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Réunion conjointe avec la Commission des affaires européennes de la chambre des députés de Roumanie

Commission des affaires européennes

mardi 31 janvier 2012

16 h 15

Compte rendu n° 237

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, et de M. Nicusor Păduraru, Vice-président de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés de Roumanie

I. Réunion conjointe avec la Commission des affaires européennes de la chambre des députés de Roumanie

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 31 janvier 2012

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale,
et de M. Nicuşor Păduraru,
Vice-président de la commission des affaires européennes
de la Chambre des députés de Roumanie.

La séance est ouverte à 16 h 20

Réunion conjointe avec la Commission des affaires européennes de la chambre des députés de Roumanie

Le Président Pierre Lequiller. Nous sommes particulièrement heureux d’accueillir nos homologues de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés de Roumanie. On sait combien les liens sont forts entre nos deux pays. La Roumanie est le pays le plus francophile et le plus francophone d’Europe orientale.

Lors de la mission que j’ai effectuée à Bucarest il y a quelques mois, j’avais suggéré cette réunion au président de votre commission, Viorel Hrebenciuc. Celui-ci, retenu à Bucarest par l’actualité politique, a malheureusement dû annuler sa venue, ce que nous comprenons parfaitement.

Je m’étais rendu dans votre pays pour débattre avec le gouvernement et les parlementaires de différents sujets, au premier rang desquels l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen. Depuis lors, nous avons avancé. Les positions de la France et de la Roumanie sont désormais très proches et la coopération bilatérale est excellente. La France a été à l’origine d’une proposition de compromis – l’ouverture, dans un premier temps, des frontières aériennes – qui n’a pas encore abouti en raison, notamment, de l’opposition des Pays-Bas. Nous y reviendrons dans notre discussion.

Nous serons également heureux de vous entendre exposer les progrès effectués en Roumanie dans le domaine de la justice et de la lutte contre la corruption, et en matière d’insertion des populations roms et d’utilisation des fonds structurels.

Hier, à Bruxelles, vingt-cinq pays membres de l’Union, dont la Roumanie, ont adopté un nouveau traité – la République tchèque nous a quittés en chemin. Il sera pour nous intéressant de recueillir votre opinion à ce sujet, et de connaître aussi la position de la Roumanie sur le projet de taxation des transactions financières que soutient la France.

Notre commission a récemment pris position sur la réforme des règles prudentielles applicables aux banques dans le cadre des accords de Bâle III. Nous souhaiterions, là aussi, connaître votre point de vue.

Concernant la réforme de la politique agricole commune, la PAC, nos deux pays ont des intérêts communs. Nous avons auditionné il y a quelques mois votre compatriote M. Dacian Cioloş, commissaire européen à l’agriculture, qui accomplit un travail très important.

Quelle est, enfin, la position de la Roumanie en ce qui concerne la réforme de la politique régionale ?

MNicuşor Păduraru, Vice-président de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés de Roumanie. Notre délégation est composée de M. Mircea Grosaru, de M. Tudor Chiuariu, ancien ministre de la justice, de M. Angel Tîlvăr, secrétaire de la commission, et de moi-même, qui en assure la vice-présidence. Notre président, M. Viorel Hrebenciuc, vous prie de bien vouloir excuser son absence.

Il nous faut remercier la France pour ses positions au sujet de l’entrée de la Roumanie dans l’espace Schengen. Nous avons réussi à aplanir toutes les difficultés et nous avons désormais un point de vue commun.

Nous souhaiterions appeler votre attention sur la question de la fiscalité européenne. La Roumanie, qui s’est associée hier au nouveau traité, estime que l’éventuelle taxation des transactions financières doit encore être discutée et évaluée, car il existe un risque de retrait des capitaux et baisse de l’investissement. On ne peut prendre une décision qu’après une analyse précise des effets d’une telle mesure.

De plus, qu’en serait-il pour des pays qui, comme la Roumanie, ne sont pas dans la zone euro mais ont un plan d’action pour intégrer la monnaie commune ? Nous avons besoin de connaître précisément la situation.

Sur le plan politique, la Roumanie connaîtra comme la France des élections législatives en 2012. Notre pays n’est pas de ceux qui créent des difficultés à l’Union européenne. Nous menons depuis deux ans des réformes pour lutter contre la crise que nous subissons nous aussi. Je le dis alors que je suis membre de la majorité : ces réformes sont très dures pour nous et politiquement difficiles. Comme la France et l’Allemagne, nous pensons néanmoins que situation justifie des mesures de grande ampleur et nous espérons que celles-ci porteront leurs fruits pour que l’Europe continue sa marche.

Nos deux pays sont donc très proches. La ville de Iaşi, dont je suis l’élu, abrite un centre culturel français. Lorsque j’étais préfet de ce département, j’avais tout fait pour maintenir cette présence française à l’est de l’Europe.

M. Michel Lefait. Le ministre roumain de la justice, M. Cătălin Predoiu, a récemment souligné les efforts de son pays pour réformer son système judiciaire dans le cadre du mécanisme de coopération et de vérification (MCV) mis en place il y a cinq ans. La Commission européenne a d’ailleurs félicité la Roumanie, dans son dernier rapport, pour les progrès accomplis. Selon vous, le temps est-il venu de mettre fin au MCV ? Que pensez-vous de la position de la France à ce sujet et au sujet de l’espace Schengen ?

MNicuşor Păduraru. Ce sont deux sujets bien distincts. Nous avons déjà évoqué l’espace Schengen. S’agissant du système judiciaire, la Roumanie a en effet accompli de grands progrès ces dernières années. On ne peut nier qu’il existe de la corruption, mais sans doute au même niveau que dans bien d’autres pays et le gouvernement roumain met tout en œuvre pour lutter contre ces phénomènes. M. Tudor Chiuariu, qui a exercé les fonctions de ministre de la justice, pourra vous apporter plus de détails.

M. Tudor Chiuariu. Bien qu’appartenant à l’un des partis d’opposition, le Parti national libéral, je tiens à souligner qu’un large consensus politique existe en Roumanie tant en ce qui concerne l’entrée dans l’espace Schengen qu’en ce qui concerne le MCV. Au Parlement, l’opposition a voté les textes importants chaque fois que son appui était nécessaire.

Cinq ans après la création du MCV, nous estimons que nous avons accompli des progrès irréversibles. Le système judiciaire roumain fonctionne comme celui de tout Etat de droit. Les institutions sont efficaces, comme l’atteste la condamnation, hier, d’un ancien Premier ministre par la Haute cour de cassation et de justice. La justice est maintenant indépendante en Roumanie, elle n’a plus d’inhibitions vis-à-vis des personnalités politiques.

Sur le plan législatif, quatre codes ont été réformés. Le nouveau code civil est d’ores et déjà en vigueur. Le nouveau code de procédure civile le sera en juin 2012, le nouveau code pénal et le nouveau code de procédure pénale en 2013.

Il n’y a donc plus de raison, selon nous, pour maintenir le mécanisme de coopération et de vérification.

Cela dit, certaines voix s’élèvent en Europe pour que le « test » que constituait le MCV soit appliqué aux autres Etats membres, se transformant en un mécanisme d’évaluation du mode de fonctionnement de la justice dans chaque pays. C’est une solution envisageable, et nous pourrions y contribuer à la lumière de notre expérience. En effet, le mécanisme n’est pas parfait : nous avons dû nous conformer aux quatre objectifs correspondant aux quatre grands critères du MCV, peut-être au détriment d’une vision d’ensemble. Toujours est-il que le MCV a atteint son but : les nouvelles institutions que nous avons mises en place ont démontré leur efficacité, le Gouvernement et le Parlement ont été contraints d’agir pour réformer la justice.

La Roumanie a exprimé officiellement son opposition à l’établissement d’un lien, souhaité par certains, entre le MCV et l’entrée du pays dans l’espace Schengen. Si l’on s’engageait dans cette voie, on pourrait aussi conditionner l’entrée dans l’espace Schengen à la politique agricole suivie par la Roumanie, par exemple, ou à n’importe quelle autre de ses politiques.

Bref, ce sont deux sujets différents que l’on doit traiter de manière différente. La Commission européenne a souligné au printemps 2011 que la Roumanie respecte, d’un point de vue technique, tous les critères d’entrée dans l’espace Schengen. Comme l’a indiqué récemment la France, on ne doit pas faire payer à la Roumanie l’euroscepticisme qu’engendrent certaines déficiences de l’espace Schengen.

M. Angel Tîlvăr. Nous sommes très honorés par l’invitation de votre commission. Nous avons déjà eu le plaisir de rencontrer le président Lequiller l’année dernière à Varsovie et, lorsque la Roumanie s’est trouvée quelque peu critiquée, il a été le premier à prendre notre défense. Nous en avons fait part à nos collègues, et le président Hrebenciuc l’en remercie.

À côté des aspects techniques et institutionnels, je souhaite évoquer la question de la perception politique de la corruption et du MCV. Dans notre jeune démocratie, la justice et la corruption ont toujours fait l’objet de débats et de polémiques, parfois jusqu’à l’excès. Certains thèmes ont pris un trop grand poids tant dans le débat intérieur que dans la perception extérieure. Je doute que le niveau de corruption en Roumanie soit aussi élevé qu’on le dit. Le MCV nous a aidés à mieux nous mobiliser, à débattre de certaines questions, et c’est une bonne chose. Mais aujourd'hui, après les évaluations extérieures qui ont été menées, il n’y a plus de raison de penser que le MCV soit encore nécessaire.

Nous envisageons donc avec optimisme sa clôture, tout comme nous envisageons avec optimisme notre entrée dans l’espace Schengen. Les deux sujets doivent être disjoints. Il existe sur ces sujets un consensus assez rare en Roumanie.

M. Pierre Forgues. Dans le cadre d’échanges entre le lycée de Tarbes et un établissement roumain, il m’est arrivé d’héberger des enseignants de votre pays. À cette occasion, j’avais essayé – sans succès notable – de m’initier au roumain. Mais les Roumains parfaitement francophones sont nombreux !

Ma première question portera sur la minorité rom, dont on peut se demander si elle n’est pas victime de discrimination sociale en Roumanie. En effet, les Roms qui arrivent en France, notamment en région parisienne, vivent dans une grande misère. Pourquoi quittent-ils leur pays pour s’installer chez nous dans des conditions inhumaines ? La Roumanie consent-elle les efforts nécessaires pour intégrer ces populations et leur permettre, si elles le souhaitent, de se rendre dans d’autres pays dans des conditions normales ?

S’agissant de la taxation des transactions financières, vous vous montrez très réservés. Pourquoi ?

La Roumanie, qui ne fait pas partie de la zone euro mais qui, on peut l’espérer, la rejoindra un jour, est-elle favorable à l’établissement d’une fiscalité des entreprises commune à l’ensemble de cette zone ?

M. Jean Gaubert. La Roumanie est aussi concernée que la France par la politique agricole commune. C’est d’ailleurs une chance que le commissaire européen à l’agriculture soit roumain, et nous sommes en accord avec lui sur de nombreux sujets.

Comment envisagez-vous l’évolution de la PAC après 2013 ? À quel rythme la convergence devrait-elle s’effectuer ? Que pensez-vous de la fin des droits « historiques », qui n’a évidemment pas la même portée chez vous qu’en France ? Quel est votre point de vue sur les objectifs de production et d’aménagement du territoire ? Il existe parfois des incompréhensions sur le niveau d’organisation des marchés. Alors que le libéralisme se refuse à toucher à leurs sacro-saintes lois, on sait qu’ils amplifient souvent les crises dans ce secteur où la production a un caractère imprévisible. Permettez-moi enfin de rappeler un objectif qui nous tient à cœur : l’agriculture doit permettre de nourrir les hommes qui y travaillent, ce qui n’est plus tout à fait le cas dans plusieurs de nos régions.

Mme Pascale Gruny. Au sein du Parlement européen, j’ai eu l’occasion de travailler avec de nombreux collègues roumains, notamment M. Victor Boştinaru, Mme Elena Băsescu et M. Marian-Jean Marinescu. J’ai étudié la question des Roms avec une collègue du Parti populaire européen qui est issue de cette communauté. Il est très difficile d’intégrer ces personnes non sédentaires, de les insérer dans le monde de l’emploi, de dispenser une éducation à leurs enfants. Où en est la coopération entre la Roumanie et la France à ce sujet ? Quelle politique mène la Roumanie pour insérer ces populations ? Comment utilise-t-elle le Fonds social européen à cet effet ?

Je souhaite également connaître vos attentes en matière de politique agricole commune après 2013.

M. Patrice Calméjane. Le département de Seine-Saint-Denis, dont je suis l’élu, est directement confronté au problème des Roms. Pas moins de 81 camps y sont recensés sur un territoire de moins de 200 km2, ce qui représente plusieurs milliers de personnes. Le seul nettoyage après leur départ représente un coût de plus de 1,5 million d’euros pour le département. Les problèmes sont nombreux : santé – en particulier celle des enfants –, sécurité, affaires de prostitution, vol de matériaux, etc. Les Français voient arriver chez eux cette nombreuse population et l’image qu’ils ont de la Roumanie en souffre beaucoup.

Où en êtes-vous de la consommation des crédits que l’Union européenne vous verse pour l’intégration de ces personnes dans votre pays ? Les parlementaires français ne savent pas toujours comment répondre aux questions que leurs concitoyens leur posent à ce sujet.

M. Jean-Yves Cousin. En tant que vice-président du groupe d’amitié France-Roumanie, j’adresse un salut fraternel à nos collègues roumains. La ville de Vire, dont je suis le maire, est jumelée à Săcele, à côté de Braşov, et je peux témoigner de la vigueur de nos échanges, notamment entre les lycées et en matière culturelle. Depuis dix ans, on assiste à un formidable mouvement d’amitié entre les jeunes de nos deux villes.

La crise n’a pas épargné la Roumanie. Votre pays a pris des mesures drastiques de réduction de la dépense publique pour revenir à l’équilibre, allant jusqu’à réduire les salaires dans la fonction publique. Pourriez-vous nous exposer les grandes lignes de cet effort ? Quelles ont été les modalités de concertation ? Quels sont les premiers résultats constatés ?

Comme mes collègues, j’aimerais en savoir plus sur votre position concernant la taxe sur les transactions financières. Si l’on parvient à un accord, pensez-vous que la ressource doive être affectée au budget de l’Union européenne ?

Enfin, quelle est votre position de principe au sujet d’une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union ?

M. Robert Lecou. Je m’associe aux questions relatives à la politique agricole commune, et j’ajoute que les Français ont une bonne image du commissaire européen à l’agriculture.

Il apparaît que la démographie de la Roumanie est négative. Comment expliquer ce phénomène et comment y remédier ?

En matière énergétique, le mix de la Roumanie paraît équilibré, avec une capacité de production autonome importante. Qu’en est-il, après la catastrophe de Fukushima, des projets de développement de l’énergie nucléaire, notamment avec le groupe français Areva ?

Le Président Pierre Lequiller. Nous pourrions commencer par évoquer l’intégration des Roms, sur laquelle portent de nombreuses questions.

MNicuşor Păduraru. C’est un sujet très important. Les ministères de l’intérieur roumain et français travaillent ensemble sur le problème, ainsi que les ambassades.

Le Pprésident Pierre Lequiller. La coopération bilatérale est excellente.

MNicuşor Păduraru. En effet.

S’il est exact que le problème des Roms ne donne pas la vraie image de la Roumanie, il se pose néanmoins à nous et nous cherchons à y apporter des solutions. Mais il faut y insister, il ne s’agit pas seulement d’un problème roumain : c’est un problème européen. Nous tentons d’y répondre avec tous les pays qui y sont confrontés.

M. Mircea Grosaru. Au sein de notre Chambre des députés, un groupe spécifique rassemble dix-huit députés représentant les minorités nationales, parmi lesquels des élus de la minorité rom. Dès 1990, le Gouvernement a accordé une attention spéciale à toutes les minorités ethniques. Un dispositif de discrimination positive a notamment été mis en place.

En 2007, date de notre adhésion à l’Union européenne, nos nouvelles responsabilités à l’égard des pays membres nous ont conduits à modifier notre approche.

Etant moi-même le représentant de la minorité italienne de Roumanie, je peux affirmer que la situation en Italie est plus grave encore qu’en France : il y a actuellement dans ce pays 1,2 million de Roumains, dont au moins un quart de Roms. Récemment, la télévision roumaine a montré des avions atterrissant vides à Bucarest alors qu’ils devaient rapatrier de Paris des citoyens roms : ils avaient fait escale à Timişoara, où la plupart de leurs passagers étaient descendus, déclarant qu’ils s’apprêtaient à prendre le premier avion pour retourner en France.

Si l’on ne peut exonérer la Roumanie en soutenant que le problème relève intégralement de l’Europe, il n’est pas exact non plus dire que tous les Roms sont des Roumains et que la Roumanie doit résoudre seule le problème. Nous essayons de trouver une synthèse entre ces deux approches. La voie choisie depuis 2007 tant par la Roumanie qu’au niveau européen est celle de l’intégration, même si nous savons bien que cette minorité est très difficilement intégrable. Ces citoyens dépourvus de papiers d’identité et parfois même d’état civil ne se soumettent à aucune règle ; il est donc compliqué de les contrôler et de les éduquer.

Nous remercions la France d’avoir pris en considération ces problèmes et d’avoir fait preuve d’une grande compréhension à l’égard de la Roumanie. Il nous faudra de la patience. Pas plus qu’à la crise économique et financière, on en peut apporter de solution instantanée à ces questions.

MNicuşor Păduraru. Il faut insister sur l’importance de la coopération institutionnelle.

Le Président Pierre Lequiller. J’ai constaté, lors de ma visite en Roumanie, que les fonds structurels, et notamment ceux qui sont destinés à l’insertion des Roms dans la société roumaine, sont très peu utilisés. Une amélioration est-elle envisageable ?

M. Nicosor Paduraru. Le problème est clairement identifié, si bien que M. Leonard Orban, ancien commissaire européen, a été nommé ministre chargé de la gestion des fonds européens. Il lui revient de mettre au point l’organisation administrative qui permettra une plus grande absorption de ces fonds. Le nombre de projets définis a déjà triplé ; nous espérons qu’ils auront des résultats fructueux, comme ceux qu’aura permis le Fonds social européen.

Je vous ai entendu dire, monsieur le président, que nous serions « réservés » à l’idée de taxer les transactions financières. Plus exactement, nous considérons qu’une telle décision appelle la plus grande circonspection. Les analyses auxquelles nous avons procédé montrant que cette mesure pourrait affecter les investissements en Roumanie, il faut avancer dans cette voie avec une extrême prudence.

Je sais que la France approuve les orientations de M. Dacian Cioloş, commissaire européen chargé de l’agriculture, qui travaille dans l’intérêt général de l’Union. La Roumanie, jeune démocratie, n’est pas encore parvenue à régler de manière satisfaisante la question de la restitution des propriétés. Il en résulte qu’elle dépend, pour sa consommation alimentaire, des importations de produits agricoles, alors même qu’elle pourrait produire ce qui est nécessaire à ses besoins.

M. Mircea Grosaru. De fait, l’application de la législation relative à la restitution se heurte à de multiples difficultés, au point que la Cour européenne des droits de l’homme a émis une décision-pilote à l’encontre de la Roumanie, lui donnant dix-huit mois pour revoir sa législation à ce sujet. En raison de ces problèmes persistants, la Roumanie ne dispose pas des grandes surfaces cultivables d’un seul tenant nécessaires à une agriculture efficace. Nous espérons régler cette question dans les meilleurs délais, mais nous savons que tout, en matière agricole, ne trouvera pas une solution immédiate pour autant.

M. Angel Tîlvăr. Chacun conviendra qu’il existe un lien étroit entre la situation économique d’un pays et sa démographie, mais la question dépasse la seule Roumanie. C’est d’ailleurs ce qui a poussé la commission des affaires européennes du Parlement roumain, convaincue qu’il fallait trouver une solution politique à cette grave question, à créer une sous-commission « démographie ». La législation roumaine relative à la politique familiale a été enrichie ; elle prévoit maintenant des aides aux jeunes parents qui peuvent prendre diverses formes : attribution d’un trousseau au nouveau-né ou aide à l’acquisition d’un logement. Plus largement, nous avons entrepris, avec l’aide d’un institut spécialisé, des recherches sur l’évolution de la qualité de la vie en Roumanie et dans les pays qui lui sont comparables. C’est que la question démographique doit être replacée dans le contexte européen. Il ne peut y avoir de solution à court terme : que la situation économique du continent s’améliore et la tendance démographique s’inversera naturellement.

Je reviens un instant sur l’utilisation par la Roumanie des fonds européens destinés à l’insertion des Roms. Nous avons installé une Agence nationale pour les Roms placée sous l’autorité directe du Premier ministre, ce qui témoigne de l’importance que nous attachons à cette question et de notre volonté de faire bouger les choses. Si vous avez des suggestions à nous faire qui nous permettraient de formuler de meilleures politiques publiques, nous les écouterons attentivement.

Mme Marietta Karamanli. Mon collègue Guy Geoffroy et moi-même nous penchons actuellement sur la proposition de directive relative à l’accès à l’avocat. Dans ce cadre, nous avons rencontré Mme Elena Antonescu, la rapporteure du texte au Parlement européen. Nous envisageons comme une évolution naturelle des droits et de la protection des libertés individuelles le fait de permettre l’accès à l’avocat de toute personne suspectée d’un délit. Le texte a suscité des réserves de la France, où, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, la réforme de la garde à vue vient d’être adoptée selon une procédure accélérée, et où l’adoption du projet de directive bousculerait des habitudes anciennes. Nous aimerions connaître votre point de vue sur ce texte, et sur le fait que la Commission européenne disjoint l’accès précoce à l’avocat de la question de l’aide juridictionnelle, dont elle se propose de traiter plus tard.

Le Président Pierre Lequiller. Hier, à Bruxelles, les chefs d’État et de gouvernement de 25 pays membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur le principe d’un traité prévoyant l’adoption par les États concernés d’une « règle d’or » budgétaire visant à limiter les déficits publics. Comment ce texte sera-t-il transcrit en droit interne en Roumanie ?

M. Mircea Grosaru. Actuellement, la Roumanie en est encore à faire entrer en vigueur quatre textes fondamentaux : un nouveau code civil, un nouveau code pénal et les codes de procédure y afférant. Ces réformes constituent une mutation majeure du système judiciaire roumain. Il va sans dire que nous suivons attentivement l’évolution de la législation européenne pour y adapter notre droit. Mais, comme vous l’aurez compris, nous avons encore beaucoup à faire ; c’est pourquoi nous demandons à la France de continuer à manifester à notre égard la compréhension dont elle a fait preuve jusqu’à présent. J’ajoute que notre nouveau code civil et notre nouveau code de procédure civile ont trouvé leur inspiration dans la législation québécoise et aussi, pour partie, dans la législation française.

M. Tudor Chiuariu. Ministre de la justice de la Roumanie à l’époque, je puis rappeler que notre pays avait soutenu la proposition de décision cadre relative à certains droits procéduraux reconnus dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne. C’était, en 2007, l’une des priorités de la présidence allemande, mais la proposition n’avait pas abouti en raison de l’opposition de l’Irlande et de la Grande-Bretagne. La Roumanie soutient la proposition de directive évoquée par Mme Karamanli, qui est un avatar de la proposition de décision cadre. De nombreux Roumains vivent hors de nos frontières, et nous sommes très attachés à l’idée qu’ils puissent, comme tous les autres citoyens européens vivant à l’étranger, voir leurs droits garantis au cours d’une procédure pénale, dont celui d’avoir connaissance de leurs droits dans leur propre langue. Le nouveau code de procédure pénale roumain qui entrera probablement en vigueur le 1er janvier 2013 étend le droit des accusés à l’accès à un avocat et précise leurs liens. L’adoption de la proposition de directive ne modifierait donc pas la législation roumaine.

Que l’accord intergouvernemental soit ratifié par le Parlement suffirait à faire appliquer la « règle d’or » en Roumanie sans qu’il soit besoin de réviser la Constitution.

Mme Marietta Karamanli. Je salue les efforts conduits par la Roumanie pour réformer son système judiciaire mais j’appelle votre attention sur le fait que la proposition de directive sur l’accès à l’avocat va plus loin que ce que vous avez évoqué, le texte posant le principe que toute personne peut avoir accès à un avocat en cas de simple soupçon, avant même le début de tout interrogatoire. Mais s’il est évidemment légitime de faire progresser les libertés individuelles au sein de l’Union européenne, il est essentiel de traiter en même temps des questions financières sous-jacentes au bon exercice de la justice, de manière que tout citoyen européen soupçonné d’un délit puisse se défendre correctement et non pas, seulement, ceux qui ont les moyens de rémunérer un avocat.

M. Tudor Chiuariu. Je puis seulement vous dire à ce sujet que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé efficace le système d’aide juridictionnelle en vigueur en Roumanie depuis 2008. Nous soutiendrons sans réserve la proposition de directive.

M. Pierre Forgues. La participation aux dernières élections européennes a été faible dans votre pays. Pourriez-vous nous dire quelle appréciation le peuple roumain porte sur l’Union européenne ?

Le Président Pierre Lequiller. La Roumanie souhaite-t-elle rejoindre la zone euro ? Si c’est le cas, à quelle échéance ?

M. Tudor Chiuariu. Le sentiment pro-européen est très fort en Roumanie. Les Roumains ont confiance dans les institutions européennes et ils croient aux bienfaits de l’intégration de leur pays au sein de l’Union, tous les sondages en attestent. Mais, comme vous l’avez justement souligné, cet enthousiasme ne s’est malheureusement pas traduit par une forte participation aux dernières élections européennes.

Avant le déclenchement de la crise économique, la Roumanie avait pour objectif de rejoindre la zone euro en 2014 ou 2015. La Banque nationale estime à présent cette échéance irréaliste, mais le principe demeure. Des élections auront lieu cette année, et le nouveau gouvernement réévaluera probablement le délai dans lequel l’adhésion à l’euro pourra se faire.

La Roumanie soutient les nouvelles règles de disciplines budgétaire et financière dont l’Union européenne entend se doter ; elle souhaite participer aux décisions à ce sujet et favoriser l’instauration de règles strictes destinées à assainir l’économie européenne.

M. Nicosor Paduraru. Comme vous le savez, l’entrée de la Roumanie à l’espace Schengen est empêchée par le refus des Pays-Bas. Quelle est l’opinion de la France à cet égard ?

Le Président Pierre Lequiller. Nous souhaitons ardemment l’entrée de votre pays dans l’espace Schengen. Parce que cette décision requiert un vote unanime, nous devrons convaincre les Pays-Bas du bien-fondé de cette évolution. Pour l’heure, le Gouvernement néerlandais est soumis à une forte pression politique de la droite radicale.

M. Mircea Grosaru. Quelles solutions envisagez-vous à la crise économique que traverse l’Europe ?

Le Président Pierre Lequiller. La réponse à cette question n’est pas la même selon qu’elle émane d’un représentant de la majorité – dont je suis – ou d’un représentant de l’opposition. Aussi, après vous avoir donné mon sentiment, je laisserai la parole à un collègue socialiste.

Pour l’UMP, le parti majoritaire en France, il convient en premier lieu d’instaurer une discipline budgétaire rigoureuse et de réduire la dette et le déficit. Depuis 1975, la France n’a jamais réussi à présenter un budget à l’équilibre. Pendant longtemps, cela semblait ne pas poser problème et, il y a quatre ans encore, l’Allemagne et la Grèce, protégées par l’euro, empruntaient au même taux. Mais ce qui vaut pour un ménage, une entreprise, une collectivité locale, vaut aussi pour un État. Nous avons vécu longtemps dans l’insouciance, en pensant qu’un État ne pourrait jamais être victime de la réaction de ses prêteurs : c’est faux ! Pour réduire l’endettement de la France, le Gouvernement et la majorité du Parlement français ont défini deux plans d’action successifs, avec succès puisque le déficit public pour 2011 s’établira à moins de 5,7 % du produit intérieur brut, l’objectif que nous avions fixé. Nos efforts sont donc récompensés.

Mais cela ne suffit pas. Nous sommes convaincus qu’il faut tout faire pour l’emploi, lequel dépend de la compétitivité de nos entreprises. Le déficit commercial de la France, notamment avec ses partenaires européens, est très important. Cela tient au coût du travail dans notre pays, et singulièrement au fait que les charges sociales pèsent trop lourdement sur les entreprises. C’est pourquoi le Président de la République vient d’annoncer son intention de proposer au Parlement d’augmenter la T.V.A. de 1,6 %, ce qui permettra de réduire les charges patronales qui pèsent sur les salaires.

Le sujet mériterait un débat en soi, mais le temps nous manque. Je conclurai donc en soulignant que le Gouvernement et le Parlement français ont adopté une série de mesures destinées à améliorer la compétitivité de nos entreprises, mais que l’Allemagne s’était engagée sur cette voie il y a longtemps, alors que nous avions plutôt tendance à « charger la barque » de nos entreprises.

M. Pierre Forgues. Le point de vue de l’opposition socialiste est autre. Je ne pense pas que l’Europe soit en mesure de lutter efficacement contre la crise qu’elle traverse, d’abord parce qu’elle n’a pas de véritable banque centrale, ensuite parce que les pays européens font leur une conception économique qui ne correspond pas aux besoins des peuples.

Il existe bien un problème de compétitivité, comme l’a dit le président Lequiller, mais on ne pourra le résoudre, face à la Chine, à l’Inde et aux pays émergents, en réduisant les charges et les salaires. Au sein de l’Union européenne, la France ne parviendra pas davantage à ses fins en réduisant les charges sociales des entreprises. Il règne en effet actuellement au sien de l’Union européenne une compétition inégale et injuste entre ses pays membres. Je n’ai rien contre le fait que Renault ouvre des chaînes de fabrication de Dacia en Roumanie si son objectif est de vendre ses véhicules sur place, ce qui donnera des emplois aux ouvriers roumains. Le problème, c’est que Renault fabrique en Roumanie des voitures qui seront vendues en France. En procédant de la sorte, Renault supprime des emplois dans notre pays. On le sait, les salaires ne sont pas les mêmes en Roumanie et en France, et il ne s’agit pas de contraindre les ouvriers français à être rémunérés au même niveau que les ouvriers roumains.

Le problème tient à l’absence de volonté de créer les conditions d’une concurrence juste. On ne peut prétendre construire une Europe politique et économique digne de ce nom si la fiscalité des entreprises n’est pas la même dans tous les pays membres. Or une excellente et ancienne directive dit que l’assiette de l’impôt sur les sociétés devait être la même partout dans l’Union européenne, mais nous sommes incapables de trouver neuf pays prêts à s’accorder à ce sujet ! De ce fait, la concurrence « libre et non faussée » demeure un mythe en Europe.

De plus, le mirage du libéralisme sévit depuis vingt ou trente ans, singulièrement dans les pays d’Europe centrale et orientale sortis de l’orbite anciennement soviétique. Je ne suis pas contre le capitalisme familial mais l’on en est bien loin : on est passé à un dogme ultra-libéral, à une forme de capitalisme qui balaie tout sur son passage. Les tenants de cette idéologie considèrent que l’État serait trop puissant, qu’il y a toujours trop de fonctionnaires et trop d’entreprises dans lesquelles les participations publiques sont trop importantes. Mais, au lieu de corriger ce qui peut avoir des effets négatifs, on s’acharne à tout détruire et à favoriser l’émergence d’un capitalisme anonyme qui, étant donné la financiarisation de l’économie, dirige notre pays.

Comment l’Europe serait-elle en mesure de lutter efficacement contre la crise alors qu’elle organise la récession qui provoque le chômage et, ce faisant, appauvrit ? Oui, la priorité c’est l’emploi ; mais il est impossible d’améliorer la situation de l’emploi en imposant une politique de restriction à tous les niveaux. Ce n’est pas en appliquant les politiques actuellement suivies que l’Europe sera en mesure de résoudre la crise. Quant à l’Allemagne, elle doit veiller à ne pas assécher par une politique égoïste l’économie des pays européens dont dépend son commerce extérieur actuellement florissant.

M. Nicosor Paduraru. Pour ce qui la concerne, la Roumanie a pris une série de mesures qui donne déjà des résultats positifs. Il peut, certes, y avoir d’autres solutions, et il est vrai que le pays connaît des problèmes sociaux car la politique adoptée est difficilement acceptée par la population. Toutefois, en Roumanie, libéraux et socialistes parviennent à s’accorder.

Le Président Pierre Lequiller. Il n’en va pas exactement de même en France, ce qui est dommage…

M. Pierre Forgues. C’est que, pour nous, les contingences électorales immédiates ne doivent pas interférer avec la politique économique de long terme.

Le Président Pierre Lequiller. Chers collègues roumains et français, je vous remercie.

La séance est levée à 18 h 05

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 31 janvier 2012 à 16 h 15, fin de la réunion à 18 heures

Présents. - M. Patrice Calméjane, M. Jean-Yves Cousin, M. Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, Mme Pascale Gruny, Mme Marietta Karamanli, M. Robert Lecou, M. Michel Lefait, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, Mme Odile Saugues

Excusé. - M. Pierre Bourguignon, M. Gérard Voisin