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N° 3888

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 novembre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences des décisions prises depuis 2007 sur l’état de l’école, sur l’aggravation des inégalités scolaires et sur la remise en cause du droit à l’éducation,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’école va mal, est en crise ou à bout de souffle. Tels sont les constats entendus depuis maintenant une vingtaine d’années au sujet de notre système éducatif. Et de noter, étude après étude, qu’au défi de la massification, engagée entre le décret Berthoin de 1959 portant la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et la réforme Haby de 1975 instaurant le collège unique, ne répond toujours pas celui de la démocratisation tel qu’envisagée dès 1943 dans le programme du Conseil National de la Résistance ou en 1947 avec le plan Langevin-Wallon.

« Comment la mise en œuvre du principe égalitaire dont se réclame l’école unique a-t-elle pu laisser subsister une telle inégalité des chances ? Comment quarante ans d’entreprises visant à l’éradiquer – ou, ce qui revient au même, à en finir avec l’échec et la difficulté de masse – ont-elles pu avoir une efficacité aussi relative ? » s’interrogeait déjà en 2002 le sociologue Jean-Pierre Terrail en remarquant que « quatre décennies de mobilisation contre l’échec scolaire ont permis une sorte de révolution culturelle de masse. Mais l’écart des chances de réussite selon l’origine sociale n’a pas bougé d’un iota, et jamais le malaise dans la scolarisation n’a paru aussi sérieux »(1).

La réponse tient sans doute pour une très large part à la structure même de notre système éducatif et à la persistance de son mode de fonctionnement ségrégatif qui s’appuie principalement sur la mise en concurrence des élèves et des établissements. Mais les contenus et les pratiques à l’œuvre à l’école n’en finissent pas non plus de poser question.

« Tant que les connaissances enseignées seront réduites à de simples “utilités scolaires”, complètement déconnectées des questions qui leur ont donné naissance dans l’histoire des hommes, tant que l’évaluation des élèves s’attachera essentiellement aux “produits”, négligeant les progrès effectués par chacun, tant que nous encouragerons la concurrence effrénée entre les personnes au détriment de la coopération, tant que nous ne mettrons pas tout en œuvre pour imposer une “pédagogie du sens” contre une “pédagogie du bachotage”, c’est de l’intérieur que la marchandisation triomphera... livrant l’école toute prête à la privatisation et au marché »(2) mettait aussi en garde Philippe Meirieu en 2001.

Aussi l’échec des remèdes apportés ici ou là a peu à peu révélé la nécessité d’engager une transformation profonde de notre système scolaire tant sur le plan de sa structure que de son fonctionnement et de ses contenus.

Jeter les bases d’une école de l’égalité, de la justice et de la réussite scolaire de tous les jeunes, telle fut l’ambition de la proposition de loi déposée par les parlementaires communistes, républicains, citoyens, au cours de la précédente législature.

Est-on encore aujourd’hui en mesure de donner corps à cet espoir de « révolution scolaire » ?

Sous couvert de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », dix années de mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne ont sans conteste donné encore plus de champ aux forces libérales et de droite pour essayer de conformer l’école de la République aux principales fonctions qu’elles lui assignent : tri social et formation selon un référentiel de compétences plutôt que de savoirs ou de connaissances.

Mais l’offensive faite au service public d’éducation a sans aucun doute atteint un sommet avec l’élection de l’actuel président de la République.

En 2007, l’OCDE pointait déjà du doigt la France parmi les plus mauvais pays pour l’ascension sociale, en montrant par exemple notre faible capacité à amener les jeunes dont le père exerce une profession manuelle à faire des études supérieures.

Près de quatre ans après, le Conseil économique, social et environnemental a révélé que notre système éducatif avait cessé dans la période récente d’être un facteur de réduction des inégalités pour être désormais responsable de leur aggravation.

De la sorte que si l’école avait échoué jusqu’alors à devenir l’ascenseur social que l’on peut observer dans quelques pays, la plupart des réformes imposées en France depuis 2007 auront probablement constitué le levier décisif de sa transformation en outil du déclassement.

De nombreux autres indicateurs – stagnation de la part d’une classe d’âge parvenant au niveau du baccalauréat, augmentation de la proportion d’élèves sortant du système scolaire sans diplôme ni qualification, persistance de graves lacunes dans l’acquisition des savoirs fondamentaux, etc – interpellent violemment quant à la capacité de nos dirigeant-e-s à préparer la société de demain.

Quelles décisions ont pu conduire à ce désastre ?

Dès le mois de juin suivant son élection, le président de la République enjoignait le Premier ministre de lancer la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui, sous couvert de « modernisation de l’État », allait organiser une saignée d’une ampleur inégalée dans la fonction publique.

Le premier budget présenté par le gouvernement consacra donc presque aussitôt 11 200 suppressions de postes dans l’enseignement scolaire public et privé pour 2008, tandis que la rentrée scolaire de 2007 dut supporter la confirmation de 8 700 emplois en moins tel que décidé dans la précédente loi de finances.

Un cap fut franchi à la rentrée 2009 puisque l’on vit pour la première fois une hausse du nombre d’élèves dans le premier degré s’accompagner d’une suppression de postes !

Aussi, les budgets qui suivirent apportèrent peu de nuances à cette débâcle organisée : 13 500 suppressions de postes pour 2009, 16 000 pour 2010, 16 120 pour 2011 et 14 000 pour 2012.

Au total, la RGPP fut donc le prétexte à la programmation de 80 000 suppressions de postes entre 2007 et aujourd’hui.

Et tandis que ses évaluations ont démontré des effets plus que limités en matière de réduction de la dette publique – qui est pourtant son prétexte –, nous savons à quelles conséquences dramatiques a abouti cette réforme dans le domaine scolaire : « Fermetures massives de classes malgré les augmentations prévues d’effectifs, affaiblissement organisé des RASED, baisse de la scolarisation des enfants de 2 ans, intégration au rabais des élèves handicapés, asphyxie des mouvements d’éducation populaire, d’éducation nouvelle, et des associations d’éducation complémentaires de l’enseignement public, démolition de la formation initiale des enseignants, détérioration des conditions d’accueil des élèves, dégradation des conditions de travail des personnels, difficultés à assurer des remplacements de qualité dans des conditions acceptables, découragement et mise en difficulté des jeunes enseignants, ainsi que des élèves dont ils ont la charge… »(3).

Pour justifier la poursuite de cette politique, nos gouvernants n’ont pas manqué de faire valoir que le budget de l’Éducation nationale continuait de progresser d’année en année. Or les hausses affichées étaient généralement inférieures à la prévision d’inflation. L’évolution des dépenses est en outre fortement corrélée au GVT (le glissement vieillesse technicité qui désigne les répercussions sur la masse salariale des règles statutaires d’avancement notamment) ou à la hausse du poids des pensions. On sait enfin que rapportées à la part des richesses produites, nos dépenses publiques d’éducation stagnent actuellement autour de 5,6 % du PIB alors qu’elle étaient par exemple de 7,8 % en 1993, avec une scolarisation moindre.

Si dans un brusque renversement de tendance, une augmentation de ces moyens ne saurait vraisemblablement suffire à elle seule à remettre l’école sur les rails, il apparaît toutefois que leur diminution a participé à affaiblir et déstabiliser un peu plus notre système scolaire.

Mais plonger l’école dans une crise encore plus profonde constituait sans doute une stratégie du président de la République pour pouvoir mieux imposer ses autres décisions d’inspiration néo-libérale, décrites dans sa Lettre aux éducateurs qu’il fit connaître dès septembre 2007.

C’est dans cette lettre qu’il confirma sa décision d’assouplir la carte scolaire alors même que l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-de-France avait pourtant révélé dès juillet 2007 que la mise en concurrence des établissements et la ségrégation sociale scolaire allaient à l’encontre de l’amélioration du niveau général y compris pour les élèves favorisés.

« Dans la plupart des départements visités, la question de la survie de certains collèges est ouvertement posée. […] C’est aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements que la mixité sociale est mise le plus rudement à l’épreuve : dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu »(4) avaient aussi dénoncé deux inspecteurs généraux de l’Éducation nationale dans un rapport que le ministre avait refusé de rendre public.

En prenant cette décision destinée à satisfaire une revendication de longue date de son électorat, la droite au pouvoir a participé à la création de « ghettos scolaires » dans des quartiers où ils n’étaient pas encore constitués, n’a pas manqué pas de juger finalement la Cour des comptes devant la commission des finances du Sénat le 3 novembre 2009.

Les annonces sécuritaires se sont naturellement multipliées alors que budget après budget, le ministère vide les établissements des adultes qui, aux côtés des enseignant-e-s contribuent à la vie scolaire des élèves : surveillant-e-s, conseiller-e-s principaux d’éducation, conseiller-e-s d’orientation psychologue, infirmier-e-s et médecins scolaires... Entre 2003 et 2009, le total des personnels d’éducation hors enseignant-e-s est ainsi passé de 97 727 à 81 300 personnes.

Ce contexte a aussi donné l’occasion à la majorité parlementaire de relancer l’idée populiste, répressive et démagogique par excellence de suppression des allocations familiales.

En fait, à chaque fois que cela a été possible, la droite au pouvoir a écarté toute politique de remédiation pour privilégier la stigmatisation. Dépistage et étiquetage des élèves plutôt que prévention, c’est encore, ce qui caractérise le tout nouveau livret d’« aide à l’évaluation des acquis en fin d’école maternelle » que vient de dévoiler le ministère de l’Éducation nationale. Or « la logique socio-politique qui prône l’identification précoce des “élèves à problème” pour les éliminer de la scolarité unique, autrement dit, se refuse à comprendre que proposer pour eux un enseignement au rabais ne pourra qu’accélérer leurs difficultés scolaires et leur révolte »(5).

Et s’agissant de la médecine scolaire, dont la mission consiste précisément à détecter précocement les troubles de santé pour y remédier, le gouvernement n’a fait qu’accepter son affaiblissement. On a ainsi constater la chute vertigineuse de la proportion d’élèves ayant bénéficié du bilan de santé dans leur 6e année : de 73,5 % en 2005, ce bilan n’a concerné que 66 % des élèves en 2009. La situation est à ce point critique qu’en présentant son rapport sur l’évaluation de la médecine scolaire devant le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes a récemment évoqué l’existence de « déserts médico-scolaires ».

En matière d’inégalités territoriales, tandis que l’on pouvait espérer un renforcement de l’éducation prioritaire, les moyens consacrés aux réseaux « ambition réussite » sont restés d’une faiblesse notable y compris après que la même Cour des comptes préconise que « pour faire face à l’écart croissant entre les meilleurs élèves et ceux en difficulté, il convenait d’engager des moyens exceptionnels en faveur des établissements les plus défavorisés »(6).

Au contraire, deux dispositifs nouveaux ont encore une fois justifié le recours à la concurrence et la sélection entre élèves : les internats d’excellence créés dans le cadre du Plan espoir banlieues et le dispositif Éclair visant à « repérer les talents et offrir aux élèves qui en ont les capacités les approfondissements qui leur permettront de les développer et de s’inscrire dans un parcours scolaire d’excellence ».

Logiques de classement et de discrimination, voici ce qui a encore prévalu à l’instauration d’un livret de compétences au collège tout comme fut imposée une réforme du lycée où un tiers des enseignements sont maintenant le fait d’options et où l’accompagnement personnalisé a justifié l’allégement des horaires. La recherche d’économies fut également à l’origine de la suppression d’une année de formation pour l’obtention du baccalauréat professionnel.

Dans le premier degré, la semaine de quatre jours a permis de libérer le samedi matin tout en ignorant complètement les effets induits au détriment notamment des élèves les plus en difficulté : fatigue excessive, réduction du temps de dialogue parents-enseignant-e-s, resserrement et densification de l’emploi du temps.

De nouveaux programmes du primaire, élaborés dans l’urgence, furent imposés sans consultation, prônant le retour à un apprentissage mécanique et moraliste mettant de côté la compréhension du sens et l’émancipation des enfants. Les programmes d’enseignement furent là aussi allégés via la mise en place d’heures de soutien censées compenser le démantèlement des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté pourtant reconnus pour leur utilité et leur efficacité.

Après des attaques particulièrement démagogiques à l’encontre de l’école maternelle dans le seul but de pouvoir créer des jardins d’éveil payants sans véritable visée éducative, le ministère de l’Éducation nationale a par ailleurs contraint les inspecteurs d’académie à ne plus prendre en compte les enfants de moins de 3 ans dans le calcul des effectifs afin d’organiser le recul de leur scolarisation : seulement un sur cinq maintenant contre plus d’un sur trois jusqu’en 2001 !

Décision incompréhensible au regard de l’étude PISA de 2009 qui notait que « dans l’ensemble des pays participants, les systèmes d’éducation qui affichent une forte proportion d’élèves ayant suivi un enseignement pré-primaire tendent à être plus performants », tandis qu’en 2005, le rapport « Portrait social » de l’INSEE démontrait déjà l’incidence positive de la scolarisation avant 3 ans sur la réussite scolaire.

Dans ce contexte explosif, faut-il préciser que les enseignant-e-s ont été en ligne de mire du gouvernement dès le début de la législature avec l’instauration d’un service minimum à l’école qui consistait en réalité à réduire le droit de grève par les conditions de son exercice.

Avec la suppression de la formation pédagogique des enseignant-e-s et l’allongement du niveau d’études nécessaire pour entrer dans le métier, la droite au pouvoir a en outre réussi à décourager les vocations. Le recours à la vacation par des personnels non formés et précaires se généralise et la prétendue revalorisation de début de carrière n’empêche pas que les salaires stagnent après 15 ans d’exercice, très en dessous de la moyenne de l’OCDE, et par exemple très loin des Anglais, des Allemands ou des Portugais !

Stéphane Bonnery, chercheur en sciences de l’éducation, a aussi décliné le détail des mesures qui désarment complètement les enseignant-e-s : « suppression de la formation continue, affaiblissement de la formation initiale, démantèlement de l’Institut National de Recherches Pédagogiques, attaque contre les mouvements pédagogiques, étranglement des financements de la recherche en éducation… »

Aucune de ces décisions n’a semble-t-il apporté de réponse pertinente aux défis posés à l’école d’aujourd’hui et la situation est plus critique que jamais.

Voici en effet en quels termes les élèves, étudiants, parents, personnels, associations complémentaires et mouvements pédagogiques et d’éducation populaire des 25 organisations rassemblées au sein du collectif « L’Éducation est notre avenir » ont lancé un appel aux parlementaires, le 5 septembre dernier, en prélude à la grève dans l’Éducation nationale qui a réuni pour la première fois public et privé le 27 septembre dernier :

« En l’absence de toute réponse raisonnée de la part d’un gouvernement devenu incapable de discernement pour l’avenir […], l’ensemble des organisations engagées dans le collectif “L’Éducation est notre avenir” en appelle désormais aux élus du peuple et de la République, pour interpeller le gouvernement sur sa politique […] Les conséquences qui se font déjà lourdement sentir sur le terrain, dans les établissements, les écoles, les classes et les actions post et périscolaires, ne sont pourtant que les prémices d’une bombe à retardement qui ne manquera pas d’exploser dans l’avenir. »

Cet avenir, ne se conjugue-t-il pas déjà au présent ?

Dans son édition 2011 de l’étude « Regards sur l’éducation », l’OCDE indique qu’entre 1995 et 2009, le taux de scolarisation des 15-19 ans a diminué en France, en passant de 89 % à seulement 84 %...

D’après les parents d’élèves, seulement 95 % des classes avaient effectivement un enseignant-e devant elles le 5 septembre dernier, quand elles ne dépassent pas les 40 élèves ou réunissent trois niveaux...

À la même date, environ 5 000 élèves handicapés se sont retrouvés sans accompagnant, rendant impossible la scolarisation de certains.

Près d’un mois après la rentrée, 4 140 demi-journées ont été signalées comme autant d’heures de cours perdues car non remplacées...

Et fin septembre, de nombreux lycéens étaient toujours sans affectation, en particulier des élèves de 1e technologique et des redoublants de terminale, tandis que d’autres n’avaient pu choisir leur option faute de place ou faute d’enseignant-e.

Des enseignant-e-s sont d’ailleurs contraints de se reconvertir dans de nouvelles matières par manque d’anticipation des besoins par le ministère.

Pour ces mêmes raisons, des académies ont commencé à recruter les étudiants non reçus au concours, aux côtés des autres vacataires de plus en plus nombreux et des enseignants stagiaires, qui n’ont pas bénéficié de réelle formation en vertu de la réforme de la masterisation décidée dans l’improvisation complète par le président de la République...

Sans cesse réformée et sans cesse démembrée, l’Éducation nationale ne semble en fait plus en mesure de garantir un accès égal au droit à l’éducation, à la formation et à l’obtention d’un diplôme.

Aussi, ces données interrogent finalement quant à la réalité du « droit à l’éducation » inscrit à alinéa 5 de l’article L. 111-1 du code de l’éducation qui est censé être « garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté ».

N’y a-t-il pas aussi matière à déceler plus largement dans la situation une véritable rupture avec le principe d’égalité normalement garanti par l’article 1er de la Constitution mais aussi avec le préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » ?

En réalité, il est probable que les attaques systématiques et organisées subies par l’école depuis une vingtaine d’années l’amènent à être de moins en moins en mesure de faire exister ce principe d’égalité fondamental et structurant.

Dans ces conditions, « ne doit-on pas, simplement, prendre acte que l’idéologie du maillon faible est devenue la pensée dominante, que notre pays a fait le choix de l’exclusion contre l’éducation, que l’École de la République est vendue par appartements et que sa fonction de creuset social a été définitivement abandonnée »(7) ?

Tout comme Philippe Meirieu, nous pensons au contraire que « face à tous ceux et toutes celles qui sont revenus de tout sans jamais y être allés, […] il faut redire qu’en matière éducative, si beaucoup a été fait, il reste encore beaucoup à faire. Nous devons résister, plus que jamais, à l’opinion trop répandue selon laquelle il conviendrait de revenir à des logiques sélectives. En réalité, la démocratisation de l’École reste un chantier à venir. Un immense chantier qui devrait mobiliser […]. Il faut, dès aujourd’hui et pour demain, opérer des renversements indispensables »(8).

De ce point de vue, comment laisser un gouvernement qui dispose de la majorité depuis tant d’années, promettre encore sans complexe qu’il va « redonner à l’École son rôle d’ascenseur social »(9) mais aussi une « évolution d’ensemble de l’institution scolaire »(10) dont on connaît d’avance les objectifs délétères.

Les élèves, les enseignant-e-s, comme tous les personnels concernés, ne peuvent plus continuer à être les variables d’ajustement des choix désastreux qui ne feront que réduire un peu plus les moyens et les ambitions du service public d’éducation.

Aussi, si la transformation progressiste de notre système éducatif appelle sans aucun doute « du neuf et du courage »(11), les responsabilités à l’égard de l’état dramatique du service public d’éducation méritent d’être très clairement établies et les effets de ces politiques mesurées sur le long terme.

C’est l’objet de la proposition de résolution suivante, dont il vous est proposé, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir délibérer et d’adopter.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer les conséquences des décisions prises depuis 2007 sur l’état de l’école, sur l’aggravation des inégalités scolaires et sur la remise en cause du droit à l’éducation.

1 () Jean-Pierre Terrail, De l’inégalité scolaire, La Dispute, 2002, p. 12-13.

2 () Philippe Meirieu, Stéphanie Le Bars, La machine-école, Folio actuel, 2001, p. 231-232.

3 () Appel aux parlementaires du collectif des 25 « L’Éducation est notre avenir », Paris, le 5 septembre 2011.

4 () IGAENR-IEN n° 2007-094, Les nouvelles dispositions de la carte scolaire, octobre 2007, p. 17, 27.

5 () Stéphane Bonnery, Comprendre l’échec scolaire. Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, La Dispute, 2008, p. 205.

6 () Cour des comptes, L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, mai 2010.

7 () Philippe Meirieu, Pédagogie, le devoir de résister, ESF éditeur, 2007, p. 93.

8 () Ibid, p. 117.

9 () Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, Lettre aux parlementaires, 1er septembre 2011.

10 () Ibid.

11 () Pierre Frackowiak, Pour une école du futur : du neuf et du courage, Chronique sociale, 2009.


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