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Commission des affaires européennes

mercredi 6 juillet 2011

16 heures

Compte rendu n° 217

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Examen du rapport d’information de M. Michel Diefenbacher sur le projet de budget 2012 de l’Union européenne

II. Communication de M. Didier Quentin sur la communication de la Commission européenne « Vers une approche cohérente en matière de recours collectif »

III. Communication de Mme Odile Saugues sur la révision des lignes directrices communautaires sur le financement des aéroports et les aides d’Etat pour les compagnies aériennes au départ d’aéroports régionaux

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 6 juillet 2011

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 heures

I. Examen du rapport d’information de M. Michel Diefenbacher sur le projet de budget 2012 de l’Union européenne

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Le présent rapport est consacré au projet de budget général de l’Union européenne pour 2012. Le budget général est celui des institutions européennes : la Commission européenne, le Conseil, le Parlement européen, la Cour de justice et la Cour des comptes. J’aborderai successivement la procédure budgétaire – qui est cette année la deuxième application de la nouvelle procédure issue du traité de Lisbonne, le cadrage financier, les positions des institutions, les propositions de la Commission européenne, les positions des Etats membres, et les propositions de conclusions que je souhaite vous soumettre.

La procédure budgétaire européenne est très différente de la procédure budgétaire nationale. Elle met en jeu trois acteurs : la Commission européenne, le Conseil, et le Parlement européen. En vertu du traité de Lisbonne, la Commission établit le projet de budget, et doit en saisir le Conseil et le Parlement européen au plus tard le 1er septembre. Elle le fait en réalité au mois de mai.

Le Conseil adopte sa position sur le projet de budget et la transmet au Parlement européen au plus tard le 1er octobre. Mais le Parlement européen n’attend évidemment pas de connaître la position du Conseil pour commencer à travailler.

Si le Parlement européen amende le projet adopté par le Conseil, soit celui-ci accepte ces amendements et le budget est ainsi adopté, soit le Conseil rejette les amendements et un comité de conciliation est constitué.

Ce comité de conciliation, qui réunit les membres du Conseil ou leurs représentants et autant de membres représentant le Parlement européen, ainsi que des représentants de la Commission européenne, a vingt-et-un jours pour statuer. Les représentants du Conseil au sein de ce comité votent à la majorité qualifiée. Les représentants du Parlement européen votent à la majorité simple. Si la conciliation échoue, la Commission européenne doit présenter un nouveau projet de budget, et la procédure recommence. Si la conciliation aboutit à un accord, le Conseil et le Parlement européen votent sur ce texte. Si le Parlement européen approuve ce texte de conciliation mais que le Conseil le rejette, le Parlement européen peut, en statuant à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés, décider de confirmer l’ensemble ou une partie des amendements qu’il avait proposés avant la réunion du comité de conciliation, et le budget est définitivement adopté sur cette base.

La philosophie de ce système est la recherche du consensus, il s’agit de faire converger les positions, car cette convergence est indispensable pour que le budget soit adopté.

Le budget pour 2012 sera l’avant-dernier budget de la période couverte par les perspectives financières 2007-2013. Les perspectives financières pluriannuelles fixent un plafond global de dépenses année par année. Pour 2012, les crédits d’engagement sont ainsi plafonnés à 1,13 % de la richesse de l’Union, soit 148,196 milliards d’euros, en hausse de 4,2 % par rapport au plafond fixé pour 2011. Le plafond pour les crédits de paiement est de 141,36 milliards d’euros, soit 1,08 % du RNB européen, plafond supérieur de 5,9 % au plafond de 2011. Ces taux d’augmentation sont très supérieurs à ce qu’on peut constater dans les budgets des Etats, notamment d’Europe occidentale. Les perspectives financières en vigueur ont été conçues et adoptées avant la crise économique actuelle, et auraient été probablement différentes si elles avaient été adoptées pendant la crise. Les plafonds sont fixés en pourcentage du RNB et non pas par rapport à l’année précédente. Il s’agit d’un système pro cyclique, qui joue donc difficilement un rôle de relance. Le budget européen tel que prévu par les perspectives financières représente chaque année entre 140 et 150 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable.

Le Parlement européen a fixé ses orientations pour le budget 2012 en séance plénière le 24 mars dernier. Il a exprimé sa volonté très claire que le budget soutienne la conjoncture, contribue à la relance économique par la dépense publique et permette de respecter les engagements pris dans le cadre de la stratégie Europe 2020. Le Parlement européen est ainsi favorable à une politique dynamique de dépense publique.

La position du Conseil est diamétralement opposée, en raison d’une double préoccupation des Etats : le redressement de leurs propres comptes, qui les amène à attendre de l’Union européenne la même rigueur ; et le souci d’épargner leurs propres budgets, qui les rend regardants sur les dépenses proposées.

Les priorités du Conseil ont été définies le 15 février, mettant l’accent sur la nécessité d’une discipline budgétaire globale, considérant que le budget européen doit refléter les efforts d’assainissement budgétaire rigoureux des Etats membres. La position ainsi exprimée en février est conforme à la teneur de la lettre adressée le 18 décembre 2010 au président de la Commission européenne par les chefs d’Etat et de gouvernement de cinq pays – la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande – qui posait que le budget européen « ne peut s’exonérer des efforts considérables des Etats membres visant à maîtriser leurs dépenses publiques. Aussi les efforts entrepris en 2011 pour maîtriser la croissance de la dépense européenne doivent-ils être renforcés progressivement s’agissant des dernières années de l’actuel cadre pluriannuel et les crédits de paiement ne devraient pas augmenter davantage que l’inflation au cours de la période couverte par le prochain cadre financier pluriannuel ». Ces cinq Etats demandent ainsi une maîtrise des dépenses jusqu’à la clôture de la programmation actuelle et zéro augmentation en volume à partir de 2014.

La position de la Commission européenne, traditionnellement, est intermédiaire. Elle reste évidemment sous les plafonds fixés mais souhaite s’en rapprocher pour soutenir activement la conjoncture. Pour l’année 2012, le projet de budget présenté par la Commission prévoit 147,435 milliards d’euros en crédits d’engagement, un montant sensiblement inférieur au plafond mais en nette augmentation par rapport au budget 2011 (+ 3,7 %). Pour les crédits de paiement le montant proposé est de 132,739 milliards d’euros, en hausse de 4,9 %, ce qui est une croissance très supérieure à celle des budgets de la plupart des Etats européens.

Les dotations qui augmentent le plus sensiblement incluent celles consacrées à la recherche et à la cohésion. La progression proposée pour la politique agricole commune est beaucoup plus modeste. Les sept initiatives phare de la stratégie Europe 2020 sont mises en avant.

Face à ces propositions, quelles ont été les réactions des Etats membres ? Le Conseil a pris acte le 17 mai des propositions de la Commission, et a engagé les discussions, qui ont fait apparaître trois types de positions : celles des Etats qui considèrent que la Commission va trop loin dans ses propositions de dépenses (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les pays scandinaves, l’Autriche – les principaux « contributeurs nets »), celles des Etats qui soutenaient globalement le projet de la Commission, notamment les pays d’Europe de l’Est et l’Irlande, et les positions intermédiaires de pays comme l’Italie, qui est le troisième contributeur au budget de l’Union mais également un important bénéficiaire des fonds européens.

La position de la France était très claire dès le départ : « zéro volume », c’est-à-dire une hausse du budget analogue à la hausse des prix évaluée à 2 %. Elle avait sur ce point le soutien de l’Allemagne et du Royaume-Uni.

L’écart entre les propositions de la Commission européenne et celles des contributeurs nets était donc considérable. La présidence polonaise a élaboré plusieurs propositions successives de compromis, et c’est la quatrième de ces propositions qui a finalement été adoptée en comité budgétaire, c’est-à-dire par des représentants des ministères des Finances : une majorité qualifiée des Etats s’est prononcée pour une hausse des crédits de paiement de 2,02 % par rapport à 2011. Cet accord sera soumis au Conseil des ministres pour approbation le 22 juillet.

Dans la perspective de cette réunion du Conseil, il vous est proposé, mes chers collègues, d’adopter des propositions de conclusions qui expriment notre soutien au Gouvernement dans cette négociation, pour deux raisons :

Une raison logique : compte tenu des efforts importants qui sont demandés aux Etats membres aujourd’hui, il est difficile d’exonérer l’Union européenne d’efforts comparables. Les efforts sont dictés par la situation économique et financière et par les règles européennes elles-mêmes.

Et une raison politique : nous savons tous de quelles carences souffre l’image de l’Union européenne dans l’opinion publique. Si l’Union augmentait son budget de façon sensiblement supérieure à la progression des budgets nationaux, l’opinion aurait beaucoup de mal à le comprendre.

Les propositions de conclusions que je vous soumets n’entrent pas dans le détail des différentes rubriques du budget, mais évoquent une seule d’entre elles, la rubrique des dépenses administratives, car on connaît les efforts à faire notamment en France pour maîtriser les coûts de fonctionnement de l’administration.

M. Christophe Caresche. Je pense qu’il faut prendre de la hauteur et ne pas se situer au niveau des retombées que chaque Etat membre peut attendre du budget européen. Cette logique est délétère et ne peut aboutir qu’à des blocages. Le couplage, dans la rigueur, entre les budgets nationaux et le budget européen ne va pas de soi. En effet, la rigueur des budgets nationaux devrait s’accompagner d’une certaine souplesse du montant du budget européen qui pourrait ainsi assurer des transferts au sein de l’Union vis-à-vis des Etats membres les plus en retard. Le fait que ce budget augmente, y compris en période de crise, paraît une perspective positive. Il conviendrait que cette idée soit portée politiquement et, actuellement, un certain nombre d’Etats membres ne vont pas dans cette direction. Le Premier ministre polonais a toutefois appelé les Etats membres à maintenir une ambition européenne forte. Personnellement, la proposition de la Commission européenne me semble raisonnable et même en retrait par rapport à ce qui avait été fait précédemment.

Des questions devraient être abordées dans les conclusions :

– la question du rabais, ce mécanisme infernal mis en place il y a quelques années ne devant plus être accepté ;

– la question des financements alternatifs avec l’idée d’une taxe sur les transactions financières et d’une taxe sur les banques qui permettraient d’apporter des ressources nouvelles et pourraient en partie régler la question des contributions nationales. De telles ressources auraient également vocation à participer à l’augmentation du budget européen.

La position française de refus d’augmenter le budget européen, alors que, par le passé, la France adoptait une position de compromis, et d’alignement sur les pays les plus restrictifs n’est pas une bonne solution car la France a des exigences très fortes sur le budget européen, notamment en matière d’agriculture. Le fait de maintenir des fonds structurels est aussi un moyen de soutenir les Etats membres en difficulté, Grèce, Espagne, Portugal, Irlande.

M. Jacques Myard. L’élaboration du budget européen relève bien de la codécision entre le Conseil et le Parlement européen ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. En cas de désaccord, le Parlement européen peut arrêter le budget à la majorité des 3/5es.

M. Jacques Myard. Le Parlement européen pourrait-il avoir le dernier mot ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Le Parlement européen ne peut imposer sa position au Conseil que si celle-ci est conforme à la position du comité de conciliation.

M. Jacques Myard. Un budget européen est-il vraiment nécessaire ? Au départ, les Etats membres adoptaient les politiques au niveau européen puis les mettaient en œuvre au plan national. Va-t-on vers une Union de transfert ? Avec la multiplication des actions communautaires, cela est impossible, car le budget européen devrait alors monter en puissance dans des conditions qu’aucun gouvernement ne pourrait accepter. J’estime en outre que les fonds structurels sont dépensiers et d’un maniement trop lourd. Auparavant, les protocoles financiers passés entre les Etats membres permettaient d’éviter toute dérive administrative européenne. Le budget européen pèche, selon moi, par une trop grande diversité d’actions. La PAC constitue le seul instrument de régulation des marchés et le seul instrument contracyclique. Il convient de ne pas alimenter une frustration permanente par un décalage entre le discours officiel et la réalité du budget. L’Europe ne se donne pas les moyens de sa politique et devrait en conséquence concentrer son champ d’action. Les conclusions devraient mentionner la nécessité de maintenir la PAC.

Le Président Pierre Lequiller. Je ne suis pas contre cette idée, mais il semble que l’on dévie du sujet qui est le budget 2012. Par ailleurs, un rapport sur le PAC est en cours de publication et notre Commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité une proposition de résolution sur la taxe sur les transactions financières. En matière de PAC, le ministre de l’agriculture a annoncé que le montant de la PAC devrait être stabilisé, ce qui est une bonne nouvelle.

M. Jérôme Lambert. Le fait d’être préoccupé par l’image de l’Europe si elle augmente son budget n’est, à mon sens, pas fondé. Ce qui donne une mauvaise image de l’Union est l’impuissance et l’absence de politique. Tout n’est peut-être pas une question de moyens financiers, mais ceux-ci peuvent faire beaucoup. Cela ressort bien lorsqu’il faut aider un Etat membre ou soutenir certaines catégories. Risquer de mettre l’Europe entre parenthèses serait lui porter un coup difficile à supporter. Le point 6 des conclusions relève que le projet de budget pour l’exercice 2012 « aura valeur de base de référence pour les négociations qui vont à présent s’engager sur l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel ». Alors, puisque ce budget aura valeur de base de référence et puisque nous sommes, en France, porteur d’exigences importantes en matière budgétaire, ce n’est vraiment pas le moment de baisser la garde.

M. Michel Piron. Tout d’abord, j’adhère à la proposition de conclusions du rapporteur, les choses étant ce qu’elle sont, mais j’aurais aimé un petit considérant rappelant le lien entre la politique économique et la politique budgétaire, dans ce cadre budgétaire où se pose la question de la présence ou de l’absence d’une politique économique commune.

Ensuite, j’aimerais connaître sur cette question budgétaire la position précise de la présidence polonaise qui n’est pas sans importance, au-delà des observations générales qui ont pu être faites par des membres du gouvernement polonais.

Enfin, a été évoquée la possibilité plus ou moins élaborée d’ajouter aux contributions nationales d’autres ressources comme une taxe sur les transactions financières. Ces autres ressources seront-elles « européanisées » ou nationales ? Ainsi l’Italie vient-elle de se lancer dans l’élaboration, si ce n’est déjà l’adoption, d’une proposition de prélèvement national sur les transactions financières et qu’en sera-t-il si apparaissent des initiatives dans d’autres Etats membres ou au niveau européen, sur des échelles et des bases différentes ? Va-t-on vers une addition d’initiatives individuelles diversifiées ou vers une perspective plus homogène ?

M. Hervé Gaymard. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder avec Alain Lamassoure le mode de financement du budget européen qui peut effectivement nous séparer sur certains points. Mais il est sûr qu’en toute hypothèse, la première priorité concerne l’harmonisation des assiettes et en tout premier lieu celle de l’impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, je voudrais souligner le paradoxe des réformes engagées sur la PAC depuis quelques années. L’idéologie dominante répugne à ce que la PAC soit un instrument contracyclique en suivant une logique de découplage des aides, puisqu’un agriculteur touche le même niveau d’aide quel que soit le prix de sa production, alors que des instruments contracycliques coûteraient moins cher que des instruments rigidifiés par le découplage total. Aujourd’hui, La PAC serait en moyenne moins coûteuse si on pouvait activer des instruments seulement quand on en a besoin. Ce débat dure depuis des années et c’est un débat politique et idéologique très fort sur la substance même des politiques agricoles.

Pour étayer mon propos, pourquoi avons-nous pu intégrer les pays d’Europe centrale et orientale ainsi que Malte et Chypre dans le compromis budgétaire de 2003 sans augmenter le budget de la PAC et avec le même plafond de dépenses agricoles ? Tout simplement parce que nous n’avons plus utilisé les subventions à l’exportation.

Mme Monique Boulestin. Il est envisagé de créer au sein de la politique de cohésion pour la période 2014-2020 une nouvelle catégorie de régions en transition ou intermédiaires dont le PIB représenterait entre 75 et 90 % du PIB moyen de l’Union européenne. Une dizaine de régions françaises seraient concernées dont le Limousin. Les aides s’élèveraient à 40 millions d’euros et concerneraient les infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunications, c’est-à-dire le désenclavement des territoires. Est-ce que ces 40 millions d’euros pour ces interconnexions s’ajoutent aux 40 millions déjà prévus ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur. Je voudrais d’abord souligner à Christophe Caresche que la volonté des trois grand Etats membres de limiter la croissance du budget de l’Union européenne pour 2012 à la dérive des prix n’est pas liée à une préoccupation de juste retour mais de discipline budgétaire et qu’elle n’exclut pas une redistribution entre les Etats membres, des contributeurs budgétaires nets vers les bénéficiaires budgétaires nets.

Le problème soulevé par Jacques Myard est fondamental mais ne peut pas être réglé dans ce cadre.

A Jérôme Lambert, je réponds que le déficit d’Europe ne vient pas à mon sens des questions budgétaires mais a trois causes : le déficit démocratique, le poids des normes de toute nature, la naïveté des Européens dans le commerce international par rapport à tous leurs partenaires en particulier les Etats-Unis.

A Michel Piron, j’indique que, comme toute présidence de l’Union européenne en principe, la présidence polonaise se montre neutre et discrète sur ces sujets pour être en mesure de proposer des compromis aux Etats membres, sans cacher qu’elle ferait une priorité forte de la politique de cohésion pour la période 2014-2020.

Le découplage des aides par rapport à la production au sein de la PAC soulevé par Hervé Gaymard est en effet une question majeure pour les futures négociations sur cette politique.

La possible création de régions de transition ou intermédiaires n’est pas pour l’immédiat et est une question ouverte relevant des futures négociations pour 2014-2020.

La fin du rabais britannique est une priorité française qui recueille notre accord unanime. Cependant je ne souhaite pas l’évoquer dans nos conclusions, d’abord parce que ce rapport porte sur le budget 2012 et non sur la négociation des perspectives 2014-2020 où ce sujet sera débattu, ensuite parce que la condition britannique à la suppression du rabais est une remise en cause fondamentale de la PAC et qu’il ne faut pas compliquer le débat sur le budget 2012 dans lequel le Royaume-Uni est un allié de la France.

En ce qui concerne les financements alternatifs, nous nous sommes déjà prononcés sur la taxe sur les transactions financières et ce n’est pas l’objet du débat sur le budget 2012 qui porte sur son pourcentage d’augmentation. Pour que nous soyons entendus, il nous faut rester sur ce thème.

Par ailleurs, la PAC n’est ni contestée ni menacée dans le budget 2012 et la question de son maintien ne se pose pas dans le cadre d’un débat sur ce budget.

Enfin je suis prêt à examiner toute proposition d’amendement de Michel Piron sur le sujet qu’il a évoqué.

Le Président Pierre Lequiller. Je rappelle que le sujet est la fixation du budget de l’Union européenne pour 2012 et que les remarques qui ont été faites ne me paraissent pas devoir entrer dans les conclusions proprement dites.

En revanche je ne serais pas opposé à faire confiance au rapporteur pour qu’il intègre dans les considérants une formule sur les ressources et les taxes sur les transactions financières, même si nous avons des rapports en cours, ainsi que sur le rabais britannique, même si nous savons qu’il constitue pour le Royaume-Uni la contrepartie du maintien de la PAC.

Enfin je renvoie Mme Boulestin à mon rapport sur les fonds structurels à propos de la question qu’elle a soulevée sur la politique de cohésion.

La Commission a adopté, à la majorité de 9 voix contre 6, la proposition de conclusions présentée par le rapporteur, dans les termes suivants :

La Commission,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 310, 312 et 314 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’accord interinstitutionnel du 17 mai 2006 sur la discipline budgétaire et la bonne gestion financière,

Vu le projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2012 (COM (2011) 300 final/no E 6408),

Vu la lettre rectificative no 1 au projet de budget général 2012 – Etat des dépenses par section – Section III – Commission (COM (2011) 372 final/no E 6343) et la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation de l’instrument de flexibilité (COM (2011) 373 final/no E 6344),

Considérant que le budget de l’Union européenne est un instrument du « gouvernement économique européen » au même titre que le renforcement de la coordination des politiques économiques nationales,

Considérant que, parallèlement à la procédure budgétaire en cours, vont s’ouvrir les négociations sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, qui seront l’occasion d’aborder, dans le volet consacré aux recettes, la remise en question du « rabais » sur la contribution britannique, ainsi que, dans le volet consacré aux dépenses, l’avenir des différentes politiques européennes,

Considérant que le budget 2012 aura à cet égard valeur de référence et qu’il revêt de ce fait une importance toute particulière,

1. Prend acte des grandes orientations du projet de budget général de l’Union européenne pour 2012, deuxième budget élaboré selon la procédure budgétaire modifiée par le Traité de Lisbonne et avant-dernier budget de la période couverte par le cadre financier pluriannuel en vigueur ;

2. Souligne que le budget de l’Union européenne pour 2012 devra plus que jamais tenir compte des fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur tous les Etats membres ;

3. Considère par conséquent que l’augmentation des crédits proposée par la Commission européenne par rapport au budget 2011 (+ 3,7 % pour les crédits d’engagement et + 4,9 % pour les crédits de paiement) n’est pas acceptable ;

4. Soutient la position du Gouvernement tendant à ce que l’augmentation du budget européen par rapport au budget 2011 ne soit pas supérieure aux prévisions d’augmentation des prix, de manière à stabiliser le volume des dépenses ;

5. Demande que les dépenses administratives des institutions de l’Union européenne obéissent à une approche budgétaire rigoureuse.

II. Communication de M. Didier Quentin sur la communication de la Commission européenne « Vers une approche cohérente en matière de recours collectif »

M. Didier Quentin, rapporteur. La Commission européenne s’attache à l’institution, dans le droit européen, d’une action de groupe, définie comme « une notion large englobant tout mécanisme tendant à faire cesser ou à prévenir des pratiques commerciales illégales affectant un grand nombre de plaignants ou encore à obtenir la réparation du préjudice causé par de telles pratiques ».

Pour la Commission européenne, la mise en place d’un mécanisme analogue à la class action américaine qui, aux Etats-Unis, permet à des avocats de fédérer un grand nombre de plaignants qui n’introduiraient pas individuellement des plaintes pour des litiges à faible valeur unitaire, est un complément du marché unique, dans la mesure où elle permet de poursuivre à l’échelle européenne des entreprises dont les pratiques ne seraient pas conformes au droit. Elle évite en effet de devoir intenter une action dans vingt-sept pays.

Après avoir présenté, en décembre 2005, un Livre vert sur les recours en dommages et intérêts contre les pratiques anticoncurrentielles – ententes et abus de positions dominantes – qui a fait l’objet d’un rapport de M. Marc Laffineur pour le compte de notre commission, elle vient de lancer une consultation dont elle est en train d’analyser les résultats.

Il faut noter que la Commission européenne a annoncé à plusieurs reprises son intention d’élaborer une directive introduisant l’action de groupe dans le droit européen et qu’elle est soumise à une forte pression des associations de consommateurs. Par exemple, une dizaine d’associations qui dénoncent ses tergiversations lui ont adressé, le 30 mai, une lettre conjointe car elles considèrent que le « droit à une indemnisation, le droit d’accéder à la justice et le droit à une solution efficace ne doivent pas rester théoriques. En pratique, de nombreux citoyens sont pourtant dans l’incapacité d’exercer ces droits en raison de l’inadéquation des outils existants dans des cas de litiges de masse avec la dimension transfrontalière (…). Le droit d’agir collectivement doit être reconnu au niveau européen (…) afin de fournir aux victimes l’opportunité d’obtenir une compensation pour les dommages encourus ».

La Commission européenne a indiqué que l’analyse des réponses à la consultation publique était en cours (300 réponses des associations et 20 000 autres de la part de privés) mais que rien n’était décidé pour l’instant.

Depuis de nombreuses années, les dirigeants français se sont posé la question de l’introduction en France de l’action de groupe. Les pratiques abusives dans certains secteurs tels que les facturations de frais bancaires ou les abonnements de téléphonie ont été fréquentes et ont impliqué une action déterminée des autorités de concurrence communautaires et nationales compétentes. La mise en œuvre d’une action de groupe multiplierait, sans aucun doute, les plaintes des consommateurs et imposerait des comportements plus vertueux aux acteurs économiques qui, revers de la médaille, pourraient, dans la compétition mondiale, se retrouver affaiblis par des sanctions pécuniaires extrêmement lourdes. Le patronat européen fait clairement flèche de tout bois contre ce texte et aucun des projets élaborés par les services de la Commission européenne n’a été à ce jour adopté par le collège des commissaires qui se heurte à un problème majeur : les prérogatives limitées de l’Union européenne dans le domaine de la procédure civile.

Le rapport présenté le 28 juin 2006 devant notre Commission par M. Marc Laffineur reste toujours d’actualité. Les critiques dont font l’objet les projets de « class action européenne » ont d’abord trait à leur non-conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Si la France émet sur ce point des réserves nuancées, en revanche, au Royaume-Uni et en Allemagne, les autorités font valoir que les règles de responsabilité civile du droit processuel sont du ressort exclusif des Etats membres. D’autre part, l’introduction d’un système de recours collectif en vue de garantir les droits des consommateurs, rencontre une hostilité majoritaire des Etats qui considèrent la procédure américaine de la class action, davantage comme un facteur de judiciarisation de la vie économique que comme un instrument de protection des consommateurs.

La première question d’importance est celle de la proportionnalité et de la subsidiarité qui doivent être, par rapport à nos travaux de 2006, analysées au regard du traité de Lisbonne, qui n’a pas, sur ce point, modifié substantiellement les règles en vigueur antérieurement.

Les procédures civiles et pénales relèvent normalement de la compétence des Etats aux termes de l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Aussi, le gouvernement français, dans sa réponse à la consultation de l’Union européenne, considère-t-il que « l’introduction de tels mécanismes dans le droit des Etats membres serait de nature à impacter non seulement directement le droit procédural des Etats membres, mais aussi et surtout pourrait indirectement porter atteinte aux droits fondamentaux et constitutionnels des Etats membres (par exemple en ce qui concerne la liberté d’agir ou de ne pas agir en justice). De ce fait, si une telle proposition venait à voir le jour, il conviendrait qu’elle respecte tant les principes de subsidiarité et de proportionnalité que celui de l’autonomie procédurale, ainsi que les droits fondamentaux et constitutionnels des Etats membres. »

Je partage très largement ce sentiment. Toutefois, l’article 81 du traité TFUE permet quelques ouvertures sur cette question. Il dispose en effet que « L’Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l’adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres…notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur… ».

Aussi, la position de la France est-elle plus souple à ce propos que celle des gouvernements britanniques et allemands qui ne veulent pas entendre parler de l’idée d’une « class action » européenne.

L’Union européenne est à nos yeux fondée à intervenir pour des règles de compétences en matière de litiges transfrontaliers déjà régis par une directive ou pour les actions introduites devant les juridictions européennes.

Nous pouvons également défendre l’idée d’une harmonisation des règles de procédure civile entre les Etats de l’Union, mais cela devrait faire l’objet d’un débat spécifique et non être traitée au détour d’une question telle que l’action de groupe.

En effet, l’article 81 du TPFUE permet à l’Union européenne d’intervenir pour favoriser :

« e) un accès effectif à la justice; »

« f) l’élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres… »

Ces dispositions encadrent fortement la possibilité de légiférer pour l’Union européenne car elle ne peut traiter cette question, nous semble-t-il, que sous l’aspect de la garantie d’accès à la justice pour des plaignants nombreux ayant subi un faible préjudice individuel.

Il ne nous semble pas possible que l’Union européenne puisse instituer et réglementer les conditions d’exercice d’une action de groupe par des textes allant au-delà de l’affirmation du principe.

De ce point de vue, le formulaire de consultation élaboré par la Commission européenne pourrait nous inquiéter car il comporte de très nombreuses questions portant sur des domaines de compétence nationale (par exemple la ventilation entre les parties du coût des procédures, le mode de fixation des honoraires d’avocats…).

Il est clair que la définition détaillée d’une procédure civile d’action de groupe par une directive européenne pourrait conduire au transfert à l’Union européenne d’une partie significative de la procédure civile.

Au terme de notre analyse nous estimons néanmoins qu’une directive européenne pourrait intervenir pour poser le principe de l’introduction de l’action de groupe dans les procédures civiles des Etats, mais que cette dernière ne pourrait avoir qu’un champ d’action restreint aux litiges impliquant les juridictions de plusieurs pays de l’Union ou la Cour de justice de Luxembourg.

En réponse au questionnaire contenu dans le document de travail de la Commission européenne soumis à consultation publique en vue de renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs, le gouvernement français considère que « l’éventuelle introduction d’un mécanisme d’action de groupe à vocation réparatrice pourrait être de nature à fragiliser la reprise dans un contexte où l’Union européenne vient de traverser une crise économique et financière sans précédent. De ce fait, l’introduction d’un tel mécanisme au sein de l’espace judiciaire européen apparaît, en l’état, prématurée compte tenu de la possibilité d’améliorer les mécanismes existants et de développer de manière ambitieuse et efficace les modes alternatifs de résolution des litiges. »

La position du Gouvernement est donc plutôt négative car il considère qu’il n’y a pas de valeur ajoutée à introduire une telle procédure et rappelle que le règlement 2006/2004 du 27 octobre 2004 prévoit l’existence, dans chaque Etat membre, d’une ou plusieurs autorités qualifiées disposant des moyens et pouvoirs d’investigation nécessaires à la constatation et à la cessation des infractions aux règles de protection des intérêts économiques des consommateurs. Il convient, pour l’essentiel, de privilégier le terrain de la cessation et de la sanction des pratiques illicites et de consacrer en ce domaine le rôle fondamental des autorités publiques.

Il faut se méfier d’une volonté trop systématique de recours au système judiciaire et relativiser l’efficacité respective des procédures judiciaires et administratives. En matière d’ententes illicites, les procédures introduites devant la Commission européenne, et en France le Conseil de la concurrence, sont beaucoup plus redoutées des entreprises que les procédures engagées devant les juridictions judiciaires car les amendes infligées par les autorités administratives sont beaucoup plus lourdes.

Pour le Gouvernement, l’introduction de formes d’actions collectives en indemnisation ne doit pas constituer un moyen, pour des personnes de mauvaise foi, de destabiliser des entreprises pour des motifs autres que l’intérêt des personnes ayant subi un préjudice du fait d’un comportement fautif. Il convient de noter qu’aux Etats-Unis, le défendeur qui à une class action qui gagne le procès qui lui est intenté ne peut pas demander, à celui qui a introduit l’action, le remboursement des frais exposés pour sa défense, qui peuvent être considérables. Cette seule perspective peut conduire des entreprises à accepter une transaction plutôt que d’accepter un procès.

C’est la raison pour laquelle il apparaît nécessaire au Gouvernement que, quel que soit le mode de recours collectif, les personnes ayant qualité pour agir soient préalablement habilitées à cet effet par l’Etat – comme c’est le cas, par exemple, des associations de consommateurs – en fonction de critères limitativement énumérés : ancienneté de l’entité, objet de l’entité, nombre d’adhérents, surface financière de cette entité, représentativité de cette entité dans la défense des intérêts en cause …. En outre, dans l’hypothèse où l’une de ces entités détournerait ses pouvoirs à d’autres fins que celles leur donnant un intérêt à agir, il apparaît nécessaire de prévoir que la capacité de cette entité à introduire des recours collectifs puisse être retirée par chacun des Etats en fonction d’une procédure préalablement définie par chacun d’eux. Il n’apparaît pas judicieux de déléguer au juge le pouvoir d’apprécier au cas par cas de la faculté de telle ou telle entité à introduire un recours collectif. En effet, un tel mécanisme serait source d’insécurité juridique. Il apparaît préférable que les entités fassent l’objet d’un agrément, dont le maintien serait subordonné à leur représentativité et leur indépendance.

Les autorités françaises pensent que l’amélioration des procédures de traitement des contentieux de consommation ne passe pas, dans un contexte de sortie de crise économique, par l’introduction d’une action collective en réparation, mais par l’amélioration des voies de recours déjà existantes et par le développement des procédures de résolution consensuelle des litiges.

Il convient de répondre effectivement à une demande insatisfaite de droit en facilitant l’accès des consommateurs à la justice et permettre ainsi le traitement des contentieux de masse. En outre, il n’est pas contestable qu’il est souhaitable de traiter, au niveau européen, des litiges transfrontaliers pour éviter que les divergences de jurisprudence nuisent à l’unicité du marché.

Or, les différentes actions pouvant être exercées par les associations de consommateurs au nom de l’intérêt collectif des consommateurs – action civile, action en cessation d’agissements illicites ou de suppression de clauses abusives ou illicites, droit d’intervention devant les juridictions civiles – ne permettent pas toujours d’obtenir la réparation des préjudices subis individuellement par des consommateurs.

L’intérêt de l’introduction en droit européen d’une action de groupe est donc réel mais il est nécessaire, aux yeux du rapporteur, de préserver quelques principes fondamentaux :

préserver les principes fondamentaux qui guident le droit d’agir en justice, ce qui implique le droit de ne pas agir : en d’autres termes, pour pouvoir être indemnisée d’un préjudice allégué, la personne qui souhaite obtenir des dommages et intérêts doit s’identifier individuellement, faire connaître le montant de son préjudice et en justifier l’existence. Cela s’oppose radicalement à l’hypothèse d’une action de groupe constituée de l’ensemble des victimes d’un dommage, qu’elles soient ou non connues, qu’elles se soient ou non manifestées dans la procédure et que seules sont exclues les personnes qui ont expressément fait part de leur intention de ne pas faire partie du groupe (opt-out) ;

- préserver le principe d’une appréciation objective d’une demande en réparation par le juge afin d’éviter l’allocation de dommages et intérêts hors de proportion avec le préjudice effectivement subi par la victime, il n’est pas souhaitable d’introduire dans notre droit la notion de « dommages-intérets punitifs » ;

- préserver le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes qui, en vertu des règles édictées par la Cour européenne des droits de l’homme, doivent innerver l’ensemble du procès ;

- ne pas porter atteinte aux règles régissant le droit de la preuve et aux règles de procédure civiles, lesquelles ressortent exclusivement du principe de l’autonomie procédurale des États membres. A cet égard, deux écueils doivent être absolument évités :

. il ne doit pas y avoir de mise en oeuvre d’une procédure de production forcée de preuves (« discovery ») à l’américaine ;

. il ne doit pas y avoir l’instauration d’honoraires d’avocats au résultat (« contingency fees »).

Nonobstant l’impatience des associations de consommateurs, il est peu probable que l’action de groupe à l’américaine puisse voir le jour à brève échéance au sein de l’Union européenne. Pour autant, ce débat doit se poursuivre et, s’agissant des litiges de consommation de niveau européen, il nous semble souhaitable d’aller vers la voie d’une médiature européenne pouvant aider au règlement des petits litiges à caractère privé. Une telle initiative serait souhaitable car elle permettrait à l’Europe d’assurer une fonction de protection de l’individu ce qui serait positive pour son image.

M. Jacques Myard : Nous voici devant un sujet fondamental, dans lequel j’identifie la cause principale de la dérive de la justice américaine, dont s’est d’ailleurs inquiétée avec force la Cour suprême. Les class actions sont en effet devenues de véritables « machine à cash » pour les avocats américains, étouffant la justice et harcelant les entreprises sous un flux incessant de procédures trop souvent uniquement motivées par l’appât du gain de professionnels du droit très généreusement servis par ces actions.

Il faut protéger le consommateur, chacun en convient. Mais doit-on le faire par le petit bout de la lorgnette, via des procédures européennes nécessairement limitées, et surtout au risque d’obstruer et de dévoyer nos systèmes juridiques ?

M. Christophe Caresche : Je suis toujours surpris de voir des forces politiques qui se prétendent d’inspiration libérale refuser de tirer les conséquences de leur admiration pour la libre concurrence en écartant les procédures les mieux à même de la faire respecter. Le problème est pourtant réel, comme l’illustre notamment la publication récente du rapport des directions générales de la consommation et de la répression des fraudes, qui met en évidence une véritable explosion des pratiques anti-concurrentielles et des abus de position dominante. Je vous le dis avec d’autant plus de conviction que cette constatation vient d’un député socialiste. La concurrence s’organise, et la tendance naturelle des marchés vers une concentration et des abus de position doit être enrayée sans relâche. Or les « class actions » sont un élément, décisif, de l’arsenal. Que l’initiative vienne de Bruxelles ne m’étonne guère, tant les Etats membres font preuve d’une véritable inertie en la matière, qui me semble protéger bien des intérêts établis et favoriser indûment les entreprises au mépris des consommateurs.

L’argument relatif au biais procédural lié aux avocats ne tient pas, puisque le rapporteur signalait lui-même qu’il est très aisé d’empêcher ces pratiques prédatrices en encadrant notamment fortement les modalités de leur rémunération. Quant à celui de l’impact sur la reprise, il serait risible si la majorité ne nous répétait pas en même temps chaque jour que la voie de la croissance passe par une concurrence mieux organisée, à laquelle elle semble pourtant s’opposer en l’occurrence.

M. Michel Piron : Les abus de position dominante sont bien mieux efficacement combattues par de nombreuses procédures, en particulier dans les mains des autorités de contrôle, que par une procédure dont l’impact sur la concurrence est bien moins évident qu’on le prétend trop souvent. D’ailleurs, si l’on sort des caricatures ridicules où tous les gouvernements européens seraient dans la main des intérêts économiques, il doit bien y avoir des raisons pour qu’aucun d’entre eux n’aient jamais recouru aux class actions.

Mme Pascale Gruny : Il ne faut en outre pas négliger les arguments des très nombreuses PME qui craignent, avec raison, les risques de dévoiement qu’une telle procédure porte immanquablement.

M. Didier Quentin : Je rappelle qu’en matière d’ententes illicites, les procédures introduites devant la Commission européenne, et en France le Conseil de la concurrence, sont dans les faits beaucoup plus redoutées des entreprises que les procédures engagées devant les juridictions judiciaires, car les amendes infligées par les autorités administratives sont beaucoup plus lourdes. Cela relativise le lien entre les class actions et la promotion de la concurrence. Et, au moment où chaque dixième de point de croissance fait l’objet d’une lutte incessante, il serait pour le moins paradoxal de se précipiter dans un chantier encore mal balisé dont les défauts éventuels seraient susceptibles d’handicaper notre compétitivité. Pour citer Molière, « La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l’on soit sage avec sobriété ».

III. Communication de Mme Odile Saugues sur la révision des lignes directrices communautaires sur le financement des aéroports et les aides d’Etat pour les compagnies aériennes au départ d’aéroports régionaux

Mme Odile Saugues, rapporteure. Le transport aérien a retrouvé un semblant de santé financière après avoir subi en 2009 l’une des crises les plus sévères de son histoire. Mais ce retour à une meilleure fortune est fragile et nous ne devons pas nous nourrir d’illusion. Le modèle économique des compagnies aériennes dites majeures est remis en cause par les compagnies low cost sur les moyens courriers et par les compagnies du Golfe et des pays asiatiques sur le long courier. Un chiffre est particulièrement saisissant : entre 2011 et 2016, les compagnies du Golfe attendent la livraison de 200 avions contre 100 pour les trois compagnies européennes majeures (Air France, Lufthansa et British Airways). Ces compagnies sont, dans leurs pays, exonérées d’une partie des coûts d’infrastructure supportés par les compagnies européennes. Une guerre des prix sur les vols longs courriers est donc prévisible.

La question de l’égalité de concurrence entre les compagnies européennes est aujourd’hui une question de survie. C’est un enjeu majeur en termes d’emplois et d’apport en devises. Ainsi, par exemple, Air France emploie 70 000 personnes.

La question des aides apportées aux compagnies aériennes et le mode de calcul des redevances sont perçus comme conditionnant l’avenir du transport aérien français, qui attend beaucoup à cet égard de l’Union européenne. Celle-ci essaie de concilier, dans ce domaine, les impératifs de l’intérêt général et ceux de la libéralisation du « ciel européen », ce qui est parfois malaisé.

J’avais, dans mon précédent travail de décembre 2010, relevé que la Cour des comptes, dans un rapport de 2008, soulignait que les subventions d’exploitation par passager sont parfois très élevées et leur conformité au droit communautaire mal assurée. Cette analyse conforte le point de vue d’Air France qui, en se basant sur les travaux de la Cour des comptes, estime qu’en moyenne les chambres de commerce et d’industrie, gestionnaires des aéroports, soutiennent l’activité de Ryanair en France à hauteur de 9 à 32 euros par passager embarqué.

Pour Air France, ces aides prennent plusieurs formes. Elles peuvent être directes, sous forme d’aides au démarrage, se prolongeant en contradiction avec la législation européenne. Il s’agit aussi d’aides « indirectes », sous forme de ristournes consenties sur l’assistance aux escales et les redevances aéroportuaires.

Je ne suis pas en mesure d’émettre un avis personnel sur la véracité de ces chiffres, contestés par Ryanair. Mais cet exemple illustre l’importance et l’acuité du débat pour les compagnies aériennes.

Il convient également de noter que la plainte déposée par Air France contre Ryan Air devant la Commission européenne depuis quatre ans n’a toujours pas été instruite

Afin d’encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements du Protocole de Kyoto, à savoir - 8 % d’ici 2012 par rapport à 1990, l’Union européenne a mis en place, en janvier 2005, un marché d’échange de quotas de CO2 qui concerne 12 000 entreprises contraintes à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à travers des quotas qui leur sont alloués par leur Etat membre.

Le système d’échange intégrera le secteur aérien sur la base d’une directive publiée en janvier 2011. Si la part des transports aériens dans les émissions globales de gaz à effet de serre de l’Union européenne n’avoisine actuellement que 2 % à 4 %, celles qui sont dues aux vols internationaux ont augmenté de 73 % entre 1990 à 2003 et devraient, d’après les projections de la Commission européenne, atteindre 150 % d’ici à 2012 si aucune mesure n’est prise. Une telle croissance annulerait alors plus d’un quart de la réduction des émissions que l’Union européenne est censée réaliser entre 1990 et 2012 en vertu de protocole de Kyoto

Avec l’inclusion de l’aviation dans le système, tous les vols au départ ou à destination de l’Europe, y compris les vols intercontinentaux, seront concernés et les compagnies aériennes devront réduire leurs émissions. Durant la première année, les compagnies se verront attribuer un quota d’émissions équivalent à 97 % de ce qu’elles ont émis en moyenne entre 2004 et 2006. Cette quantité diminuera chaque année et sera de 95 % en 2013.

Aussi, tous les transporteurs volant dans l’Union européenne doivent-ils acheter 15 % des droits à polluer alloués au secteur. Ce qui déplaît aux compagnies. L’inclusion de vols de pays tiers décollant et atterrissant en Europe pose un problème juridique et politique aigu.

L’Association des transporteurs aériens des Etats-Unis (ATA) a attaqué, en décembre 2009, les dispositions européennes en introduisant, cette année-là, un recours pour faire annuler leur mise en œuvre au Royaume-Uni. Et la première audience avait lieu le 5 juillet. L’ATA considère que « L’Union européenne a adopté sa législation de manière unilatérale et n’a pas respecté ses obligations internationales qui imposent de régler ces questions par consensus, dans le cadre de l’Organisation internationale de l’aviation civile, organisme reconnu par les Nations-unies ».

La Cour de justice européenne doit trancher dans les mois à venir. Mais sa décision est très attendue car elle pourrait créer un précédent. Les compagnies américaines ne sont pas les seules à protester contre cette réglementation. Airbus et l’association des compagnies aériennes européennes se plaignent aussi.

Tous craignent des représailles du fait de ces mesures, notamment en provenance de Chine, qui pourrait bloquer la signature de commandes avec Airbus. Selon les rumeurs, ce serait d’ailleurs déjà le cas avec une commande de dix gros porteurs A380 d’une valeur de quatre milliards d’euros, qui devait être annoncée par la compagnie Hong Kong Airlines.

En réponse, l’Union européenne répète que cette directive a pour objectif de réduire les émissions et non pas de taxer les compagnies.

Cette question est extrêmement importante car elle pose la question de la réciprocité dans les relations économiques internationales. Si les recours des compagnies aériennes extra-européennes aboutissaient, nous nous trouverions dans une situation extrêmement dommageable où seules les compagnies aériennes européennes supporteraient le coût de la lutte contre les émissions de CO2.

Le commissaire européen a annoncé, pour l’automne 2011, une révision des règles d’attribution des créneaux horaires sur la base d’une étude lancée en 2010.

Un créneau horaire est une plage de temps dont l’usage est alloué et réservée à une compagnie aérienne déterminée pour décoller et atterrir dans les aéroports congestionnés. La règle du « créneau utilisé ou perdu » prévoit qu’une compagnie aérienne a le droit de conserver les créneaux horaires d’une saison à l’autre à condition qu’ils aient été utilisés à hauteur de 80 %. La réforme envisagée contraindrait les compagnies aériennes à utiliser 90 % de leurs créneaux horaires, contre 80 % actuellement, et introduirait un élément de souplesse en permettant aux compagnies aériennes qui ne les utilisent pas de louer ou de vendre leurs « slots ». Cette question ne concerne que les grands aéroports. La réforme envisagée est de nature à favoriser la venue de nouveaux concurrents mais pose des questions importantes.

Nous pouvons nous demander s’il est légitime qu’une compagnie aérienne cède, moyennant finance, un droit d’usage qui lui est octroyé gratuitement par l’Etat. Aussi nous semble-t-il légitime que l’Etat récupère une partie significative du prix de cession du slot. Il serait utile de demander à la Commission européenne, qui est en train d’élaborer ce texte, de prévoir explicitement cette possibilité. Il nous parait également légitime d’ouvrir plus largement les comités qui décident de l’attribution des créneaux horaires en particulier aux aéroports.

L’apport essentiel de la proposition de directive serait sans doute l’introduction de plus de transparence dans un système relativement opaque. Cette transparence permettrait une meilleure fluidité du trafic car elle interdirait la pratique de certaines compagnies qui remettent à disposition des créneaux horaires au dernier moment afin qu’ils ne soient pas utilisés par la concurrence.

Je tiens à souligner l’attention portée par les services de la Commission européenne à ses remarques et l’intérêt qu’il y a à nouer un dialogue avec la Commission dès le stade de l’élaboration des textes.

Cela lui a permis de lancer des pistes de réflexions nouvelles telles que l’attribution de « slots » non à des compagnies aériennes mais à des régions, qui pourraient les utiliser à des fins d’aménagement du territoire.

Dans une communication de 2005, la Commission européenne a exposé les lignes directrices qui président à ses décisions. Globalement, la Commission européenne se montre assez compréhensive au sujet des impératifs d’aménagement du territoire, mais en respectant un ensemble de règles, parmi lesquelles :

– les aides ne peuvent être versées pour des routes qu’au départ d’aéroports régionaux. Exceptionnellement, des aéroports nationaux peuvent en bénéficier s’ils doivent faire face à une forte récession de leur activité habituelle ;

– les aides versées aux compagnies aériennes ne peuvent s’appliquer qu’à l’ouverture de nouvelles routes ou de nouvelles fréquences, provoquant un accroissement du volume net de passagers au départ de l’aéroport en question ;

– les aides ne doivent pas être versées à une compagnie aérienne pour une nouvelle ligne, qu’elle viendrait à exploiter en substitution et suite à l’abandon d’une ancienne ligne, qui aurait déjà bénéficié des aides au démarrage pendant une période complète ;

– les aides ne peuvent pas non plus être accordées pour une ligne que la compagnie aérienne viendrait à assurer en remplacement d’une autre ligne, qu’elle desservait auparavant à partir d’un autre aéroport situé dans la même zone d’attraction économique ou de population, et pour laquelle elle a également reçu des aides ;

– enfin, les aides ne doivent pas non plus être destinées à aider un nouvel entrant à ouvrir des liaisons déjà ouvertes et à se lancer dans une concurrence frontale avec un opérateur existant, qui exploite déjà cette route au départ de l’aéroport ou d’un autre aéroport situé dans la même zone d’attraction économique ou de population.

Les décisions de la Commission ne s’opposent pas aux accords entre aéroports régionaux et compagnies à bas prix. Bien au contraire, la Commission souhaite encourager toutes les initiatives qui permettent une meilleure utilisation des infrastructures aéroportuaires sous-utilisées et se félicite de toute formule permettant de mettre fin aux problèmes de congestion du transport aérien. A cet égard, les aéroports secondaires sont extrêmement bien placés pour jouer un rôle déterminant. Ils sont en outre un facteur de développement économique régional très important.

Toutefois, la Commission européenne a une vision très partielle des aides aux compagnies aériennes, car elle n’intègre pas le fait qu’en domiciliant les contrats de travail des personnels navigants dans des pays où le coût des charges sociales est moindre, certaines compagnies pratiquent ce qu’il est possible d’appeler un « dumping social ». La lutte pour le respect d’une concurrence parfaite peut-elle s’affranchir d’une réflexion sur l’égalité des charges fiscales et sociales dans des activités par nature internationales ?

Le départ, l’an dernier, de Ryanair de la base de Marseille illustre la nécessité soulignée par mon rapport de décembre 2010 de clarifier et sécuriser juridiquement les aides des aéroports régionaux aux compagnies low cost. Il semble important que la Commission européenne intervienne rapidement pour faire respecter des règles d’équité entre les compagnies aériennes en interdisant clairement la domiciliation de contrats de travail situés hors du lieu d’exercice de l’activité du salarié car nous pouvons considérer qu’il y a la une véritable fraude aux cotisations sociales. Il est également indispensable que les plaintes formulées auprès de la Commission européenne soient réellement instruites. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne.

En conclusion, je pense nécessaire de poursuivre le travail qui a été engagé par la présentation d’un rapport plus approfondi, à la fin de l’automne, sur les trois points évoqués par cette communication, lui permettant également de poursuivre le dialogue engagé avec les services de la Commission européenne.

M. Jacques Myard. Sur la question des distorsions de concurrence en raison des droits d’émission de CO2, il faut effectivement saisir l’OACI de manière à progresser vers l’équilibre de nos intérêts commerciaux. Il faut être vigilant car les Américains souhaitent toujours vendre leurs avions Boeing à la place des Airbus.

En ce qui concerne les créneaux horaire, l’hypothèse de la vente de créneaux horaire conduit à créer une propriété incorporelle. Ce type de question ne relève clairement pas du niveau de l’Union européenne mais des Etats membres. La question des droits de propriété est bien de leur seul niveau. C’est d’ailleurs l’argument retenu en 1981 pour faire les nationalisations en France. En ce qui concerne leur attribution aux régions , je pense que ce n’est pas à faire car il y a un risque évident de balkanisation. C’est l’Etat et la DGAC qui doivent mettre en demeure les entreprises lorsqu’elles n’utilisent pas les créneaux qu’elles ont demandés.

Mme Odile Saugues. Sur les droits d’émission de CO2, l’intervention de l’OACI est indispensable. Elle doit d’ailleurs améliorer ses propositions. Comme dans le domaine de la sécurité, c’est d’ailleurs l’Europe qui est en avance et propose des règles de meilleur niveau.

Sur la marchandisation des créneaux horaires, j’y suis également opposée car c’est un droit d’usage et il ne me paraît pas normal qu’une entreprise puisse vendre un droit qui appartient à l’Etat. Il n’y a pas de risque de balkanisation mais au contraire des perspectives intéressantes d’aménagement du territoire, car trop souvent, dans les régions, on constate que les grandes compagnies bloquent les créneaux horaire pour éviter l’apparition de concurrents.

La séance est levée à 17 h 45

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 6 juillet 2011 à 16 heures

Présents. – Mme Monique Boulestin, M. Patrice Calméjane, M. Christophe Caresche, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Claude Fruteau, M. Hervé Gaymard, Mme Pascale Gruny, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Michel Piron, M. Didier Quentin, Mme Odile Saugues, M. Philippe Tourtelier, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Armand Martin, M. André Schneider