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N° 1444

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1098) de M. Jean-Jacques CANDELIER,

tendant à créer une
commission d’enquête
sur les
circonstances de l’embuscade
survenue le 18 août 2008 en
Afghanistan

PAR M. Christophe Guilloteau,

Député.

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S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 5

I. —  SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II. —  SUR L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 9

TRAVAUX DE LA COMMISSION 11

INTRODUCTION

Le 25 août 2008, une proposition de résolution (n° 1098) tendant à la création d’une commission d’enquête a été déposée par M. Jean-Jacques Candelier sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Cette commission serait chargée de « faire toute la lumière sur les circonstances exactes de l’embuscade survenue le 18 août 2008 en Afghanistan ». L’exposé des motifs pose de très nombreuses questions sur le déroulement des faits et indique qu’il s’agit de « lever les doutes, les incertitudes, déterminer les éventuelles responsabilités ou fautes, si il y a lieu ».

En application de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission saisie de se prononcer sur la recevabilité et sur l’opportunité de cette commission d’enquête.

I. —  SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doit être appréciée au regard des dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Ces textes posent deux critères stricts. D’une part, les commissions d’enquête doivent porter soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. D’autre part, il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

La proposition de résolution remplit effectivement la première condition. Les évènements du 18 août 2008 constituent bien des faits déterminés.

S’agissant de la seconde condition, le Garde des Sceaux a été saisi par le Président de l’Assemblée nationale par une lettre en date du 27 août 2008. Il a fait parvenir la réponse suivante le 8 octobre 2008 :

« J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’aucune poursuite judiciaire n’est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition. »

Aucun obstacle ne se manifestant de ce côté, il convient d’examiner au fond l’opportunité de la création d’une commission d’enquête.

II. —  SUR L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

Déposée très peu de temps après l’embuscade qui a coûté la vie à dix de nos soldats et profondément affecté la Nation, la proposition de création d’une commission d’enquête met en exergue dans son exposé des motifs l’existence d’informations contradictoires circulant alors dans la presse. De fait, son auteur n’avait pas encore pu bénéficier des travaux extrêmement denses qui ont suivi. Il convient de les rappeler en détail, afin de souligner combien l’Assemblée nationale a été active et à quel point la volonté de comprendre a été partagée.

Une délégation de sept députés, conduite par le président Guy Teissier et comprenant trois membres de la commission de la défense et trois de celle des affaires étrangères, s’est rendue en Afghanistan du 31 août au 2 septembre pour affirmer le soutien de la Représentation nationale aux forces déployées sur ce théâtre. Cette mission a permis de rencontrer directement les personnels des régiments concernés, c’est-à-dire le 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine et le 1er régiment de marche du Tchad. Un compte rendu de cette mission a été mis à la disposition des membres de la commission de la défense lors de sa réunion du 30 septembre.

En outre, de nombreuses auditions portant sur les événements et la situation en Afghanistan ont été organisées, ces travaux associant les commissions de la défense et des affaires étrangères. La première d’entre elles s’est tenue le 26 août, sous la présidence du Président de l’Assemblée nationale, et a permis d’entendre MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et Hervé Morin, ministre de la défense. Par la suite ont été auditionnés, les mercredi 10 et 17 septembre :

- le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées ;

- le général de corps d’armée Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, et sous-chef « opérations » à l’état-major des armées au moment de l’embuscade du 18 août ;

- M. Jean de Ponton d’Amécourt, ambassadeur de France en Afghanistan ;

- M. Martin Howard, adjoint au secrétaire général de l’OTAN, chargé des opérations ;

- MM. Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et Bernard Frahi, directeur adjoint de la division des opérations au sein de cet office.

Lors de sa réunion du 10 septembre 2008, la commission de la défense a en outre nommé MM. François Lamy et Pierre Lellouche rapporteurs d’une mission d’information sur l’évaluation de l’opération militaire française en Afghanistan, dont les travaux doivent durer une année. Les deux rapporteurs ont effectué un premier déplacement en Afghanistan du 27 septembre au 2 octobre et ils en ont présenté un compte rendu à la commission le 29 octobre 2008.

On notera par ailleurs que lors de sa réunion du 1er octobre, la commission des affaires étrangères a désigné MM. Jean Glavany et Henri Plagnol comme co-rapporteurs d’une mission d’information sur la situation en Afghanistan et l’équilibre géopolitique régional.

Enfin, c’est au sujet de l’Afghanistan qu’il a été fait pour la première fois application des nouvelles dispositions du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, qui dispose désormais que la prolongation des opérations extérieures doit être autorisée par le Parlement au-delà d’un délai de quatre mois. Un débat a eu lieu en séance publique le lundi 22 septembre, soit dès le premier jour de la session extraordinaire convoquée par le Président de la République par décrets les 1er et 27 août. Il a été suivi d’un vote qui a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.

Rares sont les sujets qui ont fait l’objet de travaux et débats aussi riches et divers. Les deux missions d’information précitées poursuivent d’ailleurs leurs activités et contribueront à éclairer l’Assemblée nationale tant sur les aspects militaires et opérationnels que sur les évolutions du contexte politique d’ensemble. Le Parlement a donc bien pris la mesure des nouvelles responsabilités qui lui sont désormais confiées en matière de politique de défense. La constitution d’une commission d’enquête n’apporterait en l’espèce aucune valeur ajoutée particulière. Et ce d’autant plus que l’objet de celle dont la création nous est demandée est particulièrement étroit et ne permet pas de prendre en compte l’intégralité des paramètres d’une situation dont chacun s’accorde à reconnaître la complexité.

Au bénéfice de l’ensemble de ces observations, le rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 11 février 2009.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur, a présenté son rapport et, en conclusion, a demandé à la commission de rejeter la proposition de résolution

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Yves Fromion. Je veux apporter mon soutien à la position du rapporteur : plusieurs mois après ce tragique événement, la création d’une commission d’enquête serait incomprise tant par l’opinion publique que par les familles des victimes ou les militaires et pourrait laisser croire que certains éléments ont été dissimulés. En outre, cette proposition risquerait de déstabiliser les forces actuellement déployées en relançant le débat sur les raisons de leur participation à cette opération. Il appartient au Parlement de s’interroger sur un tel drame, mais il me semble que les réunions organisées dès la fin du mois d’août avec les ministres concernés nous ont permis de poser toutes les questions nécessaires. Il m’apparaît donc politiquement et militairement inopportun de créer une commission d’enquête à ce sujet, même si nous devons veiller au respect des engagements pris au mois d’août, notamment en ce qui concerne l’envoi de renforts.

Par ailleurs, je souhaiterais que les conclusions des enquêtes de commandement, dont il a été fait état à plusieurs reprises, puissent être présentées devant notre commission, sans publicité si nécessaire.

M. le président Guy Teissier. La mission est actuellement en Afghanistan et doit se rendre dans la vallée d’Ouzbine. En ce qui concerne les enquêtes de commandement, les deux rapporteurs en ont demandé les comptes rendus et devraient pouvoir en faire état prochainement.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. La création d’une commission d’enquête est une procédure particulièrement lourde qui ne permettrait sans doute pas d’apporter d’éléments nouveaux et ne serait bonne ni pour les familles, ni pour les armées, ni pour la position internationale de la France. Je tiens à souligner que lors de notre déplacement en Afghanistan, nous avons pu interroger toutes les personnes que nous souhaitions et aller partout où nous le voulions. Cet effort de transparence doit être porté à l’actif des armées. Il me semble qu’il faut désormais laisser la mission d’information travailler sereinement, sans multiplier les initiatives sur ce sujet.

Mme Françoise Olivier-Coupeau. J’ai participé au déplacement en Afghanistan et je tiens à rappeler que la délégation comprenait des représentants de l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Sur place, nous avons pu rencontrer, en dehors de toute contrainte, tous les personnels qui nous ont fait part de leur lassitude devant l’exagération médiatique des événements. Sans minimiser ce qui s’est passé, ils nous ont rappelé qu’ils agissaient en professionnels et que la mort fait partie intégrante des risques de leur métier. Au final, je suis revenue avec des réponses assez précises à mes questions et avec le sentiment qu’il fallait arrêter le battage médiatique sur cette question. J’indique d’ailleurs que j’étais défavorable à ce que les familles puissent se rendre sur place, d’autant qu’elles n’ont pas pu aller dans la vallée d’Ouzbine et s’en sont trouvées frustrées. Cette affaire invite en outre à s’interroger sur la façon dont les insurgés ont perçu cette attitude.

Comme l’a déclaré le général Michel Stollsteiner, les armées travaillent activement à tirer tous les enseignements de ce drame. Il me semble inutile de remettre sous les feux de la rampe ce qui s’est passé au mois d’août, d’autant que cela pourrait constituer un signal d’inquiétude que les talibans ne manqueraient pas d’exploiter à leur profit.

Au vu de ces éléments, il ne me semble donc pas opportun de créer une commission d’enquête aujourd’hui.

M. Jean-Jacques Candelier. Je suis quelque peu déçu par les propos du rapporteur qui ne répond pas complètement aux questions que pose ma proposition de résolution. Je crois avoir pris mes responsabilités en déposant dès le 25 août cette proposition de résolution. Même si les travaux conduits depuis ont permis de répondre à plusieurs questions, des incertitudes demeurent. Le Président de la République s’étant engagé à ce que toute la transparence soit faite sur ce tragique événement, il me semble utile de lever toutes les zones d’ombre. Je considère qu’il y a eu des erreurs de commandement, comme cela a d’ailleurs été le cas à Carcassonne au mois de juillet dernier. En l’espèce, il convient de savoir qui a informé les talibans de notre présence dans cette vallée et quels ont été les moyens déployés. Je rappelle d’ailleurs que l’interprète des forces françaises a disparu. De même, pourquoi les hélicoptères ont-ils mis autant de temps à intervenir ? La question se pose également pour les renforts en personnels, en munitions et en équipements. Ces interrogations sont lourdes et demandent des réponses précises et circonstanciées.

M. le président Guy Teissier. Il n’est pas possible de mettre sur le même pied les incidents de Carcassonne, qui relèvent de négligences graves, et l’embuscade dans la vallée d’Ouzbine, qui s’inscrit dans un contexte de guerre. Il serait illusoire de croire que nous pouvons engager nos troupes dans des opérations aussi complexes et dangereuses sans que les soldats ne risquent d’être tués. La surprise stratégique fait partie du métier de militaire, même si bien évidemment, il ne faut pas exposer inutilement nos hommes.

Quant aux hélicoptères, les pilotes déployés nous ont expliqué avoir opéré en continu pendant toute la durée de l’embuscade pour apporter des renforts ou pour évacuer les blessés et les morts. Pour autant, j’avais alerté le Gouvernement sur la faiblesse de nos moyens aériens et je constate que les renforts déployés répondent en partie à cette préoccupation.

En ce qui concerne le travail de fond que vous appelez de vos vœux, je tiens à souligner que c’est l’objet même de la mission d’information qui a été créée. Conscient de l’importance de ces enjeux, j’ai souhaité qu’elle prenne le temps d’examiner tous les aspects du problème et les rapporteurs ont donc un an pour rendre le rapport qui ne sera présenté qu’en septembre prochain. C’est la deuxième fois que la mission se rend en Afghanistan et je suis certain que les rapporteurs nous apporteront au final des informations très précises. Votre demande me semble donc aujourd’hui superfétatoire.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Le lieu de l’embuscade se situe à 45 minutes de vol de la base des hélicoptères français. Même s’ils ont été mobilisés dès le début de l’attaque, il leur a fallu un temps minimum pour atteindre la vallée d’Ouzbine. Leur appui a été indiscutable : les militaires français ont résisté à une attaque qui a débuté à 16 heures et s’est terminée à 9 heures le lendemain matin, ce qui aurait été impossible sans le ravitaillement de munitions assuré par les hélicoptères. En ce qui concerne les autres renforts, dès l’alerte donnée, des forces ont été engagées et ont rejoint la zone de combat dans les meilleurs délais.

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Je crois que les questions posées par M. Jean-Jacques Candelier sont légitimes. En ce qui concerne l’interprète, il ne faut pas se voiler la face : les soutiens locaux peuvent parfaitement passer à l’ennemi. Sur la question des hélicoptères, je reste très marquée par le fait que nos appareils, mobilisés pour assurer une éventuelle extraction du président Karzaï, n’ont pas pu décoller aussi vite que possible. Plus préoccupante est l’absence de soutien de nos alliés américains qui n’ont pas pu, ou pas voulu, intervenir pour appuyer nos forces. Toute la lumière doit être faite sur cette question.

M. le président Guy Teissier. Je crois que ce tragique événement nous montre bien les limites de la mutualisation des forces. C’est pour cela que j’ai souhaité que les militaires français disposent de moyens propres supplémentaires.

M. Jean-Jacques Candelier. Je m’interroge beaucoup sur la réaction de nos alliés américains, la presse se faisant écho de leur passivité lorsque nos troupes se sont trouvées en difficulté.

M. le président Guy Teissier. Je crois que les forces américaines et les forces françaises travaillent en parfaite concertation et s’appuient mutuellement autant que de besoin. Lors de notre visite en Afghanistan, les pilotes de l’aéronavale revenaient d’ailleurs d’une mission de soutien des forces américaines. Je rappelle aussi que les rapporteurs ont déjà abordé ce point lors de leur dernier rapport d’étape.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

——fpfp——

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