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Commission des affaires européennes

mercredi 2 février 2011

16 h 15

Compte rendu n° 187

Présidence de M. Michel Herbillon Vice-président de la Commission des affaires européennes de Mme Martine Aurillac Vice-présidente de la Commission des affaires étrangères puis de M. Axel Poniatowski Président de la Commission des affaires étrangères

Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 2 février 2011 à 16 h 15

Présidence de M. Michel Herbillon,
Vice-président de la Commission des affaires européennes,
et de Mme Martine Aurillac,
Vice-présidente de la Commission des affaires étrangères,
puis de M.  Axel Poniatowski,
Président de la Commission des affaires étrangères

La séance est ouverte à 16 h 15

Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Le Président Michel Herbillon. Madame la ministre, Mme Martine Aurillac se joint à moi pour vous remercier, au nom des membres de nos deux Commissions, de venir débattre avec nous de l’actualité économique et financière, aux plans européen et international. M. Axel Poniatowski, président de la Commission des affaires étrangères, retenu par le débat sur l’OTAN, nous rejoindra tout à l’heure ; quant à notre président, Pierre Lequiller, il a un empêchement de force majeure.

Il s’agit pour nous de tirer les leçons de la crise qui marque encore nos économies convalescentes et de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Les exigences de cette ambition sont à l’évidence trop nombreuses pour que je les énumère toutes ici. J’évoquerai bien sûr en priorité le front européen, où se joue une bataille décisive, sur le plan économique comme dans le domaine monétaire. La crise agit comme un révélateur des insuffisances de la coordination économique et budgétaire. La Commission des affaires européennes est fortement engagée sur le sujet : Christophe Caresche et moi-même avons remis un rapport au titre volontariste : « Pour un gouvernement économique de l’Europe » ; nos collègues Michel Diefenbacher et Pierre Bourguignon, suivent quant à eux, dans la durée, l’évolution de la régulation financière.

En ce qui concerne le gouvernement économique européen, les prochains mois seront cruciaux, même s’il s’agit aussi d’un chantier à moyen et long termes. Il convient d’« aller plus loin » dans ce domaine, comme l’ont affirmé conjointement le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, lors du dernier sommet franco-allemand de Fribourg : c’est une exigence prioritaire, dont nous souhaiterions connaître plus précisément les priorités et les étapes. Le prochain Conseil européen sera essentiel à cet égard.

Le premier « semestre européen » de coordination des politiques budgétaires a commencé dès le 14 janvier dernier, avec l’examen horizontal de la croissance par la Commission européenne. Une question concrète nous préoccupe au premier chef : comment comptez-vous associer notre assemblée au nouveau calendrier de remise des programmes de stabilité et de réforme ?

Je pense également, au lendemain des premières émissions réussies dans le cadre du plan de sauvetage de l’Irlande, à l’avenir des mécanismes européens de stabilité financière. Votre opinion sur les modalités de leur pérennisation, sur les enjeux liés à leur taille et à leurs instruments, et sur l’état des négociations, en particulier avec nos partenaires Allemands, retient toute notre attention.

Je suis certain que vous nous direz par ailleurs un mot du renforcement et de l’extension du pacte de stabilité, qui est au cœur des débats européens, en particulier de l’exigence d’un renforcement coordonné des compétitivités et d’une convergence progressive dans le domaine fiscal et social, non seulement entre la France et l’Allemagne, mais aussi, et plus largement, sur le plan européen.

Nous serions heureux de connaître votre appréciation sur le juste équilibre à trouver entre les vertus de l’incitation et les rigueurs de la sanction,…

M. Jacques Myard. Voilà une belle formule !

Le Président Michel Herbillon. …qui me semble encore perfectible dans les propositions de la Commission européenne. Par exemple, les eurobonds, pour financer des projets d’investissement communs, mériteraient, comme notre Commission l’a souhaité, un débat approfondi, même si le sujet ne sera manifestement pas mûr dans le court terme.

Je n’oublie pas non plus la nouvelle architecture européenne de supervision financière et la perspective des nouveaux stress tests bancaires.

A cela s’ajoutent évidemment les enjeux du G20. Le Président de la République a dressé un agenda ambitieux, qui n’oublie aucun des chantiers les plus cruciaux, qu’il s’agisse de la régulation financière, de la réforme du système monétaire international, de la réforme de la gouvernance mondiale, du prix des matières premières. Les modalités d’association de l’Assemblée à ces matières retiennent également toute notre attention ; c’est un sujet qu’évoquera certainement la Commission des affaires étrangères, très engagée à ce propos. La Commission des affaires européennes a, pour sa part, mis en place un groupe de travail, auquel j’appartiens aux côtés de Bernard Deflesselles, Jérôme Lambert, Robert Lecou et Christophe Caresche.

Que de sujets sur la table, Madame la ministre !

La Présidente Martine Aurillac. Madame la ministre, je tiens à excuser l’absence de notre président, M. Poniatowski, qui nous rejoindra sous peu.

Cette audition commune ne pouvait mieux tomber puisque la zone euro, ébranlée par les crises grecque et irlandaise, est entrée dans une période critique. Seule une solidarité sans faille entre les puissances économiques européennes pourra l’aider à en sortir.

Peut-on compter durablement sur l’axe franco-allemand pour remettre l’Union européenne à l’endroit, à l’heure où nos deux pays paraissent suivre un chemin assez différent ? La convergence de nos deux économies et le rapprochement de nos compétitivités s’imposent aujourd’hui comme une évidence.

Parallèlement à la situation proprement européenne, cette audition intervient à l’orée de la présidence française du G8 et du G20. La semaine dernière, le Président de la République a donné quelques précisions supplémentaires sur les enjeux et les projets qu’il souhaitait poursuivre durant cette double présidence. De nombreuses idées ont été émises, parmi laquelle j’ai retenu la création d’une taxe sur les transactions financières, en vue de financer l’aide au développement, ce qui constituerait une véritable innovation.

Dans les domaines relevant spécifiquement du G20, le Président a avancé trois propositions pour améliorer la régulation financière : la mise au point d’indicateurs mondiaux pour évaluer les déséquilibres économiques ; la création de critères universels visant à éviter les crises systémiques dont le FMI surveillerait le respect ; l’intégration de nouvelles monnaies dans le système monétaire international, notamment le yuan chinois.

Le deuxième chantier annoncé par le Président de la République pour le G20 concerne la régulation des marchés des matières premières, notamment agricoles. Deux idées précises ont été lancées : la création de règles pour les marchés actuellement non encadrés – de quels marchés s’agit-il exactement ? – et la mise au point d’une base de données mondiale concernant la production et le stockage des produits alimentaires. Par ailleurs, le Président a fait part de son intention de renforcer les moyens de lutte contre les crises alimentaires.

Madame la ministre, alors que tous ces dossiers sont très ambitieux et très complexes, les propositions avancées demeurent pour le moment assez peu détaillées : pouvez-vous nous donner des informations supplémentaires sur les initiatives que la France pourrait prendre dans ces domaines ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Madame la vice-présidente, monsieur le vice-président, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d’abord à exprimer des vœux de prompt rétablissement au président Lequiller.

S’agissant de la zone euro, nous devons prendre conscience du rôle important que nous jouons, les uns et les autres, en termes de climat de confiance, par rapport à la perception que les acteurs financiers, notamment les investisseurs, peuvent avoir de la solidité de la zone.

Savez-vous que le différentiel de déficit public relatif au produit intérieur brut est de 6,7 % pour l’Europe – c’est le chiffre prévisionnel pour 2010 – et de 10,2 % pour les Etats-Unis ? L’endettement, toutes collectivités confondues et particuliers inclus, s’élève, quant à lui, à 224 % du PIB dans la zone euro et à 240 % aux Etats-Unis. Il est de 360 % pour le Japon. Quant au degré d’aggravation du déficit durant la crise, il est le double aux Etats-Unis de ce qu’il est dans la zone euro.

Il faut avoir en mémoire ces réalités économiques et financières avant de se pencher avec compassion ou commisération sur le « grand malade » que serait la zone euro. L’euro est une monnaie très solide, désirée et désirable.

Elle est solide, si l’on se rappelle que le taux d’émission, il y a dix ans, était de 1,16 dollar pour 1 euro, alors qu’il s’élève aujourd’hui à 1,38 dollar. Si un tel taux présente évidemment de gros inconvénients pour les entreprises, dont les coûts sont formulés en euros, la monnaie européenne, considérée sui generis, s’est, au cours des années, manifestement appréciée par rapport au dollar et au yen.

L’euro est désiré et désirable : il suffit de regarder la liste des pays qui souhaitent rejoindre la zone euro – l’Estonie y est entrée le 1er janvier dernier – : ils en observent avec attention les évolutions les plus récentes.

Il faut se fonder sur la réalité économique avant de considérer, comme un grand banquier américain qui a pris récemment la présidence de Barclays, que l’euro, après avoir surmonté une maladie aiguë, est entré dans une phase de maladie chronique. Non, l’euro n’est pas entré dans une telle phase, et nous devons en être convaincus nous-mêmes avant de nous pencher sur les défaillances et les manquements de la zone euro !

Les fondateurs de l’euro étaient, quant à eux, tous convaincus qu’au-delà de la création de la monnaie unique, qui est notre bien commun, il convenait d’aller vers une plus grande intégration sur les plans budgétaire et économique et vers une meilleure gouvernance de la zone. Malheureusement, nous n’avons pas mis en place cette deuxième étape dans des délais suffisamment rapides.

Il y a un an, les propos de M. Papandréou, Premier ministre de Grèce, selon lesquels son pays, souffrant d’un déficit de confiance, nécessitait des soins particuliers, ont déclenché, à leur tour, un déficit de confiance de la zone euro elle-même. Laborieusement, certes, et après bien des hésitations, mais grâce à des efforts de conviction, déployés notamment par le Président de la République, une première étape a consisté dans la mise en place d’un « paquet de sauvetage » rassemblant des pourvoyeurs de fonds selon un mécanisme de prêts intergouvernementaux, à hauteur de 110 milliards d’euros, dont 80 milliards ont été pris en charge par les partenaires de la zone euro et 30 par le Fonds monétaire international. Ces accords – est-il besoin de le souligner ? – constituaient d’une certaine manière une transgression du principe de non-sauvetage d’un Etat en difficulté, inscrit dans le traité de Maastricht. C’est pourquoi les pays concernés ont, en contrepartie, posé des conditionnalités : le gouvernement grec a dû s’engager à prendre des mesures structurelles et conjoncturelles tendant à rétablir la situation de ses finances publiques d’ici à 2014. Je vous rappelle que nous fonctionnons toujours dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, qui engage chacun des Etats membres à contenir son déficit au-dessous de 3 % du PIB et de 60 % d’endettement. Il n’est pas nécessaire de rappeler qu’en 2009 ces chiffres ont volé en éclats : presque tous les pays de la zone euro, à l’exception de deux ou trois – l’un est nordique –, ont violé le pacte de stabilité et de croissance en crevant les deux plafonds, tout simplement parce qu’il n’y avait pas d’autre solution.

La crise de confiance qui a atteint la Grèce était bien plus grave : à trois reprises, en effet, le gouvernement d’Athènes a dû réviser ses prévisions de déficit et d’endettement, du fait des habitudes, prises depuis longtemps par la droite comme par la gauche, conduisant l’appareil statistique à rapporter des chiffres non conformes à la réalité.

Nous sommes passés à une deuxième étape, les 8, 9 et 10 mai 2010. En dépit de la mise en place du plan de soutien à la Grèce, les marchés ont continué d’être inquiets. Ils n’étaient pas convaincus de la pertinence du mécanisme mis en place pour la Grèce : c’est pourquoi le Conseil européen a demandé le 8 mai 2010 aux ministres de l’économie et des finances la mise en place, durant les 9 et 10 mai, non plus d’un mécanisme intergouvernemental, mais d’un pot commun appelé Fonds européen de stabilité financière. Grâce à l’agrégation de nos signatures, ce fonds a pour vocation d’emprunter sur les marchés à de bonnes conditions pour prêter à un Etat se trouvant dans une situation difficile. Mis en place dans la nuit du 9 au 10 mai, il a été doté de 440 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter 60 milliards d’euros en provenance du Mécanisme européen de stabilité financière, mécanisme communautaire prévu par les traités et communément dédié au soutien des pays extérieurs à la zone euro – ce fut le cas de la Hongrie, de la Lituanie ou de l’Ukraine, en accord avec le FMI. Il convient de surajouter à ces sommes un engagement du Fonds monétaire international, à hauteur de 50 % des concours financiers des Européens, l’enveloppe totale atteignant 750 milliards d’euros – mille milliards de dollars.

Le troisième épisode, ou « épisode irlandais », intervient à l’automne 2010 : à la suite de l’éclatement de la bulle immobilière, trois des principales banques du pays, fortement adossées à des produits immobiliers et ayant déployé leurs réseaux en Europe centrale et en Europe de l’Est, voient l’ensemble de leurs actifs décoté de quelque 30 % : elles se trouvent dès lors dans une situation très difficile en termes de liquidités et de solvabilité. Le gouvernement irlandais décide de mettre en place un deuxième plan de soutien, qui comprend notamment la quasi-nationalisation du système bancaire. Le déficit public de l’Irlande atteignant 32 % de son PIB, la qualité de sa signature comme de sa dette souveraine sont immédiatement mises en cause. C’est pourquoi, au mois de novembre, afin de permettre à l’Irlande de faire face à ses échéances, l’Union européenne décide la mise en place d’un plan de soutien à hauteur de 85 milliards d’euros, provenant à la fois du Fonds européen de stabilité financière, du mécanisme communautaire, d’une contribution du Fonds monétaire international et d’une contribution volontaire de la Suède et du Royaume-Uni, lesquels, en tant que créanciers de l’Irlande, ont tout intérêt à participer à son renflouement. L’Irlande elle-même s’engage pour 17 milliards d’euros, soit l’équivalent de son fonds de réserve des retraites.

De leur côté, les agences de notation se sont engagées à coter triple A le Fonds à condition que chaque fois que celui-ci lance un appel sur le marché, une partie des sommes soient affectées à des fonds propres à titre de garanties. En clair, cela signifie que les agences assurent le triple A au Fonds lui-même si la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande et le Luxembourg, à savoir cinq pays cotés triple A, mettent en garantie le différentiel de leurs contributions avec celles des autres pays.

Ce fonds a connu un succès phénoménal puisque, il y a seulement dix jours, émettant une première tranche de 5 milliards d’euros, l’appel a été sursouscrit huit ou neuf fois – soit à hauteur de 45 milliards d’euros –, ce qui ne s’était jamais vu d’une émission de produits souverains au cours des deux dernières années. Cela signifie que les investisseurs, y compris de long terme, ont confiance dans un instrument libellé en euros.

Telles sont les actions que nous avons menées, souvent dans l’urgence, parfois en transgressant les intentions initiales, dans le cadre d’un consensus laborieusement obtenu. En effet, pour le Parlement finlandais, par exemple, il n’était pas évident d’accepter le principe de soutenir des pays tels que la Grèce ou l’Irlande. Nous avons toujours travaillé en étroite collaboration avec le Fonds monétaire international et avec la Banque centrale européenne, dans le cadre d’un mécanisme de conditionnalités obligeant les bénéficiaires de l’aide à fournir des efforts.

C’est ainsi que la Grèce doit réduire son déficit public dans des conditions d’autant plus brutales que la période est courte – il s’agit pour elle de revenir sous la barre des 3 % d’ici à 2014. L’Irlande, quant à elle, doit faire preuve de la même rigueur et engager des réformes structurelles afin de passer sous la barre des 3 % en 2015.

Toutefois, il n’a pas été jugé opportun d’exiger de celle-ci le relèvement de son taux d’imposition sur les sociétés (IS) – il est actuellement de 12 % contre une moyenne de 25 % dans la zone euro. Dans un premier temps, la France l’avait demandé et le Fonds monétaire international l’avait rejointe. L’examen des finances publiques, de la situation de l’économie et des facteurs d’attractivité du pays nous a conduits à reporter notre demande. En effet, demander à l’Irlande de ramener d’ici à 2015 son déficit de 32 % à 3 % tout en relevant son taux d’IS de 12 % à 20 %, voire à 25 %, aurait été en quelque sorte ajouter l’insulte à l’infamie, en tout cas lui couper les jambes à un moment où nous lui demandions de courir. Nous ne renonçons pas pour autant à notre souhait de voir ce pays rejoindre, à plus ou moins longue échéance, la norme européenne en matière d’IS.

(Le Président Axel Poniatowski remplace la Vice-présidente Martine Aurillac.)

Mme Christine Lagarde. S’agissant de l’amélioration de la gouvernance économique, le Conseil européen a demandé à son président, M. Herman Van Rompuy, de rassembler, durant l’été, un groupe de travail réunissant les ministres de l’économie et des finances de chaque pays en vue de proposer des mesures visant à passer de la simple gouvernance économique à des modes de gouvernement économique au sein de la zone euro. Les points de départ de chacun de nos pays étant différents, la presse, notamment anglo-saxonne, s’est emparée avec joie de nos désaccords. Nous sommes toutefois arrivés à formuler des propositions. La Commission européenne a travaillé sur le même sujet et a fourni au président Van Rompuy des mesures qui sont reprises dans le cadre de six directives ou règlements, tendant notamment à améliorer la prévention macro-économique. Aujourd’hui, le pacte de stabilité et de croissance ne prévoit que deux indicateurs qui ne s’appliquent que si un pays franchit les critères. Nous avons proposé d’y ajouter un chapitre préventif, consistant à suivre les évolutions de chaque pays : des recommandations incitant un pays à rester dans les limites imposées par le pacte pourront être prises à son encontre.

En cas de non-respect des critères, nous nous sommes entendus, après un long débat, sur un mécanisme de sanctions quasi-automatiques, qui s’imposera également aux grands pays de l’Union européenne. Chacun se rappelle en effet que l’Allemagne et la France, en 2003 et 2004, s’étaient exonérées des règles du pacte de stabilité, ce qui avait mécontenté, à juste titre d’ailleurs, les autres pays de la zone euro, qui, étant plus petits, restaient soumis à ces mêmes règles. Désormais, si les critères sont dépassés ou si les recommandations ne sont pas suivies d’effet après une période de mise en demeure, la sanction sera appliquée sauf si une majorité qualifiée des Etats considère que c’est en toute légitimité que le pays concerné n’a pas respecté ses engagements.

Nous avons également prévu de substituer un mécanisme permanent au Fonds européen de stabilité financière, qui viendra à expiration à la fin du mois de juin 2013, afin de répondre aux légitimes préoccupations des investisseurs, qui souscrivent à des obligations d’Etat pouvant aller jusqu’à trente ans, c’est-à-dire bien au-delà de la date d’expiration du Fonds. Nous finalisons le Mécanisme de stabilité européen, qui s’inspirera largement du Fonds de stabilité européen, tout en étant, je l’espère, plus flexible. Il devrait définir, ce qui n’est actuellement pas le cas, les conditions auxquelles les créanciers du secteur privé pourraient contribuer, au cas par cas et selon les principes du Fonds monétaire international, au sauvetage d’établissements bancaires, voire de pays.

Les mesures relatives à la régulation financière au sein de l’Union européenne visent également à renforcer la gouvernance économique : la supervision européenne au niveau des banques, des assurances et des marchés sera poursuivie. Une autorité de supervision arbitrera, sous la présidence de la Banque centrale européenne, les différends entre des autorités nationales. Le commissaire Michel Barnier, chargé du marché intérieur et des services financiers, suit attentivement ces dossiers, qui concernent notamment les agences de notation, lesquelles doivent être mieux réglementées, les ventes de gré à gré et un grand nombre d’instruments financiers, dont les credit default swaps (CDS).

Les programmes de stress tests, quant à eux, visent à tester la résistance des banques en cas d’aggravation de la situation économique ou financière, en vue de vérifier si la solidité de leurs capitaux propres et leur structure de bilan leur permettraient de résister. Ces tests de résistance bancaire, qui ont été menés une première fois au cours de l’été 2010, ont vu leur crédibilité écornée par les difficultés qu’ont connues à l’automne deux banques irlandaises. C’est pourquoi il appartiendra désormais à l’Autorité bancaire européenne, qui a été créée le 1er janvier dernier, de conduire ces tests, dont les critères seront validés par l’ensemble des autorités.

Définir des règles précises et harmonisées pour le secteur financier, s’accorder sur la discipline à observer et les sanctions à prendre en cas de manquement, mettre en place un mécanisme pérenne de stabilité financière, c’est bien, mais c’est insuffisant. Nous devons renforcer l’intégration et nous diriger vers un pacte de convergence et de compétitivité : du chemin reste à parcourir. La convergence doit concerner à la fois les plans fiscal et social, la mobilité des hommes et des capitaux et les politiques budgétaires de long terme, le tout étant de combler aussi rapidement que possible les écarts de compétitivité – par exemple entre l’Allemagne et l’Irlande – afin d’assurer la solidité de la zone européenne.

Le Président Axel Poniatowski. Madame la ministre, la Commission des affaires européennes et la Commission des affaires étrangères ont reçu ce matin le ministre irlandais des affaires européennes, M. Dick Roche. Le débat a notamment porté sur la fiscalité des entreprises. M. Roche a affirmé que les entreprises en Irlande étaient globalement soumises au même taux de prélèvement que les entreprises du reste de l’Europe, si on rapporte ce taux au PIB – il tournerait autour de 2,4 %. Est-ce le nombre des entreprises étrangères installées en Irlande qui permet d’arriver à un taux de prélèvement qui équivaut à ceux des autres pays européens ?

Par ailleurs, pensez-vous que le G8 pourra adopter une stratégie commune à l’égard de la Chine, notamment en ce qui concerne l’appréciation de sa monnaie et le respect des règles du commerce international, en particulier chez elle ?

M. Robert Lecou. L’intégration et la régulation demandent du temps alors que la crise réclame des traitements d’urgence.

Une nouvelle gouvernance mondiale s’est mise en œuvre depuis 2008 dans le cadre du G20. Quelle en est l’ambiance ? Comment sont ressentis les décalages culturels entre les délégations de pays si différents sur les plans historique, politique et économique ?

Les objectifs ambitieux de la France pourront-ils être atteints ? L’Europe affirme-t-elle une stratégie commune ?

Enfin, est-il prévu d’instaurer un secrétariat du G20 pour assurer le suivi de ses travaux ? Le Président de la République a évoqué un « G20 des parlements » : verra-t-il le jour sous la forme d’une instance destinée à suivre et à contrôler l’application des décisions du G20 ?

M. Jacques Myard. Madame la ministre, vous avez souligné que le Fonds européen de stabilité a levé 5 milliards d’euros. Etait-ce au profit du Portugal ? De mauvaises langues prétendent que l’appel a été couvert huit ou neuf fois parce que les banques ont immédiatement cédé leurs achats d’obligations assimilables du Trésor (OAT) à la banque centrale.

Quant aux tests de résistance bancaire, ils ont été farfelus, du fait qu’ils n’ont pris en compte que le book review, contrairement aux tests américains, qui reposent sur l’ensemble des obligations des banques. Toutes nos banques sont en faillite. En tout cas, leur santé m’inquiète.

Par ailleurs, alors que la convergence et la compétitivité constituent le problème central de la zone euro, on constate la mise en place, en Europe, d’une politique de déflation, pour des raisons idéologiques tenant à la politique allemande : on coupe dans les dépenses, ce qui n’est pas à la hauteur des dettes. Les Américains sont quant à eux monétisé la dette, ce qui a permis à leur croissance de repartir, alors que la nôtre est en panne.

Enfin, le 14 mai 2010, la Banque centrale européenne a pris la décision d’intervenir sur les marchés secondaires, où elle a racheté, à prix fort, des OAT des banques. Qui remboursera in fine cette dette ?

Mme Christine Lagarde. S’agissant du taux d’IS de l’Irlande, il n’est pas possible de ne prendre en compte que la valeur faciale en oubliant, par exemple, la taille de l’assiette, qui peut, de plus, présenter des trous. Il est par exemple difficile de comparer les impôts sur les sociétés français et allemand : si notre taux d’IS est plus élevé que le taux allemand, en revanche notre assiette présente plein de trous, contrairement à l’assiette allemande, ce qui donne des pourcentages équivalents par rapport au PIB. Il faut donc s’attacher au taux réel de l’imposition.

Lorsque l’Irlande aura rétabli la situation de ses finances publiques, il conviendra, dans le cadre de l’objectif de convergence fiscale, de poser de nouveau la question de son IS, laquelle fâche les Irlandais : en effet, à chaque proposition de comparer les assiettes, nous assistons, de leur part, à une véritable levée de boucliers.

En ce qui concerne la Chine, la question est de savoir si ce pays peut trouver intérêt à laisser sa monnaie s’apprécier à un rythme plus rapide que le rythme actuel et à rejoindre le concert des devises s’échangeant librement sur les marchés. A mon sens, tous les pays y trouveraient leur intérêt, mais l’essentiel, je le répète, c’est que la Chine y trouve le sien. L’accès de la Chine aux droits de tirages spéciaux (DTS), assis sur un panier de monnaies incluant, et non excluant, le renminbi, devrait permettre de protéger les Chinois en cas de variations importantes, leurs réserves étant essentiellement dénommées en dollars. Nous travaillerons en ce sens dans le cadre du G20.

Le Président Michel Herbillon. La position de la Chine évolue-t-elle à ce sujet ? En l’absence d’une telle ouverture, la réforme du système international, qui est inscrite à l’ordre du jour du G20, a-t-elle encore une chance ?

Mme Christine Lagarde. Je ne peux vous répondre : le faire serait mettre en échec la politique qui consiste à dégager un consensus sur l’analyse des difficultés et l’examen des pistes de sortie en vue de trouver des solutions concertées.

Il convient, pour faire évoluer le système, de définir un dénominateur commun, conforme à la fois à l’intérêt des Européens, des Américains et des pays émergents, qui seront ainsi mis à l’abri des mouvements fréquents de capitaux qui se réfugient là où les différentiels de taux d’intérêt et de taux de change rendent l’investissement attractif, et à celui des Chinois. Du reste, il faudrait déjà que ces derniers participent aux négociations sur les taux de change, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Monsieur le président, vous avez évoqué les règles du commerce international. Aujourd’hui, l’OMC peut demander au FMI si telle ou telle politique de change constitue ou non un avantage comparatif légitime. Or ce point de passage entre les deux instances n’a encore jamais été emprunté. Il convient de le prendre en considération dans les négociations.

Monsieur Lecou, l’ambiance du G20 est studieuse. Quant aux travaux eux-mêmes, ils obéissent à un processus de décantation : les problèmes à résoudre sont préalablement examinés par les directeurs du Trésor, par les sherpas des chefs d’Etat, par les ministres des finances et par les gouverneurs des banques centrales des Vingt pays avant d’arriver sur la table des chefs d’Etat et de gouvernement. Ces derniers ne traitent donc que des problèmes les plus cruciaux et définissent les grandes orientations politiques.

Mais ce processus de stratification a ses limites. Le risque, en effet, pour les chefs d’Etat et de gouvernement, au cours de leur réunion du mois de novembre, est de faire l’impasse sur des problèmes de fond qui auront été, en amont, technicisés, technocratisés et bureaucratisés à l’excès. La réunion au sommet finirait alors pas manquer de substance. Le Président de la République aura à cœur d’éviter cet écueil afin que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent eux-mêmes aborder les débats fondamentaux. Une réunion des directeurs du Trésor s’est tenue à Paris il y a quinze jours, suivie, il y a une semaine, d’une réunion des sherpas.

Les 18 et 19 février, les vingt ministres des finances, les vingt gouverneurs des banques centrales, les représentants des organisations financières internationales – FMI, Conseil de stabilité financière, Organisation mondiale du commerce –, le directeur général de l’OCDE et le directeur général de l’Organisation internationale du travail se retrouveront à Paris pour évoquer certains des grands thèmes figurant à l’agenda, qu’il s’agisse des travaux ouverts au cours des quatre derniers G20, notamment par les Coréens, ou des initiatives identifiées par le Président de la République – la réforme du système monétaire international, la volatilité du prix des matières premières et la gouvernance mondiale. Il ne faut pas non plus oublier les « financements innovants », dédiés au développement et à la lutte contre le changement climatique, au rang desquels on trouve la taxation sur les transactions financières.

Afin de rendre le débat plus spontané, j’ai l’intention de demander aux participants à la réunion des 18 et 19 février prochains de ne pas lire leur texte, qui aura été préparé par d’excellents conseillers, mais d’intervenir « à chaud ». Des écarts existent, il est vrai, entre les pays développés, dotés de grandes directions du Trésor et d’équipes composées d’excellents fonctionnaires capables de bien préparer les dossiers, et les pays en voie de développement, qui connaissent plus de difficultés, exception faite du Brésil et de la Chine, qui disposent, l’un comme l’autre, de grandes capacités, que ce soit sur le plan diplomatique ou en termes de recherche – la Chine restant souvent en arrière pour mieux observer le travail de ses partenaires.

Actuellement, le suivi des travaux du G20 est assuré par une « troïka » composée des présidences sortantes, en cours et à venir. Cette troïka, actuellement constituée de la Corée, de la France et du Mexique – qui présidera le G20 en 2012 –, assure la transition en évitant au pays entrant d’avoir à découvrir les dossiers.

Je ne suis pas favorable à un secrétariat composé de fonctionnaires dédiés : ne constituons pas de mille-feuille administratif ! Trois ou quatre personnes ayant pour mission de faire tourner la machine seraient amplement suffisantes.

Monsieur Myard, l’émission de 5 milliards d’euros a constitué la première tranche du paquet de 85 milliards à destination de l’Irlande.

Comme je l’ai déjà dit, les tests de résistance bancaire du mois de juillet 2010 ne sont pas crédibles en raison des difficultés qu’ont connues deux banques irlandaises. Cela signifie-t-il que les tests ont été mal conduits dans tous les pays de l’Union européenne ? Non. Dans l’immense majorité des pays, ils ont été menés avec un grand professionnalisme. Toutefois, en raison de leur manque de crédibilité auprès des investisseurs, il faut redresser la barre. Les prochains tests seront harmonisés et effectués sous le contrôle de l’Autorité bancaire européenne. Leurs champs d’application devront être transparents. Je propose de reprendre les critères appliqués par les Américains.

S’agissant de la monétisation de la dette américaine, vous avez raison : c’est le privilège du dollar.

M. Jacques Myard. Cela renvoie surtout à la politique de la FED…

Mme Christine Lagarde. …qui s’appuie sur la devise de référence.

M. Jacques Myard. Cela a toujours été le cas !

Mme Christine Lagarde. Vous avez raison. Cela dit, nous ne pouvons que nous réjouir due retour de la croissance aux Etats-Unis. La simple annonce de l’utilisation du Quantitative easing 2 (QE2), à concurrence de 600 milliards de dollars – tout n’a pas encore été engagé –, a participé de cette reprise. Si sa croissance atteignait 3 % ou 3,5 % en 2011, l’économie américaine, qui reste la première du monde, pourrait en « tirer » de nombreuses autres. Il est vrai toutefois que la politique mise en œuvre par les Etats-Unis ne peut satisfaire des pays comme le Brésil, la Corée, le Mexique ou l’Indonésie.

Vous avez également évoqué l’intervention de la BCE sur les marchés secondaires, le 14 mai 2010 : si le Mécanisme européen de stabilité, que nous prévoyons de mettre en place, pouvait intervenir à la fois sur les marchés primaire et secondaire, cela éviterait à la Banque centrale européenne d’avoir à transgresser ses principes. Il faut espérer que les produits qu’elle a achetés arriveront à maturité à de meilleures conditions que celles auxquelles elle les a acquis.

M. Jacques Myard. C’est une bonne réponse.

M. Jean-Louis Christ. La France ne peut mener de politique mondiale sans une politique européenne globale, ce qui suppose une réelle intégration économique européenne et une réelle convergence des systèmes fiscaux. Or certains Etats pratiquent le dumping fiscal.

Où en sont les projets de convergence fiscale et sociale ?

M. Jean-Pierre Kucheida. Ce matin, M. Dick Roche m’a donné l’impression que les Etats étaient entre les mains des banques. Qu’en est-il exactement ?

Par ailleurs, où l’Europe en est-elle dans sa lutte contre ses paradis fiscaux, la plupart d’entre eux, en dehors de Monaco, étant d’origine britannique ?

Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour protéger les citoyens du système bancaire ? Je vise autant les frais exorbitants liés aux transactions financières que le recours au crédit revolving qui a récemment conduit, dans ma région, un homme à tuer toute sa famille avant de se suicider.

Mme Marietta Karamanli. Madame la ministre, demander des mesures d’assainissement à la Grèce et à l’Irlande, tout en pratiquant à leur encontre des taux de prêt très élevés, n’est-ce pas à la fois leur imposer une prime de risque qui les affaiblit davantage encore et donner aux marchés le sentiment que l’Europe n’a pas confiance en eux ? Généralement, l’Europe ne fait pas preuve d’une suffisante solidarité à l’égard des petits pays, ce qui sème le doute parmi les marchés sur la capacité de ces pays à tenir leurs engagements budgétaires. Comment comptez-vous remédier à cette situation incompréhensible ?

Par ailleurs, Hervé Gaymard et moi-même sommes chargés, par la Commission des affaires européennes, de préparer un rapport sur le cycle de Doha, que la chancelière Angela Merkel a évoqué à Davos et dont les négociations sont en panne depuis dix ans. Selon M. Lamy, de l’OMC, que nous avons auditionné, 20 % du cycle sont encore à négocier. Comment la France, présidente du G20 et du G8, compte-t-elle relancer les négociations ?

M. Michel Piron. De quelle capacité réelle de contrôle du système bancaire et, plus généralement, du système financier, disposons-nous ? Si j’en crois les récentes méditations à haute voix de M. Jouyet, elle est faible. La sophistication des produits financiers, au travers notamment de la titrisation, a-t-elle pris fin ?

Hier soir, au cours d’une séance de travail sur la fiscalité, nous avons été frappés de constater combien le modèle anglo-saxon a tendance à fiscaliser davantage l’immobilier que le mobilier au nom du principe de fluidité. Comment éviter de glisser de la « fluidité » à la « volatilité » ? Le glissement sémantique n’est pas neutre.

Enfin, s’agissant de l’Irlande, vous avez dit qu’il ne fallait pas ajouter l’insulte à l’infamie. In medio stat virtus : n’était-il pas possible de trouver le juste milieu entre l’exigence de diminuer le déficit et, s’agissant de l’impôt sur les sociétés, celle de progresser sur la voie de la convergence ? Qui, en Europe, sur cette question, s’est montré notre allié et qui, au contraire, s’est opposé à nous ?

Le Président Axel Poniatowski. Madame la ministre, pouvez-vous confirmer que les banques françaises courent toujours de grands risques en Grèce ?

Mme Martine Aurillac. Depuis plusieurs mois, nous avons examiné de nombreux accords visant à réguler les paradis fiscaux. Ces accords sont-ils réellement efficaces ?

M. Michel Diefenbacher. La Chine ne pose pas seulement des problèmes en termes de taux de change : le fonctionnement interne de l’économie chinoise est également en cause, s’agissant notamment de son système bancaire et financier. Compte tenu de l’importance de cette économie, l’explosion d’une bulle chinoise aurait des conséquences sur le monde entier.

Les autorités chinoises sont-elles conscientes du problème et veulent-elles le régler, comme se sont attelés, pour leur part, les Américains et les Européens à surmonter leurs propres difficultés ? Les Chinois sont-ils prêts à jouer le jeu de la transparence ?

Par ailleurs, les propositions de la présidence française en matière de volatilité des cours des matières premières semblent être accueillies favorablement par nos partenaires, y compris à Davos, ce qui est une véritable révolution, puisqu’on accepte par là l’idée que la régulation par les marchés n’est pas nécessairement la meilleure possible. Quelle conséquence cette évolution pourrait-elle avoir sur les négociations au sein de l’OMC ?

Quant à la taxe sur les transactions financières, voilà plus de vingt ans qu’on en parle et la plupart des pays européens ont fait part de leur intérêt pour cette mesure. Toutefois, aucune avancée n’a été enregistrée. Avez-vous le sentiment que nous pourrons enfin sortir des vœux pieux ?

Mme Christine Lagarde. Monsieur Christ, la convergence fiscale est un chantier de longue haleine car les difficultés sont immenses. Ainsi, l’objectif de convergence entre la France et l’Allemagne en matière d’impôts sur les sociétés ou sur le patrimoine exige des études techniques très ardues : il faut en effet examiner à la fois les assiettes, les répartitions, les rapports entre prélèvements et contributions, d’une part, et bénéfices et avantages, d’autre part. Ce chantier réclame une détermination d’autant plus grande que la règle de l’unanimité, qui s’impose en matière fiscale au sein de l’Union européenne, constitue une difficulté supplémentaire.

Monsieur Kucheida, les Etats n’ont pas eu d’autre choix que de se substituer aux banques. Ils ont dû fournir leur garantie, parfois des liquidités et, dans les cas les plus graves, entrer au capital avant de récupérer le capital prêté ou les prêts consentis, ainsi que les intérêts pour le risque pris à la place des établissements bancaires.

Les Etats sont évidemment à la merci de ceux qui les financent – banques ou investisseurs au sens large, qui comprennent les banques centrales – : on dépend toujours de son prêteur. C’est la raison pour laquelle il convient de redresser la trajectoire de la dette. M. Woerth, lorsqu’il était ministre du budget, et moi-même avons milité en ce sens. M. Baroin continue de le faire à mes côtés. Je ne veux pas que la France se trouve dans la situation d’autres pays membres de la zone euro en grande difficulté, à la fois otages des investisseurs et à la merci de leurs partenaires.

En matière de lutte contre les paradis fiscaux, je vous remercie, monsieur le président de la Commission des affaires étrangères, d’avoir permis l’adoption de vingt-cinq conventions ou avenants facilitant l’échange d’informations. Il faut poursuivre dans cette voie : six cents accords ont été signés par le monde depuis que le Président de la République, à l’occasion du G20 de Londres, a exigé, pour poursuivre la réunion, que tous se mettent d’accord sur l’objectif de lutter contre les juridictions non coopératives.

Il convient évidemment que ces accords soient appliqués : c’est la raison pour laquelle le Président de la République a demandé au Groupe d’évaluation des juridictions non coopératives, présidé par M. François d’Aubert, qui s’occupe, au sein de l’OCDE, de la mise en œuvre des accords signés, d’accélérer ses travaux pour que nous puissions disposer au mois de novembre d’un compte rendu d’activités comportant, outre le nombre d’avenants ou de conventions, l’état de leur ratification et de leur transposition dans le droit positif des Etats concernés, ainsi que le bilan en termes de respect des engagements pris. C’est ainsi qu’Eric Woerth et moi-même avons négocié avec les autorités suisses un avenant à la convention fiscale franco-suisse. Il a été transposé dans nos deux législations. Il appartient au Groupe d’évaluation de vérifier que l’Etat sollicité fournit bien les informations demandées, à titre indicatif, auprès de certaines banques.

L’OCDE a publié, il y a trois jours, sa « liste grise » mise à jour : elle inclut désormais Panama, Trinidad-et-Tobago, les Bahamas et l’Île Maurice.

La question du crédit à la consommation est très importante à mes yeux et j’ai dû convaincre ma propre administration, car le Trésor n’avait pas l’habitude de travailler sur des questions relatives aux consommateurs. Nous l’avons profondément réformé, afin d’éradiquer la publicité mensongère et tapageuse, concernant notamment des crédits dits renouvelables comportant une part d’amortissement. Les décrets d’application seront tous publiés au 1er septembre prochain. L’objectif est d’assainir le crédit à la consommation, qui reste indispensable aux yeux de nos concitoyens. J’ai fait ce que j’ai pu pour proscrire les excès et les abus, dont trop de nos concitoyens dans le besoin ont été les victimes.

Madame Karamanli, il convient de trouver une juste mesure entre le taux exorbitant auquel l’Etat en difficulté serait soumis s’il se refinançait lui-même sur les marchés et le taux auquel les Etats ou le Fonds européen de stabilité empruntent pour le secourir : une petite prime de risque de 0,5 % n’a rien d’excessif : elle permet de rémunérer la prise de garantie. Nous nous calons, du reste, sur le Fonds monétaire international. Sans tirer honteusement profit de l’Etat en difficulté, nous lui faisons passer le message qu’il doit assainir ses finances publiques.

S’agissant du cycle de Doha, j’ai déjà dit ce que je pensais du mode de négociation et de conclusion des accords, qui est voué à l’échec puisqu’un seul pays peut bloquer toutes les négociations pour défendre un intérêt précis. Il ne s’agit pas pour autant de renoncer. Mais une grande partie du travail peut être réalisée par les négociateurs au niveau des green rooms, des groupes de pays et des ministres du commerce. Toutefois, il appartiendra, sur le plan politique, aux chefs d’Etat et de gouvernement de conclure le cycle de Doha.

Monsieur Piron, l’action que nous menons dans le cadre du G20, de l’Europe ou, encore, de l’Autorité des marchés financiers, que la loi de régulation bancaire et financière a dotée d’un degré d’autorité et de moyens supplémentaires tout en étendant son champ d’intervention, vise à assurer une plus grande transparence et à améliorer la réglementation. J’ai évoqué, avec M. Jean-Pierre Jouyet, les problèmes liés, plus encore qu’à la sophistication, aux évolutions technologiques. Je pense évidemment au high frequency trading, qui conduit à des transactions en nanosecondes : high frequency trading et shadow banking system font partie de l’agenda français du G20, car ces pratiques visent à détourner le mécanisme de supervision des banques. Il faut des pratiques précises reposant sur des principes suffisamment généraux pour couvrir l’ensemble des intervenants et des opérations.

Par ailleurs, il est vrai que la politique fiscale pratiquée par les pays anglo-saxons, sauf en Floride pour des raisons multiples et variées, conduit à soumettre l’immobilier à une fiscalité plus lourde que les actifs délocalisables. Je souhaite que vous continuiez à vous pencher sur le sujet au sein du groupe de réflexion auquel vous appartenez.

S’agissant de l’impôt irlandais sur les sociétés, la France avait à ses côtés le Fonds monétaire international : les autres Européens ont été convaincus par notre collègue irlandais, Brian Lenihan, que le relèvement du taux d’IS ferait prendre un double risque : tout d’abord politique, le Premier ministre, M. Brian Cowen, ayant déclaré qu’il faudrait lui passer sur le corps ; ensuite économique, le relèvement du taux provoquant le départ d’un grand nombre d’investisseurs à un moment où l’Irlande en avait le plus grand besoin pour assurer notamment l’emploi.

Madame Aurillac, alors qu’il y a un an, on se serait moqué de nous s’agissant de la volatilité du prix des matières premières, le Président de la République a été visionnaire puisque le prix du quintal de blé ou le cours de l’aluminium ont doublé en l’espace de dix-huit mois. Quant au pétrole, le baril de light crude oil atteint 103 dollars sur le marché londonien.

C’est la raison pour laquelle l’exigence de transparence doit être accompagnée de mesures portant sur les marchés physiques : elles doivent concerner l’information et les stocks de réserves et prévoir des mécanismes d’assurance raisonnable pour permettre aux producteurs, notamment aux agriculteurs, ainsi qu’aux consommateurs, de se prémunir contre le risque de trop grande volatilité. Ce sont les pays les moins développés qui en souffrent le plus : ils ont intérêt à ce que l’objectif poursuivi par le Président de la République soit atteint.

Concernant les marchés financiers, il conviendra de déterminer si la spéculation qui est exercée sur les sous-jacents relatifs aux matières premières joue un rôle aggravant, voire très aggravant, anticipateur ou consécutif. Le débat est ouvert. Il faudra rapprocher les données et les analyses.

Monsieur Diefenbacher, je pense que les autorités chinoises sont convaincues qu’elles doivent faire un effort de transparence en matière bancaire : le fait que le Président Hu Jintao appelle à tempérer l’activité sur les marchés immobiliers afin d’éviter la spéculation et l’inflation en est la preuve.

Le marché, vous avez raison, n’est pas la seule solution : il faut l’encadrer et le réguler, pour éviter les manipulations dues aux mécanismes d’offre et de demande.

Je persiste à penser que la taxation sur les transactions financières est une source possible de financements innovants. Les Etats réunis à Copenhague se sont engagés à trouver, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an pour aider les pays les moins développés à lutter contre les effets du changement climatique. En l’état actuel des finances publiques, aucun Etat n’a de ligne disponible pour répondre à cet engagement. Des financements innovants sont donc nécessaires : on peut penser à une taxe sur les conteneurs, à des redevances sur l’utilisation des corridors aériens ou des routes maritimes, ou – pourquoi pas ? – à la taxation sur les transactions financières.

Le Président Michel Herbillon. Au nom de la Commission des affaires européennes, je vous remercie, madame la ministre, tant de votre exposé liminaire que du soin que vous avez mis à répondre à nos questions, qui témoignent du grand intérêt que nous portons au gouvernement économique de l’Europe, comme à la présidence française du G20.

Nous devons trouver le moyen de sensibiliser les Français à ces questions qui, pour être techniques, n’en concernent pas moins leur vie quotidienne.

Le Président Axel Poniatowski. Au nom de la Commission des affaires étrangères je tiens, moi aussi, à vous remercier de la précision de vos réponses.

La séance est levée à 17 h 50

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 2 février 2011 à 16 h 15

Présents. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Diefenbacher, Mme Marie-Louise Fort, M. Guy Geoffroy, M. Michel Herbillon, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Jacques Myard, M. Michel Piron

Excusés. - M. Jacques Desallangre, M. Pierre Lequiller

Assistaient également à la réunion. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Michel Boucheron, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Alain Ferry, Mme Pascale Gruny, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Santini, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Eric Woerth