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N° 2171

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant à un débat public
sur l’instauration d’un tribunal d’assises départemental,

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Paul GARRAUD, Patrick BEAUDOUIN, Jacques Alain BÉNISTI, Véronique BESSE, Jean-Marie BINETRUY, Dominique CAILLAUD, Philippe COCHET, Jean-Pierre DECOOL, Sophie DELONG, Franck GILARD, Françoise HOSTALIER, Olivier JARDÉ, Christian MÉNARD, Dominique SOUCHET et Guy TEISSIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réforme de la procédure pénale lancée par le Président de la République et le Gouvernement s’annonce considérable. S’il est vrai que notre Justice a besoin d’une importante réforme d’ensemble pour répondre aux attentes de nos concitoyens, certains aspects de procédure qui représentent des lourdeurs inutiles doivent être rapidement corrigés.

Le rapport Léger, remis le 1er septembre 2009 au Président de la République et au Premier ministre, ouvre des pistes et le débat ne fait que s’engager sur un sujet grave où doit prévaloir l’esprit d’innovation et de responsabilité.

Parmi les questions qui doivent être soumises à débat, figure celle de la procédure criminelle. Chacun s’accorde à constater que la procédure de la cour d’assises avec un appel possible devant une autre cour d’assises a été un progrès. Le double degré de juridiction est une garantie fondamentale de notre État de droit. Mais la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 qui a prévu ce mécanisme d’appel n’a pas tiré toutes les conclusions de cette novation profonde dans notre procédure pénale. Du fait de l’instauration d’un appel, il aurait été nécessaire de simplifier la procédure de première instance.

Ce système de double cour d’assises s’avère en effet extrêmement lourd. Il est sans aucun doute coûteux. Il mobilise beaucoup d’énergie, de temps et d’argent. Surtout, en raison de sa lourdeur, il contraint trop souvent les juges et les procureurs à contourner ce qui constitue une difficulté, en fait, insurmontable.

C’est le phénomène bien connu de « correctionnalisation » des crimes. Il consiste à ne pas tenir compte, à « oublier », certaines circonstances aggravantes afin que ce qui constituerait normalement un crime relève du champ délictuel et soit jugé par un tribunal correctionnel. La justice peut passer plus vite ; la victime s’en satisfait, peu ou prou, car elle voit son affaire traitée dans de meilleurs délais ; à l’évidence, l’auteur de l’infraction a tout à y gagner.

Pourtant cette situation n’est pas satisfaisante pour plusieurs raisons. Elle constitue une sorte « d’accommodement » auquel les magistrats sont contraints faute de meilleure solution à leur disposition. Ce pis-aller procédural s’apparente, de surcroît, à un contournement de la loi et de la volonté du législateur. En outre, la partie civile se trouve confrontée à un déni partiel du crime dont elle a été victime et pour lequel l’auteur n’est pas expressément condamné. C’est le cas, par exemple, en matière de viol requalifié en agression sexuelle.

Certains s’en satisfont ; c’est, d’une certaine manière, le sens du rapport Léger qui appelle au maintien de ce système de « correctionnalisation judiciaire ».

Mais on peut aussi prendre le problème du point de vue opposé en simplifiant la procédure criminelle aux fins que la justice soit ainsi rendue, plus rapidement, dans le respect de la volonté du législateur qui exprime celle de la société face à des crimes qui doivent être punis comme tels. Il est, en effet, inadmissible qu’au moment où le législateur criminalise des faits contre lesquels il convient de lutter vigoureusement, l’autorité judiciaire ne puisse faire autrement que de correctionnaliser ces crimes.

À cette fin, il est important que soit versée au débat la question de la création d’un tribunal d’assises de première instance qui se substituerait aux cours d’assises de premier degré, celles-ci demeurant pour examiner l’affaire en appel.

Un tel projet a déjà été débattu dans notre pays, et au Parlement même.

En 1995, le garde des Sceaux, M. Jacques Toubon, avait lancé un projet de réforme tendant à créer un second degré de juridiction en matière criminelle. Ce projet de loi prévoyait le jugement des crimes en premier ressort par un tribunal d’assises départemental composé de trois magistrats et de cinq jurés et, en appel, par une cour d’assises formée de trois magistrats d’un grade supérieur à ceux de première instance et de neuf jurés. Ce texte fut adopté par l’Assemblée nationale puis par le Sénat. Mais bien qu’il se trouvât à un stade avancé, son examen fut interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale, et le projet ne fut pas repris par la suite.

Une nouvelle étape fut franchie avec la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes qui a mis en place une procédure d’appel tournant consistant à faire rejuger l’accusé appelant par une autre cour d’assises désignée par la chambre criminelle de la Cour de cassation. On a évoqué les inconvénients de ce système. Comme le souligne le rapport Léger, le délai moyen entre la date de l’arrêt de premier ressort et celle de l’arrêt d’appel est de dix-sept mois.

Alors que doivent être proportionnellement conciliées rapidité de la justice et reconnaissance des dommages subis par la victime, la modification de la procédure criminelle s’impose et s’inscrit parfaitement dans le contexte général de réforme de la procédure pénale.

L’instauration d’un tribunal d’assises départemental de première instance et la transformation de la cour d’assises en juridiction d’appel apparaissent comme la solution la plus favorable et la plus respectueuse des libertés fondamentales, tout en prenant en considération les impératifs budgétaires et la nécessaire optimisation de la dépense publique. Elle permettrait aussi de répondre aux attentes des magistrats qui nous saisissent, fort légitimement, de cette question lancinante.

Sur la base du projet de loi Toubon, adapté aux besoins actuels et tenant compte de la pratique observée depuis la loi de 2000, la mise en œuvre de la réforme de la procédure d’assises pourrait être engagée. Ainsi, un tribunal d’assises départemental composé de trois magistrats et de deux échevins statuerait en première instance sur tous les faits qualifiés par la loi de crime. En appel, la Cour d’Assises, composée de trois magistrats et de douze jurés, émanation du peuple souverain, aurait naturellement le dernier mot. La simplification de la procédure emporterait de bénéfiques conséquences : La reconnaissance en tant que telle des victimes de faits criminels et non délictuels, l’application de la politique pénale dans le respect de la volonté du législateur, la valeur dissuasive et pédagogique de la sanction à l’encontre de l’auteur des faits, l’accélération de la procédure dans le respect des droits de la défense, l’allégement de toutes les contraintes matérielles pesant sur les personnels judiciaires, les économies substantielles ainsi réalisées.

La réforme de la première instance criminelle est restée en jachère. Il est temps de se saisir à nouveau de cette question et ce, en suscitant le débat chez l’ensemble des acteurs du monde judiciaire.

Forte des nouveaux droits qui lui sont reconnus par la Constitution rénovée après la révision de juillet 2008, l’Assemblée nationale doit pouvoir émettre le souhait qu’un débat public sur des sujets essentiels ait lieu parmi les acteurs de la société civile. La démocratie représentative ne peut que se retrouver renforcée par un tel dialogue avec les citoyens.

C’est pourquoi il est proposé d’adopter cette résolution qui entend ouvrir un débat public sur ce sujet essentiel.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Considérant que la réforme de la procédure pénale annoncée par le Président de la République et le Gouvernement constituera un profond changement de notre système judiciaire ;

Considérant que la correctionnalisation des crimes, qui consiste à faire juger des faits qui devraient être qualifiés de crimes par des tribunaux correctionnels en omettant de prendre en compte des circonstances aggravantes ou l’un des éléments constitutifs de l’infraction, est une pratique qui ne peut être tolérée ;

Considérant que cette pratique ne permet pas aux victimes d’obtenir la condamnation des auteurs pour les faits dont elles ont été réellement victimes ;

Considérant qu’il importe de permettre un jugement des crimes dans les meilleurs délais tout en assurant aux personnes poursuivies toutes les garanties d’un État de droit ;

Considérant que la création d’un tribunal d’assises départemental de première instance pourrait constituer une solution pour répondre à cette question ;

Considérant que la création de cette juridiction, qui se substituerait à la cour d’assises statuant en premier ressort, mérite que la société civile et les acteurs du monde judiciaire en débattent ;

Estime primordial que l’ensemble des acteurs concernés débatte de l’opportunité de créer une juridiction de première instance en matière criminelle qui remplacerait la cour d’assises actuellement compétente.


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