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N° 963

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIEME LEGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juin 2008

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur les fonds souverains, révélateurs de nos propres faiblesses,

ET PRÉSENTÉ

par M. Daniel GARRIGUE,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Thierry Mariani, Pierre Moscovici, vice-présidents ; MM. Jacques Desallangre, Jean Dionis du Séjour, secrétaires ; MM. Alfred Almont, Jérôme Bignon, Emile Blessig, Mme Chantal Brunel, MM. Christophe Caresche, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Jean-Claude Fruteau, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Elisabeth Guigou, MM. Régis Juanico, Mme Marietta Karamanli, MM. Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Robert Lecou, Céleste Lett, Noël Mamère, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, Mme Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

PREMIERE PARTIE : INSCRITS DANS LA LIBERATION GENERALE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX, LES FONDS SOUVERAINS EN MODIFIENT POTENTIELLEMENT LES RAPPORTS DE FORCE 9

I. LES FONDS SOUVERAINS S’INSCRIVENT DANS LA LIBERATION GENERALE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX 9

A. Pour le moment, les fonds souverains sont loin de constituer la catégorie la plus puissante d’investisseurs internationaux 10

B. Les fonds souverains sont une catégorie d’investisseurs étatiques parmi d’autres 12

II. MAIS ILS MODIFIENT POTENTIELLEMENT LES RAPPORTS DE FORCE, POUR DEUX RAISONS : LEUR PROGRESSION RAPIDE ET L’ OPACITÉ DE LEUR GOUVERNANCE 15

A. La progression exponentielle des ressources des fonds souverains 15

B. L’opacité de leur mode de gouvernance et la question de leurs objectifs et de leurs stratégies 16

DEUXIEME PARTIE : LES DIVERSES FORMES D’INTERVENTION DES FONDS SOUVERAINS DOIVENT CONDUIRE LES ETATS EUROPEENS ET L’UNION EUROPÉENNE A DE VRAIES REMISES EN QUESTION 25

I. L’ACTION TRÈS POSITIVE DES FONDS SOUVERAINS POUR LE « RECYCLAGE DES CAPITAUX » SUPPOSE UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE 31

II. LES INVESTISSEMENTS QU’ILS RÉALISENT DANS LEURS PAYS D’ORIGINE POURRAIENT S’ACCOMPAGNER D’UNE PLUS GRANDE OUVERTURE 35

A. Dans certains Etats dotés de fonds souverains, le choix entre investissements dans le pays d’origine et investissements à l’étranger fait débat 35

B. Les pays destinataires des investissements des fonds souverains appellent les pays d’origine de ces fonds à plus d’ouverture aux investissements étrangers 36

III. LEURS INVESTISSEMENTS EXTERIEURS EXIGENT LA MISE EN PLACE D’UN « FILET DE SECURITÉ » CONCU À L’ECHELLE DE L’UNION EUROPEENNE 39

A. De nombreux Etats sont dotés de dispositifs de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs, et plusieurs de ces dispositifs ont été récemment renforcés 39

1) Trois exemples de « filets de protection » parmi les Etats non européens, et leur évolution récente 39

a) Les Etats-Unis 39

b) L’Australie 41

c) La Russie 42

2) De tels dispositifs existent également en Europe : les exemples britannique, français et allemand 43

a) Royaume-Uni : une législation formulée dans des termes peu précis, jamais appliquée mais dissuasive 43

b) France : le décret du 30 décembre 2005 44

c) Allemagne : vers un dispositif de protection allant bien au-dela du secteur de la défense ? 45

(1) Un projet de loi au contenu encore incertain 46

(2) La définition des investisseurs étrangers visés pourrait soulever des difficultés avec les autorités communautaires 48

B. La nécessité d’une réglementation commune au sein de l’Union européenne 48

1) Aujourd’hui la question de la compatibilité des « filets de protection » avec les règles européennes et internationales reste posée 48

2) Il paraît indispensable que l’Union européenne définisse un cadre commun 51

IV. LE RÔLE POTENTIEL DES FONDS SOUVERAINS COMME INVESTISSEURS DE LONG TERME EXIGE QUE L’UNION EUROPÉENNE SE DONNE ELLE-MEME LES MOYENS DE CANALISER ET D’ORIENTER DES RESSOURCES SUR CETTE CATEGORIE D’INVESTISSEMENTS 55

TRAVAUX DE LA DELEGATION 59

PROPOSITION DE RESOLUTION 63

ANNEXE : Liste des personnes entendues par le rapporteur 65

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Longtemps discrets et préférant acheter traditionnellement de l’or ou des bons du Trésor américain, les Etats disposant de forts excédents de balances des paiements ont progressivement affecté ces ressources à des fonds spécialisés que l’on a baptisés « fonds souverains » (ou « sovereign wealth funds » en anglais).

L’apparition et le développement de ces fonds suscitent de fortes interrogations en Europe, aux Etats-Unis et, plus largement, dans les différentes enceintes internationales – FMI, OCDE, G7 notamment.

On doit reconnaître, en effet, que ces fonds sont pleinement acteurs de la libération générale des mouvements de capitaux et qu’ils contribuent au recyclage de ressources financières dont on mesure aujourd’hui toute l’utilité avec la crise des « subprimes ».

Mais d’autres aspects de leur développement nous préoccupent parce qu’ils reflètent les profondes transformations de l’économie mondiale et parce qu’au-delà, ils révèlent certaines de nos faiblesses actuelles.

D’abord, la progression exponentielle des ressources de ces fonds, liée à la fois au différentiel de croissance entre grandes zones économiques et à la montée des prix de l’énergie et des matières premières. Si certains de ces fonds dépendent de la zone Europe au sens large – Norvège, Russie –, la très grande majorité d’entre eux sont situés en Asie – Moyen et Extrême Orient – et leur montée en puissance traduit en fait un véritable basculement de l’économie mondiale vers cette région.

D’autre part, la gouvernance, souvent opaque, et les finalités de ces fonds. Si ces derniers agissent plutôt aujourd’hui comme d’honnêtes investisseurs, on peut penser qu’ils auront un jour ou l’autre la tentation, au demeurant légitime, de s’intéresser à certains enjeux de nature plus sensible. En outre, l’importance des ressources dont ils disposent les placera nécessairement un jour en position d’investisseurs stratégiques sur les grands enjeux du futur : nucléaire, espace, grandes infrastructures.

Pour les pays de l’Union européenne, se posent de ce fait la question de la mise en place d’un « filet » minimum de sécurité, mais aussi celle, plus importante encore, de la capacité à terme de drainer les ressources nécessaires pour être présents durablement sur les investissements de long terme à l’échelle planétaire.

PREMIERE PARTIE :
INSCRITS DANS LA LIBERATION GENERALE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX, LES FONDS SOUVERAINS EN MODIFIENT POTENTIELLEMENT LES RAPPORTS DE FORCE

I. LES FONDS SOUVERAINS S’INSCRIVENT DANS LA LIBERATION GENERALE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX

Selon la Deutsche Bank, il existe actuellement une quarantaine de fonds souverains dans le monde (alors qu’il n’en existait que trois avant 1970), représentant au total environ 3 000 milliards de dollars(1).

Les actifs gérés par des fonds souverains sont pour le moment très concentrés : les cinq plus gros fonds souverains (Abu Dhabi, Singapour, Norvège, Koweït et Chine) détiennent près de 70 % du total. Leurs opérations d’investissement peuvent donc être de montant élevé, et leur impact sur les marchés également.

L’évolution du « paysage » des fonds souverains contribue à transformer progressivement les relations économiques internationales : cette catégorie d’acteurs, qui proviennent dans leur très grande majorité de pays émergents, permet à ceux-ci d’envisager une pénétration plus importante des économies occidentales, de développer leur savoir-faire financier, de créer des sources de revenus plus diversifiées pour leurs propres économies… Comme le relève M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, les fonds souverains « vont-ils profondément modifier les rapports de propriété dans le monde, au bénéfice des pays émergents, des économies exportatrices d’énergie, de matières premières ou de main-d’œuvre peu chère ? Vraisemblablement »(2).

Ainsi que l’a relevé la Commission européenne en réponse à une question écrite posée par un membre du Parlement européen en mars 2008, aucun Etat de l’Union européenne n’est actuellement doté d’un fonds souverain au sens le plus couramment admis du terme. Certes, il existe un fonds souverain très important dans l’Espace économique européen (EEE), mais il s’agit du fonds norvégien – l’un des plus gros fonds souverains du monde, avec plus de 300 milliards de dollars d’actifs.

Certains travaux de recherche, comme ceux de la Deutsche Bank, utilisent une définition plus large de la notion de fonds souverain, et incluent ainsi dans leur liste le fonds de pension public irlandais (créé en 2001), qui a en commun avec le fonds norvégien un très haut degré de transparence mais qui ne détient qu’environ 30 milliards de dollars d’actifs, ce qui le place parmi les plus petits « fonds souverains ».

A. Pour le moment, les fonds souverains sont loin de constituer la catégorie la plus puissante d’investisseurs internationaux

La phase actuelle que traverse la mondialisation est une phase d’accélération, marquée par l’ouverture financière de plus en plus grande des économies et l’émergence d’acteurs financiers nombreux de dimension mondiale : grandes banques, fonds spéculatifs (hedge funds), fonds de capital-investissement, fonds souverains… Comme le souligne M. Christian Noyer dans l’ouvrage précité, tous ces acteurs ont en commun de contribuer potentiellement à l’efficience et à la liquidité des marchés, et de pratiquer des stratégies d’investissement complexes.

Par comparaison avec d’autres « masses » financières, le montant total des actifs des fonds souverains apparaît relativement modeste : certes, il représente plus du double des actifs de l’ensemble des hedge funds (estimés entre 1 400 et 1 700 milliards de dollars), mais les actifs détenus par les compagnies d’assurance sont, eux, estimés entre 16 000 et 18 000 milliards de dollars et ceux détenus par les banques privées, à plus de 60 000 milliards de dollars. Quant aux fonds de pension, les estimations sur leur montant total varient mais elles sont également supérieures aux estimations concernant les fonds souverains(3).

Selon une étude de l’institut Global Insight(4), l’activité des fonds souverains a représenté 35 % du total des fusions-acquisitions dans le monde en 2007. Selon le rapport de la commission économique du Congrès américain(5), les fonds souverains ont, entre septembre 2007 et février 2008, investi au moins 62 milliards de dollars dans les banques et établissements financiers des pays de l’OCDE qui ont subi les conséquences de la crise financière liés aux prêts hypothécaires (« subprimes »). Sur l’ensemble de l’année 2007 et les premiers mois de l’année 2008, les fonds souverains ont investi de manière très active aux Etats-Unis, dans différents secteurs, pour un montant total d’environ 85 milliards de dollars.

La liste des établissements financiers privés américains dans lesquels des fonds souverains ont effectué des investissements substantiels au cours des derniers mois est longue (Blackstone, Apollo, Carlyle, les banques Citigroup, Merrill Lynch, Bear Stearns, la société boursière Nasdaq, plusieurs hedge funds comme J.C.Flowers&Co ou Och-Ziff Capital…). Les entreprises américaines sont sans doute plus vulnérables que d’autres depuis la dépréciation du dollar en 2007 qui rend les actifs américains moins chers pour les acquéreurs étrangers. Toutefois, il faut souligner que ce sont souvent ces entreprises elles-mêmes qui ont sollicité l’intervention des fonds souverains asiatiques ou des pays du Golfe (Singapour, Koweït, Corée du Sud…).

Il convient de manier les estimations chiffrées relatives à la taille de ces fonds avec beaucoup de prudence. Si l’on a choisi de retenir les estimations publiées par la Deutsche Bank (voir tableau page 24), c’est parce que les travaux du FMI s’y réfèrent. Il existe cependant un grand nombre d’études proposant des estimations très variables. De plus, il faut tenir compte du fait que certains de ces fonds n’investissent pas (ou du moins pas pour l’instant) dans des actifs étrangers mais uniquement dans leur propre pays.

Source : Morgan Stanley.

B. Les fonds souverains sont une catégorie d’investisseurs étatiques parmi d’autres

Le gouvernement d’un Etat peut effectuer des investissements au travers de multiples instruments. Il s’agit notamment :

- de ses réserves de change, placées en actifs liquides et peu risqués (le plus souvent en bons du Trésor américains ou en titres de dette publique d’autres Etats de l’OCDE) ; ces réserves sont détenues et gérées par la banque centrale ou le ministère des finances, et sont disponibles très rapidement pour leur permettre d’intervenir sur le marché des changes ;

- des entreprises d’Etat, qui sont des sociétés sur lesquelles le gouvernement exerce un contrôle significatif en détenant une participation majoritaire ;

- des fonds souverains, qui peuvent être alimentés par des taxes sur l’exploitation de ressources non renouvelables, par une partie des réserves de change lorsque celles-ci excèdent les besoins en liquidités, ou par des excédents budgétaires ;

- des fonds de pension, qui diffèrent des fonds souverains en ce qu’ils sont alimentés en capitaux dans leur monnaie locale et n’effectuent en principe que des placements peu risqués en s’aventurant peu souvent à l’étranger.

Il est noter que face aux inquiétudes suscitées par les fonds souverains, certains fonds de pension publics s’efforcent de faire valoir leur différence de nature, afin de ne pas être confondus avec des fonds souverains et de ne pas subir le contrecoup de la méfiance que certains gouvernements manifestent à l’égard de ceux-ci(6).

Toutefois, les différences qui pouvaient exister entre fonds souverains et fonds de pension publics tendent à disparaître : de nombreux fonds de pension n’hésitent plus à placer leurs capitaux à l’étranger, ce qui les place directement en concurrence avec les fonds souverains pour trouver les investissements les plus rentables ; d’autres fonds de pension confient la gestion de leurs actifs à des fonds souverains.

Les fonds souverains peuvent investir directement, mais aussi indirectement, dans le capital d’entreprises à travers le monde : ces derniers mois, en particulier, des fonds souverains ont multiplié les investissements dans des structures financières privées, qui peuvent ensuite effectuer elles-mêmes des placements dans des entreprises industrielles ou dans le secteur immobilier. Par exemple, le nouveau fonds souverain chinois, la CIC, a effectué sa première opération internationale en entrant à hauteur de 10 % dans le capital du fonds d’investissement américain Blackstone ; or Blackstone détient des participations dans une quarantaine de groupes industriels dans les domaines de l’énergie, de l’industrie pharmaceutique, des télécommunications (Deutsche Telekom)...

Il faut donc souligner que les inquiétudes concernant l’activité des fonds souverains (inquiétudes sur leur effet potentiellement déstabilisateur sur les marchés financiers, inquiétudes sur la nature de leurs motivations, inquiétudes sur le caractère rigoureux et professionnel de leur gestion…) ont autant de pertinence s’agissant des autres outils d’investissement dont disposent des Etats, en particulier en ce qui concerne les sociétés contrôlées par des Etats (entreprises publiques comme Gazprom, banques d’Etat telles que la JSC Vneshtorgbank(7)…). Ce sont d’ailleurs les initiatives d’entreprises publiques, plutôt que celles de fonds souverains, qui ont jusqu’à présent suscité le plus de préoccupations.

Pour autant, les milieux financiers ont eux-mêmes sollicité des fonds souverains pour qu’ils viennent au secours des banques gravement privées de liquidités au cours du second semestre 2007 et des premiers mois de l’année 2008, et nombreux ont été ceux qui ont salué à la fois cette série d’interventions et le comportement qu’ont globalement adopté les fonds souverains jusqu’à présent. Ainsi, selon le commissaire européen Joaquin Almunia, « ces fonds ont été jusqu’ici les meilleurs investisseurs qui soient ».

II. MAIS ILS MODIFIENT POTENTIELLEMENT LES RAPPORTS DE FORCE, POUR DEUX RAISONS : LEUR PROGRESSION RAPIDE ET L’ OPACITÉ DE LEUR GOUVERNANCE

A. La progression exponentielle des ressources des fonds souverains

Si le total des actifs détenus et gérés par les fonds souverains est à l’heure actuelle relativement modeste, et concentré dans moins de cinquante fonds (à comparer avec les quelque 8 000 hedge funds recensés), il convient de mentionner que le nombre de fonds souverains dans le monde a doublé depuis 1999, et qu’un nombre croissant de pays créent ou envisagent de créer des fonds souverains, parmi lesquels l’Arabie saoudite, le Japon, le Brésil ou encore la Bolivie.

D’autre part, selon les estimations de l’institut Global Insight, les actifs gérés par les fonds souverains existants ont augmenté de manière rapide au cours des dernières années (+ 13 % par an en moyenne sur les dix dernières années). Les actifs des fonds souverains progressent plus rapidement que ceux des autres catégories d’investisseurs ; ils pourraient ainsi devenir dans un horizon assez proche d’une taille qui les situerait à proximité de celle des fonds de pension ou des sociétés d’assurance. M. Hubert Védrine, dans son rapport sur la France et la mondialisation(8), considère que « ces fonds souverains pourraient représenter 15 % du PIB mondial dans cinq ans ». Une étude de Morgan Stanley(9) estime que d’ici 2015 leur montant total avoisinera 12 000 milliards de dollars. Et selon l’étude précitée de Global Insight, les fonds souverains pourraient représenter 30 000 milliards de dollars dans dix ans.

La taille de ces fonds éveille d’autant plus d’attention que leur mode de gouvernance et leurs finalités manquent aujourd’hui de clarté.

B. L’opacité de leur mode de gouvernance et la question de leurs objectifs et de leurs stratégies

La constitution de fonds souverains peut viser à répondre à trois objectifs :

- une stabilisation des ressources financières, pour les Etats dont l’économie dépend très fortement de la production de matières premières, dont les cours peuvent fortement fluctuer et dont les ressources sont nécessairement destinées à s’épuiser à plus ou moins long terme ;

- la constitution d’une épargne destinée aux générations futures (c’est par exemple l’objectif fondateur de l’Abu Dhabi Investment Authority et du Fonds norvégien) ;

- le placement de réserves de change dans des actifs plus risqués – mais plus diversifiés, de plus long terme, et surtout susceptibles de procurer des profits plus élevés – que les placements traditionnels.

Les caractéristiques de la gestion des fonds souverains varient. Certains sont gérés directement par d’anciens membres du gouvernement ou par des membres des familles dirigeantes (notamment dans les Etats du Golfe), d’autres sont gérés par les ministères des finances ou les banques centrales. Certains d’entre eux délèguent la gestion d’une partie de leurs capitaux à des établissements financiers tiers.

Quel que soit l’objectif ou les objectifs choisis, un fonds souverain est, au moins en théorie, susceptible d’adopter des stratégies d’investissement diverses, allant d’une stratégie très « conventionnelle » – selon laquelle le seul but des investissements est de maximiser le profit, sans chercher à influencer le management des entreprises dans lesquelles investit le fonds – à une approche « stratégique », visant à concentrer les investissements dans certains pays ou dans certains secteurs d’activité, ou à influencer le management des entreprises.

Mais on peut imaginer que même les fonds ayant pratiqué jusqu’à présent une stratégie d’« actionnaire passif » puissent décider dans l’avenir d’user de leur poids financier au sein d’entreprises pour influencer les décisions économiques de leurs dirigeants, par exemple pour obtenir la délocalisation d’unités de production vers les pays dont les gouvernements contrôlent ces fonds souverains. L’achat d’une entreprise ou d’une participation importante dans une entreprise implique l’entrée dans les organes de gestion, l’accès aux méthodes de production et aux brevets, le droit d’influencer la stratégie de l’entreprise.

Certains fonds souverains – peu nombreux (Norvège, Alaska, Malaisie, Alberta, Azerbaïdjan…) – affichent clairement leurs objectifs, leurs stratégies d’investissement, publient périodiquement des rapports financiers ou des informations sur le montant des capitaux qu’ils détiennent, sur les profits qu’ils réalisent et sur la composition de leurs portefeuilles, voire sont contrôlés par des organes extérieurs (par exemple le fonds canadien de l’Alberta, contrôlé par une commission de parlementaires). Ces fonds peuvent ainsi être qualifiés de « transparents ».

En revanche, le secret entoure largement ou complètement les activités des autres fonds, les plus nombreux (Emirats Arabes Unis, Koweït, Chine, Qatar, Brunei, Taiwan…).

L’opacité en elle-même ne signifie pas nécessairement que les investissements de ces fonds ont des motivations autres que commerciales, mais elle peut légitimement le laisser craindre, puisqu’il s’agit d’acteurs qui dépendent directement de gouvernements.

Certains analystes considèrent que cette opacité présente un risque pour la stabilité financière sur les marchés mondiaux : une décision subite des fonds souverains de se retirer d’un marché, par exemple, ou même, puisque l’on dispose d’informations très lacunaires sur leurs opérations, de simples rumeurs sur leurs décisions et comportements, pourraient susciter une volatilité des prix. Les fonds souverains apparaissent dans leur grande majorité comme des acteurs financiers non régulés et largement opaques quant à leur cadre institutionnel, leurs règles de fonctionnement et leurs objectifs stratégiques. Les fonds souverains les plus richement dotés, à l’exception du fonds norvégien, appartiennent à des Etats peu ou pas démocratiques, ce qui explique l’incertitude qui existe concernant les intentions – présentes et futures – des autorités politiques, et donc les inquiétudes qu’ils suscitent parfois. De plus, les gérants de ces fonds ont peu ou pas de comptes à rendre à des régulateurs, des actionnaires ou aux citoyens de leurs Etats.

Les critères utilisés par chaque fonds pour placer les sommes qui lui sont confiées peuvent, du fait de leur nature même, ne pas être uniquement liés à une recherche de profit. Le fonds norvégien, par exemple, agit selon des critères « éthiques », qui lui interdisent d’investir dans le secteur de l’armement ou dans des activités polluantes. Mais il est tout à fait possible que des objectifs stratégiques puissent être poursuivis (faciliter l’accès d’un pays aux matières premières d’un autre pays, renforcer les industries nationales…), objectifs qui ne sont pas illégitimes mais qui sont différents de motivations strictement liées à la rentabilité financière. Même le fonds norvégien, qui est un modèle remarquable de transparence et de prudence, n’est pas à l’abri des critiques : lorsqu’il s’est livré à d’importantes opérations en Islande, achetant (fin 2005), puis revendant (quelques mois plus tard) des obligations des principales banques islandaises, les autorités politiques islandaises ont qualifié l’action de politique et d’hostile, tandis que le fonds norvégien justifiait ses opérations par des motifs strictement économiques(10).

Présentation de quelques fonds souverains

Abu Dhabi : L’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) est présentée comme le fonds souverain le plus important du monde par l’ensemble des travaux de recherche, mais comme le montant de son capital n’est pas rendu public, les estimations varient considérablement (de 250 à 1 000 milliards de dollars selon les études).

Ce fonds a été créé en 1976 et est à 100 % la propriété du gouvernement d’Abu Dhabi. Il est présidé par le Président des Emirats Arabes Unis. Le fonds possède des participations dans plusieurs banques telles que la Banque de Tunisie et des Emirats, EFG-Hermes et l’Arab International Bank en Egypte, ainsi que dans l’établissement financier américain de gestion d’actifs Apollo Management.

Jusqu’en 2006, le fonds n’investissait que dans des actifs étrangers ; en 2006 une nouvelle entité a été installée, l’Abu Dhabi Investment Council (ADIC), avec pour objectif d’engager des investissements dans les Emirats et à l’étranger (mais en privilégiant la région du Golfe). Par ailleurs, l’Etat d’Abu Dhabi dispose d’un autre organisme d’investissement, la Mubadala Investment Company, créée en 2002 et dont les liens avec l’ADIA et l’ADIC manquent de transparence, même si ce troisième organisme publie quelques éléments d’information sur ses investissements. Il a récemment acquis 7,5 % du groupe américain Carlyle ; il détient 25 % de l’italien Piaggio Aero Industries dans le secteur aéronautique, ainsi que 5 % de Ferrari et 8 % de l’américain Advanced Micro Devices dans le secteur des processeurs et logiciels informatiques.

Chine :
La China Investment Corporation (CIC), qui dispose d’un capital estimé à 200 milliards de dollars, a reçu comme mandat du gouvernement chinois de placer ces fonds selon la répartition suivante : environ un tiers dans la reprise du Central Hujin Investment, l’entité qui détient la majeure partie des participations de l’Etat dans les banques publiques chinoises ; environ un tiers pour porter secours aux établissements financiers chinois ; et le dernier tiers (90 milliards de dollars) pour des investissements à l’étranger. Le fonds a été officiellement constitué en septembre 2007 mais a commencé à engager des opérations d’investissement quelque temps auparavant.

La CIC a attiré l’attention par sa prise de participation dans la société américaine Blackstone, pour un montant de 3 milliards de dollars, en mai 2007. Elle a ensuite acquis 9,9 % des parts de Morgan Stanley (pour un montant de 5 milliards de dollars), et investi 200 millions de dollars en actions du groupe Visa. Dans le cas de Blackstone, l’investissement effectué par CIC a perdu plus du tiers de sa valeur, et son investissement dans Morgan Stanley a vu sa valeur baisser de 5 %, ce qui a soulevé des critiques en Chine sur les performances du fonds souverain.

Dubaï :
Dubaï est doté d’une nébuleuse d’organismes publics d’investissement, « chapeautés » par la Dubai Holding : Dubai World, Dubai Group, Dubai International Capital, Dubai Istithmar… et leurs filiales. Dubai Group investit essentiellement à l’étranger, surtout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (établissements financiers, télécommunications, immobilier…). Dubai International Capital détient aussi de nombreux actifs dans cette région du monde, mais possède également 3 % d’EADS, 2 % du groupe allemand Daimler, une chaîne d’hôtels au Grande-Bretagne… Les fonds de Dubaï sont en outre très fortement impliqués dans le domaine des ports et des voies maritimes (voir p.56)

Koweït :
La Kuwait Investment Authority est le plus ancien des fonds souverains puisqu’il a été créé en 1953. Il est alimenté par le versement, chaque année, de 10 % des recettes pétrolières de l’Etat. Son conseil d’administration comprend le ministre des affaires pétrolières, un représentant de la banque centrale et un représentant du ministère des finances.

Le fonds n’investit pas au Koweït mais seulement à l’étranger, en se concentrant sur les pays en développement (Liban, Bahreïn, Jordanie…). Il détient toutefois des participations dans les groupes allemands Daimler-Benz
(7 %) et GEA (qui regroupe 250 entreprises dans les secteurs agro-alimentaire, chimique, pharmaceutique, métallurgique et environnemental), ainsi que 3 % du groupe britannique BP, et désormais des participations dans les banques américaines Citigroup (6 %) et Merrill Lynch (5 %).

Libye :
La Libyan Investment Authority (LIA), créée en 2006, est propriété de l’Etat libyen. Son conseil d’administration est présidé par le Premier ministre. Sa stratégie d’investissement est essentiellement centrée sur la région du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (établissements financiers, hôtels…), et, s’agissant de l’Europe, sur quelques entreprises italiennes.

Malaisie
 : Le Khazanah Nasional a été créé en 1993. Le fonds détient des parts dans une cinquantaine d’entreprises (médias, infrastructures, construction…), mais les investissements réalisés à l’étranger ne représentent que 9 % de ce portefeuille. Le Khazanah Nasional est actif dans douze pays d’Asie, en Arabie Saoudite, en Nouvelle-Zélande et au Grande-Bretagne.

Norvège :
Le Fonds pétrolier (Petroleum Fund) créé en 1996 a pris en 2006 le nom de « Government Pension Fund – Global » (GPFG). Le fonds est géré par le ministère des finances, qui délègue le management opérationnel à la Norges Bank’s Investment Management Division, qui est une branche de la Banque centrale norvégienne.

Complètement intégré dans le budget de l’Etat, le fonds norvégien n’investit qu’à l’étranger et ne sert donc pas à développer des infrastructures au niveau national. Environ 80 % des recettes que l’Etat norvégien tire du pétrole sont allouées au fonds. Son but déclaré est de maximiser les retours financiers à travers des participations non stratégiques dans le capital d’entreprises sélectionnées aussi sur la base de critères éthiques. Le fonds publie des rapports d’activité annuels et trimestriels.

Il a réalisé un taux de retour annuel moyen de 6,5 % sur la période 1997-2006. Le gouvernement norvégien surveille la transparence des opérations du fonds, l’allocation des liquidités et les méthodes de gestion, et établit chaque année la liste des entreprises dans lesquelles le fonds peut investir. Une liste des actifs du fonds est publiée sur son site Internet. Le fonds détient actuellement des participations dans environ 3 500 entreprises, le plus souvent inférieures à 1 %.

En 2005, le fonds norvégien a mené des opérations d’investissement significatives en Islande, dont le marché financier traversait alors des turbulences importantes. A la fin de l’année 2005, le fonds norvégien se trouvait ainsi détenteur d’actifs d’une valeur totale de 287 millions d’euros dans les deux principales banques islandaises, Kaupthing et Landsbanki. Ces opérations figuraient dans le rapport annuel du fonds. Le fonds norvégien a ensuite revendu rapidement ces participations, dès le début de l’année 2006.

Qatar :
La Qatar Investment Authority est propriété de l’Etat et présidée par un membre de la famille de l’émir du Qatar. Chaque année le fonds reçoit 10 % des recettes pétrolières du sultanat pour alimenter ses ressources. Ce fonds est particulièrement actif en direction de la Grande-Bretagne et du reste de l’Europe. Il a acquis notamment plus de 20 % du groupe London Stock Exchange, 10 % de la Bourse suédoise (Nordic Exchange OMX), 5,1 % du groupe français Lagardère, des participations dans des banques du Moyen-Orient… Il détient également une participation de 25 % dans la chaîne britannique de supermarchés Sainsbury mais a renoncé à accroître sa part. Il est à noter que ce fonds s’est associé au fonds souverain libyen dans le but annoncé d’opérer des investissements en Libye et au Qatar, mais aussi dans le reste du monde.

Russie :
Début 2008, l’ancien « Fonds de stabilisation » russe a été divisé en deux entités désormais distinctes : le « Fonds de réserve », qui continuera à investir dans des actifs peu risqués avec pour objectif d’aider le pays à faire face aux fluctuations des prix du pétrole et du gaz ; et un fonds plus « agressif », qui devra effectuer des investissements plus diversifiés et plus risqués.
Selon le Financial Times (28 avril 2008), les opérations d’achat de ce fonds à l’étranger pourraient commencer d’ici l’année prochaine ; des responsables du fonds ont rencontré des dirigeants de fonds souverains en Norvège et à Singapour. Le vice-ministre des finances russe, M. Dimitri Pankin, a indiqué que le fonds ne prendra pas de participations supérieures à 3 ou 4 % dans les entreprises choisies, dans un premier temps du moins.

Singapour :
A Singapour, l’Etat dispose de deux fonds souverains, qui sont de plus en plus puissants en Asie et au Moyen-Orient notamment. Selon le ministre de l’économie de Singapour, M. Lim Hng Kiang, « nos fonds ont un mandat clair : leur rôle consiste à protéger l’épargne des citoyens singapouriens et à la faire fructifier. Il s’agit d’un objectif strictement financier et il ne répond à aucune stratégie politique. Nous ne voulons pas prendre le contrôle de sociétés. Nous nous contentons de parts minoritaires et ne cherchons pas à nous immiscer dans leur stratégie en réclamant, par exemple, des sièges au conseil d’administration » (Le Monde, 27 février 2008).

1/ Le Government of Singapore Investment Corporation (GIC), constitué en 1981, dispose d’actifs estimés à 330 milliards de dollars. Les revenus du GIC proviennent de la vente des terres de l’Etat et de l’accumulation des excédents budgétaires des années 1970 et 1980, quand la croissance de Singapour était très forte. L’Etat est propriétaire du fonds. Ce fonds gère lui-même les trois quarts de son portefeuille et délègue la gestion du quart restant à des managers externes. Le conseil d’administration du GIC est présidé par M. Lee Kuan Yew, ancien Premier ministre de Singapour. Le vice-président est M. Lee Hsien Loong, l’actuel Premier ministre et fils du précédent.

Selon Morgan Stanley, le GIC est le troisième plus gros fonds souverain au monde, après l’Abu Dhabi Investment Authority et le Fonds norvégien. Le GIC possède des actifs très variés, allant de Westin Paris à des établissements financiers en Inde ou à l’aéroport de Budapest. En décembre 2007, le GIC a investi 11 milliards de dollars dans la banque suisse UBS, et en janvier 2008, 6,88 milliards de dollars dans la banque américaine Citigroup. Il a également investi 300 millions de dollars dans le hedge fund Rosen Real Estate Securities. M. Lee Kuan Yew a indiqué en 2006 que le fonds a, depuis sa création, obtenu un retour sur investissement de 9,5 % par an en moyenne.

2/ Temasek Holdings, créé en 1974, dispose d’un portefeuille estimé à plus de 110 milliards de dollars. Selon Morgan Stanley, Temasek est le septième fonds souverain mondial. Le ministère des finances est l’unique actionnaire de ce fonds. Les revenus de Temasek viennent des résultats des entreprises nationales : la moitié des dividendes de ces sociétés est affectée au budget de l’Etat, le reste est réinvesti par Temasek.

Temasek investit 38 % de ses actifs à Singapour et le reste à l’étranger

(40 % en Asie et 20 % dans les pays de l’OCDE non asiatiques). Temasek détient notamment des parts dans le groupe DBS (le plus important organisme prêteur d’Asie du Sud-Est), dans la banque Barclays (2,1 %), dans différentes sociétés chinoises dont une compagnie aérienne, dans la banque russe VTB, dans le groupe INX-Media (Inde), et a soulevé une controverse en Thaïlande en 2006 lorsqu’il a lancé une opération visant à prendre le contrôle de l’entreprise Shin Corporation (télécommunications et médias).

* * *

De nombreux projets de création de nouveaux fonds souverains

La création d’autres fonds souverains est actuellement envisagée dans les pays suivants : Bolivie, Emirats Arabes Unis, Japon, Brésil, Arabie Saoudite, Taiwan… Selon la Deutsche Bank, ces futurs fonds souverains pourraient représenter au total environ 960 milliards de dollars de capitaux supplémentaires. Trois exemples :

Arabie Saoudite :
Le vice-gouverneur de l’Agence Monétaire d’Arabie Saoudite (SAMA), M. Mohammed Al-Jasser, a indiqué en janvier 2008 que le royaume a l’intention de constituer un fonds souverain. Ce fonds pourrait disposer d’un capital initialement limité à 6 milliards de dollars, ce qui représente un montant très modeste par comparaison avec les autres fonds d’Etat du Moyen-Orient, mais le fonds saoudien pourrait progressivement devenir l’un des plus importants du monde, susceptible même de surpasser le fonds d’Abu Dhabi, étant donné le montant considérable des réserves de change du pays.

Les autorités saoudiennes ont confirmé en avril 2008 que le montant initial du capital de ce fonds souverain serait limité, dans un premier temps, et que sa stratégie serait similaire à celle d’autres fonds comme le fonds norvégien ou le GIC de Singapour, pour rechercher des profits sur le long terme.

Japon :
Le Parti Libéral Démocratique, le parti au pouvoir au Japon, a chargé un groupe de travail de présenter des propositions sur la création d’un fonds souverain destiné à mieux gérer les actifs financiers détenus par le gouvernement. Ces propositions pourraient déboucher sur le dépôt d’un projet de loi devant le Parlement avant la fin de l’année 2008.

Toutefois, le projet se heurte à des réticences, notamment celles du ministère des Finances, qui est actuellement en charge de la gestion des réserves de change japonaises et qui exprime des réserves sur l’opportunité d’investir celles-ci dans des actifs à haut degré de risque.

Thaïlande :
Les autorités thaïlandaises envisagent de placer par l’intermédiaire d’un fonds souverain une partie des réserves de change considérables que la Thaïlande a accumulées ces dernières années. Le gouverneur adjoint de la Banque centrale de Thaïlande a indiqué que le fonds ne serait initialement doté que de quelques milliards de dollars (pris sur les 100 milliards de dollars de réserves de la Banque centrale), quitte à le renforcer ultérieurement.

Les principaux fonds souverains dans le monde
(estimations publiées par la Deutsche Bank Research, février 2008)

Pays

(et année de création du fonds)

Source des revenus 

Estimation
(en milliards de dollars)

Emirats Arabes Unis : Abu Dhabi Investment Authority (1976)

Pétrole

900

Singapour : GIC (1981)

Autres ressources

330

Norvège (1990)

Pétrole

322

Koweït : Kuwait Investment Authority (1953)

Pétrole

250

Chine : China Investment Corporation (2007)

Autres ressources

200

Hong Kong (1998)

Autres ressources

140

Singapour : Temasek (1974)

Autres ressources

108

Libye (2005)

Pétrole

100

Qatar (2005)

Pétrole

60

Australie (2004)

Autres ressources

50

Algérie (2000)

Pétrole

43

Etats-Unis (Alaska) (1976)

Pétrole

40

Brunei (1983)

Pétrole

35

Russie : Russian Fund for National Well-Being (2008)

Pétrole

32

Irlande : National Pensions Reserve Fund (2001)

Autres ressources

29

Corée du Sud (2006)

Autres ressources

20

Malaisie : Khazanah Nasional BHD (1993)

Autres ressources

18

Kazakhstan (2000)

Pétrole, gaz, métaux

18

Canada (Alberta) (1976)

Pétrole

17

Taiwan (2000)

Autres ressources

15

Etats-Unis (Nouveau-Mexique) (1958)

Autres ressources

15

Iran (1999)

Pétrole

15

Chili : Economic and social stabilization fund (2007)

Cuivre

15

Nigeria (2004)

Pétrole

11

Nouvelle-Zélande (2003)

Autres ressources

10

Oman (1980)

Pétrole, gaz

8,2

Botswana (1993)

Diamants et autres

4,7

Etats-Unis (Wyoming) (1974)

Minerais

3,2

Azerbaïdjan (1999)

Pétrole

1,5

Timor Oriental (2005)

Pétrole, gaz

1,2

Venezuela (1998)

Pétrole

0,8

Kiribati (1956)

Phosphates

0,6

Canada (Québec) (2006)

Energie

0,6

Trinidad et Tobago (2007)

Autres ressources

0,5

Papouasie-Nouvelle Guinée (1974)

Minerais

0,2

TOTAL

 

2 814,5

DEUXIEME PARTIE :
LES DIVERSES FORMES D’INTERVENTION DES FONDS SOUVERAINS DOIVENT CONDUIRE LES ETATS EUROPEENS ET L’UNION EUROPÉENNE A DE VRAIES REMISES EN QUESTION

Depuis l’été 2007, les prises de position internationales se sont multipliées, entre réaffirmation du principe d’ouverture aux investissements étrangers, expression des inquiétudes visant spécifiquement les fonds souverains, et lancement de travaux de réflexion multilatéraux.

A l’automne 2007, les ministres des finances du G7 et les autres membres de l’OCDE ont demandé à l’OCDE d’élaborer des orientations concernant les politiques des pays d’accueil à l’égard des investissements des fonds souverains. De son côté, le FMI a reçu mandat d’élaborer un code de pratiques exemplaires pour les fonds souverains. Il a créé à cet effet en mai 2008 un groupe de travail international. Les responsables du FMI et le Secrétariat de l’OCDE ont conclu un accord de coopération et de coordination, afin que chacune des deux organisations suive en tant qu’observateur les travaux de l’autre organisation.

Les travaux du FMI et de l’OCDE

Le groupe de travail du FMI sur les fonds souverains regroupe des représentants de 25 Etats membres du FMI (Arabie Saoudite, Australie, Azerbaïdjan, Bahreïn, Botswana, Canada, Chili, Chine, Corée, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, Iran, Irlande, Kazakhstan, Koweït, Libye, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Qatar, Russie, Singapour, Timor Oriental, Trinité&Tobago, Vietnam) ; la Banque mondiale et l’OCDE y participent en tant qu’observateurs.

On peut regretter que, d’une part, certains Etats comme Dubai aient refusé de prendre part aux travaux de ce groupe de travail, et d’autre part, que l’Irlande soit le seul pays de l’Union européenne parmi les participants. Toutefois, la Commission européenne a également été invitée par le FMI à suivre les travaux en tant qu’observateur, et elle a consulté, avant le début de ces travaux, plusieurs Etats de l’Union (France, Royaume-Uni, Allemagne) sur ce sujet.

S’agissant de l’OCDE, le Comité de l’investissement sur les fonds souverains et les politiques des pays d’accueil a présenté son rapport préliminaire aux ministres réunis pour la réunion ministérielle de l’OCDE des 4 et 5 juin 2008. Les travaux de ce Comité ont réuni des représentants des trente Etats membres de l’OCDE, des dix pays non membres de l’OCDE ayant adhéré aux instruments de l’OCDE en matière d’investissement (Argentine, Brésil, Chili, Egypte, Israël, Roumanie, Slovénie et les trois Etats baltes), de quatre autres pays non membres participant au projet (Afrique du Sud, Chine, Inde et Indonésie), et de la Commission européenne. De plus, des représentants de la Russie ont assisté aux débats. Des consultations ont été menées auprès de fonds souverains et d’entreprises. Le rapport final sera présenté au printemps 2009.

En marge des travaux internationaux, les autorités américaines ont engagé des discussions bilatérales avec les autorités d’Abu Dhabi et de Singapour, discussions qui ont abouti à un accord sur quelques principes que Singapour et Abu Dhabi se sont engagés à respecter (motifs purement commerciaux, publication des objectifs de leurs fonds souverains, séparation des responsabilités dans la gouvernance interne des fonds, adoption de politiques de gestion des risques, concurrence équitable avec le secteur privé et respect des normes du pays d’accueil).

Les autorités de l’Union européenne sont intervenues sur la question des fonds souverains en février-mars 2008, avec une communication de la Commission européenne suivie d’une déclaration du Conseil européen.

Dans ses travaux antérieurs à 2008, en particulier dans son Livre blanc du 15 novembre 2006 sur l’amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d’investissement, la Commission n’avait pas du tout abordé la question des spécificités des investisseurs publics tels que les fonds souverains ou les entreprises publiques. Mais elle a consacré aux fonds souverains une communication distincte, présentée le 27 février 2008 : la communication sur une « approche commune en matière de fonds souverains ». La Commission y défend une approche prudente.

Le document analyse les risques (opacité, interrogations sur les objectifs poursuivis) et les opportunités (financement de l’économie mondiale) que présente le développement des fonds souverains. La Commission justifie la nécessité d’une position européenne commune par son impact plus fort sur les partenaires de l’Union, la nécessité de préserver l’ouverture et la cohérence du marché intérieur afin d’en maintenir l’attractivité, et l’importance de ne pas paraître protectionniste.

La Commission propose en conséquence d’adopter une approche commune européenne fondée sur cinq principes :

- le maintien de l’ouverture du marché européen aux investissements étrangers,

- le soutien aux travaux multilatéraux engagés,

- l’utilisation des instruments juridiques existants,

- l’inscription dans le cadre juridique communautaire et international,

- et le respect des principes de proportionnalité et de transparence.

La Commission exclut la possibilité d’une intervention règlementaire européenne à ce stade, et n’aborde pas la question des modalités de suivi et de mise en œuvre du futur code de conduite élaboré au niveau international.

La communication de la Commission est donc fortement liée aux travaux en cours au FMI (sur les bonnes pratiques pour les fonds souverains) ainsi qu’à l’OCDE (sur les cadres nationaux d’accueil des investissements étrangers), engagés à la demande des ministres des finances du G7. Ceci pose la question de la contribution que l’Europe entend apporter à ces travaux.

La communication de la Commission a été discutée par les Etats membres dans le cadre du Conseil « Ecofin » du 4 mars 2008. Elle a reçu un large soutien des Etats membres, notamment de la France qui a cependant interrogé la Commission sur le problème de la mise en œuvre du futur code de bonne conduite international, sans obtenir de réponse satisfaisante.

Le Conseil européen a ensuite approuvé l’approche et les principes proposés par la Commission. Les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union européenne, réunis lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, se sont efforcés d’atteindre un accord équilibré par une déclaration qui souligne à la fois : le rôle très utile des fonds souverains, les inquiétudes existantes, la nécessité d’une approche européenne commune inspirée des cinq principes du document de la Commission, et l’appui à un futur code international de déontologie auquel souscriraient librement les fonds souverains.

Les conclusions du Conseil indiquent que l’UE doit contribuer de manière coordonnée à l’élaboration de ce code, ce qui ouvre une perspective intéressante de réflexion sur le rôle que peut jouer l’Union européenne dans les instances financières et économiques mondiales, où une telle contribution lui donnerait une visibilité et une crédibilité accrues.

Extrait des conclusions du Conseil européen des 13-14 mars 2008

« 36. Le Conseil européen accueille avec satisfaction la communication de la Commission sur les fonds souverains. L’Union européenne est résolument en faveur d’un environnement mondial ouvert en matière d’investissement, fondé sur la libre circulation des capitaux et le bon fonctionnement des marchés mondiaux de capitaux. Les fonds souverains ont joué jusqu’à présent un rôle très utile comme pourvoyeurs de capitaux et de liquidités dans une perspective d’investissement à long terme. Cependant, l’émergence de nouveaux acteurs dont la stratégie et les objectifs d’investissement sont peu transparents a suscité certaines inquiétudes concernant le risque de pratiques non commerciales. La ligne de démarcation entre les fonds souverains et d’autres entités n’est pas toujours clairement tracée. Le Conseil européen convient de la nécessité d’adopter une approche européenne commune qui tienne compte des prérogatives nationales, en accord avec les cinq principes proposés par la Commission, à savoir : attachement au principe d’ouverture aux investissements ; appui aux travaux en cours au sein du FMI et de l’OCDE ; recours aux instruments nationaux et à ceux de l’UE si nécessaire ; respect des obligations liées au traité CE et aux engagements internationaux ; proportionnalité et transparence. Le Conseil européen soutient l’objectif de parvenir à un accord international sur un code de déontologie auquel souscriraient librement les fonds souverains et qui fixerait les principes qui s’appliquent aux pays destinataires, sur le plan international. L’UE devrait avoir pour objectif de contribuer à ce débat en cours, de manière coordonnée, et invite la Commission et le Conseil à poursuivre leurs travaux en ce sens. »

La communication de la Commission européenne sur les fonds souverains avait aussi suscité des réactions favorables aux Etats-Unis. Le secrétaire d’Etat adjoint au Trésor, M. Robert Kimmitt, a déclaré le 4 mars 2008 que cette communication allait dans le bon sens. En revanche, plusieurs représentants de fonds souverains (Dubaï, Koweit…) ont mal accueilli la communication de la Commission, et donc la déclaration du Conseil européen, en dépit de leur formulation prudente et peu volontariste.

La déclaration commune des Etats-Unis et de l’Union européenne
sur la liberté d’investissement (13 mai 2008)

A l’occasion de la rencontre, le 13 mai 2008, du Conseil Economique Transatlantique, les autorités européennes et américaines ont présenté une déclaration commune relative aux investissements. Selon le commissaire européen Peter Mandelson, le moment était venu pour l’Union européenne et les Etats-Unis d’adresser un signal sans ambiguïté concernant leur engagement en faveur de l’ouverture aux investissements. La déclaration commune souligne les bénéfices des investissements internationaux en termes de créations d’emplois, de compétitivité et de développement durable. Elle appelle les différents pays à éviter d’introduire de nouvelles restrictions et à s’efforcer d’éliminer les restrictions existantes.

La déclaration indique toutefois qu’il est légitime, pour des raisons tenant à la sécurité nationale, de définir des exceptions à la liberté d’investissement, à condition que ces exceptions soient strictement limitées. Ces restrictions doivent être « transparentes, prévisibles, proportionnées » à l’objectif de protection de la sécurité nationale, et « précisément définies ». S’agissant des investissements opérés par des « investisseurs contrôlés par des gouvernements, tels que les fonds souverains », les Etats-Unis et l’Union européenne affirment que leurs investissements « à motivations économiques » sont les bienvenus, tout en affirmant l’importance de la transparence de leurs stratégies d’investissement.

Les déclarations internationales précitées sont-elles satisfaisantes ? Doit-on se contenter d’attendre le résultat des travaux du FMI et de l’OCDE ? Le rapporteur est partisan de l’adoption, par l’Union européenne et par ses Etats membres, d’une démarche bien plus volontariste, car l’activité des fonds souverains appelle quatre types de réponses : la promotion d’une plus grande transparence, l’action en faveur d’une meilleure ouverture des investissements dans leurs pays d’origine, la réflexion sur un cadre européen pour les dispositifs nationaux de contrôle des investissements étrangers, et enfin la nécessité de prendre conscience de l’enjeu que représentent les investissements de long terme, vers lesquels les fonds souverains se tourneront inévitablement mais où l’Europe doit absolument rester présente.

I. L’ACTION TRÈS POSITIVE DES FONDS SOUVERAINS POUR LE « RECYCLAGE DES CAPITAUX » SUPPOSE UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE

Remplacer des ressources naturelles non renouvelables et (ou) des sommes considérables accumulées en dollars par des ressources durables : tel est le point de départ de la démarche consistant, pour certains Etats, à créer des fonds souverains. Ces fonds sont des acteurs très importants du « recyclage des capitaux » au niveau mondial, et ce, depuis la création des premiers fonds dans les pays du Golfe. Cet aspect de leur activité doit être souligné dans l’analyse, et encouragé, du moins dans la mesure où leurs ressources ne découlent pas de déséquilibres majeurs des échanges internationaux qu’il apparaît indispensable de corriger (notamment la sous-évaluation excessive de certaines monnaies).

Les sommes en dollars dont disposent ces Etats sont tellement gigantesques – et progressent à un rythme tel – que les utiliser massivement pour des opérations de change ou pour des échanges de titres du Trésor américain aurait pour résultat de faire s’effondrer la valeur même de ces dollars. Aussi ces Etats peuvent-ils être amenés soit à octroyer des prêts de très grande ampleur (comme la Chine à plusieurs Etats africains), soit, via des fonds souverains dont la stratégie est directement contrôlée par les autorités politiques, à prendre des participations ou à acheter des entreprises sur le territoire national et dans le monde entier.

Ce faisant, selon le FMI et les représentants des établissements financiers internationaux, les fonds souverains peuvent contribuer à répartir plus efficacement entre les pays les excédents financiers liés aux produits de base et accroître la liquidité des marchés, notamment en période de tensions financières mondiales. De plus, ils aident leurs pays d’origine à éviter l’alternance de phases d’expansion et de récession. Ils facilitent, pour ces pays, le transfert entre générations des excédents budgétaires.

Le rapport préliminaire présenté par le groupe de travail de l’OCDE en avril 2008 présente ainsi le rôle positif des fonds souverains dans l’économie mondiale : « Les fonds souverains offrent de nombreux avantages. Récemment, l’injection de capitaux par des fonds souverains dans plusieurs institutions financières de la zone OCDE a eu un effet stabilisateur car elle est intervenue à un moment critique, lorsque les investisseurs prêts à prendre des risques se faisaient rares et que le pessimisme régnait sur les marchés. Ils contribuent à recycler l’épargne à l’échelle internationale et sont généralement des investisseurs stables sur la durée. Ils participent au développement économique de leur pays d’origine ; par exemple ils protègent leur économie de la volatilité sur les marchés des matières premières, améliorent l’arbitrage entre le risque et le rendement des portefeuilles contrôlés par l’Etat, et peuvent renforcer les capacités de gestion financière et budgétaire. Dans les pays d’accueil, les fonds souverains peuvent procurer les avantages généralement rattachés à l’investissement étranger, notamment stimuler l’activité des entreprises et créer des emplois ».

Les responsables du FMI et de l’OCDE sont de ceux qui ont vu d’un bon œil les récentes injections de capitaux réalisées par les fonds souverains dans les banques américaines et européennes qui ont subi de lourdes pertes à cause de la crise des subprimes, en considérant que ces opérations ont contribué à stabiliser les marchés.

Toutefois, la démarche du FMI, initiée à la demande des Etats du G7, est basée sur la conviction qu’une meilleure compréhension des pratiques des fonds souverains, conjuguée à l’élaboration d’un ensemble de pratiques optimales, pourrait aider les pays dotés de ce type de fonds à bénéficier de l’expérience d’autres pays et à promouvoir leurs intérêts économiques et financiers.

Le rôle très positif des fonds souverains serait plus clairement perçu si ces fonds se pliaient tous à des exigences de transparence concernant la composition de leurs portefeuilles, l’influence de leur gouvernement sur leur stratégie d’investissement, et leur conception de leur rôle en tant qu’actionnaire. C’est aussi l’une des conclusions exprimée par M. Alain Demarolle, chargé d’une mission sur les fonds souverains par la ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, qui a présenté son rapport de mission en mai 2008.

Les demandes internationales en faveur d’une plus grande transparence ne visent pas seulement les fonds souverains. On ne peut à cet égard que souscrire aux propos de l’ancien dirigeant du fonds souverain norvégien, M. Knut Kjaer(11), selon lequel de telles exigences devraient être imposées à tous les acteurs des marchés financiers et ne pas être dirigées seulement contre certaines sources de capital. Les débats récents sur les hedge funds, par exemple, ont également tourné autour d’un développement nécessaire de la transparence et des pratiques de bonne gouvernance, et il est à noter que ces dernières années, des institutions publiques ont répondu de plus en plus favorablement aux arguments en faveur de la transparence, qu’il s’agisse des banques centrales (avec l’accord sur les avoirs en or de 1999 renouvelé en 2004) ou de fonds de pension publics (par exemple le Fonds de réserve des retraites français).

S’agissant des fonds souverains, certains d’entre eux pratiquent déjà un degré élevé de transparence, mais il est certain que l’engagement de l’ensemble des fonds de publier, au moins, un rapport annuel indiquant les principaux actifs qu’ils détiennent permettrait d’apaiser une grande part des craintes concernant la nature de leurs motivations.

Malheureusement, il n’est pas du tout certain que le futur code de conduite élaboré par le FMI recueille l’adhésion volontaire de tous les fonds souverains, existants et futurs. Les autorités politiques des Etats détenteurs de fonds souverains se montrent pour l’instant prudentes et modérées face aux demandes de transparence, et le groupe de travail du FMI réunit un nombre significatif d’acteurs, mais plusieurs responsables de fonds souverains importants ont exprimé des réticences.

Par ailleurs, comment s’assurer du respect par un fonds souverain des règles du code de bonne conduite ? Faut-il prévoir des sanctions et sous quelle forme ? S’il est probable que l’ensemble des pays de l’OCDE s’engageront à respecter les principes que cette organisation édictera s’agissant du comportement des pays destinataires, il n’est en revanche pas certain que tous les Etats dotés de fonds souverains accepteront de s’engager à respecter le futur code de bonne conduite du FMI, et même s’ils y adhèrent, rien ne garantira son respect effectif. Si ce double code de bonnes pratiques représentera certainement un progrès notable, il ne constitue pas une solution suffisante.

II. LES INVESTISSEMENTS QU’ILS RÉALISENT DANS LEURS PAYS D’ORIGINE POURRAIENT S’ACCOMPAGNER D’UNE PLUS GRANDE OUVERTURE

Les investissements des fonds souverains hors de leurs pays d’origine sont ceux qui attirent le plus l’attention. Mais il convient de ne pas négliger le fait que certains de ces fonds constituent des investisseurs d’importance pour l’économie de leurs propres pays. Ceci soulève une double question : les fonds souverains qui privilégient les investissements à l’étranger ont-ils raison de le faire ? Et les pays d’origine de ces fonds voient-ils leurs besoins domestiques en capitaux remplis, soit par ces fonds, soit par une ouverture aux investissements étrangers ?

A. Dans certains Etats dotés de fonds souverains, le choix entre investissements dans le pays d’origine et investissements à l’étranger fait débat

L’affectation des 32 milliards de dollars dont est doté le nouveau fonds souverain russe (voir encadré page 20) fait actuellement l’objet de débats en Russie : tandis que le ministère des finances privilégie la possibilité d’investir dans des entreprises étrangères, le Président Vladimir Poutine s’est exprimé en faveur d’une utilisation des fonds en Russie. Le président de VTB, ainsi que d’autres dirigeants d’établissements financiers russes, ont demandé qu’au moins 20 % des capitaux de ce fonds soient consacrés au soutien de long terme des banques russes plutôt qu’à l’achat d’actifs étrangers. Le ministère des finances doit en principe présenter des propositions sur les investissements de ce fonds souverain en octobre 2008.

La Russie n’est pas le seul pays où la question de l’allocation des capitaux gérés par les fonds souverains soulève des discussions. La question de la destination – internationale ou domestique – des investissements de ces fonds se pose de manière générale, puisque, dans la mesure où la très grande majorité de ces fonds sont basés dans des pays en voie de développement, certains font valoir qu’il devrait leur être imposé, par les gouvernements qui les contrôlent, de privilégier un objectif de développement de leur économie nationale. C’est ainsi par exemple que le président de la banque Ithmaar de Bahreïn, M. Khalid Abdulla-Janahi, a publiquement mis en question l’opportunité, pour les fonds souverains des pays du Golfe, de venir au secours de banques d’autres régions du monde au lieu de consacrer leurs investissements au développement économique de la région du Golfe, notamment dans le domaine de l’éducation.

B. Les pays destinataires des investissements des fonds souverains appellent les pays d’origine de ces fonds à plus d’ouverture aux investissements étrangers

Faut-il tenter d’obtenir des Etats détenteurs de fonds souverains une plus grande ouverture aux investissements étrangers ?

C’est la démarche adoptée en particulier par les autorités américaines. Le récent déplacement du Secrétaire d’Etat au Trésor, M. Hank Paulson, dans les pays du Golfe, avait pour double objet de rassurer ces investisseurs sur l’ouverture du marché américain aux capitaux étrangers et de plaider auprès de ces Etats en faveur d’une suppression de leurs propres barrières nationales qui font obstacle aux investissements étrangers.

Il est avéré que les pays du Golfe, tout comme la Chine et la Russie notamment, puisqu’ils ne sont pas membres de l’OCDE, ne sont pas soumis aux principes élaborés dans le cadre de celle-ci et qui visent à assurer la liberté d’investissement et de circulation des capitaux(12). Leurs législations nationales comportent des dispositifs très larges faisant obstacle aux investissements étrangers dans certains secteurs, de portée beaucoup plus grande que les dispositifs similaires existants dans les pays européens ou dans les autres pays de l’OCDE.

Pour autant, faire valoir ce décalage et exiger des Etats détenteurs de fonds souverains d’appliquer un principe de réciprocité en ce qui concerne l’ouverture aux investissements n’est pas nécessairement la stratégie appropriée pour la France et ses partenaires européens. En premier lieu, parce qu’il sera difficile, voire impossible, d’imposer cette réciprocité aux pays qui ne seraient pas convaincus de l’intérêt de la pratiquer. En second lieu, parce que les principes de l’OCDE, auxquels tous les Etats de l’Union européenne sont soumis, l’interdisent. En troisième lieu, parce qu’invoquer le manque de réciprocité et exercer une pression politique sur cette base serait perçu plus largement comme un moyen de justifier une attitude protectionniste que comme un moyen d’assurer un fonctionnement équitable et équilibré des marchés.

Le rapport présenté par M. Alain Demarolle à la ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi recommande de promouvoir le principe de réciprocité pour l’accès des investissements français et européens dans les pays d’origine des fonds souverains. Mais il prend soin de placer cet objectif dans le cadre plus large des négociations commerciales au niveau bilatéral et mondial, et il est certain que la France doit dans ce cadre soutenir les demandes d’ouverture adressées à ces pays comme aux autres pays partenaires de l’Union européenne. Cet objectif de réciprocité n’est pas nécessairement contradictoire avec le maintien, dans les pays européens, de « filets de protection », dans la mesure où ces dispositifs ne couvrent que certains secteurs et n’ont pas vocation à être utilisés fréquemment.

III. LEURS INVESTISSEMENTS EXTERIEURS EXIGENT LA MISE EN PLACE D’UN « FILET DE SECURITÉ » CONCU À L’ECHELLE DE L’UNION EUROPEENNE

A. De nombreux Etats sont dotés de dispositifs de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs, et plusieurs de ces dispositifs ont été récemment renforcés

1) Trois exemples de « filets de protection » parmi les Etats non européens, et leur évolution récente

a) Les Etats-Unis

Le Foreign Investment and National Security Act (Loi sur l’investissement étranger et la sécurité nationale – FINSA) de juillet 2007 a modifié les règles concernant l’activité du Committee on Foreign Investment in the United States (Comité sur l’investissement aux Etats-Unis – CFIUS) créé en 1975. La réforme de 2007 a mis un terme à plusieurs mois d’intenses débats au Congrès nés à la suite de deux projets d’acquisition controversés : la proposition d’une entreprise d’Etat chinoise visant la société pétrolière américaine Unocal en 2005, et la tentative d’acquisition en 2006, par Dubaï Ports World, d’une entreprise britannique contrôlant les opérations de plusieurs ports américains.

L’affaire des ports américains

Opératrice des ports de New York, du New Jersey, de Philadelphie, de Baltimore, de la Nouvelle-Orléans et de Miami, la société britannique P&O a fait l’objet d’une acquisition par la compagnie DP World, possédée par le gouvernement de l’émirat de Dubaï, en mars 2006. Alors que la CFIUS avait accordé son feu vert à l’opération, celle-ci a subi le feu croisé de nombreux parlementaires républicains et démocrates. Devant la polémique, DP World a préféré céder P&O à un groupe américain.

Le dispositif législatif dit « Exon-Florio »(13), datant de 1988 et amendé par la loi de 2007, permet au Président de bloquer les investissements étrangers qui constituent une menace pour la « sécurité nationale ». La réglementation ne définit pas la notion de sécurité nationale mais comporte une liste non exhaustive de critères pour déterminer s’il y a ou non menace à la sécurité nationale (effets sur la production nationale nécessaire pour les besoins de la défense nationale, effets potentiels sur l’avancée technologique internationale des Etats-Unis dans des domaines affectant la sécurité nationale…). La liste traduit une conception extensive du concept de sécurité nationale, allant bien au-delà du seul secteur de la défense, d’autant que la loi de 2007 l’a complétée, y ajoutant notamment : les effets potentiels d’une transaction sur une infrastructure critique ou sur une technologie critique, et, pour les transactions impliquant des gouvernements étrangers, l’adhésion de ces pays à des accords, entre autres, de non prolifération.

Le CFIUS, présidé par le Secrétaire d’Etat au Trésor, examine les projets d’investissement qui lui sont notifiés et décide dans les 30 jours s’il va les soumettre ou non à une enquête. Une telle enquête est toutefois obligatoire lorsque l’investisseur est un gouvernement étranger ou une société d’Etat. Lorsqu’une enquête est lancée, le CFIUS dispose de 45 jours pour formuler des recommandations, qu’il adresse au Président. Celui-ci a ensuite un délai de 15 jours pour prendre sa décision et rendre compte au Congrès.

Les transactions sont notifiées au CFIUS sur une base volontaire. Cependant, il est également possible pour le comité de prendre l’initiative de lancer une enquête, possibilité rarement utilisée en pratique. Il est beaucoup plus fréquent que des entreprises étrangères qui envisagent d’opérer un investissement ou une acquisition aux Etats-Unis prennent contact en amont avec l’administration fédérale avant même de notifier leur projet au CFIUS.

Entre 1998 et 2007, le CFIUS a reçu plus de 1 500 notifications et a mené 25 enquêtes. A l’issue de ces enquêtes, treize projets ont été retirés et un seul a été bloqué par décision du Président (le projet de rachat, en 1990, d’un fournisseur de Boeing par une société chinoise). Pour la seule année 2006, sur les 10 000 fusions-acquisitions qui ont eu lieu aux Etats-Unis, seules 1 730 impliquaient des entreprises étrangères, et parmi celles-ci seulement 113 (soit 6,5 %) relevaient de la compétence de la CFIUS ; aucune de ces opérations n’a été bloquée.

La position actuelle du gouvernement fédéral américain est de considérer que des motivations politiques des fonds souverains seraient un motif légitime d’inquiétude, mais que de telles motivations ne sont pas avérées, les fonds souverains ayant opéré des investissements aux Etats-Unis depuis une trentaine d’années sans se comporter autrement qu’en investisseurs stables, largement « passifs », et avec des motivations purement commerciales.

Si aux Etats-Unis l’utilisation effective du dispositif demeure très rare en pratique, son existence même constitue un « filet de protection », d’autant qu’il ne faut pas négliger le fait qu’en marge, ou en amont, de ce dispositif juridique des prises de position politiques ou une mobilisation de l’opinion publique ont pu suffire à empêcher des transactions (notamment celle concernant les ports).

b) L’Australie

Un débat est actuellement en cours en Australie sur les nombreuses opérations d’investissement envisagées par des sociétés d’Etat chinoises dans le secteur des matières premières. Les entreprises chinoises manifestent en effet un intérêt considérable pour les ressources minières australiennes, notamment en fer, et pour les projets d’infrastructure permettant le transport des matières premières jusqu’aux ports en vue de leur exportation.

Les investissements d’origine chinoise sont présents de manière significative en Australie depuis plusieurs décennies, mais ils s’effectuaient essentiellement sous forme d’alliances avec des opérateurs australiens (joint ventures). Les préoccupations actuelles sont liées au caractère plus « agressif » des projets d’investissement actuellement présentés, et sur la difficulté de concilier le maintien de bonnes relations avec la Chine, qui est l’un des principaux partenaires économiques de l’Australie, et le souci de conserver un certain contrôle sur les ressources naturelles du pays.

En Australie, les projets d’investissement étrangers « significatifs » doivent être obligatoirement notifiés au Foreign Investment Review Board (FIRB) ; il s’agit notamment de tous les projets présentés par des gouvernements étrangers ou par leurs « agences » (entreprises d’Etat, fonds souverains…). Le FIRB a un rôle consultatif, et les projets sont considérés comme approuvés à moins que le ministre des finances n’annonce leur rejet dans un délai de 30 jours suivant leur présentation au FIRB, ou n’impose certaines conditions préalables à leur réalisation.

Le régime d’examen des investissements étrangers est basé sur une loi de 1975, le Foreign Acquisitions and Takeover Act. Le 17 février 2008, le gouvernement australien a publié une liste de six « lignes directrices » (guidelines) destinées à « améliorer la transparence sur le régime d’examen des investissements étrangers en Australie ». Or ces lignes directrices, tout en réaffirmant que l’Australie accueille en principe favorablement l’investissement étranger, prévoient notamment que le FIRB doit examiner

- si les opérations de l’investisseur potentiel « sont indépendantes du gouvernement étranger » du pays dont l’investisseur est originaire,

- dans quelle mesure cet investisseur a des objectifs clairement commerciaux et se conforme aux pratiques de bonne gouvernance ; il est explicitement précisé que « dans le cas d’un fonds souverain, le gouvernement considère également la politique d’investissement du fonds et la façon dont il se propose d’exercer son droit de vote au sein d’entreprises australiennes ».

- si un investissement est susceptible de fausser la concurrence dans les secteurs ou l’industrie concernés,

- et si un investissement est susceptible d’avoir « un impact sur la sécurité nationale de l’Australie », y compris sur ses intérêts stratégiques.

c) La Russie

Au début du mois d’avril 2008, la Douma a adopté une loi sur les investissements étrangers concernant pas moins de 42 secteurs économiques considérés comme stratégiques.

Cette loi prévoit que toute entreprise étrangère privée désirant acquérir plus de 50 %, et toute entreprise étrangère publique souhaitant acquérir plus de 25 %, d’une société russe dans l’un de ces secteurs devra obtenir une autorisation spéciale auprès d’une commission présidée par le Premier ministre.

Passés de trente-trois à quarante-deux au fil de l’élaboration de la loi, les secteurs stratégiques comprennent le nucléaire, l’armement, l’aéronautique, l’espace, la prospection géologique des ressources naturelles, l’extraction dans les gisements d’importance fédérale(14), la pêche, l’édition, les médias à grand tirage, les grands opérateurs de télécommunication…

2) De tels dispositifs existent également en Europe : les exemples britannique, français et allemand

a) Royaume-Uni : une législation formulée dans des termes peu précis, jamais appliquée mais dissuasive

Comme l’a souligné la mission d’information du Sénat sur les centres de décision économique(15), le Royaume-Uni se distingue par le peu d’importance qu’il accorde à l’origine nationale des acteurs susceptible de racheter des entreprises. A ce titre, le rachat de British Airport Authority par le groupe espagnol Ferrovial (avec le soutien, notamment, du fonds souverain GIC de Singapour) contraste avec l’échec de l’opération de Dubaï Ports World sur les ports américains. Les possibilités que gardent le gouvernement britannique d’intervenir lors d’un investissement étranger sont en principe limitées à quelques secteurs : la défense, la presse, la distribution d’eau, cette liste pouvant toutefois être élargie. L’Enterprise Act de 2002 apparaît globalement comme un texte libéral visant à dépolitiser le contrôle des concentrations.

Le gouvernement britannique conserve néanmoins un certain nombre de prérogatives pouvant faire obstacle à des prises de contrôle ("public interest cases" et "special public interest cases"). L’Enterprise Act dispose que le ministre de l’Industrie peut intervenir par voie d’ordonnances motivées par des considérations « d’intérêt public ». Le ministre est libre de retenir toute définition de l’intérêt public, dans le respect des règles communautaires. L’ordonnance doit être validée « au plus tôt » par le Parlement (dans un délai de 24 semaines). La Commission de la Concurrence (Competition Commission) ne peut tenir compte de la considération d’intérêt public que si elle a été validée par le Parlement.

Depuis l’entrée en vigueur de l’Enterprise Act, le mécanisme des ordonnances n’a jamais été mis en oeuvre mais il a été envisagé dans l’affaire Centrica/Gazprom. Lorsque des rumeurs d’une offre de Gazprom sur Centrica (le groupe dont fait partie British Gas) ont circulé, le ministre de l’Industrie a en effet fait part de son intention d’« examiner minutieusement » le dossier (« robust scrutiny ») et a envisagé l’adoption d’une ordonnance lui permettant de contrôler l’opération. On peut estimer que c’est cette possibilité du recours aux ordonnances qui a dissuadé Gazprom de persister dans sa démarche.

b) France : le décret du 30 décembre 2005

Le décret sur les secteurs stratégiques(16) prévoit que les investisseurs étrangers voulant prendre le contrôle ou acquérir une minorité de blocage de 33,33 % dans des sociétés de 11 secteurs d’activité considérés comme sensibles doivent solliciter au préalable une autorisation auprès des autorités françaises.

Les onze secteurs concernés sont : les jeux d’argent (au nom du risque de blanchiment d’argent) ; la sécurité privée ; la recherche ou le développement de moyens destinés à faire face à l’utilisation illicite, dans le cadre d’activités terroristes, d’agents pathogènes (biotechnologies : production d’antidotes) ; les matériels conçus pour l’interception des correspondances et des conversations ; les services d’évaluation et de certification de la sécurité des systèmes informatiques ; les activités de production de biens ou de services dans le domaine de la sécurité des systèmes informatiques ; les technologies à double usage(17) ; la cryptologie ; les activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale ; les activités de recherche, de production ou de commerce d’armes ; et les activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipements au profit du ministère de la Défense, directement ou en sous-traitance.

La Commission européenne a engagé en avril 2006 une procédure d’infraction contre ce texte, l’estimant incompatible avec la liberté de circulation des capitaux dans l’UE et la liberté d’établissement. Tout en reconnaissant la validité des objectifs de sécurité publique et de défense, la Commission se déclarait préoccupée par le fait que la procédure d’autorisation prévue par ce décret soit disproportionnée pour la réalisation de ces objectifs. La Commission a adressé le 12 octobre 2006 à la France un « avis motivé » contre ce décret, auquel le gouvernement a répondu le 11 décembre 2006. La France a fait valoir que, s’agissant des entreprises dont une part marginale du chiffre d'affaires est réalisée dans des activités sensibles, le décret prévoit un examen de la branche stratégique visée et non de l'ensemble de l'entreprise. En outre, le gouvernement peut examiner une prise de contrôle sans bloquer l'investissement, en demandant à l'investisseur des engagements limités au seul établissement concerné.

Si une saisine de la CJCE reste possible – puisque le cas n’est pas formellement clos – la procédure semble toutefois « gelée » depuis lors.

c) Allemagne : vers un dispositif de protection allant bien au-dela du secteur de la défense ?

En Allemagne, depuis un amendement de 2004 à la loi sur le commerce extérieur, toute transaction touchant plus de 25 % du capital d’une entreprise travaillant pour la défense (entreprises domiciliées en Allemagne qui fabriquent ou développent des armes de guerre, des armements ou des systèmes de cryptage) doit être déclarée au ministère fédéral de l’économie. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour interdire l’acquisition, dans le cas où il s’agit de préserver les « intérêts de sécurité majeurs de la République fédérale d’Allemagne ».

Ce dispositif législatif qui concernait jusqu’alors strictement le secteur de la défense pourrait bien être considérablement élargi à l’issue des travaux actuellement en cours en Allemagne.

(1) Un projet de loi au contenu encore incertain

Au cours de l’été 2007, le président de la Deutsche Bank s’est ému du nouveau « capitalisme d’Etat » des fonds souverains. Cette inquiétude a été relayée notamment par le ministre-président du Land de Hesse, M. Roland Koch, puis par la Chancelière, Mme Angela Merkel. Au cours d’une conférence de presse en juillet 2007, Mme Merkel a souligné l’ampleur nouvelle du phénomène des fonds souverains. Puis le gouvernement fédéral a annoncé la préparation d’un projet de loi élargissant et complétant le dispositif de protection existant.

Des représentants des milieux économiques et financiers ont exprimé une certaine méfiance à l’égard de ce projet. Les interlocuteurs rencontrés à Berlin par le rapporteur en avril (Fédération de l’industrie allemande, Association des banques allemandes) ont ainsi exprimé des positions de principe très libérales. Par ailleurs, M. Badir Al Saad, président du fonds souverain du Koweït (KIA), a dès l’annonce de la préparation du projet de loi menacé de revoir ses investissements en Allemagne, où le fonds détient notamment 7 % du capital du constructeur automobile Daimler, ce qui peut poser ainsi le problème du risque de désinvestissement.

Initialement prévue pour la fin de l’année 2007, puis pour mars 2008, la version définitive du texte n’a pas encore été adoptée par le Gouvernement. La date de son examen par le Parlement n’est pas non plus arrêtée. La répartition des ministères entre le SPD et la CDU/CSU, du fait de la « Grande coalition » au pouvoir, a rendu très difficile l’élaboration d’un compromis entre les différents ministères concernés.

Quel que soit le résultat final de ces travaux, il est d’ores et déjà acquis que le nouveau dispositif ne visera pas seulement les fonds souverains : alors que le projet était initialement présenté comme un dispositif de protection des entreprises stratégiques allemandes contre les fonds souverains, tous les investisseurs seront concernés par le dispositif. Les efforts de définition des secteurs « stratégiques » ont été abandonnés, au profit d’une approche au cas par cas. Les dispositions existantes dans le secteur de la défense pourraient ainsi se trouver élargies à l’ensemble des investissements dans la mesure où ils porteraient atteinte à « l’ordre et la sécurité publics », tels que définis par l’article 
58 paragraphe 1 du traité CE et la jurisprudence s’y rattachant.

L’exposé des motifs joint au projet (dans sa version de fin 2007) précisait que ce champ peut notamment inclure, en cas de crise, les problématiques de sécurisation des approvisionnements énergétiques, de sécurité des moyens de télécommunication, de fourniture d’électricité, ainsi que certains services publics « stratégiques ». Cette liste n’est pas exhaustive, et les notions d’ordre et de sécurité publics n’apparaissent donc pas comme clairement définies en l’état actuel du projet. Le gouvernement espère ne pas avoir recours à ce dispositif : il s’agit simplement de se doter d’un cadre juridique permettant d’intervenir le cas échéant.

Le nouveau dispositif serait fondé sur un système de déclaration facultative, par les investisseurs étrangers, des projets de prises de participation supérieures à 25 % dans le capital d’une société allemande. Le gouvernement émettrait alors un avis dans un délai de trente jours. Dans l’hypothèse où l’investisseur n’aurait pas procédé à déclaration, et après l’acquisition effective de la participation, le gouvernement pourrait poser un certain nombre de questions, pendant une durée maximale de trois mois, et, le cas échéant, autoriser, annuler ou mettre des conditions à l’opération (une durée de trois ans avait été proposée initialement par la CDU).

La version du projet de loi présentée au rapporteur lors de son déplacement à Berlin prévoyait la mise en place d’un comité d’examen des participations étrangères, composé de représentants de quatre ministères (économie, finances, intérieur et affaires étrangères), et auquel pourraient être invités aussi, au cas par cas, des ministères techniques ou le ministère du travail. La question de la composition exacte de cet organe (ou de son remplacement par un examen des dossiers en Conseil des ministres) n’est à ce jour pas tranchée, pas plus que la question de la compatibilité du futur dispositif avec les règles dont la Commission européenne assure le respect.

(2) La définition des investisseurs étrangers visés pourrait soulever des difficultés avec les autorités communautaires

Les autorités allemandes, après une première discussion informelle avec les services de la Commission, ont décidé d’exclure du champ de la loi les sociétés localisées dans l’Union européenne. En revanche, le projet considère comme investisseur étranger les entreprises allemandes ou européennes dont au moins 25 % du capital est détenu par un investisseur d’un pays tiers hors UE, ce qui risque de poser problème.

Les investisseurs étrangers localisés dans l’Union européenne avec des capitaux majoritairement européens ne seront en principe pas concernés par le futur dispositif. Les investisseurs étrangers localisés dans un pays tiers hors UE seront, eux, automatiquement concernés par la loi. Le problème est lié au troisième et dernier cas de figure, celui de l’investisseur étranger localisé dans l’UE mais détenu à plus de 25 % par une société d’un pays non membre de l’UE. Selon la version du projet de loi présentée au rapporteur au mois d’avril 2008, ces investisseurs devraient être soumis au dispositif, alors qu’il s’agit pourtant de sociétés européennes au regard du droit communautaire.

B. La nécessité d’une réglementation commune au sein de l’Union européenne

1) Aujourd’hui la question de la compatibilité des « filets de protection » avec les règles européennes et internationales reste posée

Comme le montre le graphique suivant, établi par l’OCDE, les dispositifs législatifs de contrôle des investissements en vigueur dans les Etats européens ont une portée limitée puisqu’ils n’empêchent pas ceux-ci de se classer parmi les pays les plus largement ouverts aux investissements étrangers(18).

Cet indice calculé par l’OCDE mesure les discriminations à l’encontre des investissements étrangers, sur la base de l’analyse des règlementations en vigueur en 2007 dans neuf secteurs économiques (télécommunications, transports, banques et assurances, électricité, construction…) dans les pays de l’OCDE et dans plusieurs pays hors OCDE (Russie, Chine…). Un indice de zéro correspond à une ouverture complète aux investissements étrangers ; un indice de 1 signifie une fermeture totale aux investissements étrangers.

Cette position favorable des Etats de l’Union européenne est liée aux nombreux engagements internationaux auxquels ils ont adhéré en matière de liberté d’investissement, et tout particulièrement aux exigences du droit communautaire. C’est notamment le cas de la France.

L’ouverture de la France et de ses 26 partenaires européens au commerce international, leur adhésion aux principes du libre-échange, aux règles de l’OMC et de l’OCDE, et l’intégration dans l’Union européenne encadrent les marges de manoeuvre des Etats pour mettre en place des mesures de protection des entreprises résidentes dans l'Union européenne. Comme l’a relevé le rapport du Sénat sur les centres de décision économique, ces limites tiennent autant aux traités (accords conclus sous l’égide de l’OMC, libertés fondamentales prévues dans le traité de Rome), et au droit dérivé communautaire, qu’à l’essor d’un « droit mou » (« soft law ») constitué de lignes directrices, principes, recommandations, avancées jurisprudentielles, codes de conduite et « examens par les pairs » (l’OCDE est ainsi dénuée de pouvoir normatif stricto sensu).

En adhérant aux instruments existants de l’OCDE sur les investissements, les membres de l’OCDE et les autres Etats adhérents se sont engagés à respecter des règles de transparence, de non-discrimination et d’ouverture aux investissements(19).

Mais c’est au niveau du droit communautaire que se trouvent les principaux obstacles juridiques à une politique active de promotion des entreprises ou de défense du tissu économique. En effet, les principes de l’OCDE sont dépourvus de sanction, et semblent d’ailleurs pouvoir être interprétés plus souplement que les principes communautaires puisque, s’agissant du projet de loi allemand précité, M. Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, l’a considéré comme un « signal positif ». L’OCDE s’oppose au protectionnisme à l’égard des fonds souverains, mais estime que le projet de Berlin trouve le « juste équilibre » entre contrôle des investissements dans les secteurs stratégiques et ouverture des marchés de l’investissement.

Or le droit communautaire, axé sur la promotion et la protection de la concurrence, est en la matière essentiellement dépendant de l’interprétation de la Cour de justice.

Ainsi, dans sa communication de février 2008 sur les fonds souverains, la Commission européenne renvoie implicitement aux Etats membres la responsabilité de l’interprétation de l’article 58.1 du traité qui stipule que l’article 56 (interdiction de restreindre la liberté de circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers) ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres de « prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique ». Mais les Etats se trouvent placés, dans l’exercice de leur droit d’interprétation, dans une certaine insécurité juridique puisque de manière ultime c’est le cas échéant la Cour de justice qui est amenée à valider leurs interprétations.

Or, si la jurisprudence de la Cour permet aux Etats membres d’avoir recours à la notion de « motif impérieux d’intérêt général » pour restreindre les mouvements de capitaux, la Cour procède à un contrôle de cette notion et a pour le moment rejeté les recours des Etats membres sur ce fondement(20). Enfin, quand bien même le motif d’intérêt général serait reconnu, la mesure de restriction n’est valable que si elle n’est pas appliquée de manière discriminatoire, si elle respecte le principe de proportionnalité et si d’autres procédures moins contraignantes ne permettent pas d’arriver au même résultat.

2) Il paraît indispensable que l’Union européenne définisse un cadre commun

A l’heure actuelle, les différents Etats membres créent ou modifient leurs dispositifs législatifs nationaux en ordre dispersé, en encourant toujours le risque de se voir sanctionnés dans le cadre de la politique communautaire de la concurrence. Comme on l’a vu, même des Etats se déclarant partisans de la plus complète libre circulation des capitaux, comme le Royaume-Uni, ont des instruments législatifs – ayant certes vocation à n’être que rarement, voire jamais, utilisés en pratique. Mais ne faudrait-il pas pousser plus loin que la Commission ne le fait la réflexion sur la façon d’éviter la fragmentation règlementaire de l’espace économique européen ?

Mme Pervenche Berès, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, a ainsi adressé à la Commission européenne une question écrite, au nom de la commission qu’elle préside, pour susciter une réflexion et un débat sur une éventuelle coordination européenne des initiatives nationales et sur l’opportunité d’envisager une clarification des termes de l’article 58 du traité CE. Cette question pourrait faire l’objet prochainement d’un débat au Parlement européen en séance plénière.

L’Union européenne attire chaque année des flux considérables d’investissements directs étrangers(21), et dans l’intérêt même des investisseurs de pays tiers, pour renforcer leur sécurité juridique en rendant les règles applicables plus prévisibles et plus claires, il serait souhaitable qu’une démarche volontariste au niveau européen accompagne les règlementations nationales, au moins en posant des principes que les Etats membres seraient libres de décliner ensuite dans leurs droits nationaux.

Le maintien du recours à des règles peu claires, variables d’un Etat de l’UE à l’autre, et susceptibles d’être modifiées ou suspendues à une éventuelle intervention de la Cour de justice, peut justifier les accusations de protectionnisme, d’instabilité juridique, et surtout la tentation, pour les investisseurs de pays tiers (parmi lesquels les fonds souverains), de diriger leur attention vers d’autres régions du monde, voire même de retirer leurs capitaux déjà placés en Europe et dont l’économie européenne a absolument besoin.

Sans mettre nécessairement l’ensemble du droit communautaire de la concurrence au banc des accusés, il conviendrait, en matière d’investissements, de renverser la perspective. Comme le demandait M. Hubert Védrine dans son rapport précité de septembre 2007, « il faut absolument de la légitimité de certaines protections soit clairement admise et revendiquée, et non pas seulement tolérée avec gêne et pratiquée en catimini (…) En ce qui concerne les protections (…), l’Union devrait jouer un rôle plus important. Elle doit pour cela : en accepter le principe ; faire de la réciprocité un principe (…) », et « élaborer à son niveau (…) des règles communes ». M. Védrine vise deux catégories de protections, des protections contre les pratiques commerciales ou capitalistes déloyales, et la détermination de secteurs dits « stratégiques ».

M. Laurent Cohen-Tanugi, dans son rapport sur « L’Europe dans la mondialisation » d’avril 2008, va même plus loin : estimant que l’approche limitée retenue par la Commission européenne sur les fonds souverains n’apparaît pas à la hauteur des enjeux, il recommande la mise en place d’un règlement communautaire spécifique, se substituant aux dispositifs nationaux similaires.

Même s’il est difficile pour les 27 Etats membres de s’accorder sur une liste unique et exhaustive de secteurs stratégiques, tant les circonstances et les sensibilités nationales divergent sur ce concept, il paraît malgré tout indispensable d’élargir, bien au-delà des seuls critères de l’ordre public et de la sécurité publique, la définition des hypothèses dans lesquelles une prise de participation pourrait donner lieu à contrôle. Ce pourrait être le cas dans les domaines de l’énergie, de la distribution d’eau et de certaines technologies.

La présidence française de l’Union devrait être l’occasion d’ouvrir ce débat auquel beaucoup de nos partenaires paraissent très sensibles, et donc de proposer un minimum de règles ou de cadres communs à l’échelle de l’Union.

IV. LE RÔLE POTENTIEL DES FONDS SOUVERAINS COMME INVESTISSEURS DE LONG TERME EXIGE QUE L’UNION EUROPÉENNE SE DONNE ELLE-MEME LES MOYENS DE CANALISER ET D’ORIENTER DES RESSOURCES SUR CETTE CATEGORIE D’INVESTISSEMENTS

La libération des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux a, sans nul doute, fortement contribué à la croissance de l’économie et à l’émergence de nouvelles puissances. Mais on ne saurait pour autant négliger le rôle déterminant des investissements structurants portant notamment sur le développement des nouvelles technologies et sur les grandes infrastructures. C’est toute la question des investissements de long terme dans des secteurs essentiels où la seule logique du marché et des opérateurs et investisseurs de droit commun trouve rapidement ses limites, compte tenu de l’importance des financements à mettre en œuvre et de l’absence de rentabilité immédiate.

On le voit, par exemple, dans les grandes technologies du futur où l’engagement des financements publics est déterminant. C’est ce qui s’est produit pour le projet mondial de fusion nucléaire ITER. C’est ce qui se produit également en ce qui concerne l’espace. Le projet Galileo a bien fait ressortir la nécessité de relayer les financements privés initialement prévus par des financements publics. Les projets à venir devront vraisemblablement concilier l’indépendance de l’accès à l’espace et la capacité d’assumer le « ticket d’entrée » pour être partie prenante dans les coopérations internationales.

On le voit également sur les grands équipements d’infrastructure – notamment de transport – qui exigent généralement des procédures de financement très spécifiques et s’inscrivant dans la durée.

Jusqu’ici, les fonds souverains n’avaient pas marqué un intérêt très affirmé pour ce type d’investissements. Toutefois, dans la période récente, l’un des fonds souverains de Dubaï s’est fortement impliqué dans le secteur des grandes liaisons maritimes et des ports. On a évoqué plus haut la tentative de prise de contrôle de certains ports américains ; on pourrait également souligner l’implication de plus en plus marquée de ces fonds souverains dans la mer Rouge, et notamment à Djibouti, ainsi que leur intérêt pour certains projets de franchissement de la péninsule malaise.

On notera aussi que, s’agissant du développement des pays les plus pauvres, certaines initiatives s’adressent directement aux responsables des fonds souverains. C’est ainsi que le président de la Banque mondiale, M. Robert Zoellick, a lancé en avril 2008 une initiative très intéressante : il a appelé l’ensemble des fonds souverains à participer, à hauteur de 1 % de leurs actifs, à une initiative de la Banque destinée à encourager les investissements de long terme en Afrique et au Moyen-Orient. M. Robert- Zoellick n’en appelle pas du tout à la générosité des dirigeants de fonds souverains comme il le ferait pour obtenir des dons ou une aide d’urgence, mais bien à leur stratégie de recherche d’investissements qui ne peuvent être rentables que sur le long terme, tout en faisant valoir qu’une telle participation, tout en étant peu coûteuse pour les fonds, leur serait extrêmement bénéfique en termes d’image.

On peut penser que, compte tenu de l’ampleur de leurs ressources, les fonds souverains, qui sont par nature des investisseurs, s’engageront à terme sur ces différents défis. Le problème ne sera plus alors de maîtriser leurs investissements éventuels dans les entreprises ou les établissements financiers qui nous paraissent les plus sensibles, mais d’être capables de s’impliquer comme eux, ou à côté d’eux dans le cadre de partenariats, sur les principaux enjeux du futur.

Il paraît donc important que les pays de l’Union européenne et l’Union elle-même se posent la question de leur capacité de mobiliser et d’orienter des ressources stables vers ce type d’investissements.

Certains instruments existent déjà.

C’est bien sûr le cas du budget de l’Union européenne, mais l’on connaît aujourd’hui la difficulté qu’il y a à faire progresser ce budget.

C’est le cas également de la Banque européenne d’investissement (BEI), dont les engagements, souvent méconnus, sont très significatifs mais orientés en priorité vers les pays nouvellement membres de l’Union.

Certains instruments nationaux qui jouent déjà le rôle d’investisseurs de long terme pourraient rechercher une certaine cohérence dans leurs interventions autour de véritables projets européens. C’est le cas de la Caisse des dépôts française, de la KfW allemande et de la Cassa dei Depositi italienne.

Une autre voie pourrait être la mise en place à l’échelle de l’Union de nouveaux instruments de collecte, soit à travers des fonds de pension européens, soit à travers des formes européennes de participation.

Il serait, à notre sens, utile que les Etats de l’Union ou l’Union elle-même engagent une réflexion sur ces différentes possibilités. La difficulté de mobiliser massivement des ressources stables pourrait en effet devenir dans le futur un frein considérable au développement et à l’influence de l’Europe.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s’est réunie le mardi 17 juin 2008, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

M. Christophe Caresche a rappelé que la hausse du prix du pétrole accroîtrait dans un futur proche la capacité d’intervention des fonds souverains des pays producteurs, pays du Golfe et Russie notamment. S’agissant de la Russie, il ne faut pas oublier la tentative récente d’investissement de capitaux venant de cet Etat dans EADS. Quelle est la situation actuelle ?

En réponse, le rapporteur a indiqué que la Russie avait constitué deux entités. D’une part, le fonds de réserve intervient dans un cadre national pour limiter les effets de la variation des prix du pétrole et du gaz. D’autre part, le fonds destiné à des investissements internationaux est pour l’instant doté de 30 milliards de dollars. Il y a eu peu d’investissements extérieurs car la question est actuellement en débat. L’orientation de l’actuel Premier ministre, M. Vladimir Poutine, serait plutôt en faveur d’investissements à l’intérieur des frontières. Par ailleurs, certains fonds souverains ne sont pas liés aux matières premières mais plutôt au développement de l’activité économique. Tel est le cas de la Chine et de l’Inde. Le deuxième fonds à l’échelle mondiale est actuellement celui de Singapour, en raison de la puissance commerciale de cet Etat.

M. Daniel Fasquelle a considéré que la liberté de circulation des capitaux était certes une liberté fondamentale de l’Union à l’origine de la construction européenne et que l’on pouvait légitimement souhaiter que celle-ci s’étende au reste du monde, mais qu’il convenait également que l’Europe s’organise afin de se protéger. Il lui est nécessaire d’attirer les capitaux extérieurs mais le cadre communautaire actuel est insuffisant, la compétition entre les Etats membres étant vive, notamment en matière fiscale. L’Irlande a montré comment un Etat membre pouvait tirer partie des aides communautaires tout en développant son activité économique avec une fiscalité très attractive pour les sociétés. La situation exige donc un renforcement des règles européennes.

Le rapporteur a rappelé que la libre circulation des capitaux n’était pas en cause et qu’il convenait de rester attractif pour les fonds souverains tout en fixant un certain nombre de règles. Le rejet du traité de Lisbonne par référendum en Irlande montre que l’harmonisation de la fiscalité des sociétés est un objectif d’autant plus difficile à atteindre. Cet Etat est, avec le Royaume-Uni notamment, très réticent à une telle coordination.

S’agissant de la protection des Etats membres par rapport aux investissements internationaux, il faut prévoir un filet de sécurité minimum utilisable dans les cas extrêmes. L’expérience montre que les dispositifs en place aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sont peu ou pas utilisés. S’agissant de la France, le texte de 2005 n’a pas encore été appliqué sur un cas concret et le Gouvernement vient de montrer, avec les Chantiers de l’Atlantique, que la prise de participation constituait également une réponse lorsqu’une entreprise est menacée. Il serait bon d’aller au niveau européen au-delà du seul cadre prévu par les traités qui est celui des risques pour l’ordre public ou des atteintes pour la sécurité.

Dans une perspective plus large, la question de fond est celle de la capacité de l’Europe à rassembler et à mobiliser des ressources pour rester présente dans les grands projets de coopération à l’échelle mondiale, tels ITER, et à disposer des financements adéquats permettant d’assurer son accès à l’espace. Il convient également que l’Europe ne délaisse pas le secteur des infrastructures. Dubaï a par exemple fait une tentative pour prendre le contrôle du port de New-York, a investi à Djibouti et a également des projets d’investissement en Extrême Orient. L’Europe se trouve en définitive face à un véritable défi, lequel est d’autant plus important qu’elle ne doit pas non plus méconnaître l’objectif de la Banque mondiale, qui est d’essayer d’obtenir une implication des fonds souverains dans les pays en développement. L’Europe ne peut rester à l’écart de telles évolutions et de tels enjeux pour le futur.

Le Président Pierre Lequiller a insisté sur la dualité des fonds souverains, qui jouent un rôle important dans les mouvements de capitaux mais présentent également un risque pour les industries et équipements stratégiques.

Sur proposition du rapporteur, la Délégation a ensuite adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre blanc sur l’amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d’investissement du 15 novembre 2006 (COM [2006] 686 final/E 3328),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Approche européenne commune en matière de fonds souverains » (COM [2008] 115 final),

Vu les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008,
Considérant que les fonds souverains se sont développés dans le cadre de la libération mondiale des mouvements de capitaux, où ils ne sont pour le moment que des acteurs parmi d’autres, mais que la progression exponentielle de leurs ressources, liée au basculement de l’économie mondiale vers l’Asie (Moyen et Extrême Orient), et les incertitudes pesant sur leur gouvernance et sur leurs finalités risquent de faire évoluer profondément les rapports de force à l’échelle mondiale,

Considérant, d’autre part, que les différentes études et propositions faites à ce jour, notamment au sein des organisations internationales, relèvent plus de l’analyse que de la recherche de solutions,

1. Constate que les fonds souverains jouent un rôle très positif dans le « recyclage des capitaux » au niveau mondial, comme cela peut se vérifier depuis le début de l’actuelle crise financière, mais qu’un renforcement de leur transparence est hautement souhaitable ;


2. Appelle en conséquence les Etats membres et la Commission européenne, comme les y invitent les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, à apporter une contribution commune aux travaux de réflexion menés dans le cadre du FMI sur l’élaboration d’un code de bonnes pratiques s’adressant aux fonds souverains ;

3. Souligne toutefois les limites inhérentes à ces travaux, dont le résultat sera par définition dépourvu de sanctions ;

4. Juge positif que les pays d’origine des fonds souverains consacrent une part importante de leurs ressources au développement local, tout en souhaitant que ces investissements soient ouverts aux autres partenaires internationaux ;

5. Juge indispensable, dans l’hypothèse où ces fonds souverains investissent dans les pays de l’Union européenne, que l’Union prenne elle-même la responsabilité de définir un cadre lui permettant, ou permettant aux Etats membres, de réagir face à des investissements qui toucheraient des entreprises ou des secteurs stratégiques ou particulièrement sensibles, venant ainsi compléter des règlementations nationales dont la compatibilité avec les règles européennes de concurrence reste incertaine ;

6. Attire l’attention, compte tenu de l’intérêt que les fonds souverains commencent à porter aux investissements stratégiques de long terme (tels que : énergie, espace, grandes infrastructures de transport à l’échelle mondiale), sur l’intérêt que l’Union européenne aurait à créer des instruments lui permettant de canaliser et d’orienter des ressources significatives vers ces investissements, dans le cadre desquels il lui revient d’être acteur ou partenaire ;

7. Souhaite enfin que les Etats membres et l’Union européenne elle-même soutiennent l’initiative lancée par la Banque mondiale et son président pour associer les fonds souverains à des projets d’investissement dans les pays en développement.

ANNEXE :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

A Paris :

- M. Benoît de la CHAPELLE, directeur adjoint de cabinet de Monsieur le Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes

- Mme Caroline ERVIN, directrice des affaires financières et des entreprises à l’OCDE, et M. Pierre PORET, chef de la division « Investissement »

- M. Augustin de ROMANET, Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, M. Jean SEBEYRAN, Secrétaire général, M. Laurent VIGIER, directeur des affaires européennes et internationales, et MM. Arié FLACK et Christophe BOURDILLON, conseillers

A Bruxelles :

- Mme Pervenche BERES, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ;

- M. Servaas DEROOSE, directeur, Direction « Macroéconomie de la zone euro et de l’UE », et M. Moreno BERTOLDI, directeur, Direction « Affaires économiques des pays du G7 et questions multilatérales », Commission européenne (DG Affaires économiques et financières).

A Berlin :

- Son Exc. M. Bernard de MONTFERRAND, ambassadeur de France, et M. Jean-François BOITTIN, chef de la mission économique ;

- Mme Ursina KRUMPHOLZ, chef du bureau « Droit du commerce extérieur », Ministère de l’économie et de la technologie (BMWi) ;

- M. Heiko WILLEMS, chef du bureau « Politique économique extérieure » de la Fédération de l’industrie allemande (Bundesverband der Deutschen Industrie) ;

- M. Klaus Günter DEUTSCH et Dr. Bernhard SPEYER, directeur et chef du bureau « Banques et marchés financiers » de la Deutsche Bank Research, filiale de la Deutsche Bank ;

- M. Volker HOFMANN, directeur pour les affaires européennes et les relations internationales à l’Association des banques allemandes (Bundesverband Deutscher Banken) ;

- M. Harald LOB, directeur « Stratégie » de la KfW Bankengruppe (Kredit Anstalt für Wiederaufbau).

1 () Deutsche Bank Research, Sovereign Wealth Funds : State investments on the rise (10 septembre 2007).

2 () Avant-propos de l’ouvrage « Fonds souverains : à nouvelle crise, nouvelle solution ? » publié par le Cercle des économistes (avril 2008).

3 () 21 800 milliards de dollars en 2007 selon McKinsey et Morgan Stanley, 28 500 milliards de dollars selon l’institut britannique IFSL Research.

4 () Global Insight, Sovereign Wealth Fund Tracker, avril 2008.

5 () Joint Economic Committee, rapport de recherche n° 110-21, « Sovereign Wealth Funds », février 2008.

6 () C’est le cas par exemple du fonds de pension (public) Canadian Pension Plan Investment Board, qui gère environ 123 milliards de dollars d’actifs et qui cherche actuellement à développer ses investissements en Europe : lors de l’ouverture de son bureau de Londres, les dirigeants de ce fonds de pension ont indiqué qu’ils craignaient d’être confondus avec un fonds souverain alors que le fonctionnement du fonds canadien est transparent et entièrement basé sur des motivations strictement financières.

7 () La banque russe VTB (Vneshtorgbank) a pour actionnaire majoritaire le Gouvernement de la Fédération de Russie, à hauteur de 77,5 % ; on compte au nombre de ses investissements une participation de 5 % dans le capital du groupe EADS.

8 () M Hubert Védrine, rapport au Président de la République sur la France et la mondialisation, septembre 2007.

9 () Morgan Stanley Research, How Big Could Sovereign Wealth Funds Be by 2015 ?, mai 2007.

10 () Les tensions entre la Norvège et l’Islande se sont ensuite rapidement apaisées, car les banques centrales norvégienne, suédoise et danoise ont constitué un fonds d’urgence pour prêter une partie de leurs réserves à la banque centrale islandaise.

11 () Article de M. Knut Kjaer, Financial Times, 13 avril 2008.

12 () Voir ci-après, page 50.

13 () L’amendement dit « Exon-Florio », introduit en 1988 dans la loi « Omnibus Trade and Competitiveness Act », était à l’origine essentiellement destiné à protéger les entreprises américaines dans le contexte de la montée en puissance des groupes japonais.

14 () Dans ce secteur les seuils fixés sont encore plus restrictifs : respectivement 10 % pour les entreprises étrangères privées et 5 % pour les entreprises étrangères publiques.

15 () Rapport d’information de M. Christian Gaudin, sénateur, sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s’attachent, en ce domaine, à l’attractivité du territoire national (22 juin 2007).

16 () Décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l'étranger et portant application de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier.

17 () Ce secteur est susceptible d’inclure un grand nombre d’entreprises, puisque de nombreuses technologies peuvent avoir des usages tant civils que militaires.

18 () Ce classement établi sur la base des règles nationales en vigueur en 2007 ne prend par définition pas en compte l’impact de la nouvelle législation russe, ni celui du projet de loi en cours de préparation en Allemagne.

19 () Ces principes, énoncés dans le Code de l’OCDE sur la libération des mouvements de capitaux adopté en 1961 et la Déclaration de 1976 sur l’investissement international et les entreprises multinationales, sont notamment rappelés dans le rapport préliminaire d’avril 2008 du Comité de l’investissement : non-discrimination des investisseurs étrangers par rapport aux investisseurs nationaux ; publication la plus large des informations sur les restrictions en vigueur à l’investissement étranger ; suppression progressive de ces restrictions ; libération unilatérale des mouvements de capitaux.

20 () Cette notion a été ouverte par la jurisprudence de la CJCE notamment dans un arrêt du 1er juin 1999 (affaire « Klaus Konle contre République d’Autriche », C-302/97) et dans un arrêt du 7 septembre 2004 (affaire « Petri Manninen », C-319/02). Dans ces deux arrêts, la Cour a rejeté ce motif.

21 () En 2007 les investissements directs étrangers (IDE) vers l’UE en provenance du reste du monde (flux entrants) ont progressé de 89 % par rapport à 2006, passant de 169 milliards à 319 milliards, selon Eurostat.