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N° 1408

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 janvier 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1309) de M. Daniel FASQUELLE, rapporteur de la commission chargée des affaires européennes, sur l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers,

PAR M. Yves Bur,

Député.

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INTRODUCTION 5

I.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE RÉPOND À UN BESOIN RÉEL DE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DES DROITS DES PATIENTS EN MATIÈRE DE SOINS TRANSFRONTALIERS 9

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE GARANTIT ET RENFORCE LES DROITS DES PATIENTS EUROPÉENS 9

1. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE N'APPLIQUE PAS LA DIRECTIVE « SERVICES » AU DOMAINE DE LA SANTÉ 9

2. LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ EST RESPECTÉ 10

3. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE REPREND LE PRINCIPE DE LIBRE ACCÈS AUX SOINS RECONNU PAR LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES DEPUIS 1998 11

4. LA DIRECTIVE GAGNERA À ÊTRE FUSIONNÉE AVEC LE RÈGLEMENT DE COORDINATION DES RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE 12

B. CETTE INTERVENTION COMMUNAUTAIRE FAVORISE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SANTÉ, EN PARTICULIER DANS LES RÉGIONS FRONTALIÈRES 13

1. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE FIXE UN CADRE DE COORDINATION ENTRE ÉTATS MEMBRES 13

2. L'ENJEU EST QUOTIDIEN POUR LES CITOYENS DES RÉGIONS FRONTALIÈRES 14

3. DANS CETTE OPTIQUE DE COOPÉRATION RENFORCÉE, TROIS AMÉLIORATIONS CONCRÈTES DOIVENT ÊTRE ENVISAGÉES 15

II.- LE BÉNÉFICE DE SOINS DE SANTÉ TRANSFRONTALIERS DOIT FAIRE L'OBJET DE GARANTIES SUPPLÉMENTAIRES 17

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DOIT ALLER ENCORE PLUS LOIN DANS LA PROTECTION DES PATIENTS 17

1. L'INFORMATION DES PATIENTS DOIT ÊTRE RENFORCÉE 18

A) LES SYSTÈMES DE SOINS 18

B) LES CONDITIONS FINANCIÈRES 18

2. LES DROITS DES PATIENTS DOIVENT ÊTRE AMÉLIORÉS 19

A) LE TRANSFERT DES DONNÉES PERSONNELLES 19

B) LES PROBLÈMES DE RESPONSABILITÉ 19

B. LES SYSTÈMES SOCIAUX DES ÉTATS MEMBRES DOIVENT ÊTRE PRÉSERVÉS 20

1. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE S'ATTACHE À PROTÉGER L'ÉQUILIBRE DES RÉGIMES SOCIAUX 20

2. L'INSTAURATION D'UNE SECONDE CLAUSE DE SAUVEGARDE PARAÎT SOUHAITABLE 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 23

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 29

ANNEXE 33

Audition de Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé, sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers 33

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est saisie de la proposition de résolution adoptée le 9 décembre 2008 par la commission chargée des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (n° 1309). Cette proposition de résolution a pour objet la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (COM [2008] 414 final du 4 juillet 2008), reçu à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juillet 2008 (n° E 3903).

Cette proposition de directive vise à remédier à certaines des difficultés apparues ces dernières années suite au développement rapide des soins transfrontaliers. Leur importance peut pourtant apparaître aujourd'hui comme relativement modeste : dans le rapport d'information (n° 1308) qu'il a présenté à l'appui la proposition de résolution susvisée, le rapporteur, M. Daniel Fasquelle, indique ainsi que la Commission européenne évalue ces soins à environ 1 % des dépenses maladie des États membres, soit près de 10 milliards d'euros par an ; 3 à 4 % des citoyens de l'Union seraient toutefois concernés, plus particulièrement ceux habitant les régions frontalières ou les États les plus petits, mais aussi les touristes et les patients souffrant de maladies rares.

En France, 1 100 à 1 400 demandes d'autorisation de prise en charge sont adressées chaque année aux caisses de sécurité sociale, parmi lesquelles environ 60 % sont acceptées. Les dépenses à ce titre ont atteint 227 millions d'euros en 2006, dont plus du quart à destination de la Belgique. À rebours, la France a perçu 469 millions d'euros au titre des ressortissants de l'Union, de l'Espace économique européen (EEE) ou de la Suisse soignés sur son territoire, soit plus de 500 000 personnes, dont environ un tiers originaires du Royaume-Uni.

Malgré les difficultés liées à l'éloignement, à la langue et à la méconnaissance des situations sanitaires et juridiques, qui diffèrent fortement d'un État membre à l'autre, les soins transfrontaliers se développent rapidement. Les enquêtes d'opinion révèlent ainsi que les citoyens de l'Union se montrent de plus en plus ouverts à bénéficier de soins dans un pays autre que le leur, même si, par défaut d'information, 30 % d'entre eux disent ignorer jusqu'à l'existence même de ce droit. En outre, selon les estimations présentées par M. Roland Ries, sénateur, dans son rapport d'information (n° 186, 2006-2007) sur l'Union européenne et les services de santé, ces flux, qui portent pour moitié sur les dépenses hospitalières, auraient doublé depuis quinze ans.

Cette évolution entraîne de nombreuses conséquences, d'abord, bien évidemment, d'ordre sanitaire. Il y a certes lieu de se réjouir que les patients puissent recevoir, si nécessaire, des soins plus appropriés ou moins coûteux et même simplement tirer parti de meilleurs délais de traitement dans un autre État membre, mais des déplacements massifs de patients risqueraient de perturber les politiques nationales de programmation des équipements et d'organisation des professions médicales, suscitant ainsi des déséquilibres dommageables au sein de l'Union. L'enjeu est également de nature économique et sociale : en raison de l'exigence de maîtrise des comptes publics, il ne serait pas normal que les régimes sociaux subissent les incidences de ces mouvements.

Or les soins transfrontaliers se développent dans un cadre juridique peu sûr. Les dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, étendu depuis lors à d'autres catégories de personnes, ont en effet été complétées par de nombreux arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) : alors même qu'ils revêtent, dans ce domaine, un caractère fondamental, leur articulation avec les normes communautaires n'apparaît pas très clairement. La coexistence de ces deux sources normatives se traduit également par des inégalités entre les ressortissants des États membres, dont certains n'ont pas mis en conformité leur droit interne avec les principes énoncés par la CJCE, d'autant qu'en pratique, peu de patients sont en mesure d'invoquer ces principes devant les juridictions nationales.

En conséquence, la Commission européenne a engagé des actions contre certains États membres dont elle estime qu'ils restreignent les droits des patients. Elle a ainsi procédé à une mise en demeure adressée à la France le 10 juin 2008. Malgré la réponse du gouvernement français en date du 21 juillet 2008, elle a engagé, le 16 octobre 2008, une procédure d'infraction. Notre collègue Daniel Fasquelle relève à cet égard le caractère inhabituel de la démarche de la Commission européenne : « une telle procédure n'est pas admissible alors que la négociation [sur la proposition de directive] ne fait que commencer ».

En attendant, les citoyens sont confrontés à un système passablement opaque, ne parvenant pas à savoir avec précision dans quelles conditions ils seront soignés, puis pris en charge et éventuellement dédommagés. Viennent s'y ajouter les réticences des organismes nationaux de sécurité sociale, dont témoignent par exemple les difficultés que rencontrent parfois les assurés français dans leurs relations avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) : délais de remboursement anormalement longs, pouvant atteindre deux ans ; contrôles systématiques des médecins-conseils ; demandes d'expertises complémentaires ; in fine, contentieux.

Les exemples de prise en charge de soins inopinés fournis par le rapport d'information susmentionné sont édifiants : 45,76 euros seulement pour la consultation d'un pédiatre en ville et l'achat de médicaments dont le coût total s'est élevé à 82,76 euros ; 19,60 euros pour une consultation à l'hôpital d'un montant de 143,70 euros ; reste à charge de 2 621 euros pour une intervention et une hospitalisation de dix jours.

Force est cependant de reconnaître que pour les organismes sociaux, la gestion des dossiers se révèle d'une grande complexité : comparaison des modalités de remboursement de l'État membre d'affiliation et de l'État membre de traitement afin de faire apparaître celles qui sont les plus favorables au patient ; interprétation des données figurant sur les justificatifs produits par les patients, en l'absence d'harmonisation de la facturation ; comparaison des coûts rendue difficile par l'absence de référentiel commun et nécessitant une coopération entre organismes.

Ces problèmes sont suffisamment anciens pour que les institutions communautaires s'en soient saisies dès 2002, lorsque le Conseil « Santé » a installé un groupe de réflexion à haut niveau sur la mobilité des patients et l'évolution des soins de santé. En avril 2004, la Commission européenne a présenté une communication sur le suivi des travaux de ce groupe puis, en avril 2005, le Parlement européen a adopté un rapport sur la mobilité des patients et l'évolution des soins de santé.

Dans une déclaration sur les valeurs et principes communs des systèmes de santé adoptée lors de sa réunion du 1er juin 2006, le Conseil « Emploi, politique sociale, consommateurs » a demandé que soient garanties « aux citoyens européens des informations claires sur leurs droits lorsqu'ils se déplacent d'un État membre à l'autre, de même que l'inscription de ces valeurs et de ces principes dans un cadre juridique de façon à garantir une sécurité juridique ». Sans surprise, la consultation publique lancée en septembre 2006 par la Commission européenne sur une action communautaire dans le domaine des services de santé a fait apparaître le besoin d'une meilleure information et d'une plus grande clarté sur les règles juridiques applicables aux soins de santé transfrontaliers.

De même, une résolution du Parlement européen de mai 2007 sur l'impact et les conséquences de l'exclusion de la santé des discussions sur la directive relative aux services insiste notamment sur la nécessaire amélioration des règles s'appliquant à la mobilité des patients. C'est finalement en juillet 2008 que la Commission européenne a été en mesure de présenter la proposition de directive qui fait l'objet de la proposition de résolution examinée par notre commission.

Le rapporteur tient à remercier Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé, d'avoir adopté une démarche exemplaire et novatrice, accomplissant très en amont, à l'invitation de plusieurs Parlements nationaux, un important travail de présentation et d'explication de cette proposition de directive, comme le 8 octobre dernier à l'occasion d'un échange particulièrement fructueux avec la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Les travaux ont ensuite commencé au sein du Conseil. Ils ne sont pas encore achevés, de telle sorte que le Parlement européen ne devrait avoir la possibilité que de procéder à une seule lecture du texte d'ici les prochaines élections européennes, ce qui permettra toutefois à son examen de se poursuivre après ce scrutin.

En l'état, la proposition de directive n'aura pas d'incidences en droit interne et ne nécessitera donc pas de modifications des textes, qu'ils soient de nature législative ou réglementaire.

Le rapporteur salue la qualité de la réflexion menée par la commission chargée des affaires européennes et par son rapporteur. Dès lors, il propose à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales d'adopter sans modification le texte présenté par la commission chargée des affaires européennes, qui considère que la proposition de directive répond à un besoin réel mais que le bénéfice de soins de santé transfrontaliers doit être entouré de garanties.

I.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE RÉPOND À UN BESOIN RÉEL DE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DES DROITS DES PATIENTS EN MATIÈRE DE SOINS TRANSFRONTALIERS

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE GARANTIT ET RENFORCE LES DROITS DES PATIENTS EUROPÉENS

Ainsi que le souligne le point 2 de la proposition de résolution, le rapporteur se réjouit que la proposition de directive « ne concerne que la seule mobilité des patients, sans modifier le cadre communautaire actuel sur la mobilité des professionnels de santé » (alinéa 10).

1. La proposition de directive n'applique pas la directive « services » au domaine de la santé 

En 2004, alors que les services de santé étaient initialement inclus dans le champ d'application de la proposition de directive relative aux prestations de service dans le marché intérieur, dite « Bolkestein », il fut finalement décidé de les en extraire en raison notamment de leur complexité technique et de leur caractère sensible pour l'opinion publique. Le Parlement européen et le Conseil invitèrent plutôt la Commission européenne à élaborer une proposition distincte, exclusivement consacrée aux soins de santé transfrontaliers et respectueuse de leur particularité.

Une large concertation s'engagea alors sur le sujet et aboutit à la publication de plusieurs rapports ; l'un d'entre eux présenta les conclusions d'une consultation publique menée sur l'action communautaire dans le domaine des services de santé. La majorité des 280 contributions reçues insista en particulier sur la nécessité d'assurer la sécurité juridique sur cette question en fournissant un cadre clair et transparent aux patients européens qui souhaitent se faire soigner dans un autre État membre que celui de leur affiliation. Cette attente fut largement prise en considération lors des travaux préparatoires à la rédaction de la proposition de directive.

Cette proposition de directive ne porte ainsi ni sur les systèmes de soins en tant que tels ni sur la mobilité des professionnels de santé. Examinée dans le cadre de « l'Agenda social renouvelé », elle vise avant tout à faciliter l'exercice des droits des patients européens en matière de soins de santé transfrontaliers.

Selon les termes de la commissaire européenne à la santé, Mme Androulla Vassiliou, lors de son audition devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée, le 8 octobre 2008, la proposition de directive ne tend aucunement à « promouvoir la mobilité pour la mobilité » mais à « aider les citoyens européens à recevoir les soins qui leur sont nécessaires sur tout le territoire de l'Union ».

2. Le principe de subsidiarité est respecté

Introduit dans le droit communautaire par le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité consiste à réserver à l'échelon supérieur, en l'occurrence l'Union européenne, ce que l'échelon inférieur, dans ce cas les États membres, ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. Ce principe, d'une part, permet à la Communauté d'agir lorsque des mesures prises isolément par les États membres ne permettraient pas d'apporter une solution suffisante ; d'autre part, il permet de protéger les compétences des États membres dans les domaines qui ne pourraient pas être mieux régis par une action communautaire. Il témoigne donc d'une ambition démocratique, affirmée dès le premier article du traité sur l'Union européenne, selon laquelle il doit toujours être fait en sorte que les décisions communautaires soient prises au niveau le plus proche possible du citoyen.

Or, en raison de leur dimension transnationale, les objectifs de la proposition de directive ne peuvent être atteints par les États membres seuls : il n'y a qu'une action communautaire qui peut coordonner l'ensemble des systèmes de santé nationaux.

Toutefois, comme le dispose l'article 152 du traité instituant la Communauté européenne, « l'action de la Communauté dans le domaine de la santé publique respecte pleinement les responsabilités des États membres en matière d'organisation et de fourniture de services de santé et de soins médicaux » : l'organisation et la prestation des services et des soins de santé relèvent de la compétence des États membres. C'est à eux qu'il incombe notamment de déterminer les règles qui s'appliquent au remboursement des patients et à la prestation de soins de santé.

La proposition de directive ne change rien à cet égard : si elle précise les conditions dans lesquelles les patients peuvent se faire soigner dans un autre État membre et se faire rembourser, elle respecte strictement les compétences nationales en matière de systèmes de santé et ne modifie aucunement le cadre des systèmes nationaux de sécurité sociale. Elle ne remet pas non plus en cause le droit des États membres de définir les prestations qu'ils choisissent d'assurer. Si un État membre ne prévoit pas le droit à un traitement particulier dans le cadre national, aucun nouveau droit n'est créé pour que les patients puissent recevoir ce traitement à l'étranger et être remboursés.

En tout état de cause, la prestation de soins à des patients provenant d'autres États membres ne saurait être préjudiciable à l'accomplissement de la mission première du système de santé d'un État membre, qui est de fournir des soins de santé à ses propres résidents. Au contraire, les soins de santé transfrontaliers peuvent même accroître l'efficacité d'un système de santé national, en générant une masse critique de patients qui justifient des investissements parfois lourds pour certaines thérapies. Ainsi, ils peuvent contribuer à enrichir l'offre de soins, ce dont bénéficient également les patients nationaux. Si toutefois une augmentation imprévisible du nombre de soins transfrontaliers venait à provoquer de graves difficultés dans un État membre, celui-ci pourrait alors introduire des limitations visant à la sauvegarde de son système de santé.

L'intervention de l'Union européenne en la matière se limite donc au renforcement de la coopération entre les États pour améliorer les synergies, au bénéfice des patients optant pour la mobilité comme des autres.

3. La proposition de directive reprend le principe de libre accès aux soins reconnu par la Cour de justice des communautés européennes depuis 1998

La construction de l'Europe n'avait, jusqu'en 1998, que peu d'incidences sur les politiques sanitaires et sociales des États membres, régis par le principe de territorialité de leurs systèmes sociaux.

C'est la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui a ouvert la voie à une Europe de la santé en affirmant, dans ses arrêts Kohll et Decker, que les principes communautaires de libre circulation des biens et de libre prestation de services s'appliquent également aux systèmes de santé et d'accès aux soins à l'intérieur de l'Union européenne.

La naissance d'une Europe de la santé

Les arrêts Kohll et Decker (28 avril 1998) concernent deux assurés luxembourgeois qui se sont vu refuser, par leur caisse d'assurance maladie, le remboursement de prestations de santé effectuées à l'étranger (achat de lunettes en Belgique pour M. Kohll, traitement d'orthodontie en Allemagne pour M. Decker) sans autorisation préalable. La Cour, reconnaissant que les prestations médicales doivent être considérées comme des prestations de services et en conséquence soumises aux règles de libre circulation dans le marché intérieur, a considéré que le fait même de subordonner le remboursement de soins ou de produits de santé à l'obtention d'une autorisation préalable constituait une entrave injustifiable à la liberté de circulation des marchandises et des services.

Source : rapport d'information, fait au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, sur l'Union européenne et les services de santé, M. Roland Ries, 30 janvier 2007.

Une série d'arrêts importants a par la suite confirmé cette nouvelle jurisprudence :

- les arrêts Smits et Peerbooms (12 juillet 2001) l'ont étendue aux soins hospitaliers ;

- l'arrêt Vanbraekel (12 juillet 2001) a précisé les mécanismes de remboursements de soins reçus à l'étranger ;

- les arrêts Müller-Fauré et Van Riet (13 mai 2003) ont opéré une distinction entre autorisation préalable non nécessaire et autorisation préalable nécessaire en fonction de la nature des soins prodigués (hospitaliers ou non hospitaliers) ;

- enfin, l'arrêt Watts (16 mai 2006) a insisté sur les modalités qui permettent à un État membre de refuser d'accorder une autorisation préalable : la Cour a considéré que les limitations au principe de libre prestation de services de santé ne sont compatibles avec le traité que si elles sont motivées par une raison impérieuse d'intérêt général, comme par exemple un risque d'atteinte grave à l'équilibre des comptes sociaux.

La reconnaissance par la CJCE du libre accès aux soins transfrontaliers et du droit au remboursement n'a d'abord eu qu'un impact limité. Ainsi, jusqu'en 2003, la France refusait systématiquement le remboursement de soins reçus à l'étranger sans autorisation préalable. Un décret n° 2005-386 du 19 avril 2005 relatif aux soins perçus hors de France a partiellement mis en conformité notre droit avec le droit communautaire.

La proposition de directive reprend donc l'ensemble des principes jurisprudentiels dégagés par la Cour, qu'il s'agisse des droits des patients aux soins et au remboursement, ou de la clause de sauvegarde impartie aux États membres.

4. La directive gagnera à être fusionnée avec le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale

La jurisprudence constante de la CJCE s'est ajoutée aux droits reconnus par le règlement n° 1408-71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Ce règlement, successeur de la convention européenne des travailleurs migrants du 9 décembre 1957 mise en place dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) pour assurer la mobilité des personnels de l'industrie charbonnière et sidérurgique, a établi la coordination des régimes de sécurité sociale afin de permettre la prise en charge des soins reçus dans un autre État membre. La possibilité pour un patient de bénéficier de soins dans un autre État membre que celui de résidence et d'être remboursé grâce à la coordination des systèmes de sécurité sociale avait donc été reconnue, en principe, par cette voie réglementaire. Cependant, en pratique, les règles concernant les droits et les remboursements étaient loin d'être complètement transparentes.

Aujourd'hui, ce règlement est en cours de refonte dans le règlement n° 883-2004 de coordination des régimes de sécurité sociale.

Comme il est recommandé à l'alinéa 24 de la proposition de résolution, le rapporteur estime qu'il serait préférable de parvenir à terme à un texte unique, qui fusionne la proposition de directive et le règlement n° 883-2004 susmentionné. En l'état actuel du droit, les deux corps de règles issues de la jurisprudence de la Cour et du règlement de 1971 créent en effet une réelle complexité et alimentent une incertitude juridique néfaste à l'exercice des droits des patients. Dans la mesure où l'enjeu de cette proposition de directive est précisément de clarifier et de simplifier la situation en matière de soins de santé transfrontaliers, il apparaît donc vivement souhaitable de passer d'une coexistence de textes à une référence unique qui permette une application claire et homogène du droit communautaire dans tous les États membres.

B. CETTE INTERVENTION COMMUNAUTAIRE FAVORISE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SANTÉ, EN PARTICULIER DANS LES RÉGIONS FRONTALIÈRES

1. La proposition de directive fixe un cadre de coordination entre États membres

Faciliter la mobilité de tous les patients dans l'Union européenne : telle est la première ambition de la proposition de directive, celle qui a fondé la nécessité d'agir. Pour ce faire, la coopération européenne en matière de santé est essentielle.

La mise en place d'un cadre juridique clair permettra d' « actionner le formidable potentiel de la coopération paneuropéenne en matière de santé », selon les termes de Mme Androulla Vassiliou. Compte tenu des défis auxquels sont confrontés tous les systèmes de santé (croissance inéluctable des dépenses, vieillissement des populations, augmentation des coûts de prise en charge médicaux, évolution rapide des technologies de pointe en matière médicale, dont le coût est de plus en plus élevé), la nécessité d'optimiser l'utilisation des infrastructures médicales existantes et d'accroître la mutualisation des moyens se fait donc au bénéfice de patients toujours plus nombreux qui choisissent de se faire soigner hors de leur État d'affiliation, qu'il s'agisse de soins ambulatoires ou de la programmation de soins plus lourds.

Le cadre établi par la proposition de directive fixe des dispositions pour développer une coopération pratique, au travers par exemple de « réseaux européens de référence ». Ces réseaux réuniraient des centres spécialisés de différents États membres qui pourraient contribuer aux soins de santé prodigués à des patients dont l'état nécessite une concentration particulière de ressources ou de compétences. Cette collaboration profiterait aux patients, en leur facilitant l'accès à des soins hautement spécialisés, comme aux systèmes de santé, en optimisant l'utilisation des ressources, par exemple par la mise en commun de ressources dans la lutte contre les maladies rares.

Ces réseaux européens de référence pourraient en outre constituer des centres de liaison en matière de formation et de recherche médicales ainsi que de diffusion et d'évaluation de l'information.

Une action coordonnée de tous les États membres peut donc apporter une valeur ajoutée aux systèmes nationaux de santé. Les axes de cette coordination sont variés, comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de directive : « une telle coordination peut porter sur une planification conjointe, une reconnaissance mutuelle ou une adaptation de procédures ou de normes, sur l'interopérabilité des systèmes nationaux en matière de technologies de l'information et de la communication (TIC), sur des mécanismes concrets visant à assurer la continuité des soins ou encore sur des mesures visant à faciliter concrètement la prestation transfrontalière de soins de santé par des professionnels de la santé sur une base temporaire ou occasionnelle ».

2. L'enjeu est quotidien pour les citoyens des régions frontalières

Selon les données transmises par Euro-info-consommateurs, instance d'information et de conseil pour les questions transfrontalières concernant la France, l'Allemagne et la Suisse, 10 % de la population européenne vit dans des régions frontalières. Ces régions sont devenues des espaces économiques à l'intérieur desquels la mobilité de leurs habitants n'est plus un phénomène marginal. Or, pour ces citoyens frontaliers, la coopération entre les États membres apportera une réponse à des obstacles courants.

Les entraves au libre accès aux soins et au remboursement liées aux complications qu'entraînent des prises en charge nationales différentes sont en effet fréquentes. Euro-info-consommateurs a communiqué au rapporteur divers exemples de cas de contentieux, portant notamment sur le blocage de dossiers de remboursement de patients français qui ont reçu des soins en Allemagne. Ces derniers profitent souvent de meilleurs délais accordés de l'autre côté de la frontière : il faut attendre six mois avant obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue à Strasbourg, alors qu'il ne faut qu'une quinzaine de jours à Kehl. En revanche, ces patients peuvent ensuite se heurter à de longues difficultés pour obtenir un remboursement qui les dissuadent finalement d'exercer leur droit aux soins transfrontaliers.

Un exemple concret de blocage administratif
au détriment des patients et du professionnel de santé

Suite à la fermeture de plusieurs structures hospitalières (ex hôpital de Forbach et de Saint-Avold) situées dans la zone frontalière franco-allemande, un chirurgien-dentiste, conventionné en France, le Dr. L., fait une demande d'autorisation écrite à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Sarrebruck pour pouvoir opérer en ambulatoire les patients français dans une structure hospitalière allemande.

En juin 2004, la CPAM donne son accord écrit au Dr. L., l'autorisant à dispenser ses soins en Allemagne à Saarbrücken. Elle précise que l'anesthésie y sera réalisée par un praticien allemand et facturée selon les conditions en vigueur dans ce pays. Concernant les honoraires du chirurgien-dentiste, la réponse précise qu'ils doivent être conformes à la NGAP (tarifs conventionnés applicables en France). L'ordre des médecins allemands, contacté également dans le cadre d'une information, donne un avis favorable, également par écrit.

De nombreux patients ont bénéficié du traitement ambulatoire proposé par le Dr. L. Certains d'entre eux ont connu de grandes difficultés à se faire rembourser, le remboursement étant subordonné à de nombreuses demandes de renseignements ou de compléments d'information systématiques à l'attention des médecins traitants et des patients. Ces différentes mesures ont conduit à une lenteur extrême de la procédure (parfois plus d'un an pour obtenir un remboursement) ; de nombreux patients ont donc été découragés et ont finalement renoncé à leur remboursement.

Source : données transmises par Euro-info-consommateurs, extraites du document « Les services de santé dans l'Union européenne : les difficultés d'exercice des nouveaux droits accordés aux patients », février 2007.

La proposition de directive, à travers un cadre clair, permettra donc de résoudre, en faveur des droits des patients, les problèmes soulevés par la complexité des différentes modalités de prise en charge d'un État membre à l'autre, ce en particulier pour les habitants frontaliers.

3. Dans cette optique de coopération renforcée, trois améliorations concrètes doivent être envisagées

La proposition de résolution souligne pertinemment que la future coopération européenne en matière de soins de santé, indispensable à la réussite des objectifs principaux de la proposition de directive, gagnerait encore en valeur ajoutée en :

- harmonisant la définition des soins de santé et le régime de l'autorisation préalable (alinéa 19) : il n'existe pas encore de définition européenne des soins hospitaliers et des soins non hospitaliers, alors même que le dispositif de remboursement repose précisément sur cette distinction. La Commission européenne a certes proposé une définition des soins hospitaliers, fondée sur les critères de durée, de risque et de recours à des infrastructures plus ou moins spécialisées. Les pratiques en matière d'hospitalisation varient toutefois d'un État à l'autre. Il apparaît donc nécessaire que les États membres se mettent d'accord sur des critères communs, pour éviter toute incohérence et toute incertitude juridique ;

- améliorant la carte européenne d'assurance maladie (alinéa 22) : entrée en vigueur en 2004 pour remplacer notamment l'ancien formulaire E 111, elle ne permet pas encore le transfert de données médicales personnelles ; il serait donc souhaitable qu'à terme la CEAM ne soit pas seulement une attestation de droits mais aussi un support sécurisé d'une partie ou du dossier médical complet du patient ;

- prenant mieux en compte la télémédecine (alinéa 23) : les technologies de l'information et de la communication recèlent en effet un potentiel considérable d'amélioration de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité des soins de santé ; la mise en place de systèmes compatibles entre tous les États membres devrait être rapidement généralisée afin de permettre une réelle convergence des informations, au bénéfice des patients comme des professionnels de santé.

Dans ces conditions, la proposition de directive offrira un cadre sûr et opérationnel permettant de conférer toute sa portée au droit aux soins transfrontaliers. En facilitant l'exercice de ces droits, elle contribuera probablement à renforcer le sentiment d'appartenance des citoyens à l'Europe et à augmenter l'adhésion à l'idée européenne.

II.- LE BÉNÉFICE DE SOINS DE SANTÉ TRANSFRONTALIERS
DOIT FAIRE L'OBJET DE GARANTIES SUPPLÉMENTAIRES

Si l'on peut aisément admettre que l'intervention d'une directive dans le domaine des soins transfrontaliers doit être considérée comme opportune, cette intervention ne sera véritablement pertinente que si elle est entourée de véritables garanties tant pour les citoyens que pour les États membres. De ce point de vue, la proposition de directive va dans le bon sens, mais ainsi que le préconise la proposition de résolution, elle doit aller encore plus loin.

A. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DOIT ALLER ENCORE PLUS LOIN DANS LA PROTECTION DES PATIENTS

Le rapporteur souhaite tout spécialement insister sur ce point, car il est au cœur des difficultés auxquelles sont confrontés les citoyens de l'Union, à commencer par les frontaliers. En effet, si l'information des patients n'est pas correctement assurée, dans le meilleur des cas, le manque de confiance entravera le développement des soins de santé transfrontaliers ou bien, dans le pire des cas, ceux-ci pourront se révéler lourds de conséquences pour ceux qui en bénéficient. Or, comme le relève la Commission européenne dans l'exposé des motifs de la proposition de directive, « à l'heure actuelle, les patients reçoivent relativement peu d'informations sur les soins de santé transfrontaliers », à commencer, comme on l'a déjà vu, par le simple fait que nombreux sont ceux qui ne connaissent pas leur droit à bénéficier de tels soins et à obtenir la prise en charge de leurs frais.

La proposition de directive définit certes des exigences en matière d'information des patients, mais l'alinéa 12 de la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes a raison de considérer que cette information doit être renforcée, de manière que « celui-ci soit en mesure d'exercer un choix librement éclairé ».

En effet, la proposition de directive entend assurer un accès aisé en établissant des points de contact nationaux (PCN), dont il appartient aux États membres de définir la forme ainsi que le nombre. Ils peuvent être intégrés à des centres d'information existants mais doivent en tout état de cause clairement distinguer les informations relatives au processus d'accès aux soins (procédures, délais de remboursement, …) de celles portant sur le contenu de ces soins (coûts, délais d'attente, résultats, …), ces dernières devant être fournies par ceux qui proposent les prestations correspondantes.

Pour le reste, la proposition de directive s'en remet aux États membres, auxquels il revient donc d'aménager comme ils l'entendent leurs systèmes de santé afin d'assurer le respect d'un certain nombre de principes communs : la définition de normes de qualité et de sécurité des soins ; la transparence vis-à-vis des patients et des professionnels quant aux normes applicables ; l'établissement de mécanismes permettant de veiller à la traduction de ces normes et à leur contrôle ; la possibilité pour les patients d'obtenir les informations essentielles, de nature tant médicale que financière ou pratique, relatives aux soins ; la mise en place de procédures et mécanismes intervenant en cas de préjudice découlant d'une prestation de soins et permettant aux patients de demander une réparation et une indemnisation ; le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel en cas de nécessité de les transférer d'un État à un autre ; la non-discrimination entre les patients à raison du système de protection sociale dont ils relèvent.

« Autant de règles et procédures », en conclut M. Daniel Fasquelle, avec lesquelles « le patient n'est pas familier ». S'agissant de soins dont les conséquences peuvent parfois engager le pronostic vital, son information doit pourtant être la plus complète possible. Il convient donc de la renforcer, s'agissant tant des systèmes de soins que des conditions financières. Au-delà, il faut également s'attacher à obtenir une protection effective des données personnelles et à mettre en place des mécanismes d'indemnisation d'éventuels dommages.

1. L'information des patients doit être renforcée

Le renforcement de l'information des patients doit porter tant sur le droit applicable au système de soins de l'État membre de traitement que sur les conditions financières dans lesquelles ils vont être soignés dans un autre État membre.

a) Les systèmes de soins

L'alinéa 13 de la proposition de résolution considère que la directive doit permettre au patient de disposer d'informations plus précises sur le droit applicable comme sur les normes de qualité et de sécurité sanitaires en vigueur dans l'État membre de traitement.

La Présidence française a d'ailleurs d'ores et déjà œuvré en ce sens, en demandant que soient mises à la charge de l'État de traitement trois obligations à l'égard des patients étrangers : l'information sur les normes de qualité et de sécurité sanitaires ainsi que sur les dispositifs de contrôle et d'évaluation ; l'information sur les règles de qualité et le statut applicables aux prestataires de soins de santé ; l'existence de voies de recours.

L'objectif consiste à faire en sorte que les intervenants eux-mêmes expliquent aux patients étrangers que c'est le droit de l'État membre de traitement qui s'applique et leur présentent ainsi le cadre juridique dans lequel se déroulent les soins.

b) Les conditions financières

L'alinéa 14 de la proposition de résolution considère que la directive doit permettre au patient de disposer, avant la délivrance d'une autorisation de prise en charge de soins à l'étranger, d'éléments détaillés sur les conditions financières applicables, c'est-à-dire notamment sur les différences de tarification, sur les restes à charge et sur l'existence de mécanismes de tiers-payant.

Le rapporteur du Parlement européen propose à cet égard que l'organisme d'affiliation délivre, avant l'autorisation préalable, dans le cas des soins les plus onéreux (principalement les soins hospitaliers), un bon (voucher) indiquant le montant maximum qui sera pris en charge.

2. Les droits des patients doivent être améliorés

La proposition de résolution plaide à juste raison pour un renforcement des droits des patients dans deux domaines : la protection effective des données personnelles, d'une part, et les conditions d'indemnisation d'éventuels dommages, d'autre part.

a) Le transfert des données personnelles

L'intervention d'une directive dans le domaine des soins transfrontaliers se fait bien évidemment sans préjudice des directives communautaires de 1995 et de 2002 relatives à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ainsi qu'à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. La proposition de directive dispose en outre que les États membres doivent garantir la protection de la vie privée conformément aux mesures d'exécution de ces textes.

L'alinéa 22 de la proposition de résolution estime donc nécessaire de faire en sorte que le patient soit en mesure de donner son autorisation aux transferts de données médicales personnelles d'un État membre à un autre. Pour ce faire, comme les règles différent d'un État à l'autre, il faut qu'il ait préalablement été informé des différences éventuelles entre les règles applicables dans l'État membre de traitement et celles applicables dans l'État membre d'affiliation. À terme, l'enrichissement du contenu de la carte européenne d'assurance maladie, précédemment évoqué, permettrait de donner une réponse pleinement satisfaisante à cette préoccupation.

b) Les problèmes de responsabilité

En cas de complication postérieure à des soins de santé transfrontaliers (consultation ou intervention), M. Daniel Fasquelle met en lumière, dans son rapport d'information précité, un double risque : celui, pour le régime de sécurité sociale de l'État membre d'affiliation, de devoir supporter des coûts consécutifs à des soins qui ont été fournis dans un autre État membre ; celui, pour le patient, de devoir faire face à des litiges dont le règlement sera opéré dans un État membre qui n'est pas le sien, c'est-à-dire selon des procédures et des règles avec lesquelles il n'est pas familier, d'autant qu'il ne pourra pas nécessairement s'en charger lui-même sur place.

Le principe de l'application du droit de l'État membre de traitement aux litiges résultant de soins de santé transfrontaliers est certes conforme au droit des prestations de services. Mais elle complique la situation des patients et des organismes de sécurité sociale en cas d'action récursoire, puisqu'ils doivent entreprendre une procédure dans un autre État membre et y obtenir, le cas échéant, l'exécution des décisions intervenues en leur faveur.

L'alinéa 21 de la proposition de résolution estime donc nécessaire que soit mis en place, sous réserve des conclusions d'une étude de faisabilité, un mécanisme européen de règlement des éventuels litiges relatifs aux soins de santé transfrontaliers, notamment sur le plan financier, afin d'éviter au patient de se trouver confronté à une procédure dans un cadre juridique - celui de l'État membre de traitement - qui ne lui est pas familier.

Le rapporteur du Parlement européen s'est déjà exprimé en faveur d'une telle amélioration, recommandant qu'il soit procédé à une étude de faisabilité d'un mécanisme de compensation financière.

B. LES SYSTÈMES SOCIAUX DES ÉTATS MEMBRES DOIVENT ÊTRE PRÉSERVÉS

La proposition de directive comprend des dispositions de nature à protéger l'équilibre des régimes sociaux, mais l'introduction d'une seconde clause de sauvegarde paraît souhaitable.

1. La proposition de directive s'attache à protéger l'équilibre des régimes sociaux

La « clause de sauvegarde » permettant aux États membres, pour les soins hospitaliers et spécialisés, de mettre en place un dispositif d'autorisation préalable de prise en charge a pour finalité de protéger la planification et la rationalisation des équipements dans un État membre, mais aussi de préserver l'équilibre financier de ses régimes sociaux. Le rapporteur estime que ce souci doit être d'autant plus conservé à l'esprit que la crise économique met à rude épreuve l'équilibre des comptes sociaux.

Cela étant, la proposition de directive n'ouvre aucun droit nouveau susceptible de créer de nouvelles conditions d'affiliation à l'assurance maladie car elle n'affecte pas les règles nationales d'affiliation aux assurances sociales. C'est par exemple le cas, en France, des dispositions relatives à la couverture maladie universelle (CMU) ou à l'aide médicale d'État (AME).

Reprenant le principe énoncé par la jurisprudence Vanbraekel de la Cour de justice, la proposition de directive dispose toutefois que le patient doit pouvoir bénéficier d'un remboursement total au moins identique à celui qui lui aurait été accordé s'il avait été hospitalisé dans l'État membre d'affiliation. Il peut donc demander à bénéficier d'un versement différentiel si les règles en vigueur dans l'État membre d'affiliation apparaissent plus favorables que celles de l'État membre de traitement. Dès lors, il bénéficie toujours du montant le plus favorable.

De fait, les coûts des prestations de santé demeurent très différents d'un État membre à l'autre, ces écarts ayant eu tendance à s'accroître du fait de l'élargissement de l'Union européenne. L'équilibre des organismes de sécurité sociale des États où les coûts sont moindres serait donc en péril si aucun garde-fou n'était mis en place.

La proposition de directive prévoit donc le plafonnement du remboursement dont bénéficiera le patient à hauteur du coût qui aurait été pris en charge pour des soins identiques ou similaires délivrés dans l'État membre d'affiliation. Cependant, ainsi que le relève notre collègue Daniel Fasquelle, « cette mesure, nécessaire pour garantir les capacités de financement de l'accès aux soins dans les États moins prospères, a néanmoins un inévitable revers : le montant restant à charge en cas de soins reçus dans un autre État membre reste hors de portée financière pour un grand nombre de patients ».

2. L'instauration d'une seconde clause de sauvegarde paraît souhaitable

Dans le cadre du respect du principe de subsidiarité, l'alinéa 18 de la proposition de résolution considère qu'il convient de conforter les capacités de régulation nationales par l'instauration d'une seconde « clause de sauvegarde », également en matière de soins hospitaliers et spécialisés. De nature spécifique, elle viserait à permettre aux prestataires de soins d'un État membre, notamment dans les régions frontalières, de faire face, le cas échéant, à des flux trop importants de patients affiliés dans d'autres États membres. Bien entendu, une telle clause interviendrait dans le respect du principe d'égalité de traitement entre les nationaux et les ressortissants communautaires, prévu à l'article 5 de la proposition de directive.

Mais il faut prendre en compte le fait qu'une stricte égalité de traitement entre le flux de patients d'autres États membres et le flux de patients ressortissant territorialement des équipements médicaux concernés pourrait paradoxalement engendrer un effet contraire à l'un des objectifs principaux de la proposition de directive, à savoir des délais excessifs de traitement. Il s'agit simplement d'éviter ainsi qu'un traitement exclusivement fondé sur l'ancienneté des demandes ne nuise à l'accès aux équipements pour les ressortissants de l'État membre de traitement.

Dans son rapport d'information, notre collègue Daniel Fasquelle précise que plusieurs États membres seraient favorables à l'introduction d'une telle clause et que la Commission européenne n'y « serait pas hostile ».

TRAVAUX DE LA COMMISSION

EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine, sur le rapport de M. Yves Bur, la proposition de résolution sur l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (n° 1309) au cours de sa première séance du mercredi 28 janvier 2009.

Un débat suit l'exposé du rapporteur.

M. le président Pierre Méhaignerie. De manière à donner encore davantage chair à cette proposition de résolution, il serait intéressant de disposer de données relatives à l'ensemble des flux existants entre la France et les autres pays concernant cette question des soins de santé. Une telle information serait au demeurant utile également dans le cadre de l'examen du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

M. le rapporteur. Les éléments relatifs à ces flux sont connus. Il est important de garder à l'esprit que n'est pas seul en cause le « tourisme sanitaire » : la question touche aussi les ressortissants français qui travaillent à l'étranger ou encore les personnes qui choisissent de se faire soigner dans d'autres pays pour des raisons financières. Certains promoteurs n'hésitent pas à proposer des séjours en Hongrie incluant l'hôtel et le dentiste !

M. Bernard Debré. Pour ce qui concerne l'accès aux soins en urgence, lorsqu'une personne se présente dans un tel service dans un autre pays, quels sont les tarifs de remboursement applicables ? La prise en charge par l'assurance maladie ne doit par ailleurs pas se substituer à l'intervention des assurances privées : de nombreuses personnes bénéficient de telles assurances, ne serait-ce par exemple que par le biais de leur carte de crédit, et n'ont donc pas dans ce cas besoin de recourir aux régimes de sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Door. Je souhaite revenir sur deux thèmes évoqués lors de l'audition de la commissaire européenne à la santé, Mme Androulla Vassiliou, par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, le 8 octobre 2008 : le premier est celui de l'équivalence des diplômes au sein de la « Nouvelle Europe » ; le second concerne la responsabilité civile professionnelle, très réelle en France : qu'en est-il à l'étranger ?

M. Michel Liebgott. Je souhaite faire quatre observations.

Premièrement, on ne peut ignorer le nombre important de médecins ou de membres de professions paramédicales qui ont été formés en France et qui travaillent aujourd'hui à l'étranger, au Luxembourg par exemple. Cet élément doit être pris en compte, car il est difficile de considérer comme une injustice le fait d'aller se faire soigner par des personnes dont la formation a été prise en charge par l'État dont est issu le patient.

Deuxièmement, la question du développement des soins de santé transfrontaliers ne doit pas conduire l'État à se décharger de sa responsabilité. La question se pose avec une grande acuité pour les gynécologues dont on sait que le nombre décroît fortement en France.

Troisièmement, le suivi du patient ne doit pas être oublié. S'il est envisageable de recevoir un soin donné dans un pays étranger, la question de la mise en œuvre d'un suivi à moyen ou long terme dans ce même pays est plus délicate.

Enfin, il faut prendre garde aux projections statistiques. S'il est indéniable qu'un nombre non négligeable de Français vont travailler à l'étranger, au Luxembourg par exemple, les projections pour l'avenir annonçant une augmentation de cette proportion doivent être envisagées avec prudence : il faut se garder de croire que toutes les solutions se trouvent à l'étranger.

En conclusion, je prends dans le même temps acte des avancées positives contenues dans cette proposition de résolution.

M. Christian Eckert. La présente proposition de résolution ne soulève pas de problème particulier. En revanche, certaines questions restent en suspens. D'abord, en dépit de la conclusion d'un certain nombre de conventions à cet effet, la coopération entre établissements hospitaliers de part et d'autre des frontières n'est pas, en pratique, aisée à mettre en œuvre. Ensuite, s'il est vrai que des dispositifs organisant l'équivalence entre les diplômes attribués dans les différents États ont été mis en place, certaines difficultés subsistent, comme le montre l'exemple de la Belgique où prévalent des dispositifs de « quotas » de formations à l'égard des ressortissants non belges ou encore des mécanismes de sélection par tirage au sort qui peuvent se révéler un peu choquants.

Par ailleurs, il est louable de prôner la transmission des données médicales entre les États. Mais l'exemple du dossier médical personnel (DMP) et de ses difficultés montre la complexité de cette transmission même au sein d'un seul pays. Enfin, la question des différences de prix, parfois importantes, de médicaments identiques vendus dans différents pays doit aussi être soulignée, car elle peut inciter un patient à se rendre à l'étranger afin d'y acheter tel ou tel produit.

M. Pierre Morange. Il serait tout à fait intéressant de disposer de données précises sur les mouvements transfrontaliers de soins. Environ 500 000 personnes viennent se faire soigner en France, tandis qu'environ 1 400 demandes d'entente préalable sont présentées par des patients de notre pays. L'établissement d'un bilan chiffré des flux de soins transfrontaliers, sur l'ensemble des pays de l'Union européenne, comptabilisant les entrées et sorties, au niveau de chaque État membre, serait particulièrement utile.

En ce qui concerne le problème de la transmission des données médicales d'un État membre à l'autre, je déposerai avec M. Jean-Pierre Door un amendement encourageant la mise en place d'une clé USB sécurisée, qui permettrait à chaque patient de « porter » sur lui son dossier médical. Le patient deviendrait donc, grâce à ce dispositif, le vecteur du dossier médical et celui-ci pourrait être ainsi réactualisé de façon permanente. Un tel dispositif pourrait peut-être trouver à s'appliquer aux soins transfrontaliers. Je rappelle en outre que le prix de cette clé USB est modique, à savoir 6 euros, et que cet outil informatique offre une solution pragmatique au problème de la transmission des données, en attendant la mise en place du dosser médical personnel.

M. Frédéric Reiss. On ne peut que se réjouir de cette proposition de directive visant à sécuriser les soins transfrontaliers. En tant que député de Wissembourg, j'ai pu observer que beaucoup de médecins allemands travaillaient dans l'hôpital de cette ville. Par ailleurs, la coopération frontalière en matière de transports médicaux, en particulier pour les ambulances, fonctionne très bien. J'observe en outre qu'en Allemagne, le délai d'attente pour un IRM ou un scanner est beaucoup moins long, ce qui explique en partie les flux transfrontaliers. Enfin, à mes yeux, le vrai problème, qui n'est pas traité par la proposition de directive, car elle poursuit un tout autre objectif, réside dans les différences constatées au niveau de la prise en charge de l'invalidité. Ainsi, une invalidité reconnue en Allemagne ne l'est-elle pas toujours en France et vice-versa.

M. le président Pierre Méhaignerie. Pourquoi les médecins allemands sont-ils attirés par l'hôpital de Wissembourg ?

M. Frédéric Reiss. Ils y apprécient la qualité des conditions de travail.

M. le président Pierre Méhaignerie. La question des soins transfrontaliers passionne les Français. S'ils se développent en Europe, les échanges avec l'Afrique ne doivent pas non plus être négligés.

M. le rapporteur. En réponse à mes collègues, je souhaite apporter les précisions suivantes :

- Les demandes d'entente préalable pour des soins à l'étranger enregistrées en France s'élèvent entre 1 100 et 1 400 par an, dont 60 % sont acceptées. Le développement des soins transfrontaliers impose de préciser les droits des patients et d'instaurer un devoir d'information, ce que prévoit la proposition de directive. Les dépenses de soins transfrontaliers engagées par des Français dans d'autres pays sont évaluées à 227 millions d'euros, dont environ un quart pour les seuls soins dispensés en Belgique. Par ailleurs, notre pays soigne chaque année 500 000 personnes originaires d'autres pays de l'Union, dont un tiers du Royaume-Uni, pour un montant de 470 millions d'euros. La proposition de M. Pierre Morange visant à recueillir des données plus complètes sur l'ensemble des flux transfrontaliers est excellente. Ces données devraient être suffisamment fines pour permettre un classement des soins et des coûts par État membre. Par exemple, on constate en matière de soins dentaires que les soins proprement dits sont moins chers en France qu'en Allemagne, tandis que les prothèses sont moins onéreuses chez notre voisin. Une mission d'information pourrait être utilement créée sur le sujet afin de pouvoir établir des comparaisons ;

- La question de la responsabilité professionnelle est importante. Le a du point 7 de la proposition de résolution demande d'ailleurs que soient développés des mécanismes visant à régler les différends, car ces dispositifs permettraient de compléter utilement les garanties prévues par le texte européen. À cet égard, la directive constitue un premier pas vers la sécurisation de la prise en charge des soins dans une Union où la mobilité ne cessera de croître ;

- S'agissant de l'installation des professionnels de santé, le vrai problème n'est pas tant l'installation de professionnels français dans d'autres pays européens que celui de l'installation en France de médecins venant de pays tiers. Je pense, en particulier, à la Roumanie et à la Bulgarie, qui forment des médecins disposant d'un niveau de qualité compatible avec nos exigences, grâce à l'harmonisation des formations, et qui, par la suite, quittent leur pays pour s'installer en France. Ainsi que Mme Vassiliou nous l'a indiqué à l'automne dernier, la Commission européenne est très consciente de ce problème. Il faudra particulièrement veiller à ce que l'afflux, dans notre pays, de médecins étrangers ne crée pas des déséquilibres territoriaux de couverture médicale en Europe ;

- Les soins dispensés en urgence dans un autre État membre sont pris en charge dans les conditions de droit commun ;

- D'une manière générale, les caisses d'assurance maladie n'encouragent pas les Français à se faire soigner dans d'autres États membres. Je rappelle que le nombre de demandes d'entente préalable enregistrées en France est faible, puisque celui-ci varie entre 1 100 et 1 400 selon les années, de telle sorte qu'on ne peut pas dire que les patients français viennent améliorer les conditions d'exploitation d'équipements qui, situés dans d'autres États membres, seraient sous-utilisés, notamment pour des raisons d'ordre démographique ;

- La proposition de directive clarifie les droits des patients. Il conviendra d'en tirer les conséquences pour faciliter l'accès des patients à l'ensemble des systèmes de soins en Europe. Cet objectif implique de donner une information fiable sur la qualité des soins dispensés dans les différents États membres. En rendant possibles des comparaisons entre systèmes de soins, cette information constituera en outre pour notre propre système de soins une incitation à s'améliorer.

M. Bernard Debré. J'observe que la France accueille d'un côté 500 000 patients européens et qu'elle enregistre de l'autre seulement 1 400 demandes d'entente préalable. Ces chiffres m'incitent à penser qu'il faut renforcer l'attractivité de notre système de soins, qui est déjà grande, par une politique plus offensive.

M. le rapporteur. Cet objectif d'attractivité doit être poursuivi, mais il faut à tout prix éviter la constitution de files d'attente dont souffriraient les Français.

M. Bernard Debré. Il convient en effet de trouver un équilibre.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je rappelle que les dépenses liées à l'aide médicale d'État (AME) ont quasiment décuplé en quelques années.

M. Dominique Tian. Je ne suis pas sûr que l'on doive encourager le nomadisme médical au motif que celui-ci serait avantageux pour le système français. En effet, il y a toujours un reste à charge à régler et celui-ci peut atteindre un coût important pour le patient ou pour l'État de traitement. Or ce reste à charge risque de s'avérer problématique au regard du respect du principe d'égalité de traitement des patients posé par la directive. D'ailleurs, pour des raisons d'équité, le reste à charge devrait être réglé soit par le pays d'origine, soit par le patient.

M. Bernard Debré. Lorsque des Anglais viennent à Calais pour se faire soigner, ce sont eux qui financent ce reste à charge.

M. le président Pierre Méhaignerie. Cette problématique ne doit pas nous faire oublier que les flux de patients européens sont bénéfiques sur le plan de l'emploi.

M. Jean-Pierre Door. La proposition de directive prévoit-elle une possibilité d'action récursoire dans le cas où un patient français venu se faire soigner dans un autre État membre aurait contracté sur place une infection nosocomiale ?

M. le rapporteur. La proposition de directive pose des règles générales de prise en charge des soins, mais des mécanismes d'indemnisation et de règlement des litiges devront être mis en place, comme le préconise la proposition de résolution. Le cœur du problème, s'agissant des soins transfrontaliers, est posé par les patients qui ne sont pas des ressortissants communautaires et qui viennent en France se faire soigner sous couvert du régime de l'aide médicale d'État. Si les médecins libéraux se font régler directement, les hôpitaux peuvent en revanche rencontrer des problèmes de règlement.

M. Bernard Debré. Ce problème, qui était réel il y a quelques années, n'existe plus. J'ai connu l'époque où seulement la moitié des factures de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris étaient acquittées. Désormais, ce problème ne se pose plus puisque chaque patient doit avancer ses frais de traitement au moment de son admission.

M. Dominique Tian. La vraie menace financière pesant sur les comptes de l'État tient à l'explosion des dépenses liées à l'AME.

M. Pierre Morange. Le problème de la prise en charge des patients étrangers est complexe. Lorsqu'il était ministre de la santé, M. Bernard Kouchner avait souhaité mettre en place des protocoles pour régler effectivement cette question et améliorer, par ailleurs, le taux de remplissage des services hospitaliers. Cette politique n'a pas eu les effets escomptés. Il convient de faire une différence entre les patients qui payent et les patients relevant de l'aide médicale d'État. La dépense liée à cette aide a atteint 560 millions d'euros, avant de descendre à 460 millions d'euros dans le dernier budget. Cette baisse fait suite à une redéfinition des critères applicables au versement de l'aide, qui s'est notamment traduite par une exigence de présence sur le territoire de trois mois pour la personne souhaitant bénéficier du dispositif. Le développement exponentiel de l'AME m'incite à considérer qu'elle fait de la France un espace « d'auto-aspiration sanitaire », notre pays accueillant à ce titre de plus en plus de patients étrangers. Compte tenu de la nationalité des bénéficiaires du dispositif, j'estime que son budget devrait être intégré à celui du ministère de la coopération, car, de fait, il permet de financer l'accès des ressortissants de pays en développement à des soins et s'inscrit ainsi dans une logique de co-développement et de renforcement des systèmes de santé des pays du Sud.

Mme Pascale Crozon. Je ne pense pas qu'il faille avoir peur de l'installation des professionnels de santé étrangers. Il convient en effet de ne pas oublier que la pratique de notre langue constitue un obstacle sérieux. Ainsi, on avait beaucoup craint que les infirmières espagnoles n'occupent définitivement des emplois dans les hôpitaux ; or elles sont venues puis reparties, en raison de cet obstacle linguistique.

M. le président Pierre Méhaignerie. Ce débat a parfaitement mis en lumière l'intérêt des députés pour la question si essentielle des soins transfrontaliers. Il serait utile de créer une mission d'information qui puisse explorer tous les aspects de ce sujet important.

La commission adopte l'article unique de la proposition de résolution sur l'application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers (n° 1309) sans modification.

*

En conséquence, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l'Assemblée nationale d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION SUR L'APPLICATION DES DROITS

DES PATIENTS EN MATIÈRE DE SOINS TRANSFRONTALIERS

Article unique


L'Assemblée nationale,


Vu l'article 88-4 de la Constitution,


Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 23, 39, 49, 137 et 152,


Vu le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, ainsi que le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui le remplacera,


Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (COM [2008] 414 final/n° E 3903],


Constatant la pratique croissante des ressortissants des États membres pour bénéficier de prestations de santé dans un Etat membre autre que celui de leur affiliation ;


Constatant également que l'actuelle juxtaposition des dispositions des règlements précités et des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes sur les droits directement conférés au patient par le Traité, notamment au titre de la libre prestation de services, conduit à une situation complexe, confuse et aux modalités d'application incertaines, tant pour les patients que pour les États membres, avec deux voies parfois contradictoires pour la prise en charge des soins de santé ainsi délivrés dans un autre État membre ;


Considérant que les capacités de régulation et de planification des États membres en matière d'offre de prestations de santé doivent être intégralement préservées ;


1. Se félicite de ce que la proposition de directive précitée vise à opérer en matière de soins transfrontaliers une indispensable clarification et à prévoir le cadre d'une plus grande coopération européenne en la matière ;


2. Constate avec satisfaction qu'elle reconnaît explicitement, selon le principe de subsidiarité, la compétence des États membres dans l'organisation et la prestation des soins de santé et qu'elle ne concerne que la seule mobilité des patients, sans modifier le cadre communautaire actuel sur la mobilité des professionnels de santé ;


3. Estime qu'elle atteint un point d'équilibre entre les droits individuels des patients et le rôle des États membres en matière de régulation et de planification des équipements de soins, grâce à l'autorisation préalable de prise en charge pour les prestations hospitalières et les soins spécialisés, qui constitue une clause de sauvegarde, et que ce point d'équilibre constitue une base de négociation adaptée ;


4. Considère cependant que ses dispositions doivent mieux répondre aux besoins du patient, dont l'information doit ainsi être renforcée, de manière à ce que celui-ci soit en mesure d'exercer un choix librement éclairé, en disposant notamment :


a) D'informations plus précises sur le droit comme sur les normes de qualité et de sécurité sanitaires en vigueur dans l'Etat de traitement,


b) D'éléments détaillés sur les conditions financières applicables, notamment quant à l'avance des frais et au montant restant en définitive à sa charge ;


5. Considère également qu'il convient de s'appuyer davantage sur les compétences des États membres, en appliquant pleinement, autant que le permet le traité, le principe de subsidiarité, et ainsi :


a) De leur réserver, et non à la Commission européenne, la faculté de fixer eux-mêmes les normes de qualité et de sécurité applicables aux soins de santé dispensés sur leur territoire ;


b) De s'en remettre au droit national pour définir les soins hospitaliers et les soins spécialisés susceptibles de faire l'objet d'une autorisation préalable de prise en charge, compte tenu des spécificités du mode d'organisation de chaque pays ;


c) De conforter les capacités de régulation nationales grâce à une seconde clause de sauvegarde, spécifique, permettant aux prestataires de soins de santé d'un État membre, notamment dans les régions transfrontalières, de faire face, le cas échéant, à des flux trop importants de patients affiliés dans d'autres États membres, sans enfreindre le principe d'égalité de traitement envers les autres ressortissants communautaires dans la gestion des files d'attente ;


6. Souhaite aussi, pour prévenir tout risque d'une « troisième voie » de prise en charge, mieux faire prévaloir le principe de sécurité juridique, grâce à une harmonisation tant de la définition des soins de santé que du régime de l'autorisation préalable aux soins hospitaliers et aux soins spécialisés, avec les règlements précités comme avec les décisions de la Cour de justice intervenues en la matière ;


7. Estime nécessaire, au-delà des améliorations du texte de la proposition de directive et afin de réellement protéger et promouvoir les droits des patients, que la Commission européenne prenne, en accord avec les États membres, plusieurs initiatives visant à :


a) Mettre en place, sous réserve des conclusions d'une étude de faisabilité, un mécanisme européen de règlement des éventuels litiges relatifs aux soins transfrontaliers, notamment sur le plan financier, pour éviter au patient d'avoir à mener une procédure dans un autre État membre avec un droit qui ne lui est pas familier ;


b) Améliorer la carte européenne d'assurance maladie, de manière à permettre, à terme, le transfert de données médicales personnelles, sa durée étant par ailleurs prolongée et son utilisation sécurisée, sachant que, dans cette attente, le patient doit être en mesure de donner son autorisation pour de tels transferts d'un État membre à l'autre, après avoir été préalablement informé des différences éventuelles entre les règles applicables dans l'État membre de traitement et celles de son État membre d'affiliation ;


c) Prendre en compte les facultés et les futurs développements de la télémédecine, en ce qu'elle représente à côté de la mobilité des patients et de la mobilité des professionnels, une autre déclinaison du principe de la libre prestation de services ;


8. Considère, enfin, qu'il conviendra de parvenir à un texte unique, à l'avenir, en fusionnant les dispositions de la future directive et celles du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale.

ANNEXE

Audition de Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne
à la santé, sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers

Lors de sa réunion du 8 octobre 2008, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a auditionné Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers.


M. le président Pierre Méhaignerie. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé, venue nous présenter la proposition de directive, adoptée par la Commission européenne le 2 juillet 2008, sur les droits des patients dans le cadre de soins dispensés dans un autre État membre que celui d'origine. Les citoyens de l'Union européenne peuvent déjà bénéficier de soins de santé dans un autre État membre que celui dont ils sont ressortissants et obtenir d'être remboursés, dans leur État d'origine, des frais engagés. Cependant, les règles concernant les droits et les remboursements sont loin d'être clairs. La Commission s'est donc attachée à préciser les conditions dans lesquelles les soins de santé transfrontaliers peuvent être dispensés et remboursés.

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. C'est un grand plaisir pour moi de vous présenter ce que je considère comme l'initiative la plus importante, dans le domaine de la santé, de la présidence de la Commission européenne par M. Manuel José Barroso. Ayant été parlementaire, je demeure convaincue de la nécessité de maintenir un débat avec les Parlements nationaux. C'est ce qui m'a poussée à me rendre au Bundestag, à rencontrer des membres du Bundesrat et à m'exprimer devant vous avant de me rendre à la Chambre des Lords, à la Diète polonaise et, si je le puis, dans d'autres Parlements encore. Ma pratique de la langue française n'étant pas aussi aisée que celle de l'anglais, je poursuivrai dans cette langue.

Depuis des années, dans une jurisprudence constante, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a confirmé que le Traité confère aux patients le droit de se faire soigner dans d'autres États membres que le leur puis d'obtenir, chez eux, le remboursement des frais engagés. Cependant les modalités d'application de ce principe ne sont pas bien définies. Aussi, après que les soins de santé ont été - à mon sens, à juste titre - exclus en 2006 du champ d'application de la directive relative aux services, le Conseil et le Parlement ont invité la Commission à élaborer une directive distincte, relative aux soins de santé transfrontaliers.

La proposition de directive adoptée par la Commission vise à assurer aux patients un meilleur accès aux soins, quel que soit leur lieu de résidence, tout en respectant strictement les compétences nationales en matière de système de santé. Dans le cadre de la jurisprudence de la Cour, le texte tend à faciliter l'exercice des droits que le Traité a conférés aux patients en garantissant une plus grande transparence et de meilleures garanties concernant la sécurité et la qualité des soins. La proposition tend aussi à préciser les conditions dans lesquelles les patients peuvent se faire soigner dans un autre État membre puis se faire rembourser. Elle vise enfin à renforcer la coopération entre les États dans certains domaines liés à la santé pour améliorer les synergies sans, j'y insiste, modifier le cadre des systèmes nationaux de sécurité sociale.

Actuellement, pour être remboursés, les traitements dispensés dans un autre pays de l'Union doivent avoir fait l'objet d'une autorisation préalable. Avec le nouveau dispositif, les patients pourront se faire soigner dans un autre État membre que le leur s'ils le souhaitent et être remboursés des frais engagés à concurrence de ce qu'ils auraient perçu si les soins avaient été dispensés dans leur pays d'origine, tout coût supplémentaire demeurant à leur charge. Admettons ainsi que la pose d'une prothèse de hanche soit remboursée à hauteur de 1 000 euros en France ; un Français qui déciderait de subir l'intervention en Espagne et à qui cela coûterait 1 200 euros se verrait rembourser 1 000 euros.

Toutefois, la proposition de directive prévoit, en son article 8, que l'État d'affiliation peut exiger une autorisation préalable pour la prise en charge de soins hospitaliers reçus dans un autre État membre. Il s'agit ainsi d'éviter que l'application de la directive puisse porter atteinte à l'équilibre financier d'un système de sécurité sociale.

La proposition réaffirme les principes communs à tous les systèmes de sécurité sociale de l'Union européenne : universalité, équité, accès à des soins de santé de qualité, solidarité. Elle rappelle que, pour que ces principes s'appliquent, chaque État doit définir des normes claires de qualité et de sécurité des soins dispensés sur son territoire. C'est un moyen supplémentaire de lutter contre les affections nosocomiales, singulièrement dans les pays qui n'ont pas encore mis au point de telles normes. Il le faut : des enquêtes récentes ont mis en évidence que 5 % des personnes hospitalisées en Europe sont atteintes de maladies nosocomiales, soit 4,1 millions de personnes chaque année, dont 37 000 meurent des suites de ces pathologies.

La proposition de directive dispose également qu'un patient ressortissant d'un autre État membre ne peut souffrir aucune discrimination dans l'accès aux soins. En précisant les conditions de l'exercice du droit qu'ont les patients de recevoir des soins dans un autre État membre que le leur, le texte permet aux États membres d'appliquer la jurisprudence de la CJCE de manière équilibrée et facilite l'exercice de ce droit par les citoyens européens car, à ce jour, la jurisprudence est parfois mal comprise, souvent sciemment ignorée ou incomplètement appliquée. Comme je l'ai dit, nous avons cependant prévu, afin de ne pas risquer de mettre en cause l'équilibre des systèmes de sécurité sociale nationaux, que les États membres soient autorisés à limiter le remboursement de soins dispensés à l'étranger, par exemple en instaurant un système d'autorisation préalable pour les soins hospitaliers.

La proposition précise par ailleurs la définition des soins hospitaliers et des soins ambulatoires, ce qui simplifiera les procédures et les conditions d'accès aux soins transfrontaliers. Je souligne que nous avons maintenu l'extension de la notion de « soins hospitaliers » à des soins qui n'exigent pas nécessairement une hospitalisation mais qui sont particulièrement coûteux ou qui supposent une très lourde infrastructure - tomographie par émission de positons, radio-chirurgie par couteau gamma ou radiothérapie par exemple.

Enfin, la proposition de directive fixe le cadre de nouvelles coopérations à l'échelle européenne. Elle devrait donc conduire à la création de réseaux européens de référence pour les maladies rares, les nouvelles thérapeutiques ou les nouvelles technologies. Ces coopérations pourraient également concerner : l'évaluation des nouvelles technologies de santé qui, toujours plus coûteuses, doivent être utilisées de la manière la plus efficace possible ; les services de santé en ligne, concernant notamment la question de l'interopérationalité ; la collecte de données statistiques sur les soins de santé transfrontaliers, pour mesurer l'impact des décisions prises et pour améliorer la surveillance épidémiologique ; la reconnaissance de prescriptions établies dans les autres États membres, étant entendu que le remboursement des médicaments continuera de se faire en fonction des règles établies par l'État d'origine. Le cadre ainsi défini devrait contribuer à actionner le formidable potentiel de la coopération paneuropéenne en matière de santé.

En conclusion, notre objectif est d'aider les citoyens européens à recevoir les soins qui leur sont nécessaires sur tout le territoire de l'Union. Il ne s'agit pas de promouvoir la mobilité pour la mobilité mais de définir des règles précises, fondées sur les droits déjà consacrés par la CJCE. Je tiens à être claire : nous ne modifions pas les règles de fonctionnement des systèmes nationaux de santé. Il demeurera de la responsabilité des États membres de décider quelles prestations ils entendent servir à leurs ressortissants et quels traitements et médicaments ils rembourseront. Seulement, les droits conférés aux citoyens par le Traité seront précisés.

La proposition de directive est déjà débattue au sein du Conseil et du Parlement. Ce dernier a nommé deux rapporteurs, et ils souhaitent que la première lecture ait lieu rapidement. Je l'espère aussi, puisque notre démarche consiste à maintenir le patient au cœur du dispositif.

M. Pierre Méhaignerie, président. Je vous remercie, Madame la commissaire, et je donne la parole à M. Yves Bur.

M. Yves Bur. Je salue votre démarche exemplaire et novatrice, Madame, et le fait que, n'ayant pas oublié votre engagement parlementaire, vous ayez voulu associer les Parlements nationaux, très en amont, à l'élaboration de la directive, car c'est précisément ce qu'attendent les citoyens européens et leurs élus.


D'évidence, dans une Europe sociale qui se cherche, les questions de santé doivent être abordées, mais ce champ relevant de la compétence des États, la chose est compliquée. J'apprécie que les droits des patients soient au c
œur de votre proposition. Il le fallait, car si la mobilité des Européens ne cesse de progresser, les prises en charge diffèrent selon les États, ce qui a conduit la Cour de justice à rappeler avec constance le droit de tous les patients à accéder à des soins de qualité. Votre démarche est radicalement différente de celle qui avait présidé à l'élaboration de la proposition de directive relative aux services, dont le secteur de la santé a finalement été exclu, ce dont je me félicite, d'autant que l'angle d'approche était alors l'offre de soins et la libéralisation des services, et non les droits des patients.

La proposition de directive, fondée sur la jurisprudence de la CJCE, répond à un besoin réel. Élu d'une région frontalière, je sais à quelles difficultés mes concitoyens se heurtent, et quelles complications entraînent des prises en charge nationales différentes. Je me dois de dire que les organismes de sécurité sociale français donnent parfois l'impression de tout faire pour décourager l'exercice du droit aux soins transfrontaliers, même si la création de l'Eurodistrict Strasbourg-Ortenau a marqué une volonté partagée de coopération. Le droit aux soins transfrontaliers conféré par le Traité doit dès lors être organisé dans un cadre clair. J'espère que la directive le permettra. Je note qu'aucune restriction n'est prévue pour les soins ambulatoires ; s'agissant des soins hospitaliers, la France tient absolument à ce que le principe de l'autorisation préalable soit maintenu.

Plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, comment mieux garantir l'information des patients ? Seront-ils en mesure d'apprécier la qualité des établissements de soins des autres États membres ? Quelles garanties auront-ils que les dommages qui résulteraient d'une intervention faite à l'étranger seront indemnisés, et par qui ? L'interrogation paraît d'autant plus fondée que si l'on reprend l'exemple de la prothèse de hanche, on sait que des complications peuvent survenir plusieurs années après l'opération. Qu'en sera-t-il alors ? Pourra-t-on, par ailleurs, imposer à tous les pays de l'Union la prise en charge de soins particulièrement onéreux ? Si certains États n'ont pas les moyens budgétaires nécessaires pour cela, ne faudrait-il pas envisager la mise en commun de certains équipements ? Sur la forme, pensez-vous que le processus d'adoption de la directive aboutira avant les élections européennes et, sinon, faudra-t-il tout reprendre à zéro en juin 2009 ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Concernant votre dernière question, les deux rapporteurs souhaitent vivement conclure leurs travaux et ils tiennent en tout cas à ce que la première lecture ait eu lieu avant les élections. Dans ce cas, le Parlement nouvellement élu mènera la procédure à son terme sans qu'il faille la reprendre à son début.

Comme vous l'avez souligné, la proposition a trait aux droits des patients, dont la jurisprudence de la CJCE a mis en évidence la nécessité de préciser les conditions de mise en œuvre, et non pas à la mobilité des professionnels de santé. Les études d'impact ont indiqué qu'un très faible nombre de citoyens de l'Union vont dans un État autre que le leur pour recevoir des soins ; pour la plupart, ce sont des gens qui vivent dans des régions frontalières et qui veulent aller au plus près.

S'agissant des soins ambulatoires et des soins hospitaliers, la proposition de directive reprend la distinction clairement marquée par la CJCE. Ainsi, aucune obligation d'entente préalable ne peut être exigée d'un citoyen qui souhaite recevoir des soins ambulatoires dans un autre État membre. Il en va autrement pour la prise en charge des soins hospitaliers qui, parce qu'ils peuvent atteindre des montants considérables, pourrait avoir un impact significatif sur le système de sécurité sociale d'un État membre.

La proposition de directive prévoit expressément, en son article 10, le droit à l'information des patients concernant le recours à des soins de santé dans un autre État membre et les dispositions applicables, en cas notamment de préjudice résultant de ces soins. C'est d'ailleurs pourquoi le texte précise aussi, à l'article suivant, les règles applicables aux soins de santé dispensés dans un autre État membre. Pourquoi donc, me demanderez-vous, puisque nous en avons déjà ? Certes, mais ce qui vaut dans certains pays ne vaut pas partout ; en particulier, cela ne vaut pas dans la plupart des nouveaux États membres.

Ainsi, tous ceux qui se rendent en Hongrie pour s'y faire dispenser des soins dentaires à moindre coût se rendent-ils bien compte que ce pays n'a pas défini de normes de sécurité ou de qualité des soins ? Si la directive est adoptée, il devra le faire.

La création de centres européens de référence - et d'excellence - sera très bénéfique, j'en suis convaincue,  aussi bien pour les citoyens que pour les États. Elle permettra en particulier que les maladies rares soient mieux prises en charge.

M. Jean-Pierre Door. Je vous remercie à mon tour, Madame, d'être avec nous ce matin. Il est satisfaisant que ce texte, en fixant des règles claires, donne des garanties aux patients de l'Union européenne, ce qui va dans le sens d'une Europe ambitieuse. Toutefois, des interrogations continuent de se poser. Ainsi, la qualification des professionnels de santé diffère sensiblement selon les États membres ; comment pourra-t-on certifier leur qualité ? Il est bon de faciliter l'accès aux soins mais la question de la responsabilité reste en suspens. Vous avez évoqué les affections nosocomiales et l'éventualité d'un préjudice découlant d'une intervention chirurgicale pratiquée à l'étranger. Pareilles circonstances sont-elles couvertes, en tous pays, par des assurances de responsabilité civile professionnelle ? Si une prothèse de hanche est implantée dans un État et qu'une infection se déclare plusieurs années plus tard, qu'adviendra-t-il ? Enfin, la certification des établissements hospitaliers et l'accréditation des équipes médicales, que nous nous efforçons de mettre au point, pourraient-elles être mises en œuvre dans d'autres pays de l'Union, afin que tous les Européens sachent pouvoir se rendre dans des hôpitaux sûrs, à la qualité reconnue ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. La reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles n'entre pas dans le champ de ce texte, car ce régime fait l'objet de directives distinctes. Le problème est réel, mais il doit être traité dans un autre cadre.

La proposition de directive a pour objet de faciliter l'accès de tous aux soins, sans discriminations entre ressortissants d'un pays donné et étrangers. Cependant, tout État devant en premier lieu fournir des soins à ses ressortissants, on ne peut imposer à un système hospitalier donné plus qu'il ne peut faire. C'est pourquoi le système d'autorisation préalable est maintenu pour les soins hospitaliers dispensés à l'étranger ; ainsi évitera-t-on de porter atteinte à l'équilibre financier d'un système de sécurité sociale ou à la planification d'un secteur hospitalier.

S'agissant des lésions ou dommages consécutifs à des soins, la proposition de directive dispose, en son article 5, que les États membres doivent veiller à la création de systèmes d'assurances de responsabilité professionnelle pour les traitements dispensés sur leur territoire.

Enfin, la certification des établissements de santé, qui est de la compétence du commissaire chargé du marché intérieur et des services, M. Charlie McCreevy, n'entre pas dans le champ de ce texte. La question est très complexe, mais un système de normes minimales a déjà été mis au point pour les universités.

M. Jean Ueberschlag. Ne faudrait-il pas harmoniser les codes de déontologie des professionnels de santé et renforcer les contrôles des prestations facturées ? Il faut, d'évidence, pouvoir s'assurer que les soins pour lesquels des remboursements sont demandés ont effectivement été dispensés et qu'il n'y a pas de fraude car les fraudes sont fréquentes en matière de chirurgie esthétique par exemple, on le sait. Concernant les médicaments inscrits au remboursement, on pourrait aussi envisager l'instauration d'une pharmacopée européenne.

Dans un autre domaine, ne pourrait-on envisager l'extension à la Suisse du dispositif que vous nous présentez ? J'insiste enfin pour que l'on prenne le temps d'examiner tous les effets induits, parfois insoupçonnés, des dispositions que l'on va prendre, afin de les limiter le plus qu'il est possible. J'en donnerai un exemple : faute de maternité, côté français, aux environs de Bâle, tous les bébés français de la région sont, pendant un temps, nés à Bâle. Ils ne sont pas Suisses pour autant mais, devenus adultes, ils doivent, quand ils veulent un passeport, le demander à Nantes, au service des « Français de l'étranger »…

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. L'Union a passé des accords avec la Suisse, en matière de sécurité alimentaire par exemple, et nous sommes en passe d'en négocier un autre sur la santé. Je n'exclus donc pas qu'à terme le dispositif puisse être étendu à la Suisse ainsi qu'à la Norvège. Nous y travaillerons.

Le remboursement des médicaments est l'objet de grands débats partout en Europe, du fait notamment du coût élevé de certains médicaments innovants. Ainsi, le traitement de certaines maladies rares entraîne une dépense quotidienne de 7 000 euros par patient. Peut-on contraindre la Lituanie, Malte ou Chypre à de telles dépenses ? Leur budget n'y suffirait pas.

M. Marc Bernier. Je vous remercie, Madame la commissaire, de nous associer à la réflexion sur cette directive. Le texte consacre la liberté de choix des patients, mais tout n'est pas réglé pour autant. Se pose en effet la question des maladies nosocomiales, de la sécurité des soins et de la responsabilité en cas de dommage, concernant par exemple les soins dentaires qui sont peu remboursés en France, les prothèses dentaires étant par ailleurs de plus en plus souvent fabriquées en Asie du Sud-Est.

Par ailleurs, les assurances complémentaires prendront-elles en charge une partie des frais afférents aux actes pratiqués dans un autre pays que le pays d'origine ?

M. Pierre Méhaignerie, président. Il faut savoir qu'en France, les dépenses de santé sont prises en charge à hauteur de 78 % en moyenne par les régimes de sécurité sociale et de 12 % par les organismes complémentaires, 10 % de la dépense restant à la charge du patient.

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Comme je vous l'ai indiqué, les traitements seront remboursés à hauteur de ce qu'ils l'auraient été dans l'État d'origine du patient. À ma connaissance, la chirurgie esthétique n'est nulle part prise en charge par les sécurités sociales nationales, mais uniquement par les assurances privées. Encore une fois, la proposition de directive ne vise pas à ouvrir de nouveaux droits en matière de prise en charge : nous restons dans le cadre de l'existant, pas davantage.

Je rappelle que le texte prévoit explicitement le droit à l'information des patients concernant le recours à des soins de santé dans un autre État membre. C'est indispensable pour qu'ils soient protégés et cela suppose une coopération entre les États, qui devront diffuser tous les renseignements nécessaires sur leur système de soins.

M. Marc Bernier. Cela implique-t-il la transmission des dossiers médicaux des patients au pays dans lequel les soins seront dispensés ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Nous avons prévu une disposition dans ce sens, étant entendu que la transmission des données personnelles ne sera possible que de médecin à médecin.

M. Jean-Marie Rolland. Délais de recours, procédures et niveaux d'indemnisation variant grandement selon les pays, j'insiste sur la nécessité d'une information exhaustive des patients. Se pose également la question de la santé en ligne, concernant en particulier les médicaments et plus généralement l'information dispensée par l'industrie pharmaceutique, et de la distinction entre l'information générale avant le diagnostic et celle délivrée sur un traitement particulier.

Dans un autre domaine, ira-t-on jusqu'à permettre l'accès au dossier médical informatisé des patients ?

Enfin, concernant le regroupement en cours des laboratoires d'analyses de biologie médicale, quel est le risque de cette concentration sur la qualité des analyses, dont on peut craindre qu'elles soient faites là où les coûts sont les moins élevés ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Le rapport final du Forum pharmaceutique européen, présenté à Bruxelles il y a quelques jours, comporte différentes recommandations visant à améliorer l'accès à l'information et la qualité de celle-ci. Cela va dans le sens de ce que souhaite mon collègue le commissaire Günter Verheugen, chargé des entreprises et de l'industrie. De fait, une distinction nette est nécessaire entre information et publicité. La plus grande prudence est donc de mise dans la formulation du droit à l'information, qui ne doit s'exercer qu'à la demande du patient : elle lui est due, mais elle ne doit pas lui être imposée. À cet égard, l'internet est source de bien des dangers, car on y trouve beaucoup d'informations incontrôlées. L'idée a donc été lancée de certifier des sites d'information sur les médicaments. Le débat est en cours.

Enfin, un dossier médical ne pourra être transmis à un médecin d'un autre État membre qu'à la demande du patient concerné, dans le strict respect des règles concernant la protection des données personnelles.

M. Jacques Domergue. Certains États, dont la France, ont instauré un numerus clausus pour les étudiants en médecine et d'autres professions de santé. Il en est résulté que des étudiants français ont choisi de faire leurs études de médecine en Belgique, où la sélection était moins rude. La Belgique ayant à son tour renforcé son système de sélection, les étudiants désireux d'apprendre la médecine se tournent maintenant vers de nouveaux États membres, au point que la Pologne aurait commencé à dispenser des cours en anglais, et la Roumanie en français. Qu'en penser ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Cette question n'est pas de mon ressort. Tout au plus puis-je vous indiquer qu'une communication de la Commission relative aux professions de santé sera faite sous peu. Il faut en effet répondre aux inquiétudes qui s'expriment face au manque de médecins et d'infirmières et aux différences de qualification, en prenant garde de ne pas créer de fractures au sein de l'Union car les professionnels de santé qui choisissent de s'installer à l'Ouest font défaut à l'Est. Un débat à ce sujet est nécessaire avec tous les intéressés.

Je sais que certaines universités d'Europe orientale proposent des cours, surtout en anglais et peut-être en français, pour attirer des étudiants d'Europe de l'Ouest. C'est une bonne chose, à condition que certaines normes soient respectées. C'est l'un des objectifs de la proposition de directive.

Mme Claude Greff. Si je m'interroge, comme mes collègues, sur les contentieux éventuels, je suis satisfaite par cette proposition de directive à laquelle je ne vois que des vertus. En effet, elle améliorera les conditions de mobilité pour les patients comme pour les professionnels de santé. Il convient toutefois d'associer les associations de patients à la coopération souhaitée entre les États, qui permettra aussi, j'en suis convaincue, de faire progresser la recherche sur le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et sur le cancer.

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Je pense, comme vous, que la coopération entre les États membres permettra de mieux lutter contre les pandémies. Les ministres européens de la santé réunis à Angers par la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ont traité de sécurité sanitaire et sont convenus qu'une plus grande coopération à ce sujet était nécessaire entre les pays membres mais aussi, dans chaque pays, entre les différents ministères.

La participation des associations de patients à la réflexion est en effet nécessaire. La question vient d'être évoquée au Forum européen de la santé qui s'est tenu à Gastein, en Autriche.

M. Céleste Lett. En Lorraine, il existe environ 85 000 personnes qui travaillent en Allemagne. Se pose à eux le problème particulier de l'appréciation du taux d'invalidité, qui n'emporte pas les mêmes conséquences en France et en Allemagne. Ils en sont pénalisés : ainsi, un travailleur frontalier auquel un médecin français a reconnu un taux d'invalidité de 66 % devra continuer de travailler en Allemagne, ce qui n'aurait pas été le cas s'il avait travaillé en France. Une solution européenne globale est-elle concevable ?

De même, un travailleur frontalier ne peut être hospitalisé dans l'hôpital de son choix ; enfin, les cures sont soumises à l'accord préalable de la caisse allemande.

M. Pierre Morange. Il serait en effet judicieux que les sites d'informations médicales en ligne soient agréés, car le doute plane sur leur qualité. De plus, la vente de médicaments en ligne ne laisse pas d'inquiéter avec le développement exponentiel de la contrefaçon dans le Sud-Est asiatique, qui est devenue une activité criminelle à haute rentabilité, avec un risque de sanction pénale très inférieur aux risques que l'on fait courir à la population. Quelles mesures pourrait-on prendre pour lutter contre de tels circuits de distribution non sécurisés ?

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Les questions abordées, qui n'entrent pas dans mon champ de compétences, devront faire l'objet d'une réflexion au sein du collège des commissaires. Je sais que mon collègue Vladimir Spidla, chargé des affaires sociales, est préoccupé par les différences de prise en compte des taux d'invalidité, et je suis certaine qu'il s'attachera à proposer une solution.

Ce qui a trait au commerce en ligne et à la contrefaçon relève des attributions de mon collègue Günter Verheugen ; je sais qu'il tente de trouver un moyen de traiter cette question éminemment inquiétante.

M. Yves Bur. Vous l'aurez constaté, la proposition de directive suscite un intérêt réel. Ma dernière question portera sur les politiques nationales de santé publique, actuellement menées en ordre dispersé, notamment en matière de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme chez les jeunes. Pourriez-vous nous indiquer les initiatives que la Commission entend prendre en ce domaine pour favoriser une approche globale ?

M. Pierre Méhaignerie, président. De fait, tout effort de comparaison des politiques de santé menées dans les États membres nous serait très utile. Il nous aiderait à légiférer et à maîtriser les dépenses de santé.

Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la santé. Je suis convaincue que l'éducation et l'action sur les déterminants de santé doivent se faire dès le plus jeune âge et c'est une de mes priorités. Dans ce domaine, les décisions juridiquement contraignantes relèvent de la responsabilité des États membres, mais la Commission peut encourager, par ses initiatives, la mise en œuvre des politiques de santé publique efficaces. À cette fin, dès mon arrivée à la Commission j'ai écrit à tous les ministres de la santé et de l'éducation des États membres pour envisager avec eux les moyens de faire participer les jeunes européens à la lutte contre le tabagisme, l'alcoolisme, le stress et à la sensibilisation sur la santé mentale. J'ai eu plusieurs réponses et nous continuons d'y travailler ensemble. Je souhaite organiser à Bruxelles, l'an prochain, une conférence au cours de laquelle des jeunes auront l'occasion de dire comment mieux traiter ces graves questions.

Je remercie tous les intervenants et je me félicite de ce débat intéressant. Je tiendrai compte de vos observations dans les initiatives relatives à la santé que je prendrai.

M. Pierre Méhaignerie, président. Je vous remercie, Madame la commissaire, pour la qualité de vos réponses.

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