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N° 4025

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d’enquête sur l’incendie
des Hauts de l’Ouest de la Réunion en 2011, sur l’inadéquation des moyens déployés et sur les dispositifs de prévention à adopter,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Huguette BELLO, Jean-Claude FRUTEAU et Patrick LEBRETON,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Plus d’un mois après le début de l’incendie dans les Hauts de l’Ouest de la Réunion, la lutte contre le feu se poursuit. Au total, plus de 2 700 hectares ont été touchés. Il s’agit de l’incendie le plus important enregistré en France en 2011. Il s’agit surtout du plus grave incendie, que de mémoire d’homme, la Réunion ait jamais connu. Ces tristes records étaient-ils inéluctables ?

Au bout de six jours de décisions chaotiques, un bilan désastreux.

Mardi 25 octobre 2011 : plusieurs feux se déclarent simultanément dans les Hauts de l’Ouest de la Réunion, au Maïdo, dans la même zone où, un an auparavant, un incendie avait réduit à néant 800 hectares. Piton Rouge, Tévelave, Piton des Orangers s’embrasent. Dans la végétation sèche, le feu se propage rapidement. Dès la première nuit, 300 hectares sont brûlés. L’incendie a pris à plus de 2 000 mètres d’altitude, sur un terrain escarpé, souvent inaccessible à pied, au cœur du parc national de la Réunion, classé patrimoine mondial de l’Unesco.

Lundi 31 octobre 2011 (22 heures 20) : le ministre de l’intérieur annonce l’arrivée de deux avions bombardiers d’eau Dash-8 à la Réunion. Ces deux appareils seront employés pour « accélérer l’extinction des feux et traiter les secteurs difficiles à toucher à l’intérieur du périmètre incendie », indique le communiqué du ministère de l’intérieur.

Jeudi 3 novembre 2011 (6 heures 30) : le premier Dash-8 entre en action.

Mais le bilan écologique est déjà lourd. Près de 3 000 hectares de végétation consumés, des paysages défigurés. Vingt-six espèces indigènes ou endémiques rares sont touchées, et seize d’entre elles considérées comme très menacées (le bonduc, la laîche de Balfour, le mahot blanc ou mahot cilié, la faujasie écailleuse, le petit maïs, la campanule de Rivals, le pariétaire grêle, le petit tamarin des hauts). La faune indigène est décimée. Les flammes ont dévoré de vastes parcelles qui abritent de nombreuses espèces endémiques et protégées, comme les papillons de nuit, le lézard vert des Hauts. Selon le Parc National, tous les invertébrés vivants dans cet habitat naturel ont été détruits. De la même façon, toutes les nichées de l’année des oiseaux tec-tec, papangues et passereaux ont été brûlées. Il faudra à la nature plusieurs dizaines d’années pour renaître.

L’enchaînement des événements a été dramatique.

Après une amélioration de la situation le mercredi, la situation s’est dégradée dès le lendemain. Les autorités, qui pensaient alors maîtriser le feu, doivent compter avec le vent qui s’est levé dans la journée. En quelques heures, la végétation est ravagée. Le vent attise les flammes. En fin de journée, près de 1 000 hectares ont été parcourus par le feu. Les remparts de Cilaos sont atteints, les forêts des Makes et du Tévelave sont menacées.

La situation s’est considérablement dégradée dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 octobre. Attisé par un vent violent et tourbillonnant, le feu a traversé, à plusieurs reprises, la route forestière des Tamarins. Les projections de braises et de flammèches multiplient les départs secondaires du brasier. Les flammes atteignent quinze mètres. Les arbres s’embrasent comme des brindilles. Au milieu de la nuit, le PC des pompiers, menacé par les flammes, est déplacé en urgence. Pour la première fois, une zone habitée est directement menacée. Quarante-trois personnes sont évacuées.

Plusieurs exploitations agricoles subissent des dégâts importants. Des prairies sont détruites, les stocks fourragers consumés, plusieurs retenues collinaires hors d’usage.

Moyens engagés au sol.

Face à la violence de cet incendie, jamais rencontrée sur l’île, la question des moyens d’intervention mobilisés est capitale.

Dès le déclenchement de l’incendie le mardi 25 octobre, un important dispositif a été mis sur pied pour tenter de freiner la propagation des flammes. Plus de 400 personnes (sapeurs pompiers, militaires, personnels de l’Office National des forêts, gendarmes, employés du Parc National, agents des communes) sont mobilisées.

Des renforts débarquent de France continentale. Dès jeudi, une première équipe composée de deux sections d’intervention héliportée des unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), et comprenant 61 hommes, arrive à la Réunion avec 7 tonnes de matériel pour renforcer le dispositif déjà engagé au Maïdo.

Ils sont suivis par huit experts en « feux tactiques ».

Six jours après le début de l’incendie, un nouveau renfort de 173 pompiers débarque dans l’île.

Le dispositif aérien a t-il été à la hauteur ?

Si le travail, le courage et l’abnégation des personnels qui luttent contre le feu sont unanimement salués, la question des moyens aériens devient rapidement centrale. Avant que le scénario catastrophe ne se produise, des voix s’étaient déjà élevées pour demander le recours à des moyens aériens adaptés. Elles soulignent que le relief escarpé de l’île complique fortement le travail des pompiers, les flammes avançant dans des zones comprises entre 1 400 et 1 600 mètres d’altitude.

Il est vite apparu que l’intervention sur la zone de huit hélicoptères, dont quatre bombardiers d’eau, n’était pas suffisante. À chaque passage, l’appareil ne déverse qu’entre 600 et 1 000 litres d’eau sur des zones précises, l’intervention des hélicoptères étant destinée à faciliter l’accès des pompiers au plus près des brasiers et sur les terrains escarpés.

Plusieurs élus demandent qu’on fasse intervenir des moyens aériens plus importants, et particulièrement le Dash-8 comme lors de l’incendie de 2010, mais la sécurité civile privilégie une intervention massive au sol et exclut celle de l’avion bombardier.

Au cours de la même journée du vendredi 28 octobre, les services de l’État publient, à huit heures d’intervalle, deux communiqués pour justifier l’absence du Dash-8.

À 11 heures, dans un premier communiqué, la Préfecture affirme que le Dash-8 n’aurait qu’une utilité limitée : « Le Dash est un avion bombardier d’eau lourd. Son action consiste à larguer des barrières de 10 tonnes de produit retardant (produit permettant de multiplier par 10 le pouvoir d’extinction de l’eau et qui évite la reprise du feu). Ce produit retardant est chargé dans des aéroports disposant d’infrastructures adaptées (les pélicandrômes). La Réunion ne dispose pas de pélicandrômes avec retardant. Le Dash-8 ne pourrait que ravitailler et larguer de l’eau. Son utilité serait limitée. C’est d’ailleurs le bilan dressé après son emploi au Maïdo en 2010 ».

À 19 heures, dans un second communiqué, la préfecture remet en cause l’utilité du Dash-8 qui serait inadapté pour des largages en zone montagneuse au dessus de 1 800 mètres. « Le bilan dressé après l’emploi du Dash au Maïdo en 2010 a fait apparaître les limites de son emploi :

– appareil peu maniable compte tenu de son gabarit, le Dash-8 ne peut pas procéder à des largages de précision dans des zones montagneuses accidentées, contrairement aux hélicoptères ;

– en raison de l’altitude à laquelle les feux sont situés (entre 1 800 et 2 500 mètres), la capacité d’emport du Dash est limitée à 7m3 par rotation ;

– la couverture nuageuse qui s’installe quotidiennement ou presque sur les Hauts limite considérablement l’emploi de l’appareil qui en 2010 est plusieurs fois resté cloué au sol dès le milieu de la matinée ;

– l’an dernier en 8 jours, le Dash a été employé pour lutter contre le feu pendant 28h soit 3h30 par jour. À raison de 2 rotations par heure et de 7m3 d’eau largués à chaque rotation, il larguait en moyenne 50m3 chaque jour ».

Pour sa part, la Ministre des Outre-mer déclare que le choix qui a été fait d’essayer d’éteindre le feu par des hommes mobilisés sur le terrain et d’utiliser les hélicoptères est lié à la configuration de l’île, qui est une île volcanique. Elle estime que l’intervention de l’avion bombardier « n’est pas forcément nécessaire » et que le Dash-8 « n’est pas forcément le meilleur moyen de venir à bout de ce feu.»

La Ministre de l’écologie et du développement durable, qui évoque « un vrai désastre écologique », va dans le même sens en affirmant que « l’essentiel de la lutte doit se faire au sol » et « que les hélicoptères sont mieux adaptés » au terrain très accidenté. Elle justifie sa position par le temps nécessaire aux bombardiers – « au moins six jours » selon elle – pour arriver à la Réunion. Et, – pour des raisons liées à leur ravitaillement – par le nombre limité de rotations que pourrait réaliser un Dash-8 une fois sur place.

Pression des élus, des citoyens, des medias.

L’évolution dramatique de la situation, en dépit des moyens au sol, suscite une vague de réactions de la part des élus, de la direction du parc National de la Réunion, des citoyens. Pendant plusieurs jours, l’incendie du Maïdo fait aussi l’objet d’une intense couverture médiatique au niveau local et national. L’affaire donne lieu à une vive polémique.

Onze parlementaires et maires des communes concernées, de gauche comme de droite, s’adressent directement au Président de la République pour demander l’intervention urgente du Dash-8 qui peut transporter 12 000 litres d’eau par voyage contre 800 litres pour un hélicoptère.

La Direction du Parc déclare que l’incendie a atteint des zones très difficiles à plus de 2 000 mètres d’altitude, avec des points d’eau très éloignés, et juge indispensable une assistance aérienne en complément des moyens humains.

De plus, le « Plan de prévention et de lutte contre les feux de forêts », élaboré conjointement par la préfecture de la Réunion, le SDIS et l’ONF et adopté en juillet 2011, prévoit de manière explicite que « face à une situation de crise, le Préfet sollicitera l’engagement de moyens nationaux (Dash-8 de la Sécurité civile) et des moyens militaires tant aériens (hélicoptères Fennec) que terrestres ».

Les deux Dash-8, Milan 73 et Milan 74, finiront par atterrir à la Réunion les 2 et 5 novembre. Ils vont multiplier les rotations et effectuer plus d’une dizaine de largages quotidiens. À chaque passage, 10 000 litres d’eau sont déversés. Leur objectif est, en les noyant, d’éteindre les foyers persistants. Au total, près de 200 largages auront été réalisés et plus de 1 700 000 litres d’eau déversés.

Souffrance d’un site inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité.

L’incendie a frappé le cœur du parc national dans lequel s’étend une forêt primaire d’une richesse remarquable. Le site des « Pitons, Cirques et Remparts » que l’Unesco a classé, en août 2010, au Patrimoine mondial de l’Humanité a été gravement touché. Ce site abrite des plantes uniques au monde, ainsi que des animaux endémiques dont le pétrel de Barau ou le pétrel noir, espèces au bord de l’extinction. L’habitat d’espèces remarquables a disparu.

La restauration du Parc national est urgente, ainsi que la lutte contre les espèces invasives. Des coulées de boue sont également à craindre, particulièrement lors de la saison cyclonique.

L’Unesco a déjà fait part de son intention de diligenter une mission d’expertise sur le déroulement des faits, la gestion de l’incendie et les conséquences à tirer pour que la Réunion ne subisse plus un tel désastre écologique.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous prions de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres sur l’incendie qui a ravagé, en octobre-novembre 2011, des milliers d’hectares des Hauts de l’Ouest de la Réunion, sur les moyens mis en œuvre et sur les dispositifs de prévention à adopter.


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