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le 14 novembre 2008


N° 1167

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2008.

PROPOSITION DE LOI

visant à prévenir les abus en matière d’aide juridictionnelle,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Muriel MARLAND-MILITELLO, Nicole AMELINE, Martine AURILLAC, Brigitte BARÈGES, Patrick BEAUDOUIN, Marc BERNIER, Jean-Yves BONY, Françoise BRANGET, Patrice CALMÉJANE, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Dino CINIERI, Alain COUSIN, Gilles D’ETTORE, Patrice DEBRAY, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Bernard DEPIERRE, Michel DIEFENBACHER, Dominique DORD, Arlette FRANCO, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Georges GINESTA, Jacques GROSPERRIN, Arlette GROSSKOST, Pascale GRUNY, Francis HILLMEYER, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Paul JEANNETEAU, Patrick LABAUNE, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Yvan LACHAUD, Marc LE FUR, Michel LEJEUNE, Jean-Louis LÉONARD, Geneviève LEVY, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Alain MARC, Thierry MARIANI, Philippe Armand MARTIN, Jacques MASDEU-ARUS, Christian MÉNARD, Damien MESLOT, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Georges MOTHRON, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Michel RAISON, Éric RAOULT, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Jean-Marc ROUBAUD, Francis SAINT-LÉGER, Bruno SANDRAS, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Lionel TARDY, Guy TEISSIER, Jean-Sébastien VIALATTE et Michel VOISIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I) Le fondement

L’aide juridictionnelle permet aux citoyens dont les ressources sont les plus modestes de faire valoir leurs droits en justice. L’État prend alors en charge la totalité ou une partie des frais de la procédure ou transaction (honoraires d’avocat, rémunération d’huissier de justice, frais d’expertise…). Cette aide financière est versée aux professionnels de la justice (avocat, huissier de justice...) qui assistent les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.

Cette aide est valable devant toutes les juridictions judiciaires (tribunal d’instance, tribunal de grande instance, conseil de prud’hommes, tribunal de commerce, cour d’appel, Cour de cassation) ainsi que devant toutes les juridictions administratives (tribunal administratif, cour administrative d’appel, Conseil d’État).

Par ce dispositif le législateur répond au principe général de solidarité nationale et poursuit l’objectif d’assurer à chacun un accès à la justice, tant en demande qu’en défense.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans son article 6 porte pour toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. En matière pénale, ce même article reconnaît expressément à toute personne mise en cause le droit d’être assistée gratuitement par un avocat d’office lorsqu’elle n’a pas les moyens de rémunérer un défendeur.

En matière civile, depuis l’arrêt Airey contre l’Irlande du 9 octobre 1979, la Cour de Strasbourg oblige les États, sous l’angle de l’effectivité du droit d’accès à un tribunal, d’organiser, sous certaines conditions, un système d’aide juridictionnelle qui ne soit pas entravé par des obstacles d’ordre juridique.

II) Les conditions d’admission

La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et son décret d’application posent deux conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle : l’une liée aux ressources du demandeur et l’autre au caractère manifestement bien fondé et recevable de l’action en justice que souhaite engager ce demandeur. L’examen de ces conditions est effectué par le bureau d’aide juridictionnelle pour chaque procédure envisagée par l’intéressé.

Afin de bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, les ressources mensuelles pour une personne seule devaient en 2006 être inférieures à 874 €. Au-delà de ces ressources, un dispositif d’aide juridictionnelle partielle est mis en place selon un barème. La part contributive de l’État est inversement proportionnelle aux ressources du bénéficiaire et s’éteint à partir de ressources mensuelles supérieures à 1311 €, en 2006, pour une personne seule.

III) Un constat : l’explosion du nombre de bénéficiaires

Le nombre des admissions à l’aide juridictionnelle a connu une croissance très soutenue, passant de 512 892 en 1993 à 904 532 en 2006. Ce quasi-doublement en 13 ans n’est pas sans incidence sur les finances publiques.

En effet les crédits de l’aide juridictionnelle ont explosé, passant de 61,14 millions d’euros en 1991 à 300,41 millions d’euros en 2006.

Cette augmentation des crédits alloués peut être considérée comme positive car elle a permis à un plus grand nombre de personnes d’accéder à la justice. Encore faut-il s’interroger sur la conformité à l’objectif initial de leur utilisation ainsi que sur les conséquences sur nos finances publiques.

IV) Des cas d’abus caractérisés mettant en lumière certaines insuffisances de la législation actuelle

Il a été observé certains détournements du dispositif de l’aide juridictionnelle par des personnes procédurières, qui, au bénéfice de l’aide juridictionnelle, se livrent à un véritable harcèlement judiciaire.

En ce domaine, chaque euro dépensé doit être un euro utile et contribuer de la manière la plus efficiente, à l’objectif poursuivi.

En outre dans un système solidaire, les comportements abusifs et frauduleux pénalisent les personnes qui ont le plus besoin de cette aide.

Ces comportements procéduriers constatés contribuent au déséquilibre du système dans son ensemble.

Selon les statistiques de la Chancellerie, 24 décisions de retrait ont été prononcées en 2004 et environ le même chiffre en 2005 et 2006. Ce faible nombre n’amoindrit pas la sévérité requise pour ceux qui abusent de la solidarité nationale. Ce faible nombre amène également une question : est-il dû à une rareté des fraudes ou à la rareté de la sanction de ce phénomène ? L’observation fait plutôt pencher pour la seconde hypothèse.

Quoi qu’il en soit, le dispositif d’aide juridictionnelle est perfectible, notamment pour ce qui concerne la sanction des abus éventuels.

Présentation des articles de la proposition de loi

L’article premier de la présente proposition de loi propose de rendre impératif le retrait en tout ou partie de l’aide juridictionnelle dans les deux premiers cas prévus par l’article 50 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Dans la situation actuelle, il appartient au Bureau d’Aide Juridictionnelle de prononcer ce retrait. Encore faut-il qu’il soit informé de la décision et qu’il dispose des moyens matériels et humains nécessaires à une gestion rigoureuse des retraits... Le caractère contraignant prévu par cet article rendra systématique le remboursement lorsque les critères seront réunis (retour à meilleure fortune, procédure abusive ou dilatoire).

L’article 2 supprime le dernier alinéa de l’article 50 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, tirant la conséquence de l’insertion d’un nouvel alinéa à l’article 51, prévue à l’article 4 de la présente proposition de loi.

L’article 3 instaure un délit de recours abusif à l’aide juridictionnelle. Il répond à certains excès qui peuvent être constatés où l’accès à l’aide juridictionnelle est considéré comme un droit de tirage illimité. Dans certains cas extrêmes, cela développe des comportements procéduriers, voire de véritables harcèlements judiciaires, menés grâce à des deniers publics. Inutile de rappeler que la solidarité nationale n’a pas vocation à financer ce genre de dérives.

En raison de la gravité morale d’abuser de la solidarité nationale, la peine proposée dans l’article 2 de la présente proposition de loi est supérieure à la simple amende civile d’un maximum de 3 000 € qui est prévue à l’article 32-1 du Code de procédure civile lorsque l’action en justice est dilatoire ou abusive. C’est pourquoi, la peine proposée (5 000 €) est alignée sur celle prévue par l’article L. 114-13 du Code de la sécurité sociale en cas de fraude ou de fausse déclaration pour obtenir, ou faire obtenir ou tenter de faire obtenir des prestations ou des allocations de toute nature, liquidées et versées par les organismes de protection sociale, qui ne sont pas dues.

Enfin l’article 4 prévoit le retrait de l’aide juridictionnelle automatique et total en cas de procédure jugée abusive et dilatoire. Il précise et simplifie le mécanisme de retrait de l’aide juridictionnelle dans ce cas. En confiant directement à la juridiction saisie le soin de prononcer le retrait de l’aide juridictionnelle lorsqu’elle a été utilisée pour engager des procédures jugées dilatoires ou abusives, la procédure de retrait sera plus efficiente.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qu’il vous est proposé d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le deuxième alinéa de l’article 50 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi rédigé :

« Il est retiré, en tout ou partie, dans les cas suivants : ».

Article 2

Le 3° du même article 50 est abrogé.

Article 3

Après le même article 50, il est inséré un article 50-1 ainsi rédigé :

« Art. 50-1. – Est passible d’une amende de 5 000 € toute personne bénéficiaire de l’aide juridictionnelle qui a, dans un délai de trois ans suivant une décision ayant jugé une procédure dilatoire ou abusive, intenté une nouvelle procédure jugée dilatoire ou abusive. »

Article 4

Le deuxième alinéa de l’article 51 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° de l’article 50, le retrait est prononcé par le bureau qui a accordé l’aide juridictionnelle.

« Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l’aide juridictionnelle. »


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