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N
° 1478

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 1243, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État des Émirats Arabes Unis,

par Mme Martine AURILLAC,

Députée

INTRODUCTION 5

I – UN SYSTEME JUDICIAIRE TRES DIFFERENT DU SYSTEME FRANÇAIS 7

A- LES GRANDES LIGNES DU SYSTÈME POLITIQUE DES EMIRATS ARABES UNIS 7

B- LE SYSTÈME JUDICIAIRE ET LA PROCÉDURE PÉNALE 8

C- LES PROFESSIONS JUDICIAIRES ET L’ÉTAT DE DROIT 9

II - UNE CONVENTION QUI PROTEGE NOS RESSORTISSANTS 13

A- DES NÉGOCIATIONS CONDUITES DANS UNE ATMOSPHÈRE CORDIALE 13

B- UN DISPOSITIF CLASSIQUE EN MATIÈRE D’ENTRAIDE JUDICIAIRE 15

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

Mesdames, Messieurs,

Le dynamisme économique des Emirats Arabes Unis (EAU) a conduit de nombreuses sociétés françaises à investir et à s’implanter dans ce pays, avec comme corollaire une communauté française dont les effectifs ne cessent de croître. Banques et services financiers, hôtellerie, architecture, immobilier, transport aérien, nombreux sont les secteurs où nos entreprises remportent des contrats.

Prenant acte du rôle croissant des EAU dans le monde arabe, et son positionnement comme plate-forme d’échanges et de services entre l’Europe et l’Asie, la France a entrepris ces dernières années une politique de rapprochement avec cet Etat avec lequel elle n’avait, traditionnellement, que des liens épisodiques, marqués par la signature de grands contrats, comme des ventes d’Airbus. Il est vrai que les Emirats constituaient un ancien protectorat britannique dont l’influence demeure importante dans le domaine de la défense. D’une certaine manière, c’est l’esprit de conquête de nos entreprises et la présence de ressortissants français en plus grand nombre qui a conduit la France à se rapprocher des EAU. De leur côté, les autorités émiriennes voient un vif intérêt à diversifier leurs alliances traditionnelles avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et à se rapprocher d’un autre Etat européen.

Ces dernières années, la coopération entre la France et les EAU s’est intensifiée, avec l’ouverture d’une université de La Sorbonne à Abou Dhabi, la réalisation prochaine d’un musée du Louvre à Abou Dhabi, en contrepartie d’un versement financier qui bénéficiera aux activités du Louvre à Paris, et enfin l’ouverture d’une base navale, toujours à Abou Dhabi, consacrant ainsi le partenariat stratégique et la relation de confiance qui s’est établie entre les deux pays.

Il était nécessaire, dans ce contexte, de formaliser certaines des relations entre la France et les Emirats, notamment dans le domaine judiciaire. Aucune convention ne régissait jusqu’à présent les crimes et délits commis par des citoyens français ou émiriens sur le sol d’un des deux pays. L’entraide judiciaire ne reposait que sur des relations de réciprocité, dans le cadre de la courtoisie internationale, comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi (n° 1243) vous proposant de ratifier la convention qui vous est soumise. L’on pourrait penser que l’affaire Alex Robert (viol d’un mineur français à Dubaï en octobre 2007, difficulté pour sa famille à faire porter le cas devant les tribunaux des EAU) a été l’élément déclencheur de la négociation de la convention, compte tenu de son retentissement médiatique. En fait, la convention signée entre les deux pays le 2 mai 2007 répond à une demande des autorités des Emirats, soucieuses de moderniser leur système judiciaire.

La signature d’une telle convention n’allait pas de soi, tant les systèmes juridiques et les valeurs qui les fondent diffèrent entre les deux pays. Elle revêtait néanmoins pour la France un véritable intérêt, à savoir introduire par voie conventionnelle des notions ou des procédures juridiques de droit français dans une zone géographique où la Common Law britannique est traditionnellement prédominante. L’influence des systèmes juridiques est un élément du rayonnement international et il est heureux que le gouvernement français ait répondu positivement à la demande émirienne d’une signature de convention en matière pénale. L’examen de cette dernière montrera en effet qu’elle préserve les intérêts de nos concitoyens en cas de procédure judiciaire, tout en comblant un vide juridique avec un pays dont il convient, encore une fois, de souligner la qualité des relations que nous entretenons avec lui.

I – UN SYSTEME JUDICIAIRE TRÈS DIFFÉRENT DU SYSTÈME FRANÇAIS

L’analyse de la convention d’entraide judiciaire entre la France et les Emirats Arabes Unis doit en premier lieu porter sur le système judiciaire de ce pays, qui est profondément différent du système français. La compréhension du dispositif émirien permet en effet de comprendre le chemin parcouru par les négociateurs de la convention pour arriver à un accord.

A – Les grandes lignes du système politique des Emirats Arabes Unis

Les Emirats Arabes Unis sont une fédération constituée le 2 décembre 1971 entre sept émirats, Abou Dhabi, Dubaï, Ajman, Charjah, Oumm Al Qaïwain, Foujairah et Ras Al Khaimah - qui disposaient de leurs propres institutions gouvernementales. Dans une région où le pouvoir s’exerce au travers du monarque et de sa famille, le fait que sept émirs aient pris l’initiative d’unir les destins de leurs pays constituait un signe de compréhension des temps modernes. Le transfert de souveraineté auquel ils ont consenti est d’une portée considérable dans le domaine de la justice, car celle-ci constituait souvent une prérogative personnelle, constitutive du pouvoir absolu de l’émir et de son rôle d’arbitre des conflits entre clans, ou au sein des clans.

La constitution provisoire (devenue permanente en mai 2006) prévoit un partage des pouvoirs entre les émirats et la fédération dont les compétences couvrent notamment les affaires étrangères, la sécurité, la défense, la nationalité, la monnaie, l’éducation et l’extradition des criminels. Les souverains des émirats ont par ailleurs prévu la possibilité d’élargir ces compétences fédérales, et dans le domaine de la justice de plus en plus de secteurs ont été transférés au niveau fédéral depuis 1971.

En 2006, des élections au suffrage indirect ont eu lieu pour l’élection du Parlement, le Conseil National Fédéral, composé de 40 membres. Le CNF a un rôle législatif mais aussi un rôle de contrôle des ministres.

Le gouvernement fédéral comprend 

– un Conseil suprême, composé des sept émirs des Etats composant la fédération, qui désignent pour cinq ans, en leur sein, un Président et un vice-président. Ce conseil est investi de pouvoirs législatif et exécutif et nomme le Premier ministre. Il se réunit régulièrement à Abou Dhabi, le plus vaste des sept émirats ;

– un cabinet (conseil des ministres), présidé par le Premier ministre, qui constitue « l’organe exécutif » de la fédération. Le Premier ministre choisit les ministres avec l’accord du Conseil suprême (avec une répartition des postes entre les Etats de la Fédération). Il existe un ministère commun de la Justice et des Affaires islamiques et religieuses.

Le pouvoir judiciaire fédéral est indépendant et dispose à son sommet d’une Cour suprême fédérale, qui décide de la constitutionnalité des lois fédérales et arbitre les conflits entre émirats. Elle joue également le rôle de cour de cassation et de juge dans des matières fédérales. Elle est composée d’un président et de cinq juges, nommés par le Conseil suprême et qui ne peuvent être destitués que pour faute grave. Ils exercent normalement leurs fonctions jusqu’à la retraite. Il existe également un organe comparable à notre procureur de la République, nommé après approbation du Conseil des ministres.

B – Le système judiciaire et la procédure pénale

Si le système juridique présente, dans son organisation, des similitudes avec le système français, le système judiciaire a pour fondement l’Islam, qui est religion d’Etat, mais le droit émirien est également influencé par la Common law britannique et par les traditions juridiques égyptiennes, elles-mêmes profondément imprégnées de droit français depuis le XIXème siècle. Le droit coutumier est en outre largement pris en compte par les juridictions et il existe des instances tribales de règlement des conflits.

Le système judiciaire émirien est né avec la fédération en 1971. A cette date, chacun des sept émirats possédait ses cours judiciaires et y appliquait des lois particulières. Dès ses premières années d’expérience, l’État s’est préoccupé d’instaurer un système législatif et judiciaire uniforme. A la différence de la France, et conformément au modèle britannique, il n’y a qu'un ordre de juridiction.

Depuis 1978, quatre émirats ont choisi de transférer les compétences des autorités judiciaires locales aux tribunaux fédéraux de première instance. En revanche, tout en appliquant les mêmes lois fédérales, les Emirats de Dubaï, Abou Dhabi et de Ras Al Khaimah ont décidé de maintenir leurs propres systèmes judiciaires et leurs ressortissants ne relèvent du système fédéral que pour les crimes fédéraux tels que le blanchiment d’argent, la fausse monnaie, le terrorisme et l’immigration illégale.

Par ailleurs, un réseau de tribunaux de la charia subsiste dans chaque Etat. Ces tribunaux sont notamment compétents pour les affaires de statut personnel, ce qui engendre parfois des conflits entre le système judiciaire fédéral.

Il y a trois niveaux de juridictions fédérales :

– des tribunaux de première instance ;

– des tribunaux de grande instance avec trois juges (Cour fédérale d’appel) ;

– une Cour suprême fédérale, qui fait office de Cour de cassation (son siège est à Abou Dhabi, mais elle peut siéger dans la capitale de chacun des autres émirats).

Il existe par ailleurs un parquet (le niyaba) avec à sa tête un attorney général et ses assesseurs, tous nommés par les chefs des Etats avec l’accord du ministre de la Justice. Pour la première fois en 2008, deux femmes ont été nommées au parquet. Les Etats ayant conservé leurs compétences juridictionnelles ont des parquets indépendants.

Le ministère public dispose traditionnellement de pouvoirs notablement plus étendus que ceux reconnus à son homologue français, d’autant qu’il n’existe pas de juridiction comparable au juge d’instruction. Le procureur, qui exerce un pouvoir hiérarchique sur la police, est donc tout à la fois autorité de poursuite et d’instruction. Il est également en charge de l’exécution des sentences pénales.

Comme en France, l’engagement de la procédure pénale est régi par le principe de l’opportunité des poursuites. La recherche des preuves et des suspects est conduite par la police, sous l’autorité du procureur. Ce dernier dispose de certaines des prérogatives telles que l’audition des témoins, l’interrogatoire des suspects, la possibilité de procéder à une reconstitution, etc…). Le procureur dispose également de la possibilité de placer un suspect en détention provisoire pendant une durée limitée (21 jours - à l’issue de 48 heures de garde à vue - dans l’Emirat de Dubaï, par exemple).

Comme en France, il est possible à la personne suspectée de consulter un avocat dès la première heure de garde à vue, étant précisé que le droit de ce dernier d’assister à un interrogatoire peut être récusé par le procureur à tout moment, sans motivation. La transmission du dossier aux avocats s’opère au fur et à mesure de l’enquête, à la discrétion du procureur. Enfin, les commissions d’office n’existent que pour les crimes passibles de la peine capitale ou de la réclusion criminelle.

C – Les professions judiciaires et l’état de droit

Dans un pays peu peuplé, où plus de 80 % de la population est étrangère, la plupart des professions judiciaires sont exercées par des expatriés, très souvent égyptiens dans le domaine du droit, même si certains Emiriens sont juges ou avocats. C’est ainsi que les magistrats émiriens titulaires d’une licence en droit ou en charia peuvent être recrutés parmi les substituts du parquet, les professeurs de droit ou de charia, les avocats et dans toute autre profession liée au fonctionnement de la justice. Ils sont nommés pour une durée indéterminée et ne quittent leurs fonctions qu’à la retraite ou en cas de faute disciplinaire grave. Leur formation initiale est dispensée dans les instituts d’études judiciaires de Dubaï et d’Abou Dhabi, créés par décret du Conseil des ministres en 1992. Ces mêmes instituts organisent la formation continue de tout le corps judiciaire.

Les magistrats étrangers, qui viennent d’autres pays arabes ou africains sont pratiquement tous musulmans (Jordanie, Syrie, Égypte, Maroc, Soudan) et sont généralement des magistrats confirmés, détachés de leur pays d’origine auprès du ministère émirien de la Justice, dans le cadre d’accords de coopération. Ils sont nommés pour une durée déterminée.

Il existe un Conseil supérieur de la magistrature, qui a pour fonction de veiller à l’indépendance de la magistrature et de donner son avis pour la promotion des magistrats. Il est présidé par le ministre de la Justice et est composé de l’attorney général, du directeur des services judiciaires, du président de la Cour suprême et de trois « seniors judges ». En outre, la loi de 1983 réglementant la profession de magistrat prévoit la création d’un Conseil disciplinaire.

Les avocats ne sont pas organisés en barreaux mais simplement inscrits au registre du ministère de la Justice, cette inscription devant être renouvelée chaque année. Les avocats peuvent aussi être d’une autre nationalité, mais ils ne peuvent exercer, dans ce cas, qu’en association avec un avocat émirien. Quant aux greffiers, ils sont pour leur part fonctionnaires du ministère de la Justice.

L’état de droit aux EAU est un mélange de modernité et de tradition. Les Droits de l’Homme sont en principe garantis par la Constitution et le gouvernement s’efforce de se rapprocher des normes internationales, même si Amnesty International fait toujours part du maintien en détention dans des lieux secrets de personnes impliquées dans des actes de terrorisme. L’une des principales difficultés demeure le caractère imprévisible des décisions, notamment celles des tribunaux qui appliquent la charia. Les châtiments corporels (lapidation, flagellation) s’appliquent encore, particulièrement dans des condamnations par les tribunaux religieux (par exemple, les relations sexuelles illicites au regard de la charia ou hors mariage).

La peine de mort n’est pas abolie. Les infractions punies de la peine capitale sont l’homicide, le viol, la haute trahison, le vol aggravé, l’apostasie, la vente et, depuis 1995, le trafic de drogue. Il y a toujours des condamnations mais elles ne sont en fait pas toujours appliquées (la dernière exécution remonte à 2002). Selon la loi islamique, les membres de la famille de la victime peuvent demander la peine de mort à l’encontre de l’accusé reconnu coupable, mais aussi renoncer à ce droit en échange d’une indemnité (la diwa ou « prix du sang », concept qui a ainsi permis la libération des infirmières bulgares retenues en otage en Libye). Enfin, le Président de la fédération des Émirats Arabes Unis peut, en dernier recours, accorder un pardon et une grâce totale ou partielle et doit obligatoirement être consulté avant l’exécution d’une peine capitale.

Comme en droit français, les infractions pénales obéissent à une classification tripartite en crimes, délits et contraventions, pour lesquels les peines encourues sont de respectivement de 1, 3 et 10 ans d’emprisonnement. Les contraventions sont en principe jugées par un juge unique, tandis que les crimes et les délits le sont en audience collégiale. L’appel et le pourvoi en cassation sont toujours possibles.

Le droit pénal demeure imprégné par la charia qui conduit à l’existence de certains châtiments corporels pour un nombre limité d’infractions correspondants à certaines offenses (essentiellement statut personnel). Selon les émirats, une latitude plus ou moins grande est laissée au juge pour écarter l’application de ces règles. En outre, un arrêt de la Cour d’appel d’Abou Dhabi du 11 mars 1996 a écarté l’application de la charia pour les non musulmans.

Le système judiciaire reflète l’évolution très rapide des EAU. D’une société nomade et pastorale, vivant en autarcie selon des traditions tribales millénaires, ces émirats sont passés en une quarantaine d’année au stade d’une société développée, au cœur d’importantes routes commerciales. Les traditions demeurent néanmoins vivaces, ce qui explique le maintien de tribunaux locaux dont les procédures sont anciennes, au côté d’un système plus moderne.

II – UNE CONVENTION QUI PROTÈGE NOS RESSORTISSANTS

Le souhait des Emirats Arabes Unis de conclure une convention d’entraide judiciaire en matière pénale remonte à la fin des années 1970. Dans les années 1980, la partie française avait fait savoir qu’elle privilégiait, à ce stade, la conclusion d’une convention d’entraide civile, compte tenu des disparités entre les deux systèmes judiciaires.

Dans les années 1990, le développement d’une relation privilégiée dans le domaine de la coopération juridique entre la France et les Emirats Arabes Unis (1), concrétisé par des actions de coopération conduites par les institutions de formation judiciaire (2), avec le soutien des autorités émiriennes, a conduit à relancer les discussions sur la conclusion d’une convention d’entraide pénale, que ces dernières appelaient de leurs vœux. Ces échanges ont conduit à la transmission, par la partie française, en août 2001, de trois projets de conventions portant respectivement sur l’entraide pénale, l’extradition et le transfèrement des personnes condamnées, sur la base desquels les discussions ont pu être engagées.

La France a accepté de souscrire au souhait des Emirats en matière d’entraide judiciaire car elle y a également trouvé intérêt. Avec le développement des relations économiques, mais en raison également d’affaires de terrorisme au Moyen-Orient, des juges français ont été conduits à vouloir enquêter sur des détournements de fonds ou des personnes soupçonnés de liens avec Al Qaida. Or les autorités émiriennes sont très formalistes et une convention permet d’instaurer a minima un cadre de coopération entre les deux pays.

A – Des négociations conduites dans une atmosphère cordiale

Des projets de conventions portant notamment sur l’entraide pénale ont été transmis par la partie française à la partie émirienne en août 2001, donnant lieu par la suite à plusieurs échanges de notes diplomatiques. Après quelques retards dus à des problèmes de traduction, les discussions se sont engagées. Pour la conclusion de la convention, deux sessions de négociation ont été nécessaires, qui se sont tenues respectivement à Abou Dhabi (4-6 juillet 2005), puis à Paris (20-23 juin 2006), dans une atmosphère très cordiale et une volonté commune d'aboutir.

Dès la première session de négociation, le projet de convention d’entraide pénale apparaissait pratiquement finalisé, contrairement aux projets de conventions sur l’extradition et le transfèrement des personnes condamnées. Aucune difficulté substantielle n’avait en effet été rencontrée, de sorte que les délégations avaient enregistré un consensus sur la quasi totalité des articles. Les réserves maintenues jusqu'alors par la partie émirienne sur certaines dispositions du projet, notamment en ce qui concerne les restrictions à l’entraide, avaient pu être levées, permettant un accord sur la base du texte proposé par la partie française et complété de stipulations portant spécifiquement sur :

– la coopération aux fins d'identification, de gel, de saisie et de confiscation des instruments et des produits du crime ;

– la protection de la confidentialité des demandes d'entraide et des éléments de preuve communiqués en exécution (introduction d’un principe dit « de spécialité ») ;

– l’instauration d’un dialogue et d’une consultation entre les autorités compétentes dans l’exécution des demande d’entraide (obligation d'information en cas de non exécution ou de retard dans l’exécution des demandes, principe de respect des conditions posées par la partie requérante et engagement d'une consultation lorsque la demande ne peut être satisfaite conformément à ces conditions).

Seules les propositions avancées par la partie française en vue d’intégrer des dispositions en matière de recueil d’informations bancaires faisaient encore l’objet d’une réserve de la partie émirienne, qui souhaitait pouvoir les expertiser plus avant dans le cadre de consultations interministérielles approfondies.

Dans ce contexte, la deuxième session permettait de finaliser aisément le projet de convention, sans difficulté majeure. Les propositions françaises relatives à la coopération en matière de recueil d’informations bancaires étaient finalement écartées par la partie émirienne, qui confirmait que l’obtention de telles informations entrait déjà dans le champ des dispositions générales des articles 6 et 9 de la convention. Ces assurances étaient d’ailleurs inscrites au procès-verbal de la rencontre, signé par les deux chefs de délégation.

Après d’ultimes vérifications d’ordre linguistique, la Convention a pu être signée, à Paris, le 2 mai 2007, concomitamment à la convention bilatérale d’extradition.

Cette signature est la première en matière judiciaire avec un Etat de la péninsule arabique. Aucune convention de coopération judiciaire en matière pénale n’existe avec l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, Bahreïn, le Yémen ou Oman. Aucune négociation bilatérale n’est actuellement en cours avec ces Etats en vue d’établir une convention similaire.

La convention porte surtout pour l’avenir car elle concerne pour l’heure peu de ressortissants français. Du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, le bureau de l’entraide pénale international du ministère de la Justice des EAU n’a en effet reçu que 5 demandes d’entraide « actives » (3 commissions rogatoires internationales et 2 demandes d’enquête adressées par la France aux Emirats Arabes Unis) ainsi qu'une dénonciation officielle « passive » (dénonciation par les autorités émiriennes à la partie française de faits relevant de la compétence des juridictions françaises). Depuis 1998, l’ensemble des demandes de coopération non extraditionnelles est de 27 dossiers, dont 23 demandes « actives » (dossiers français à destination des Emirats). 11 dossiers sont toujours en cours d’exécution.

Aucun citoyen des Émirats Arabes Unis n’est actuellement incarcéré en France. En revanche, 9 Français sont aujourd’hui détenus aux Emirats (1 à Abou Dhabi et 8 à Dubaï).

Il convient par ailleurs de noter, sous réserve de confirmation, que l’installation d’une future base navale française à Abou Dhabi sera accompagnée d’un accord sur le statut des militaires y résidant, qui prévoira un privilège de juridiction des autorités françaises pour les infractions commises en service, les infractions commises hors service relevant des autorités émiriennes.

B – Un dispositif classique en matière d’entraide judiciaire

Le principal souci des autorités françaises pendant la négociation de la convention a été d’éviter que certains dispositifs de la convention ne conduisent des ressortissants français à subir in fine des peines prévues par la charia, dont la logique est étrangère à notre ordre public. De leur côté, les autorités émiriennes ne souhaitaient pas que la convention porte atteinte à leurs traditions. Le texte dont la ratification est demandée préserve cet équilibre et garantit la protection de nos ressortissants.

L’article 1er définit le champ de l’entraide. Il est inspiré de la rédaction de la Convention européenne de 1959, reprise dans de nombreuses conventions bilatérales postérieures signées par la France (Afrique du Sud, Australie, Canada, Etats-Unis, Chine, Colombie, Thaïlande, Paraguay, Inde, Corée, Argentine, Brésil, Hong-Kong).

Les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale couvrent traditionnellement la coopération entre Etats dans le recueil des éléments de preuve et la réalisation d’actes d’enquête dans le cadre des procédures pénales. Elle exclut donc la coopération judiciaire aux fins de recherche et d’arrestation des personnes, ainsi qu’aux fins d’exécution des décisions de condamnation. Celle-ci relève classiquement du domaine de l’extradition.

De même, la coopération aux fins d’exécution des décisions de condamnations ne relève pas, en principe, de l’entraide pénale, même si des tempéraments ont parfois pu être apportées à cette règle, notamment dans le cadre de certaines conventions multilatérales adoptées au sein de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe (3). C’est pourquoi, elle est également habituellement exclue du champ d’application des conventions d’entraide pénale, à l’instar des stipulations de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 précitée (article 1er) ou des conventions bilatérales conclues par la France. Seules font exception à cette règle les conventions comportant des dispositions de coopération aux fins d’exécution des décisions de confiscation des instruments et des produits du crimes (4).

L’article 2 constitue également un dispositif classique de désignation des autorités centrales chargées dans chaque pays de recevoir et de transmettre les demandes d’entraide judiciaire.

L’article 3 est relatif au refus d’entraide. Les motifs de refus (infractions politiques ou connexes, atteinte à la souveraineté, l’ordre public ou la sécurité) sont classiques et se retrouvent dans d’autres conventions bilatérales (Corée du Sud, Inde, Argentine…). Néanmoins, cet article a attiré l’attention de votre Rapporteur en raison de l’environnement géopolitique des EAU, particulièrement exposés au terrorisme, et du risque encouru par nos ressortissants de subir des peines ne relevant pas de notre ordre public.

Le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères ont indiqué que les dispositions des paragraphes a) et b) n’avaient ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la coopération judiciaire entre la France et les Emirats Arabes Unis en matière de lutte contre le terrorisme. Le motif de refus prévu au paragraphe b) ne tient aucunement compte de la nature des infractions pour lesquelles l’entraide pénale est demandée mais des conséquences qui seraient susceptibles de résulter de la réalisation de la demande d’entraide. Le refus éventuel d’entraide répond donc à une demande de la France, en raison des contraintes d’ordre constitutionnel qui découlent des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Il s’agit de protéger nos ressortissants dans les cas où ils encourraient les peines suivantes :

– lorsque l’infraction pour laquelle l’entraide pénale est demandée est punie dans le droit de la partie requérante par la peine capitale ou par des peines contraires à notre conception de l’ordre public (châtiments corporels, travaux forcés…) ;

– lorsque l’infraction est, par sa nature même, contraire aux exigences de respect des droits fondamentaux (par exemple, l’apostasie, l’appartenance à une religion donnée ou le fait d’en respecter la pratique, etc...) ;

– lorsque les poursuites ont été engagées en raisons des opinions politiques ou religieuses ou des convictions philosophiques de la personne concernée et que la demande d’entraide tend à recueillir des éléments de preuve susceptibles d’être utilisées à cette fin ;

– lorsque l’acte d’enquête demandé est, de par sa nature, contraire à l’ordre public (par exemple, s’il vise à faire auditionner un médecin sur des informations détenues par lui et couvertes par le secret médical) ;

– lorsque les informations dont la communication est sollicitée sont, par exemple, protégées par le « secret de la défense nationale » ou concernent des questions présentant un niveau élevé de sensibilité (ce peut être le cas, par exemple, pour certaines informations ayant trait à la conduite de la diplomatie française).

L’article 4 est relatif aux formalités d’entraide. L’article 5 contient deux dispositions classiques, quoique différentes :

– Le paragraphe 1 concerne la confidentialité de la demande d’entraide elle-même. Il oblige la partie requise à préserver la confidentialité de cette demande lorsque la partie requérante le sollicite expressément. Cette disposition a pour but d’éviter que la teneur des demandes d’entraide visant à l’accomplissement d’actes d’enquête, ne soit rendue publique dans des conditions qui pourraient compromettre le bon déroulement des mesures d’investigation. Il serait en effet regrettable que l’efficacité des enquêtes soient compromise par une divulgation prématurée des éléments et des orientations de procédure lors du traitement de la demande dans la partie requise (il en irait ainsi, par exemple, si, pour autoriser l’accomplissement d’un acte d’enquête déterminé, l’autorité judiciaire de la partie requise devait prendre sa décision à l’issue d’un débat public).

– Le paragraphe 2 énonce une règle différente : il permet à la partie requise de demander que des éléments de preuve communiqués à la partie requérante en exécution de la demande restent confidentiels ou ne soient utilisés que selon les termes ou conditions qu’elle aura spécifiées. Ces dispositions, combinées avec le principe de spécialité énoncé par le paragraphe 3, constituent une garantie supplémentaire contre le risque d’utilisation des éléments de preuve communiqués, par la partie requérante, aux fins de prononcé d’une peine capitale. En effet, si le paragraphe 3 interdit l’utilisation des éléments de preuve communiqués «  à des fins autres que celles qui auront été stipulées dans la demande », il n’interdit pas explicitement l’utilisation de ces éléments de preuve dans la même procédure après requalification des faits reprochés, lorsque cette requalification conduit à une aggravation de la peine. Les dispositions du paragraphe 2 permettront aux autorités françaises d’indiquer que les informations communiquées ne pourront en tout état de cause pas être utilisées aux fins de rechercher l’application de la peine capitale, d’un châtiment corporel, etc..

Ces dispositions n’ont pas pour objet de restreindre les droits de la défense et l’accès des parties au procès au dossier de la procédure dans le cadre des exigences du débat contradictoire, notamment lors de la procédure de jugement dans la partie requérante. Votre Rapporteur a tenu à ce que le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères confirment cette analyse, lors de l’entretien qu’elle a tenu avec les négociateurs de la convention.

Elles créent en revanche les conditions d’un dialogue entre la partie requise et la partie requérante. Ainsi, lorsque l’exigence de confidentialité ne peut être satisfaite au regard du droit de la partie à laquelle elle est imposée, cette dernière doit en informer préalablement l’autre partie, à l’effet qu’elle indique, selon les cas, si elle maintient sa demande d’entraide ou si elle peut accepter les conditions stipulées.

La France, en tant qu’Etat requérant, ne pourrait, en tout état de cause, pas accepter de la partie émirienne des conditions d’utilisation des éléments de preuve communiqués qui conduiraient à restreindre les droits de la partie civile et de la personne poursuivies à avoir accès à la procédure et aux éléments de preuve communiqués. Le paragraphe 2 permet d’ailleurs expressément de ne pas accepter des conditions qui seraient contraires à ces principes.

Les articles 6, 7 et 8 relatifs à l’exécution des demandes d’entraide, à l’information de la partie requérante et au fait de surseoir à la remise d’objets ou de documents constituent des dispositifs classiques et n’appellent pas de commentaires particuliers. Les articles 9 et 10 reprennent également des dispositions traditionnelles des conventions d’entraide judiciaire, sur l’identification, la saisie et la confiscation des instruments et des produits des crimes. La convention distingue clairement l’identification des produits des crimes de l’exécution des mesures de gel, de saisie et de confiscation, à la différence de conventions antérieures.

Les articles 11 (remise d’actes judiciaires), 12 (protection des témoins et des experts), 13 (frais de voyage et de séjour du témoin), 14 (comparution des témoins et experts), 15 (transfèrement des personnes détenues appelées à comparaître en qualité de témoin) et 16 (protection des témoins et experts) sont pour la plupart inspirés de la convention européenne de 1959 et se retrouvent dans d’autres conventions d’entraide judiciaire signées par notre pays.

L’article 17 (communication d’extraits de casiers judiciaires, sachant que les Emirats en ont mis un en place à leur indépendance) et les articles 18 à 22 (questions de procédure) relèvent de dispositifs classiques et n’appellent pas non plus de commentaires particuliers.

CONCLUSION

La convention d’entraide judiciaire entre la France et les Emirats Arabes Unis constitue un texte utile à plusieurs titres. Elle comble un vide juridique et assure à nos ressortissants une protection minimale s’ils devaient être sous le coup d’une infraction aux Emirats. Elle forme le cadre d’un dialogue entre les autorités judiciaires, qui vient compléter une coopération politique et judiciaire de grande qualité. Elle permet enfin de familiariser les autorités émiriennes à des concepts de droit français dans une région du monde où les systèmes juridiques sont en concurrence. Pour l’ensemble de ces raisons, votre Rapporteur vous propose d’adopter le projet de loi autorisant l’approbation de cette convention.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 18 février 2009.

Après l’exposé de la rapporteure et suivant ses conclusions, la commission adopte le projet de loi (no 1243).

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* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

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NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1243).

© Assemblée nationale

1 () Les Emirats Arabes Unis apparaissent ouverts à toutes formes de coopération dans le domaine juridique, comme en témoignent les nombreux accords signés avec les pays tiers. Les autorités émiriennes souhaitent notamment tirer profit de l’expérience et de la compétence étrangère pour développer leur propre système judiciaire.

2 () L’ambassade de France a mis en place une coopération avec les instituts de formation judiciaire d’Abou Dhabi et de Dubaï, avec une formation linguistique et professionnelle en France de futurs magistrats émiriens. Ces deux instituts de formation ont, par ailleurs, signé des accords avec l’Ecole Nationale de la Magistrature et l’Ecole Nationale des Greffes, en 1997 pour Dubaï et en 2002 pour Abou Dhabi.

3 () Cf. convention d’application de l’Accord de Schengen (1990), convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne du 29 mai 2000, ou le deuxième protocole à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2001.

4 () Quand de telles dispositions sont prévues dans les conventions bilatérales, il est habituellement précisé que la convention ne s’applique pas à l’exécution des condamnations, « à l’exception des décisions de confiscation prévues à l’article… ». Cf. les conventions conclues avec l’Australie, la Chine, la Colombie, les Etats-Unis, l’Inde et la Thaïlande.