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le 16 décembre 2008


N° 1305

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2008.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les discriminations
liées à l’
origine, réelle ou supposée
,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

George PAU-LANGEVIN, Christophe CARESCHE, Victorin LUREL, Jean-Marc AYRAULT, Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Christian BATAILLE, Gisèle BIEMOURET, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Daniel BOISSERIE, Jean-Michel BOUCHERON, Marie-Odile BOUILLÉ, Christophe BOUILLON, Monique BOULESTIN, Pierre BOURGUIGNON, Danielle BOUSQUET, Alain CACHEUX, Martine CARRILLON-COUVREUR, Bernard CAZENEUVE, GUY CHAMBEFORT, Jean-Paul CHANTEGUET, Gérard CHARASSE, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Pierre COHEN, Catherine COUTELLE, Pascale CROZON, Frédéric CUVILLIER, Claude DARCIAUX, Pascal DEGUILHEM, Michèle DELAUNAY, Guy DELCOURT, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Louis DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Odette DURIEZ, Olivier DUSSOPT, Christian ECKERT, Corinne ERHEL, Martine FAURE, Hervé FÉRON, Aurélie FILIPPETTI, Michel FRANÇAIX, Geneviève GAILLARD, Guillaume GAROT, Catherine GÉNISSON, Jean-Patrick GILLE, Annick GIRARDIN, Daniel GOLDBERG, Pascale GOT, Marc GOUA, Jean GRELLIER, Élisabeth GUIGOU, David HABIB, François HOLLANDE, Sandrine HUREL, Christian HUTIN, Jean-Louis IDIART, Françoise IMBERT, Éric JALTON, Serge JANQUIN, Henri JIBRAYEL, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Jean-Pierre KUCHEIDA, Conchita LACUEY, Colette LANGLADE, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Jean-Yves LE DÉAUT, Annick LE LOCH, Jean-Marie LE GUEN, Marylise LEBRANCHU, Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Catherine LEMORTON, Bernard LESTERLIN Michel LIEBGOTT, François LONCLE, Jean MALLOT, Louis-Joseph MANSCOUR, Jacqueline MAQUET, Marie-Lou MARCEL, Jean-René MARSAC, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Gilbert MATHON, Sandrine MAZETIER, Michel MÉNARD, Kléber MESQUIDA, Pierre MOSCOVICI, Pierre-Alain MUET, Philippe NAUCHE, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Françoise OLIVIER-COUPEAU, Michel PAJON, Christian PAUL, Jean-Luc PÉRAT, Jean-Claude PEREZ, Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Martine PINVILLE, Philippe PLISSON, François PUPPONI, Catherine QUÉRÉ, Dominique RAIMBOURG, Marie-Line REYNAUD, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Odile SAUGUES, Christiane TAUBIRA, Marisol TOURAINE, Jean-Jacques URVOAS, Daniel VAILLANT, Manuel VALLS, Michel VAUZELLE, Michel VERGNIER, André VÉZINHET, Alain VIDALIES, Jean-Michel VILLAUMÉ et les membres du groupe socialiste, radical citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Mme Delphine Batho, M. Jean-Louis Bianco, Mme Gisèle Biemouret, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mmes Catherine Coutelle, Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, M. Pascal Deguilhem, Mme Michèle Delaunay, MM. Guy Delcourt, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Mme Corinne Erhel, MM. Laurent Fabius, Albert Facon, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mmes Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, M. Pierre Forgues, Mme Valérie Fourneyron, MM. Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Mme Geneviève Gaillard, MM. Guillaume Garot, Jean Gaubert, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Mme Pascale Got, MM. Marc Goua, Jean Grellier, Mme Élisabeth Guigou, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. François Hollande, Mmes Sandrine Hurel, Monique Iborra, M. Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Mme Colette Langlade, MM. Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Patrick Lemasle, Mmes Catherine Lemorton, Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Mmes Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, MM. Jean-René Marsac, Philippe Martin, Mmes Martine Martinel, Frédérique Massat, MM. Gilbert Mathon, Didier Mathus, Mme Sandrine Mazetier, MM. Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Mmes Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Pajon, Mme George Pau-Langevin, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Philippe Plisson, François Pupponi, Mme Catherine Quéré, MM. Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Mme Odile Saugues, MM. Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine, MM. Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Mme Chantal Berthelot, MM. Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Mme Annick Girardin, MM. Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Mmes Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Martine Pinville, M. Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont et Mme Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce que « […] le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 réaffirme que la République française « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

1. Une législation européenne et nationale importante en matière de lutte contre les discriminations

L’Union européenne s’est engagée, de manière plus prononcée depuis l’année 2000, dans des actions en faveur de l’égalité de traitement. À ce titre, la France a récemment fait l’objet de procédures en manquement par la Commission européenne pour ne pas avoir correctement transposé trois directives européennes relatives à l’égalité de traitement dans l’emploi et à la mise en œuvre de ce principe entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (1).

En France, la loi relative à la lutte contre le racisme du 1er juillet 1972, dite loi « Pleven », a introduit le délit de discrimination dans le code pénal. La loi « Roudy » du 13 juillet 1983 a établit l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la loi relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise du 4 août 1982, dite « loi Auroux », a créé l’article L. 122-45 du code du travail interdisant les discriminations dans l’emploi. Plus récemment, la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre la discrimination a permis de grandes avancées notamment sur les motifs de discrimination prohibés, l’aménagement de la charge de la preuve ou encore les possibilités données aux organisations syndicales ou aux associations de lutte contre les discriminations d’agir en justice. La loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 a créé la HALDE (haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) en tant qu’autorité administrative indépendante.

Il faudrait également citer la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale en matière de discrimination dans le logement, la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes et la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances portant création de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances.

2. Des pratiques discriminatoires inacceptables

Malgré cette législation importante en matière de lutte contre les discriminations, un constat s’impose : les pratiques discriminatoires restent massives. En 2007, la HALDE a enregistré 6 222 réclamations, contre 4 058 en 2006, soit une augmentation de plus de 50 %.

Le premier motif de discrimination invoqué par les plaignants est l’origine, réelle ou supposée. L’emploi est le premier domaine concerné (plus de la moitié des réclamations auprès de la HALDE). Le Bureau international du travail, dans une enquête intitulée Les discriminations à raison de l’origine dans les embauches en France, publiée en mars 2007, a indiqué qu’à peine 10 % des employeurs avaient respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les candidats. De plus, lorsque l’employeur a fait un choix entre deux candidatures, il a favorisé près de 4 fois sur 5 le candidat « majoritaire » (2).

Les entreprises anticipent parfois sur le racisme supposé de leur clientèle ou de leurs partenaires commerciaux. La discrimination peut être plus discrète, se manifestant dans l’accès à la formation professionnelle ou dans l’évolution de carrière.

En matière d’accès au logement locatif privé, les testings menés par la HALDE en 2006 à Paris, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Provence-Alpes-Côte d’Azur ont révélé une forte pratique discriminatoire des agences immobilières. Lors du contact téléphonique, 35 % des candidats de référence obtiennent une visite d’appartement contre 20 % pour le candidat d’origine maghrébine et 14 % pour le candidat originaire d’Afrique noire. Suite à la visite de l’appartement, les candidats de référence obtiennent le logement dans 75 % des cas. Le résultat chute à 22 % pour le candidat originaire d’Afrique noire et à 17 % pour le candidat maghrébin.

3. La nécessité d’une politique volontariste de lutte contre les discriminations liées à l’origine

Ce phénomène de discrimination se manifeste dans divers actes de la vie courante. Or, les pouvoirs publics en France rechignent à admettre la réalité de la discrimination, et encore plus à envisager des solutions pour y remédier, car c’est l’échec du modèle social d’égalité qui est ainsi mis en lumière. Cependant, nier la réalité mine la confiance des citoyens dans le pacte républicain.

Alors même que 95 % des Français estiment qu’il est important de lutter contre les discriminations (3), seules quelques mesures éparses viennent apporter des réponses ponctuelles à des aspects de la discrimination. Le besoin se fait ressentir d’une vraie politique volontariste et ambitieuse de lutte contre les discriminations. Souhaitant dans un premier temps aborder la question des discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée par les personnes auteurs de faits discriminatoires, les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ont élaboré 50 propositions.

4. Des actions concrètes nécessaires et urgentes

Certaines propositions défendues ne relèvent pas de la loi.

Deux mesures d’ordre constitutionnel ont déjà fait l’objet de dépôt de propositions de révision constitutionnelle de la part des députés socialistes. Tout d’abord, le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales doit être accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Par ailleurs, le mot « race » doit être supprimé de l’article premier de la Constitution. La reconnaissance de la « race » dans notre texte fondamental est dangereux tant sur le plan politique que juridique.

On ne peut que regretter qu’une mesure d’ordre réglementaire prévue par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances soit toujours en attente : la publication du décret en Conseil d’État nécessaire pour mettre en application l’obligation du CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 salariés.

Quant aux lois existantes, celles-ci ne sont pas suffisamment appliquées, en particulier par les services de l’État. Ainsi, tous les contrôles d’identité au faciès, strictement interdits, doivent être lourdement sanctionnés. Dans un autre domaine, la scolarisation des enfants de gens du voyage doit être garantie. La HALDE a dénoncé une situation préoccupante en la matière.

Certaines mesures sont attendues des entreprises. On pense par exemple au déplacement de ces dernières « sur le terrain » pour effectuer leur recrutement qui permettrait de toucher des populations parfois exclues du monde du travail et/ ou victimes de discriminations. Toujours en matière d’emploi, les moyens de l’inspection du travail doivent être renforcés afin qu’elle joue pleinement son rôle dans la lutte contre les pratiques discriminatoires, explicitement interdites par le code du travail.

Des opérations massives de « testing » devraient être lancées sur les procédures appliquées par les agences immobilières. En matière d’éducation, les expériences de tutorat entre étudiants de grandes écoles et élèves de l’éducation prioritaire, aussi bien en terme d’accompagnement à la scolarité que de socialisation au milieu estudiantin, devraient être développées. Une campagne de communication et de formation offensive et durable sur les discriminations doit être absolument lancée. Il est urgent de sensibiliser à la lutte contre les discriminations dans les écoles mais également de former les intermédiaires publics de l’emploi ou encore les acteurs privés, notamment ceux en en relation avec le public, en rappelant les sanctions encourues. L’accessibilité à la HALDE, que ce soit en terme de numéro d’appel simple et gratuit pour les personnes victimes de discrimination ou encore l’accès à la documentation publique sur ce sujet doit être renforcée et son budget doit être à la hauteur des missions qui lui sont confiées.

Face au désengagement de l’État dans l’ensemble de ces domaines, les collectivités territoriales et les instances de démocratie locale peuvent se placer comme moteurs dans la lutte contre les discriminations.

En termes d’exemplarité, les partis politiques doivent s’engager à mieux représenter la société française dans sa composition plurielle.

Enfin, devra être ouvert le dossier des « discriminations légales », parmi lesquelles se trouvent les emplois fermés aux étrangers. Dans le secteur privé, environ cinquante professions font l’objet de restrictions explicites liées à la nationalité (soit plus de 615 000 emplois concernés) et une trentaine requièrent la condition de possession d’un diplôme français (au moins 625 000 emplois concernés). Néanmoins, l’essentiel des emplois fermés aux étrangers se trouve dans le secteur public. On estime à 5,2 millions le nombre d’emplois dans les trois fonctions publiques interdits aux étrangers non communautaires. L’État institutionnalise ainsi un certain nombre de discriminations à l’égard des étrangers, ce qui revêt une portée symbolique forte.

Un ensemble de mesures législatives pour contrer les pratiques discriminatoires et mieux connaître les discriminations

La présente proposition de loi a pour objet de renforcer la législation en matière de lutte contre les discriminations liées à l’origine et de donner les garanties nécessaires dans l’évaluation de celles-ci. Composée de 18 articles, cette proposition de loi s’attaque à sept domaines d’intervention : l’emploi, le logement, les associations, l’égalité des chances à l’école, le renforcement des moyens de la HALDE et enfin la connaissance des discriminations qui est liée au contrôle de la CNIL. 

L’article premier intègre la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations dans les critères d’attribution de marchés publics. Ainsi, les actions de lutte contre les discriminations dans l’entreprise seront prises en compte pour apprécier « l’offre économiquement la plus avantageuse » comme c’est le cas aujourd’hui des performances de l’entreprise en matière de protection de l’environnement ou d’insertion professionnelle des publics en difficulté.

L’article 2 prévoit explicitement la possibilité d’une peine d’exclusion des marchés publics à titre complémentaire pour les personnes morales condamnées pour discrimination. Au titre de l’article 225-2 du code pénal, la discrimination telle que définie à l’article 225-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

L’article 3 inscrit « la lutte contre les discriminations » dans les informations figurant au bilan social établi par l’employeur et soumis annuellement au comité d’entreprise dans les entreprises de trois cents salariés et plus, au même titre que les informations sur les conditions de santé et de sécurité, la formation ou encore les relations professionnelles.

Les articles 4 et 5 prennent acte de l’accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise signé par les principaux syndicats le 12 octobre 2006. Ainsi, dans les entreprises de moins de trois cents salariés (visées par l’article 4 de la présente proposition de loi) et de 300 salariés et plus (article 5), les « actions menées en faveur de l’égalité des chances et de traitement dans l’entreprise » feront partie du rapport remis au comité d’entreprise chaque année par l’employeur. Ce rapport comprend déjà les données sur  la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes et les actions en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés dans l’entreprise.

Les articles 6, 7 et 8 traitent de la question du logement.

Dans un objectif de lutte contre les discriminations, l’article 6 prévoit qu’à titre expérimental et pour une durée limitée, l’attribution des logements par les organismes d’habitations à loyer modéré pourra se faire à partir de dossiers rendus anonymes. L’efficacité de ce dispositif dans la lutte contre les discriminations devra faire l’objet d’une évaluation.

L’article 7 fixe l’obligation pour les municipalités bénéficiant de convention de réservation de logements sociaux de mettre en place une commission pluraliste de désignation. Les critères retenus par le Conseil municipal pour le choix des demandes de logement présentées aux organismes d’habitation à loyer modéré devront être publics.

L’article 8 reprend les mêmes dispositions que l’article 7 mais appliquées aux trois principales villes de France (Paris, Lyon, Marseille). Ce dispositif est déjà en œuvre à Paris depuis juin 2001.

Le manque de transparence dans la sélection des demandes au sein des organismes réservataires de logements sociaux doit être combattu. Le choix est tout d’abord de responsabiliser les municipalités mais des efforts devront être demandés de la part des préfectures.

L’article 9 vise à ouvrir à un plus grand nombre d’associations le droit d’ester en justice contre les discriminations en faveur d’un candidat à un emploi, à un stage ou une période de formation en entreprise ou d’un salarié.

L’accessibilité aux grandes écoles est améliorée par l’article 10. Afin de casser une partie de la reproduction des inégalités sociales et territoriales, les meilleurs élèves de chaque lycée de France devraient pouvoir accéder aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l’entrée (instituts d’études politiques ou Dauphine par exemple). Ce mécanisme doit s’adresser à tous les lycéens de France, quel que soit leur lieu de résidence, et la détermination des meilleurs élèves devrait s’effectuer, lycée par lycée, sur la base des résultats au baccalauréat.

Les articles 11 à 15 traitent de la HALDE. La présence d’un délégué régional de la HALDE dans chaque région est institutionnalisée (article 11). L’article 13 reprend les dispositions de l’article 9 de la présente proposition de loi mais cette fois-ci pour les associations ayant le droit de saisir la HALDE. L’article 12 dispose que la HALDE statue de façon publique sur les faits portés à sa connaissance et l’article 14 qu’elle peut interroger toute personne physique et morale de droit privé - comme c’est le cas actuellement - mais aussi de droit public. Enfin, l’article 15 crée un délit d’entrave à l’action de la HALDE de la même manière que celui prévu pour la CNIL. 

Enfin, les articles 16 à 18 ont pour objet la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

La décision du Conseil constitutionnel du 15 novembre 2007 a posé de manière abrupte la question de l’outil au service de la connaissance et de la preuve des discriminations. Saisi par les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 63 de la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile relatif aux « statistiques ethniques ». Le Conseil a considéré que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ».

Il importe aujourd’hui d’avancer sur le terrain de la connaissance des discriminations en développant les enquêtes déjà menées (basées sur les noms de famille, les prénoms, la nationalité des parents et grands-parents) et en autorisant des études approfondies dans le respect des limites fixées par le Conseil constitutionnel. Tout référentiel ethno-racial défini a priori ou fichage de la population en fonction de l’origine doit être refusé.

L’article 16 reprend les termes des cahiers du Conseil Constitutionnel n°23 qui ont précisé le sens de la décision du 15 novembre 2007. Ainsi, des « données subjectives », comme celles fondées sur le « ressenti d’appartenance », devraient pouvoir faire l’objet de questions au sein d’enquêtes relatives à la discrimination. Néanmoins, de nombreuses garanties doivent accompagner cette mesure : les réponses doivent être auto-déclaratives (la personne se définit elle-même) à partir de questions ouvertes (absence de choix prédéfinis). Par ailleurs, le consentement exprès des personnes doit être recueilli. La présentation des résultats du traitement de données ne peut en aucun cas permettre l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. Aucun fichage de la population à partir de ces résultats ne doit être possible. Enfin, l’autorisation de la CNIL - et non une simple déclaration auprès d’elle - est nécessaire (article 17).

L’opposition a toute sa place dans le collège de la CNIL formé de 17 commissaires dont deux sénateurs et deux députés. De par l’importance des missions confiées à la CNIL, la majorité et l’opposition parlementaire doivent y être représentées à parité (article 18).

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au 1° du I de l’article 53 du code des marchés publics, après les mots : « en difficulté, », sont ajoutés les mots : « la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations, ».

Article 2

L’article 225-2 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une peine complémentaire telle que définie au 5° de l’article 131-39 peut être prononcée à l’encontre d’une personne morale».

Article 3

Dans le second alinéa de l’article L. 2323-70 du code du travail, après le mot : « formation, », sont insérés les mots : « la lutte contre les discriminations, ».

Article 4

Après le mot : « hommes », la fin du premier alinéa de l’article L. 2323-47 du code du travail, est ainsi rédigée :

« ainsi que les actions en faveur de l’égalité des chances et de traitement dans l’entreprise. »

Article 5

Après le troisième alinéa de l’article L. 2323-56 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 3° Les actions menées en faveur de l’égalité des chances et de traitement dans l’entreprise. »

Article 6

Le deuxième alinéa de l’article L. 441 du code de la construction et de l’habitation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Dans un objectif de lutte contre les discriminations, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, l’attribution peut se faire à partir de dossiers rendus anonymes. Les modalités d’évaluation de ce dispositif sont fixées par décret. »

Article 7

Le neuvième alinéa de l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il détermine les conditions de mise en place d’une commission municipale pluraliste qui statue, pour le choix des demandes de logements proposées aux organismes d’habitations à loyer modéré, sur la base d’une liste des critères de priorité votée par le conseil municipal et rendue publique. »

Article 8

Le troisième alinéa de l’article L. 2511-20 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Pour l’attribution de ces logements, une commission municipale pluraliste statue sur la base d’une liste des critères de priorité votée par le conseil municipal et rendue publique. »

Article 9

Le premier alinéa de l’article L. 1134-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Les associations régulièrement constituées depuis trois ans au moins ou habilitées après avis de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité œuvrant dans le domaine du handicap ou pour la lutte contre les discriminations peuvent exercer en justice toutes actions résultant de l’application des dispositions du chapitre II. »

Article 10

L’article L. 612-3 du code l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le recrutement dans les classes préparatoires aux grandes écoles des lycées publics et dans les premières années des établissements sélectionnant à l’entrée s’effectue parmi les élèves de tous les lycées de France et d’outre-mer. Chaque année, le ministre de l’éducation nationale fixe un objectif chiffré du nombre d’élèves bénéficiaires de ce droit et les conditions de répartition des élèves dans les classes préparatoires. La détermination des meilleurs élèves bénéficiaires de ce droit s’effectue, lycée par lycée, sur la base des résultats au baccalauréat. »

Article 11

Après le huitième alinéa de l’article 2 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La haute autorité est représentée dans chaque région par un délégué régional ».

Article 12

L’article 2 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 précité est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le collège statue publiquement. »

Article 13

Dans le quatrième alinéa de l’article 4 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 précitée, les mots : « cinq ans à la date des faits » sont remplacés par les mots : « trois ans à la date des faits ou habilitées après avis de la haute autorité ».

Article 14

Dans le deuxième alinéa de l’article 5 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 précitée, les mots : « de droit privé » sont supprimés.

Article 15

Après l’article 9 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 précitée, il est inséré un article 9-1 ainsi rédigé :

« Art. 9-1. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait d’entraver l’action de la haute autorité :

« – soit en s’opposant à l’exercice des missions confiées à ses membres ou aux agents habilités en application de l’article 2 ;

« – soit en refusant de communiquer à ses membres ou aux agents habilités en application de l’article 2 les renseignements et documents utiles à leur mission, ou en dissimulant lesdits documents ou renseignements, ou en les faisant disparaître ; »

Article 16

Le II de l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° Les traitements nécessaires à la conduite d’études spécialisées relatives à la discrimination. Ces études peuvent comporter des questions relatives au “ressenti d’appartenance” des personnes selon les modalités prévues au 9° du I de l’article 25. Le consentement exprès des personnes doit être recueilli. La réponse à ces études doit être facultative, au moyen de questions ouvertes et sur un mode auto-déclaratif. La présentation des résultats du traitement de données ne peut en aucun cas permettre l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. »

Article 17

Le I de l’article 25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° Les traitements nécessaires à la conduite d’études spécialisées relatives à la discrimination au sens du 9° du II de l’article 8. »

Article 18

Le 1° du I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par les mots : « , à parité entre la majorité et l’opposition ».

1 () La directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ; la directive 2002/73 du 23 septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ; la directive 2000/43 du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique.

2 () Les candidat.e.s censé.e.s évoquer de par leur nom et prénom une « origine hexagonale ancienne » sont dénommé.e.s dans l’étude candidat.e.s majoritaires, et les candidat.e.s censé.e.s évoquer une « origine maghrébine » ou une « origine noire africaine » sont dénommé.e.s candidat.e.s minoritaires.

3 () Enquête réalisée par l’institut CSA pour la HALDE en décembre 2007, rendue publique le 14 février 2008.


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