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N
° 76

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains,

par Mme Danielle BOUSQUET,

Députée

——

Voir les numéros  :

Sénat : 303, 346 et T.A. 108 (2006-2007)

Assemblée nationale : 6

INTRODUCTION 5

I – PHÉNOMÈNE MONDIAL, LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS TOUCHE AUSSI L’EUROPE ET LA FRANCE 7

A – PARCE QU’ELLE CONCERNE TOUS LES ETATS DU MONDE, LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS EST COMBATTUE PAR UN PROTOCOLE ADOPTÉ SOUS L’ÉGIDE DES NATIONS UNIES 7

1) Un phénomène mondial 7

2) Le « protocole de Palerme » 8

B – LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS N’ÉPARGNE NI LE CONTINENT EUROPÉEN, NI LA FRANCE 9

1) La traite des êtres humains en Europe 9

2) La France, destination de nombreux réseaux de traite 10

II – LA CONVENTION DU CONSEIL DE L’EUROPE VISE À RENFORCER L’EFFICACITÉ DES STIPULATIONS MISES EN œUVRE AU NIVEAU MONDIAL 11

A – UNE DÉFINITION ET UN CHAMP D’APPLICATION LARGES 11

B – UNE STRATÉGIE EN TROIS VOLETS 13

1) Prévenir la traite 13

2) Protéger les victimes 13

3) Punir les responsables 15

C – LE SOUCI D’UNE LUTTE EFFICACE 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE 23

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a adopté, le 26 juin dernier, le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, signée par la France le 22 mai 2006. Il est rare qu’un délai aussi court sépare les étapes successives de la procédure préalable à la ratification d’un accord international. Cette diligence a été rendue possible par le fait que le droit et la pratique de notre pays dans ce domaine ont assez largement anticipé les exigences de la Convention, notamment sous l’influence du « protocole de Palerme » du 15 novembre 2000, dont la France était aussi l’un des premiers Etats parties.

La Convention du Conseil de l’Europe vise à préciser, à développer et à compléter les stipulations de ce protocole des Nations unies, à l’échelle d’un continent que son niveau moyen de développement ne préserve nullement de la traite des êtres humains. Celle-ci se nourrit en effet des inégalités de richesse entre continents, entre Etats, voire entre régions d’un même Etat.

Votre Rapporteure s’efforcera d’abord de donner une idée de l’ampleur du phénomène de la traite des êtres humains, qui n’épargne aucune région du monde. Elle présentera ensuite les stipulations de la convention du Conseil de l’Europe, qui s’articulent autour de la prévention, de la protection des victimes et de la poursuite des responsables de la traite, en insistant sur sa valeur ajoutée par rapport au « protocole de Palerme » et en montrant comment la France s’y conforme déjà très largement.

I – PHÉNOMÈNE MONDIAL, LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS TOUCHE AUSSI L’EUROPE ET LA FRANCE

A – Parce qu’elle concerne tous les Etats du monde, la traite des êtres humains est combattue par un protocole adopté sous l’égide des Nations unies

1) Un phénomène mondial

La traite des êtres humains est un phénomène global. Elle constitue l’esclavage des temps modernes, impliquant le recrutement, le transfert et le transport d’hommes, de femmes et d’enfants en vue de les exploiter notamment dans deux domaines en particulier : le travail forcé et la prostitution forcée.

Le Bureau international du travail estime qu’environ 2,5 millions de personnes sont chaque année victimes de ce trafic, qu’il soit transfrontalier ou interne. Selon le Département d’Etat américain, 800 000 à 900 000 personnes franchiraient annuellement une frontière internationale de manière frauduleuse dans le cadre de la traite. La plupart des victimes sont originaires de régions pauvres, soumises aux disparités économiques, à l’agitation politique, au militarisme, aux guerres ou aux catastrophes naturelles. Les femmes et les enfants sont particulièrement vulnérables : les femmes à cause de leur faible accès à l’éducation et au travail dans une grande partie du monde et les enfants du fait de leur vulnérabilité par rapport aux adultes.

Mais la traite des êtres humains est loin de se limiter aux pays du Tiers-monde. Les statistiques publiées par le Département d’Etat américain montrent que les victimes de la traite proviennent de 127 pays et sont exploités dans 137 nations. Par exemple, le Département d’Etat évalue entre 18 000 et 20 000 par an le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui entrent aux Etats-Unis dans le cadre de la traite des êtres humains.

Le fait que la traite des êtres humains soit devenue si répandue dans le monde d’aujourd’hui est la conséquence du caractère peu risqué, mais très profitable, de cette activité criminelle. Le Département d’Etat estime que la traite des êtres humains rapporte chaque année entre 8 et 10 milliards de dollars à ceux qui l’organisent, ces bénéfices étant ensuite investis dans d’autres activités criminelles. Selon certaines sources, ce trafic est la troisième source de revenus illicites dans le monde après le trafic d’armes et celui de stupéfiants.

Dès que c’est nécessaire, du fait d’un changement de législation ou d’un contrôle accru aux frontières, les trafiquants changent d’itinéraires et de méthodes, et ce de façon très rapide. Les appréhender est une procédure très difficile car les enquêtes sont rares, les faits peu poursuivis ou condamnés, principalement à cause du manque de priorité donné par les autorités à ces affaires et de la difficulté à obtenir des témoignages auprès des victimes, qui sont trop effrayées pour comparaître.

C’est donc pour combattre le sentiment de tolérance et d’impunité qui entoure ces trafics que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le 15 novembre 2000 le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, communément appelé le « protocole de Palerme ».

2) Le « protocole de Palerme »

Entré en vigueur le 25 décembre 2003, le « protocole de Palerme » a été signé par 117 Etats et ratifié par 112. La France a fait partie des tout premiers Etats qui ont achevé cette procédure. Rares sont donc les pays à ne pas l’avoir signé ; l’Afghanistan, l’Angola, la Chine, Cuba, la Côte d’Ivoire, l’Iran, le Pakistan, le Vietnam et le Maroc sont de ceux-là. Ils sont pourtant loin d’être préservés du phénomène de la traite.

Le « protocole de Palerme » porte sur tous les aspects de la traite transnationale, qu’il définit en droit international comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. » (article 3 du Protocole)

Il impose aux Etats parties à la fois de prévenir la traite, de punir les trafiquants et de protéger les victimes.

Afin d’atteindre le premier objectif, les Etats doivent faire un effort de sensibilisation de leur population aux risques de la traite et travailler en collaboration avec les autres pays, les organisations non gouvernementales et les différents acteurs du phénomène pour élaborer des stratégies concertées de prévention. La punition des responsables de la traite passe par l’inclusion dans les législations nationales d’une définition de la traite comme un crime et de la criminalisation de toutes les activités qui l’entourent. Enfin, le Protocole oblige les Etats à apporter aux victimes une assistance appropriée pour leur permettre de porter plainte contre les trafiquants dont ils ont été victimes. En revanche, il se contente de les encourager à leur fournir une assistance psychologique et médicale et un logement, ainsi que la possibilité de rester sur leur territoire.

B – La traite des êtres humains n’épargne ni le continent européen, ni la France

L’ensemble des Etats du continent européen ont signé et ratifié le « protocole de Palerme », ce qui témoigne de leur volonté de combattre un phénomène très important dans la région.

1) La traite des êtres humains en Europe

La plupart de victimes de la traite sur le continent européen sont originaires du centre et de l’est de l’Europe ; avec l’élargissement de l’Union européenne, une partie des trafics s’opère désormais en son sein. Faute de base de données, il est difficile de mesurer précisément l’évolution de l’ampleur du phénomène, mais Europol considère qu’il n’y a pas de diminution, la principale nouveauté étant le développement de la traite dans les frontières de certains Etats non-membres de l’Union, notamment à cause du renforcement des contrôles aux frontières extérieures de celle-ci.

Les victimes de la traite des êtres humains proviennent des pays ou des régions où les femmes et les enfants en particulier sont dans une détresse qui les conduit à croire facilement aux mensonges des trafiquants. Les principaux pays européens de provenance identifiés par Europol sont la Moldavie, l’Ukraine, la Bulgarie, la Roumanie, la Fédération de Russie et l’Albanie. Les trafiquants sont le plus souvent originaires des pays dont ils exploitent les ressortissants. L’Europe de l’Ouest accueille aussi des victimes de la traite arrivant de pays d’Afrique du Nord et d’Afrique noire.

Les destinations les plus courantes sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

En 2005, Europol a par exemple confondu un citoyen ukrainien qui avait gagné plus de 7,5 millions de dollars en quatre ans en fournissant des travailleurs clandestins originaires d’Europe de l’Est à de nombreuses fermes et usines britanniques.

La Suisse estime que 1 500 à 3 000 personnes seraient victimes de traite d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle sur son territoire ; elles sont originaires d’Europe de l’Est et du Sud-Est, des pays baltes, du Brésil et de Thaïlande. Selon Europol, ces victimes sont au nombre d’au moins 5 000 en Italie, où leur exploitation rapporterait chaque année entre 380 et 950 millions d’euros.

2) La France, destination de nombreux réseaux de traite

La France ne se distingue guère de ses voisins dans ce domaine.

Elle est un pays destinataire de la traite d’êtres humains
– principalement celle des femmes d’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique à des fins d’exploitation sexuelle et d’esclavage domestique. La police estime que 90 % des 15 000 à 18 000 prostituées de France sont victimes d’un trafic et que quelque 3 000 à 8 000 enfants travaillent, mendient ou se prostituent sous la contrainte.

En 2005 comme en 2006, 80 % des personnes mises en cause pour racolage par les services de police français étaient étrangères ; environ un tiers venaient de l’Est de l’Europe ou des Balkans, un tiers d’Afrique et un sixième d’Amérique du Sud ou des Caraïbes. En 2006, 72,5 % des victimes des personnes mises en cause pour proxénétisme par les services de police étaient étrangères ; parmi elles, 43 % étaient originaires de l’Est de l’Europe ou des Balkans, 28 % d’Afrique et 15 % du Maghreb.

Dans une moindre mesure, la France est un pays de transit pour la traite des femmes en provenance d’Afrique, d’Amérique centrale et du Sud et d’Europe centrale et méridionale. Les réseaux nigérians développent leur activité en France. Des rapports font état de trafics d’hommes chinois et colombiens à des fins de servage et de travaux forcés. La traite de femmes et jeunes filles brésiliennes à destination de la Guyane française à des fins d’exploitation sexuelle pose aussi un grave problème.

Le rapport sur les diverses formes de l’esclavage moderne, publié en décembre 2001 (1), à l’issue d’une mission d’information à laquelle votre Rapporteure a participé, a contribué à la prise de conscience de l’ampleur du phénomène et du caractère épouvantable du sort fait à ses victimes. Ce trafic aux profits considérables demeure avant tout une atteinte insupportable aux droits de la personne humaine, la globalisation de l’économie engendrant une globalisation de l’industrie du sexe et de l’esclavage sexuel. Depuis la publication de ce rapport, la législation et les pratiques des services concernés ont évolué ; le « protocole de Palerme » a été ratifié en octobre 2002 et la signature, le 22 mai 2006, de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains constitue un signe supplémentaire de la volonté française de combattre efficacement le trafic des êtres humains.

II – LA CONVENTION DU CONSEIL DE L’EUROPE VISE À RENFORCER L’EFFICACITÉ DES STIPULATIONS MISES EN œUVRE
AU NIVEAU MONDIAL

La convention du Conseil de l’Europe vise à renforcer la protection assurée par le « protocole de Palerme » et les autres instruments internationaux, universels ou régionaux, pertinents dans la lutte contre la traite des êtres humains, et à développer les normes qu’ils énoncent. Ses stipulations sont plus précises et ses exigences plus élevées que celles du « protocole de Palerme » ; l’accent est davantage mis sur la protection des droits de la personne humaine des victimes de la traite.

L’intervention du Conseil de l’Europe dans ce domaine se justifie à plusieurs titres. D’abord, l’un de ses objectifs principaux est la sauvegarde et la protection des droits et de la dignité de la personne humaine, valeurs qui sont niées par la traite des êtres humains. Ensuite, le Conseil compte, parmi ses quarante-sept Etats membres, des pays d’origine, de transit et de destination de la traite des êtres humains. Il a d’ailleurs pris de nombreuses initiatives dans ce domaine depuis la fin des années 1980.

La Convention, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, a été signée par trente-six Etats, tous membres du Conseil de l’Europe. En application de son article 42, son entrée en vigueur est conditionnée à dix ratifications, parmi lesquelles huit ratifications d’Etats membres du Conseil. Seuls sept d’entre eux (2) ont à ce jour achevé la procédure. Bien que la Convention ne soit pas encore en vigueur, le droit français est déjà très largement conforme à ses stipulations.

A – Une définition et un champ d’application larges

La définition que la Convention donne de la traite dans son article 4 est identique à celle qui figure dans le « protocole de Palerme » ; en revanche, son champ d’application est plus large que celui du Protocole puisque les stipulations de la Convention s’appliquent « à toutes les formes de traite des êtres humains, qu’elles soient nationales ou transnationales et liées ou non à la criminalité organisée » (article 2), tandis que la Protocole ne porte que sur les phénomènes transnationaux et dans lesquels un groupe criminel organisé est impliqué.

Selon cette définition, la traite des êtres humains consiste en une combinaison de trois éléments de base, chacun d’entre eux devant être repris d’une liste énoncée dans la définition :

– une action : « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes » ;

– un moyen : « la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre » ;

– un but : « aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ».

Pour qu’il y ait traite, il faut en principe la réunion d’éléments appartenant à chacune de ces catégories. Mais une exception est prévue en ce qui concerne les enfants : l’une des actions dans l’un des buts mentionnés supra suffit pour qu’il y ait traite, même si aucun des moyens cités n’a été utilisé.

L’article 225-4-1 du code pénal français (3) définit la traite des êtres humains dans des termes qui répondent aux exigences de la Convention.

Votre Rapporteure signale qu’une nouvelle forme d’exploitation sexuelle, qui relève incontestablement de la traite, se développe depuis quelques années : il s’agit de l’utilisation de femmes et d’enfants dans la pornographie violente.

Dans le respect de l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la mise en œuvre de la Convention de 2005 doit être assurée sans discrimination.

B – Une stratégie en trois volets

1) Prévenir la traite

La prévention de la traite comporte un volet de prévention proprement dite et un volet de mesures destinées à décourager la demande. Elle doit être complétée par des actions spécifiques en matière de contrôle, de sécurité et de coopération, qui visent à rendre plus difficile le franchissement des frontières par les victimes de la traite. Ces dernières actions (articles 7 à 9) figurent d’ores et déjà dans le « protocole de Palerme ».

Les stipulations relatives à la prévention (article 5) mettent notamment l’accent sur la coordination entre les différents personnels dont l’action contribue à la lutte contre la traite, sur la sensibilisation de ces personnels comme de la population, sur l’information relative à l’immigration légale et sur la nécessité de prendre des mesures préventives spécifiquement adaptées aux enfants.

L’article 6 crée une obligation positive pour les Etats parties d’adopter ou de renforcer les mesures visant à décourager la demande concernant tant l’exploitation sexuelle que le travail forcé, toutes les pratiques relevant de l’esclavage et le prélèvement d’organes. Le but est d’assurer une dissuasion efficace par tous les moyens, législatifs, administratifs, éducatifs, sociaux, culturels.

Votre Rapporteure insiste sur le caractère fondamental des actions d’information et de prévention, et sur le fait que, en France, tout reste à faire dans ce domaine. Le plus urgent serait de mener une véritable campagne d’information à destination des jeunes générations, pour leur faire prendre conscience du caractère inacceptable de la prostitution, et de lancer une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour décourager efficacement la demande.

En effet, la prostitution obéit à un mécanisme de marché. C’est le client qui est à l’origine de la demande que les prostituées – dont la vulnérabilité est totale – sont chargées de satisfaire. Dès lors, c’est en s’attaquant à la demande, dont à la source de profitabilité de ce sinistre marché, que les pouvoirs publics mènent l’action la plus efficace.

2) Protéger les victimes

Si le « protocole de Palerme » comporte un volet de protection des victimes, celui-ci ne constitue pas le cœur de ses stipulations. La Convention est en revanche centrée sur la protection des droits des victimes.

L’article 10 est ainsi consacré à l’identification des victimes, c’est-à-dire à leur identification comme victime, ce qui leur donne droit aux dispositions de protection et d’assistance. Les mesures spécifiquement destinées aux enfants sont accordées à toute victime dont on a des raisons de penser qu’elle a moins de dix-huit ans, même s’il y a incertitude sur son âge. Un enfant victime non accompagné a le droit d’être représenté. En France, un administrateur ad hoc est désigné pour représenter devant le juge l’intérêt de l’enfant victime comme du mineur étranger isolé (4).

La protection de l’identité et de la vie privée des victimes par l’Etat (article 11) est indispensable à la fois à leur protection physique face aux responsables de la traite et à leur réinsertion sociale, qui pourrait être gênée par un sentiment de honte ou une stigmatisation provoquée par leur état de victime.

Une personne qui quitte le milieu de la traite des êtres humains se trouve généralement dans une situation de grande précarité et d’extrême vulnérabilité qui rend indispensable des mesures d’assistance. L’article 12 de la Convention énumère le contenu minimal de l’assistance que les Etats doivent fournir aux victimes. En font notamment partie un hébergement convenable et sûr, l’accès aux soins médicaux d’urgence – l’aide médicale complète étant réservée aux victimes qui résident légalement sur le territoire –, une aide linguistique, l’accès à l’éducation pour les enfants et l’assistance d’un défenseur. Cette assistance est indispensable ; aussi votre Rapporteure ne peut-elle qu’appeler à un renforcement, en France, des moyens dont disposent les centres d’aide psychologiques et les maisons d’accueil, souvent gérés par des associations, qui sont chargés de prodiguer aux victimes des soins adaptés.

L’article 13 de la Convention accorde en outre aux victimes de la traite qui sont en situation de séjour illégal un délai de rétablissement et de réflexion d’au moins trente jours, pendant lequel elles ne pourront pas être éloignées du territoire. Selon les informations émanant du Gouvernement (5), le droit français sera prochainement modifié afin de respecter cette stipulation : un tel délai de rétablissement sera inscrit dans le décret en Conseil d’Etat qui doit être pris en application de l’article L. 316-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

La France se conforme en revanche d’ores et déjà aux stipulations de l’article 14 de la Convention relatives au permis de séjour, qui doit être délivré aux victimes, si cela est jugé nécessaire en raison « de leur situation personnelle » ou « de leur coopération avec les autorités compétentes aux fins d’une enquête ou d’une procédure pénale ». L’article 76 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure prévoyait la possibilité de délivrer à un étranger (sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public) une autorisation provisoire de séjour lorsqu’il dépose plainte pour des infractions de traite des êtres humains commises à son encontre, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour des infractions de traite des êtres humains. 120 à 140 victimes ont bénéficié de ce dispositif dès 2003. Depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, c’est désormais une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » qui peut être délivrée à un étranger dans ces mêmes conditions.

L’article 15 de la Convention pose le principe du droit à l’indemnisation et au recours. Chaque Etat partie doit accorder aux victimes un droit à l’assistance d’un défenseur et à une assistance juridique gratuite, selon les conditions prévues par son droit interne. En France, l’aide juridictionnelle peut être octroyée « sans condition de résidence aux étrangers lorsqu’ils sont (...) partie civile » (6), ce qui répond à cette préoccupation. Pour ce qui est de la garantie du droit à l’indemnisation, elle est assurée en France par l’intervention de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions en cas de défaillance de l’auteur des faits.

Partiellement inspiré du « protocole de Palerme », l’article 16 de la Convention précise les conditions du rapatriement ou du retour des victimes : si ce retour peut ne pas être volontaire, le retour volontaire doit être préféré.

3) Punir les responsables

Le chapitre IV de la Convention est consacré au droit pénal matériel. Doivent se voir conféré le caractère d’infraction pénale :

– la traite des êtres humains (article 18), ce qui est fait par l’article 225-4-1 du code pénal ;

– l’utilisation des services d’une victime (article 19) – mais dans ce cas, les Etats parties doivent seulement envisager son incrimination, dans le but de décourager la demande ; en effet, il est toujours difficile de prouver que l’utilisateur savait qu’il s’agissait d’une victime de la traite ;

– les actes relatifs aux documents de voyage ou d’identité (article 20), comme la fabrication de faux, ce qui est déjà le cas au travers de diverses dispositions du code pénal ;

– la complicité et la tentative des infractions précitées (article 21), lesquelles sont susceptibles d’être réprimées pour la première sur le fondement de l’article 127-1 du code pénal, la seconde par l’article 225-4-7 pour les faits de traite des êtres humains et par l’article 441-9 pour les faits de faux.

Les exigences énoncées par l’article 22 de la Convention en matière de responsabilité des personnes morales sont satisfaites pas l’article 121-2 du code pénal, tandis que les sanctions prévues en droit français respectent les minima posés par la Convention (article 23) et que les peines complémentaires demandées par celle-ci existent aussi. Les circonstances aggravantes de l’article 225-4-2 du code pénal recouvrent celles prévues par la Convention (article 24).

De même, comme le prévoit l’article 26 de la Convention, l’article 122-2 du code pénal permet de ne pas prononcer de sanction à l’encontre d’une personne qui aurait commis une infraction sous la contrainte.

Les stipulations du chapitre V de la Convention consacré aux enquêtes, aux poursuites et au droit procédural visent à protéger les victimes de la traite et à faciliter les poursuites des auteurs des infractions. Elles reprennent des standards habituels qui ne posent pas de problème en droit interne. Ainsi, les exigences de l’article 27 (ne pas subordonner les enquêtes et les poursuites à la déclaration de la victime et autoriser toute victime à porter plainte sur le territoire national) sont satisfaites par les articles 1er et 15-3 du code de procédure pénale.

Seules certaines stipulations de l’article 31 de la Convention relatives aux règles de compétence nécessiteront une modification de la loi française (7) : celle-ci ne permet en effet pas aux juridictions françaises d’exercer leur compétence s’agissant de faits commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, sans que ne soit exigée la double incrimination des faits, ni la plainte préalable de la victime ou la dénonciation officielle des faits par les autorités de l’Etat sur le territoire duquel les faits ont eu lieu. En attendant cette modification législative, le Gouvernement a l’intention de faire une déclaration sur ce point lors du dépôt de l’instrument de ratification.

Le droit pénal français satisfait donc la quasi-totalité des exigences de la Convention. Sa mise en œuvre est aussi souvent présentée comme exemplaire. Ainsi, notre pays est doté d’une part, depuis 1958, d’un Office central pour la répression de la traite des êtres humains, qui, notamment, mène des enquêtes dans les affaires de proxénétisme d’envergure nationale ou internationale afin de procéder au démantèlement de ces réseaux, et d’autre part d’une section centrale de coopération opérationnelle policière, dépendante du ministère de l’Intérieur, qui facilite la collaboration des services nationaux avec Interpol, Europol et les autorités des pays de l’espace Schengen. Le développement de la coopération policière et judiciaire fait en effet également partie des objectifs de la Convention.

C – Le souci d’une lutte efficace

Pour que la lutte contre la traite des êtres humains soit la plus efficace possible, la Convention pose les principes d’une coopération internationale et avec la société civile (chapitre VI) et met en place un mécanisme de suivi (chapitre VII).

Les stipulations relatives à la coopération, qui doit concerner la prévention, la protection et l’assistance aux victimes, au même titre que les investigations et la procédure pénale, sont classiques. Le mécanisme de suivi, dont le « protocole de Palerme » est dépourvu, est en revanche une innovation et constitue un point fort de la Convention.

Il repose sur deux piliers :

– une instance technique, composée d’experts indépendants chargés d’adopter un rapport et des conclusions sur la mise en œuvre de la Convention par les Etats parties ;

– une instance plus politique, le Comité des Parties, qui peut adopter, sur le fondement des travaux du groupe d’experts, des recommandations adressées à un Etat partie en ce qui concerne les mesures à prendre pour améliorer l’application de la Convention.

CONCLUSION

Par rapport au « protocole de Palerme », dont elle reprend certaines stipulations, la Convention du Conseil de l’Europe constitue un progrès sur trois points principaux :

– affirmant que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à la dignité et à l’intégrité de l’être humain, elle vise à renforcer le niveau de protection de toutes les victimes de la traite ;

– elle vise toutes les formes et types de traite, qu’elle soit nationale ou transnationale, liée ou non au crime organisé ;

– elle met en place un mécanisme de contrôle afin d’assurer une mise en œuvre efficace de ses stipulations par les parties.

Même si elle respecte d’ores et déjà la plupart des exigences de la Convention – sauf en matière de prévention –, la France a tout intérêt à ratifier ce nouvel instrument international : d’abord, elle témoigne par là de sa volonté de combattre un trafic particulièrement odieux et d’aider ceux qui en sont victimes ; ensuite, elle contribuera ainsi à accélérer l’entrée en vigueur de la Convention, laquelle ne dépendra plus que de deux autres ratifications. Votre Rapporteure forme aussi le vœu que cette entrée en vigueur conduise le Gouvernement à renforcer les moyens des centres chargés de l’accueil des victimes de la traite des êtres humains et à lancer une véritable politique de sensibilisation auprès des jeunes et une réflexion sur les instruments de lutte contre la demande.

C’est pourquoi votre Rapporteure est favorable à l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 17 juillet 2007.

Après l’exposé de la Rapporteure, un débat a eu lieu.

Déplorant vivement l’ampleur du phénomène, M. François Rochebloine a souhaité obtenir les précisions suivantes :

− Sur quels critères les titres de séjour sont-ils délivrés à ces personnes victimes de la prostitution ?

− Quel type de titres de séjour leur est-il octroyé ?

− Quel est l’organisme chargé de l’examen de la situation de ces personnes ?

− Quelles mesures d’accompagnement sont-elles prises en leur faveur ?

Partageant l’indignation de M. François Rochebloine, Mme Danielle Bousquet, rapporteure, a précisé que de très nombreuses personnes étaient malheureusement victimes du phénomène, lesquelles provenaient non seulement d’Afrique du Nord mais également, bien souvent, d’Europe de l’Est. Comme évoqué précédemment, l’objectif du texte examiné est notamment de décourager la demande. A cet égard, le chapitre II de la convention prévoit un certain nombre de mesures afin, notamment, d’encourager une meilleure prise de conscience dans les médias ainsi qu’au sein de la société civile. Il faut d’ailleurs reconnaître que le niveau de conscience collective sur ce sujet est assez limité en France et, plus globalement en Europe, à l’exception notable des pays d’Europe du Nord.

Puis, elle a indiqué que la législation française était d’ores et déjà en grande partie en conformité avec les dispositions de la convention, en particulier en matière de droit au séjour des victimes de la traite qui portent plainte ou acceptent de témoigner. Elle a ajouté que la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et l’intégration prévoyait l’octroi, par le ministère de l’intérieur, de cartes de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

Egalement indigné par ces pratiques, M. Jean-Paul Lecoq a déploré l’existence de nombreux abus dans d’autres secteurs, comme l’attestait, par exemple, l’esclavage domestique. Il s’est interrogé sur l’ampleur de ces phénomènes ainsi que sur les capacités d’intervention dont les pouvoirs publics disposaient pour lutter contre ces pratiques odieuses. Soucieux des retards accumulés en matière de prévention, il a souhaité connaître la qualité de la réponse apportée par les politiques publiques pour aider les personnes, victimes de ces abus, à se réinsérer : dispose-t-on de suffisamment de centres d’accueil ? Comment sont-ils répartis sur le territoire ? Comment s’assurer que ces initiatives répondent effectivement aux besoins ?

Mme Danielle Bousquet, rapporteure, a indiqué qu’il était difficile de connaître la portée exacte du phénomène de l’esclavage domestique, comme l’avait souligné le rapport d’information publié en 2001. Ce rapport met cependant clairement en lumière le caractère malheureusement non exceptionnel de ces abus dans les nombreux secteurs qui ont été évoqués. La Rapporteure a confirmé que la France était très en retard en matière de prévention, ce qui était extrêmement regrettable. Les associations jouent un rôle essentiel en offrant un accueil et un accompagnement de qualité. En revanche, on ne peut que déplorer le caractère balbutiant des politiques publiques dans ce domaine dans la mesure où les victimes se retrouvent particulièrement démunies, ayant perdu toute capacité de rébellion.

Conformément aux conclusions de la Rapporteure, la commission a adopté le projet de loi (n° 6).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 6).

ANNEXE

CONVENTION DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

Etats

Signature

Ratification

Albanie

22/12/2005

06/02/2007

Allemagne

17/11/2005

 

Andorre

17/11/2005

 

Arménie

16/05/2005

 

Autriche

16/05/2005

12/10/2006

Azerbaïdjan

   

Belgique

17/11/2005

 

Bosnie-Herzégovine

19/01/2006

 

Bulgarie

22/11/2006

17/04/2007

Chypre

16/05/2005

 

Croatie

16/05/2005

 

Danemark

05/09/2006

 

Espagne

   

Estonie

   

Finlande

29/08/2006

 

France

22/05/2006

 

Géorgie

19/10/2005

14/03/2007

Grèce

17/11/2005

 

Hongrie

   

Irlande

13/04/2007

 

Islande

16/05/2005

 

Italie

08/06/2005

 

Lettonie

19/05/2006

 

l'ex-République yougoslave de Macédoine

17/11/2005

 

Liechtenstein

   

Lituanie

   

Luxembourg

16/05/2005

 

Malte

16/05/2005

 

Moldova

16/05/2005

19/05/2006

Monaco

   

Monténégro

16/05/2005

 

Norvège

16/05/2005

 

Pays-Bas

17/11/2005

 

Pologne

16/05/2005

 

Portugal

16/05/2005

 

République tchèque

   

Roumanie

16/05/2005

21/08/2006

Royaume-Uni

23/03/2007

 

Russie

   

Saint-Marin

19/05/2006

 

Serbie

16/05/2005

 

Slovaquie

19/05/2006

27/03/2007

Slovénie

03/04/2006

 

Suède

16/05/2005

 

Suisse

   

Turquie

   

Ukraine

17/11/2005

 

Source : Conseil de l’Europe

© Assemblée nationale

1 () M. Alain Vidalies, Rapporteur, Rapport d’information de la mission d’information commune sur les diverses formes de l’esclavage moderne, Assemblée nationale, XIème législature, 12 décembre 2001, n° 3459.

2 () L’Albanie, l’Autriche, la Bulgarie, la Géorgie, la Moldova, la Roumanie et la Slovaquie.

3 () « La traite des êtres humains est le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ».

4 () Respectivement en application des dispositions de l’article 706-50 du code de procédure pénale et de l’article 17 de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale.

5 () Cette information figure dans l’étude d’impact transmise par le Gouvernement pour l’information des parlementaires.

6 () Article 3 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

7 () Il conviendra de compléter l’article 225-4-1 du code pénal.