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le 20 février 2008


N° 577

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
relative aux
délocalisations fiscales,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. Gérard CHARASSE, Mme Chantal BERTHELOT, M. Paul GIACOBBI, Mme Annick GIRARDIN, M. Joël GIRAUD, Mmes Jeanny MARC, Dominique ORLIAC, Sylvia PINEL, Chantal ROBIN-RODRIGO et Christiane TAUBIRA,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2005, la direction de l’entreprise Colgate-Palmolive a annoncé la création d’une société « chapeautant » l’ensemble des usines européennes du groupe qui ont alors vocation à devenir des sous-traitants ou « centres de coûts » sans aucune vision sur leur avenir, sur les investissements et sur les profits de l’activité de l’entreprise. En France, le site de Compiègne de Colgate-Palmolive est concerné. Cette maison-mère ou « centre de profits » est installée à Genève et bénéficie de la fiscalité suisse beaucoup plus avantageuse. Alors que le taux de l’impôt sur les sociétés en France est de 33,33 %, il est de 6,44 % en Suisse (auquel s’ajoute une part cantonale, négociable).

Ce phénomène de délocalisation fiscale s’observe pour toutes les entreprises établies en France ou dans l’Union européenne et qui décident de concentrer les bénéfices là où l’impôt sur les sociétés est le plus faible. En Europe, il s’agit principalement de la Suisse, et dans l’Union européenne, du Luxembourg, de l’Irlande ou des Pays Bas.

En centralisant en Suisse les achats de matières premières pour les facturer ensuite aux filiales à un prix défini hors des contraintes concurrentielles, l’entreprise principale peut soustraire à ses filiales (« centres de coûts ») une part importante de la valeur ajoutée, c’est-à-dire de la base soumise à l’impôt. Hormis le manque à gagner fiscal pour les pouvoirs publics, cette démarche de transfer pricing s’accompagne d’une réduction des coûts de production visant les fonctions de direction principale et une partie des fonctions-support (comme l’informatique et l’administration générale).

Les sociétés et groupes industriels multinationaux des secteurs « détergents, cosmétiques et produits d’hygiène » illustrent particulièrement bien la contagion évoquée, non seulement Colgate-Palmolive, mais aussi Procter & Gamble, Unilever, Reckitt/Benkizer, Henkel. Le phénomène s’étend également à tous les acteurs industriels de la Supply Chain (« chaîne de valeur »), de l’achat des matières premières jusqu’aux distributeurs et à toutes les autres branches d’activité tant dans la métallurgie, les services, la logistique, l’électronique, l’alimentation, la grande distribution, etc.

En France, les groupes Unilever, Henkel et Colgate-Palmolive ont perdu entre 30 % et 50 % de leurs effectifs en personnel entre 1997 et 2006. Les annonces de plans sociaux se sont succédées après la mise en place de ces montages juridico-financiers. D’ailleurs, on en a dénombré trente en huit ans chez Henkel alors que la marge nette était doublée. Chez Colgate-Palmolive, la progression du chiffre d’affaires, des profits et des dividendes n’a pas évité les plans sociaux (4 400 postes supprimés dans le monde sur 4 ans pour un coût global de 660 millions de dollars) auto-financés par les économies d’impôts réalisées depuis 2005 (40 à 50 millions par an en France depuis 2005 qui représentent 180 à 200 millions en Europe soit 700 millions d’euros environ sur 4 ans). Tous ces groupes multinationaux annoncent, néanmoins, pour les années à venir vouloir réaliser des marges brutes d’environ 60 % et des marges nettes supérieures à 15 % ; ce qui signifie, notamment, économiser sur les taxes et les impôts ainsi que sur les plans sociaux. La direction de Colgate-Palmolive n’a jamais caché vouloir financer son développement avec les économies d’impôts ainsi réalisées.

Les risques liés à ces délocalisations fiscales sont multiples :

• Baisse des rentrées fiscales tant au niveau national que local. En 2002-2003, on estimait que 1 400 entreprises seraient concernées pour une perte fiscale estimée à 32 milliards d’euros fin 2008 pour l’État français. Or, aujourd’hui nous constatons que les estimations les plus pessimistes étaient malheureusement inférieures à la réalité de 2007. Nous apprenons que le canton de Zoug en Suisse compte à lui seul 23 000 entreprises pour 100900 habitants. Une organisation syndicale française du Trésor public estime la perte globale de ces évasions fiscales à 50 milliards d’euros par an.

À cet égard, à l’initiative de la Commission européenne, lors de la réunion du Comité mixte Communauté Européenne-Suisse du 15 décembre 2006, la comptabilité de certains régimes accordés par les cantons Suisse a été évoquée au regard des articles 23.1.iii et 27.3.a de l’accord de 1972, et les délocalisations fiscales ont fait l’objet d’une intervention au Conseil fédéral de Genève. Les actionnaires de tous ces groupes sont les seuls bénéficiaires de ces montages. Les citoyens suisses et français en sont donc les victimes.

• Réduction des instances représentatives du personnel et de leurs prérogatives ; limitation des périmètres d’expertise des CE et CCE.

• Réduction, voire disparition selon les entreprises, des revenus de la participation et de l’intéressement pour les salariés. 

L’optique du gouvernement actuel évoquant des allègements fiscaux et sociaux pour l’implantation d’entreprises qui « relocaliseraient » des emplois dans les zones économiques sinistrées de notre territoire national, est particulièrement défensive et régressive puisqu’il s’agirait d’entériner la perte pour l’État et les autres comptes publics des recettes fiscales et sociales. Alors que le Premier ministre a annoncé en octobre 2007 un déficit abyssal des comptes publics de la France et que nous constatons une recrudescence des plans sociaux financés par les contribuables sans aucune contrepartie, ni le moindre contrôle de l’État, et sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’évaluer les conséquences sur l’emploi et sur la fiscalité française de la stratégie de délocalisation fiscale du groupe Colgate-Palmolive et des autres groupes industriels concernés selon des procédures similaires, notamment le manque à gagner de l’État quant à l’impôt sur les sociétés et celui des collectivités territoriales où sont situés les sites industriels transformés en sous-traitants quant à la taxe professionnelle,

– d’apprécier le bien-fondé juridique de cette stratégie d’optimisation fiscale dès lors que la réalité économique de l’entreprise ne change pas et d’envisager de rendre obligatoire pour les entreprises le dépôt de dossiers de transfer pricing devant la Direction générale des impôts afin que cette dernière émette à chaque fois un avis et signe une convention avec l’entreprise concernée,

– de proposer les éléments d’une harmonisation fiscale à mettre en œuvre au niveau des pays européens, membres de l’Union Européenne ou partenaires de l’Union Européenne comme la Suisse,

– d’avancer des propositions afin que soit donnée la possibilité aux comités d’entreprises européens d’avoir recours à des experts juridiques, économiques et financiers,

– et d’avancer des propositions afin de permettre la mise en place d’une commission de contrôle informatique sur chaque site impliqué dans de telles procédures de transfer pricing, afin de savoir qu’elles sont les informations stockées et transmises, tout projet informatique devant être validé par le CCE et le comité d’entreprise européen.


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