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N
° 684

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI (n° 500), autorisant l’approbation du règlement de la Commission intergouvernementale concernant la sécurité de la liaison fixe trans-Manche,

PAR M. Marc DOLEZ,

Député

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INTRODUCTION 5

I – LE CADRE JURIDIQUE DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL SOUS LA MANCHE 7

A – UNE LIAISON FIXE BINATIONALE, SOUMISE AUX NORMES COMMUNAUTAIRES 7

1) Un tunnel créé et exploité dans le cadre d’accords bilatéraux 7

2) Le droit communautaire applicable 8

B – LA SÉCURITÉ DANS LE TUNNEL AUJOURD’HUI 9

1) Le régime juridique en vigueur 10

2) Les principaux accidents survenus dans le tunnel 11

II – UN NOUVEAU RÈGLEMENT RELATIF À LA SÉCURITÉ DE LA LIAISON FIXE TRANS-MANCHE 13

A – UN PARTAGE CLAIR DES MISSIONS ET DES RESPONSABILITÉS ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS 13

1) La Commission intergouvernementale, autorité de sécurité pour la liaison fixe 13

2) Les concessionnaires, responsables de la sécurité de l’exploitation du système ferroviaire 14

3) Les entreprises ferroviaires, responsables de leurs activités de transport 15

B – UN SYSTÈME DE SÉCURITÉ QUI REPOSE SUR DES AUTORISATIONS PRÉALABLES 16

1) L’agrément de sécurité des concessionnaires 16

2) La certification de sécurité des entreprises ferroviaires 16

3) L’autorisation du matériel roulant 17

C – DEUX VOLETS COMPLÉMENTAIRES ESSENTIELS À LA SÉCURITÉ : LA FORMATION DES PERSONNELS ET LES ENQUÊTES SUR LES ACCIDENTS 17

1) La formation des personnels dans le domaine de la sécurité 18

2) Les enquêtes sur les accidents 18

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

Mesdames, Messieurs,

Si, depuis le lancement de sa construction, le tunnel sous la Manche a souvent retenu l’attention des médias, c’est surtout à cause des difficultés rencontrées par son financement, puis par sa gestion, la « liaison fixe trans-Manche » constituant la première infrastructure européenne à financement entièrement privé. Le déséquilibre persistant de la situation financière d’Eurotunnel, concessionnaire du tunnel, a conduit à l’adoption d’un plan de sauvegarde en janvier 2007.

Malgré ces difficultés, 195 millions de personnes ont emprunté le tunnel sous la Manche depuis sa mise en service en mai 1994 : 118 millions de personnes par l’intermédiaire des navettes ferroviaires qui transportent les véhicules de tourisme, les autocars et les camions, 77 millions de personnes à bord de l’Eurostar. 176 millions de tonnes de marchandises, dont environ 85 % à bord de camions embarqués dans des navettes, ont aussi franchi la Manche par ce moyen.

L’utilisation du tunnel pour traverser la Manche est donc devenue presque banale, et ce d’autant plus qu’elle est considérée comme très sûre. Seuls deux accidents importants (1) – qui n’ont cependant fait aucun blessé – ont en effet eu lieu dans le tunnel, le second n’induisant qu’une très brève interruption de la circulation. Les règles de sécurité sont naturellement très rigoureuses et leur respect est scrupuleusement vérifié.

Elles vont encore être améliorées par le règlement de la Commission intergouvernementale concernant la sécurité de la liaison trans-Manche, signé le 24 janvier 2007, dont le présent projet de loi vise à autoriser l’approbation. Ce règlement est en effet la transposition de la directive sur la sécurité ferroviaire du 29 avril 2004.

Votre rapporteur présentera d’abord le cadre juridique de l’exploitation du tunnel sous la Manche, en insistant sur les règles en vigueur dans le domaine de la sécurité. Il présentera ensuite le contenu du nouveau règlement, fidèle aux stipulations de la directive communautaire, qu’il se contente d’adapter aux spécificités de la liaison fixe.

I – LE CADRE JURIDIQUE DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL SOUS LA MANCHE

Long de 50,45 kilomètres, le tunnel sous la Manche, creusé à 40 mètres sous le lit de la mer, comprend trois galeries : deux tunnels ferroviaires, un pour chaque sens de circulation, de 7,6 mètres de diamètre, et une galerie de service située entre les deux galeries ferroviaires, de 4,8 mètres de diamètre, dans laquelle circulent des véhicules spéciaux. Il a été construit entre décembre 1987 et décembre 1993 et est ouvert à la circulation depuis le 6 mai 1994. La traversée, assurée par des navettes ferroviaires, dénommées Eurotunnel, dure une trentaine de minutes.

A – Une liaison fixe binationale, soumise aux normes communautaires

Le tunnel sous la Manche est régi à la fois par des accords bilatéraux franco-britanniques et par les normes communautaires applicables au transport ferroviaire, puisque le trafic dans le tunnel est exclusivement ferroviaire, le projet de liaison routière présenté par Eurotunnel aux deux Etats concédants en décembre 1999 ne s’étant pas concrétisé.

1) Un tunnel créé et exploité dans le cadre d’accords bilatéraux

Après l’échec de plusieurs tentatives, l’idée de creuser un tunnel sous la Manche a été relancée en 1984. Le choix du tunnel ferroviaire a été annoncé le 20 janvier 1986. Le 12 février de la même année, les gouvernements français et britannique signaient, à Cantorbéry, le traité concernant la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe trans-Manche. Il est entré en vigueur le 19 juillet 1987. Son article 10 crée la Commission intergouvernementale du tunnel sous la Manche (CIG).

Le 25 novembre 1991, afin de compléter le traité du 12 février 1986, les deux pays ont signé le protocole relatif aux contrôles frontaliers et à la police, à la coopération judiciaire en matière pénale, à la sécurité civile et à l’assistance mutuelle, concernant la liaison fixe transmanche, dit protocole de Sangatte, dont les stipulations ont été renforcées par un protocole additionnel relatif à la création de bureaux chargés du contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni, signé le 22 mai 2000. Ces deux accords visaient à accentuer les moyens de lutte contre l’immigration clandestine, alors que la pression migratoire s’aggravait au Royaume-Uni et que, celui-ci ne faisant pas partie de l’espace Schengen, les contrôles à la frontière franco-britannique restaient la règle.

D’une manière générale, les questions de sûreté du tunnel sous la Manche, qu’il s’agisse du contrôle aux frontières, ou de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, restent du ressort des deux gouvernements (2) en application du traité de Cantorbéry qui stipule qu’ils doivent agir de façon concertée. Un accord particulier de sûreté a été signé à Londres le 15 décembre 1993 pour expliciter les modalités et les objectifs de la concertation entre les autorités des deux Etats et de la coordination avec la CIG, les concessionnaires et les entreprises ferroviaires, notamment. Un comité binational de sûreté, qui se réunit régulièrement, a été constitué pour assurer cette coordination.

Le règlement de la Commission intergouvernementale concernant l’utilisation du tunnel sous la Manche par des regroupements internationaux ou des entreprises ferroviaires, adopté à Londres le 25 octobre 2005 et entré en vigueur le 1er janvier 2006, constitue aussi un accord bilatéral. Tout comme le règlement concernant la sécurité de la liaison trans-Manche dont le présent projet de loi vise à permettre l’approbation, il a transposé dans le droit français et dans le droit anglais le contenu de directives communautaires prises dans le secteur des transports ferroviaires.

2) Le droit communautaire applicable

Depuis le début des années 2000, sont entrés en vigueur deux « paquets ferroviaires », tandis qu’un troisième est en cours d’examen par les institutions européennes depuis mars 2004.

Les trois directives qui constituaient le premier « paquet ferroviaire », adopté en 2001, modifiaient ou remplaçaient des directives des années 1990 sur, respectivement, les droits d’accès, les licences et l’attribution des capacités d’infrastructure, les redevances d’infrastructure et les certificats de sécurité. Le règlement de la Commission intergouvernementale concernant l’utilisation du tunnel sous la Manche par des regroupements internationaux ou des entreprises ferroviaires du 25 octobre 2005 transposait principalement les stipulations contenues dans ce premier « paquet ferroviaire ».

Le règlement concernant la sécurité de la liaison trans-Manche du 24 janvier 2007 transpose pour sa part la directive 2004/49/CE du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004, dite directive sur la sécurité ferroviaire, qui fait partie du deuxième « paquet ferroviaire » adopté en 2004 afin d’accélérer l’intégration juridique et technique de l’espace ferroviaire européen. Ce « paquet » comporte également le règlement instituant une Agence ferroviaire européenne, et deux autres directives, l’une relative à l’interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen conventionnel, la seconde relative au développement de chemins de fer communautaires.

La directive sur la sécurité ferroviaire est entrée en vigueur le 30 avril 2004 et devait être transposée avant le 30 avril 2006. Elle l’a été en droit français par la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports et par deux décrets du 28 mars 2006 et du 19 octobre 2006. Cette directive vise à remédier aux différences qui existent entre les normes techniques, le matériel roulant et la certification du personnel et des entreprises ferroviaires selon les Etats membres, lesquelles gênent le développement d’un espace ferroviaire européen intégré. La directive prévoit :

– la création, dans chaque Etat membre, d’une autorité responsable des contrôles de sécurité ;

– la reconnaissance mutuelle des certificats de sécurité délivrés dans les Etats membres ;

– la création des indicateurs de sécurité communs (ISC), pour évaluer la conformité du système avec les objectifs de sécurité communs (OSC) et faciliter le contrôle des performances de sécurité du chemin de fer ;

– la définition de règles communes pour les enquêtes de sécurité.

Depuis mars 2004, est examiné par les institutions communautaires un troisième « paquet ferroviaire », qui ne devrait pas conduire à la modification des normes communautaires en matière de sécurité, et ne devrait donc pas induire de modification dans le règlement qui est l’objet du présent rapport. Ce « paquet » concerne en effet l’accès au marché, la certification des personnels de bord, les droits et obligations des voyageurs, et les exigences de qualité applicables aux services de fret ferroviaire.

B – La sécurité dans le tunnel aujourd’hui

L’exploitation du tunnel sous la Manche obéit naturellement d’ores et déjà à des règles de sécurité, qui ont permis de limiter à deux le nombre des accidents qui s’y sont produits.

Votre rapporteur indique par ailleurs que, en ce qui concerne la sûreté du tunnel, aucune tentative d’acte terroriste n’a été observée. Des cas d’intrusion de migrants illégaux dans le tunnel se sont en revanche produits, témoignant de l’existence de failles dans la surveillance de l’accès à la liaison fixe. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 2008, quatre migrants ont ainsi été arrêtés par la police française alors qu’ils avaient parcouru plusieurs kilomètres dans le tunnel. Les incidents de ce type sont néanmoins beaucoup moins fréquents qu’ils l’étaient il y a quelques années.

1) Le régime juridique en vigueur

Le régime juridique actuellement applicable à la liaison fixe trans-Manche est défini par les stipulations du traité de Cantorbéry. La Commission intergouvernementale (CIG), composée paritairement de membres nommés par les deux Etats, est chargée de « suivre au nom des deux Gouvernements et par délégation de ceux-ci l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de la Liaison Fixe ». Elle doit notamment : « élaborer ou participer à l’élaboration de tout règlement applicable à la Liaison Fixe, y compris en matière maritime et d’environnement, et en assurer le suivi ».

La CIG exerce donc, en tant qu’organe chargé d’une fonction permanente de surveillance et de contrôle, un pouvoir normatif, grâce auquel elle procède notamment à la transposition des directives européennes. Elle est assistée à ce titre par le Comité de sécurité, chargé de la « conseiller et [de l’] aider […] sur toutes les questions liées à la sécurité de la construction et de l’exploitation de la Liaison Fixe », aux termes de l’article 11 du traité. Ainsi, « le Comité de sécurité (…) participe à l’élaboration de tout règlement applicable à la sécurité de la Liaison Fixe et le soumet à la Commission intergouvernementale » qui, aux termes de l’article 10, « approuve » ses propositions. 

La concession quadripartite liant les gouvernements français et britanniques, d’une part, et les « concessionnaires » filiales du groupe Eurotunnel, d’autre part, renvoie également au pouvoir normatif d’ordre réglementaire que la CIG exerce dans le cadre de sa mission de surveillance, « au nom des Concédants, [de] la construction et [de] l’exploitation de la Liaison Fixe par les Concessionnaires ». La concession stipule aussi que : « la Commission intergouvernementale peut élaborer des règlements applicables à la Liaison Fixe auxquels force exécutoire est donnée en droit interne. »

En vertu de son pouvoir normatif, la Commission intergouvernementale a déjà adopté, le 25 octobre 2005, un premier règlement transposant les directives européennes dites du « premier paquet ferroviaire », et concernant l’utilisation de la liaison fixe par des regroupements internationaux ou des entreprises ferroviaires. Il prescrit dans son article 6, consacré à l’exercice du droit d’accès et de transit, qu’un regroupement international ou une entreprise ferroviaire ne peut exercer un droit d’accès et de transit que s’il dispose d’une licence délivrée par les gouvernements, d’une assurance suffisante pour l’exploitation envisagée et que s’« il […] dispose d’un certificat de sécurité, en cours de validité, délivré par la Commission Intergouvernementale après rapport technique des Concessionnaires, conformément à l’article 32 de la Directive (CE) n°2001/14 … ».

Depuis le commencement de la construction du tunnel, les règles de sécurité sont fixées par les stipulations du traité de Cantorbéry, de la concession et également, de manière spécifique, par les instruments dits volumes A à G, élaborés par les concessionnaires et soumis pour approbation à la CIG ; les volumes C 1 et C 2 concernent plus particulièrement la sécurité ferroviaire, en fixant respectivement les « Prescriptions réglementaires applicables par le gestionnaire de l’infrastructure » et les « Prescriptions réglementaires communes applicables aux entreprises ferroviaires ». Tout opérateur ferroviaire qui demande à emprunter le tunnel doit prendre connaissance de ces règles de sécurité et les respecter, conformément à l’article A.I.55. de l’annexe I à la concession, aux termes duquel « tous les trains empruntant la Liaison Fixe devront respecter les règles d’équipement et d’exploitation édictées par le Concessionnaire, et les prescriptions en matière de sûreté édictées par les autorités compétentes. Ils seront munis d’équipements compatibles ». L’entreprise ferroviaire doit ainsi adresser un « dossier de sécurité » à Eurotunnel, que ce dernier soumet pour acceptation à la CIG ; cette acceptation vaut octroi du certificat de sécurité, nécessaire à l’accès du tunnel.

2) Les principaux accidents survenus dans le tunnel

Depuis l’ouverture du tunnel sous la Manche, aucun accident de circulation mortel n’a été déploré. Pour 2007, le nombre d’incidents susceptibles d’entraîner des risques de collision ferroviaire, de déraillement ou d’incendie a été peu élevé, et l’Union internationale des chemins de fer a souligné que seul Eurotunnel, parmi ses membres, n’avait pas eu à regretter d’accidents majeurs impliquant des personnes depuis cinq années consécutives. Deux événements importants sont néanmoins à signaler.

L’accident le plus grave s’est produit le 18 novembre 1996. Un incendie s’est déclaré à bord d’un camion embarqué sur une navette poids lourd d’un train transportant une trentaine de personnes et vingt-neuf poids lourds dans le tunnel ferroviaire sud (de la France vers le Royaume-Uni.) Après le déclenchement de l’alarme incendie dans le tunnel, peu avant 22 heures, alarme relayée au centre de contrôle ferroviaire du tunnel, et de l’alarme de bord du train, la circulation dans le tunnel a été ralentie puis interdite. Après l’intervention des équipes des services publics de secours, l’incendie est considéré comme éteint à 5 heures du matin.

Si les conséquences humaines de cet incendie ont été heureusement limitées, les conséquences matérielles ont été considérables : le tunnel et les installations fixes ont été très fortement endommagés sur 500 mètres environ. Les travaux de reconstruction ont duré cinq mois. Par ailleurs, outre une quinzaine de poids lourds et leur chargement, onze wagons et une locomotive ont été détruits.

Le trafic a repris très progressivement entre le 21 novembre 1996, pour les trains de marchandises, et le 15 juin 1997, pour les navettes poids lourds.

Une évaluation détaillée de l’accident a été effectuée par le Comité de sécurité ; il a relevé un fonctionnement satisfaisant des installations fixes du tunnel et quelques remarques ont été émises sur le fonctionnement du matériel roulant. Le comportement des équipages et des services de secours a été jugé bon, compte tenu d’un certain manque d’expérience et d’améliorations possibles de l’ergonomie des matériels et des procédures. Le Comité de sécurité a émis trente-six recommandations, réparties en trois catégories : aspect procédural et réglementaire, aspect matériel roulant, aspect facteurs humains. L’ensemble de ces recommandations ainsi que d’autres améliorations réalisées à l’initiative d’Eurotunnel sont aujourd’hui mises en œuvre.

Le 21 août 2006, un incident de même nature mais nettement moins grave a eu lieu : un camion, embarqué à bord d’une navette poids lourd, a pris feu, apparemment du fait des conditions initiales de son chargement. L’expérience de 1996 et le fait que cet incendie ne se soit pas propagé ont permis d’en limiter les conséquences et les opérations commerciales ont pu reprendre dans l’autre tube le jour même. La circulation dans l’ensemble de l’ouvrage a été rétablie dès le lendemain. Le rapport de l’enquête a été rendu public à l’automne 2007 ; il prend acte des améliorations importantes apportées après l’accident de 1996 et formule des recommandations sur l’optimisation des systèmes de détection et d’alarme et sur des progrès complémentaires à réaliser dans la gestion des incidents.

Les conditions de sécurité dans le tunnel sous la Manche sont donc d’ores et déjà très satisfaisantes, même si des améliorations peuvent toujours être apportées. En transposant la directive sur la sécurité ferroviaire de 2004, le nouveau règlement introduit un progrès important du niveau global de sécurité en réalisant une « évolution culturelle » consistant à passer d’un système d’études de sécurité à un système de gestion de la sécurité.

II – UN NOUVEAU RÈGLEMENT RELATIF À LA SÉCURITÉ
DE LA LIAISON FIXE TRANS-MANCHE

L’article 10 du traité du 12 février 1986 charge la Commission intergouvernementale du tunnel sous la Manche de suivre au nom des deux gouvernements l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de la liaison fixe, et notamment d’élaborer tout règlement applicable à la liaison fixe. C’est dans ce cadre qu’a été préparé le règlement signé à Londres le 24 janvier 2007.

Il est très directement inspiré de la directive qu’il transpose, dont il reprend un grand nombre de stipulations. Certaines d’entre elles sont reproduites à l’identique, d’autres sont adaptées aux spécificités de la liaison fixe trans-Manche, parmi lesquelles figurent son caractère binational et le fait qu’il est utilisé à la fois par des trains de voyageurs et par des navettes porteuses de véhicules de tourisme, d’autocars ou de poids lourds.

A – Un partage clair des missions et des responsabilités entre les différents acteurs

Le titre I du règlement énumère une série de définitions identiques pour l’essentiel à celles de l’article 3 de la directive sur la sécurité ferroviaire. Sont principalement complétées la définition des expressions « entreprise ferroviaire » et « gestionnaire de l’infrastructure », afin de préciser la distinction entre les deux, et la définition de l’expression « système ferroviaire », qui englobe les différents éléments constituant le réseau ferroviaire de la liaison fixe.

1) La Commission intergouvernementale, autorité de sécurité pour la liaison fixe

L’article 16 de la directive charge les Etats d’établir une autorité de sécurité : en France, l’établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) est l’autorité nationale de sécurité. Mais il n’est pas compétent pour la liaison fixe trans-Manche. En effet, l’article 1er de la loi du 5 janvier 2006 précitée lui donne compétence sur « le réseau ferré national et sur les autres réseaux ferroviaires présentant des caractéristiques d’exploitation comparables dont la liste est fixée par décret ». Or, sur le territoire français, les voies ferrées qui empruntent le tunnel sous la Manche ne font pas partie du réseau ferré national et ne sont pas de la compétence de Réseau ferré de France. L’EPSF ne veille donc pas sur la sécurité du tunnel côté français, pas plus que ne le fait l’Office of Rail Regulation, côté britannique.

Le point 2 du règlement fait donc de la Commission intergouvernementale (CIG) l’autorité de sécurité pour la liaison fixe trans-Manche. A ce titre, et conformément aux stipulations de l’article 4 de la directive, elle est chargée de maintenir, voire d’améliorer « lorsque cela est raisonnablement réalisable », la sécurité des chemins de fer, « en donnant la priorité à la prévention des accidents graves ». Les tâches qui lui sont confiées en matière d’autorisations et de vérifications reprennent celles énumérées à l’article 16 de la directive ; reprenant l’article 18 de celle-ci, le règlement la charge aussi de transmettre à l’Agence ferroviaire européenne un rapport annuel d’activité.

La CIG « accomplit ses tâches de manière ouverte, non discriminatoire et transparente », comme l’exige l’article 17 de la directive. Elle est dotée de pouvoirs d’inspection et d’enquête sur les questions de sécurité et peut obtenir des concessionnaires et des entreprises ferroviaires l’assistance et les informations dont elle a besoin.

Il revient aussi à la CIG un rôle important en matière de « règles de sécurité unifiées », dont le but est de prendre en compte le caractère binational du régime juridique du tunnel : ces règles décrivent en effet « les exigences de sécurité à respecter pour la conception, l’entretien et l’exploitation du système ferroviaire », leur objectif étant de « contribuer au niveau global de sécurité ». La CIG doit vérifier, promouvoir et faire appliquer les règles de sécurité unifiées ; elle doit veiller à les modifier en tant que de besoin et assurer leur publicité.

2) Les concessionnaires, responsables de la sécurité de l’exploitation du système ferroviaire

Selon le point 11 du règlement, les concessionnaires sont le gestionnaire de l’infrastructure de la liaison fixe. En application de la concession quadripartite conclue le 14 mars 1986 avec les gouvernements français et britannique, les concessionnaires sont France Manche SA et the Channel Tunnel Group Limited, qui sont rattachés au Groupe Eurotunnel SA. Depuis un troisième avenant conclu en juillet 1999, la durée de la concession est en principe de quatre-vingt dix neuf ans (et de soixante-cinq ans au moins).

Le point 12 charge les concessionnaires de la responsabilité du système ferroviaire et de la sécurité d’exploitation de celui-ci, vis-à-vis des usagers, des clients, des personnels concernés et des tiers.

Ils doivent prendre toutes les mesures utiles pour parvenir à assurer la sécurité de l’exploitation du système ferroviaire. Parmi les obligations qui pèsent sur les concessionnaires figurent notamment la vérification du bon état des matériels roulants utilisés pour le service de navette pour véhicules routiers et du fait qu’ils ont été autorisés à circuler dans le tunnel, la garantie que les personnels chargés de la sécurité ont été correctement formés, la prise de mesures conservatoires en cas de risque pour la sécurité causé par un manquement des entreprises ferroviaires aux règles applicables et la saisine de la CIG d’un tel manquement.

Les concessionnaires doivent aussi établir et mettre en œuvre un système de gestion de la sécurité démontrant leur capacité à assumer leurs responsabilités en matière de sécurité, conformément aux exigences de l’article 9 de la directive. Ce système doit tenir compte « des risques résultant des activités des tiers » (point 23 du règlement), comprendre des « mesures de coordination des procédures d’urgence (...) avec toutes les entreprises ferroviaires » qui utilisent le tunnel (point 24) et « maîtriser les risques relatifs à l’introduction d’un élément nouveau dans le système ferroviaire ou la modification d’un élément existant du dit système ferroviaire » (point 25). Le règlement fait ainsi du gestionnaire de l’infrastructure – celui qui, par définition, connaît le mieux cette dernière et les risques – l’élément clé du maintien et de l’amélioration de la sécurité.

3) Les entreprises ferroviaires, responsables de leurs activités de transport

Chaque entreprise ferroviaire qui utilise la liaison fixe est responsable de la sécurité d’exploitation de ses activités de transport, et doit prendre toute mesure utile pour y parvenir. Au 1er janvier 2008, les entreprises ferroviaires concernées sont, en France, la SNCF et Europorte 2 (3), et, au Royaume-Uni, EWS (English Wels and Scottish Railways) (4) et Eurostar UK.

La liste, non exhaustive, de leurs obligations en matière de sécurité est plus courte mais complémentaire de celle des obligations pesant sur les concessionnaires : chaque entreprise doit par exemple veiller à la formation de ses personnels affectés à des tâches de sécurité et s’assurer que les matériels roulants utilisés pour ses activités sont autorisés à emprunter le tunnel et sont en bon état.

Entreprises ferroviaires et concessionnaires sont invités à coopérer dans la mise en œuvre des mesures nécessaires à la maîtrise des risques et chacun d’entre eux doit remettre un rapport annuel à la CIG sur la sécurité de ces activités dans le tunnel, lequel doit comprendre une série d’informations énumérées au point 16 du règlement.

B – Un système de sécurité qui repose sur des autorisations préalables

Le règlement transpose les stipulations du chapitre III de la directive, intitulé « certification et agrément en matière de sécurité » qui prévoit trois types d’autorisations préalables : un agrément de sécurité des concessionnaires, un certificat de sécurité pour les entreprises ferroviaires et une autorisation du matériel roulant utilisé par les entreprises ferroviaires. Il revient à la Commission intergouvernementale d’accorder chacune de ces autorisations.

1) L’agrément de sécurité des concessionnaires

Les points 27 à 38 du règlement régissent l’agrément de sécurité que doit posséder tout concessionnaire de la liaison fixe, dans le respect des stipulations des articles 11 et 12 de la directive.

Cet agrément témoigne de l’acceptation par la CIG du système de gestion de la sécurité des concessionnaires et des dispositions prises par ces derniers pour satisfaire aux exigences de sécurité du système ferroviaire en ce qui concerne sa conception, son entretien et son exploitation.

Il est valable cinq ans au maximum ; la CIG doit prendre une décision sur une demande d’agrément dans un délai maximal de quatre mois après la réception de toutes les informations nécessaires à son instruction. L’agrément de sécurité doit être amendé en cas de modification substantielle de l’infrastructure ou du cadre réglementaire en matière de sécurité. La CIG peut, dans certaines conditions, retirer un agrément de sécurité ; elle doit notifier à l’Agence ferroviaire européenne la délivrance, le renouvellement, la modification ou le retrait d’un tel agrément.

2) La certification de sécurité des entreprises ferroviaires

L’article 10 de la directive impose à toute entreprise ferroviaire d’être en possession d’un certificat de sécurité pour accéder à l’infrastructure ferroviaire, le certificat démontrant qu’elle est en mesure de répondre aux exigences de sécurité. Ce certificat est délivré par l’autorité de sécurité de l’Etat membre dans lequel l’entreprise établit ses activités en premier.

Pour emprunter le tunnel sous la Manche, une entreprise ferroviaire doit, en application du règlement, posséder un certificat de sécurité composé de deux parties : une certification partie A, délivrée par un Etat dans les conditions prévues par la directive (5), et une certification partie B spécifique, délivrée par la CIG. Cette seconde certification ne peut porter que sur des activités de transport équivalentes à celles mentionnées dans la partie A, laquelle doit être obtenue au préalable. Sa validité peut être de 5 ans au plus, mais, le cas échéant, elle prend fin en même temps que la validité de la certification partie A.

La certification partie B témoigne des mesures prises par l’entreprise ferroviaire pour respecter les exigences spécifiques nécessaires à une utilisation sûre du tunnel sous la Manche et de leur acceptation par la CIG.

Les conditions de délivrance, de révision – en cas de modification substantielle des activités de l’entreprise –, et de suspension ou retrait de la certification partie B sont très proches de celles applicables à l’agrément de sécurité des concessionnaires. L’instruction des demandes sera assurée par la CIG, alors qu’il appartient actuellement aux concessionnaires d’élaborer un « rapport technique » analysant chaque demande des entreprises, dans le cadre du régime fixé par le règlement du 25 octobre 2005. Leur avis sera néanmoins sollicité par la CIG.

3) L’autorisation du matériel roulant

Selon la même logique que celle de la double certification, le matériel roulant utilisé dans le tunnel doit non seulement avoir été autorisé dans un Etat membre, mais aussi, s’il « n’est pas entièrement couvert par les spécifications techniques d’interopérabilité (STI) pertinentes », avoir reçu l’autorisation de la CIG.

Cette condition est conforme à l’article 14 de la directive qui permet à un Etat membre d’exiger, dans la même situation, une autorisation spécifique pour la mise en service sur son territoire d’un matériel roulant déjà autorisé dans un autre Etat membre. Les modalités de délivrance de cette autorisation définies dans le titre V du règlement, sont les mêmes que celles prévues par la directive. La principale différence porte sur la possibilité, pour les concessionnaires de la liaison fixe – qui sont consultés sur la demande d’autorisation – de percevoir des redevances au titre des capacités utilisées pour procéder aux essais que la CIG peut demander afin de s’assurer de la conformité des matériels roulants aux exigences de sécurité du tunnel.

C – Deux volets complémentaires essentiels à la sécurité : la formation des personnels et les enquêtes sur les accidents

Afin de compléter le dispositif de sécurité, la directive comprend des stipulations spécifiques à la formation de certains personnels et pose des exigences en matière d’enquête sur les accidents. Le règlement tient également compte de ces deux aspects de la directive.

1) La formation des personnels dans le domaine de la sécurité

L’article 13 de la directive, consacré à l’accès aux services de formation, oblige les Etats à veiller à ce que les entreprises ferroviaires qui demandent un certificat de sécurité aient « un accès équitable et non discriminatoire » aux services de formation nécessaires à l’obtention du certificat.

Le titre IV du règlement reprend ces stipulations dans le cas de l’obtention d’une certification partie B, mais l’obligation ne pèse pas sur les Etats, mais sur les concessionnaires, les entreprises ferroviaires ou des services de formation appropriés. Cette formation est destinée aux conducteurs de train et au personnel de toute entreprise ferroviaire s’acquittant de tâches essentielles de sécurité.

Le règlement précise le contenu de la formation et encadre son prix, dans le cas où les services de formation ne sont offerts que par une seule entreprise ferroviaire ou par les concessionnaires. Ce prix doit être « raisonnable et non discriminatoire, proportionnel au coût du service rendu et pouvant inclure une marge bénéficiaire ».

En 2006, le service de formation d’Eurotunnel a formé 653 personnes (chefs de train, chefs de rame, agents navette, sauveteurs secouristes, etc.), dont 297 agents des entreprises ferroviaires extérieures à Eurotunnel, qui empruntent le tunnel. Compte tenu de la périodicité des formations, un millier de personnes environ est concerné par les stipulations du règlement sur l’accès à la formation.

2) Les enquêtes sur les accidents

L’article 19 de la directive crée une obligation d’enquête après « les accidents graves survenus sur le système ferroviaire » et prévoit la possibilité que l’organisme d’enquêtes s’intéresse aussi aux « accidents et incidents qui, dans des circonstances légèrement différentes, auraient pu conduire à des accidents graves ».

Le titre VI du règlement précise que ces enquêtes sont effectuées par « les organismes d’enquêtes, indépendants fonctionnellement de la Commission intergouvernementale » : ces organismes sont le Rail Accident Investigation Branch britannique et le bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre français. Chacun applique sa législation nationale et respecte les arrangements de coopération réciproque passés entre eux. Soit ils décident eux-mêmes de mener une enquête, soit ils le font à la demande de la CIG, des concessionnaires ou des entreprises ferroviaires. Ceux-ci doivent signaler immédiatement à l’un ou l’autre de ces organismes tout accident grave et tout autre accident ou incident relevant d’une catégorie notifiée par la CIG comme devant donner lieu à signalement.

Il revient ensuite à la CIG de veiller à ce que les recommandations des organismes d’enquêtes soient prises en compte par les concessionnaires et les entreprises ferroviaires.

CONCLUSION

En transposant la directive sur la sécurité ferroviaire, le nouveau règlement va entraîner le passage d’un système d’études de sécurité à un système de gestion de la sécurité, nécessaire pour atteindre un niveau de sécurité maximal. Cela va exiger des investissements supplémentaires de la part des concessionnaires. Cet effort ponctuel, qu’ils ont déjà engagé et que l’amélioration de leur situation financière facilite, est indispensable et sera également profitable en termes économiques.

En application du point 77 du règlement, celui-ci entrera en vigueur à la date de la dernière notification, par chaque gouvernement, de l’accomplissement des procédures internes requises pour son approbation. Le règlement ayant été déposé le 18 décembre 2007 devant le Parlement britannique, si aucun parlementaire ne demande un débat, les règles en vigueur devraient normalement permettre l’adoption des mesures conditionnant son entrée en vigueur à partir du 29 février 2008. Ces mesures consistent en une publication, aux Gazettes de Londres, Edimbourg et Belfast, de la date à laquelle l’instrument doit entrer en vigueur. Cette publication ne pourra donc intervenir, une fois passée la date du 29 février prochain, qu’après la notification par la France de l’accomplissement de sa propre procédure d’approbation, qui requiert l’adoption du présent projet de loi par les deux assemblées.

Votre rapporteur est donc favorable à l’adoption par votre Assemblée du présent projet de loi, laquelle permettra son examen par le Sénat. Comme celui-ci ne sera matériellement pas possible avant la suspension des travaux du Parlement pour la campagne des élections municipales, l’entrée en vigueur du règlement sera repoussée au printemps, ce que votre rapporteur ne peut que regretter.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 5 février 2008.

Après l’exposé du rapporteur et suivant ses conclusions, la commission a adopté le projet de loi (no 500).

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La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du règlement figure en annexe au projet de loi (n° 500).

© Assemblée nationale

1 () Voir infra.

2 () Ainsi, côté français, la sûreté du tunnel sous la Manche est placée sous la responsabilité du préfet du Pas de Calais et du sous-préfet de Calais.

3 () Europorte 2 est une filiale du groupe Eurotunnel ; elle assure la traction des trains de marchandises entre les terminaux de fret français et britannique, la SNCF ayant souhaité se désengager du trafic de marchandises pour la partie du trajet empruntant le tunnel sous la Manche.

4 () EWS est à l’origine une société de fret ferroviaire britannique, qui a repris les activités de British Rail sous la Manche ; elle appartient désormais au groupe Deutsche Bahn.

5 () La certification partie A est délivrée, en France, par l’établissement public de sécurité ferroviaire, au Royaume-Uni, par l’Office of Rail Regulation.