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N
° 621

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 janvier 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements,

PAR M. Jean-Michel FERRAND,

Député

Voir les numéros  :

Sénat : 78, 124 (2007-2008) et T.A. 37

Assemblée nationale : 518

INTRODUCTION 5

I – DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA TURQUIE CONTRASTÉES 7

A – DES RELATIONS POLITIQUES COMPLEXES 7

B – DES RELATIONS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES DYNAMIQUES 9

II – UN ACCORD CLASSIQUE VISANT À ENCOURAGER LES INVESTISSEMENTS RÉCIPROQUES 11

A – LA PROTECTION DES INVESTISSEMENTS 11

B – LE RÈGLEMENT DES CONFLITS 13

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

Mesdames, Messieurs,

L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements vient compléter la liste des 91 accords bilatéraux de cette nature déjà ratifiés par la France.

Si cet accord emprunte très largement aux modèles précédents, il se distingue par la portée singulière que lui confèrent les relations entre la France et la Turquie, dominées par la candidature turque à l’Union européenne.

Alors que les différends politiques émaillent l’histoire récente de la relation franco-turque, les liens économiques et commerciaux entre les deux pays sont particulièrement fructueux.

En confortant le dynamisme des échanges, l’accord, signé à Ankara le 15 juin 2006, témoigne de la volonté commune de surmonter les obstacles, qu’ils soient économiques ou politiques.

I – DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA TURQUIE CONTRASTÉES

Après les crispations liées à la candidature turque à l’adhésion à l’Union européenne d’une part, et au génocide arménien d’autre part, le dynamisme des échanges économiques et commerciaux entre la France et la Turquie conforte l’élan que les autorités politiques veulent désormais donner à la relation bilatérale.

A – Des relations politiques complexes

Alors que les incompréhensions nées de la position sur le génocide arménien se sont dissipées, la question européenne demeure très présente dans les relations politiques bilatérales.

La reconnaissance par la France du génocide arménien (1) puis le vote par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi pénalisant la négation de celui-ci (2) ont compromis à deux reprises les relations entre la France et la Turquie. Opposé à l’adoption du dernier texte, le Gouvernement avait néanmoins réaffirmé la nécessité d’un travail de mémoire de la part de la Turquie et appelé à un dialogue entre les deux pays.

Aujourd’hui les deux pays travaillent à dépasser leurs divergences et à construire une relation forte.

La rencontre entre le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, à New York, le 24 septembre dernier, ainsi que les visites effectuées par le ministre des affaires étrangères et le ministre des affaires européennes témoignent d’une volonté commune de relance d’une relation bilatérale apaisée.

Cependant, la question européenne continue d’opposer les deux pays. Le président de la République est ainsi défavorable à l’adhésion turque à l’Union européenne préférant la formule de l’association.

« La France ne s’opposera pas à ce que de nouveaux chapitres de la négociation entre l’Union et la Turquie soient ouverts dans les mois et les années qui viennent, à condition que ces chapitres soient compatibles avec les deux visions possibles de l’avenir de leurs relations : soit l’adhésion, soit une association aussi étroite que possible sans aller jusqu’à l’adhésion. []. Chacun sait que je ne suis favorable qu’à l’association. [] Je pense que cette idée d’association sera un jour reconnue par tous comme la plus raisonnable. En attendant, comme le Premier ministre Erdogan, je souhaite que la Turquie et la France renouent les liens privilégiés qu’elles ont tissés au fil d’une longue histoire partagée. [] Sur les trente-cinq chapitres qu’il reste à ouvrir, trente sont compatibles avec l’association. Cinq ne sont compatibles qu’avec l’adhésion. J’ai dit au Premier Ministre turc : occupons-nous des trente compatibles avec l’association, on verra pour la suite » (3).

C’est dans ce contexte que la proposition française d’un groupe de sages européens, chargé notamment de réfléchir aux frontières de l’Union européenne, a été retenue par le Conseil européen en décembre dernier. Dans l’attente des conclusions du « groupe de réflexion horizon 2020-2030 » (4), les négociations d’adhésion se poursuivent.

Le dernier rapport de suivi de la Commission européenne concernant la Turquie, rendu public le 6 novembre dernier, fait état de timides avancées et souligne les lacunes notamment en matière de liberté d’expression, d’influence de l’armée sur la politique et de droit des minorités. Si la Commission salue la gestion de la crise politique majeure qu’a connue la Turquie, elle déplore le ralentissement des réformes.

Tout en regrettant des progrès limités, les ministres européens des affaires étrangères se sont félicités, le 10 décembre dernier, de l’engagement du Gouvernement turc en faveur de la poursuite des réformes. Ils ont également appelé la Turquie à œuvrer en faveur de relations de bon voisinage, visant notamment la normalisation de ses relations avec Chypre.

Lors de la conférence intergouvernementale du 19 décembre, deux nouveaux chapitres (Santé et protection des consommateurs ; réseaux transeuropéens de transports) ont été ouverts.

Pour mémoire, huit des 35 chapitres de négociation sont bloqués depuis la décision du Conseil européen du 15 décembre 2006 en raison du non-respect par la Turquie de ses obligations au titre du protocole d’Ankara sur l’extension de l’Union douanière à Chypre (notamment refus d’ouvrir les ports et aéroports turcs aux bateaux et avions en provenance de Chypre). Quatre chapitres (statistiques, politique d’entreprise et politique industrielle, contrôle financier, science et recherche) ont été précédemment ouverts, le dernier étant provisoirement clôturé.

Dans le cadre des négociations, deux chapitres sont liés à l’investissement : le chapitre 3, relatif au droit d’établissement et à la libre fourniture de services, et le chapitre 4, relatif à la libre circulation des capitaux. L’ouverture du chapitre 4 est subordonnée à la présentation d’un plan d’action pour s’aligner sur l’acquis communautaire tandis que le chapitre 3 fait partie des huit chapitres gelés précités.

L’accord d’association d’Ankara qui lie la Turquie à l’Union européenne depuis 1964 prévoit la levée progressive des restrictions à la libre circulation des capitaux. Celle-ci est réalisée depuis 1989, à l’exception de certaines restrictions maintenues par la Turquie en matière d’immobilier et d’investissements dans un certain nombre de secteurs.

L’union douanière, mise en œuvre entre l’Union européenne et la Turquie depuis le 1er janvier 1996, a d’ores et déjà entraîné l’intensification des relations économiques. La France en a été l’un des principaux bénéficiaires.

B – Des relations économiques et commerciales dynamiques

Si les échanges avec la Turquie ne représentent qu’une part modeste de notre commerce extérieur, ils progressent fortement depuis l’entrée en vigueur de l’Union douanière. Ils ont ainsi été multipliés par cinq en dix ans pour atteindre dix milliards d’euros. Les produits automobiles dominent ce commerce bilatéral.

Les échanges profitent de la croissance de l’économique turque (5,7 % en 2006). Soutenue par le FMI, la Turquie mène depuis 2003 une politique d’assainissement de ses finances publiques accompagnée d’un ambitieux programme de réformes structurelles. La situation économique demeure cependant fragile avec une inflation persistante et un déficit courant préoccupant.

En 2006, avec une part de marché proche de 5 %, la France est le cinquième fournisseur de la Turquie. La Turquie représente le douzième client de la France, le cinquième hors Union européenne. En 2006, les ventes françaises en Turquie se chiffrent à 5,2 milliards d’euros, en hausse de 12 % par rapport à 2005.

Dans le cadre du programme Cap Export destiné à soutenir le commerce extérieur français, la Turquie fait partie de la liste des pays cibles pour lesquels le Gouvernement met en œuvre des actions spécifiques afin de renforcer la présence des entreprises françaises.

Les investissements français en Turquie ont fortement progressé en l’espace de quinze ans. Le nombre d’entreprises françaises implantées est ainsi passé de 15 en 1985 à près de 250, employant 45 000 personnes.

Les investissements directs (IDE) représentent plus de trois milliards en stock, faisant de la France le quatrième investisseur étranger en Turquie.

Les importations françaises ont progressé de 19 % en 2006 pour atteindre 4,2 milliards d’euros. La Turquie se classe en 2006 au dix-septième rang des fournisseurs du marché français.

Afin d’intensifier des échanges prometteurs, l’environnement pour les investisseurs doit être amélioré en offrant des garanties juridiques aux deux parties. C’est l’objet de l’accord visant à encourager les investissements réciproques.

II – UN ACCORD CLASSIQUE VISANT À ENCOURAGER LES INVESTISSEMENTS RÉCIPROQUES

En l’absence de cadre multilatéral, la protection juridique des investisseurs français à l’étranger contre les risques politiques auxquels ils peuvent être exposés (5) repose principalement sur des accords bilatéraux.

L’accord, signé à Ankara le 15 juin 2006, s’inscrit ainsi dans la continuité des 91 accords d’encouragement et de protection des investissements (API) précédemment ratifiés par la France. 22 Etats membres de l’Union européenne ont d’ores et déjà signé avec la Turquie un accord de cette nature.

L’API entre la France et la Turquie reprend donc les clauses qui caractérisent ce type d’accord. Il comporte néanmoins deux stipulations spécifiques faisant l’objet d’un protocole qui lui est adjoint.

A – La protection des investissements

Dès son préambule, l’accord rappelle son double objectif : renforcer la coopération économique entre les parties et créer des conditions favorables aux investissements réciproques.

L’article 1er définit plusieurs termes récurrents dans l’accord, au premier rang desquels celui d’« investissement ». Plusieurs formes d’investissements sont citées, de manière non exclusive, à l’appui de la désignation très large visant « tout type d’avoirs investis ».

En vertu de l’article 2, les dispositions de l’accord s’appliqueront à tous les investissements réciproques, qu’ils aient été réalisés avant ou après son entrée en vigueur.

L’article 3 pose les principes généraux d’admission et d’encouragement par une partie des investissements effectués par les investisseurs de l’autre partie :

– les investissements de l’autre partie bénéficient d’un traitement « juste et équitable » ;

– les investisseurs ne peuvent être traités moins favorablement que ceux de l’Etat où ils investissent, ou moins favorablement que les investisseurs de la nation la plus favorisée, si le traitement réservé à ceux-ci est plus favorable ; des exceptions sont néanmoins prévues pour les avantages résultant d’accords économiques régionaux, tels que l’Union européenne pour la France, ainsi que pour les questions fiscales ;

– chaque partie examine avec bienveillance les demandes d’entrée et d’autorisation de séjour, de circulation ou de travail sur son territoire, dans le cadre d’un investissement, de nationaux de l’autre partie ;

– conformément à la pratique française en la matière, l’accord n’empêche pas les parties de prendre des mesures de nature à préserver et à encourager la diversité culturelle et linguistique. Cette clause autorise la France à protéger et promouvoir les productions artistiques de langue française, notamment dans le domaine de l’audiovisuel, au détriment, le cas échéant, d’investisseurs d’un pays tiers, la réciproque valant naturellement dans l’autre partie contractante.

En vertu de l’article 4, l’Etat partie dans lequel l’investissement est réalisé assure la protection et la sécurité pleine et entière de celui-ci. Les mesures d’expropriation ou de nationalisation sont prohibées sauf si les conditions suivantes sont réunies : l’existence d’une cause d’utilité publique liée à des exigences internes, le respect de la procédure légale requise et l’absence de toute discrimination ou contradiction avec un engagement particulier.

L’expropriation éventuelle donne lieu au paiement d’une indemnité « prompte et adéquate », calculée et versée selon les modalités prévues par l’accord.

Le traitement national ou celui de la nation la plus favorisée doit être accordé à tout investisseur de l’autre partie, victime de pertes dues à la guerre ou à tout autre conflit armé.

L’article 5 garantit le libre transfert des diverses formes de revenus que peut produire l’investissement, sauf circonstances exceptionnelles (difficultés de balance des paiements, difficultés financières extérieures) exigeant des mesures de sauvegarde, ces dernières étant limitées à une durée de six mois.

Le protocole annexé à l’accord précise les exceptions au libre transfert des revenus liés à un investissement que requiert la conformité avec l’article 60 du traité instituant la Communauté européenne. Cet article prévoit que, dans certains cas, le Conseil peut prendre à l’égard de pays tiers « les mesures urgentes nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements ». Le protocole détermine donc les obligations internationales dont l’exercice peut justifier l’atteinte au principe de libre transfert.

L’article 6 prévoit la subrogation de l’assureur, qui aurait accordé sa garantie à un investisseur, dans les droits de celui-ci, si la garantie a été utilisée. Il permettra à la France, conformément à l’article 26 de la loi de finances rectificative pour 1971, d’accorder par l’intermédiaire de la COFACE des garanties aux investisseurs français pour leurs opérations en Turquie.

L’article 7 autorise, sans préjudice des dispositions de l’accord, que les investissements d’une partie puissent faire l’objet d’un engagement particulier plus favorable de la part de l’autre partie.

B – Le règlement des conflits

Le mode de règlement des conflits prévu par le présent accord dépend de la nature des différends.

Dans le cas de différends opposant un investisseur et une partie contractante, l’article 8 de l’accord prévoit d’abord un règlement à l’amiable ; si celui-ci n’a pu être obtenu dans un délai de six mois, plusieurs options sont envisageables. L’investisseur concerné peut, selon sa préférence, soit saisir la juridiction judiciaire ou administrative compétente dans le pays où l’investissement a été réalisé, soit soumettre le différend à l’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) (6). Le choix de la procédure est définitif.

Aux termes de l’article 9, le règlement des différends opposant les parties contractantes sur l’interprétation ou l’application de l’accord privilégie la voie diplomatique ; si elle n’aboutit pas à une solution dans un délai de six mois, le différend peut être soumis, à la demande de l’une ou l’autre partie, à un tribunal d’arbitrage, dont la composition est précisée. Si la constitution de ce tribunal n’intervient pas dans un délai de deux mois, l’une des parties peut solliciter le secrétaire général des Nations unies afin qu’il désigne les membres du tribunal. Prises à la majorité des voix, les décisions du tribunal d’arbitrage sont définitives et exécutoires de plein droit.

Le protocole, adjoint au présent accord, rappelle les restrictions apportées par la Turquie à la compétence du CIRDI lors de son adhésion en 1989 et qui s’imposent à tous les pays.

Par déclaration en date du 3 mars 1989, les autorités turques ont soustrait à la compétence du CIRDI les différends relatifs aux droits de propriété et aux droits réels sur les biens immobiliers. Ces derniers demeurent de la compétence exclusive des tribunaux turcs. En revanche, tous les autres différends découlant des activités d’investissement direct peuvent être soumis au CIRDI.

CONCLUSION

Alors que les échanges économiques et commerciaux ont bénéficié de la mise en place de l’union douanière entre la Turquie et l’Union européenne, la protection des investissements fait encore défaut.

En y remédiant, cet accord, de facture très classique, contribue à renforcer les liens entre la France et la Turquie et à dépasser nos divergences politiques. Votre rapporteur recommande donc l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 22 janvier 2008.

Après l’exposé du rapporteur et suivant ses conclusions, la commission a adopté le projet de loi (no 518).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 518).

© Assemblée nationale

1 () Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

2 () Proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 12 octobre 200 , TA n° 610.

3 () Discours du Président de la République devant la Conférence des Ambassadeurs, 27 août 2007, Paris.

4 () Présidé par M. Felipe Gonzalez, le groupe doit présenter son rapport lors de la réunion du Conseil européen de juin 2010.

5 () Par exemple, nationalisation, traitement discriminatoire, etc.

6 () Le CIRDI a été institué par la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats, signée le 18 mars 1965 à Washington par les gouvernements membres de la Banque mondiale. La Convention est entrée en vigueur le 14 octobre 1966, suite à sa ratification par 20 pays. Au 10 avril 2006, 143 pays avaient ratifié la Convention.