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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 2913

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 octobre 2010.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Martine BILLARD, Jacqueline FRAYSSE, Marc DOLEZ, Jacques DESALLANGRE, Roland MUZEAU, Jean-Claude SANDRIER, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Huguette BELLO, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Alfred MARIE-JEANNE, Daniel PAUL et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans sa communication au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 12 mai 2010 intitulé « Renforcer la coordination des politiques économiques » [COM(2010) 250], la Commission européenne propose, utilisant le prétexte de la crise financière, de contrôler a priori les budgets nationaux des 27 pays de l’Union européenne.

Les député-e-s, communistes, républicains, et du Parti de gauche, contestent les choix faits par la Commission européenne et refusent cette possibilité. Ils affirment qu’il s’agit là d’une décision antidémocratique.

Nous défendons que les budgets nationaux sont du ressort de la souveraineté du peuple et qu’il est, à ce titre, impossible qu’une autorité, a fortiori sans légitimité démocratique, puisse avoir un droit de regard ou d’amendement a priori sur ce qui relève du droit fondamental des citoyens.

*

La souveraineté du peuple sur le budget : un principe fondamental de la République Française

Le droit des citoyens à délibérer et à établir librement le budget de la nation a été l’un des principaux détonateurs de la Révolution Française. Ainsi, la Constitution de 1791 établit que « les décrets du Corps législatif concernant l’établissement, la prorogation et la perception des contributions publiques, porteront le nom et l’intitulé de lois. Ils seront promulgués et exécutés sans être sujets à la sanction ».

Depuis, sous la République, jamais une personne ou un groupe de personnes, n’a eu de droit de veto sur les lois établissant les contributions publiques. C’est même par opposition au droit de veto royal que sont nées, pendant les états généraux de 1789, la droite et la gauche. Pour influer sur la position des députés le roi fit se ranger à sa gauche ceux qui étaient opposés au droit de veto et à sa droite ceux qui y étaient favorables.

C’est donc grâce aux Lumières et à la Révolution française que, encore aujourd’hui, l’article XIV de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 – sur laquelle s’appuie notre Constitution – proclame que « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Il s’agit d’un principe fondamental et constitutif de notre République Française qui a fondé que le pouvoir législatif est inaliénable, souverain et indépendant.

L’impossible retour au droit de veto

La Commission européenne a confirmé et développé le 30 juin 2010 les propositions de contrôle budgétaire qu’elle annonçait le 12 mai de la même année. Le 13 juillet, les ministres des finances des pays européens ont donné mandat à une commission, sous la responsabilité de Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, d’affiner et de rendre opérationnelles ces mesures. Il s’agit donc d’une menace tout à fait réelle pour la souveraineté du peuple, validée par le gouvernement français.

Dans ces propositions, la Commission européenne préconise, sous prétexte de crise financière et de coordination européenne, la mise en place de ce qu’elle appelle « le semestre européen ». Ce dispositif vise à ce que la première moitié de l’année se consacre à l’étude, au niveau de l’union, des budgets des pays. La Commission s’octroie, en plus du droit de regard, la possibilité de jauger les budgets selon les critères qui lui sont propres, ceux de l’austérité et du libéralisme.

En vertu de la loi organique relative aux lois de finances de 2001, le budget est présenté aux représentants du peuple français au plus tard le premier mardi d’octobre. La mise en place du procédé préconisé par l’Union européenne sous-entend donc que le second semestre de l’année, celui des délibérations nationales, est concrètement subordonné au premier et donc à l’avis de la Commission européenne.

C’est bien d’une élaboration en dehors des parlements nationaux dont il est question ici. Et qui plus est d’une élaboration par une instance qui n’a absolument aucune légitimité démocratique. Les représentants de la Commission ne sont pas élus, la commission n’est pas une assemblée européenne souveraine et les liens avec le Parlement européen ne sont pas pris en compte dans le projet.

C’est bien de la mise en place d’un droit de veto dont il est question lorsque la Commission explique que « en cas d’inadéquation évidente dans les projets de budget pour l’année suivante, une révision des projets de budget national pourrait être recommandée ».

La crise financière comme alibi

Le projet de « semestre européen » s’inscrit dans un plan plus large intitulé « Renforcer la coordination des politiques économiques ». Ce plan prend prétexte de la crise pour faire appliquer aux pays européens les mêmes recettes qui l’ont déclenchée.

Les politiques libérales, d’austérité et la spéculation financière sont très largement responsables de la situation économique et sociale qui frappe de plein fouet l’Europe depuis 2007. Les politiques libérales et d’austérité, en comprimant les salaires et les dépenses publiques ont réprimé la base même de leur modèle de croissance : celle de l’économie réelle. Pour faire face à cette contradiction fondamentale, les marchés financiers ont entretenu une croissance artificielle à base de produits dérivés, de surendettement des ménages et de spéculation boursière et immobilière. Ce sont ces mécanismes qui sont à l’origine des subprimes.

Lorsque la bulle immobilière a éclaté, l’économie réelle rattrapant la croissance artificielle des marchés financiers, les actifs « pourris » ont contaminé jusqu’aux pays, parmi lesquels la Grèce, entraînant au passage la ruine de dizaines de milliers de ménages. Les banques, largement responsables de la situation, ont été sauvées grâce à l’argent public sans aucune contrepartie. Ce sont les impôts des citoyens européens qui ont servi à éponger la dette contractée par les appétits financiers, en complète opposition avec la souveraineté des peuples. Les établissements financiers avaient pourtant prouvé leur stratégie de spéculation à court terme, en contradiction avec les politiques à long terme des États, et donc avec l’intérêt général.

Non contentes d’avoir été renflouées par l’argent public, les banques se sont mises à spéculer sur la dette des États qui venaient de les sauver. La première attaque a été portée par les agences de notation sur la Grèce. Ces agences qui jugent de la sûreté financière des pays se basent sur des critères d’austérité, de compétitivité, d’ouverture des marchés. En dégradant la note de la Grèce, puis du Portugal et de l’Espagne, elles ont ouvert librement les attaques des marchés sur les pays et les citoyens qui venaient de les sortir de la spirale de la faillite. Il faut aussi rappeler que l’Espagne était un des rares pays de l’Union à respecter les critères de Maastricht contrairement à la France et à l’Allemagne par exemple. Cela ne l’a pas empêché de sombrer dans la crise démontrant par là que le respect de critères financiers sans lien avec l’économie réelle n’est en rien une preuve d’économie saine.

Le plan de la Commission européenne fait mine de prendre acte des conséquences de la crise financière. Il prévoit le renforcement de la surveillance du pacte de stabilité, des mesures coercitives sur le non respect des seuils de dettes et de déficit, la surveillance des déséquilibres macroéconomiques et de l’évolution de la compétitivité, le droit de regard et de veto sur les budgets. Non seulement elle utilise les mêmes critères de surveillance que les agences qui asphyxient l’Europe mais elle met en place des procédures soustrayant l’autorité au peuple pour garantir aux marchés financiers que leurs intérêts seront bien garantis. En ce sens la Commission va encore plus loin que le Traité de Lisbonne.

La stratégie politique du FMI en embuscade

Cette stratégie qui donne les pleins pouvoirs aux gestionnaires de capital, vise à protéger la rente par des dépenses publiques et des prestations sociales réduites à la portion congrue et des services publics démantelés au nom de la concurrence libre et non faussée. Elle met en compétition les travailleurs, les territoires, et ce, au détriment du peuple et de sa souveraineté en remplaçant le cadre républicain, politique, par un cadre purement économique. Voilà le projet qu’incarne aujourd’hui la Commission européenne en souhaitant s’octroyer un droit de regard sur les budgets nationaux.

Le FMI a toujours été présent pendant la crise, prompt à donner des conseils pour mieux réduire les pensions des retraités, les salaires des fonctionnaires, créer des systèmes de retraite par capitalisation ou privatiser ce qui appartenait encore aux citoyens. Il était présent et actif, en la personne de son directeur général, Dominique Strauss-Kahn, le jour des discussions de l’Eurogroupe sur le plan de stabilité financière.

De la crise Argentine aux subprimes en passant par la crise asiatique, le FMI a toujours eu pour stratégie d’utiliser les crises pour faire appliquer son dogme néolibéral : privatisation des services publics, libéralisation des marchés, politique d’austérité et destruction de l’État social sont ses principaux credo.

Est-il étonnant alors de voir les institutions européennes, sur conseil du FMI, utiliser la crise grecque pour justifier la mise sous tutelle des budgets nationaux ? C’est par ailleurs à la lumière de cette dynamique que l’on comprend les réformes en cours menées par le gouvernement. Que cela soit la privatisation et la libéralisation de nos services publics : SNCF, La Poste, le marché de l’énergie ou encore la loi sur l’autonomie des universités. Mais aussi la réforme territoriale qui remplace les territoires politiques, garant de l’égalité et de la fraternité de notre République par les échelons économiques, favorables à la concurrence et au dumping fiscal.

Comme avec le traité de Lisbonne, on promet une direction politique de l’Union Européenne cohérente et l’avènement de « l’Europe qui protège », mais c’est l’inverse qui se produit : négation de la souveraineté citoyenne et mise en place d’un carcan libéral empêchant les gouvernements de pratiquer des politiques contraires à l’euro-libéralisme. Ce pas supplémentaire de soumission du peuple et des décisions politiques à la seule sphère économique est inacceptable.

Garantir la souveraineté budgétaire du peuple

Nous sommes contraints ici de rappeler que les gouvernements quels qu’ils soient sont établis par le peuple et pour le peuple et qu’ils n’en sont que le mandataires, les représentants. Que pour paraphraser Robespierre dans son discours contre le veto royal, « celui qui dit qu’un homme a le droit de s’opposer à la loi, dit que la volonté d’un seul est au dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n’est rien et qu’un seul homme est tout ».

Quels que soient l’homme ou le groupe d’hommes qui s’octroierait un droit a priori sur le budget, et donc sur la loi, fouleraient au pied l’esprit de la Constitution et les valeurs des esprits fondateurs de la Révolution française. En laissant le Conseil Européen s’autoriser le droit, non pas seulement de regard, mais bien d’amendement sur le budget de la France, le gouvernement a autorisé le rétablissement du droit de veto. Le Conseil des ministres des finances porterait un grand coup aux fondements de ce qui a fondé la République française.

En l’état actuel, le Parlement européen ne disposant même pas du droit d’initiative législative, ne pouvant qu’amender ou bloquer les propositions faites par la Commission européenne et ne disposant d’aucun pouvoir dans les domaines, essentiels en matière budgétaire, des tarifs douaniers et de la fiscalité, il n’est à ce jour absolument pas détenteur du pouvoir législatif. Même si cela est notre souhait que l’Union européenne puisse fonctionner dans un esprit de coopération, de solidarité et de redistribution, force est de constater que ses instances actuelles et le traité de Lisbonne qui figent dans le marbre l’eurolibéralisme ne lui permettent pas de répondre à l’intérêt général.

L’article 3 de la Constitution française énonce que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

L’esprit de la Constitution n’est visiblement plus suffisant à en faire respecter les principes face aux coups de boutoir du capitalisme. L’objet de la présente loi est donc d’en renforcer la lettre pour garantir un principe fondamental de notre République.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le premier alinéa de l’article 88-2 de la Constitution est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« En matière budgétaire cependant, le Parlement reste souverain. Les institutions européennes ne pourront se prononcer qu’après la délibération des assemblées parlementaires. »


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