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N° 1264

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 novembre 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1258) de Mme Christiane TAUBIRA relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires,

PAR Mme Christiane Taubira,

Députée.

——

INTRODUCTION 7

I.- LA FRANCE COMPTE QUELQUES MILLIERS DE VICTIMES POTENTIELLES DES ESSAIS OU DES ACCIDENTS NUCLÉAIRES DONT LES CONDITIONS ACTUELLES D’INDEMNISATION SONT LOIN D’ÊTRE SATISFAISANTES 9

A. LA FRANCE EST PARTICULIÈREMENT CONCERNÉE PAR LES CONSÉQUENCES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES 9

1. La France a réalisé 210 essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996 9

a) Les 17 essais nucléaires menés au Sahara de 1960 à 1966 9

b) Les 193 essais nucléaires menés en Polynésie de 1966 à 1996 12

2. Des retombées radioactives dues à des accidents nucléaires ont déjà touché le territoire français 14

a) La France a déjà été confrontée à des accidents nucléaires 14

b) Le cas de l’accident de Tchernobyl 15

B. QUELQUES MILLIERS DE PERSONNES SONT POTENTIELLEMENT VISÉES PAR LES CONSÉQUENCES SANITAIRES ENCORE MAL ÉVALUÉES DES ESSAIS ET DES ACCIDENTS NUCLÉAIRES 16

1. Les études sur les incidences sanitaires des essais et des accidents nucléaires sont souvent tardives, parfois contradictoires et reposent sur des données sujettes à caution 16

a) Les études réalisées sont souvent tardives, incomplètes voire contradictoires 16

b) Les données utilisées ne présentent pas toutes les garanties de fiabilité souhaitables 17

2. Si l’effet sanitaire des fortes doses de rayonnements ionisants est avéré, une controverse subsiste sur l’effet des faibles doses 17

a) L’effet des fortes doses est bien connu 17

b) Des incertitudes subsistent sur l’effet des faibles doses 18

3. Un faisceau d’éléments objectifs tend à corroborer l’hypothèse d’un lien de causalité entre les essais et les pathologies radio-induites, même à faible dose 20

a) Les études de santé réalisées par les associations de vétérans et les études scientifiques 20

b) Les mesures de sécurité mises en place à l’époque étaient parfois insuffisantes 21

4. Le nombre des victimes des essais et des accidents nucléaires n’est pas établi mais concernerait quelques milliers de personnes 23

C. LES CONDITIONS ACTUELLES D’INDEMNISATION DE CES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES NE SONT PAS SATISFAISANTES 24

1. L’indemnisation des victimes d’essais nucléaires se heurte à des procédures lourdes et inadaptées 24

a) Le système d’indemnisation du personnel civil relevant du régime général de la Sécurité sociale 25

b) Le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française 26

c) Le système d’indemnisation des militaires 27

d) Le système d’indemnisation des populations civiles 28

2. Le système d’indemnisation des victimes d’accidents nucléaires est complexe 28

a) Le droit de la responsabilité civile nucléaire 28

b) Les limites de l’instruction des plaintes des victimes des conséquences de Tchernobyl 30

II.- LA PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LES MODALITÉS D’INDEMNISATION DES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES CRÉE LES CONDITIONS FAVORABLES À LA MISE EN PLACE D’UNE NOUVELLE LÉGISLATION 33

A. LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LES CONDITIONS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DES ESSAIS ET DES ACCIDENTS NUCLÉAIRES EST DE PLUS EN PLUS AIGUË 33

1. Plusieurs pays étrangers ont déjà mis en place des fonds d’indemnisation de victimes d’accidents nucléaires 33

a) Les États-Unis ont mis en place un fonds d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires dès 1988 33

b) Les autres exemples étrangers 34

2. Les associations de victimes se mobilisent de plus en plus pour que leur situation fasse l’objet d’un débat public 34

a) L’Association des vétérans des essais nucléaires français (AVEN) 34

b) L’association « Moruroa e tatou » 35

c) L’Association des malades de la thyroïde 35

3. Des évolutions se dessinent en faveur des victimes des essais nucléaires 36

a) Les évolutions jurisprudentielles 36

b) Les évolutions de l’attitude du ministère de la Défense 38

4. La prise de conscience collective de la situation des victimes d’essais nucléaires s’est déjà traduite par le dépôt de nombreuses propositions de loi 38

B. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI FIXE UN CADRE JURIDIQUE NOVATEUR POUR LES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES 40

1. Le principe d’une présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires est établi 40

2. La loi pose le principe de la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’essais et d’accidents nucléaires, leurs descendants et leurs ayants droit 41

a) Le principe de la réparation intégrale 41

b) Les bénéficiaires de la réparation intégrale 42

3. Un fonds spécifique d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires est créé 43

4. Une nouvelle Commission nationale de suivi des essais nucléaires est mise en place 43

III-. ANALYSE DES ARTICLES 45

Article 1er : Établissement d’un principe de présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires 45

Article 2 : Réparation intégrale des préjudices subis 62

Article 3 : Création d’un Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires 65

Article 4 : Création d’une Commission nationale de suivi des essais nucléaires 68

Article 5 : Gages financiers 72

Article 6 : Applicabilité de la loi outre-mer 72

TRAVAUX DE LA COMMISSION 75

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées 82

INTRODUCTION

Le 10 septembre 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Bordeaux a reconnu que le cancer broncho-pulmonaire ayant entraîné le décès d’une personne ayant travaillé au Centre d’expérimentations du Pacifique (CEP) entre 1966 et 1969, lors des campagnes d’essais nucléaires menées par la France était dû à la faute inexcusable de son employeur, une société sous-traitante du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Cette décision n’est pas isolée. Elle se situe dans la continuité d’une jurisprudence abondante au cours des dernières années, qui tend de plus en plus à reconnaître un lien de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants lors des essais nucléaires et le développement de pathologies dites radio-induites. Plusieurs pays en ont déjà tiré toutes les conséquences. Tout récemment, le Canada a ainsi annoncé qu’il dédommagerait à hauteur de 22,4 millions de dollars les vétérans canadiens ayant servi lors des essais au Nevada, dans le Pacifique et en Australie.

La présente proposition de loi n’est en aucun cas destinée à discuter ou mettre en cause la politique stratégique de défense menée par la France, qui l’a conduite à effectuer 210 essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996. Elle vise avant tout à donner enfin aux victimes civiles et militaires une marque de reconnaissance et à les aider à entamer un processus de résilience.

Une telle démarche ne relève toutefois pas uniquement du symbole. Elle répond également à une double nécessité.

Nécessité, tout d’abord, de répondre à la situation de personnes subissant les répercussions sanitaires des essais nucléaires et dont les conditions d’indemnisation demeurent aujourd’hui insatisfaisantes. Il est en effet injuste de soumettre ces victimes à de lourdes procédures judiciaires, dont l’issue reste toujours incertaine, tout comme il est injuste que les différents systèmes d’indemnisation tracent aujourd’hui des lignes de fracture entre militaires et civils, entre français de métropole et population polynésienne, qui partagent pourtant la même souffrance.

Nécessité, ensuite, de trancher courageusement le débat opposant les parties sur les effets des rayonnements ionisants reçus à faible dose : car en même temps que les études rétrospectives s’avouent impuissantes à nous éclairer, un faisceau d’éléments objectifs semble renforcer toujours plus le sentiment que l’état de santé alarmant d’une large majorité de vétérans des essais n’est pas dû seulement au hasard.

Face à cette situation, le temps est venu d’une initiative législative forte, qui concrétise, par la mise en place d’un cadre juridique novateur, la reconnaissance de la Nation. Un tel cadre repose tout d’abord sur l’établissement d’une présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires. Il permet ensuite que cette causalité ouvre droit à une réparation intégrale, versée, à l’exemple du dispositif américain, par un fonds spécifique d’indemnisation ou par l’élargissement des compétences du FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) sous réserve de quelques modifications, notamment de ressources. Enfin, il est important qu’une telle mesure s’accompagne de la création d’une Commission nationale de suivi des essais nucléaires, qui, composée d’acteurs représentant l’ensemble des parties concernées, sera à même de créer les conditions d’un dialogue réconciliateur.

La présente proposition de loi choisit également d’étendre ce dispositif aux victimes des accidents nucléaires. La solidarité vis-à-vis des personnes concernées par de tels événements correspond en effet à cette même volonté d’assumer les possibles conséquences de nos choix collectifs et de nos décisions politiques, et ce d’autant plus que l’accident de Tchernobyl a montré que le territoire français n’échappait pas à un risque malheureusement inhérent à ce type d’activité.

Fort des dernières avancées jurisprudentielles et de la volonté politique animant de nombreux élus d’origines partisanes diverses, il n’est plus acceptable de différer plus longtemps la mise en place d’un dispositif législatif opérationnel destiné à assurer, sur l’ensemble du territoire de la République, un traitement égalitaire de toutes les victimes du nucléaire répondant enfin, sur le modèle de ce qui a d’ailleurs déjà été fait pour les victimes du sang contaminé ou de l’amiante, au sentiment d’injustice ou de relative indifférence des pouvoirs publics à leur égard que ressentent chaque jour dans leur chair les personnes ayant subi les conséquences des essais nucléaires ou de l’accident nucléaire de Tchernobyl. Le temps est désormais venu de répondre à la revendication légitime de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires.

I.- LA FRANCE COMPTE QUELQUES MILLIERS DE VICTIMES POTENTIELLES DES ESSAIS OU DES ACCIDENTS
NUCLÉAIRES DONT LES CONDITIONS ACTUELLES D’INDEMNISATION SONT LOIN D’ÊTRE SATISFAISANTES

A. LA FRANCE EST PARTICULIÈREMENT CONCERNÉE PAR LES CONSÉQUENCES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES

1. La France a réalisé 210 essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996

Dans le cadre du développement de sa force de frappe nucléaire, la France a mené, entre 1960 et 1996, 210 essais nucléaires, parmi lesquels 45 dits aériens ou atmosphériques, 150 souterrains et 15 opérations de sécurité (1). L’ensemble de ces essais nucléaires est susceptible d’avoir provoqué des retombées radioactives dont certaines ont même été admises par les autorités militaires.

a) Les 17 essais nucléaires menés au Sahara de 1960 à 1966

Le choix du Sahara comme champ d’expérimentation nucléaire a été arrêté dès 1957. Outre son isolement, le désert du Sahara présente en effet l’avantage d’être balayé par des vents susceptibles d’évacuer le nuage radioactif vers l’Est. Une zone de 108 000 km² au sud-ouest de la ville de Reggane a été classée « terrain militaire » et un Centre saharien d’expérimentations militaires (CSEM) a été installé à environ 50 km au sud de Reggane, oasis localisée au sud du Grand Erg Occidental, à 700 km de Colomb Béchar.

Malgré l’intervention, le 20 novembre 1959, de l’Assemblée générale des Nations unies invitant la France à ne pas effectuer d’essais dans le Sahara, la première bombe nucléaire française, du nom de « Gerboise bleue », a explosé en plein désert le 13 février 1960. Il s’agissait du premier des quatre essais aériens réalisés jusqu’au 25 avril 1961. La base-vie où résidaient environ 10 000 personnes affectées aux expérimentations, était située à l’est de Reggane dans la zone dite de Reggane-plateau.

S’agissant des essais atmosphériques au CSEM, la population sédentaire était concentrée dans les palmeraies de Reggane et dans la vallée du Touat, au nord de Reggane. Cette population était d’environ 40 000 personnes au total, dont 500 résidaient dans un rayon de 100 km autour du champ d’expérimentations.

Avant chacun des essais, une modélisation des retombées était effectuée sur la base des prévisions météorologiques. Les essais n’étaient normalement autorisés qu’à condition où les retombées prévues n’affectaient pas de secteurs habités, les populations nomades éventuelles étant éloignés avant chaque essai.

D’après le rapport du comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français de mai 2007, les retombées radioactives n’ont pas conduit à des doses notables. Le maximum de dose théorique a été évalué pour le site inhabité de Ouallen à 0,6 mSv (2).

Les essais suivants, de type souterrain, furent effectués plus à l’Est, au Centre d’expérimentations militaires des oasis (CEMO) d’In Ekker. Cette technique nécessite le creusement de galeries en forme de colimaçon afin que l’onde de choc générée par l’explosion provoque l’obturation de la galerie, enfermant ainsi la matière radioactive. Treize essais de ce type ont été menés entre le 7 novembre 1961 et le 16 février 1966. Le personnel du CEMO affecté aux essais comportait environ 2 000 personnes logées dans une base-vie située à 30 km au sud d’In Ekker et à Oasis 2 situé à 10 km au sud d’In Ekker.

Plusieurs incidents nucléaires liés à ces essais souterrains, exposant du personnel civil et militaires ainsi que les populations vivant aux alentours, ont été répertoriés et admis par le ministère de la défense.

Un premier accident est survenu le 19 avril 1962 à l’occasion d’un tir de pastille, c’est-à-dire une expérimentation de physique du plutonium, sans dégagement d’énergie nucléaire, mettant toutefois en jeu une capsule contenant 25 grammes de plutonium qui a explosé prématurément, dispersant dans l’environnement un dixième de ce plutonium.

Par ailleurs, alors que les tirs aériens ne semblent pas avoir fait l’objet d’incident particulier, quatre des treize expériences souterraines (Béryl, Améthyste, Rubis et Jade) n’ont pas été totalement contenues ou confinées laissant ainsi se libérer dans l’environnement des gaz, aérosols ou laves.

Les conséquences pour les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires français au Sahara et pour les populations résidant à proximité des sites ont été, d’après les informations communiquées par le ministère de la Défense (3), les suivantes :

– Pour l’accident du 19 avril 1962, dix personnes travaillant à moins de 50 mètres auraient été directement affectées par l’accident et auraient subi une contamination locale. Prises en charge par le service médical qui a pratiqué les premiers soins et effectué la décontamination nécessaire, les victimes ont ensuite été évacuées vers l’hôpital Percy à Clamart, où a été mené le suivi radiobiologique.

Vingt-deux autres personnes, simplement impliquées, auraient bénéficié d’un bilan systématique à l’hôpital Percy lors de leur retour en métropole. Excepté un militaire qui a présenté une séquelle traumatique liée à l’explosion, aucune de ces personnes ne semblerait avoir conservé de séquelle fonctionnelle.

– Lors de l’essai Béryl du 1er mai 1962, l’obturation imparfaite de la galerie a provoqué une rupture de confinement entraînant un rejet dans l’environnement de 5 à 10 % de la radioactivité générée par l’essai soit sous forme de laves et de scories projetées sur le carreau, soit sous forme d’aérosols et de produits gazeux formant un nuage qui a culminé à environ 2 600 mètres d’altitude. L’axe principal du nuage radioactif formé était dirigé vers l’est et la contamination atmosphérique a été détectée sur environ 150 kilomètres. Une partie du personnel aurait été exposée au-delà des limites réglementaires malgré le port du masque respiratoire et une évacuation rapide.

Localement, une exposition induisant une dose supérieure à 50 mSv aurait touché une centaine de personnes. Le nuage est passé au-dessus du poste de commandement où étaient présents des personnalités et le personnel ; une quinzaine de personnes aurait reçu une dose de quelques centaines de mSv.

Par ailleurs, neuf militaires du 621e Groupe d’armes spéciales ont séjourné en zone contaminée. De retour en zone vie, ces hommes ont été pris en charge par le service de santé du Groupe opérationnel des essais nucléaires (Goen). Après décontamination externe, les patients ont été rapidement transférés à l’hôpital Percy à Clamart et ont fait l’objet d’un suivi médical. Les doses reçues ont été estimées à environ 600 mSv.

Enfin, les retombées de cet essai qui auraient pu entraîner une dose supérieure à 5 mSv n’auraient pas touché de zones habitées par des populations sédentaires. En revanche, les nomades du Kel Torha, population la plus exposée (240 personnes), auraient pu recevoir des doses allant jusqu’à 2,5 mSv s’ils s’étaient trouvés présents au moment de la retombée.

– Lors de l’expérimentation Améthyste (30 mars 1963), une faible quantité de scories de roches fondues a débouché de la galerie et s’est déposée sur le carreau. Treize personnes qui sont intervenues sur le chantier, auraient reçu des doses de l’ordre de 10 mSv. Un panache contenant des aérosols et des produits gazeux, en quantité beaucoup plus faible que dans le cas de Béryl, s’est dirigé vers l’est sud-est. La population de l’oasis d’Ideles (280 personnes) située à 100 km du polygone d’expérimentation aurait reçu une dose inférieure à 1 mSv.

– Lors de l’expérimentation Rubis (20 octobre 1963), une sortie de gaz rares et d’iodes s’est produite dans l’heure qui a suivi l’essai, avec formation d’un panache. Celui-ci s’est d’abord dirigé vers le nord, puis est revenu vers le sud, en direction d’Oasis 2 où les retombées ont été amplifiées par de fortes pluies entraînant, par mesure de précaution, l’évacuation et le contrôle de 500 personnes. Les doses maximales reçues n’ont pas excédé 0,2 mSv. La contamination a été détectée jusqu’à Tamanrasset, à 150 km au sud, où les estimations de doses ont été de l’ordre de 0,01 mSv.

– L’essai Jade (30 mai 1965) a entraîné une sortie de gaz rares et d’iode par l’entrée de la galerie. L’impact radiologique aurait été limité au personnel ayant travaillé près de l’entrée de la galerie à la suite du tir ; les doses reçues ont été estimées à moins de 1 mSv.

Les termes des accords d’Évian de mars 1962 et en particulier ceux relatifs aux questions militaires ont précisé que « la France utilisera pour une durée de 5 ans les sites comprenant les installations d’In Ekker, Reggane et de l’ensemble de Colomb-Béchar-Hamaguir, dont le périmètre est délimité dans le plan annexé, ainsi que les stations techniques de localisation correspondantes. ». Les sites du CSEM et du CEMO ont ainsi été rendus aux autorités algériennes en 1967, après démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries.

b) Les 193 essais nucléaires menés en Polynésie de 1966 à 1996

L’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962 a obligé le gouvernement français à choisir un autre champ d’expérimentation nucléaire et à mettre en place le Centre d’expérimentations du Pacifique (CEP) en Polynésie française, comprenant un champ de tir sur les atolls inhabités de Mururoa et de Fangataufa, une base logistique à Tahiti et une base avancée sur l’atoll de Hao.

Officiellement crée le 1er juillet 1963, le CEP a procédé à son premier tir le 2 juillet 1966. Quatre tirs sur barge ont tout d’abord été effectués jusqu’au 2 juillet 1967. Selon les propres termes du ministère de la défense dans son dossier de présentation des essais nucléaires et leur suivi en Polynésie française, les essais sur barge entraînaient « une forte interaction entre la boule de feu et le lagon, et s’accompagnaient d’une forte radioactivité au niveau du sol ».

Ces tirs ont ensuite été remplacés par des tirs sous ballon (au nombre de 34), effectués entre 220 et 700 mètres d’altitude, dont l’incidence radiologique était censée être moindre. Trois bombes ont également été larguées par avions de combat à des altitudes comprises entre 250 et 1 000 mètres. D’autre part, quinze essais de sécurité ont été menés afin de s’assurer que l’engin ne peut s’amorcer et dégager des matières radioactives durant le transport ou le stockage. Très polluants, les cinq essais de sécurité réalisés en surface ont nécessité la couverture de la zone de bitume pour emprisonner le plutonium déposé au sol. Dans les années 1980, une opération de décontamination a même dû être entreprise dans la zone.

Alors que les essais atmosphériques avaient été arrêtés dès 1961 au Sahara, et que le Royaume-Uni, les États-Unis et l’URSS y avaient renoncé dès 1963 en raison de leur nocivité pour l’environnement et la santé publique, la France continuera à procéder à des essais aériens jusqu’en 1974, le dernier essai aérien ayant lieu à Mururoa le 14 septembre 1974.

Le rapport de février 2001 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, consacré aux « Incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 » cite un document du ministère de la Défense et du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de 1997 reconnaissant que cinq essais atmosphériques en Polynésie « ont donné lieu à des retombées un peu plus significatives sur des lieux habités. Il s’agit des îles Gambier en 1996 et 1971, de l’atoll de Tureia en 1967 et 1971 et de Tahiti en 1974 ». Lors d’un de ces essais, les retombées sur les îles Gambier ont d’ailleurs conduit à placer sa population sous abri jusqu’à 21 h 30 après l’essai.

D’après le ministère de la Défense, c’est « la maîtrise acquise dans la connaissance des phénomènes et le souci de limiter l’impact sur l’environnement » qui ont conduit à réaliser des essais souterrains à partir de 1975. 137 expérimentations souterraines ont ainsi eu lieu de 1974 à 1996.

Alors que le 8 avril 1992, le président de la République M. François Mitterrand avait annoncé la suspension des essais nucléaires français, M. Jacques Chirac, président de la République récemment élu décida le 13 juin 1995 de les reprendre. Dans le même temps, la France s’engageait dans le processus de négociation du Traité d’interdiction complète des essais (TICE).

Le dernier essai souterrain français sous le lagon de Fangataufa a été effectué le 27 janvier 1996. Le 29 janvier 1996, M. Jacques Chirac annonçait l’arrêt définitif des essais nucléaires français sous la forme de l’option « zéro », c’est-à-dire qu’aucune expérimentation si faible qu’en soit la puissance ne peut plus désormais être menée. La France a ainsi signé en mars 1996 les protocoles du traité de Rarotonga ayant pour objet la création d’une zone dénucléarisée dans le Pacifique Sud et le 24 septembre 1996 le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), ou CTBT en anglais (Comprehensive Test Ban Treaty), qui a été ratifié en avril 1998.

Au total, une étude réalisée par le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et les installations intéressant la défense (DSND), mentionnée dans le rapport de mai 2007 du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, montre que dix essais réalisés en Polynésie française ont donné lieu à des retombées notables sur des zones habitées. Parmi eux, six essais ont eu pour effet non négligeable d’accroître l’exposition de la population.

2. Des retombées radioactives dues à des accidents nucléaires ont déjà touché le territoire français

a) La France a déjà été confrontée à des accidents nucléaires

Un accident nucléaire, ou accident radiologique, se définit comme un événement qui risque d’entraîner une émission de matières radioactives ou un niveau de radioactivité susceptible de porter atteinte à la santé publique. Un accident nucléaire est qualifié d’incident nucléaire si l’on juge que sa gravité et ses conséquences sur les populations et l’environnement sont très faibles. Les accidents nucléaires peuvent survenir dans un site de l’industrie électronucléaire (une usine d’enrichissement de l’uranium, une centrale nucléaire, une usine de traitement du combustible usé, un centre de stockage de déchets radioactifs) ou dans un autre établissement exerçant une activité nucléaire (site militaire, hôpital, laboratoire de recherche, etc.), ou encore dans un sous-marin, porte-avions ou brise-glace à propulsion nucléaire. Les accidents peuvent aussi se produire lors des transports de matières radioactives, notamment à usage médical, mais également lors des transports de combustible nucléaire, déchets radioactifs ou armes nucléaires.

Pour mesurer la gravité d’un événement, et notamment savoir s’il peut être qualifié d’accident ou d’incident nucléaire, une échelle internationale des événements nucléaires en 8 niveaux (graduée de 0 à 7) a été définie, l’échelle INES (4). Les événements de niveaux 1 à 3, sans conséquence significative sur les populations et l’environnement, sont qualifiés d’incidents, ceux des niveaux supérieurs (4 à 7), d’accidents.

Un seul accident nucléaire est intervenu directement sur le territoire français. Il s’agit d’un accident intervenu à la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux en 1980. Un document conjoint de l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) et de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE fait état de « la fusion d’un canal à combustible dans le réacteur sans rejet hors du site » et le classe au niveau 4 (accident ayant des conséquences locales) sur l’échelle INES.

Il convient de souligner que dans son rapport d’activité du premier trimestre 1980, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) indique seulement dans sa rubrique « Incidents divers sans conséquences après vérification », en date du 13 mars 1980 : « rejet anormal d’une faible quantité de radioéléments dans une centrale ». Plus tard, ce même SCPRI indiquera que la pollution radioactive est restée en dessous du maximum admissible.

L’autre accident nucléaire (seul accident classé au niveau 7 sur l’échelle INES) qui a eu jusqu’ici des répercussions en France a été la catastrophe de Tchernobyl qui s’est produite le 26 avril 1986 dans la centrale nucléaire Lénine en Ukraine et qui est le plus grave accident nucléaire répertorié jusqu’à présent.

b) Le cas de l’accident de Tchernobyl

L’accident de Tchernobyl a provoqué la libération de particules radioactives, essentiellement du césium 137 et du césium 131, contaminant de vastes zones du Belarus, de la Fédération de Russie et de l’Ukraine.

Le nuage radioactif, détecté par les systèmes de la centrale nucléaire de Cattenom, près de la frontière luxembourgeoise, a atteint la France le 29 avril 1986.

Malgré les dénégations des autorités françaises qui, contrairement aux autorités allemandes, ont décidé de ne pas intervenir, une partie de la population a été exposée aux retombées de l’accident nucléaire, l’est de la France étant la zone la plus touchée par les retombées radioactives provoquées par l’accident.

Parmi les différentes voies d’exposition (exposition liée aux poussières radioactives contenues dans l’air, exposition aux rayonnements émis par les dépôts radioactifs sur les sols et les végétaux), c’est l’ingestion des aliments contenant des radionucléides (légumes à feuille frais, lait frais, viande…) qui a constitué la source principale des doses moyennes reçues en France en 1986, suivi de l’irradiation externe par les dépôts au sol.

Suites aux controverses sur le niveau de radioactivité des retombées en France, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a publié en avril 2003 une carte de la contamination en France, qui fait état d’un niveau de radioactivité allant jusqu’à 40 000 Bq/m² (5).

En France, le questionnement sur les risques associés aux retombées de l’accident de Tchernobyl s’est focalisé sur les cancers de la thyroïde, en raison de l’épidémie observée dans les territoires les plus contaminés d’Europe de l’Est. Ce sont plus particulièrement les enfants qui résidaient dans l’Est de la France en 1986 qui ont reçu les doses à la thyroïde les plus importantes.

Des accidents ou incidents nucléaires continuent de se produire dans de nombreux sites nucléaires. Récemment, le 20 avril 2005, une importante fuite de liquide hautement radioactif a été détectée à Sellafield, en Angleterre. Classé au niveau 3 sur l’échelle INES, cet incident illustre s’il en était besoin le nombre d’accidents nucléaires, passés et à venir, susceptibles de toucher plus ou moins directement la population française.

Première application des sanctions prévues par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, les récentes injonctions de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) à EDF de remettre aux normes, dans les trois mois, des canalisations transportant de l’hydrogène, explosif, au sein de la centrale nucléaire de Cruass Meysse, dans l’Ardèche, attestent de la réalité du risque nucléaire et de la nécessité d’une vigilance constante en la matière.

B. QUELQUES MILLIERS DE PERSONNES SONT POTENTIELLEMENT VISÉES PAR LES CONSÉQUENCES SANITAIRES ENCORE MAL ÉVALUÉES DES ESSAIS ET DES ACCIDENTS NUCLÉAIRES

1. Les études sur les incidences sanitaires des essais et des accidents nucléaires sont souvent tardives, parfois contradictoires et reposent sur des données sujettes à caution

a) Les études réalisées sont souvent tardives, incomplètes voire contradictoires

Les études scientifiques relatives aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français ont souvent été trop tardives pour avoir une portée significative suffisante.

Ainsi, le rapport demandé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) par le président de la République, M. Jacques Chirac, au lendemain de l’arrêt définitif des essais nucléaires français dans le Pacifique, est une étude de caractère prospectif, et non rétrospectif. Ce rapport publié en juin 1998 précise bien que le mandat portait sur l’évaluation de la situation radiologique actuelle et future des zones concernées.

De la même façon, l’étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) publiée en juillet 1998 sur les « Incidences des cancers en Polynésie française entre 1985 et 1995 », porte sur une période commençant 11 ans après la fin des essais atmosphériques ! Il est vrai que le registre du cancer pour le Pacifique insulaire qui a été décidé dans les années 1980, n’a été mis en place de façon effective en Polynésie française qu’à partir de 1986.

Par ailleurs, les données disponibles restent incomplètes. De nombreuses études dont la nécessité a pourtant été reconnue, n’ont pas encore été réalisées. Le rapport de l’INSERM précité indique par exemple que des études complémentaires restent à effectuer concernant le principal groupe à risque que constituent les anciens travailleurs des sites nucléaires. Or ces études n’ont pas encore été entreprises à ce jour.

Enfin, certaines études se révèlent contradictoires.

Le rapport de février 2001 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, consacré aux « Incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 » déclare par exemple que tout le personnel du CEP sans exception a fait l’objet d’un suivi dosimétrique, avec 250 000 dosimètres distribués, alors que le rapport (6) « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires fait état de témoignages d’anciens travailleurs du CEP déclarant n’avoir même jamais vu un dosimètre.

De même, le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 1998 indique que des fuites radioactives provenant de « cavités-cheminées » ont eu lieu lors des essais souterrains en Polynésie, alors que le ministère de la Défense en avait toujours assuré l’étanchéité.

b) Les données utilisées ne présentent pas toutes les garanties de fiabilité souhaitables

Beaucoup des données relatives aux essais nucléaires ont été classées secret défense en raison de leur caractère stratégique ou du fait qu’elles étaient susceptibles de favoriser la prolifération nucléaire. Certaines associations de victimes ont réclamé, sans succès pour le moment, la déclassification de ces données de façon à pouvoir reconstituer les expositions aux rayonnements ionisants.

Quant aux données publiées, elles voient leur fiabilité parfois mise en cause du fait de l’origine presque unique des documents. La plupart des rapports, à l’image de celui de l’AIEA, se fondent en effet sur des documents établis par des experts du ministère de la Défense, qui reprennent tous la thèse des essais propres exposée dans le Livre blanc sur les expérimentations nucléaires, publié en 1973 par le gouvernement.

Dans le même ordre d’idée, le rapport « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires, publié en janvier 2006, pointe le fait que le Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français créé par le gouvernement le 15 janvier 2004, comprend, sur un total de 20 membres, 17 représentants de l’armée ou du CEA. D’autre part, alors que le mandat du Comité prévoyait une liaison avec les associations, le rapport de l’Assemblée de Polynésie assure que cela n’a pas été fait.

2. Si l’effet sanitaire des fortes doses de rayonnements ionisants est avéré, une controverse subsiste sur l’effet des faibles doses

a) L’effet des fortes doses est bien connu

Les événements d’Hiroshima, de Nagasaki et de Tchernobyl ont permis d’identifier les incidences sanitaires des rayonnements ionisants reçus à haute dose.

Les leucémies illustrent bien l’effet indiscutable des fortes doses de rayonnements ionisants. L’OMS indique par exemple que « le rayonnement ionisant est une cause connue de certains types de leucémies (prolifération des globules sanguins). On a retrouvé un risque élevé de leucémie chez les survivants des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki dans les 2 à 5 ans suivants l’exposition. Des études récentes font état d’un doublement de l’incidence de la leucémie chez les liquidateurs (7) de Tchernobyl ».

Le Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français a conclu à l’existence d’un risque pour des doses efficaces supérieures à 100 mSv. La relation entre ce risque et les doses permet de classer les cancers en trois catégories:

– les cancers liés à une relation dose-réponse linéaire dès 100 mSv : leucémies (linéaires quadratiques), colon, sein, poumon, peau (hors mélanomes malins), thyroïde (si l’irradiation a eu lieu durant l’enfance) ;

– les cancers pour lesquels il existe un excès de risque sans pouvoir caractériser la relation dose-réponse: foie, vessie, glandes salivaires, œsophage, estomac, ovaire, système nerveux central ; ou pour lesquels le risque existe en cas dose très forte, supérieure à 1 Gy voire 10 Gy: intestin grêle, rectum, squelette, tissu conjonctif, utérus, rein ;

– les cancers pour lesquels il n’y a pas d’augmentation de risque liée aux rayonnements ionisants : pancréas, prostate, peau (mélanomes malins).

b) Des incertitudes subsistent sur l’effet des faibles doses

Si l’incidence sanitaire des rayonnements ionisants reçus à fortes doses est avérée, celle des rayonnements reçus à faible dose est encore sujette à controverse. Le Professeur Patrick Gourmelon, directeur de la direction de la radioprotection de l’Homme de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a ainsi indiqué qu’entre 0 et 100 mSv, il n’existe aucune certitude sur l’effet des rayonnements ionisants.

Le ministère de la Défense soutient de façon constante la thèse selon laquelle les doses reçues par les différents canaux d’exposition lors des essais nucléaires français sont trop faibles pour avoir eu un impact sur la santé. En Polynésie, les doses n’auraient pas dépassé 3,4 mSv en ce qui concerne l’exposition externe et 6 10-4 Sv pour ce qui concerne l’exposition interne.

Cependant, les scientifiques ne sont pas unanimes sur les effets des faibles doses.

L’OMS, dans son aide mémoire n° 303 d’avril 2006, mentionne ainsi la publication en 2006 d’une étude réalisée par la commission BEIR VII de l’Académie nationale des sciences des États-Unis selon laquelle « le risque semble évoluer de manière linéaire aux faibles doses, sans qu’un seuil puisse être mis en évidence (c’est ce que l’on appelle le modèle linéaire sans effet de seuil). Ceci dit les incertitudes subsistent quant à l’ampleur des effets, notamment aux doses très inférieures à environ 100 mSv ».

Par ailleurs, si l’origine de certains cancers est indiscutablement radio-induite comme pour les leucémies, les cancers de la thyroïde, du poumon, du colon, de la peau (sauf le mélanome) et du sein chez la femme, il existe également des cancers où un excès de risques a été observé, mais pour lesquels la relation dose/effet n’est pas établie. Ce sont les cancers des glandes salivaires, de l’œsophage, de l’estomac, du foie, de l’intestin grêle, du rectum, du rein, de la vessie, du cerveau (différentes tumeurs bénignes et malignes), de l’os et du tissu conjonctif, de l’utérus et de l’ovaire.

De plus, un rapport du Comité scientifique de l’ONU. (UNSCEAR-2006) a mentionné pour la première fois la possibilité d’« effets non ciblés » en indiquant que « les “effets non ciblés” (effet de proximité, instabilité génomique…) ne sont pas en rapport avec un dépôt d’énergie au niveau du noyau de la cellule, phénomène qui constituait jusqu’aux années dernières le dogme central de la radiobiologie classique. Il en découle que l’effet carcinogène est, d’une manière ou d’une autre, en rapport avec les potentiels mutagènes ».

Cela met en évidence que les « effets non ciblés » peuvent être à l’origine de cancers et de maladies non cancéreuses sans relation avec la dose reçue. Dès lors, certains cancers pour lesquels un excès de risques a été observé, mais pour lesquels la relation dose/effet n’est pas établie peuvent aussi être radio-induits et ont ainsi été intégrés aux États-Unis à la liste des cancers indemnisés pour préjudice subi, tandis qu’ils ne sont toujours pas reconnus en France comme maladies professionnelles dans le tableau VI de la sécurité sociale.

Si rien ne permet de conclure à une relation linéaire sans effet de seuil entre irradiation et pathologies, rien ne permet non plus de l’exclure. Au vu de la faiblesse des données disponibles, tant quantitative que qualitative, et à défaut d’une étude épidémiologique complète des populations concernées, l’affirmation d’une absence d’effets pour de faibles doses reçues est en l’état actuel des choses plus que discutable.

Un tel constat émane des organisations spécialisées elles-mêmes, à l’exemple des déclarations de l’OMS à propos des effets de Tchnernobyl dans le reste de l’Europe : « L’absence de mise en évidence d’une augmentation du risque de cancer – en dehors du cancer de la thyroïde – n’est pas la preuve qu’une telle augmentation n’a pas eu lieu. D’après ce que l’on sait des survivants des bombes atomiques, il faut s’attendre à une légère augmentation du risque de cancer, même pour les doses faibles à modérées qui ont été reçues. Cependant cette augmentation devrait être difficile à mettre en évidence ».

3. Un faisceau d’éléments objectifs tend à corroborer l’hypothèse d’un lien de causalité entre les essais et les pathologies radio-induites, même à faible dose

a) Les études de santé réalisées par les associations de vétérans et les études scientifiques

L’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN) a mené une étude de santé sur la base d’environ 1 500 réponses de ses adhérents à un questionnaire.

Les résultats révèlent que 90 % des vétérans déclarent une maladie, parmi lesquels 33,71 % (476 personnes) signalent un à trois cancers différents. L’incidence annuelle du cancer en France n’est pourtant, pour les hommes de moins de 65 ans, que de 17 %. La précocité du développement de la pathologie est aussi digne d’être remarquée : 76,4 % des malades du cancer déclarent avoir été atteints avant l’âge de 60 ans. En ce qui concerne les cancers du sang, la proportion de lymphomes (38 cas) et de myélomes (12 cas) représente 25 fois le taux de la population française. D’autres pathologies ont également une incidence particulière : c’est le cas des maladies cardio-vasculaires (15,3 % des malades), des affections digestives (13,9 %) et des affections des muscles et des os (9,3 %).

Alors que les autorités françaises n’ont pas jugé nécessaire d’assurer un suivi de l’état de santé des descendants, l’AVEN remarque également l’incidence élevée des maladies héréditaires chez les enfants de vétérans. 209 personnes mentionnent une ou plusieurs fausses couches de leurs compagnes, 306 n’ont pas d’enfants (situation que 25 % d’entre eux attribuent à une anomalie du sperme). 14 % des enfants nés après les essais (335 sur 2 391) souffrent d’anomalies congénitales et 15,9 % (382) de pathologies de type allergie, stérilité, épilepsie.

Par ailleurs, une étude du Professeur Al Rowland, de l’Université Massey de Palmerston-North (Nouvelle-Zélande) en collaboration avec l’équipe scientifique de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy sous la direction du Professeur Claude Parmentier, a montré clairement que les anomalies de l’ADN sont trois fois plus nombreuses chez des vétérans d’essais nucléaires exposés aux radiations nucléaires au cours des essais nucléaires britanniques réalisés au-dessus de l’île Christmas dans le Pacifique central en 1957 et 1958 que dans un groupe apparié et du même âge non engagé dans les essais nucléaires. Par la publication de cette étude dans la dernière parution du Cytogenet Genome Research, les deux équipes de recherche ont vu leurs travaux validés par leurs pairs de la communauté scientifique internationale et le Professeur Patrick Gourmelon, directeur de la direction de la radioprotection de l’Homme de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a confirmé la très grande qualité de ce travail.

M. Michel Verger, président de l’AVEN a indiqué qu’il est possible de conclure des résultats de cette étude que la fréquence très élevée des anomalies chromosomiques chez les vétérans a pour origine leur exposition aux radiations nucléaires, même à faible dose.

Cette étude scientifique et les données de santé des vétérans permettent d’étayer la présomption d’un lien de causalité entre les conséquences des doses, mêmes faibles, de rayonnements ionisants reçues à la suite des essais nucléaires et les pathologies dont souffrent les vétérans à partir de ce que le professeur Abraham Behar, maître de conférence honoraire de biophysique à l’Université Paris VI et ex-président de l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN) a appelé les « dominantes » des causes des maladies radio-induites.

b) Les mesures de sécurité mises en place à l’époque étaient parfois insuffisantes

Même si les retombées des essais nucléaires ont touché en définitive peu de populations civiles, celles-ci ne disposaient pas bien souvent des protections adéquates.

La sécurité des populations civiles et militaires lors des essais nucléaires dépendait essentiellement des prévisions météorologiques, permettant une modélisation des retombées. Le service de météorologie du CEP regroupait ainsi 270 personnes réparties dans 22 stations et disposant d’avions utilisés comme piquets météo. D’après le ministère de la Défense « la décision d’effectuer l’essai n’était prise que si les prévisions météorologiques démontraient l’absence de retombée directe sur les îles habitées ».

Dès lors, il est permis de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à prévoir des abris pour la population. Deux abris de type blockhaus ont en effet été construits à Tureia ainsi qu’un abri de type structure gonflable. Par ailleurs, des hangars ont été mis en place à Puka Rua, Reao et aux îles Gambier.

Le rapport « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires fait état de la révolte des membres de la commission d’enquête « d’avoir constaté qu’à Mangareva, l’abri antiradiations tardivement construit pour la population (1968) après toute une série de tirs aujourd’hui reconnus comme polluants (depuis 1966) consiste en un simple hangar agricole à toiture en tôles ondulées, alors qu’à quelques kilomètres seulement, celui réservé aux militaires est en béton armé avec des murs d’un mètre d’épaisseur recouverts de blindage ».

Quoi qu’il en soit, les prévisions météorologiques sont à l’évidence un procédé bien aléatoire, comme le démontre un document technique du ministère de la défense (8) présenté en 1997 et repris dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Extrait du rapport de février 2001 de l’Office parlementaire
d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
(MM. Christian Bataille, député, et Henri Revol, sénateur)

« Les différentes mesures réalisées durant les campagnes d’essais aériens ont montré que l’essentiel de la radioactivité se trouve au niveau de la tête du nuage. La hauteur du nuage, et par conséquent, le compartiment atmosphérique dans lequel est injectée la radioactivité dépend de l’énergie de l’essai. La tête du nuage pénètre la stratosphère quand l’énergie dépasse 20 kilotonnes et devient entièrement stratosphérique au-dessus de 150 kilotonnes. Ainsi, pour les essais aériens réalisés au CEP, environ 65 % des têtes des nuages, comportant environ 90 % de l’énergie libérée, ont été entièrement stratosphériques. Seuls quelques essais de faible énergie (quelques kilotonnes) ont concerné les basses couches de la troposphère.

« La circulation générale conduisait donc à diriger l’essentiel de la radioactivité vers l’Est, tandis que les particules les plus lourdes situées au niveau du pied étaient soumises aux vents de secteur Est.

« Certaines situations météorologiques évolutives (pour les premières campagnes, une douzaine d’heures séparaient la dernière situation météorologique complète de l’heure du tir) ont pu compliquer les contours de retombées ou dégrader la fiabilité des prévisions. Les cas les plus caractéristiques ont été le découpage du nuage principal en tranches, les retours anticycloniques et les précipitations.

– Pour des essais de faible énergie pour lesquels les nuages étaient entièrement troposphériques, il est arrivé que le nuage soit découpé en plusieurs tranches par des vents de directions différentes suivant l’altitude. Les nuages secondaires ainsi formés évoluaient ensuite sur des trajectoires distinctes.

– Dans certaines conditions météorologiques, des éléments troposphériques du nuage principal pouvaient quitter celui-ci vers le nord dirigé par l’anticyclone froid de Kermadec, et former un ou plusieurs nuages secondaires repris ensuite vers l’ouest par les alizés. Ce phénomène donnait lieu à des retours d’une fraction de nuage appelés « retours anticycloniques » sur le nord et l’ouest de la Polynésie.

– Les précipitations qui intéressent la moitié basse de la troposphère, ont pour effet de lessiver le nuage et de rabattre au sol la radioactivité. Ces précipitations entraînent l’existence de points chauds c’est-à-dire une concentration de la radioactivité dans des zones restreintes et corrélativement l’appauvrissement du nuage et une diminution des retombées ultérieures.

Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires cite d’autre part un document officiel du service mixte de sécurité radiologique (SMSR) classé « confidentiel défense » qui distingue les retombées immédiates et les retombées différées dues aux phénomènes expliqués ci-dessus, et assure que les secondes n’ont pas fait l’objet de prévisions. Cinq retombées intempestives en Polynésie sont reconnues par les autorités françaises, mais on peut raisonnablement supposer au vu des éléments techniques fournis, que celles-ci ont été plus nombreuses.

À cet aléa météorologique s’est même parfois ajouté un aléa politique, évoqué dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. En effet, lors du dernier essai aérien au Sahara, une circonstance politique particulière vint perturber le calendrier de tir. Le putsch des généraux du 22 avril 1961 obligea à anticiper l’expérimentation, réalisée dans des « conditions météorologiques, qui sans être dangereuses, n’étaient pas favorables à une bonne exploitation des données ». La sécurité des populations, déjà dépendante des aléas météorologiques, a donc pu être mise en danger de ce fait.

Par ailleurs, si la protection du personnel militaire durant les essais apparaissait optimale à l’époque, les normes de doses admissibles étaient supérieures à celle fixée aujourd’hui comme l’illustre un tableau issu du document de suivi des essais nucléaires au Sahara publié par le ministère de la Défense.

Évolution des normes de radioprotection

Normes de radioprotection
Doses maximales admissibles exprimées en millisievert
Pour 12 mois signifie 12 mois consécutifs et 1 an signifie une année calendaire

 

CCS de 1958

CCS de 1961

Réglementation française actuelle

Travailleurs exposés (PDA)

50 mSv/an

50 mSv/an

20 mSv/12 mois

Travailleurs non directement exposés (PDA)

50 mSv/an

15 mSv/an

6 mSv/12 mois

Expositions exceptionnelles

100 mSv

100 mSv

40mSv

Populations

15 mSv/an

5 mSv/an

1 mSv/an

Source : Dossier de présentation des essais nucléaires et leur suivi au Sahara, Délégation à l’information et à la communication de la défense, janvier 2007

4. Le nombre des victimes des essais et des accidents nucléaires n’est pas établi mais concernerait quelques milliers de personnes

L’incertitude générale des données s’applique également au nombre de personnes potentiellement touchées par les retombées. En ce qui concerne les essais nucléaires, les chiffres concernant les effectifs ne sont pas arrêtés. Mais de manière générale, l’analyse des différents canaux d’exposition des populations aux rayons montre que les retombées nucléaires, dues aux essais ou aux accidents, sont susceptibles de concerner une population de quelques milliers de personnes.

En ce qui concerne le personnel, sa gestion au sein du ministère de la Défense relevait de chaque armée, les données n’étant pas centralisées. Il est également impossible de connaître le nombre d’appelés du contingent affectés au CEP. Le calcul des effectifs bénéficiant d’une surveillance dosimétrique permet d’avoir une estimation du personnel présent sur les sites d’expérimentations, mais il exclut par définition les membres du personnel qui n’en bénéficiaient pas, leurs fonctions ne les exposant pas directement aux rayonnements. Ils ont pourtant pu être également touchés par les retombées.

En se fondant sur les documents de dosimétrie externe, le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques évoque 24 000 personnes pour les sites du Sahara et 57 750 personnes pour le CEP. En ce qui concerne les populations civiles, environ 40 000 personnes sédentaires résidaient dans la région de Reggane, dont 500 dans un rayon de 100 km autour du champ de tir. 2 000 personnes environ résidaient quant à elle dans un rayon de 100 km autour d’In Ekker. Le site de Mururoa était également isolé, avec environ 2 300 habitants dans un rayon de 500 km.

L’analyse des différents canaux susceptibles d’exposer les hommes aux retombées radioactives montre néanmoins l’ampleur possible du nombre de personnes concernées. Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en donne le détail.

– L’exposition interne « provient de l’inhalation pendant la retombée ou de l’ingestion d’aliments contenant des radio-éléments ». Les aliments prioritairement concernés sont ceux contenant de l’iode (eau de pluie, lait). En 1974, suite à l’essai « Centaure », le lait produit à Tahiti a ainsi été contaminé, l’iode radioactif s’étant déposé dans les pâturages. À Tureia, l’eau de pluie conservée dans une citerne pour les besoins de l’alimentation a également pu être contaminée et consommée.

– L’exposition externe « se produit lors du passage du nuage et provient ensuite des particules déposées sur le sol ». Les dépôts se maintiennent au sol pendant un an après l’essai, mais il s’agit d’une moyenne générale qui ne prend pas en compte la diversité des sols, conditionnant la migration dans le sol et le lessivage.

En ce qui concerne les accidents nucléaires, ce sont plus particulièrement les enfants qui résidaient dans l’Est de la France en 1986 qui ont reçu les doses à la thyroïde les plus importantes. Les 2,3 millions d’enfants de moins de 15 ans qui vivaient en 1986 dans l’Est de la France constituent ainsi la population la plus sensible aux risques liés à cet accident nucléaire.

C. LES CONDITIONS ACTUELLES D’INDEMNISATION DE CES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES NE SONT PAS SATISFAISANTES

1. L’indemnisation des victimes d’essais nucléaires se heurte à des procédures lourdes et inadaptées

Les procédures permettant aujourd’hui de faire reconnaître le droit des victimes d’essais ou d’accidents nucléaires à réparation sont le plus souvent complexes, reposent très rarement sur un régime de présomption de lien entre la maladie radio-induite et les essais ou accidents nucléaires et n’offrent donc pas toutes les garanties d’obtenir une indemnisation.

Les résultats contradictoires des affaires portées devant les tribunaux montrent que c’est en raison de critères forcément aléatoires et fluctuants que les juridictions sont amenées à écarter certaines demandes pour en retenir d’autres.

Par ailleurs, il existe une grande disparité dans les modalités de réparation entre les différentes catégories de victimes.

a) Le système d’indemnisation du personnel civil relevant du régime général de la Sécurité sociale

Les personnels civils (ouvriers d’État ou agents contractuels) ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires sont soumis aux dispositions du code de la sécurité sociale pour ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Ainsi, tout accident ou toute maladie, dans la mesure où cette dernière est inscrite dans un des tableaux de maladies professionnelles annexés au Livre IV du code de la Sécurité sociale qui précise la nature des travaux susceptibles de provoquer les maladies et qui énumère les affections provoquées, survenues par le fait ou à l’occasion du travail, est présumé d’origine professionnelle.

Les victimes bénéficient en conséquence d’une réparation automatique dont le montant est fixé par avance et sans que la victime n’ait à prouver une faute de l’employeur en saisissant un tribunal. En contrepartie, les préjudices subis par la victime sont réparés sur une base forfaitaire et les employeurs bénéficient d’une immunité civile, sauf en cas de faute inexcusable.

À première vue, ce système d’indemnisation prévu par le code de la sécurité sociale se rapproche assez de la présomption d’origine professionnelle des maladies radio-induites que la présente proposition de loi entend mettre en vigueur. Le salarié souhaitant obtenir réparation n’a pas en effet à prouver le lien de causalité entre son affection et son activité professionnelle.

Il s’en différencie cependant sur plusieurs points.

En premier lieu, le nombre de maladies dites « radio induites » reconnues officiellement en France et qui figurent dans le tableau VI du système de reconnaissance des maladies professionnelles de la sécurité sociale est assez restreint.

Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires souligne ainsi les limites de ce système de reconnaissance par tableau en indiquant que « ce tableau a été établi en 1931 et comporte des délais tels qu’il est très rare qu’un travailleur du nucléaire puisse bénéficier de telles dispositions. De plus, ce tableau n’est pas applicable aux activités nucléaires militaires, et encore moins aux conséquences des essais nucléaires. En Polynésie française, le système mis en place par la Caisse de prévoyance sociale est à peu près calqué sur le système français, mais (…) son application est loin d’être satisfaisante ».

En second lieu, il convient également de souligner que l’indemnisation prévue dans le cadre du code de la sécurité sociale n’est pas une réparation intégrale.

Enfin, les différentes étapes de la procédure d’indemnisation se caractérisent par une certaine lourdeur.

b) Le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française

Le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française est assez proche de celui mis en place pour les salariés dépendant du régime de la sécurité sociale française.

La gestion du risque accidents du travail et maladies professionnelles est assurée par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS). Les droits ouverts par cette réglementation territoriale sont, dans leur principe, très similaires à ceux de la législation métropolitaine de sécurité sociale. La faute inexcusable de l’employeur y est d’ailleurs expressément prévue par l’article 34 du décret du 24 février 1957.

Comme pour le système d’indemnisation du personnel civil relevant du régime général de la sécurité sociale, le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française semble donc relativement proche de la présomption d’origine professionnelle des maladies radio-induites que la présente proposition de loi entend mettre en vigueur.

Il s’expose toutefois aux mêmes critiques sur le caractère trop restrictif des maladies prises en compte au titre du tableau VI des maladies professionnelles.

Par ailleurs, il n’est pas exempt d’autres critiques. En effet, si des procédures individuelles ont été engagées en Polynésie française pour reconnaissance de maladies professionnelles auprès de la Caisse de prévoyance sociale (CPS), le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires souligne que « jusqu’à présent, la plupart des dossiers d’anciens de Moruroa étaient rejetés par la CPS sous la pression du CEP (9), ancien employeur de ces personnels. Il faut savoir en effet que les instances de reconnaissance de maladies professionnelles sont paritaires et que les employeurs comme les syndicats y sont représentés ».

En outre, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) se caractérise bien souvent par des lenteurs à statuer et la procédure prévoit la possibilité de recours auprès du Tribunal du travail de Papeete.

Enfin, si ce système s’inspire des dispositions du code de la sécurité sociale, il n’offre pas des garanties identiques.

Il ne permet pas aux victimes de bénéficier de la procédure introduite en 1993 pour ouvrir une possibilité de reconnaissance du caractère professionnel de maladies non inscrites au tableau des maladies professionnelles (10). Il ne permet pas non plus, même en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, d’obtenir une indemnisation complémentaire. On rappellera que lorsque l’accident de travail ou la maladie professionnelle sont dus à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (article L. 452-1 du code de la sécurité sociale). Cette majoration prend la forme d’un doublement de la réparation forfaitaire des préjudices reconnus ainsi que la réparation de chefs de préjudice exclus du régime forfaitaire (préjudices extrapatrimoniaux notamment). Cette possibilité d’indemnisation complémentaire n’existe apparemment pas en Polynésie française.

c) Le système d’indemnisation des militaires

Les dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) permettent d’indemniser tout militaire souffrant d’une infirmité due à la guerre ou au service (blessure ou maladie). Les aggravations par le fait ou à l’occasion du service d’infirmités étrangères au service sont également prises en charge. Il en est ainsi de la participation à des essais nucléaires.

À la différence de ce qui est prévu pour les personnels civils relevant du régime général de la sécurité sociale, il n’existe cependant qu’un cas limité où les militaires peuvent bénéficier, sous conditions, de la présomption d’imputabilité au service des infirmités contractées à l’occasion de leur service actif. C’est le cas des appelés ou de militaires participant à des opérations extérieures (OPEX).

Dans tous les autres cas, l’imputabilité doit être prouvée. L’imputabilité par preuve, qui peut être reconnue à tout moment, suppose donc que le demandeur apporte la preuve d’une blessure ou d’une maladie causée par le fait ou à l’occasion du service et qu’il existe une relation médicale entre le fait constaté et l’infirmité invoquée.

Lorsque l’incident à l’origine possible d’une affection n’a pas été constaté ou qu’un délai important s’est écoulé entre le fait invoqué et l’apparition de la maladie, la reconnaissance du droit à indemnisation peut ainsi soulever de sérieuses difficultés. De même, il peut être délicat d’établir un lien direct entre le fait de service et l’apparition de l’affection. Ces difficultés sont particulièrement fortes pour ce qui concerne les conséquences des essais nucléaires.

Cette rigueur est quelque peu atténuée par la possibilité ouverte par le droit des pensions militaires d’invalidité d’admettre la preuve d’imputabilité par un faisceau de présomptions. Ainsi, en l’absence d’une preuve indiscutable, un ensemble de circonstances permet parfois d’admettre l’imputabilité.

Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires critique néanmoins ce système d’indemnisation des militaires en faisant remarquer que « la pratique constante du ministère de la Défense consiste à récuser systématiquement devant les tribunaux tous les vétérans qui demandent à bénéficier d’une pension en compensation de maladies contractées après leur présence sur les sites d’essais ».

Par ailleurs, la procédure reste extrêmement lourde et prévoit, en cas de satisfaction de la demande de pension en compensation de maladies contractées après leur présence sur les sites d’essais, la possibilité d’un appel devant la Cour régionale des pensions militaires (CRPM), puis d’un recours devant le Conseil d’État.

d) Le système d’indemnisation des populations civiles

En théorie, les populations civiles qui s’estiment victimes des essais nucléaires pourraient demander réparation devant les tribunaux des préjudices qu’elles ont subis. Cependant, leur méconnaissance des procédures fait qu’elles sont la plupart du temps les grandes oubliées du système d’indemnisation des conséquences des essais nucléaires.

Pourtant, les essais nucléaires ont constitué un véritable choc dans les mentalités polynésiennes comme en témoigne le livre de Pieter De Vries : « Mururoa et nous : Expériences des Polynésiens au cours des 30 années d’essais nucléaires dans le Pacifique Sud ».

2. Le système d’indemnisation des victimes d’accidents nucléaires est complexe

a) Le droit de la responsabilité civile nucléaire

Le droit qui préside en France à l’indemnisation des dommages nucléaires est le droit de la « responsabilité civile nucléaire » (RCN), qui repose sur des conventions internationales et une loi qui applique en France ces principes internationaux.

La Convention de Paris de 1960 fixe le cadre juridique de la responsabilité civile des exploitants nucléaires en mettant en place un régime fortement dérogatoire au droit commun.

La Convention complémentaire de Bruxelles de 1963 organise des financements supplémentaires à ceux fournis dans le cadre de la Convention de Paris, sur la base d’une participation, en premier lieu, de l’État de l’accident, et, en second lieu, des autres États-Parties.

Par ailleurs, deux Protocoles, signés le 12 février 2004, sont venus modifier les deux Conventions, de Paris et de Bruxelles.

Enfin, la loi n° 68-943 du 30 octobre 1968, modifiée par la loi n° 90-488 du 16 juin 1990 et l’article 55 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006, fixe en droit français les modalités d’application de ces conventions dans les domaines où, soit elles nécessitent des précisions, soit elles ouvrent des options aux États-Parties.

Les principes de la responsabilité civile nucléaire sont caractérisés par les éléments suivants :

– la désignation légale d’un « responsable civil » unique à l’égard des tiers, l’exploitant nucléaire de l’installation en cause, sans qu’il y ait lieu de prouver une faute, ni qu’existe la possibilité pour l’exploitant d’échapper à cette responsabilité civile ;

– la limitation légale, en montant, de la responsabilité de l’exploitant nucléaire à l’origine de l’accident nucléaire, mais avec, en contrepartie la nécessité de constituer des garanties financières contrôlées par les États, ainsi que la fixation de « tranches d’indemnisation » impliquant, au-delà du seul exploitant responsable, les finances publiques : la première tranche seulement est à la charge de l’exploitant (jusqu’à 91 millions d’euros actuellement, portés à 700 millions d’euros par le Protocole modificatif), les deux autres résultent de mécanismes publics mettant en jeu des deniers publics (ce qui porte le montant cumulé des trois tranches à 300 millions de droits de tirage spéciaux du FMI, soit environ 400 millions d’euros, somme portée à 1 500 millions d’euros par le Protocole modificatif à la Convention de Bruxelles).

Le premier élément clarifie le jeu de l’indemnisation en permettant l’identification facilitée du responsable, si on compare les accidents nucléaires à d’autres situations d’accident de grande ampleur. Mais, le second présente une double difficulté :

– d’une part, la limitation en montant des sommes totales disponibles pour l’indemnisation des victimes implique une coordination particulière dans l’indemnisation des différentes victimes et la réparation des préjudices indemnisables ;

– d’autre part, la mobilisation de plusieurs « tranches » implique la nécessité d’éviter toute rupture entre l’indemnisation au titre de la responsabilité proprement dite de l’exploitant, qui est limitée à un certain montant, et l’indemnisation qui est accordée sur des fonds publics au-delà de ce montant, qui est également limitée.

Par ailleurs, les décrets d’application de la loi n° 68-943 du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire n’ont toujours pas été édictés.

b) Les limites de l’instruction des plaintes des victimes des conséquences de Tchernobyl

 La Cour de justice de la République a classé sans suite la plainte d’une victime

Une femme atteinte d’un cancer de la thyroïde lié, selon elle, au passage du nuage de Tchernobyl en 1986, a porté plainte en février 2003 devant la Cour de justice de la République pour « administration de substances nuisibles ». Cette plainte visait cinq anciens ministres en fonction en 1986, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, Michèle Barzach, ministre déléguée à la Santé publique, Alain Carignon, ministre délégué à l’Environnement, Alain Madelin, ministre de l’Industrie et de la Recherche, et François Guillaume, ministre de l’Agriculture, à qui la victime reprochait de ne pas avoir suffisamment informé la population des risques entraînés par l’explosion du réacteur 4 de la centrale ukrainienne le 26 avril 1986.

Toutefois, la commission des requêtes de la Cour de justice a rendu le 23 octobre 2003, une décision de classement non susceptible de recours, cette décision étant motivée par l’absence de « lien de causalité scientifiquement démontré » entre le passage du nuage de Tchernobyl au-dessus de sa résidence et la maladie dont elle a été reconnue atteinte en 2000.

En conséquence, « aucune infraction pénale », n’est susceptible d’« être caractérisée à l’encontre des ministres visés ».

● Le pôle de santé publique chargé d’instruire les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl manque de moyens

Les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl font par ailleurs l’objet d’une enquête, confiée à la juge d’instruction spécialiste des affaires sanitaires Marie-Odile Bertella-Geffroy, depuis le mois de juillet 2001, saisie de plusieurs centaines de plaintes avec constitution de partie civile.

Elle est notamment chargée de déterminer si, au vu des mesures de radioactivité dont les autorités françaises disposaient à l’époque, celles-ci ont donné suffisamment de consignes de prudence à la population.

Il convient de souligner que dans une tribune récente de la Gazette du Palais, Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy a déploré l’insuffisance des moyens qui lui sont alloués. En effet, pour exercer leur fonction, les magistrats du pôle de santé publique disposent « d’un seul greffier, d’une seule assistante spécialisée médecin et d’un seul assistant de justice », ce qui a conduit Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy à déclarer qu’« une justice sans moyen dans ce type de dossier ne peut être qu’une justice désespérément lente ».

Par ailleurs, les juges du pôle de santé publique doivent aussi faire face à la difficulté de l’établissement du lien de causalité pour les affaires de santé publique.

II.- LA PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE DE LA NÉCESSITÉ
DE FAIRE ÉVOLUER LES MODALITÉS D’INDEMNISATION DES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES
CRÉE LES CONDITIONS FAVORABLES À LA MISE
EN PLACE D’UNE NOUVELLE LÉGISLATION

A. LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LES CONDITIONS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DES ESSAIS ET DES ACCIDENTS NUCLÉAIRES EST DE PLUS EN PLUS AIGUË

1. Plusieurs pays étrangers ont déjà mis en place des fonds d’indemnisation de victimes d’accidents nucléaires

a) Les États-Unis ont mis en place un fonds d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires dès 1988

Aux États-Unis, le Sénat américain a adopté le 25 avril 1988 une loi d’indemnisation des vétérans exposés aux radiations, en établissant une présomption d’un lien avec le service, pour des maladies dont souffrent les vétérans ayant été exposés aux radiations. Cette loi établit une liste de treize types de cancers dont elle attribue explicitement la cause aux radiations reçues par les militaires américains durant leur service (essais nucléaires, occupation d’Hiroshima et de Nagazaki).

Cette reconnaissance d’un lien entre l’exposition à des rayonnements ionisants et les pathologies développées fait suite à de nombreuses mesures d’indemnisation intervenues dans les années précédentes. Dès 1956, les États-Unis avaient en effet indemnisé à hauteur de deux millions de dollars des pêcheurs japonais contaminés par des essais nucléaires effectués au large des îles Marshall. En 1985, les résidents de ces mêmes îles, dont les habitations furent détruites ou la santé détériorée, avaient également été indemnisés par un fonds de 100 millions de dollars.

Cette loi de 1988 met par ailleurs en place un fonds d’indemnisation des vétérans concernés par l’exposition aux radiations durant le service. Le dispositif a été complété en 1990 par un autre fonds doté de 100 millions de dollars destinés à indemniser les civils américains blessés par les rayonnements ionisants dus au programme nucléaire des États-Unis. Les progrès des connaissances en matière de médecine nucléaire ont été progressivement pris en compte par la législation américaine, qui a ainsi étendu en 2002 par voie d’amendements la liste des pathologies radio-induites dues aux essais. Celle-ci inclut aujourd’hui 29 maladies.

b) Les autres exemples étrangers

Le gouvernement néo-zélandais, après avoir financé une étude radiobiologique sur un groupe de 50 vétérans ayant pris part aux essais britanniques en Nouvelle-Zélande, a mis en place une prise en charge des vétérans et de leurs descendants.

En Australie, une liste nominative d’environ 16 500 personnes affectées aux essais britanniques sur le territoire australien a été publiée et une loi d’indemnisation a été adoptée en juin 2006 à la suite d’une étude épidémiologique financée par le gouvernement.

En février 2008, le gouvernement britannique a également accepté de financer une étude radiobiologique de la santé des membres de l’association des vétérans anglais.

Enfin, le 2 septembre 2008, le Canada a annoncé qu’il dédommagerait les vétérans à hauteur de 22,4 millions de dollars US. Cette mesure inclut les vétérans exposés aux rayonnements ionisants lors des essais nucléaires dans le Nevada, dans le Pacifique et en Australie ainsi que les militaires chargés de la décontamination d’une centrale de l’Ontario après deux accidents, en 1952 et 1958.

Si ces différents dispositifs ne peuvent certes pas être transposés à l’identique en France du fait de différences notables entre les systèmes de protection sociale, la logique d’indemnisation et de reconnaissance qui sous-tend les dispositifs mis en place à l’étranger reste un modèle dont la France peut utilement s’inspirer.

2. Les associations de victimes se mobilisent de plus en plus pour que leur situation fasse l’objet d’un débat public

Les acteurs de la société civile se sont fortement mobilisés pour que soient débattues au sein de l’espace public les problématiques relatives aux incidences sanitaires des essais nucléaires français.

a) L’Association des vétérans des essais nucléaires français (AVEN)

L’Association des vétérans des essais nucléaires français et leurs familles (AVEN), déclarée à la Préfecture du Rhône le 9 juin 2001, regroupe les vétérans, malades ou non malades, personnels civils ou militaires ayant participé aux programmes d’essais nucléaires français sur les sites du Sahara et de Polynésie française depuis le 13 février 1960 jusqu’au 27 janvier 1996, leurs conjoints et familles (descendants, sœurs, frères), ainsi que certaines personnes physiques ou morales désireuses de soutenir les objectifs de l’association.

L’AVEN défend la cause de tous les vétérans (personnels civils ou militaires ayant participé au programme d’essais nucléaires de la France) auprès des autorités judiciaires ou administratives afin d’obtenir le recensement des vétérans, l’accès aux dossiers médicaux militaires, la présomption d’origine des pathologies radio-induites, l’instauration d’une commission de suivi des essais nucléaires et d’un fonds d’indemnisation des victimes civiles et militaires des essais, un droit à pension pour les vétérans et leurs ayants droit et enfin, la reconnaissance de la nation. L’AVEN a également récemment demandé d’inclure de nouvelles maladies à la liste des pathologies radio-induites et d’entreprendre des études épidémiologiques.

b) L’association « Moruroa e tatou »

L’association « Moruroa e tatou » (Moruroa et nous) a été créée à Papeete le 4 juillet 2001, à l’occasion du 35e anniversaire du premier essai nucléaire français à Moruroa (le 2 juillet 1966). Cette initiative faisait suite aux résultats de l’enquête commanditée par l’ONG Hiti Tau et l’Église évangélique et qui faisait apparaître dans la population des anciens travailleurs de ces sites, un taux de prévalence de cancers supérieur à la moyenne et une mortalité précoce. L’association regroupe d’anciens travailleurs ou veuves d’anciens travailleurs des sites d’essais nucléaires français de Moruroa et Fangataufa en Polynésie. Lors de sa constitution, elle rassemblait 150 anciens travailleurs intervenus sur les sites nucléaires. L’année suivante, elle comptait un millier de membres,

C’est la principale organisation défendant la cause des populations polynésiennes qui s’estiment victimes des essais nucléaires. Elle effectue un travail soutenu de sensibilisation civile, d’interpellation des pouvoirs publics et d’accompagnement des victimes, de leurs ayants droit et de leurs descendants.

c) L’Association des malades de la thyroïde

L’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) a été créée en février 1999 par six malades déçus du silence autour des pathologies thyroïdiennes.

L’AFMT est à l’origine de la médiatisation des plaintes des malades français qui ont estimé que leurs pathologies étaient liées à l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986 : en mars 2001, 53 dossiers de plainte ont été déposés au Tribunal de grande instance de Paris. 150 plaintes ont ensuite été déposées le 5 octobre 2001, et 200 nouvelles plaintes le 28 avril 2002, ce qui totalise plus de 400 plaintes en un an.

Ces poursuites ont ainsi été engagées contre « X » pour « défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de l’accident » par l’Association des malades de la thyroïde et la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) ou des particuliers s’estimant victimes des conséquences de cet accident nucléaire. Ces personnes sont affectées par des cancers de la thyroïde ou goitres et accusent le gouvernement français de ne pas avoir informé correctement la population des risques liés aux retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl.

3. Des évolutions se dessinent en faveur des victimes des essais nucléaires

a) Les évolutions jurisprudentielles

Certaines évolutions en faveur des victimes des essais nucléaires méritent d’être signalées.

En premier lieu, certaines caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) reconnaissent déjà directement le caractère professionnel de maladies contractées par des personnes ayant participé en service à une activité liée aux essais nucléaires.

Reconnaissance directe de maladie professionnelle par des CPAM

Organismes

Date

Affaire

Exposition

Maladie

CPAM (CRA) Évry

26/12/08

Vignet Jean-Pierre (veuve)

CEA 1959/92

Leucémie

CPAM Nantes

20/02/07

Le Gall Pierre

CEA 1957/94

Cancer poumon

CPAM (CRA) Seine Saint Denis

14/02/2007

Joly Michel (veuve)

CEA 1958/94

Cancer pulmonaire

CPAM de Dordogne

22/11/2005

Robert Pierre (veuve)

CEA 1964/73

Cancer poumon
Décédé

CPAM du Gard

24/08/2005

Garnier Francis (veuve)

CEA 1963/72
Décontamineur

Cancer gastrique
Décédé

CPAM de Corrèze

06/03/2004

Delamare-Oubron Gilles

SOGETRAM/
SOTRAPLEX 1988/96

Leucémie

CPAM de la Gironde

08/07/2004

Bourguet Elios (veuve)

COMSIP 1967/68

Cancer poumon
Décédé

Source : Cabinet d’avocats Teissonière Topaloff Lafforgue

D’autre part, des victimes civiles ou militaires des essais nucléaires arrivent désormais à faire reconnaître devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) ou les juridictions des pensions militaires le caractère professionnel de leur maladie ou l’imputabilité de celle-ci au service qu’elles ont effectué en lien avec les essais nucléaires.

Contentieux devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale
(reconnaissance de maladie professionnelle)

Juridiction

Date Décision

Affaire

Exposition

Maladie

TASS Brest

30/06/2008

Benard JP Vve

DCN – Polynésie 1973/79

Cancer œsophage

TASS Évry

19/02/2008

Guntz Daniel

Vannier-PHOTELEC
1967/74 - Polynésie

Cancer colon
Cancer cordes vocales

TASS Carcassonne

29/01/2008

Samson Claude

Sté SOLETANCHE – Polynésie 1980

Cancer poumon
Cancer parotide
Cancer peau

TASS Nantes

05/03/2007

Bourel Florence

Polynésie – CEA 1982/83

Cancer thyroïde

TASS Grenoble

09/06/2006

Allizon Paul

Polynésie – SODETRA (sous-traitant CEA) 1964/74

Cancer poumon

Source : Cabinet d’avocats Teissonière Topaloff Lafforgue

Contentieux devant les juridictions des pensions militaires (imputabilité au service)

Juridiction

Date Décision

Affaire

Exposition

Maladie

CRPM Nancy

04/09/2008

Geneix André

1962 (IN EKER)

Syndrome anxiodépressif
Cancer de la peau (Basocellulaire)
Pb lombaires

CRPM Douai

19/05/2008

Hugot Gilles

POURVOI EN CASSATION MINISTERE DE LA DEFENSE

1963-1964

Cancer rectal

CRPM Douai

26/11/2007

Norberciak Jean-Luc Consorts

POURVOI EN CASSATION MINISTERE DE LA DEFENSE

Polynésie 79/80

Cancer du poumon

CRPM Rennes

04/05/2007

Cariou Michel

CEP 1966/73 (SMSR) Contamination avérée Strontium 90 & Iode 131

Dysmitose thyroïdienne

TPM Toulon

12/11/2002

Janas François

Polynésie
1968 (Clémenceau) & 1970 (BB Medoc)

Lymphome NH

CRPM Chambery

28/09/2001

Ruet Jean-Paul

Polynésie 1968

Myélome

Source : Cabinet d’avocats Teissonière Topaloff Lafforgue

Il n’en demeure pas moins que, même en cas de succès, les requérants s’exposent toujours à des procédures judiciaires longues, fastidieuses et aléatoires.

b) Les évolutions de l’attitude du ministère de la Défense

D’après les éléments d’information recueillis par la rapporteure auprès de M. Jean-Paul Bodin, directeur adjoint du cabinet civil et militaire de M. Hervé Morin, ministre de la Défense, le ministère de la Défense poursuit sa ligne de conduite constante qui consiste à examiner au cas par cas chacune des demandes d’indemnisation liées aux conséquences des essais nucléaires réalisés par la France, chaque demande constituant un cas d’espèce et le droit à indemnisation ne pouvant pas être reconnu du seul fait de la présence sur un site d’expérimentation.

Toutefois, le ministère de la Défense aurait récemment décidé de ne plus faire systématiquement appel devant le Conseil d’État des décisions des cours régionales des pensions militaires (CRPM) lorsqu’un vétéran a obtenu satisfaction sur une demande de bénéficier d’une pension en compensation de maladies contractées après une présence sur un site d’essais nucléaires.

Par ailleurs, M. Jean-Paul Bodin a également indiqué que le ministère de la défense travaillait actuellement sur un projet de loi destiné à améliorer les conditions d’indemnisation des victimes d’accidents du travail. S’il n’a pas été possible d’obtenir la teneur d’un texte qui en serait encore au stade de la rédaction, il semblerait bien que ce projet de loi vise à prendre en compte, tout en veillant à ne pas détruire la cohérence du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG), la demande sociale qui s’est exprimée au travers des dépôts de multiples propositions de lois émanant de divers courants politiques et visant une meilleure indemnisation des victimes d’accident du travail.

4. La prise de conscience collective de la situation des victimes d’essais nucléaires s’est déjà traduite par le dépôt de nombreuses propositions de loi

La prise de conscience progressive des difficultés que rencontrent les victimes d’essais ou d’accidents nucléaires pour obtenir l’indemnisation à laquelle elles peuvent légitimement prétendre s’est traduite ces dernières années par le dépôt, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, de multiples propositions de lois ou demandes de création de commission d’enquête parlementaires, issues de parlementaires de presque tous les groupes politiques.

 S’agissant de l’Assemblée nationale, neuf propositions de loi ont été déposées au cours des XIIe et XIIIe législatures depuis 2002 :

– Proposition de loi n° 3532 du 17 janvier 2002 de Mme Marie-Hélène Aubert relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires ;

– Proposition de loi n° 130 du 24 juillet 2002 de M. Yves Cochet, relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires ;

- Proposition de loi n° 368 du 7 novembre 2002 de M. Maxime Gremetz, relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français ;

– Proposition de loi n° 3025 du 12 avril 2006 de Mme Christiane Taubira, et M. Paul Giacobbi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes, civils, militaires et populations, victimes des essais ou accidents nucléaires ;

– Proposition de loi n° 3104 du 18 mai 2006 de M. Yannick Favennec, relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires ;

– Proposition de loi n° 92 du 18 juillet 2007 de M. Yannick Favennec, relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires ;

– Proposition de loi n° 553 du 20 décembre 2007, de Mme Christiane Taubira et M. Paul Giacobbi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes, civils, militaires et populations, victimes des essais ou accidents nucléaires ;

– Proposition de loi n° 751 du 27 mars 2008, de M. Maxime Gremetz, relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français ;

– Proposition de loi n° 643 du 29 janvier 2008 François de Rugy, relative au suivi des conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires.

 S’agissant du Sénat, quatre propositions de lois et une demande de création d’une commission d’enquête parlementaire ont été déposées depuis 2002 :

– Proposition de loi n° 141 du 22 janvier 2003, de Mme Marie-Claude Beaudeau, relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français ;

– Proposition de loi n° 448 du 27 juillet 2005, de Mme Hélène Luc, relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français ;

– Proposition de résolution n° 247 du 9 mars 2006, de Mme Dominique Voynet, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l’environnement ;

– Proposition de loi n° 168 du 17 janvier 2007, de Mme Hélène Luc, tendant à modifier certaines dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre sur le délai de présomption d’imputabilité applicable aux maladies radio-induites ;

– Proposition de loi n° 225 du 12 février 2007, de Mme Hélène Luc, visant à créer un fonds d’indemnisation des préjudices causés par les essais nucléaires pratiqués en Algérie et en Polynésie française.

Tous ces textes, quelle que soit leur origine partisane, s’articulent souvent autour des mêmes grands principes : reconnaissance d’une présomption de lien avec le service pour les malades ayant participé aux essais nucléaires et création d’un fonds d’indemnisation des victimes et d’une commission nationale de suivi des essais nucléaires. Quelques propositions de loi étendent ce dispositif aux populations et aux victimes d’accidents nucléaires.

B. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI FIXE UN CADRE JURIDIQUE NOVATEUR POUR LES VICTIMES D’ESSAIS ET D’ACCIDENTS NUCLÉAIRES

1. Le principe d’une présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires est établi

L’article 1er de la proposition de loi établit en premier lieu un principe de présomption de lien de causalité pour toute maladie radio-induite contractée en lien avec des essais ou un accident nucléaires au profit de ces victimes.

Il s’agit de faire en sorte qu’à partir du moment où une pathologie radio-induite figurera sur une liste arrêtée par décret et affectera une des catégories de personnes énumérées par la loi, l’indemnisation pourra être accordée sans que le demandeur ait besoin d’établir la preuve d’un lien entre cette pathologie et les essais nucléaires.

Ce principe, très favorable aux victimes, élargit notamment aux militaires le champ d’application du régime de présomption d’origine qui n’existait jusqu’ici que dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles des salariés du régime de sécurité sociale, en outre limitée par le tableau restreint des maladies professionnelles provoquées par les rayonnements ionisants.

Il s’inspire directement de la législation américaine d’indemnisation des victimes des essais nucléaires de 1988 qui tient compte de la « présomption d’origine », c’est-à-dire que si la personne est atteinte de l’une ou l’autre des maladies radio induites figurant sur une liste de 29 pathologies et qu’elle peut justifier de sa présence dans un rayon de 700 km des sites d’essais au temps des essais aériens, elle peut bénéficier de la loi d’indemnisation.

Trois grandes catégories de personnes pourront bénéficier de cette nouvelle présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais ou accidents nucléaires :

– les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française ;

– les personnes ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française ;

– les personnes ayant résidé en quelque partie du territoire français contaminée par un accident nucléaire

2. La loi pose le principe de la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’essais et d’accidents nucléaires, leurs descendants et leurs ayants droit

L’article 2 de la proposition met ensuite en place un dispositif de réparation intégrale des préjudices subis par les personnes ayant subi les conséquences négatives d’essais ou d’accidents nucléaires, leurs descendants ou leurs ayants droit.

a) Le principe de la réparation intégrale

L’objectif de la réparation intégrale est de réparer l’ensemble des préjudices subis par la victime de façon à la replacer, dans toute la mesure du possible, dans la situation qui aurait été la sienne si aucun dommage ne s’était produit.

Deux grandes catégories de chefs de préjudices sont habituellement distinguées :

– les préjudices patrimoniaux, ou préjudices « économiques » qui peuvent être liés à une incapacité fonctionnelle – représentée par un taux d’incapacité établi en fonction d’un barème médical –, un préjudice professionnel – une perte de gains – ou un préjudice lié à diverses dépenses consécutives à la maladie et qui restent à la charge de la victime – aménagement du véhicule ou du logement par exemple ;

– les préjudices extrapatrimoniaux, ou préjudices « personnels », c’est-à-dire le préjudice moral, le préjudice physique, le préjudice d’agrément et le préjudice esthétique.

La mise en place d’une telle réparation intégrale est très avantageuse pour les victimes et s’inspire du dispositif qui a été retenu lors de la création du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) par l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (11).

Il convient en effet de rappeler que même lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit n’ont droit, au titre du code de la sécurité sociale, qu’à une indemnisation complémentaire qui prend certes la forme d’un doublement de la réparation forfaitaire des préjudices reconnus ainsi que la réparation de chefs de préjudice exclus du régime forfaitaire (préjudices extrapatrimoniaux notamment) mais qui n’aboutit pas toujours à une réparation intégrale des préjudices subis.

b) Les bénéficiaires de la réparation intégrale

La proposition de loi ouvre le bénéfice de la réparation intégrale des préjudices subis à l’occasion d’essais ou d’accidents nucléaires non seulement aux personnes qui ont subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires mais aussi à leurs descendants et à leurs ayants droit.

 Les personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

Les personnes ayant travaillé, comme civil ou comme militaire, sur les deux sites où ont été réalisés des essais nucléaires, c’est-à-dire au Sahara et en Polynésie française, pendant la période où ces essais ont été réalisés ainsi que les personnes directement exposées aux conséquences d’un accident nucléaire bénéficient du droit à réparation intégrale.

Le dispositif retenu mentionne que ces personnes bénéficieront d’une réparation intégrale de leurs préjudices quel que soit le mode d’exposition aux rayonnements, c’est-à-dire que celui-ci résulte d’une exposition directe à des rayonnements ionisants ou d’une contamination interne. Cela permet d’inclure dans le champ d’application de la loi les victimes affectées par une exposition interne (contamination interne) lors de l’ingestion de produits contaminés comme des légumes ou des fruits par exemple, comme d’aucuns avancent que ce fut le cas en France à la suite de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl.

● Les descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

Les descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires bénéficient également du droit à réparation intégrale de leurs préjudices, non à titre d’ayants droit mais spécifiquement en raison des préjudices qu’ils peuvent avoir subis du fait des effets trans-générationnels d’une exposition à des rayonnements ionisants ou à une contamination interne.

Certaines études scientifiques ont en effet mis en évidence des effets transgénérationnels se traduisant par des modifications radio-induites transmises par les parents à leur descendance qui frappent une ou plusieurs générations après l’exposition. Ces effets héréditaires sont des effets résultant des lésions de l’ADN dans la ligne germinale (spermatozoïdes et ovules). De tels effets héréditaires radio-induits ont ainsi été observés sur des plantes ou des petits mammifères (souris) après exposition parentale à des doses relativement élevées.

● Les ayants droit des personnes ou des descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

De manière analogue au système d’indemnisation des personnes ayant subi des préjudices causés par l’amiante mis en place au travers du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), la proposition de loi prévoit également l’inclusion des ayants droit des personnes ou des descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires parmi les bénéficiaires de la réparation intégrale des préjudices subis.

3. Un fonds spécifique d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires est créé

L’article 3 met en place un dispositif spécifique et autonome d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires par la création d’un établissement public administratif dénommé « Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires » qui s’inspire, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA).

Le choix de créer un établissement autonome pour indemniser les victimes des essais et des accidents nucléaires constitue également une marque de reconnaissance particulière par la communauté nationale envers les victimes des essais ou des accidents nucléaires.

Cet établissement public administratif, doté de ressources publiques, sera chargé de réparer intégralement les préjudices subis par les personnes victimes d’essais ou d’accidents nucléaires ou leurs descendants ainsi que les ayants droit de ces deux derniers.

Composé de façon à réunir toutes les parties intéressées, ce nouveau Fonds d’indemnisation des victimes des essais nucléaires verra ses modalités de fonctionnement fixées ultérieurement par décret en Conseil d’État.

4. Une nouvelle Commission nationale de suivi des essais nucléaires est mise en place

L’article 4 de la proposition de loi créé auprès du Premier ministre une nouvelle Commission nationale de suivi des essais nucléaires.

La création de cette nouvelle commission tire les conséquences des critiques qui sont parfois émises par les associations de victimes sur la composition des organes officiels en charge du suivi des essais nucléaires, comme le Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français créé le 15 janvier 2004 par décision conjointe des ministres de la défense et de la santé, qui ne font bien souvent pas assez de place aux associations représentants les victimes des essais nucléaires, leurs veuves et leurs descendants.

Les attributions de cette commission sont importantes.

Elle est en effet chargée en premier lieu de formuler un avis sur la liste des maladies radio-induites pour lesquelles la loi crée une présomption de lien de causalité avec les essais et les accidents nucléaires.

La Commission nationale de suivi des essais nucléaires sera également responsable du suivi des questions relatives à l’épidémiologie et à l’environnement qui incombait jusqu’ici au département de suivi des centres d’expérimentation nucléaire.

Elle se voit enfin reconnaître un rôle important en matière du suivi de l’application de la loi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes victimes des essais ou accidents nucléaires et devra donc ainsi évaluer les conditions de fonctionnement du nouveau Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires.

III-. ANALYSE DES ARTICLES

Article 1er

Établissement d’un principe de présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires

L’article 1er a pour objet de définir un principe de présomption de lien de causalité entre, d’une part, les maladies radio-induites, dont la liste sera fixée par décret après avis de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires créée à l’article 4 de la présente proposition de loi, et, d’autre part, les essais et accidents nucléaires lorsque ces maladies affectent des personnes souffrant des conséquences de ces essais ou accidents.

1. Quelques milliers de personnes sont aujourd’hui affectées par des maladies radio-induites pour lesquelles le lien avec des essais ou un accident nucléaires semble de plus en plus avéré

a) Définition des maladies radio-induites

Les maladies radio-induites sont des pathologies dues à une exposition à des rayonnements ionisants. Ceux-ci sont susceptibles d’entraîner deux types d’effets sur la santé :

– les effets déterministes (encore appelés « obligatoires ») qui sont des effets dits « à seuil ». Le seuil varie en fonction du type de rayonnement, des organes irradiés et de la nature des effets. Ils se manifestent chez toutes les personnes irradiées au-dessus de ce seuil et la gravité augmente avec la dose. Ce sont des effets précoces, apparaissant dans les jours ou semaines après l’irradiation (brûlures cutanées, disparition de cellules sanguines…), ou tardifs, apparaissant plusieurs années, voire plus de 10 ans, après l’irradiation (fibrose, cataracte…). Ils apparaissent généralement pour des doses élevées. Les effets déterministes présentent un certain nombre de caractéristiques qui, si elles sont bien identifiées, permettent d’en attribuer la cause à une exposition antérieure aux rayonnements ionisants ;

– les effets stochastiques (encore appelés « aléatoires ») qui se développent apparemment au hasard au sein d’un groupe irradié. Ce sont des effets « sans seuil ». Leur fréquence augmente avec la dose. Les effets stochastiques, cancers et effets héréditaires radio-induits, correspondent à des affections n’ayant pas de caractère clinique spécifique qui permettrait de les différencier d’affections spontanées de même nature. Leur origine radio-induite ou non est donc d’autant plus difficile à déterminer que la fréquence, spontanée ou liée à d'autres facteurs, de ces pathologies est élevée. Il convient de rappeler que les cancers touchent un tiers de la population et que 3 à 5 % des nouveaux nés sont porteurs d’affections héréditaires. La nature même de ces effets stochastiques alimente les interrogations sur le lien possible entre maladies et irradiation.

Parmi les anciens travailleurs des essais nucléaires français et les populations qui résident à proximité des sites d'essais ou de zones géographiques particulièrement exposées aux retombées de l’accident nucléaire de Tchernobyl, certains souffrent ou sont décédés d'affections diverses, notamment de cancers. Certains de ces anciens travailleurs ou les populations riveraines des essais ou résidant sur un territoire touché par l’accident nucléaire de Tchernobyl, ainsi que des associations qui les représentent, affirment l'existence d'un lien entre les essais nucléaires menés par la France ou l’accident nucléaire de Tchernobyl et les maladies dont ils souffrent. Ils demandent en conséquence une reconnaissance et une action de réparation de l'État.

b) Les victimes de maladies radio-induites concernées par la proposition de loi

 Les victimes d’essais nucléaires

De 1960 à 1996, la France a procédé à des essais nucléaires au Sahara, puis en Polynésie française. D’anciens travailleurs de ces sites ou des populations riveraines des essais mettent en avant l’existence d’un lien entre ces essais et les maladies dont ils souffrent.

Ainsi, le rapport (12) « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires fait état que « les services de santé du Pays ont, depuis des années, constaté une recrudescence des cancers, notamment des leucémies et des cancers de la thyroïde ».

À l’automne 2005, l’association des vétérans des essais nucléaires (AVEN) créée en juin 2001 a publié les résultats d’une enquête auprès de près de 1 500 de ses adhérents à l’aide d’un questionnaire en quarante points traitant de la santé des vétérans des essais nucléaires français du Sahara ou de Polynésie française.

Résumé des résultats de l’enquête de 2005 de l’AVEN auprès des vétérans des essais nucléaires français du Sahara ou de Polynésie française

1. Caractéristiques des personnes répondant au questionnaire

Ceux qui ont répondu au questionnaire sont des appelés du contingent, des engagés, des militaires de carrière, des ingénieurs, techniciens et administratifs du C.E.A (13). et des techniciens d’entreprises sous-traitantes.

Une majorité de militaires était des appelés du contingent qui n’étaient pas volontaires pour les essais et n’avaient pas reçu d’informations sur la protection ou les risques pour la santé.

2. Pathologies

En ce qui concerne la pathologie, seulement 10 % des vétérans estiment qu’ils sont en bonne santé et ne signalent aucune maladie.

2.1 – Pathologies cancéreuses

Parmi les vétérans malades, 476 vétérans (33,71 %) signalent de 1 à 3 cancers différents ; ce pourcentage est supérieur à l’incidence annuelle du cancer en France (17 %) pour les hommes de moins de 65 ans. Les cancers les plus fréquents sont les cancers de l’appareil digestif, du sang, de la bouche, du poumon, de la peau et génito-urinaires.

En considérant l’âge des vétérans au diagnostic du cancer, 76,4 % ont moins de 60 ans.

Parmi les cancers du sang, les lymphomes (38 cas/1 412) et les myélomes (12 cas/1 412) représentent plus de 25 fois le taux de la population française. La fréquence de ces maladies souvent radio-induites est anormalement élevée pour des personnes de moins de 60 ans.

Parmi ces cancers, 195, soit 40,9 %, ont entraîné le décès du vétéran. En considérant l’âge des vétérans décédés, 29,2 % ont moins de 50 ans et 64,1 % ont moins de 60 ans.

2. 2 – Pathologies non cancéreuses

Pour les pathologies non cancéreuses, 82,3 % des vétérans indiquent une ou plusieurs maladies.

Les pathologies cardio-vasculaires sont les plus fréquentes (15,3 %), puis viennent les affections digestives (13,89 %) et les affections des os et de muscles (9,3 %). Les maladies de peau, souvent atypiques, représentent 8 % des pathologies ; les maladies neurologiques et psychiatriques, 7,6 %. Les vétérans signalent également la perte précoce de leurs dents (5,3 %) et de leurs cheveux (4,4 %).

Concernant l’âge de survenue de ces pathologies, 41 % des pathologies surviennent avant 30 ans, 48,4 % avant 40 ans, 66,3 % avant 50 ans.

3. – Descendance

209 (18,89 %) vétérans mentionnent que leur femme ou compagne a eu une ou plusieurs fausses couches.

Concernant la descendance, 306 vétérans (21,6 %) n’ont pas d’enfants. 25 % d’entre eux signalent une stérilité par anomalie du sperme. Pour les autres, 2 391 enfants (2,16 par famille) sont nés en moyenne 4,5 ans après les essais (minimum quelques mois, maximum 21 ans).

Parmi les 2 391 enfants nés après les essais (2.16 enfants/famille), 335 enfants (14 %) présentent des anomalies congénitales plus ou moins importantes (surdité ou cataracte, squelettiques, ectopie testiculaire, malformations cardiaques ou rénales, trisomie 2…) et 382 enfants (15,9 %) des maladies (allergies, stérilité, troubles hormonaux, retard mental, épilepsie…)

28.9 pour mille des enfants sont décédés à la naissance ou au cours de la première année de vie.

En résumé, ces résultats portant sur 1 412 vétérans mettent en évidence que :

– 90 % présentent une ou plusieurs maladies ;

– 33,7 % ont présenté un ou plusieurs cancers différents. Les cancers peu fréquents dans la population française sont très augmentés chez les vétérans. 77 % des cancers sont survenus avant l’âge de 60 ans et 65,3 % sont décédés avant l’âge de 60 ans.

– Les pathologies non cancéreuses cardio-vasculaires, digestives, et ostéo-musculaires sont les plus fréquentes ;

– Les enfants présentent des anomalies congénitales (14 %) et diverses maladies (15,9 %).

L’AVEN souligne que ces résultats indiquent clairement que la santé des vétérans des essais nucléaires français du Sahara ou de Polynésie française a été atteinte d’une manière importante par des maladies cancéreuses et non cancéreuses.

 Les victimes d’un accident nucléaire

Un accident nucléaire, ou accident radiologique, se définit comme un événement qui risque d’entraîner une émission de matières radioactives ou un niveau de radioactivité susceptible de porter atteinte à la santé publique. Un accident nucléaire est qualifié d'incident nucléaire si l'on juge que sa gravité et ses conséquences sur les populations et l'environnement sont très faibles. Les accidents nucléaires peuvent survenir dans un site de l'industrie électronucléaire (une usine d'enrichissement de l'uranium, une centrale nucléaire, une usine de traitement du combustible usé, un centre de stockage de déchets radioactifs) ou dans un autre établissement exerçant une activité nucléaire (site militaire, hôpital, laboratoire de recherche, etc.), ou encore dans un sous-marin, porte-avions ou brise-glace à propulsion nucléaire. Les accidents peuvent aussi se produire lors des transports de matières radioactives, notamment à usage médical, mais également lors des transports de combustible nucléaire, déchets radioactifs ou armes nucléaires.

Pour mesurer la gravité d'un événement, et notamment savoir s'il peut être qualifié d'accident ou d'incident nucléaire, une échelle internationale des événements nucléaires en 8 niveaux (graduée de 0 à 7) a été définie, l'échelle INES (14). Les événements de niveaux 1 à 3, sans conséquence significative sur les populations et l'environnement, sont qualifiés d'incidents, ceux des niveaux supérieurs (4 à 7), d'accidents.

L’unique accident nucléaire (seul accident classé au niveau 7 sur l'échelle INES) qui a eu jusqu’ici des répercussions en France a été la catastrophe de Tchernobyl qui s'est produite le 26 avril 1986 dans la centrale nucléaire Lénine en Ukraine et qui est le plus grave accident nucléaire répertorié jusqu'à présent.

Le nuage radioactif, détecté par les systèmes de la centrale nucléaire de Cattenom, près de la frontière luxembourgeoise, a atteint la France le 29 avril 1986.

Malgré les dénégations des autorités françaises, une partie de la population a été exposée aux retombées de l’accident nucléaire, l’est de la France étant la zone la plus touchée par les retombées radioactives provoquées par l’accident. Parmi les différentes voies d’exposition (exposition liée aux poussières radioactives contenue dans l’air, exposition aux rayonnements émis par les dépôts radioactifs sur les sols et les végétaux), c’est l’ingestion des aliments contenant des radionucléides (légumes à feuille frais, lait frais, viande…) qui a constitué la source principale des doses moyennes reçues en France en 1986, suivi de l’irradiation externe par les dépôts au sol.

En France, le questionnement sur les risques associés aux retombées de l’accident de Tchernobyl s’est focalisé sur les cancers de la thyroïde, en raison de l’épidémie observée dans les territoires les plus contaminés d’Europe de l’Est. Ce sont plus particulièrement les enfants qui résidaient dans l’Est de la France en 1986 qui ont reçu les doses à la thyroïde les plus importantes. Les 2,3 millions d’enfants de moins de 15 ans qui vivaient en 1986 dans l’est de la France constituent ainsi la population la plus sensible aux risques liés à cet accident nucléaire.

Depuis mars 2001, plusieurs centaines de poursuites ont été engagées en France contre « X » pour « défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de l’accident » par l’Association des malades de la thyroïde et la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) ou des particuliers s’estimant victimes des conséquences de cet accident nucléaire. Ces personnes sont affectées par des cancers de la thyroïde ou goitres et ont accusé le gouvernement français de ne pas avoir informé correctement la population des risques liés aux retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl.

c) Des études scientifiques soulignent un lien des pathologies radio-induites avec les essais ou un accident nucléaires

 Les essais nucléaires

Le rapport (15) « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires cite ainsi une étude avalisée par la communauté scientifique internationale et publiée en anglais dans le Tropical Medicine and international Health d’octobre 2000 établissant une comparaison des cas de cancers entre polynésiens, hawaïens et maoris de Nouvelle-Zélande, qui, si elle ne s’avance pas sur les causes des différences d’incidence des cancers de la thyroïde et des leucémies pendant la période 1985-1995, pose néanmoins de sérieuses interrogations.

Comparaison des cas de cancers entre polynésiens,
hawaïens et maoris de Nouvelle-Zélande

Incidence du cancer de la thyroïde (taux pour 100 000 standardisés)

 

Polynésie

Hawaï

Nouvelle-Zélande

Hommes

5,7

1,71

3,74

Femmes

16,8

1,82

2,56

Incidence de la leucémie (taux pour 100 000 standardisés)

 

Polynésie

Hawaï

Nouvelle-Zélande

Hommes

10,9

1,17

0,93

Femmes

6,6

1,04

0,83

Source : Béatrice Le Vu, Florent de Vathaire, Cécile Challeton de Vathaire, John Paofaite, Laurent Roda, Gilles Soubiran, François Lhoumeau et François Laudon, Cancer incidence in French Polynesia 1985-95, Tropical Medicine and International Health, Vol 5, n° 10 pp 722-731, octobre 2000

M. Oscar Temaru a d’autre part rendu publique en août 2006 une correspondance en date du 17 juillet 2006 de M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité 605 de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) « épidémiologie des cancers » qui étudie depuis plusieurs années les facteurs de risque du cancer de la thyroïde en Polynésie française à M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND), et à M. Oscar Temaru (président de la Polynésie française) où il fait état de la mise en évidence d'une « relation statistiquement significative entre la dose totale de radiation reçue à la thyroïde du fait des essais nucléaires atmosphériques réalisés par la France en Polynésie française et le risque ultérieur de cancer de la thyroïde diagnostiqué entre 1985 et 2002 ». Cette correspondance indique comme « maintenant acquis le fait que les essais nucléaires atmosphériques réalisés par la France ont contribué à augmenter l'incidence du cancer de la thyroïde en Polynésie française ».

Par ailleurs, si l’origine de certains cancers est indiscutablement radio-induite comme pour les leucémies, les cancers de la thyroïde, du poumon, du colon, de la peau (sauf le mélanome) et du sein chez la femme, il existe également des cancers où un excès de risques a été observé, mais pour lesquels la relation dose/effet n'est pas établie. Ce sont les cancers des glandes salivaires, de l'œsophage, de l'estomac, du foie, de l'intestin grêle, du rectum, du rein, de la vessie, du cerveau (différentes tumeurs bénignes et malignes), de l'os et du tissu conjonctif, de l'utérus et de l'ovaire.

Or, un rapport du Comité scientifique de l’ONU. (UNSCEAR-2006) a mentionné pour la première fois la possibilité d’« effets non ciblés » en indiquant que « les “effets non ciblés” (effet de proximité, instabilité génomique…) ne sont pas en rapport avec un dépôt d’énergie au niveau du noyau de la cellule, phénomène qui constituait jusqu’aux années dernières le dogme central de la radiobiologie classique. Il en découle que l’effet carcinogène est, d’une manière ou d’une autre, en rapport avec les potentiels mutagènes ».

Cela met en évidence que les “effets non ciblés” peuvent être à l'origine de cancers et de maladies non cancéreuses sans la relation avec la dose reçue. Dès lors, certains cancers pour lesquels un excès de risques a été observé, mais pour lesquels la relation dose/effet n'est pas établie peuvent aussi être radio-induits et ont ainsi été intégrés aux États-Unis à la liste des cancers indemnisés pour préjudice subi, tandis qu’ils ne sont toujours pas reconnus en France comme maladies professionnelles dans le tableau VI de la sécurité sociale.

 L’accident nucléaire de Tchernobyl

En 2000, une étude menée conjointement par l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) et l’institut national de veille sanitaire (InVS) a permis de mettre en évidence que « les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas d’exclure a priori la possibilité d’un excès de cancers de la thyroïde lié à l’accident de Tchernobyl. Les évaluations de dose et de risque réalisées sur les conséquences de l’accident de Tchernobyl en France suggèrent cependant que, même dans le groupe des personnes les plus exposées (enfants âgés de moins de 15 ans qui résidaient dans l’Est de la France au moment de l’accident), cet excès, s’il existe, est faible ».

Malgré les incertitudes des résultats mis en avant par IPSN et l’InVS, cette étude estime néanmoins que le calcul théorique du nombre de cancer en excès suite à l’accident de Tchernobyl serait compris entre 6,8 et 54,9 pour 899 cas attendus entre 1991 et 2015 sur l’est de la France.

Par ailleurs, une étude a été réalisée en 2006 sur les conséquences des retombées de l’accident de Tchernobyl en Corse par la cellule interrégionale d’épidémiologie (Cire) Sud, en collaboration avec l’InVS et l’Observatoire régional de la santé (ORS) de Corse. Les résultats de cette analyse en Corse ont montré que, chez la femme, le taux d’incidence des cancers thyroïdiens se situe dans la fourchette haute des taux observés dans les départements couverts par un registre.

2. Les conditions actuelles d’indemnisation de ces victimes ne sont pas aujourd’hui satisfaisantes

Les procédures permettant aujourd’hui de faire reconnaître le droit des victimes d’essais ou d’accidents nucléaires à réparation sont le plus souvent complexes, reposent très rarement sur un régime de présomption de lien entre la maladie radio-induite et les essais ou accidents nucléaires et n’offrent donc pas toutes les garanties d’obtenir une indemnisation.

a) L’indemnisation des victimes d’essais nucléaires

Il convient de distinguer le personnel, civil ou militaire, ayant participé en service à une activité liée aux essais nucléaires et bénéficiant à ce titre de régimes de protection sociale spécifiques et les personnes qui résidaient à proximité des sites d’essais nucléaires français.

 Le système d’indemnisation du personnel civil relevant du régime général de la Sécurité sociale

Les personnels civils (ouvriers d’État ou agents contractuels) ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires sont soumis aux dispositions du code de la sécurité sociale pour ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles.

En effet, l'article 8 du décret n° 72-154 du 24 février 1972 dispose que les ouvriers d'État sont soumis aux dispositions du code de la sécurité sociale en ce qui concerne les accidents du travail ou les maladies professionnelles. Il en va de même pour les agents contractuels en vertu des dispositions de l'article 2 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 pris pour l'application aux agents non-titulaires de l'État de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État.

Ainsi, tout accident ou toute maladie, dans la mesure où cette dernière est inscrite dans un des tableaux de maladies professionnelles annexés au Livre IV du code de la Sécurité sociale qui précise la nature des travaux susceptibles de provoquer les maladies et énumérant les affections provoquées, survenues par le fait ou à l’occasion du travail, sont présumés d’origine professionnelle. Les victimes bénéficient en conséquence d’une réparation automatique dont le montant est fixé par avance et sans que la victime n’ait à prouver une faute de l’employeur en saisissant un tribunal. En contrepartie, les préjudices subis par la victime sont réparés sur une base forfaitaire et les employeurs bénéficient d’une immunité civile, sauf en cas de faute inexcusable.

À première vue, ce système d’indemnisation prévu par le code de la Sécurité sociale se rapproche assez de la présomption d’origine professionnelle des maladies radio-induites que la présente proposition de loi entend mettre en vigueur. Le salarié souhaitant obtenir réparation n’a pas en effet à prouver le lien de causalité entre son affection et son activité professionnelle.

Il s’en différencie cependant sur plusieurs points.

En premier lieu, le nombre de maladies dites « radio-induites » reconnues officiellement en France est assez restreint. Ces maladies figurent dans le tableau VI du système de reconnaissance des maladies professionnelles de la Sécurité sociale.

Affections provoquées par les rayonnements ionisants

Désignation des maladies

Délai de prise en charge

Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies

Anémie, leucopénie, thrombopénie ou syndrome hémorragique consécutifs à une irradiation aiguë

30 jours

Tous travaux exposant à l’action des rayons X ou des substances radio actives naturelles ou artificielles, ou à toute autre source d’émission corpusculaire, notamment :

Anémie, leucopénie, thrombopénie ou syndrome hémorragique consécutifs à une irradiation chronique

1 an

Extraction et traitement des minerais radioactifs

Blépharite ou conjonctivite

7 jours

Préparation des substances radioactives

Kératite

1 an

Préparation de produits chimiques et pharmaceutiques radioactifs

Cataracte

10 ans

 

Radiodermites aiguës

60 jours

Préparation et application de produits luminescents radifères

Radiodermites chroniques

10 ans

Recherches ou mesures sur les substances radioactives et les rayons X dans les laboratoires

Radio-épithélite aiguë des muqueuses

60 jours

 

Radiolésions chroniques des muqueuses

5 ans

Fabrication d’appareils pour radiothérapie et d’appareils à rayons X

Radionécreuse osseuse

30 ans

Travaux exposant les travailleurs au rayonnement dans les hôpitaux, les sanatoriums, les cliniques, les dispensaires, les cabinets médicaux, les cabinets dentaire et radiologiques, dans les maisons de santé et les centres anticancéreux

Leucémies

30 ans

 

Cancer broncho-pulmonaire primitif par inhalation

30 ans

Travaux dans toutes les industries ou commerces utilisant les rayons X, les substances ou dispositifs émettant les rayonnements indiqués ci-dessus

Sarcome osseux

50 ans

 

Source : Tableau VI des maladies professionnelles (Sécurité sociale).

Le rapport (16) « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires souligne les limites de ce système de reconnaissance par tableau en indiquant que « ce tableau a été établi en 1931 et comporte des délais tels qu’il est très rare qu’un travailleur du nucléaire puisse bénéficier de telles dispositions. De plus, ce tableau n’est pas applicable aux activités nucléaires militaires, et encore moins aux conséquences des essais nucléaires. En Polynésie française, le système mis en place par la Caisse de prévoyance sociale est à peu près calqué sur le système français, mais (…) son application est loin d’être satisfaisante ».

En prévoyant l’établissement d’un principe de présomption de lien de causalité entre les maladies radio-induites, dont la liste est fixée par décret, et les essais nucléaires lorsque ces maladies affectent des personnes civiles ou militaires ayant participé à une activité à risque radioactif au cours de leur service actif, la proposition de loi entend donc élargir, sans pour autant modifier le tableau VI des affections provoquées par les rayonnements ionisants, la liste des maladies radio-induites ouvrant droit à une indemnisation dans un cadre professionnel.

En second lieu, il convient également de souligner que l’indemnisation prévue dans le cadre du code de la Sécurité sociale n’est pas une réparation intégrale, contrairement à ce que la proposition de loi ambitionne de mettre en place par l’article 2 (cf. infra).

Enfin, les différentes étapes de la procédure d’indemnisation se caractérisent par une certaine lourdeur qui est bien mise en évidence par l’association des vétérans des essais nucléaires (AVEN).

Étapes de la procédure pour un civil

1- La reconnaissance de maladie professionnelle nécessite un certificat médical sur un formulaire obtenu de la Sécurité Sociale ou du médecin traitant, ou du chirurgien ou du spécialiste.

2- Le vétéran le transmet à la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) de sa résidence, avec les certificats médicaux et les résultats éventuels de dosimétrie. Deux cas de figure :

a- Si la maladie est dans le tableau 6, des maladies professionnelles dues aux rayonnements ionisants, la CPAM peut ou non reconnaître la maladie professionnelle.

b- Si la maladie n’est pas dans le tableau 6, la CPAM peut demander l’avis du CRRPM (Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles) (17).

Si l’avis est défavorable, le vétéran peut contester la décision devant la CRA (Commission de Recours amiable) - Cette dernière a deux mois pour prendre sa décision.

– Si la décision n’est pas prise dans les délais (même d’un jour), la maladie est réputée reconnue comme maladie professionnelle. Cela est arrivé pour plusieurs vétérans civils.

– Si un avis défavorable est émis, le vétéran peut faire appel devant le TASS (Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale).

– Si le vétéran obtient gain de cause, il perçoit une rente.

Dans un deuxième temps, il peut poursuivre la société responsable pour « faute inexcusable de l’employeur ».

– Si la « faute inexcusable de l’employeur » est reconnue, la rente est majorée, en cas de décision défavorable, le vétéran conserve sa rente initiale.

Source : Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN)

 Le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française

Le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française est assez proche de celui mis en place pour les salariés dépendant du régime de la Sécurité sociale française.

Aux termes de son article 1er, les dispositions de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française s'appliquent à « tous les salariés exerçant leur activité dans le territoire » et à « toutes personnes physiques ou morales employant lesdits salariés », étant précisé qu'elle ne s'applique pas « aux personnes relevant d'un statut de droit public ».

Le personnel civil recruté localement, employé en Polynésie française dans les organismes relevant du ministère de la défense, qui ne relevait pas d'un statut de droit public, était ainsi soumis à un corpus de règles dit « régime d'administration du personnel civil de recrutement local » signé par le commandant supérieur des forces armées dans ce territoire, en sa qualité d'employeur. Ces règles s'inscrivent dans le cadre de la législation du travail applicable en Polynésie.

Ce régime d'administration indique notamment que « les accidents du travail et les maladies professionnelles relèvent des dispositions législatives et réglementaires en vigueur dans le territoire de la Polynésie française » (article 25 du régime du 15 février 1982 remplacé à l'identique en 2004).

Ces dispositions restent fixées par le décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer modifié par plusieurs délibérations de l'assemblée territoriale de la Polynésie française.

La gestion de ce risque est assurée par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS). Les droits ouverts par cette réglementation territoriale sont dans leur principe très similaires à ceux de la législation métropolitaine de sécurité sociale. La faute inexcusable de l'employeur y est d'ailleurs expressément prévue par l'article 34 du décret du 24 février 1957.

Comme pour le système d’indemnisation du personnel civil relevant du régime général de la Sécurité sociale, le système d’indemnisation des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique à la Polynésie française semble donc relativement proche de la présomption d’origine professionnelle des maladies radio-induites que la présente proposition de loi entend mettre en vigueur.

Il s’expose toutefois aux mêmes critiques sur le caractère trop restrictif des maladies prises en compte au titre du tableau VI des maladies professionnelles.

Par ailleurs, il n’est pas exempt d’autres critiques. En effet, si des procédures individuelles ont été engagées en Polynésie française pour reconnaissance de maladies professionnelles auprès de la Caisse de prévoyance sociale (CPS), le rapport (18) « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires souligne que « jusqu’à présent, la plupart des dossiers d’anciens de Mururoa étaient rejetés par la CPS sous la pression du CEP (19), ancien employeur de ces personnels. Il faut savoir en effet que les instances de reconnaissance de maladies professionnelles sont paritaires et que les employeurs comme les syndicats y sont représentés ».

En outre, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) se caractérise bien souvent par des lenteurs à statuer et la procédure prévoit la possibilité de recours auprès du Tribunal du travail de Papeete.

Enfin, si ce système s’inspire des dispositions du code de la Sécurité sociale, il n’offre pas des garanties identiques et ne permet pas, notamment, même en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, d’obtenir une indemnisation complémentaire. On rappellera que lorsque l’accident de travail ou la maladie professionnelle sont dus à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale). Cette majoration prend la forme d’un doublement de la réparation forfaitaire des préjudices reconnus ainsi que la réparation de chefs de préjudice exclus du régime forfaitaire (préjudices extrapatrimoniaux notamment). Cette possibilité d’indemnisation complémentaire n’existe apparemment pas en Polynésie française.

Le système d’indemnisation des militaires

Les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) permettent d'indemniser tout militaire souffrant d'une infirmité due à la guerre ou au service (blessure ou maladie). Les aggravations par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service sont également prises en charge. Il en est ainsi de la participation à des essais nucléaires.

Il n’existe pourtant qu’un cas limité où les militaires peuvent bénéficier de la présomption d’imputabilité au service des infirmités contractées à cette occasion. C’est le cas des d'appelés ou de militaires participant à des opérations extérieures (OPEX). La présomption est ouverte dans les conditions suivantes : pour une blessure, il suffit qu'elle ait été constatée, avant la fin de l'opération, par un document officiel, au moment où l'événement s'est produit ; pour une maladie, elle doit être constatée après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif ou avant le soixantième jour (depuis 1er juillet 2005 – trentième jour auparavant) suivant la fin de l'opération.

Dans tous les autres cas, l'imputabilité relève de la preuve.

L'imputabilité par preuve, qui peut être reconnue à tout moment, suppose toutefois que le demandeur apporte la preuve d'une blessure ou d'une maladie causée par le fait ou à l'occasion du service et qu'il existe une relation médicale entre le fait constaté et l'infirmité invoquée.

Lorsque l'incident à l'origine possible d'une affection n'a pas été constaté ou qu'un délai important s'est écoulé entre le fait invoqué et l'apparition de la maladie, la reconnaissance du droit à indemnisation peut soulever des difficultés. De même, il peut être délicat d'établir un lien direct entre le fait de service et l'apparition de l'affection. Ces difficultés sont particulièrement fortes en matière de conséquences des essais nucléaires.

Cette rigueur est certes atténuée par la possibilité ouverte par le droit des pensions militaires d'invalidité d'admettre la preuve d'imputabilité par un faisceau de présomptions. Ainsi, en l'absence d'une preuve indiscutable, un ensemble de circonstances permet d'admettre l'imputabilité.

Le rapport « Les polynésiens et les essais nucléaires » de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires critique néanmoins ce système d’indemnisation des militaires en faisant remarquer que « la pratique constante du ministère de la Défense consiste à récuser systématiquement devant les tribunaux tous les vétérans qui demandent à bénéficier d’une pension en compensation de maladies contractées après leur présence sur les sites d’essais ».

Par ailleurs, la procédure reste extrêmement lourde.

Étapes de la procédure pour un militaire

1- La première étape consiste à faire une demande au ministère chargé des anciens combattants.

2- La commission de réforme statue avec ou sans expertise médicale (en général, en application de la loi, elle rejette la demande car non imputable au service).

3- Le vétéran exerce un recours devant le Tribunal des Pensions Militaires (TPM) de son département.

– Si le vétéran obtient satisfaction, généralement le Commissaire du Gouvernement fait appel. Cette procédure d’appel est devant la Cour Régionale des Pensions militaires (CRPM).

– Si le premier jugement favorable est confirmé, le Commissaire du Gouvernement peut de nouveau faire appel devant le Conseil d’État.

Source : Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN)

 Le système d’indemnisation des populations civiles

En théorie, les populations civiles qui s’estiment victimes des essais nucléaires peuvent demander réparation devant les tribunaux des préjudices qu’elles ont subis. Cependant, leur méconnaissance des procédures fait qu’elles sont la plupart du temps les grandes oubliées du système d’indemnisation des conséquences des essais nucléaires.

b) Le système d’indemnisation des victimes d’accident nucléaire

Le droit qui préside en France à l’indemnisation des dommages nucléaires est le droit de la « responsabilité civile nucléaire » (RCN), qui repose sur des conventions internationales et une loi qui applique en France ces principes internationaux.

La Convention de Paris de 1960 fixe le cadre juridique de la responsabilité civile des exploitants nucléaires en mettant en place un régime fortement dérogatoire au droit commun.

La Convention complémentaire de Bruxelles de 1963 organise des financements supplémentaires à ceux fournis dans le cadre de la Convention de Paris, sur la base d’une participation, en premier lieu, de l’État de l’accident, et, en second lieu, des autres États-Parties.

Par ailleurs, deux Protocoles, signés le 12 février 2004, sont venus modifier les deux Conventions, de Paris et de Bruxelles.

Enfin, la loi n° 68-943 du 30 octobre 1968, modifiée par la loi n° 90-488 du 16 juin 1990 et l’article 55 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006, fixe en droit français les modalités d’application de ces conventions dans les domaines où, soit elles nécessitent des précisions, soit elles ouvrent des options aux États-Parties.

Les principes de la responsabilité civile nucléaire sont caractérisés par les éléments suivants :

– la désignation légale d’un « responsable civil » unique à l’égard des tiers, l’exploitant nucléaire de l’installation en cause, sans qu’il y ait lieu de prouver une faute, ni qu’existe la possibilité pour l’exploitant d’échapper à cette responsabilité civile ;

– la limitation légale, en montant, de la responsabilité de l’exploitant nucléaire à l’origine de l’accident nucléaire, mais avec, en contrepartie, la nécessité de constituer des garanties financières contrôlées par les États, ainsi que la fixation de « tranches d’indemnisation » impliquant, au-delà du seul exploitant responsable, les finances publiques : la première tranche seulement est à la charge de l’exploitant (jusqu’à 91 M€ actuellement, portés à 700M€ par le Protocole modificatif), les deux autres résultent de mécanismes publics mettant en jeu les deniers publics (ce qui porte le montant cumulé des trois tranches à 300 millions de droits de tirage spéciaux du FMI, soit environ 400M€, somme portée à 1.500M€ par le Protocole modificatif à la Convention de Bruxelles).

Le premier élément clarifie le jeu de l’indemnisation en facilitant l’identification du responsable, si on compare les accidents nucléaires à d’autres situations d’accident de grande ampleur. Mais, le second présente une double difficulté :

– d’une part, la limitation en montant des sommes totales disponibles pour l’indemnisation des victimes implique une coordination particulière dans l’indemnisation des différentes victimes et la réparation des préjudices indemnisables ;

– d’autre part, la mobilisation de plusieurs « tranches » implique la nécessité d’éviter toute rupture entre l’indemnisation au titre de la responsabilité proprement dite de l’exploitant, qui est limitée à un certain montant, et l’indemnisation qui est accordée sur des fonds publics au-delà de ce montant, qui est également limitée.

3. La proposition de loi établit un principe de présomption de lien de causalité pour toute maladie radio-induite contractée en lien avec des essais ou un accident nucléaires au profit de ces victimes

L’article 1er établit un principe de présomption de lien de causalité pour toute maladie radio-induite contractée en lien avec des essais ou un accident nucléaires au profit de ces victimes.

À partir du moment où une pathologie radio –induite figurera sur une liste arrêtée par décret et affectera une des trois catégories de personnes énumérées par l’article 1er, l’indemnisation pourra avoir lieu sans que le demandeur ait besoin d’établir la preuve d’un lien entre cette pathologie et les essais nucléaires. Il s’agit ici d’une présomption « relative » et non absolue, la loi laissant ouverte la possibilité d’établir la preuve contraire.

Ce principe s’inspire de la législation américaine d’indemnisation des victimes des essais nucléaires qui tient compte de la « présomption d’origine », c'est-à-dire que si la personne est atteinte de l’une ou l’autre des maladies radio induites figurant sur une liste de 29 pathologies et qu’elle peut justifier de sa présence dans un rayon de 700 km des sites d’essais au temps des essais aériens, elle peut bénéficier de la loi d’indemnisation.

L’article 1er énumère trois grandes catégories de bénéficiaires de cette nouvelle présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais ou accidents nucléaires.

a) Les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française

 Les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires français au Sahara

Au Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM) où ont eu lieu les essais atmosphériques, la base-vie, située à l’est de Reggane dans la zone dite de Reggane-plateau, comprenait environ 10 000 personnes affectées aux expérimentations.

Pour ce qui concerne les essais en galerie au Centre d’Expérimentations Militaires des Oasis (CEMO), le personnel affecté aux essais comportait environ 2 000 personnes logées dans une base-vie située à 30 km au sud d'In Ekker et à Oasis 2 situé à 10 km au sud d'In Ekker.

 Les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires en Polynésie française

Le rapport de mai 2007 du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français met en évidence la difficulté d’obtenir des données concernant les personnes ayant participé dans le cadre de leur service à une activité liée aux essais nucléaires en Polynésie française.

La surveillance dosimétrique individuelle, lors d'une campagne d'essai, apparaît comme un marqueur d'affectation à un poste comportant un risque d'exposition lors des essais. Sur cette base, le rapport de mai 2007 du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français mentionne 41 406 personnes de la défense et environ 16 000 personnels dépendant du CEA qui ont bénéficié d’une surveillance dosimétrique mais ces chiffres ne fournissent aucune information sur les effectifs qui n’en bénéficiaient pas.

b) Les personnes ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française

 Les personnes ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires français au Sahara

S’agissant des essais atmosphériques au CSEM, la population sédentaire était concentrée dans les palmeraies de Reggane et dans la vallée du Touat, au nord de Reggane. Cette population était d’environ 40 000 personnes au total, dont 500 résidaient dans un rayon de 100 km autour du champ d’expérimentations.

Pour ce qui concerne les essais en galerie au CEMO, environ 2 000 personnes formant la population locale, vivaient dans un rayon de 100 km autour d'In Ekker, à 150 km au nord de Tamanrasset.

 Les personnes ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires en Polynésie française

Il n’existe pas de données exhaustives sur le nombre des populations ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires en Polynésie française susceptibles d’avoir été affectées par les retombées des essais.

Une étude réalisée par le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et les installations intéressant la défense (DSND), mentionnée dans le rapport de mai 2007 du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, montre que dix essais réalisés en Polynésie française ont donné lieu à des retombées notables sur des zones habitées. Parmi eux, six essais ont apporté une contribution non négligeable à l’exposition de la population.

Évaluation des doses engagées, en mSv, pour l’adulte (A) et pour l’enfant (E)
Évaluations faites en 2006 (sauf * faites à la suite de l’essai)
(doses efficaces engagées et doses équivalentes engagées à la thyroïde)

Essai

 

Gambier

Tureia

Pirae

Hitiaa

Taravao
Teahupoo

Hao

Reao

Herecheretue

Aldebaran
2.07.66

Dose efficace

A : 3 à 7
E : 3 à 10

             

Dose thyroïde

A : 2 à 40
E : 4 à 80

             

Rigel
24.09.66

Dose efficace

A : 0,1 à 0,23
E : 0,4 à 0,71

A : 0,06 à 0,15
E : 0,1 à 0,23

           

Dose thyroïde

A : 1,1 à 2,1
E : 4,6 à 7,8

A : 0,15 à 1
E : 0,6 à 2

           

Arcturus
2.07.67

Dose efficace

 

A : 0,79 à 3,2
E : 0,9 à 4

           

Dose thyroïde

 

A : 0,9 à 25
E : 2 à 38

           

Dragon
30.05.70

Dose efficace

 

A : 0,16 *

     

A : 0,05 *

   

Eridan
24.06.70

Dose efficace

A : 0,1 *

             

Toucan
6.09.70

Dose efficace

A : 0,2 *

         

A : 0,15 *

 

Encelade
12.06.71

Dose efficace

 

A : 1,3 à 1,9
E : 1,5 à 3,5

           

Dose thyroïde

 

A : 1 à 8
E : 4 à 27

           

Phoebe
8.08.71

Dose efficace

A : 0,2 à 2,6
E : 0,5 à 7,9

             
 

Dose thyroïde

A : 1,3 à 26,7
E : 4,8 à 98

             

Umbriel
25.06.72

Dose efficace

             

A : 0,2 *

Centaure

Dose eff. Max

   

A : 0,5
E : 1,2

A : 2,5
E : 5,2

A : 3,6
E : 4,5

     

Thyroïde (max)

   

A : 4
E : 14

A : 12
E : 49

A : 16
E : 40

     

Source : Rapport du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, mai 2007

c) Les personnes ayant résidé en quelque partie du territoire français contaminée par un accident nucléaire

L’article 1er vise également à établir un principe de présomption de lien de causalité entre certaines maladies radio induites et un accident nucléaire lorsque ces maladies affectent une personne ayant résidé en quelque partie du territoire français contaminée par un accident nucléaire.

Le dispositif législatif ne mentionne pas quel organisme sera chargé d’établir la carte des territoires présumés contaminés par l’accident nucléaire de Tchernobyl et sur quels critères elle sera réalisée. Il est vrai que de telles cartes de contamination du territoire sont déjà disponibles. Ainsi, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) a publié le 24 février 2002 un atlas qui, selon elle, révèle de façon détaillée la contamination du territoire français par le nuage de Tchernobyl. De même, l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a publié le 24 avril 2003 une carte de la contamination de la France par le nuage de Tchernobyl. Cependant, cette cartographie devra être établie avec objectivité pour ne pas subir d’éventuelles critiques.

Par ailleurs, il convient de souligner que la notion de « partie du territoire contaminée par un accident nucléaire » n’est peut-être pas la plus adaptée à un accident nucléaire lointain comme celui de Tchernobyl. En effet, la répartition géographique des dépôts ne détermine pas, à elle seule, la répartition des doses reçues par ingestion d’aliments contaminés. Certaines doses dépendent aussi de la circulation des produits et des modes de vie locaux, notamment de l’ingestion régulière de produits frais particulièrement sensibles (lait de brebis ou de chèvre en particulier). De ce fait, il est quasiment impossible de faire une cartographie des doses reçues à l’image de celle des dépôts.

Article 2

Réparation intégrale des préjudices subis

L’article 2 a pour objet de mettre en place un dispositif de réparation intégrale des préjudices subis par les personnes ayant subi les conséquences négatives d’essais ou d’accidents nucléaires, leurs descendants ou leurs ayants droit.

1. Le principe de la réparation intégrale

L’objectif de la réparation intégrale est de réparer l’ensemble des préjudices subis par la victime de façon à la replacer, dans toute la mesure du possible, dans la situation qui aurait été la sienne si aucun dommage ne s’était produit.

Deux grandes catégories de chefs de préjudices sont habituellement distinguées :

– les préjudices patrimoniaux, ou préjudices « économiques » qui peuvent être liés à une incapacité fonctionnelle – représentée par un taux d’incapacité établi en fonction d’un barème médical –, un préjudice professionnel – une perte de gains – ou un préjudice lié à diverses dépenses consécutives à la maladie et qui restent à la charge de la victime – aménagement du véhicule ou du logement par exemple ;

– les préjudices extrapatrimoniaux, ou préjudices « personnels », c’est-à-dire le préjudice moral, le préjudice physique, le préjudice d’agrément et le préjudice esthétique.

2. Les bénéficiaires de la réparation intégrale

L’article 2 énumère les différents bénéficiaires du dispositif de réparation intégrale des préjudices subis à l’occasion d’essais ou d’accidents nucléaires.

a) Les personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

Les premiers bénéficiaires du dispositif de réparation intégrale mis en place sont évidemment les personnes qui ont été directement exposées aux conséquences négatives des essais nucléaires ou d’un accident nucléaire.

Il s’agit en premier lieu des personnes ayant travaillé, comme civil ou comme militaire, sur les deux sites où ont été réalisées des essais nucléaires, c'est-à-dire au Sahara et en Polynésie française, pendant la période où ces essais ont été réalisés, soit du 13 février 1960 (premier essai atmosphérique nucléaire français, dénommé « Gerboise bleue ») au 16 février 1966 (dernier essai dénommé « Grenat ») pour le Sahara et du 2 juillet 1966 (premier essai de surface effectué sur des barges positionnées sur le lagon) au 27 janvier 1996 (le 29 janvier 1996, le président de la République Jacques Chirac a annoncé, après une ultime campagne de tirs réalisés afin de collationner les données nécessaires à la mise au point de simulations, que la France allait signer le Traité d’interdiction complète des essais – TICE – ) pour la Polynésie française.

Sont également concernées les personnes directement exposées aux conséquences d’un accident nucléaire.

L’article 2 prend soin de mentionner que ces personnes bénéficieront d’une réparation intégrale de leurs préjudices quel que soit le mode d’exposition aux rayonnements, c'est-à-dire que celui-ci résulte d’une exposition directe à des rayonnements ionisants ou d’une contamination interne.

En effet, selon la manière dont les rayonnements atteignent l’organisme, on distingue deux modes d’exposition.

L’exposition externe de l’homme aux rayonnements provoque une irradiation dite externe. Elle a lieu lorsque celui-ci se trouve exposé à des sources de rayonnements qui lui sont extérieures (substances radioactives sous forme de nuage ou de dépôt sur le sol, sources à usage industriel ou médical…). L’exposition externe peut concerner tout l’organisme ou une partie seulement de celui-ci. Elle cesse dès que l’on n’est plus sur la trajectoire des rayonnements (cas par exemple d’une radiographie du thorax).

Par ailleurs, une exposition interne (contamination interne) est possible lorsque des substances radioactives se trouvent à l’intérieur de l’organisme et provoquent une irradiation interne. Ces substances ont pu pénétrer par inhalation, par ingestion ou par blessure de la peau et se distribuent ensuite dans tout l’organisme. On parle alors d’une contamination interne qui ne cesse que lorsque les substances radioactives ont disparu de l’organisme après un temps plus ou moins long par élimination naturelle et décroissance radioactive ou par traitement.

Il convient de signaler que depuis 2006, le vocabulaire scientifique parle plutôt d’exposition interne que de contamination interne.

Cette notion d’exposition ou de contamination interne permet ainsi d’englober dans le champ de la loi les personnes qui sans avoir subi d’exposition externe au contact (contamination externe) ou même d’exposition externe à distance (irradiation) ont néanmoins été affectées par une exposition interne (contamination interne) lors de l’ingestion de produits contaminés comme des légumes ou des fruits par exemple, comme d’aucuns avancent que ce fut le cas en France à la suite de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl.

b) Les descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

L’article 2 prévoit une deuxième catégorie de bénéficiaires du dispositif de réparation intégrale mis en place : il s’agit des descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires qui subissent de leur côté un préjudice lié aux effets trans-générationnels d’une exposition à des rayonnements ionisants ou à une contamination interne.

En effet, certaines études scientifiques ont mis en évidence, même si leur signification n’est pas encore très claire, des effets transgénérationnels se traduisant par des modifications radio-induites transmises par les parents à leur descendance qui apparaissent une ou plusieurs générations après l’exposition.

Les effets héréditaires sont des effets résultant des lésions de l’ADN dans la ligne germinale (spermatozoïdes et ovules). De tels effets héréditaires radio-induits ont ainsi été mis en évidence sur des plantes ou des petits mammifères (souris) après exposition parentale à des doses relativement élevées.

Considérant les résultats de ces études expérimentales, l’UNSCEAR, comité scientifique des Nations Unies chargé d’établir et actualiser les connaissances sur les niveaux d’exposition et effets des rayonnements ionisants, a décidé de maintenir, par prudence, une estimation de risque d’effets héréditaires chez l’homme.

c) Les ayants droit des personnes ou des descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires

La troisième catégorie bénéficiant du dispositif de réparation intégrale mis en place concerne les ayants droit des personnes ou des descendants des personnes ayant subi un préjudice direct lié aux essais ou aux accidents nucléaires.

Il convient de souligner que le système d’indemnisation des personnes ayant subi des préjudices causés par l’amiante mis en place au travers du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) se caractérise également par l’inclusion des ayants droit dans les bénéficiaires de la réparation intégrale des préjudices subis.

Article 3

Création d’un Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires

L’article 3 vise à mettre en place un dispositif spécifique et autonome d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires par la création d’un établissement public administratif dénommé « Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires » qui s’inspire, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) créé par l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (20).

a) Le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires est un établissement public administratif autonome

L’article 3 prévoit la création d’un établissement public autonome, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.

Il aurait certes pu être envisagé de confier au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) issu de la loi du 1er août 2003 l’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires. Le législateur a procédé de la sorte s’agissant de la gestion de fonds spécifiques tels que le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme créé par la loi du 9 septembre 1986, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) mis en place par la loi du 6 juillet 1990 ou le Fonds des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH (FITH) issu de la loi du 31 décembre 1991.

Le choix d’un établissement autonome pour indemniser les victimes des essais et des accidents nucléaires se justifie cependant par la volonté politique de prendre enfin en compte un sujet d’importance et constitue également une marque de reconnaissance particulière de la communauté nationale envers les victimes des essais ou des accidents nucléaires.

Le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires est créé sous la forme d’un établissement public administratif. Si la Cour des comptes (21) a déjà eu l’occasion de faire valoir que « les modalités de fonctionnement d’un établissement public administratif, relativement rigides, ne paraissent pas être le gage d’une efficacité maximale en matière d’indemnisation, alors que la souplesse et la réactivité sont des atouts », il convient de souligner que le choix du caractère administratif de l’établissement public créé se justifie doublement. En premier lieu, la mission du Fonds impliquera, dans sa dimension d’indemnisation des personnels civils et militaires ayant participé à une activité liée aux essais nucléaires, des relations avec l’administration militaire ou la branche accidents du travail – maladies professionnelles qui auraient certainement été moins familières pour une structure privée. En second lieu, l’origine publique des fonds finançant l’établissement (cf. infra) justifie également le statut d’établissement public administratif.

b) La mission du Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires

La mission du Fonds est de réparer les préjudices subis par les personnes victimes d’essais ou d’accidents nucléaires ou leurs descendants ainsi que les ayants droit de ces deux derniers.

Il convient de rappeler qu’il s’agit, d’après l’article 2 de la proposition de loi (cf. supra) d’assurer la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’essais ou d’accidents nucléaires, c'est-à-dire de les replacer dans la situation qui aurait été la leur si aucun dommage ne s’était produit.

La proposition de loi ne détaille pas explicitement les procédures d’indemnisation des victimes par le Fonds qui seront précisées par voie réglementaire mais la référence dans l’exposé des motifs au modèle que constitue ce qui a été fait pour les victimes de l’amiante laisse penser que l’indemnisation des victimes résultera, dans la plupart des cas, du cumul de plusieurs versements.

En effet, on peut prévoir que pour les victimes ayant travaillé sur les sites des essais nucléaires et couvertes par les différents régimes de protection sociale, l’intervention du Fonds d’indemnisation ne se substituera pas aux prestations relatives aux maladies professionnelles mais interviendra en complément de celles-ci pour verser le solde destiné à aboutir à l’indemnisation intégrale. Si la victime n’a pas déclaré la maladie susceptible d’avoir une origine professionnelle, le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires devra ainsi vraisemblablement se charger de transmettre le dossier à l’organisme concerné.

De la même façon, on peut imaginer que pour les victimes d’accidents nucléaires, l’intervention du Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires n’interviendra qu’en complément des dispositifs d’indemnisation déjà prévus par les conventions internationales pour assurer une réparation intégrale.

Le versement par le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires de l’intégralité des sommes nécessaires à la réparation intégrale des préjudices subis pourra néanmoins intervenir dans certains cas.

Quoique l’établissement par l’article 1er (cf. supra) d’un principe de présomption de lien de causalité entre certaines maladies radio-induites et les essais ou les accidents nucléaires devrait rendre moins fréquent ce cas de figure, le refus de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie ne devrait pas éliminer la possibilité de déposer un dossier au Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires. Dans ce cas, le seul fait d’être atteinte d’une maladie radio-induite figurant sur la liste établie par décret prévue à l’article 1er de la proposition de loi permettra à la victime d’obtenir la reconnaissance de ses droits (cf. supra).

De même, les personnes ayant résidé à proximité des sites d’essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française, qui ne sont pas couvertes par définition par les régimes de sécurité sociale, se verront verser par le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires l’intégralité des sommes nécessaires à la réparation intégrale de leurs préjudices.

c) Les ressources du Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires

Il est prévu que le Fonds soit financé, pour partie, par les crédits de la défense alloués au titre de la compensation de l’arrêt des essais nucléaires.

d) Modalités de fonctionnement du Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires

Le Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires est administré par un conseil d'administration composé de représentants de l'État, des organisations siégeant à la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, des associations de victimes des essais nucléaires ou de leurs descendants et de personnalités qualifiées. Il est présidé par un magistrat.

Cette représentation s’efforce de réunir toutes les parties intéressées.

Pour s’entourer du maximum de sécurité juridique, il est prévu que l'organisation et le fonctionnement du Fonds d'indemnisation des victimes des essais nucléaires seront fixés par décret en Conseil d’État.

Article 4

Création d’une Commission nationale de suivi des essais nucléaires

Cet article a pour objet de créer auprès du Premier ministre une Commission nationale de suivi des essais nucléaires, de fixer les modalités de sa composition et de définir ses attributions.

Il convient de souligner qu’en toute rigueur, il s’agit moins d’assurer le suivi des essais nucléaires que celui de leurs conséquences puisque le président de la République, M. Jacques Chirac, a annoncé le 29 janvier 1996 l'arrêt définitif des essais nucléaires français sous la forme de l'option "zéro", c’est-à-dire qu'aucune expérimentation si faible qu'en soit la puissance ne peut plus désormais être menée. La France a ainsi signé en mars 1996 les protocoles du traité de Rarotonga ayant pour objet la création d’une zone dénucléarisée dans le Pacifique Sud et le 24 septembre 1996 le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), ou CTBT en anglais (Comprehensive Test Ban Treaty).

1. Composition de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires

L’article 4 prévoit en premier lieu la composition de cette nouvelle commission de manière à assurer une représentation la plus complète possible au regard de ses attributions.

Cette nouvelle commission est composée :

– des principaux ministres, ou leurs représentants, intéressés par les conséquences des essais nucléaires, c'est-à-dire des ministres chargés de la défense, de la santé, de l'environnement et des Affaires étrangères ;

– du Président du gouvernement de Polynésie française ou de son représentant, de manière à associer l’exécutif de la collectivité d’outre-mer où ont eu lieu, de 1966 à 1996, 193 expérimentations nucléaires sur les 210 menées par la France au Sahara et en Polynésie française ;

– de deux députés et de deux sénateurs, représentants de la Nation ;

– de représentants des associations représentant les victimes des essais nucléaires, les veuves et leurs descendants, sachant que les deux principales associations représentant ces intérêts sont, d’une part, l’association des vétérans des essais nucléaires français et leurs familles (AVEN), déclarée à la Préfecture du Rhône le 9 juin 2001, qui regroupe les vétérans, malades ou non malades, personnels civils ou militaires ayant participé aux programmes d'essais nucléaires français sur les sites du Sahara et de Polynésie française depuis le 13 février 1960 jusqu'au 27 janvier 1996, leurs conjoints et familles (descendants, soeurs, frères de Vétérans), ainsi que certaines personnes physiques ou morales désireuses de soutenir les objectifs de l’association et, d’autre part, l’association « Moruroa e tatou » créée à Papeete le 4 juillet 2001 et qui regroupe des anciens travailleurs ou veuves d'anciens travailleurs sur les sites d’essais nucléaires français en Polynésie française ;

– de représentants des organisations syndicales patronales et de salariés.

L’article 4 dispose que la répartition des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, son organisation, son fonctionnement et ses missions seront précisés ultérieurement par décret en Conseil d'État.

Il dispose également que le Président de cette commission sera membre de droit « de la direction du département de suivi des centres d’expérimentation nucléaires » (DSCEN).

Ce Département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires a été créé en date du 7 septembre 1998 par arrêté conjoint du ministre de la défense et du secrétaire d’État à l’industrie à la suite de la décision prise par le Président de la République Jacques Chirac de démanteler les sites d'essais nucléaires. Cette décision s’est traduite en août 1998 par la dissolution de la Direction des centres d'expérimentation nucléaire (DIRCEN), créée le 30 janvier 1964 et dépendante directement du ministre de la défense.

Un arrêté conjoint du ministre de la défense et du secrétaire d’État à l’industrie en date du 25 août 2000 a abrogé l’arrêté du 7 septembre 1998 et fixé les attributions et l'organisation du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires.

La mission principale du Département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires, qui fait partie du service des programmes nucléaires, relevant de la direction des systèmes d'armes de la délégation générale pour l'armement (DGA), est d'assurer la gestion de la maintenance des sites nucléaires et des conséquences radiologiques et biologiques éventuelles des essais nucléaires.

Arrêté du 25 août 2000 fixant les attributions et l'organisation
du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires

Art. 2. - Le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires est chargé :

1. D'assurer la direction et le suivi de la surveillance radiologique, géologique et géomécanique des sites de Mururoa et de Fangataufa et des actions consécutives éventuelles ;

2. De planifier les missions périodiques de surveillance sur les sites, d'assurer l'organisation générale des campagnes de prélèvements et d'y participer ;

3. D'assurer le suivi des questions relatives à l'épidémiologie et à l'environnement ;

4. De rédiger et de présenter devant la commission mixte armées-Commissariat à l'énergie atomique de sûreté nucléaire le rapport annuel de surveillance des sites du Pacifique en proposant les évolutions souhaitables ;

5. De conserver et d'exploiter les archives de l'ex-direction des centres d'expérimentations nucléaires ;

6. De conserver les archives concernant les expérimentations nucléaires et de faire réaliser ou de suivre toute étude particulière relative aux expérimentations nucléaires sous leurs aspects scientifique, sanitaire, écologique, médiatique se rapportant à l'organisation et à la conduite de ces expérimentations ainsi qu'à l'impact de ces dernières sur les populations et l'environnement ;

7. De fournir aux autorités compétentes un avis sur toute intervention d'organismes extérieurs publics ou privés sur les sites ;

8. D'organiser, en tant que de besoin, des missions de contrôle nationales ou internationales et d'y participer.

Art. 3. - Le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires comprend du personnel appartenant au ministère de la défense et au ministère chargé de l'industrie.

Les effectifs du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires sont fixés conjointement par le ministre de la défense et par le ministre chargé de l'industrie.

Art. 4. - Le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires est dirigé par un officier supérieur, soit ingénieur en génie atomique, ou de formation équivalente, soit médecin spécialisé d'hygiène nucléaire ou de radiologie du service de santé des armées.

L'adjoint du chef du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires est un ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique.

Le chef du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires peut disposer, si nécessaire, d'un conseiller scientifique ou médical.

Le chef du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires et son adjoint sont nommés par décision conjointe du ministre de la défense et du ministre chargé de l'industrie.

Art. 5. - Les missions dévolues au département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires sont imputées sur les crédits du ministère de la défense.

2. Attributions de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires

L’article 4 fixe à la Commission nationale de suivi des essais nucléaires trois grandes missions qui viennent s’ajouter à celle déjà énoncée à l’article 1er de la présente proposition de loi.

a) La Commission formule un avis sur la liste des maladies radio-induites pour lesquelles il existe une présomption de lien de causalité avec les essais et les accidents nucléaires

L’article 1er de la proposition de loi attribue à la commission nationale de suivi des essais nucléaires la mission de formuler un avis sur la liste fixée par décret des maladies radio-induites pour lesquelles il existe une présomption de lien de causalité avec les essais et les accidents nucléaires (cf. supra).

b) La Commission est chargée du suivi des questions relatives à l’épidémiologie et à l’environnement

L’article 2 de l’arrêté du 25 août 2000 fixant les attributions et l'organisation du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires attribuait explicitement à ce dernier « le suivi des questions relatives à l’épidémiologie et à l’environnement ».

L’article 4 de la présente proposition de loi retire cette compétence au département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires pour l’attribuer à la nouvelle Commission nationale de suivi des essais nucléaires.

c) La Commission est chargée du suivi médical des populations qui vivent à proximité des sites d’essais ou d’accidents nucléaires

Il s’agit de confier à la commission nationale de suivi des essais nucléaires un rôle de supervision et de contrôle des conditions dans lesquelles est assuré le suivi médical des personnes qui ont subi un préjudice du fait des essais nucléaires ou d’un accident nucléaire.

Cette nécessité du suivi médical est d’autant plus forte que les populations de Polynésie ont parfois un sentiment d’abandon du fait que la surveillance médicale assurée par le service de santé des armées s’est interrompue avec l’arrêt des essais.

d) La Commission est chargée du suivi de l’application de la loi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes victimes des essais ou accidents nucléaires

L’article 4 mentionne enfin que la Commission nationale de suivi des essais nucléaires publie chaque année un rapport sur l'application de la présente loi.

Ce rapport devra ainsi notamment évaluer les conditions de fonctionnement du nouveau Fonds d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires.

Article 5

Gages financiers

Cet article prévoit une compensation financière pour la majoration des charges publiques que risque d’entraîner cette proposition de loi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes victimes des essais ou accidents nucléaires.

La proposition de loi gage le dispositif d’indemnisation mis en place par une majoration des droits visés par les articles 575 et 575 A du code général des impôts, c'est-à-dire des droits de consommation qui s’appliquent aux tabacs manufacturés vendus dans les départements de la France continentale et aux tabacs ainsi qu’au papier à rouler les cigarettes qui y sont importés.

Le coût annuel du système d’indemnisation proposé pour les victimes d’essais et d’accidents nucléaires n’est pas estimé mais devrait être bien inférieur au coût du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) dont il s’inspire vu le nombre en définitive relativement limité des personnes concernées.

Article 6

Applicabilité de la loi outre-mer

Cet article a pour objet de prévoir l’application de cette loi dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

En effet, dans les départements et régions d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion), le principe d’assimilation législative prévaut, ce qui signifie que la loi commune y est applicable, sauf lorsqu’elle en dispose autrement de façon expresse.

En revanche, la situation des collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution du 4 octobre 1958 (Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Polynésie française, îles Wallis et Futuna), de la Nouvelle-Calédonie et des Terres australes et antarctiques française (TAAF) est plus complexe. Le principe de spécialité législative, en vertu duquel la loi commune ne s’applique que lorsqu’elle le prévoit expressément, y prévaut en effet dans un certain nombre de matières et il convient donc d’examiner, pour chaque texte législatif, la question de son éventuelle application dans ces collectivités territoriales.

Afin de s’assurer que la présente proposition de loi sera bien applicable dans toutes ses dispositions dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), l’article 6 de la proposition de loi le prévoit donc expressément.

Il convient néanmoins de souligner que dans certaines de ces collectivités, quelques matières entrent dans les compétences propres de la collectivité concernée en vertu d’une loi organique et qu’une loi simple ne peut donc pas prévoir une applicabilité dans ces territoires si les matières qu’elle traite relèvent de ces compétences propres.

Cependant, le dispositif principal de la loi, qui consiste à mettre en place un système spécifique de réparation des préjudices pour les victimes d’essais ou d’accidents nucléaires, ne relève pas a priori de ces matières entrant dans les compétences propres des collectivités d’outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Christiane Taubira, la proposition de loi visant à la reconnaissance et à l’indemnisation des personnes victimes des essais ou accidents nucléaires (n° 1258) le mercredi 19 novembre 2008.

Après l’exposé de la rapporteure, une discussion générale a eu lieu.

M. Georges Colombier. Il faut remercier Mme Christiane Taubira pour l’importance du travail qu’elle a accompli, à l’image de l’implication de nombreux de nos collègues sur cette question. J’ai moi-même cosigné une proposition de loi déposée en juillet 2007 par M. Yannick Favennec et je pense donc qu’il est bon que le texte de Mme Taubira soit discuté. C’est en effet d’un vrai sujet de société et d’un problème d’équité qu’il s’agit. Il y a certes un très large consensus dans notre pays sur la politique nucléaire, tant dans le domaine militaire qu’énergétique, mais il serait impossible de nier que certains de nos concitoyens, militaires ou civils, ont eu à en subir de graves conséquences. Il y va d’une reconnaissance morale et d’un devoir d’équité, y compris vis-à-vis des populations qui ont eu à subir les conséquences de ces essais.

Cela étant, on peut estimer que cette question majeure est un sujet trop complexe pour être traité dans le cadre d’une proposition de loi, car il mérite une concertation approfondie et doit être étayé par des éléments scientifiques indiscutables. En outre, le champ d’application prévu par le texte est trop large, puisqu’il vise à la fois les essais et les accidents nucléaires et qu’il couvre de fait, potentiellement, toute personne résidant sur le territoire français.

Surtout, le Gouvernement, pleinement conscient de l’importance du sujet, s’est engagé, par la voix du ministre de la défense, à déposer un projet de loi au premier semestre de 2009 reconnaissant les conséquences sanitaires des essais nucléaires. Les grandes lignes d’un avant-projet de quatre articles datant du 6 novembre dernier, sur lequel la concertation interministérielle et avec les associations, les parlementaires et les particuliers concernés sera poursuivie, sont déjà connues : il met en place une commission nationale d’indemnisation, définit les zones géographiques concernées et renvoie à un décret, dont l’avant-projet a également été présenté, l’établissement de la liste des maladies radio-induites de façon aussi exhaustive que possible.

Je veillerai bien entendu à rappeler la semaine prochaine en séance publique cet engagement du Gouvernement à répondre aux demandes des populations touchées, engagement qui a encore été rappelé hier à une réunion à laquelle j’ai participé. Dans ces conditions, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de passer à la discussion des articles de la proposition de loi.

M. Jean-Patrick Gille. Cette proposition de loi repose sur trois principes simples : elle établit tout d’abord un principe de présomption de lien de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires, elle prévoit un régime d’indemnisation des victimes des essais et des accidents nucléaires en créant un fonds d’indemnisation, établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de la sécurité sociale et du budget et institue un suivi médical des populations qui ont été exposées aux risques d’irradiation qui sera assuré par une commission nationale de suivi des essais nucléaires.

Il est intéressant de rappeler quelques données historiques sur ce dossier. L’indemnisation des victimes des essais nucléaires a fait l’objet au cours des dernières années de 18 propositions de loi et d’une large mobilisation de plusieurs associations de victimes, comme par exemple l’association des vétérans des essais nucléaires (AVEN). L’ensemble des parties prenantes s’est réuni pour élaborer un texte commun à partir des différentes propositions de loi qui avaient déjà été déposées auprès des assemblées parlementaires. Ce long travail a abouti au texte de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Un comité de soutien « Vérité et Justice » a été constitué pour médiatiser cette démarche et il a apporté au début du mois de novembre 2008 à l’hôtel Matignon une pétition réunissant de nombreuses signatures en faveur de cette initiative parlementaire. Il est important de souligner que cette proposition de loi est le fruit d’un compromis et qu’elle a été portée par des parlementaires de toutes appartenances politiques, l’objectif étant de pouvoir en discuter le plus rapidement possible. C’est pourquoi ce texte « transpartisan » et « intercaméral » a été inscrit à l’ordre du jour dans une niche parlementaire dévolue au groupe socialiste, radical, citoyen (SRC) et divers gauche alors que ses signataires sont beaucoup plus larges.

Ce texte répond à une urgence sociale qu’il ne faut pas oublier : chaque semaine, des vétérans des essais nucléaires décèdent de pathologies provoquées par ces derniers et leurs ayants droit, souvent des femmes, rencontrent les pires difficultés pour faire valoir leurs droits à indemnisation par la voie de contentieux judiciaires, la plupart des demandes d’indemnisation étant déboutées.

Cette proposition de loi correspond à une démarche pragmatique, c’est pourquoi elle n’aborde pas les points litigieux. Elle ne comporte pas, par exemple, de jugement sur la poursuite tardive des essais nucléaires par la France et ne demande pas non plus la possibilité de lever le secret défense dans certains cas. L’essentiel est d’obtenir la reconnaissance du principe de présomption de lien de causalité entre les pathologies radio-induites et les essais ou accidents nucléaires. Ce principe revient tout simplement à inverser la charge de la preuve pour les victimes et leur permettra ainsi d’obtenir beaucoup plus facilement une indemnisation.

Aboutir à une indemnisation rapide des victimes est le deuxième objectif de cette proposition de loi. Les bénéficiaires potentiels de cette indemnisation sont clairement identifiés et se limitent à quelques milliers de personnes. Il est vrai qu’une certaine incertitude existe pour identifier les victimes d’accidents nucléaires. C’est pourquoi, par souci d’efficacité, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche serait prêt à limiter le champ d’application de cette proposition de loi aux seules victimes des essais nucléaires. Il suffirait pour cela supprimer l’alinéa 4 de l’article 1er de la proposition de loi et de changer son titre.

Contrairement à M. Georges Colombier, j’estime qu’il est fondamental de poursuivre l’examen des articles de ce texte afin que puisse être reconnu le principe de présomption de causalité qui permettra aux victimes d’être enfin indemnisées. Sur les autres aspects du texte, nous sommes prêts à des compromis pour permettre son adoption.

M. Pierre Lellouche. Je remercie les membres de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de me permettre de m’exprimer alors que j’appartiens à la Commission de la défense nationale et des forces armées. Je me félicite de l’initiative de Mme Christiane Taubira et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et je voudrais redire ici qu’un consensus national existe sur la nécessité d’indemniser les victimes des essais nucléaires de même que l’ensemble des forces politiques françaises a progressivement reconnu, depuis 1978, le bien-fondé de la dissuasion nucléaire, des essais nucléaires ayant été menés par des gouvernements de toutes sensibilités politiques.

Reconnaître un droit à indemnisation pour les victimes des essais nucléaires répond à un principe d’équité. Tous les États qui ont réalisé des essais nucléaires ont admis qu’ils avaient pu entraîner des conséquences dommageables sur la santé des militaires et des populations habitant à proximité des sites concernés et ont prévu des mécanismes d’indemnisation. Seules la Russie et la Chine n’ont rien prévu en la matière et ce sont d’ailleurs les seuls États qui continuent encore à réaliser des essais nucléaires.

Il faut se féliciter que le ministère de la défense ait pris l’initiative d’un projet de loi qui vise à instituer un régime d’indemnisation. Il s’agit là d’une véritable révolution dans la pratique du ministère, alors qu’une sorte d’omerta a plané pendant des décennies pour nier les conséquences dommageables des essais. Cependant, si je partage les objectifs poursuivis par la rapporteure, je critique la méthode retenue. En premier lieu, il ne faut pas viser dans un même texte les accidents nucléaires civils qui font déjà l’objet d’un régime juridique d’indemnisation par des conventions internationales (Convention de Paris de 1960 et Convention de Bruxelles de 1963) et par la loi du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire, et les conséquences des essais nucléaires militaires qui n’ont jamais fait l’objet d’un texte de loi.

Par ailleurs, affirmer le principe de présomption de lien de causalité entre les pathologies radio-induites et les essais nucléaires n’a aucun sens au plan juridique. L’essentiel est de poser le principe d’un droit à l’indemnisation pour les victimes de ces essais, la commission nationale de suivi des essais nucléaires ayant pour mission de déterminer quels sont les bénéficiaires potentiels de ce régime d’indemnisation en reprenant le cas échéant les critères retenus par les pays étrangers comme les États-Unis ou le Canada. Seuls des scientifiques peuvent en effet déterminer les populations qui ont pu être exposées à des risques d’irradiation selon leurs conditions de vie au moment de la réalisation des essais nucléaires. Le texte devrait ensuite définir la composition et les ressources du fonds d’indemnisation des victimes des essais nucléaires en prévoyant une représentation des parlementaires et des associations de victimes.

Il reste maintenant à déterminer s’il est préférable d’attendre que le gouvernement présente au début de l’année prochaine son projet de loi, dont je n’ai pas eu connaissance ou de retravailler le texte d’une proposition de loi courte qui reprendrait les trois points que j’ai évoqués et se limiterait à la seule indemnisation des victimes des essais nucléaires militaires.

M. Michel Ménard. Je tiens à rappeler que cette proposition de loi est l’aboutissement d’un travail important et consensuel. Il s’agit d’apporter une réponse rapide aux victimes qui ont attendu de longues années et qui se sont heurtées à de nombreux refus d’indemnisation après de longues procédures judiciaires. Il est donc indispensable qu’un texte établisse clairement la responsabilité de l’État pour permettre ensuite une indemnisation rapide des victimes ou de leurs ayant-droits. C’est pourquoi, contrairement à ce que dit M. Pierre Lellouche, il est nécessaire d’adopter l’article 1er de la proposition de loi, qui crée un régime de présomption de lien de causalité.

Je m’inscris en faux contre les propos de M. Georges Colombier, qui prétend que le dossier de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires est trop sérieux pour être traité dans le cadre d’une proposition de loi. Certes, ce dossier est très complexe, mais il a fait l’objet d’un travail juridique approfondi pendant plusieurs mois, associant l’ensemble des parties prenantes. On ne peut en dire autant de beaucoup de projets de loi qui sont souvent adoptés en urgence et dont l’instruction par les parlementaires est beaucoup plus sommaire que cette proposition de loi. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 dont un des objectifs était justement de revaloriser le rôle du Parlement, se dessine paradoxalement une tendance regrettable : les propositions de loi examinées dans le cadre des niches parlementaires sont souvent taxées « d’amateurisme » et on invite les parlementaires qui les ont préparées à attendre un futur projet de loi qui permettra d’appréhender toute la complexité du problème posé.

Cette proposition de loi présente toutes les garanties de sérieux et doit donc être examinée dès ce matin. Le refus de l’UMP de discuter les articles de la proposition de loi présente deux risques, l’un est de jouer la montre alors que les drames humains restent sans solution ; l’autre est de ne pas reconnaître le travail des parlementaires.

M. Bernard Debré. En instituant une présomption de lien de causalité, la proposition de loi pose un problème de fond : ce n’est pas au législateur, mais aux scientifiques d’établir les causes des maladies. Le dispositif proposé est donc à la fois curieux et dangereux, car on peut imaginer que s’il était adopté, il pourrait être étendu à d’autres cas de figure. La démarche doit donc être différente. Il faut affirmer le droit à l’indemnisation, mais laisser à une commission comportant des scientifiques et des parlementaires le soin de déterminer les maladies à prendre en compte. Le régime de présomption mis en place est difficile à accepter. Je partage donc l’analyse de Pierre Lellouche ; un bon texte législatif devrait traiter d’abord du droit à l’indemnisation, ensuite de la commission chargée d’en fixer les critères, et enfin des conditions d’indemnisation.

M. Étienne Pinte. J’ai une question et deux observations :

– L’annonce du dépôt d’un projet de loi doit-elle entraîner le retrait de la proposition de loi ?

– En tout état de cause, les travaux des parlementaires des différents groupes ne seront pas perdus car ils serviront lors de l’examen de ce projet de loi.

– L’intérêt des propositions de loi qui ont été déposées a été d’obliger le Gouvernement à prendre ses responsabilités, à « sortir du bois ». En 2002-2003, c’est parce que de nombreux parlementaires avaient fait des propositions pour supprimer la double peine que le Gouvernement a dû la réformer ; nous sommes un peu dans la même situation.

Mme la rapporteure. En réponse aux questions des uns et des autres, je préciserai en premier lieu que le cabinet du ministre de la défense, que j’ai contacté, m’a indiqué que le projet de loi est en cours de rédaction et non qu’il est disponible depuis le 6 novembre. Pour autant, il est clair que le Gouvernement se rend compte qu’il ne peut plus différer une initiative dans ce domaine. Le président Pierre Méhaignerie, qui s’est excusé de ne pouvoir présider la commission ce matin, m’a fait part d’une réunion de travail à laquelle il a participé ; il s’est engagé à veiller à ce que les conclusions de cette réunion soient mises en œuvre. Il demeure que nous n’avons pas sous les yeux le texte de cet avant-projet de loi.

Je suis impressionnée par les arguments juridiques mis en avant notamment par M. Pierre Lellouche pour tenter de laisser croire que cette proposition de loi serait juridiquement mal rédigée. La question est-elle vraiment trop complexe pour être traitée par une initiative parlementaire ? La rédaction de la proposition de loi a été effectuée avec l’aide de juristes réputés, dont certains accompagnent les victimes dans leurs démarches depuis des années ; la pertinence de cette rédaction a donc été soigneusement soupesée.

Je précise par ailleurs que, dans la proposition de loi, la liste des maladies radio-induites et la cartographie des territoires concernés doivent être fixées par décret pris après avis de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires. Lors des auditions, j’ai eu des échanges féconds et très francs avec de nombreux scientifiques, notamment des représentants de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), de l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC) et avec le docteur Behar Abraham et l'Association des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN). Il est vrai qu’il n’y a pas d’étude épidémiologique sur le sujet, mais l’importance du taux de mortalité chez les vétérans des essais nucléaires est indiscutable. Pour ce qui est de la présomption de causalité définie par la proposition de loi, il y a des précédents dans notre droit, en matière de reconnaissance des maladies professionnelles ou d’indemnisation des victimes de l’amiante par exemple.

Doit-on prendre en compte les accidents nucléaires dans le dispositif ? Si les problématiques du nucléaire civil et militaire sont certes différentes, le fait est que les suites de l’accident de Tchernobyl dans notre pays donnent lieu à de nombreuses et longues procédures judiciaires et qu’il serait difficile de déclarer à ces victimes que le législateur ne veut pas les prendre en considération. J’ajoute que le champ des maladies induites par cet accident ainsi que les secteurs géographiques concernés (Vallée du Rhône, Hautes-Alpes, région de Nice et Corse) sont bien délimités ; il n’y a donc pas de risques d’extension sans contrôle du dispositif. Enfin, si M. Pierre Lellouche a raison de mentionner la loi de 1968 sur les accidents nucléaires civils, elle est toujours inapplicable faute de parution des décrets d’application. Si le dispositif finalement adopté devait concerner les seuls essais nucléaires, il faudrait veiller au minimum à ce que le Gouvernement s’engage à publier ces décrets d’application.

Enfin, je souligne qu’il existe quelques études de l’INSERM, de la CRIIRAD, dont certains suspecteront peut-être la fiabilité du fait de leur origine non officielle, et une étude du Professeur Al Rowland sur les anomalies chromosomiques qui permettent d’étayer la présomption d’un lien de causalité entre les essais nucléaires et les pathologies dont souffrent les vétérans des essais à partir de ce que les scientifiques appellent « les dominantes » des causes des maladies radio-induites.

M. Georges Colombier. En réponse à Étienne Pinte, je pense qu’il ne faut surtout pas retirer la proposition de loi. Le travail préalable des parlementaires a servi ; le Gouvernement est mis en demeure de prendre ses responsabilités. Il nous faut un débat en séance publique afin que ses engagements soient confirmés. Pour ma part, j’ai obtenu deux fois de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé des anciens combattants, l’engagement public de plaider ce dossier – qui n’est pas de sa responsabilité – auprès du ministre de la défense.

M. Pierre Morange. Le travail mené par la rapporteure est incontestable et l’objectif est partagé et consensuel. Cela dit, je pense qu’il faut limiter le dispositif aux essais nucléaires. Pour ce qui est de la mécanique juridique, il est plus opportun d’affirmer un droit à l’indemnisation des victimes que d’instaurer une présomption de lien de causalité, car celle-ci constituerait un outil juridique instable et sujet à interprétation ; il y aurait des litiges et donc de nouveaux retards dans le traitement des dossiers, qui est pourtant urgent. Nous devrons en séance publique demander très précisément au Gouvernement ce qu’il compte faire dans le projet de loi annoncé et obtenir aussi des engagements sur l’application effective des textes en vigueur.

M. Jean-Patrick Gille. Je comprends l’argument de Bernard Debré sur le rôle propre des scientifiques mais je pense qu’il en tire des conséquences excessives. Les médecins ne sont pas en mesure d’établir une causalité directe entre une exposition aux radiations et un cancer car il faudrait expliquer comment l’une entraîne l’autre ; mais il y a des statistiques qui établissent indubitablement ce type de causalité. L’objectif est de changer la donne pour toutes les victimes qui sont aujourd’hui déboutées de leurs actions par la justice, et cela est bien du ressort du législateur.

M. Pierre Morange. Ces arguments ne sont pas scientifiques !

M. Jean-Patrick Gille. C’est pourquoi nous souhaitons que le débat se poursuive sur cette proposition de loi qui est une initiative consensuelle et s’inscrit dans la volonté de revalorisation du rôle du Parlement qui a inspiré la récente révision constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Door, président. Je crois que nous partageons tous les mêmes objectifs et j’indique que j’ai moi-même signé une proposition de loi sur ce sujet de société. J’ai pris contact ce matin avec le cabinet du ministre de la défense ; j’en ai conclu que le dispositif doit être précisé sur des questions telles que la causalité, la définition des pathologies induites et les périmètres géographiques. On m’a indiqué qu’un projet de loi serait déposé au printemps 2009 ; les parlementaires et Mme la rapporteure pourront être associés à son élaboration, ce qui est justice car tous les groupes parlementaires ont contribué à la prise de conscience progressive du Gouvernement sur la nécessité de légiférer.

Dans ces conditions, je vous propose de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre nos travaux et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de la proposition de loi. Ce choix n’empêche ni la discussion en séance publique ni la publication du rapport, qui inclura naturellement le compte rendu de nos travaux de ce matin.

*

* *

À l’issue de ce débat, la Commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires (n° 1258).

ANNEXE

Liste des personnes auditionnÉes

Table ronde du mardi 18 novembre 2008 réunissant :

l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN)M. Michel Verger, président, M. Jean-Luc Sans, vice-président, et Mme Hélène Luc, membre de la présidence du comité Vérité et Justice, sénatrice honoraire

l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)M. Michel Brière, directeur général adjoint, et M. le professeur Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l’homme

l’Observatoire des armements / Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC)M. Patrice Bouveret, président et membre de la présidence du comité Vérité et Justice

M. le Professeur Abraham Behar, maître de conférence honoraire de Biophysique à l’Université Paris VI, médecin honoraire des hôpitaux de Paris spécialisé en médecine nucléaire, ex-président de l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN)

  Maître François Lafforgue, avocat de l’AVEN

© Assemblée nationale

1 () Il s’agit d’expériences complémentaires, sans dégagement d’énergie nucléaire, destinées à vérifier que les engins ne pouvaient fonctionner en cas de mise à feu accidentelle de l’amorce pyrotechnique.

2 () L’exposition au rayonnement ionisant se mesure par la ‘dose absorbée’ en gray (Gy). La ‘dose efficace’ mesurée en sievert (Sv) tient compte de la quantité d’énergie ionisante absorbée, du type de rayonnement et de la sensibilité des divers organes et tissus aux lésions crées par le rayonnement. Le mSv représente 1/1000 de 1 Sv.  L’UNSCEAR rapporte que la dose moyenne de rayonnement de fond [rayonnement ionisant naturel] que l’homme reçoit dans le monde est d’environ 2,4 mSv chaque année, mais qu’il varie généralement entre 1 et 10 mSv.

3 () Dossier de présentation des essais nucléaires et leur suivi au Sahara, Délégation à l’information et à la communication de la défense, janvier 2007.

4 () De l’anglais International Nuclear Event Scale.

5 () La radioactivité des radionucléides (atomes instables) se mesure en becquerels (Bq) et 1 Bq = 1 désintégration atomique par seconde ; ainsi qu’en kBq/m2 = 1000 Bq de radionucléides sur une surface de 1 m².

6 () Délibération n° 2005-072/APF du 15 juillet 2005, JOPF du 28 juillet 2005.

7 () Personnes ayant travaillées à la décontamination du site de Tchernobyl.

8 () Présentation réalisée en 1997 par le Ministère de la Défense (DSCEN) et le CEA (DAM/DRIF/DASE).

9 () Centre d’expérimentations du Pacifique.

10 () Il existe depuis 1993 un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles qui concerne toutes les victimes, y compris celles dont la procédure de reconnaissance par le système d’une maladie inscrite dans un tableau ne peut aboutir. Cette procédure de reconnaissance repose sur l’expertise médicale et est confiée à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Elle résulte des décrets n°93-683 et 93-692 du 27 mars 1993.

11 () Loi n°200-1257 du 23 décembre 2000.

12 () Délibération N°2005-072/APF du 15 juillet 2005, JOPF du 28 juillet 2005.

13 () Commissariat à l’énergie atomique.

14 () De l’anglais International Nuclear Event Scale.

15 () Délibération N°2005-072/APF du 15 juillet 2005, JOPF du 28 juillet 2005.

16 () Délibération N°2005-072/APF du 15 juillet 2005, JOPF du 28 juillet 2005.

17 () Il existe depuis 1993 un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles qui concerne toutes les victimes, y compris celles dont la procédure de reconnaissance par le système d’une maladie inscrite dans un tableau ne peut aboutir. Cette procédure de reconnaissance repose sur l’expertise médicale et est confiée à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Elle résulte des décrets n°93-683 et 93-692 du 27 mars 1993.

18 () Délibération N°2005-072/APF du 15 juillet 2005, JOPF du 28 juillet 2005.

19 () Centre d’expérimentations du Pacifique.

20 () Loi n° 200-1257 du 23 décembre 2000.

21 () Communication de la Cour des comptes à la commission des affaires sociales du Sénat, Rapport d’information n°301, « Amiante, quelle indemnisation pour les victimes ? ».