déficits budgétaires mais elles étaient en surchauffe.

Enfin, si vous tenez à faire sauter le système, instaurez des sanctions politiques ! Ce sera inapplicable. La journaliste Marie de Vergès esquisse dans Le Monde plusieurs scénarios parmi lesquels la sortie de l’Allemagne. En tout cas, les dispositifs envisagés actuellement ne suffiront pas, à moins que l’Allemagne et la France acceptent de payer indéfiniment.

M. Jérôme Lambert. L’Union européenne a toujours un temps de retard sur les marchés, les divergences économiques de la zone euro s’accroissent et les réponses apportées ne semblent pas toujours à la hauteur. Je suis favorable à une coopération renforcée entre certains membres de la zone euro, selon le principe des cercles concentriques, car, sur nombre de sujets financiers techniques, mais aussi sociaux, il est de plus en plus compliqué de travailler à vingt-sept. Le cadre juridique en vigueur n’est pas approprié ; il est urgent de le réviser mais les projets en la matière risquent de ne pas suffire.

Le ministre chargé des affaires européennes a récemment insisté sur la nécessité de construire des relations bilatérales fortes avec la Hongrie et la Pologne, les deux prochains pays qui présideront l’Union. Les événements récents ont montré l’importance que peut revêtir la présidence du Conseil européen. Quels dossiers estimez-vous que la Hongrie et la Pologne doivent inscrire en priorité à leurs agendas ?

Le ministre, se démarquant d’une conception trop naïve du libre-échange, a aussi plaidé en faveur d’une Europe protectrice, ce qui, face à la Chine, se comprend. Concrètement, quelles mesures le Gouvernement entend-il proposer, notamment en matière de politique commerciale et d’ouverture des marchés publics à la concurrence internationale ?

M. Yves Bur. En cette période de crise, l’Europe a su jouer les super-pompiers mais cette politique de sauvetage suffit-elle à rassurer les populations ? Au-delà des interventions conjoncturelles, quelles mesures structurelles sont susceptibles de rendre aux citoyens européens la conscience qu’ils partagent une aventure commune ? En quoi l’Agenda 2020 se distingue-t-il de l’agenda de 2010 ? Pourra-t-il vraiment modifier le cours des choses ? Nos concitoyens verront-ils bientôt l’Europe du concret qu’ils attendent ?

Le renforcement du partenariat franco-allemand résulte peut-être moins d’une envie que de la nécessité de travailler ensemble. Compte tenu de la situation financière de la France – qui semble parfois sur la défensive –, le leadership n’est-il pas en réalité exercé par l’Allemagne ? Comment sortir de cette dépendance ? Je le demande d’autant plus librement que je préside le groupe d’amitié France-Allemagne de l’Assemblée nationale.

M. Christophe Caresche. Face à la crise qui menace l’euro et la construction européenne, la réactivité de l’Union européenne est certes louable mais reste insuffisante au regard de la vitesse avec laquelle les phénomènes se déroulent. Jamais les destins des Etats européens n’ont été aussi liés car l’euro nous contraint à avancer ensemble ; c’est une contrainte mais cela explique aussi la réactivité de l’Union.

La BCE, sous l’impulsion de son président, a joué un rôle très positif, avec l’assouplissement évident, quoique discret, des règles d’intervention sur l’euro. Le remplacement de Jean-Claude Trichet par Axel Weber à la présidence de la Banque risque de poser un problème majeur car je ne suis pas certain que celui-ci aurait eu la même attitude.

Par ailleurs, comme le font observer M. Trichet et le président du FMI, il est regrettable que le montant du FESF ne permette pas de faire face à une crise qui s’étendrait au-delà de l’Irlande et de la Grèce. Ne faut-il pas anticiper les difficultés ? La position d’abord allemande, puis française, consistant à éluder la question du montant de peur d’accroître la tension sur les marchés, n’apporte pas de solution réelle.

Deux scénarios ont été envisagés pour 2013. L’Allemagne croit à une restructuration des dettes des pays en difficulté, qui présenterait l’inconvénient de coûter cher aux banques européennes, notamment françaises et allemandes, et pèserait nécessairement sur les Etats. Le risque est à la fois économique et politique : comment autoriser un Etat de la zone euro à faire faillite ? La France s’est du reste efforcée d’assouplir le dispositif proposé par l’Allemagne. Le deuxième scénario consiste à évoluer vers davantage de fédéralisme, de mise en commun, mais l’idée de mutualiser une partie de la dette et d’émettre des obligations européennes, formulée par le premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker et le ministre de l’économie et des finances italien Giulio Tremonti, a été repoussée. Là encore, l’Europe se contente de demi-mesures qui, le cas échéant, ne permettront pas d’éteindre l’incendie. La France ne doit-elle pas soutenir la proposition Juncker-Tremonti, seul scénario viable de sortie de crise ?

M. Bernard Deflesselles. Deux choses me mettent en rage.

La première est l’effacement de l’Europe, de sa gouvernance, des chefs qui devraient la représenter au plus haut niveau. Les contours de sa politique énergétique et industrielle sont flous. Alors que l’Union, avec la directive de décembre 2008, avait montré la voie des négociations sur le climat, elle a été totalement absente de la conférence de Cancun, dominée par la ministre des affaires étrangères mexicaine et le ministre de l’environnement indien.

La seconde est l’absence de mesures concrètes. Quand le fonds européen des brevets, attendu par les TPE et les PME, verra-t-il le jour et quel sera son périmètre d’intervention ? De même, quel écho rencontre la proposition française de fonds communautaire d’investissement, qui serait nécessairement mieux doté que le FSI français ? Quel calendrier et quelles mesures concrètes sont prévus ?

M. Hervé Gaymard. Réaliser une union monétaire entre Etats n’ayant pas harmonisé au préalable leurs systèmes sociaux, fiscaux et normatifs, c’est-à-dire au mépris de la théorie économique des zones monétaires optimales, revient à la quadrature du cercle.

Pour avoir participé, en tant que ministre des finances, à des réunions de l’Eurogroupe lors desquelles était déjà soulevée la question de la sincérité des comptes grecs, je sais combien il est difficile de dire certaines choses et combien, faute d’avoir prévu, en amont, des éléments de cohérence, il sera compliqué d’appliquer des sanctions automatiques. Comment sanctionner l’Irlande après l’avoir laissée bénéficier, pendant des années, de fonds structurels qui ont concouru à réduire optiquement son déficit public et lui ont permis de mener une politique fiscale aventureuse ? Au sein d’une confédération d’Etats-nations, pourra-t-on appliquer des sanctions ressenties comme désobligeantes, risquant d’accroître le sentiment anti-européen et de faire exploser la dynamique de construction européenne ?

Je déplore aussi l’absence de politique énergétique et industrielle commune. L’idolâtrie envers la concurrence détruit des pans entiers de l’industrie européenne. Quant à la tarification instaurée à travers la loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), elle est dangereuse pour les industries électro-intensives. Comme l’a noté Marcel Boiteux, c’est la première fois que des mécanismes visant à appliquer des règles de concurrence feront monter les prix au lieu de les faire baisser. Les règles européennes empêchent nos industries de profiter des avantages concurrentiels que nous tirons de nos installations nucléaires et hydroélectriques. Si le gouvernement français n’a pas le courage de renverser la table à Bruxelles, comme il le fit dans les années soixante à propos de la PAC, la mondialisation risque de provoquer à terme la disparition de l’industrie européenne.

Enfin, avec d’autres, je plaide pour que le livre numérique, à l’instar du livre papier, bénéficie du taux de TVA réduit ; contrairement à ce qui s’est passé pour la restauration, il s’agit donc non pas de faire baisser un taux de TVA mais d’aligner la taxation d’un nouveau produit sur la taxation de celui dont il est issu par homothétie. Si nous ne réagissons pas très vite, ce secteur subira la même chose que celui de la musique : le défaut d’offre légale attractive favorisera le téléchargement illégal. Revenant sur le vote des assemblées, la commission mixte paritaire, attendant les conclusions de la mission confiée à M. Jacques Toubon, a repoussé au 1er janvier 2012 l’entrée en vigueur du taux à 5,5 %, alors qu’il faudrait la mettre en application avant la fin du premier trimestre 2011. Ce dossier emblématique ne pose pourtant aucun problème d’harmonisation. Personne n’a trouvé quoi que ce soit à redire quand la présidence suédoise a avancé sur le livre audio, alors pourquoi agir différemment pour le livre numérique ? Je regrette que l’« angélisme exterminateur » né des attentes, supposées, de Bruxelles mette l’Europe en danger.

M. Philippe Armand Martin. Le monde agricole, notamment en France, craint que le budget européen soit revu à la baisse. Puisqu’il n’est pas envisageable de ponctionner davantage les Etat membres, pourquoi ne pas instaurer une taxe européenne sur les biens produits dans des pays ne respectant pas certaines normes environnementales ? Est-ce toujours d’actualité ?

M. Michel Diefenbacher. Comment expliquer que les Etats membres, malgré leurs profondes différences de culture et d’intérêts, soient parvenus à s’entendre sur le sujet si sensible de la régulation ? Entre la gravité de la crise, la nécessité de s’unir et le rôle croissant du Parlement européen, quel a été le facteur déterminant pour parvenir à cet accord ?

M. Gilles Briatta. Monsieur Myard, Monsieur Lambert, Monsieur Bur, il n’est en effet pas incongru de se demander si le rôle de pompier joué par l’Union est suffisant.

Je conviens que cette réponse ne va pas assez loin, même si jouer les pompiers prend beaucoup de temps, surtout quand on doit en outre gérer les affaires européennes d’actualité et réfléchir à l’avenir. C’est d’ailleurs parce que nous avons conscience d’être en retard par rapport aux marchés que nous avons décidé, pour la première fois, de nous exprimer publiquement sur ce sujet, à Fribourg, avec les Allemands. Si nous trouvons un accord, cette question peut nous mener assez loin.

Mettons-nous un instant à la place du gouvernement allemand. La création de la monnaie unique s’est accompagnée d’un pacte politique, confirmé par le traité, excluant bail out et mutualisation de la dette des autres Etats. Or les Allemands ont dû se résoudre à organiser avec nous l’aide à la Grèce et à l’Irlande, ce qui leur a posé des difficultés politiques internes, tout en se faisant critiquer par une partie de la presse européenne pour leur soi-disant manque de solidarité !

Dans cette période agitée, la presse européenne reproche parfois à la France de devenir trop « allemande » et à l’Allemagne de devenir trop « française ». La réalité n’est pas aussi simple, ni dans un sens ni dans l’autre. Historiquement, la création de la monnaie unique provient d’un contrat bilatéral entre les deux pays, contrat élargi ensuite aux autres pays. Il est normal que les Allemands n’aient pas oublié les termes de ce contrat ; ils comprennent en même temps que la situation a évolué et les banques allemandes étaient les premières à demander que l’on ne laisse pas tomber la Grèce.

Même si les banques de son pays le lui demandent, le gouvernement allemand ne peut pas donner l’impression de poursuivre une politique qu’il avait juré de ne pas mener lors de la création de l’euro. Il n’en demeure pas moins que la grande majorité des Allemands souhaitent le maintien de la monnaie unique, compte tenu notamment de son importance politique pour la construction européenne et de l’importance de la zone euro dans leurs exportation.

La France et l’Allemagne ont la même position : tout en continuant à gérer la crise, de nouvelles règles doivent être définies et appliquées.

On ne peut pas demander à l’Allemagne ou à la France de renflouer tout pays de la zone euro sans avoir des moyens de contrôle crédible sur les politiques économique, budgétaire, fiscale… La question de moyen et de long terme est donc celle du degré d’intégration et d’harmonisation au sein de la zone euro. Pour l’heure, nous ne disposons d’aucune réponse mais il est important que la question ait été posée publiquement à Fribourg. Et avant d’aller plus loin, pas à pas, il faut achever d’éteindre les incendies.

En assurant que la France et l’Allemagne assumeront leurs responsabilités, le Président de la République et la Chancelière ont donné le signal qu’ils prenaient acte du changement de contexte, qu’ils acceptaient de se poser la question des nécessaires réformes structurelles au sein de la zone euro et qu’ils tenteraient d’y répondre. De même que la monnaie unique ne s’est pas faite en un mois , un certain temps sera nécessaire pour réfléchir à l’avenir. Mais n’oublions pas que les Allemands, contrairement aux idées reçues, ont déjà accepté de jouer avec nous la carte de la solidarité au sein de la zone euro, solidarité accompagnée de conditions bien compréhensibles. On peut donc être optimiste sur la suite du processus.

Monsieur Bur, Monsieur Deflesselles, nous essayons de réintroduire du concret dans les décisions européennes. Je vous remercie de prêter de l’intérêt à nos propositions concernant des fonds européen pour le capital-risque et les brevets. Il est parfois difficile d’amener les Européens vers le concret mais, une fois le mouvement amorcé, le lobbying exercé par les entreprises soutient la démarche et les fonctionnaires de la Commission aspirent à être utiles et concrets. L’Europe, dans ce domaine, va donc décoller. Monsieur Myard, la démarche s’appuiera sur les fonds nationaux ; l’idée n’est pas de créer une structure ex nihilo mais de provoquer un effet de levier.

Nous comptons pousser cette proposition sur le terrain politique dès le 4 février, afin que la Commission l’intègre dans ses propositions de l’été 2011 relatives aux nouvelles perspectives financières. La Commission est de plus en plus convaincue de la nécessité d’agir dans ce sens même si cela exige un effort important.

Notre politique énergétique doit comporter un volet recherche. Les Européens, qui sont en pointe dans ce secteur et possèdent en particulier des entreprises gazières de taille mondiale, n’avaient toutefois pas plus prévu la révolution des gaz non conventionnels que les majors américaines qui dépensent des fortunes pour racheter des brevets dans ce domaine. La recherche énergétique est donc vitale et ne devrait pas être cantonnée à nos spécialités traditionnelles.

De même, l’Europe pourrait faire des progrès en matière d’électricité non carbonée. Celle-ci ne représente que 42 % de l’électricité européenne, alors que, eu égard à nos capacités dans le nucléaire et les énergies renouvelables, elle pourrait excéder 60 %. La Commission s’apprête dès février 2011 à proposer un objectif de 66 % en 2020. La mesure, qui a d’abord suscité un scepticisme général, est non seulement possible techniquement mais aussi bonne pour le climat et notre indépendance énergétique, puisque l’énergie non carbonée que nous consommons est produite en Europe. Ce sont des décisions de ce type que nous essayons de pousser.

Quant à la PAC, Monsieur Martin, nous suivons une voie étroite mais nous n’en dévierons pas : nous voulons, d’une part, que le budget européen reste stable, car les budgets nationaux ne peuvent contribuer plus largement au budget européen, et, d’autre part, que celui de la PAC soit préservé. Au terme d’une communication active – toujours nécessaire dans l’action européenne –, ce double point de vue progresse : nous répétons depuis six mois qu’il faut dépenser non pas plus mais mieux et la Commission commence à l’admettre. Sur le budget de la PAC, nous avons aussi progressé.. Le maintien du budget de la PAC dans un budget globalement stable est possible ; j’espère que nous y parviendrons car c’est pour nous un point essentiel.

Nous avons d’autres sujets de préoccupation au sujet du commerce agricole. Le Premier ministre a récemment rappelé au président de la Commission la nécessité d’être vigilant vis-à-vis du Marché commun du Sud (MERCOSUR) : une nouvelle offre agricole trop généreuse balaierait des secteurs entiers de l’agriculture européenne. Le MERCOSUR dégage déjà chaque année des milliards d’excédents commerciaux agricoles avec l’Union. Les régions traditionnelles d’élevage en France ne vont pas arrêter de produire du bœuf sous prétexte que l’UE pourrait vendre davantage de services au Brésil. Répétons-le pour combattre, au sein de la Commission, certaines tentations : quand une filière d’élevage est touchée, les conséquences dépassent largement celles prévues dans les modélisations de Bruxelles ; ceux qui ont vécu de telles crises se souviennent de leur coût politique et budgétaire. Il faut éviter de dresser contre l’Europe des pans entiers de la population ; c’est en ces termes que nous présentons la situation à la Commission et nous savons que la représentation nationale partage cette approche..

En septembre, lors du Conseil européen consacré aux grands pays émergents – autre réunion thématique due à M. Van Rompuy, président stable du Conseil européen –, il a beaucoup été question de réciprocité, grâce à la France. Une première traduction concrète a été l’annonce par la Commission d’une proposition visant à assurer la réciprocité de l’accès aux marchés publics que nous réclamions depuis des années. Nous souhaitons la mesure la plus ambitieuse possible : notre objectif est que les Etats membres puissent fermer leurs marchés publics aux Etats tiers excluant les entreprises européennes des leurs. L’idée choque moins aujourd’hui qu’hier, du côté français comme du côté allemand et au niveau européen.

Nos deux pays ont d’ailleurs rarement été aussi proches sur le plan des concepts : par exemple, sur le plan institutionnel, la France s’est beaucoup rapprochée du Parlement européen, institution clé du pouvoir européen, et cela est très utile et positif ; quant à l’Allemagne, elle est devenue moins réticente vis-à-vis de certaines idées françaises qui pourraient correspondre à ses intérêts économiques. Voilà pourquoi la réciprocité est redevenue un thème acceptable, ce dont nous nous réjouissons.

Monsieur Diefenbacher, c’est indiscutablement le degré d’urgence qui a permis de progresser en matière de régulation et de supervision financières. Les décisions à prendre sont remontées très vite au Conseil européen, lequel a pris conscience que la crédibilité européenne était en jeu, surtout face aux Américains, qui progressaient très vite. De ce fait, les chefs d’Etat et de gouvernement ont donné à leurs administrations le cadre requis pour conclure un accord. Le Parlement européen, en se montrant plus ambitieux que le barycentre du Conseil, nous a rendu un grand service : nous l’avons beaucoup poussé, je le dis sans fard, pour obtenir le paquet le plus audacieux possible.

Pour le texte de régulation emblématique relatif aux hedge funds, je me félicite du résultat. Au départ, le texte prévoyait une sorte de reconnaissance mutuelle des passeports nationaux, sans doute la pire des solutions. La France a décidé de jouer pleinement le jeu de l’Europe en réclamant un vrai passeport européen, avec un vrai rôle pour l’AEMF. Cette position était difficile à contrer. Dès lors que l’AEMF gagnera en compétences, des experts pleins d’ambition entreront dans le jeu – d’ailleurs, nous les y encouragerons. L’Agence aura des pouvoirs sur les passeports européens et, pour le même motif, nous lui en donnerons aussi sur les agences de notation. Si nous n’avons pas inventé de remède miracle, nous avons limité les dégâts par rapport au texte initial sur les hedge funds, qui se dégradait jour après jour. Celui qui a été adopté au final est tout à fait honorable ; là encore, le Parlement européen nous a soutenu et la codécision a beaucoup compté.

Monsieur Lambert, Hongrie et Pologne partagent avec la France un même intérêt pour l’énergie. Des représentants de ces deux pays sont régulièrement venus nous voir pour en discuter de manière bilatérale. Les Hongrois, très attachés à ce que leur sommet du 4 février débouche sur des mesures concrètes, sollicitent des idées auprès de nous, sachant que la présidence française avait été à l’origine du rapport Mandil, qui reste la feuille de route de toutes les propositions de la Commission – comme quoi il est toujours utile de rédiger un rapport européen très en amont, surtout quand son auteur est un Français mondialement reconnu. Les Hongrois souhaitent donc coopérer avec nous et nous leur avons donné notre accord : nous avons insisté sur l’importance de l’électricité non carbonée et souligné qu’il convient de ne pas négliger la recherche européenne dans ce secteur, au-delà du sujet principal qui devrait concerner la politique européenne à l’égard des fournisseurs tiers. En effet, comme le relève le rapport Mandil, nous serons plus forts pour parler aux Russes si nous avons remis notre maison en ordre ; si nous n’y parvenons pas, si nous ne réalisons pas d’économies d’énergie et si nous ne développons pas les sources d’énergie non carbonée, nous serons trop dépendants de nos fournisseurs. Quant aux Polonais, ils nous aident car la nette amélioration du dialogue bilatéral entre la Pologne et la Russie rend plus fructueux les échanges sur les sujets énergétiques externes.

Je signale au passage que le dernier sommet euro-russe, pour une fois, a été considéré comme exemplaire tant par les Russes que par M. Hermann Van Rompuy et M. José Barroso, qui y représentaient l’Union européenne : la Russie a mis les vrais problèmes sur la table, elle s’est exprimée et des décisions ont été prises, notamment à propos de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tous les Etats membres étaient informés des objectifs et sont satisfaits du résultat. Le système tout neuf en vigueur depuis le 1er janvier 2010 se met donc peu à peu en place.

Sur les négociations climatiques, je partage votre point de vue, Monsieur Deflesselles. Après Copenhague, je crois qu’il était tactiquement judicieux, à Cancun, de laisser faire la présidence mexicaine, avec laquelle nous avons bien travaillé. Cela dit, comme M. Van Rompuy le sait bien, je pense qu’il faudra de nouveau se saisir du sujet au plus haut niveau en prévision du sommet de Durban.

Comme d’habitude en Europe, les progrès sont graduels. Même s’il ne cherche pas à apparaître en première page des journaux, l’influence du président du Conseil européen grandit. Cette révolution, dont on ne se rend pas forcément compte, est vraiment une chance. Sur tous les sujets sensibles, c’est lui qui est  en première ligne : c’est à lui qu’il a été demandé de rédiger le rapport sur la gouvernance économique ; c’est à lui qu’il a été demandé de réfléchir aux modifications acceptables du traité en ce qui concerne le fonds permanent de stabilité.

Le Président Pierre Lequiller. Il est effectivement remarquable. Et que pensez-vous de Mme Catherine Ashton ?

M. Gilles Briatta. Elle a choisi un excellent secrétaire général exécutif, de nationalité française et que nous connaissons bien, ce qui est à mettre à son crédit – peut-être son nom lui a-t-il été suggéré, mais sûrement pas imposé, car elle ne manque pas de caractère ni d’autorité.

Confrontée à une tâche considérable et au défi que représente la nécessité de tenir compte du rôle des vingt-sept ministres des affaires étrangères, elle s’est donnée comme l’une de ses principales priorités de mettre sur pied et de faire fonctionner le service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ce choix peut être discuté mais, si elle avait échoué, plus personne n’en parlerait. La tâche est plus facile dans les délégations de l’Union européenne, qui possèdent déjà une base et une ossature – surtout dans les grands Etats tiers –, d’autant que les ambassades, en cette période de rigueur budgétaire nationale, savent qu’elles ont intérêt à agir en commun.

C’est le cas à Pékin. Le nouvel ambassadeur de l’Union européenne en Chine, qui n’est pas un fonctionnaire de la Commission mais un fonctionnaire allemand, a le bon état d’esprit : il veut poursuivre le mouvement de rapprochement entre toutes les ambassades, qui se sentaient souvent incapables de traiter seules les problèmes auxquels elles étaient toutes confrontées ; il est du reste plus confortable pour elles de s’en remettre à la délégation de l’Union. J’ai toujours été confiant à cet égard et je suis sûr Mme Ashton use de tout son poids pour que le SEAE travaille bien.

En administration centrale, les délais, comme toujours, seront plus longs. Mon conseil pour le SEAE est de commencer par se concentrer sur un ou deux sujets, afin de faire la preuve de sa valeur ajoutée, car le but n’est pas de créer un vingt-huitième ministère des affaires étrangères.

Le Président Pierre Lequiller. Pouvez-vous citer quelques exemples ?

M. Gilles Briatta. Mme Ashton connaît bien la Chine et la délégation de l’Union européenne y est traditionnellement forte. Presque tous les Etats membres qui entretiennent des relations avec la Chine s’en réjouissent car cette grande puissance est une source inépuisable d’opportunités économiques, mais ils sont également confrontés à des difficultés  – M. Myard a évoqué l’affaire Draka. Reprenant une idée française, le SEAE pourrait fixer chaque année trois ou quatre objectifs concrets faisant l’objet d’un accord entre Etats membres. C’est le mode opératoire des Américains : face aux Chinois, pendant un an, on me dit qu’ils s’en tiennent à trois exigences, ce qui leur permet souvent de progresser au moins sur l’une d’elle. Les Européens, eux, émettent une multitude de demandes, suscitées par les Etats membres ou la Commission et évolutives, ce qui est inefficace. Le SEAE travaillera sur les Etats émergents en général et la Chine en particulier.

Le SEAE dispose déjà d’une administration centrale, provenant essentiellement de la Commission et du secrétariat général du Conseil, alors que des recrutements sont en cours en provenance des Etats membres. Il reviendra au SEAE de prouver son utilité le plus rapidement possible. Il est probable que l’actualité lui en donnera vite l’occasion, en particulier quand il faudra trouver dans l’urgence un consensus européen sur un sujet concret et d’actualité brûlante.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie infiniment, monsieur le secrétaire général des affaires européennes.

La séance est levée à 18 h 20

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 14 décembre 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Yves Bur, M. Christophe Caresche, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Michel Delebarre, M. Jacques Desallangre, M. Michel Diefenbacher, M. Hervé Gaymard, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin, Mme Odile Saugues, M. Philippe Tourtelier, M. Gérard Voisin

Excusées. - Mme Anne Grommerch, Mme Marietta Karamanli

Assistaient également à la réunion. - M. Patrice Calméjane, Mme Marie-Louise Fort