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Ministère de la culture et de la communication

PROJET DE LOI PORTANT ABROGATION

DES CANAUX COMPENSATOIRES DE LA TELEVISION NUMERIQUE TERRESTRE

ETUDE D’IMPACT

Novembre 2011

1. ETAT DU DROIT / DIAGNOSTIC

1.1. L’extension de la couverture de la télévision numérique terrestre et l’extinction de la diffusion hertzienne terrestre analogique

Deux ans après le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT) en France, compte tenu de l’engouement des Français pour ce nouveau mode de réception des services de télévision1 et de l’ambition fixée par le Président de la République de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans le domaine du numérique en faisant bénéficier l’ensemble des Français de cette révolution technologique majeure, le législateur a adopté en 2007 une nouvelle réforme du cadre juridique audiovisuel.

Cette démarche s’est inscrite dans le contexte européen de migration des services de télévision d'un mode de diffusion analogique vers le mode numérique et a permis à la France de se mettre en phase avec ses partenaires européens. Le Conseil de l’Union européenne, dans ses conclusions en date du 1er décembre 2005, avait en effet invité les États membres à mener à terme, dans la mesure du possible, le passage au numérique avant 2012 et à publier avant 2006 leurs propositions en la matière2.

La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a ainsi organisé le basculement complet de la télévision terrestre traditionnelle ou analogique vers la télévision numérique à compter de mars 2008 pour être entièrement réalisé au 30 novembre 2011. Il s’agissait à la fois de favoriser l’extension de la couverture de la télévision numérique terrestre et d’organiser l’extinction anticipée de la diffusion analogique terrestre.

1.2. L’attribution d’une chaîne compensatoire aux services nationaux de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, les termes des autorisations de diffusion des trois opérateurs privés nationaux analogiques Canal +, TF1 et M6 (dites « chaînes historiques ») étaient fixés, respectivement, au 5 décembre 2010, au 29 février 2012 et au 15 avril 2012.

Ces durées étaient valables à la fois pour la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode analogique de leurs programmes, mais également pour celle de leur reprise intégrale et simultanée en mode numérique dans le cadre de la TNT. Le deuxième alinéa de l’article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dans sa version antérieure à la réforme de 2007, qui accordait à ces opérateurs un droit à reprise de leur programme en TNT, prévoyait que « cette autorisation est assimilée à l’autorisation initiale dont elle ne constitue qu’une extension ».

La loi du 5 mars 2007 a porté atteinte à ces durées respectives de trois manières différentes :

- de manière ponctuelle, dès l’entrée en vigueur de la loi, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) s’est vu habilité à retirer certaines fréquences analogiques dans des zones géographiques limitées3;

- de manière plus générale par régions entières à compter du 31 mars 2008, début du processus d’extinction généralisé de la diffusion analogique terrestre4 ;

- de manière complète au 30 novembre 2011, date d’extinction de la diffusion analogique5.

En anticipant le processus de transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique, le législateur a porté atteinte à des situations légalement acquises. C’est ce qu’avait considéré le Conseil d’État dans un avis n° 373.035 du 23 mai 2006. Appelé à éclairer le Gouvernement sur les questions juridiques délicates soulevées par l’organisation de l’extinction de la diffusion analogique terrestre, il a estimé que le mode de diffusion, analogique ou numérique, d’un service est un élément substantiel de ce service. Le Conseil d’État a qualifié l’autorisation d’émettre en mode analogique d’autorisation « créatrice de droits ».

Le législateur a tenu à compenser le préjudice subi par les opérateurs historiques du fait de la remise en cause avant terme de leurs autorisations en fixant lui-même plusieurs contreparties de nature non financière. Parmi celles-ci, il a prévu d’octroyer, sous certaines conditions, aux services nationaux de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique (TF1, Canal + et M6) un droit à diffuser une chaîne compensatoire hors la procédure de droit commun de l'appel à candidatures.

L’article 103 de la loi du 30 septembre 1986 précitée dispose ainsi : « A l’extinction complète de la diffusion par voie hertzienne en mode analogique d’un service national de télévision préalablement autorisé sur le fondement de l’article 30, le Conseil supérieur de l’audiovisuel accorde à l’éditeur de ce service qui lui en fait la demande, sous réserve du respect des articles 1er,3-1, 26 et 39 à 41-4, un droit d’usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d’un autre service de télévision à vocation nationale, à condition que ce service ne soit lancé qu’à compter du 30 novembre 2011 et qu’il remplisse les conditions et critères énoncés aux deuxième et troisième alinéas du III de l’article 30-1, souscrive à des obligations renforcées de soutien à la création en matière de diffusion et de production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d’expression originale française fixées par décret en Conseil d’État et soit édité par une personne morale distincte, contrôlée par cet éditeur au sens du 2° de l’article 41-3. ».

Corrélativement, la loi du 5 mars 2007 laissait à la charge des éditeurs visés les coûts induits par l’extinction anticipée et imposée de la diffusion hertzienne terrestre des chaînes analogiques. L’article 104 de la loi du 30 septembre 19866 exclut ainsi expressément tout autre droit à réparation que celui assuré par l'octroi des canaux compensatoires .

Le Conseil constitutionnel a jugé la loi conforme à la Constitution (décision n° 2007-550 DC du 27 février 2007). Il a relevé qu’en abrogeant avant leur terme les autorisations dont bénéficiaient les opérateurs historiques, le législateur portait atteinte à des situations légalement acquises, ce qui lui était loisible de faire à la condition qu’il n’en résulte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a relevé qu’en l’espèce le législateur avait souhaité indemniser le préjudice qui serait ainsi causé et que l’attribution d’une chaîne compensatoire n’était pas une compensation manifestement disproportionnée.

1.3. L’engagement par la Commission européenne d’une procédure en manquement

A la suite d'une plainte du 10 avril 2008, la Commission européenne a adressé à la France, le 24 novembre 2010, une mise en demeure aux termes de laquelle elle estime que le dispositif d'octroi de canaux compensatoires aux services nationaux de télévision diffusée par voie hertzienne terrestre en mode analogique n'est pas compatible avec les directives 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications (directive «concurrence ») et 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du

7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive « autorisation »).

Dans sa réponse en date du 24 février 2011, la France a contesté cette analyse en faisant valoir à titre principal que les directives communautaires composant le cadre réglementaire commun des réseaux et services de communications électroniques (ci-après « Paquet Télécom ») ne sont pas applicables aux procédures d'autorisation d'exploitation de la ressource radioélectrique délivrées aux chaînes de télévision et que, à tout le moins, le dispositif des canaux compensatoires répond à des préoccupations d’intérêt général qui permettent d’en écarter l’application.

La Commission européenne a néanmoins adressé à la France, le 29 septembre 2011, un avis motivé par lequel elle constate un manquement aux obligations découlant des directives « autorisation » et « concurrence ».

La Commission conteste en premier lieu que le dispositif de l'article 103 de la loi du 30 septembre 1986 s'inscrive dans la poursuite d'objectifs d'intérêt général permettant d’écarter l’application des directives du « Paquet Télécom ».

Elle estime ensuite que le régime d'attribution dérogatoire du droit commun des canaux compensatoires est discriminatoire et disproportionné au regard des objectifs fixés par les directives

en cause.

S'agissant du caractère discriminatoire de l'attribution de canaux compensatoires, la Commission considère que les autorités françaises n'ont pas démontré l'existence d'un préjudice subi par les chaînes historiques.

S'agissant du caractère disproportionné, la Commission estime que la France aurait dû réaliser une estimation financière du préjudice subi afin, notamment, d'envisager la mise en œuvre de mesures moins restrictives, « telles que par exemple une indemnisation des chaînes historiques selon le droit commun, à savoir l'octroi d'une indemnité financière pour le préjudice direct matériel et certain démontré résultant de la résiliation avant terme des autorisations ».

Enfin, la Commission relève que la France aurait dû vérifier si les avantages consentis aux chaînes historiques dans le cadre du passage au numérique (premières chaînes compensatoires par la loi du 1er août 2000 ; prorogation des autorisations par la loi du 5 mars 2007) ne réparaient pas déjà le préjudice en cause.

Pour toutes ces raisons, la Commission juge que le dispositif des canaux compensatoires méconnaît le droit communautaire. En application de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de

l'Union européenne, elle a invité la France à prendre les mesures requises pour se conformer à son avis motivé dans un délai de deux mois. A l’expiration de ce délai, la Commission peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

2. OBJECTIFS POURSUIVIS

2.1. Assurer la sécurité juridique des opérateurs et de l’État

La décision de la Commission d’engager une procédure en manquement a créé une situation d’incertitude juridique pour les opérateurs comme pour l’État. Le premier objectif poursuivi par le présent projet de loi est de réduire cette incertitude juridique liée au risque de contrariété au droit communautaire.

2.2. Permettre le succès du développement de la télévision numérique terrestre

Le second objectif poursuivi par ce projet de loi est de permettre à la télévision numérique terrestre de se développer avec succès. Une des conditions de ce succès est que la TNT dispose de toutes les fréquences nécessaires et que les opérateurs puissent envisager sereinement l’avenir du paysage audiovisuel.

C’est à l’aune de ces deux objectifs qu’ont été examinés les différents scénarios qui se présentaient au Gouvernement.

3. OPTIONS

3.1. L’absence d’intervention législative

Cette option revient à nouer le contentieux communautaire. Elle expose la France à des sanctions financières si la Cour de justice confirmait la contrariété au droit communautaire du dispositif des canaux compensatoires. Les opérateurs qui auraient obtenu leur chaîne compensatoire devraient alors la restituer. Ils pourraient chercher à engager la responsabilité de l’État. En effet, en attribuant les chaînes sur le fondement d’une loi inconventionnelle, l’État commettrait une faute. Les opérateurs pourraient demander à être indemnisés des sommes inutilement investies pour créer leur chaîne. Par ailleurs, la question de leur indemnisation au titre de l’extinction anticipée de la diffusion analogique se poserait de nouveau.

Cette option maximise le risque juridique et financier pour l’État. Elle a donc été écartée.

3.2. Le report de l’attribution des canaux compensatoires dans l’attente de la décision de la

Cour de justice de l’Union européenne

Ce scénario intermédiaire n’éteint pas le contentieux communautaire mais limite les effets négatifs d’une issue défavorable. Il permettrait de vider le différend devant la Cour de justice sans courir le risque financier d’avoir à retirer les chaînes après les avoir effectivement attribuées.

Il présente néanmoins deux inconvénients. D’une part, le report de l’attribution des canaux compensatoires pose la question d’une éventuelle atteinte aux droits des opérateurs. Les opérateurs pourraient estimer que la compensation consentie n’est plus proportionnée au préjudice qu’ils ont subi. D’autre part, différer l’attribution des canaux compensatoires soulèverait des interrogations sur l’utilisation des fréquences aujourd’hui disponibles.

Cette solution est donc insatisfaisante pour le développement de la télévision numérique terrestre car elle laisse une incertitude pour les acteurs sur de la télévision numérique terrestre. Au total, le scénario du report conduit donc à prolonger une situation d’incertitude et d’insécurité dont pâtiraient tous les acteurs du paysage audiovisuel.

3.3. L’abrogation des canaux compensatoires

Ce scénario est le seul qui met fin à la procédure en manquement. Il permet de lancer sans attendre l’attribution des nouveaux multiplexes de la TNT et d’enrichir à bref délai l’offre audiovisuelle.

Il n’est constitutionnellement envisageable qu’à la condition, soit de prévoir un nouveau mécanisme d’indemnisation, soit d’abroger la disposition interdisant tout droit à réparation. La première solution consisterait probablement à octroyer une indemnité financière. Il est difficile d’en déterminer a priori le montant. Il est plus sûr de laisser aux opérateurs le soin d’établir la réalité et la consistance des préjudices qu’ils peuvent avoir subi du fait de l’extinction anticipée de la diffusion analogique. Le législateur n’étant pas tenu de fixer lui-même la compensation des opérateurs, il a donc paru préférable d’ouvrir la possibilité d’engager la responsabilité du fait des lois et de laisser aux opérateurs le soin de préciser leurs prétentions en saisissant l’Etat d’une demande indemnitaire.

4. IMPACTS

Le premier effet du présent projet de loi sera de permettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'enrichir rapidement l'offre de services de la TNT et de favoriser le développement de la diffusion en haute définition, et cela en toute sécurité juridique.

Ce projet de loi ouvre également la possibilité pour les opérateurs historiques de demander une indemnité au titre du préjudice subi en raison de l’extinction anticipée de la diffusion analogique. La quantification du préjudice est un exercice délicat qui, suivant les règles applicables, impliquera que les opérateurs montrent le caractère spécial, anormal et certain du préjudice qu'ils estiment avoir subi. Il leur faudra en particulier distinguer les coûts résultant de la fin de la diffusion analogique et ceux résultant du caractère anticipé de celle-ci, seuls ces derniers ayant vocation à être indemnisés. Ne pourront être pris en compte que les préjudices qui sont directement causés par l’anticipation de l’extinction de la diffusion analogique. Enfin, il devra être tenu compte de la durée restant à courir de l’autorisation à laquelle il a été mis fin avant terme.

5. CONSULTATIONS ET MODALITES DE MISE EN OEUVRE

5.1. Consultations

Le projet de loi a été soumis à l’avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, conformément à l’article 9 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui prévoit que le Conseil est « consulté sur les projets de loi et d'actes réglementaires relatifs au secteur

de la communication audiovisuelle ».

5.2. Modalités d’application

Le projet de loi n’appelle aucune mesure d’application.

1 La TNT est le principal vecteur de réception de la télévision en France : 60,2 % des foyers français ont choisi la TNT comme mode de réception principale. Dans le cadre du passage à la diffusion numérique, la TNT est le principal moteur de la croissance des modes de réception numérique. (Source : CSA, Observatoire de l'équipement des foyers pour la réception de la TV numérique, 2nd semestre 2010 - 6ème vague d’étude).

2 Voir également la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 24 mai 2005, concernant l'accélération de la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique.

3 Article 98 de la loi du 30 septembre 1986 introduit par l’article 6 de la loi du 5 mars 2007: « Lorsque la ressource radioélectrique n’est pas suffisante pour permettre, dans certaines zones géographiques, la diffusion de l’ensemble des services de télévision préalablement autorisés par application des articles 26 et 30-1, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut retirer, dans des zones géographiques limitées et selon des modalités fixées par décret, la ressource radioélectrique en mode analogique assignée à un ou plusieurs services de télévision nationale préalablement autorisés, à la condition de leur accorder, sans interruption du service, le droit d’usage de la ressource radioélectrique en mode numérique permettant une couverture au moins équivalente. ».

4 4ème alinéa du nouvel article 99 de la loi du 30 septembre 1986 précitée.

5 1er alinéa de l'article 99 de la loi du 30 septembre 1986 précitée.

6 Article 104 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 : « La mise en œuvre des dispositions du présent titre n’est pas susceptible d’ouvrir droit à réparation. »


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