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le 21 juillet 2008



N
° 1056

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2008

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 964) de M. Daniel GARRIGUE, RAPPORTEUR DE LA DÉLÉGATION POUR L’UNION EUROPÉENNE, sur l’Union européenne et les fonds souverains,

PAR M. Daniel GARRIGUE,

Député.

——

INTRODUCTION 5

I.– LES FONDS SOUVERAINS PRÉSENTENT À LA FOIS DES RISQUES ET DES OPPORTUNITÉS POUR L’EUROPE 6

A.– LES FONDS SOUVERAINS PROPOSENT DES INVESTISSEMENTS STABLES DE LONG TERME 6

B.– TOUTEFOIS, LEUR MONTÉE EN PUISSANCE ET LEUR OPACITÉ PRÉSENTENT DES RISQUES 6

II.– FACE À CES ENJEUX, L’UNION EUROPÉENNE DOIT ÉLABORER UNE RÉPONSE COMMUNE 7

A.– LA RÉPONSE EUROPÉENNE EST JUSQU’À PRÉSENT INSUFFISANTE 7

B.– QUATRE PROPOSITIONS POUR UNE RÉPONSE EUROPÉENNE COMMUNE FACE À CES ENJEUX 8

1.– Promouvoir une plus grande transparence, en présentant une position commune au FMI sur l’élaboration d’un code de bonnes pratiques s’adressant aux fonds souverains 8

2.– Appeler à une ouverture des pays d’origine des fonds souverains aux investissements étrangers 8

3.– Prévoir un encadrement des investissements étrangers dans les secteurs sensibles à l’échelle européenne 9

4.– Rassembler des ressources européennes significatives pour investir dans des secteurs stratégiques 10

EXAMEN EN COMMISSION 11

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 17

INTRODUCTION

Le 17 juin 2008, la Délégation pour l’Union européenne a adopté, sur le rapport de M. Daniel Garrigue, une proposition de résolution dans laquelle elle préconise que l’Union définisse un cadre aux investissements des fonds souverains (1).

Les fonds souverains (sovereign wealth funds) sont des fonds appartenant à des États disposant de forts excédents de balances des paiements, générés par des exportations de ressources énergétiques ou de biens dont les prix sont très compétitifs. Ces pays cherchent des investissements de long terme qui leur permettront de faire face au tarissement de leurs ressources ou au renchérissement de leurs coûts de production.

Il existe actuellement une quarantaine de fonds souverains dans le monde, représentant au total environ 3 000 milliards de dollars. Les actifs gérés par des fonds souverains sont pour le moment très concentrés : les cinq plus gros fonds souverains (Abu Dhabi, Singapour, Norvège, Koweït et Chine) détiennent près de 70 % du total. La plupart des fonds sont situés en Asie – Moyen et Extrême Orient.

Pour le moment, les fonds souverains sont loin de constituer la catégorie la plus puissante d’investisseurs internationaux. Les montants des actifs détenus par les compagnies d’assurance, par les banques et par les fonds de pensions sont chacun bien supérieurs. Toutefois, la montée en puissance des fonds souverains est très rapide, du fait de l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières, et du différentiel de croissance entre grandes zones économiques à l’avantage de l’Asie.

Ces derniers mois, à l’occasion de la crise financière, les fonds souverains ont réalisé des investissements substantiels dans d’importants établissements financiers américains (Blackstone, Apollo, Carlyle, Citigroup, Merrill Lynch, Bear Stearns, Nasdaq, J.C. Flowers & Co et Och–Ziff Capital), souvent à leur demande.

Les investissements croissants des fonds souverains soulèvent la question du caractère spécifique ou non de ces acteurs financiers. Si ces investisseurs présentent à la fois des risques et des opportunités, l’Union européenne doit y apporter des réponses communes. Il appartient à la France, dans le cadre de sa présidence de l’Union, de proposer une stratégie européenne sur les fonds souverains.

I.– LES FONDS SOUVERAINS PRÉSENTENT À LA FOIS DES RISQUES
ET DES OPPORTUNITÉS POUR L’EUROPE

A.– LES FONDS SOUVERAINS PROPOSENT DES INVESTISSEMENTS STABLES DE LONG TERME

Les fonds souverains s’inscrivent dans la libération générale des mouvements de capitaux. Ils constituent des investisseurs de long terme et sont donc une ressource précieuse pour l’économie mondiale.

Au cours de la crise des « subprimes », ils ont joué un rôle stabilisateur important en fournissant des liquidités aux marchés et en contribuant au sauvetage de banques, notamment américaines.

L’Europe aurait tort de vouloir se priver d’investisseurs qui offrent des opportunités de placement stable et à long terme.

B.– TOUTEFOIS, LEUR MONTÉE EN PUISSANCE ET LEUR OPACITÉ PRÉSENTENT DES RISQUES

On observe une progression exponentielle des ressources des fonds souverains. Leurs actifs progressent plus rapidement que ceux des autres catégories d’investisseurs ; ils pourraient ainsi atteindre rapidement une taille proche de celle des fonds de pension ou des sociétés d’assurance. M. Hubert Védrine, dans son rapport sur la France et la mondialisation, considère que « ces fonds souverains pourraient représenter 15 % du PIB mondial dans cinq ans ».

Or, ces fonds ne sont pas transparents, ni sur leur gouvernance, ni sur leurs objectifs. Certains fonds souverains, peu nombreux (Norvège, Alaska, Malaisie, Alberta, Azerbaïdjan), affichent clairement leurs objectifs, leur stratégie d’investissement, publient périodiquement des rapports financiers ou des informations sur le montant des capitaux qu’ils détiennent, sur les profits qu’ils réalisent et sur la composition de leur portefeuille. En revanche, le secret entoure largement les activités des autres fonds, les plus nombreux (Émirats Arabes Unis, Koweït, Chine, Qatar, Brunei, Taiwan).

Certains analystes considèrent que cette opacité présente un risque pour la stabilité financière sur les marchés mondiaux : une décision subite des fonds souverains de se retirer d’un marché, par exemple, ou de simples rumeurs sur leurs décisions et comportements, pourraient susciter une volatilité des marchés.

Par ailleurs, si les fonds souverains agissent aujourd’hui plutôt comme des investisseurs cherchant simplement un placement financier de long terme, on peut penser qu’ils auront un jour ou l’autre la tentation de s’intéresser à certains enjeux de nature plus sensible, par exemple pour obtenir la délocalisation d’unités de production vers le pays d’origine de leurs ressources. L’achat d’une entreprise ou d’une participation importante dans une entreprise implique l’entrée dans les organes de gestion, l’accès aux méthodes de production et aux brevets, le droit d’influencer la stratégie de l’entreprise. En outre, l’importance des ressources dont ils disposent les placera nécessairement un jour en position d’investisseurs stratégiques sur les grands enjeux du futur : nucléaire, espace, transports et grandes infrastructures. Ainsi, le fonds China Investment Corporation a investi à hauteur de 3 milliards de dollars dans la société Blackstone, qui détient un nombre élevé de parts dans des entreprises de hautes technologies.

Récemment, les fonds souverains de Dubaï se sont fortement impliqués dans le secteur des grandes voies maritimes et des ports. S’ils ont échoué dans leur tentative de rachat de ports américains, ils sont très présents dans les infrastructures de Djibouti et en Mer Rouge, et étudient un projet de franchissement de la péninsule malaise.

L’opacité de la gouvernance et des objectifs des fonds souverains suscitent de fortes interrogations en Europe, aux États-Unis et, plus largement, dans les différentes enceintes internationales. À l’automne 2007, les ministres des finances du G7 et les autres membres de l’OCDE ont demandé à l’OCDE d’élaborer des orientations concernant les politiques des pays d’accueil à l’égard des investissements des fonds souverains. De son côté, le FMI a reçu mandat d’élaborer un code de bonnes pratiques pour les fonds souverains.

II.– FACE À CES ENJEUX, L’UNION EUROPÉENNE DOIT ÉLABORER
UNE RÉPONSE COMMUNE

A.– LA RÉPONSE EUROPÉENNE EST JUSQU’À PRÉSENT INSUFFISANTE

La Commission européenne a présenté une communication le 27 février 2008 sur une « approche commune en matière de fonds souverains ». Elle y défend une approche commune prudente, fondée sur cinq principes : le maintien de l’ouverture du marché européen aux investissements étrangers, le soutien aux travaux multilatéraux engagés, l’utilisation des instruments juridiques existants, l’inscription dans le cadre juridique communautaire et international et le respect des principes de proportionnalité et de transparence.

La Commission exclut la possibilité d’une intervention réglementaire européenne à ce stade et n’aborde pas la question des modalités de suivi et de mise en œuvre du futur code de conduite élaboré au niveau international.

La communication de la Commission a été discutée dans le cadre du Conseil Ecofin du 4 mars 2008. Les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union, réunis lors du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, ont adopté une déclaration qui souligne la nécessité d’une approche européenne commune inspirée des cinq principes du document de la Commission, et l’appui à un futur code international de déontologie auquel souscriraient librement les fonds souverains.

Doit-on se contenter d’attendre le résultat des travaux du FMI et de l’OCDE ? Les fonds souverains sont révélateurs de nos propres faiblesses. L’Europe ne doit pas subir leur influence, mais parvenir à profiter des opportunités qu’ils présentent tout en en contrôlant les risques.

Votre Rapporteur est partisan de l’adoption, par l’Union européenne et par ses États membres, d’une démarche bien plus volontariste. Selon lui, l’activité des fonds souverains appelle quatre types de réponses : la promotion d’une plus grande transparence, l’action en faveur d’une meilleure ouverture aux investissements étrangers dans leurs pays d’origine, la réflexion sur un cadre européen pour les dispositifs nationaux de contrôle des investissements étrangers, et enfin la nécessité de prendre conscience de l’enjeu que représentent les investissements de long terme, vers lesquels les fonds souverains se tourneront inévitablement mais où l’Europe doit absolument rester présente.

B.– QUATRE PROPOSITIONS POUR UNE RÉPONSE EUROPÉENNE COMMUNE FACE À CES ENJEUX

1.– Promouvoir une plus grande transparence, en présentant une position commune au FMI sur l’élaboration d’un code de bonnes pratiques s’adressant aux fonds souverains

Le rôle très positif des fonds souverains serait plus clairement perçu si ces fonds se pliaient tous à des exigences de transparence concernant la composition de leur portefeuille, l’influence de leur gouvernement sur leur stratégie d’investissement, et leur conception de leur rôle en tant qu’actionnaire.

Les demandes internationales en faveur d’une plus grande transparence ne visent pas seulement les fonds souverains, mais l’ensemble des institutions financières, notamment les hedge funds.

Comme les y invitent les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, les États membres de l’Union européenne et la Commission européenne devraient apporter une contribution commune aux travaux de réflexion menés dans le cadre du FMI sur l’élaboration d’un code de bonnes pratiques s’adressant aux fonds souverains.

Malheureusement, il n’est pas du tout certain que ce futur code de conduite recueille l’adhésion volontaire de tous les fonds souverains, existants et futurs. S’il marquera certainement un progrès notable, il ne constitue pas une solution suffisante.

2.– Appeler à une ouverture des pays d’origine des fonds souverains aux investissements étrangers

Les pays du Golfe ainsi que la Chine et la Russie, puisqu’ils ne sont pas membres de l’OCDE, ne sont pas soumis aux principes élaborés dans le cadre de celle-ci visant à assurer la liberté d’investissement et de circulation des capitaux. Leurs législations nationales comportent des dispositifs très larges faisant obstacle aux investissements étrangers dans certains secteurs.

Le Secrétaire d’État américain au Trésor, M. Hank Paulson, a soulevé cette question lors de son récent déplacement dans les pays du Golfe. Le rapport présenté par M. Alain Demarolle (2), chargé par la ministre de l’Économie d’une mission sur les fonds souverains, insiste sur la question de la réciprocité, en plaçant cet objectif dans le cadre plus large des négociations commerciales au niveau bilatéral et mondial. L’Union européenne a intérêt à appuyer les demandes en faveur de la réciprocité, même s’il faut tenir compte du fait que ce principe ne fait pas partie des règles posées par l’OCDE.

3.– Prévoir un encadrement des investissements étrangers dans les secteurs sensibles à l’échelle européenne

Les investissements des fonds souverains nécessitent la mise en place d’un « filet de sécurité » conçu à l’échelle de l’Union européenne, protégeant certains secteurs sensibles.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la libre circulation des capitaux, mais il faut tenir compte du fait que de nombreux pays ont de tels dispositifs. C’est le cas des États-Unis, de l’Australie et de la Russie.

Au sein de l’Union européenne, le Royaume-Uni utilise ce type de dispositif de façon pragmatique. Un projet de loi est en cours de préparation en Allemagne. En France, le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger prévoit que les investisseurs étrangers voulant prendre le contrôle ou acquérir une minorité de blocage de 33,33 % dans des sociétés de 11 secteurs d’activité considérés comme sensibles doivent solliciter au préalable une autorisation auprès des autorités françaises. Une distinction est introduite entre investisseurs de pays membres de l’Union et investisseurs de pays tiers, les premiers n’étant concernés que lorsque le transfert effectif d’une activité sensible est en jeu.

Le problème est, pour les États membres de l’Union européenne, celui de la compatibilité de tels dispositifs avec les principes de liberté de circulation des capitaux dans l’Union et de liberté d’établissement. La Commission européenne a engagé en avril 2006 une procédure d’infraction contre le décret français de 2005, à laquelle le Gouvernement a répondu le 11 décembre 2006 : la procédure semble gelée depuis lors. S’agissant du projet allemand en cours d’élaboration, la définition des investisseurs étrangers visés pourrait soulever des difficultés au regard du droit européen. Il est donc nécessaire d’élaborer un dispositif à l’échelle de l’Union, sur la base duquel chaque État membre pourrait réagir dans le contexte national.

Même s’il est difficile pour les 27 États membres de s’accorder sur une liste unique et exhaustive de secteurs stratégiques, tant les circonstances et les sensibilités nationales divergent sur ce concept, il paraît malgré tout indispensable d’élargir, bien au-delà des seuls critères de l’ordre public et de la sécurité publique, la définition des hypothèses dans lesquelles une prise de participation pourrait donner lieu à contrôle. Ce pourrait être le cas dans les domaines de l’énergie, de la distribution d’eau et de certaines technologies.

La présidence française de l’Union européenne devrait être l’occasion d’ouvrir ce débat auquel beaucoup de nos partenaires paraissent très sensibles.

4.– Rassembler des ressources européennes significatives pour investir dans des secteurs stratégiques

Le rôle potentiel des fonds souverains comme investisseurs de long terme exige que l’Union européenne se donne elle-même les moyens de canaliser et d’orienter des ressources sur cette catégorie d’investissements. Certains besoins ne sont pas satisfaits directement par le marché mais sont les plus porteurs d’avenir, notamment dans les domaines des transports et des grandes infrastructures.

Or, les fonds souverains ont marqué ces derniers temps un intérêt nouveau pour ces secteurs. Parallèlement à la mise en place d’un code de conduite international, et d’un filet de sécurité européen, il est important que les pays de l’Union européenne et l’Union elle-même se posent la question de leur capacité à mobiliser et orienter leurs propres ressources vers des investissements de long terme, pour être présents dans les grands projets internationaux.

On connaît les limites du budget européen. Par ailleurs, les engagements de la Banque européenne d’investissement (BEI) sont orientés en priorité vers les nouveaux États membres de l’Union. Certains instruments nationaux qui jouent déjà le rôle d’investisseurs de long terme pourraient rechercher une certaine cohérence dans leurs interventions autour de véritables projets européens. C’est le cas de la Caisse des dépôts française, de la KfW allemande et de la Cassa dei Depositi italienne. Toutefois, ces organismes ont également des moyens limités.

La difficulté de l’Europe à mobiliser massivement des ressources stables pourrait devenir dans le futur un frein considérable au développement et à l’influence de l’Europe dans le monde.

Votre Rapporteur suggère la mise en place à l’échelle de l’Union européenne des outils lui donnant une réelle capacité d’investissement. Cela pourrait par exemple passer par de nouveaux instruments de collecte, soit à travers des fonds de pension européens, soit à travers des formes européennes de participation.

Enfin, votre Rapporteur estime que l’Union européenne devrait soutenir l’initiative lancée par la Banque mondiale pour associer les fonds souverains à des projets d’investissement dans les pays en développement.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 16 juillet 2008, votre Commission a procédé, sur le rapport de votre Rapporteur, à l’examen de la proposition de résolution (n° 964) de M. Daniel Garrigue sur les fonds souverains et l’Union européenne.

Votre Rapporteur a rappelé qu’aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, des résolutions peuvent être votées par chacune des assemblées sur les projets, propositions ou documents de l’Union européenne transmis par le Gouvernement au Parlement. Lorsque la délégation pour l’Union européenne adopte une proposition de résolution, elle est transmise à une commission permanente. La résolution adoptée par cette commission peut être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée, ce qui n’arrive, malheureusement, que très exceptionnellement : ces dernières années, seule la résolution sur la directive Services a été débattue dans l’hémicycle.

La délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne vient d’adopter une proposition de résolution sur les fonds souverains, après avoir examiné la communication de la Commission européenne du 27 février 2008 sur une « Approche européenne commune en matière de fonds souverains » ainsi que le Livre blanc sur l’amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d’investissement du 15 novembre 2006.

Les fonds souverains sont très présents dans l’actualité depuis quelques mois. Le Président de la République s’est exprimé plusieurs fois sur le sujet, ainsi que la chancelière allemande Angela Merkel. Des projets de prises de participation dans des entreprises à caractère stratégique, comme EADS, ont aussi été l’occasion d’en discuter.

Les fonds souverains appartiennent à des États disposant de forts excédents de balances des paiements, générés par des exportations de ressources énergétiques – pays du Golfe persique, Russie, Norvège – ou de biens et services dont les prix sont très compétitifs – Chine, Singapour. Ces pays cherchent des investissements de long terme qui leur permettront de faire face au tarissement de leurs ressources ou au renchérissement de leurs coûts de production. Ils peuvent également chercher des moyens d’action à l’échelle mondiale.

L’essentiel de ces fonds se trouve en Asie – Extrême et Moyen-Orient –, ce qui traduit un basculement de l’économie mondiale vers cette région, dont on ne mesure sans doute pas suffisamment l’ampleur. Il existe aujourd’hui une quarantaine de fonds souverains, qui totalisent environ 3 000 milliards de dollars.

Bien que cette somme soit considérable, ces fonds restent pour l’instant des acteurs financiers parmi d’autres : ainsi, les compagnies d’assurances gèrent au total 16 000 milliards de dollars, tandis que les banques disposent de 60 000 milliards de dollars. À l’inverse, les hedge funds disposent de capitaux deux fois moins importants que les fonds souverains : 1 600 milliards de dollars. D’autres acteurs publics puissants, comme des entreprises publiques ou des fonds de pensions, sont présents sur les marchés financiers mondiaux.

Toutefois, deux facteurs incitent à la prudence vis-à-vis des fonds souverains :

– d’une part, l’augmentation exponentielle de leurs capitaux : certaines évaluations estiment qu’ils totaliseront entre 15 000 et 30 000 milliards de dollars d’ici 2015 ;

– d’autre part, l’apparition chez eux d’une intention de prendre le contrôle d’actifs stratégiques ; ainsi, un fonds de Dubaï est très présent dans le secteur des ports et des voies maritimes ; il a échoué dans sa tentative de rachat de ports américains, mais il est très présent dans les infrastructures de Djibouti et en Mer Rouge.

Les réactions face à l’émergence des fonds souverains sont contrastées. D’un côté, ils ont une fonction de recyclage des capitaux à l’échelle mondiale qui est très positive, et qui a même joué un rôle essentiel lors de la crise de liquidités qui a frappé la finance internationale cette année. Cette fonction doit toutefois s’accompagner d’une amélioration de la transparence de leur gouvernance. C’est ainsi que les États membres de l’Union européenne et la Commission européenne devraient apporter une contribution commune aux travaux menés dans le cadre du FMI et de l’OCDE sur l’élaboration d’un code de conduite s’adressant aux fonds souverains.

Par ailleurs, ces derniers investissent dans le développement local de leurs pays d’origine. Toutefois, leurs législations nationales comportent des dispositifs faisant obstacle aux investissements étrangers dans certains secteurs. Le Secrétaire d’État américain au Trésor, M. Hank Paulson, a soulevé cette question lors de son récent déplacement dans les pays du Golfe, en demandant une certaine réciprocité sur les investissements étrangers.

Deux sujets doivent retenir davantage l’attention de l’Union européenne : le risque de prise de contrôle d’actifs stratégiques par les fonds souverains, et la nécessité pour l’Europe de se positionner dans les investissements futurs.

Plusieurs États se sont donné les moyens d’agir contre les risques de prise de contrôle d’actifs stratégiques. Aux États-Unis, le CFIUS – comité sur l’investissement aux États-Unis – examine les projets d’investissements et réalise une enquête s’il l’estime nécessaire ; la décision de bloquer un investissement étranger appartient au président des États-Unis, s’il l’estime nécessaire pour la sécurité nationale. Les enquêtes du CFIUS demeurent exceptionnelles. L’Australie dispose également d’une réglementation des investissements étrangers.

En Europe, le Royaume-Uni utilise ce type de dispositif de façon pragmatique. En France, le décret du 30 décembre 2005 protège les secteurs sensibles. En Allemagne, un projet de loi est en cours de préparation. Pour les pays de l’Union européenne se pose la question de la compatibilité de ces réglementations avec l’article 58 du Traité qui permet une enfreinte à la libre circulation des capitaux seulement si l’ordre et la sécurité publics sont menacés. Une procédure d’infraction contre le décret français de 2005 a d’ailleurs été engagée par la Commission européenne en avril 2006, mais elle semble gelée depuis lors. Il est donc souhaitable d’élaborer un dispositif à l’échelle de l’Union, sur la base duquel chaque État membre pourrait réagir dans le contexte national. C’est ce que recommandent les rapports de M. Hubert Védrine sur la France et la mondialisation, de septembre 2007, et de M. Laurent Cohen-Tanugi, sur « L’Europe dans la mondialisation », d’avril 2008.

Enfin, il est nécessaire que l’Europe se positionne dans les investissements du futur. Les fonds souverains sont aujourd’hui à même d’investir dans les secteurs stratégiques sur le long terme, comme l’énergie, l’espace et les transports. À titre d’exemple, certains fonds du Golfe ont un projet de financement du percement de la péninsule malaise. L’Europe doit de son côté essayer de canaliser des ressources pour investir dans ces secteurs. On connaît les limites du budget européen. Par ailleurs, les engagements de la Banque européenne d’investissement – BEI – sont orientés en priorité vers les nouveaux États membres de l’Union. Quant à la Caisse des dépôts et consignations, elle n’a ni les moyens ni la doctrine d’action lui permettant de jouer ce rôle, mais c’est un investisseur de long terme, et l’on peut envisager une coordination avec d’autres instruments ou organismes comparables en Europe afin de réaliser des projets communs.

L’Europe devrait trouver d’autres instruments de collecte pour canaliser ses ressources vers des investissements de long terme.

Votre Rapporteur a ensuite présenté sa proposition de résolution. Celle-ci comporte trois idées principales :

– créer un cadre européen permettant aux États membres de réagir face à des investissements qui toucheraient des secteurs stratégiques ou particulièrement sensibles. Votre Rapporteur a indiqué que les services de la Commission européenne lui paraissaient plus ouverts sur ce sujet qu’il y a deux ans ;

– mettre en place des instruments européens permettant de canaliser et d’orienter des ressources significatives vers les investissements stratégiques de long terme ;

– inciter les fonds souverains à investir dans les pays en développement.

Le Président Didier Migaud a remercié Daniel Garrigue pour son analyse de cette question extrêmement sensible, analyse qui fait bien apparaître la nécessité de règles communes au plan européen, et qui devront s’articuler avec ce que chaque État membre considère comme ses intérêts stratégiques.

M. Jean-Pierre Brard a souligné qu’une forme de capital circulait particulièrement librement : celui qui n’a pas de patrie. L’Union européenne doit se doter d’un minimum de règles communes concernant des fonds souverains et trouver un juste équilibre entre le contrôle, la surveillance et la transparence, la libre circulation enfin. Surtout il conviendrait de préciser dans la résolution que les outils dont se dotera l’Union européenne doivent bénéficier d’une indépendance.

M. François Goulard s’est félicité de la présentation équilibrée faite par Daniel Garrigue, car il est aussi très positif que des capitaux s’investissent dans l’économie française. Par exemple, l’arrivée de capitaux étrangers dans les ports français serait bienvenue, mais ce n’est pas le cas actuellement, notamment pour des raisons statutaires. Il serait souhaitable que tant l’Union européenne que la France se dotent d’outils de veille mais il ne faut pas bloquer les possibilités d’investissement positives pour notre économie.

Le Président Didier Migaud a observé que la présence importante de capitaux étrangers n’est pas nouvelle dans la mesure où une partie de notre dette est justement détenue par ces capitaux étrangers. Toutefois, l’État doit pouvoir définir lui-même ce qu’il considère comme un secteur stratégique face à l’investissement étranger.

Votre Rapporteur a confirmé que les fonds souverains suscitaient une attitude d’ambivalence. D’un côté, un contrôle trop draconien risquerait d’éloigner ces investisseurs alors que la France a fait le choix de l’attractivité de son territoire ; de l’autre côté, il est utile de disposer d’un instrument de contrôle qui permet de réagir si nécessaire. Ainsi par exemple, le Gouvernement a réagi efficacement en prenant des participations dans nos chantiers navals lorsque se sont investis des capitaux asiatiques. Un autre problème délicat est celui de la capacité financière de l’Europe, de fait très limitée. Il serait souhaitable que, pour compenser cette faiblesse, des acteurs, comme la Caisse des dépôts française, la KFW allemande et la Casa dei Depositi italienne, recherchent une cohérence dans leurs interventions autour de véritables projets européens.

Le Président Didier Migaud a souligné qu’un code de bonne conduite international quant à la transparence de la circulation de ces fonds ne serait néanmoins pas assorti de sanctions.

M. Louis Giscard d’Estaing a observé qu’en effet le dispositif envisagé par la résolution ne prévoit pas de sanction, les seules sanctions possibles étant celles qui s’imposent à tous les investisseurs sur les marchés financiers.

Votre Rapporteur a répondu que la question était complexe car les comportements à sanctionner relèvent plutôt du mode de gouvernance de ces fonds. La question de la transparence de la gouvernance des fonds se pose d’ailleurs de la même façon pour les hedge funds et pour tous les opérateurs internationaux.

Votre Commission a approuvé la proposition de résolution n° 964 de votre Rapporteur et autorisé la publication du rapport sur les fonds souverains.

*

* *

En conséquence, votre Commission des Finances vous demande d’adopter la proposition de résolution, dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur l’Union européenne et les fonds souverains

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre blanc sur l’amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d’investissement du 15 novembre 2006 (COM [2006] 686 final/E 3328),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Approche européenne commune en matière de fonds souverains » (COM [2008] 115 final),

Vu les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008,

Considérant que les fonds souverains se sont développés dans le cadre de la libération mondiale des mouvements de capitaux, où ils ne sont pour le moment que des acteurs parmi d’autres, mais que la progression exponentielle de leurs ressources, liée au basculement de l’économie mondiale vers l’Asie (Moyen et Extrême Orient), et les incertitudes pesant sur leur gouvernance et sur leurs finalités risquent de faire évoluer profondément les rapports de force à l’échelle mondiale,

Considérant, d’autre part, que les différentes études et propositions faites à ce jour, notamment au sein des organisations internationales, relèvent plus de l’analyse que de la recherche de solutions,

1. Constate que les fonds souverains jouent un rôle très positif dans le « recyclage des capitaux » au niveau mondial, comme cela peut se vérifier depuis le début de l’actuelle crise financière, mais qu’un renforcement de leur transparence est hautement souhaitable ;

2. Appelle en conséquence les États membres et la Commission européenne, comme les y invitent les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 mars 2008, à apporter une contribution commune aux travaux de réflexion menés dans le cadre du FMI sur l’élaboration d’un code de bonnes pratiques s’adressant aux fonds souverains ;

3. Souligne toutefois les limites inhérentes à ces travaux, dont le résultat sera par définition dépourvu de sanctions ;

4. Juge positif que les pays d’origine des fonds souverains consacrent une part importante de leurs ressources au développement local, tout en souhaitant que ces investissements soient ouverts aux autres partenaires internationaux ;

5. Juge indispensable, dans l’hypothèse où ces fonds souverains investissent dans les pays de l’Union européenne, que l’Union prenne elle-même la responsabilité de définir un cadre lui permettant, ou permettant aux États membres, de réagir face à des investissements qui toucheraient des entreprises ou des secteurs stratégiques ou particulièrement sensibles, venant ainsi compléter des réglementations nationales dont la compatibilité avec les règles européennes de concurrence reste incertaine ;

6. Attire l’attention, compte tenu de l’intérêt que les fonds souverains commencent à porter aux investissements stratégiques de long terme (tels que : énergie, espace, grandes infrastructures de transport à l’échelle mondiale), sur l’intérêt que l’Union européenne aurait à créer des instruments lui permettant de canaliser et d’orienter des ressources significatives vers ces investissements, dans le cadre desquels il lui revient d’être acteur ou partenaire ;

7. Souhaite enfin que les États membres et l’Union européenne elle-même soutiennent l’initiative lancée par la Banque mondiale et son président pour associer les fonds souverains à des projets d’investissement dans les pays en développement.

© Assemblée nationale

1 () Voir le rapport d’information n° 963 de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne présenté par M. Daniel Garrigue, sur « Les fonds souverains, révélateurs de nos propres faiblesses » : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/europe/rap-info/i0963.pdf

2 () http://www.minefe.gouv.fr/presse/dossiers_de_presse/080522_rapdemarolle/rap_demarolle.pdf